Spiritualité mariste
La Maison de Spiritualité du Monastère de Les Avellanes (Espagne) a organisé un symposium sur « Structures d?animation de la spiritualité mariste ». Cet événement fait partie du programme pour fêter les 100 ans de la présence mariste dans cette maison. Quarante frères et laïcs des cinq continents se sont réunis, en délégation de 15 Provinces de l?Institut, du 17 au 21 mai 2010. L?invitation avait été envoyée par la Province mariste de l?Hermitage, forte du soutien du Supérieur général et son Conseil, et de la communauté mariste de cette maison.
Ce symposium répond à l?appel pressant des trois derniers Chapitres généraux qui insistent sur la croissance spirituelle et sur la conversion. L?invitation a été adressée à tout le monde mariste pour prendre conscience de la réalité en ce domaine et pour réfléchir ensemble et imaginer des chemins de conversion concernant l?animation de la spiritualité mariste.
La rencontre s?est déroulée dans un cadre paisible et tranquille, entouré d?une belle nature où le regard se perd, porté vers des horizons lointains. Dans le cloître de cette maison résonne la présence de nombreux frères qui y ont passé leurs années de formation. Le cimetière, récemment remodelé, garde la dépouille des frères qui nous ont précédés. L?église contient les précieux restes d?un bon groupe de frères martyrs. Les chemins et les sentiers rappellent les histoires de tant de personnes qui ont mûri ici leur oui généreux à Dieu.
La méthodologie qui a guidé les travaux du symposium a été celle de « voir ? juger ? agir »
Au moment du « voir », les participants ont partagé des expériences significatives qui se réalisent çà et là, telles les exercices spirituels dans la vie de tous les jours, le projet NUDO des religieuses Thérésiennes, les IDEM (Itinéraires de Spiritualité Mariste) de la Province de Compostela, et l?expérience de la communauté de Les Avellanes. Les participants ont fait également une analyse des structures maristes existantes pour la transmission de la spiritualité aux hommes et aux femmes du XXIe siècle. Il en est ressorti que dans les Provinces il y a des structures variées en vue de la transmission de la spiritualité mariste, même si certaines ne proposent que des rencontres ponctuelles mais sans suivi. La spiritualité mariste passe par la solidarité et par la mission. Il lui faut des communautés qui soient d?authentiques écoles de prière et de spiritualité. Elle demande des structures solides et un soutien à tous les niveaux provinciaux.
La première partie du symposium s?est achevée par la causerie du Père Ramon Prat : « Malaise et espoirs de notre temps : la sérénité lumineuse ».
Le moment du « juger » a commencé par la causerie d?Asunción Codes, religieuse thérésienne : « Critères pastoraux à tenir en compte aujourd?hui pour favoriser la spiritualité ». Dans son intervention elle a insisté sur le fait qu?il faut éduquer l?intériorité humaine, faire le chemin ou itinéraire personnel, éduquer dans les nouveaux espaces ou milieux pour l?expérience de Dieu, et porter le regard sur Jésus. C?est là où l?on voit Jésus, où on l?entend qu?il faut être, parmi les « amis de Dieu, touchés du même mal ».
Au moment d?aborder l? « agir » diverses initiatives furent proposées comme la création d?un réseau de maisons de spiritualité mariste ayant une communauté qui accueille et accompagne des expériences significatives. Ces maisons devraient élaborer et partager des matériaux au service de l?Institut. Il a aussi été proposé de créer dans chaque Province un « centre de spiritualité mariste », de favoriser l?existence d?un réseau (maisons? centres? équipes?) de spiritualité au niveau de tout l?Institut, de créer une équipe-communauté d?animation au niveau provincial, d?encourager les exercices spirituels maristes dans la vie de tous les jours, et enfin, de proposer des itinéraires de spiritualité mariste?
A la fin des travaux, les deux Conseillers généraux présents au symposium, Josep Maria Soteras et Eugène Kabanguka, ont encouragé les présents à poursuivre le chemin entrepris et ils leur ont lancé trois défis : notre spiritualité possède une identité propre, avec des horizons et des racines ; elle nous invite à une vision globale rattachée à la mission. Et trois lignes d?action : bienvenue à la spiritualité, puisqu?elle fait partie de ce que nous sommes et de ce que nous faisons ; investir en temps, en argent et en personnes pour constituer des lieux de référence et la développer en RÉSEAU, ensemble.
