2013-03-18

Une visite au camp des refugiés congolais à Gihembe

class=imgshadowLors de notre formation organisée par FMSI de mai, juin 2012, nous avons fait un séjour de trois jours à Genève en vue de nous familiariser avec les mécanismes des Nations Unies en matière des droits de l’enfant.  Pendant ce séjour, une ancienne élève des Frères nommée Lucie, résidant actuellement en Suisse est venue me rendre visite.

Au cours de nos échanges, je lui ai parlé brièvement de la formation à laquelle je participais. Elle m’a écouté attentivement puis m’a demandé à quoi servirait cette formation. Je lui ai décrit la préoccupation de l’Institut pour les droits de l’enfant et sa volonté de former les frères et leurs collaborateurs à la connaissance de ces droits d’abord afin d’instaurer une culture de respect et de protection des droits de l’enfant à travers tout ce que les éducateurs entreprennent en faveur des enfants et des jeunes. Elle m’a dit qu’elle était reconnaissante pour l’éducation reçue chez les frères et que la preuve en est qu’elle était restée en contact avec eux. Puis elle a poursuivie en disant que le souvenir qu’elle garde des frères est qu’ils sont très consciencieux dans leur apostolat qu’ils se donnent corps et âme, jour et nuit pour les jeunes qui leur sont confiés mais qu’ils ne voient pas les autres besoins des jeunes autour d’eux. Je me suis défendu en disant qu’on ne peut pas tout faire. Elle m’a rétorqué qu’il y a des situations si déplorables que les frères devraient les mettre dans leurs priorités. Je lui ai demandé de me donner un exemple. Elle m’a posé la question de savoir ce que nous faisions en faveur des jeunes refugiés Congolais  qui sont dans les quatre camps installés au Rwanda, pas très loin de nos écoles. J’ai répondu qu’il y a  le HCR, les organismes non gouvernementaux et même l’Eglise par le biais l’organisation non gouvernementale jésuite JRS. A vrai dire je donnais des informations vagues car je n’y avais jamais mis mon pied. Elle a poursuivi en disant que si je prenais la peine de visiter un de ces camps, j’y trouverai un bon champ d’application de tout ce que FMSI était en train de m’apprendre. En fait elle parlait en connaissance de cause car avant que son mariage ne l’oblige à s’installer en Europe elle avait travaillé pour le HCR pendant trois ans. Pour mettre fin à mon embarras, je lui ai promis de mettre ce point dans mes préoccupations futures et lui ai demandé de me mettre en contact avec les responsables d’un des camps des réfugiés qui m’aiderait à m’y introduire sans trop de formalités. Nous nous sommes séparés sur cette conclusion. Au mois de septembre 2012, elle est venue au Rwanda et encore une fois nous nous sommes rencontrés. La discussion a repris sur le même sujet. Avant de rentrer en Suisse elle m’a mis en contact avec Monsieur MUHIZI, un jeune avocat qui a de la famille dans le camp de GIHEMBE au nord du Rwanda.  Mr Muhizi m’a aussi mis en contact avec  trois jeunes refugiés étudiants universitaires. Ceux-ci sont venus me voir dans ma nouvelle communauté de Kigali et m’ont informé sur la vie dans les camps. J’ai eu l’occasion de poser des questions sur la situation des jeunes. Les informations qu’ils m’ont données class=imgshadowsemblaient tellement inimaginables que j’ai décidé d’aller vérifier sur place. Je leur ai demandé s’ils pouvaient m’introduire dans le camps sans difficulté. Après plusieurs tentatives, rendez vous a été pris pour le 14 mars 2013. Le voyage par transport public a duré une heure et demi. Mr MUHIZI, l’avocat dont j’ai parlé plus haut m’a accompagné. De l’arrêt du bus au camp il fallait escalader une montagne pendant une demie heure. Mais  il a commencé à pleuvoir abondamment. Nous avons été obligé de nous abriter pour attendre la fin de la pluie. Une heure après, mon guide m’a dit que quand il pleut c’est difficile d’entrer dans le camp à cause de la boue qui colle aux pieds et rend la marche difficile. Il a proposé d’appeler les gens que nous devrions rencontrer pour nous trouver là où nous nous étions abrité. Mais juste à ce moment, trois femmes marchaient sous la pluie transportant du bois de chauffage et se dirigeaient vers notre destination. Muhizi m’a fait remarquer que ces femmes étaient des refugiées. Un de leurs problèmes majeurs est de trouver le bois pour préparer à manger. Il m’a dit que souvent elles font de longues distances pour en trouver.  Je lui ai dit que si ces femmes pouvaient supporter cette pluie, nous devrions montrer un peu plus de courage. Dans une boutique au bord de la route on vendait des parapluies. Je lui ai dit de négocier le prix puis j’en ai acheté deux, une pour lui et une pour moi. Je voulais à tout prix vérifier les informations reçues. Nous avons escaladé la montagne péniblement à cause de la boue qui collait à nos pieds.

