
Projet Mission Mariste Ad Gentes
Il y a quelque temps, un ami qui voulait rigoler un peu et qui savait que je resterais à Rome après que je lui ai communiqué ma joie de rentrer au Portugal, m?a demandé : « Mais alors, quelle est ta « terre nouvelle » ? Il s?attendait sûrement à ce que je lui dise : « Ma nouvelle terre, c?est AD GENTES ». Mais je lui ai répondu, sur le même ton enjoué et avec des paroles qui semblent paradoxales : « Ma nouvelle terre, c?est le même bureau ! » En fait, j?ai changé de fonction, mais j?ai gardé le même bureau. Seule a changé la plaque affichée sur la porte. « Commission de la Vie Religieuse » au lieu de « AD GENTES ».
Mais au-delà de la blague, quelque chose était très clair : c?était le même bureau et la même personne. Mais le travail changeait, ainsi que la pensée, voire même la méthode par rapport à ce que je faisais précédemment. Surgissent de nouveaux plans et de nouvelles perspectives dans mon travail. Et tout cela exige une nouvelle disposition intérieure d?ouverture et d?écoute. Je travaillerai dans le même espace physique, mais l?environnement de mon travail est autre. Mon attitude intérieure pour répondre à de nouveaux appels doit être, elle aussi, différente. Une attitude, au fond, d?obéissance, c?est-à-dire de rester à l?écoute des nouveaux appels de Dieu et des hommes. Et dans tout cela il y a bien quelque chose de la « terre nouvelle ».
Malgré tout, cette question, posée pour plaisanter un peu, peut prêter à une réflexion plus sérieuse et plus complète. Et sans vouloir jouer les exégètes, nous pouvons interpréter de plusieurs manières cette expression qui a attiré l?attention des capitulants, si bien qu?elle a fini par devenir le titre d?un document capitulaire : « Avec Marie, partez en hâte vers un terre nouvelle ». Je pense à trois possibilités :
1. La mission AD GENTES
C?est peut-être le sens le plus visible de cette « terre nouvelle », aussi important que d?autres sens possibles de l?expression. Parler de Mission AD GENTES signifie nécessairement se déplacer vers un autre pays, ou vers une autre zone à l?intérieur du même pays. Nous devons partir parce que « la mission ad gentes, à proprement parler, sadresse à des peuples, des groupes humains, des contextes socioculturels dans lesquels le Christ et son Évangile ne sont pas connus » (cf. Redemptoris Missio, 33). Dans l?Évangile, ce déplacement se traduit par la parole « envoi » : « Comme le Père ma envoyé, à mon tour je vous envoie » (Jn. 20,21). Paul, l?Apôtres des Nations, a bien compris que « ? la promesse est adressée aussi à tous ceux qui sont au loin » (cf. Ac. 2,39), et il n?a pas hésité à commencer ses voyages missionnaires pour porter le salut « jusqu?aux extrémités de la terre » (cf. Ac. 14,37).
2. L?homme renouvelé (conversion)
Déjà au Chapitre général quelqu?un faisait remarquer que la terre nouvelle peut être l?homme converti, renouvelé (= renouvelé par Dieu, « terre nouvelle » où Dieu habite et se trouve au centre). Je me suis demandé si l?intervenant ne serait pas un bibliste habitué à méditer la Parole de Dieu, peut-être même en hébreu. En fait la première page historique de la Bible commence par une demande de Dieu à Abraham, demande qui s?harmonise parfaitement avec l?idée polyvalente de « terre nouvelle » : « Le SEIGNEUR dit à Abram : ?Rentre en toi-même (= leq-leka) et pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir? » (Gn. 12,1).
Abraham quitte son pays. Mais il ne s?agit pas seulement d?un voyage géographique. C?est un voyage qui touche sa personne et sa capacité de devenir un être libre. Remarquons que le texte ne dit pas simplement : « Pars (leq) de ton pays », mais « Rentre en toi-même (= leq-leka) et pars de ton pays ». Il se peut que cette expression ne soit par très harmonieuse dans nos langues ; dans la grammaire hébraïque c?est une locution spéciale appelée « datif éthique ». C?est un voyage différent, pas simplement au sens physique, mais un voyage qui nous oriente vers l?intérieur de nous-mêmes pour découvrir notre propre « moi » et voir où nous en sommes. Pour commencer ensuite le travail de notre propre libération jusqu?à ce que nous soyons vraiment libres comme l?évangile nous le propose. Transformés de la sorte, c?est-à-dire renouvelés par Dieu, nous devenons alors des êtres accueillis et accueillants. Et nous accueillons la bénédiction de Dieu dans nos vies, comme l?a fait Abraham. Nous sommes bénis et nous devenons des personnes qui bénissent. Le texte biblique continue : « Je bénirai ceux qui te béniront?; et en toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn. 12,3). La terre nouvelle est alors cet espace de conversion accueillie et réalisée.
3. Les nouvelles expériences et les nouvelles espérances
La terre nouvelle peut être aussi la nouveauté de quelques thèmes qui, d?une manière ou d?une autre, se vivent déjà dans l?Institut. Outre les aspects mentionnés (AD GENTES et conversion), le Chapitre en a rappelé d?autres avec insistance. J?en cite quatre :
? Le thème de la vocation des laïcs et les expériences communes de vie, de formation et de mission qui se développent déjà dans l?Institut.
? Le thème marial, repris avec force et vigueur, envisagé dans la perspective de la Visitation : « Avec Marie, partez en hâte? »
? Le thème de l?internationalité et de la pluriculturalité, déjà présent dans de nombreuses parties de l?Institut, mais qu?il s?agit maintenant de développer et de consolider. Fortement relié à ce thème il y a aussi celui de la solidarité ad intra et ad extra de la Congrégation.
? Il y a aussi le thème de l?urgence sur lequel le Chapitre insiste avec force et véhémence. Le sens de l?urgence (où que nous soyons !) s?impose car il semble qu?il et grand temps de commencer à cueillir des fruits qui se font attendre. Cela fait plus de 40 ans que notre chère frère Basilio parlait, en employant une belle expression d?Yves Congar, d?une « nouvelle aurore à naître ». C?est une expression globale où nous pouvons voir le besoin de conversion, de mission renouvelée, de courage et d?espérance, de solidarité créative? autant d?échos de ce Chapitre et des Chapitres précédents.
Il est donc temps de partir, de partir sans tarder, pour ne pas laisser se perdre la nouveauté qui pointe. Le Chapitre est une invitation à découvrir cette nouvelle terre aux aspects divers. Elle peut être lointaine, mais elle peut aussi se trouver tout près de chez nous. Ou plus proche encore : au-dedans de nous-mêmes.
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Fr. Teófilo Minga
Coordinateur du Projet AD GENTES
Rome, le 14 avril 2010