L?Eucharistie de clôture a été célébrée dans l?église du Monastère de Les Avellanes, gorgée d?histoire et de vie, de rêves et de défis, de frères et de laïcs, de familles, d?enfants et de jeunes qui accourent chaque week-end et la remplissent.
Le Symposium de Les Avellanes s?achève?
Trois défis de fond et trois lignes d?action
PREMIER DÉFI: une spiritualité marquée d?une identité
Lorsque je suis entré au noviciat, les novices ? et moi-même ? étions surpris de voir les frères dispersés dans une foule de propositions spirituelles du moment : Taizé, Focolari, Mouvement Charismatique, Action Catholique, « Cursillos de Cristiandad », Monde Meilleur, Oasis, École de prière de Troussures? etc. … Les formateurs nous invitaient et nous envoyaient dans ces différents lieux pour susciter en nous une expérience spirituelle? Cela nous enchantait et se justifiait comme ouverture à l?Église, mais nous demandions tout de même : les Maristes n?ont-ils rien qui leur soit propre ?
Nous avons aussi connu des frères gênés par cette dynamique qui ne cessaient de répéter : pourquoi aller chercher ailleurs ce que nous avons chez nous ? Mais lorsqu?on essayait de montrer ce que « nous avions chez nous », nous découvrions des formes de spiritualité du XIXe siècle, profondément éloignées de notre spiritualité ? nous étions jeunes ? et de la culture contemporaine. En même temps les chercheurs nous montraient clairement que les traits attribués à Champagnat étaient des lieux communs de la piété de son époque. Nous avons commencé à penser que nous n?étions peut-être pas dotés d?une spiritualité « propre », comme la spiritualité franciscaine, ignacienne, thérésienne ou bénédictine? et que notre destinée spirituelle était d?entrer en contact, à chaque époque, avec les mouvements en vigueur, qu?il s?agisse de la vie spirituelle des frères ou de notre pastorale. Notre spiritualité mariste nous semblait donc « vide », sans contenus propres, ou « ouverte », c?est-à-dire disponible et réceptive, s?adaptant parfaitement aux propositions spirituelles de chaque époque. En psychologie on parlerait d?une spiritualité « fusionnelle » avec celle de l?époque.
C?était une conclusion claire mais qui nous laissait insatisfaits. Nous continuons à croire qu?il y a quelque chose de propre et de spécifique dans la spiritualité que nous avons héritée de Champagnat et de ses premiers frères. Dans une certaine mesure nous nous sentons des nomades spirituels, mais en aucun cas anonymes et sans personnalité. Nous reconnaissons une origine commune et des références partagées qui nous fournissent une identité. Bien évidemment Champagnat ne nous a pas laissé un ensemble de règles bien définies et originales comme les exercices de St Ignace ou la règle bénédictine, ou les écrits de Ste Thérèse d?Avila, St Jean de la Croix ou St François d?Assise?, mais nous percevons les traits intenses d?un profil spirituel original et, en même temps, extraordinairement plastique, capable de se recréer à chaque situation nouvelle, donnant lieu à des codifications toujours originales et jamais définitives. Ces codifications se forgent en dialogue avec les propositions spirituelles en vigueur à chaque époque, et partant, la spiritualité mariste se caractérise par cette ouverture aux autres spiritualités, à la culture, aux nouveaux mouvements? Elle ne prétend pas être autosuffisante, et en cela elle témoigne d?une attitude profondément mariale.
Ce changement d?époque offre un panorama excellent pour pouvoir identifier ces traits avec plus de clarté, les distinguant des codifications qui n?ont plus cours malgré la valeur qu?elles ont eue dans le passé. Voilà un premier défi comme Institut : mieux découvrir les traits qui configurent notre profil spirituel mariste et les développer de manière à être mieux à même d?élaborer les codifications dont chaque époque a besoin.