class=imgshadowVoici ce que j’ai vu. Les refugiés vivent dans des cases dont les murs sont faits de bois et d’argile. Les toits sont en bois couverts de sheeting en plastique. Ces cases sont tellement petites que les repas sont préparés  à l’entrée de la case. A l’intérieur de la case pas de table, pas de chaise, rien qu’un banc sur lequel on se serre l’un à coté de l’autre. Comme j’étais surtout intéressé par la situation des jeunes, on m’a conduit dans les sheetings qui servent d’école. Il ya une école primaire qui compte 3742 élèves et 86 enseignants. Elle dure six ans. Le HCR en est responsable. Il distribue du matériel scolaire aux enfants, et paye les enseignants qui sont eux-mêmes des refugiés. Il y a le premier cycle du secondaire qui dure trois ans. Elle abrite 1500 elèves et 40 enseignants. L’organisation non gouvernementale des Jésuites, JRS, en avait le responsabilité mais elle s’est retirée.  Une autre ONG appelée ADRA a pris le relais mais elle tarde à commencer les activités, probablement fautes de fonds. A la fin de ce premier niveau du secondaire ni le HCR ni les ONG ne s’occupent des jeunes. Ils sont abandonnés à eux-mêmes dès l’âge de 15 ans. Ils trainent désœuvrés dans le camp, sans espoir d’une vie meilleure. De temps en temps l’une autre connaissance, un cousin lointain généreux  vient retirer l’un ou l’autre pour le faire étudier dans une école privée en dehors du camp car les écoles publiques sont compétitives et ne reçoivent que ceux qui ont étudié régulièrement et qui ont réussi au test national. Ceux qui n’ont personne pour les assister s’adonnent à l’alcool et à la drogue. Les jeunes filles se prostituent. Beaucoup d’entre elles deviennent vite filles mères. Le camp est un milieu favorable à la propagation du VIH SIDA.

class=imgshadowLe groupe d’étudiants universitaires dont j’ai parlé plus haut a essayé d’apporter une solution au problème des jeunes abandonnés. Il a pris l’initiative de rassembler ces jeunes et de leur donner des cours inscrits au programme national du Rwanda. Ils ont six cases qui servent de classes .Une septième case sert de bureau du directeur et de salle de staff. Cette école s’appelle HOPE SCHOOL. Murs en bois et en argile, toit en bois et sheeting  en plastique. Elle compte à ce jour 249 élèves garçons et filles, sept enseignants à temps plein, un directeur et une responsable de discipline. Comme cet équipe éducative n’a pas de qualification adéquate, un groupe de sept étudiants universitaires vient assister régulièrement, expliquer ce qui n’a pas été bien assimilé et fournir aux collègues une documentation. Dès mon arrivée, j’ai été introduit dans les classes pour saluer les élèves et leurs enseignants en pleine activité. Les élèves s’assoient sur des bancs sans écritoires. Pour écrire ils mettent leurs cahiers sur leurs cuisses. L’enseignant a pour matériel didactique, un cahier de notes dans sa main gauche, un morceau de craie dans sa main droite et un tableau noir en triplex en face des élèves. Pendant ma visite l’eau de pluie passait à travers les trous du sheeting. Comme le pavement n’est pas cimenté tout le monde avait les pieds dans la boue.Aprèsla visite des classes, le directeur m’a invité pour une rencontre avec le staff. Ils m’ont parlé longuement de leur initiative et du travail qu’ils accomplissent sans appui extérieur. Tous les enseignants sont des volontaires. Pour les encourager les parents vendent une partie de la ration alimentaire reçue du HCR et donnent à l’école une contribution de 70 francs rwandais par mois (en dollars l’équivalent de 10 cents). Les étudiants initiateurs de l’école donnent chacun 500 franc rwandais par mois (en dollars l’équivalent de 75 cents). Ces contributions servent à acheter du matériel pour les enseignants et à leur donner une prime de 25000 francs rwandais par mois (équivalent de 38 dollars).  Bien que les conditions de travail soient vraiment minimales ils sont contents de ne pas laisser les jeunes flâner à longueur de journée. Ce niveau dure trois ans. Les finalistes qui se présentent au test national réussissent et peuvent ainsi trouver un job et supporter leurs jeunes frères et sœurs. J’ai voulu savoir s’ils avaient une bibliothèque et ils m’ont montré en tout et pour tout deux étagères sur lesquels on pouvaient y compter une trentaine de livres dont la moitié n’avait pas de contenu relatif aux enseignements qu’ils organisent. Une section enseigne les maths, l’économie et la géographie ; une autre enseigne l’histoire, l’économie et le géographie. Dans les deux sections on enseigne aussi l’anglais et l’entreprenariat. En jetant un coup d’œil dans les cahiers des notes des élèves, j’ai constaté que chez plusieurs le même cahier sert aux notes de toutes les branches. Quand j’enseignait et en tant que directeur j’exigeais des élèves un cahier par branche un stylos bleu, un stylos rouge, une latte et une calculatrice. Ici, avoir ce matériel est impensable. Pour se le procurer il faudrait vendre toute la ration alimentaire, ce qui voudrait dire mourir de faim. Dans la case, j’ai remarqué que comme matériel de sport il y avait trois ballons troués pour 249 jeunes. Sans doute un don qui n’a pas été remplacé après usure. Et je pensais aux sommes que nous dépensons dans nos écoles pour acheter des quantités de ballons chaque année et nos élèves qui les trouvaient toujours insuffisants.