Pendant ces jours-ci nous avons répété qu?il nous faut une VISION globale qui encadre la proposition spirituelle mariste, laquelle nous semble souvent fragmentée : une spiritualité en « morceaux », composée de pièces diverses, sans limites précises, ignorant ce qu?elles englobent, et avec de la difficulté à dépasser le domaine personnel ; l?Église apparaît fréquemment en dehors de sa portée. En ce sens, la récente récupération de Champagnat comme membre de la Société de Marie nous offre des possibilités nouvelles d?enrichir notre spiritualité, l?envisageant comme intégrée dans un mouvement plus large dont nous, les frères, sommes l?un des fruits. Les propositions du P. Colin et de ses compagnons sur l? « Église mariale » ou le « visage marial de l?Église », relues à la lumière de la théologie et de la sensibilité postconciliaire, résonnent aujourd?hui avec une force inhabituelle et donnent un horizon ecclésial à une spiritualité mariste qui semblait condamnée à s?épuiser dans les marges étroites de la piété individuelle ou, tout au plus, des communautés de frères. Ce contexte historique ? actualisé ? est, à la rigueur, beaucoup plus adéquat et légitime pour enrichir ce qui semblait manquer à notre spiritualité, que n?importe lequel des compléments que quelques-uns sont tentés d?ajouter, périodiquement, fruit de leur propres recherches ou de leur sensibilité personnelle. La présence des laïcs et leur intérêt pour le charisme a confirmé que la spiritualité mariste n?était pas aussi étroite qu?elle en avait l?air.
Ce nouvel horizon « ecclésial », au visage marial, nous offre une voie extraordinairement puissante pour mieux mettre en valeur les traits qui traditionnellement ont configuré notre spiritualité mariste. Incorporer cet aspect n?entraîne pas l?abandon de ce que nous avions, mais cela nous permet de redécouvrir sous un jour nouveau l?apport de Champagnat à l?ensemble de la vision qu?il partageait avec la Société de Marie. En ce sens, il semble clair que l?expérience spirituelle transmise par Champagnat n?est pas générique comme les grandes spiritualités précédemment citées, mais intrinsèquement rattachée à la mission éducative qu?il assume avec ses frères. C?est une spiritualité qui se nourrit de la mission et qui, en même temps, la sustente. Par conséquent, l?intérêt pour les enfants et les jeunes, le souci de transmettre la foi aux nouvelles générations et le souci pour l?éducation, spécialement de ceux qui ne disposent pas de possibilités éducatives, sont autant d?éléments qui constituent cette expérience spirituelle, quelle que soit la profession ou le travail qui sont les nôtres. Et tout cela constitue, à son tour, une manière concrète et bien déterminée de construire depuis la base cette Église au visage marial. Voilà Champagnat à l?état pur : il ne se contente pas que de grandes idées ; lui, les met en ?uvre.
Tel est donc notre deuxième défi : une spiritualité intrinsèquement rattachée à notre mission éducative (ayant des racines) et, en même temps, bien impliquée dans la construction d?une église mariale (ayant un horizon). Notre proposition spirituelle ne saurait être un développement en parallèle, étranger à ce que nous faisons, ni un apport n?ayant d?autre horizon que le domaine personnel avec son cadre restreint de relations.
En 1993, les chefs d?établissement de Catalogne ont entrepris un voyage pédagogique en Allemagne. Ce fut une semaine de rencontres et de contacts avec différentes personnes et entités du « land » Baden-Würtenberg. Nous avons tenu une rencontre très intéressante avec le responsable de l?école catholique de cet état. Il nous a expliqué qu?en Allemagne les écoles catholiques ne concurrencent pas les autres en « qualité », toute étant d?une très haute qualité éducative ! Il ne s?agit pas d?augmenter le nombre des laboratoires, ordinateurs, sports? jusqu?à l?infini. Il s?agissait plutôt de mettre en évidence ce qui rendait l?école catholique différente (cela ne devait pas être forcément quelque chose de cher) et qui devait s?avérer bénéfique pour tous (non seulement pour les « croyants » qui avaient fait le choix de faire de la catéchèse). Si tous en bénéficiaient, cette différence était reconnue comme une « valeur ajoutée » qui donnait une identité à cette éducation. Quelle était cette différence ? L?école catholique devait éduquer à l?intériorité et à la spiritualité, dimensions qui ne sont pas le patrimoine des croyants, mais propres à la condition humaine et auxquelles on ne peut renoncer pour développer une vie humaine de qualité. Et cela n?en restait pas à une simple « déclaration d?intention » mais se traduisait dans un programme très concret pour éduquer au sens du « silence ». A tous les niveaux, la première demi-heure scolaire se passait dans un silence total : l?enseignant restait à la disposition des élèves, lesquels s?incorporaient à la classe de propre initiative et employaient ce temps pour cultiver quelque activité spéciale. Chez les tout petits c?est par des jeux qu?ils prenaient cette habitude et, progressivement, on leur apprenait à disposer de ce moment, de temps à autre, pour relire leur propre expérience. Cela m?a semblait génial. Tous les enseignants s?étaient engagés à favoriser cet apprentissage comme une valeur de longue et profonde portée, indépendamment de leurs croyances religieuses ou idéologiques. Cette pratique est devenue un « point de rencontre » de tous les éducateurs qui, en outre, les motivait à développer en eux cette même dimension. C?était quelque chose qui améliorait la qualité de l?ensemble du système scolaire et enrichissait la vie de tous ceux qui en faisaient partie.