A l’heure de la pause de la mi journée, les cours ont été suspendues. J’ai entendu un enseignant dire à ses élèves : «  bonne appétit si vous en trouvez », signe sans équivoque que souvent on n’a rien à manger pendant la journée. Comme on me prenait pour un visiteur inhabituel, on m’a servi une tasse de thé et un morceau de pain. J’ai mangé par politesse mais j’avais honte. Je me disais que ce n’était pas juste d’arracher à un refugié sa ration alors que j’étais venu les mains vides. Ma conscience me ronge encore quand j’y pense.

Cher Frère, cher collaborateur laïc qui me lit, permettez moi d’ajouter une réflexion personnelle à cette  note de visite. Chaque fois que le temps du carême arrive nous nous demandons souvent ce qu’il faut faire pour notre conversion et pour une bonne préparation à la résurrection du Seigneur. Nous sommes habitués aux résolutions traditionnelles que nous connaissons par cœur, la prière, la privation et le partage avec les pauvres. Mais souvent les situations déplorables qui nous entourent et qui devraient nous inspirer une action concrète nous échappent. Il m’a fallu cette rencontre avec Lucie pour m’intéresser aux camps des refugiés. Pourtant je savais bien qu’il y en avaient deux établis au Rwanda depuis plus de dix ans, auxquelles viennent de s’ajouter encore deux suite aux conflits continuels en République class=imgshadowDémocratique du Congo. C’est maintenant que je me rends compte que je manque d’audace , que je suis paresseux et aveugle. Comment expliquer que la situation des enfants et des jeunes refugiés Congolais résidant au Rwanda n’a pas attiré mon attention depuis tant d’années. Pourtant j’ai dépensé  beaucoup d’énergie et de temps pour les autres qui étaient dans des conditions bien meilleures. Comment devenir compatissant à l’avenir et devenir un signe de la miséricorde divine pour les plus abandonnés ? C’est la question que je me pose. La réponse est si claire à présent : ouvrir mes yeux et surtout mon cœur.  Je sais que de moi-même je ne peux rien faire. Mais je partage la mission avec vous. Sans pour autant sous-estimer  notre apostolat, nous pouvons étendre notre mission et rencontrer les jeunes nécessiteux  là où ils sont. J’ai dit plus haut que la conscience me ronge quand je pense avoir arraché à un refugié sa ration. Je voudrais la lui rendre. Pourriez vous m’aider ? Si vous vous privez d’ un dollar, deux élèves recevront chacun un cahier. Si vous vous privez de quatre dollars, HOPE SCHOOL recevra une boite de craie. Si vous vous privez de dix dollars, vingt élèves auront chacun un cahier. Si vous vous privez de trente huit dollars un enseignant aura sa prime mensuelle. Il nous reste encore deux semaines avant la fin du carême. Ceci est une occasion de compatir avec les jeunes délaissés. J’ attends ta réaction. N’oubliez pas que ce que vous donnerez vous sera rendu au centuple. Merci  pour le temps pris pour lire mon expérience et ma profonde gratitude si vous pouvez adoucir un tant soit peu la misère de ces jeunes.

Je vous souhaite une bonne fête de Pâques.

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Frère MALISABA Straton
FRERES MARISTES / KAGARAMA – KIGALI/ RWANDA
Tel +250 78830 21 17
Email : [email protected]

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