Chacun sait que l?école mariste donne une éducation de qualité, mais elle ne tente pas d?imposer une idéologie particulière. De fait, on rencontre des anciens élèves dans tous les secteurs du parlement, voire même en dehors ! Leur commun dénominateur n?est pas une orientation idéologique précise, pas plus qu?une option de foi (que l?école offre mais n?impose pas). Ce que ces anciens élèves partagent, c?est la « qualité » éducative que nous avons su donner, fruit de la collaboration de tous les éducateurs, et pas seulement des « croyants » ou des « frères ». Pouvons-nous offrir davantage ? Je pense que nous sommes en train d?envisager une proposition spirituelle mariste ouverte à tous, visant à dépasser ce qui peut diviser et à nous mettre en phase avec un large éventail de personnes. La simplicité, l?esprit de famille ou de travail, la fraternité? sont des traits universels qui peuvent aller au-delà du strictement confessionnel. Une spiritualité mariste pour la vie attirera maintes personnes, enrichira l?éducation que nous offrons et ouvrira de nouvelles chances à la proposition explicite de la foi.
Cependant, ce registre « éducatif » de notre spiritualité ne devrait pas annuler la clef de lecture qui traditionnellement la rattachait aux frères dans leur condition de religieux. Nous pouvons en effet découvrir plusieurs niveaux de relecture de notre spiritualité qui se complètent et s?enrichissent mutuellement ; ce n?est qu?en les opposant ou en les ignorant que tous y perdent. Nous pouvons reconnaître jusqu?à quatre registres. Le plus élémentaire serait celui qui inspirerait une sorte de « code déontologique » de notre praxis éducative, pour l?identifier à une « empreinte » ou « cachet de la maison » reconnaissable, et donc, bien présent chez tous les acteurs impliqués dans la mission mariste.
Dans le paragraphe précédent on présentait un deuxième registre, celui qui propose d?envisager la tâche éducative non seulement comme une profession mais comme une vocation. De ce fait on génère une authentique « spiritualité de l?éducateur » parce que la personne entière est impliquée avec son projet de vie et qu?on développe le domaine éducatif comme une source d?intériorité, de croissance personnelle et d?humanisation. Le troisième registre est celui qui propose un chemin spirituel mariste à toute personne qui soit en phase avec cette « spiritualité mariale » de caractère « mariste », c?est-à-dire enracinée dans une mission et engagée dans la construction d?une Église au visage marial comme horizon. Et enfin, le quatrième registre développe la « spiritualité mariste » comme expression explicite de l?évangile et de l?engagement vital pour la cause de celui-ci, avec des conséquences publiques quant au style, et des options de vie au service de la mission mariste. Ce registre pourra adopter des modalités nouvelles à mesure que la vocation laïcale deviendra une nouvelle expression de la vie mariste. Ce développement polyédrique et harmonique de la spiritualité constitue le troisième défi de fond.
La spiritualité cessera d?être un complément, un appendice ou une annexe parallèle dans la mesure où nous saurons la rattacher à la mission, à nos tâches quotidiennes, à la raison d?être de notre Institut? Notre intérêt actuel pour la spiritualité n?est pas le fruit d?une mode passagère, mais il appartient au c?ur même de ce que nous sommes et faisons.
Nous trouvons ici un premier appel à travailler dans les Provinces, que je résumerais par ces mots : « la spiritualité n?est pas uniquement pour le temps libre ».
Apprenons de notre histoire récente. La « solidarité » a toujours été présente au c?ur de la mission. Cependant, à mesure que l?Institut devait affronter de nouveaux défis s?y rapportant, de nouveaux contextes, de nouvelles exigences de qualité, de nouvelles lois éducatives? toutes nos énergies étaient employées à assurer l?avenir de nos écoles, sacrifiant petit à petit la dimension solidaire, entre autres. Un moment est arrivé où la « solidarité » a été reléguée, dans la pratique, au temps libre, « lorsque vous vous serez acquitté de vos obligations de la classe, vous pourrez alors vous engager dans quelque action solidaire ou d?aide sociale », le week-end, avec des groupes apostoliques, en vacances, lorsque vous prendrez votre retraite? Petit à petit nous avons découvert que cette dimension n?est pas un ajout facultatif ou marginal à la mission mariste, mais qu?il se trouve bien au c?ur de celle-ci.
Cette prise de conscience postconciliaire a développé dans les Provinces le domaine de la solidarité, y compris depuis la perspective des structures. Si la solidarité était essentielle à la mission mariste, elle ne pouvait rester limitée au temps libre des frères ou aux dons faits par les Provinces. Si notre mission éducative exigeait du temps, de l?argent et des personnes, il fallait aussi que notre action solidaire soit visible au niveau des structures, en lui consacrant du temps, de l?argent et des personnes. La configuration même des « ?uvres provinciales » doit mettre en relief cette double dimension de la mission mariste. Petit à petit nous découvrons qu?Éducation et Solidarité ne se concurrencent pas et il est de plus en plus évident qu?elles s?enrichissent mutuellement.
Or l?avenir de la mission mariste ne tient pas que sur deux pieds. Le tabouret tombe. Nous ne sommes pas uniquement une multinationale de l?éducation et de la solidarité comme il en existe tant d?autres aujourd?hui, sans se référer à d?autres valeurs. La Spiritualité constitue la troisième colonne qui soutient l?ensemble, lui donne de la stabilité et du sens : avec elle, la mission mariste atteint sa plénitude. Si tant est qu?elle soit essentielle à ce point, elle ne saurait être reléguée au temps libre ; elle exigera que l?on investisse des ressources, c?est-à-dire du temps, de l?argent et des personnes, aussi aux niveaux des structures et des Provinces. Les ?uvres d?une Province devront refléter cette triple dimension de notre mission, de notre manière d?être et de notre raison d?être. Frères et laïcs engagés dans la mission mariste, nous avons besoin de ressources qui soutiennent le sens de ce que nous faisons, de ce que nous vivons, de la même manière que nous nous appuyons sur les ressources provinciales pour la réalisation de notre action éducative et solidaire. L?avenir mariste repose sur trois piliers essentiels et indispensables : éducation, solidarité et spiritualité.
Comme chacun sait la théologie se nourrit de « topoi » ou « lieux communs » qui soutiennent sa recherche : la parole biblique et la tradition. A côté de ceux-ci, un nouveau « topos » lutte pour se frayer un passage : la réalité même, comme lieu par excellence de la présence divine et source d?inspiration de la réflexion théologique. Notre tradition mariste se nourrit elle aussi de quelques « topoi » à forte charge symbolique, émotionnelle, inspiratrice? ; ce sont nos lieux maristes d?origine : Le Rosey, La Valla, L?Hermitage.
De manière analogue, nous avons perçu durant ces journées le besoin d?établir des « topoi » ou « lieux de référence » pour le développement de la spiritualité au niveau provincial. Ces « lieux » dépassent le mécanisme classique d?une commission ou d?une équipe provinciale même si, bien entendu, ils ne les éliminent pas. Habituellement une équipe met surtout l?accent sur le travail et l?efficacité ; son objectif est strictement fonctionnel. Et nous comprenons aujourd?hui qu?il nous faut quelque chose de plus : faire un pas qui nous permette de nous situer à un niveau supérieur dans le développement de notre spiritualité mariste. Le dénominateur commun pour ces lieux de référence est de constituer un domaine où l?on partage la vie et la mission. La réalisation pratique peut prendre différents visages et configurations, selon les caractéristiques de chaque Province, mais nous reconnaissons l?importance, tant pour les frères que pour les laïcs, de compter sur ces points de référence et d?accueil, qui accompagnent le développement des quatre registres de la spiritualité mariste, précédemment cités. Dans certains cas on parle de maisons de spiritualité ; dans d?autres, de communautés ou de fraternités élargies, de groupes de vie avec différents cercles d?appartenance et participation? Quelle que soit sa configuration, ce qui est important c?est que ce soit un « lieu » de vie, avec des propositions? pas simplement une maison ou des locaux vides, anonymes, qui développent des activités venues presque toujours de l?extérieur. Évidemment je ne parle pas seulement d?une communauté ou un groupe chargé de la « gestion » ou du « maintien » des espaces physiques.
Comme chacun sait, dans beaucoup de nos Provinces nous disposons des ressources (maisons, locaux, structures?) que l?histoire s?est chargée de « mettre à la retraite » et sont restées vides. D?un autre côté nous reconnaissons la soif et la fin de spiritualité qui caractérisent notre monde. Comment établissons-nous un dialogue entre nos ressources et ces besoins afin de trouver de nouvelles réponses ? Après avoir habilité des ressources (première ligne d?action), nous nous référons maintenant à un autre aspect : semer la vie dans leur intérieur. La vie peut se scléroser si elle ne dispose pas des moyens pour se développer ; il ne suffit pas de libérer des ressources qui ne sont pas porteuses de vie. Voilà la deuxième ligne d?action.
Les technologies de l?information nous ont familiarisés avec ce terme, le répandant dans la plupart des domaines de l?activité humaine. En restant isolés, il ne peut guère y avoir de progrès important, aujourd?hui.
A plusieurs reprises il a été question, ces jours-ci, du besoin d?établir des relations, de se soutenir mutuellement, de s?associer, en définitive, de construire un réseau au service de la spiritualité, susceptible d?accueillir et d?intégrer les différentes réalités de vie qui surgissent çà et là. Nous avons déjà fait l?expérience de quelques réalisations locales ayant pour vocation de servir la spiritualité, mais bien souvent elles tenaient à de personnes très charismatiques, et lorsque celles-ci étaient disparues (maladie, changements, difficultés?), on ne réussissait pas à en assurer la continuité. Un réseau pourrait susciter le soutien entre voisins, face à ces éventualités. Les raisons et les bienfaits d?un réseau sont évidents.
Le doute réside toutefois dans la façon d?implanter ce réseau. Est-ce que cela doit partir de Rome, faisant montre de son autorité, ou est-il préférable que ce réseau soit suscité à partir de la base, en cherchant des complicités entre les Provinces, par propre initiative ? La réponse adéquate devra, vraisemblablement, intégrer les valeurs des deux manières d?envisager la chose, en en évitant aussi les écueils. La réalisation de ce Symposium en est un bon exemple : à l?initiative d?une Province on a convoqué librement ceux qui ont voulu offrir leur réflexion et chercher ensemble une clarté plus grande au sujet de la voie qui s?est engagée dans les Provinces et dans l?ensemble de l?Institut. Rome était présente aussi, comme n?importe quel autre membre, cheminant avec tous et essayant d?écouter ce qui se dégage de notre travail pour le porter ensuite dans son domaine d?action, comme tout un chacun. Nous ne pensons pas que Rome doive imposer quoi que ce soit ; elle n?entravera sûrement pas quelque chose qui aille dans cette direction ; Rome stimulera plutôt la constitution de relations, précisément parce que cela favorise les plus petits ou les plus faibles, les Unités administratives manquant de ressources ou ayant des difficultés pour entrer en contact avec ceux qui sont pratiquement autonomes et ne dépendent de personne. Ces derniers s?enrichiront aussi du fait d?établir des alliances et des complicités avec les autres ? les petits et les moyens ; la relation avec les autres, même lorsqu?on est soi-même autosuffisant, s?avère habituellement stimulante en même temps qu?elle éclaire, afin d?éviter les risques d?un isolement auto-complaisant qui conduirait à la mort à cause du succès.
Le premier jour du Symposium nous avons lu la parabole du grain de sénevé, la plus petite des semences, dont surgit un arbre touffu (Mc. 4,31-32, Mt. 12,46-50, Lc. 8,19-21). Ce que nous avons vécu ces jours-ci est tout petit, mais nous qui faisons confiance à l?Évangile, nous savons que ce n?est pas la grandeur qui importe, mais que les choses de valeur ont souvent des origines modestes. Nous avons entre nos mains la semence de l?avenir ; puissions-nous être « de la bonne terre » pour qu?elle fructifie dans nos Provinces et donne des fruits splendides pour l?Église et pour le monde. Que le Seigneur et notre bonne Mère nous accompagnent.
Fr. Josep M. Soteras
Les Avellanes, 21 mai2010
Clôture du Symposium sur les Structures de soutien de la Spiritualité mariste,
tenu à Les Avellanes à l?occasion du centenaire de la présence mariste dans la maison.