La Bonne MĂšre et la Vierge du Voeu
Dans plusieurs publications rĂ©centes1 , le F. AgustĂn Carazo, ancien Postulateur gĂ©nĂ©ral, a travaillĂ© sur les statues mariales de lâInstitut et tout spĂ©cialement sur celle de « la Bonne MĂšre », statuette en plĂątre moulĂ© de Vierge Ă lâenfant, haute de 75 cm environ, soigneusement restaurĂ©e2 et aujourdâhui conservĂ©e Ă Rome. Dans ces textes il nous rappelle que cette statue figurait probablement Ă lâHermitage dĂšs 1824 dans « la chapelle des bois » et mĂȘme avant, Ă La Valla, dans la chambre du P. Champagnat. RemplacĂ©e ensuite par des statues plus grandes et sans doute davantage en lien avec le goĂ»t de lâĂ©poque, elle semble avoir Ă©tĂ© quelque peu oubliĂ©e, mĂȘme si le F. François mentionne sa prĂ©sence Ă St Genis-Laval dans la chambre quâoccupait3 le F. Jean-Baptiste4 . Elle figure encore en 1882 sur un portrait de Champagnat Ă©crivant Ă sa table de travail, peint par le F. Wulmer, un frĂšre belge5 . La statue a ensuite fait partie des dĂ©mĂ©nagements de la maison-mĂšre : en 1903 Ă Grugliasco, en 1939 Ă Saint Genis-Laval et enfin Ă Rome en 1961. Câest lĂ , dans le local des archives, que le F. AgustĂn Carazo, cherchant des documents, la dĂ©couvre par hasard dans un sac en fĂ©vrier 1982. Il relate ensuite lâhistoire de la « rĂ©surrection » de cette statue qui reçoit le nom de « Bonne MĂšre » et que les reproductions photographiques rendent populaire parmi les FrĂšres Maristes. Un frĂšre brĂ©silien, Francisco das Chagas Costa Ribeiro, auteur dâune thĂšse de mariologie Ă Rome en 1988, signale que le modĂšle de cette statue de plĂątre se trouve dans la cathĂ©drale de Rouen, sous le nom de Vierge du VĆu 6.
Une seconde statue de « la Bonne MĂšre », grossiĂšrement peinte, se trouvant toujours Ă lâHermitage, un frĂšre de la Province de Castille (Esteban MartĂn) Ă©labore un moule Ă partir dâelle et ainsi se multiplient les statues de plĂątre, mais aussi de bois, de terre cuite ou dâautres matĂ©riaux, de diverses tailles, tout spĂ©cialement en AmĂ©rique latine. NĂ©anmoins, cette reprĂ©sentation ne semble guĂšre avoir dĂ©bordĂ© du monde des FrĂšres Maristes.
DEUX STATUES ORIGINELLES DE « LA BONNE MĂRE » ?
Le F. Carazo a donc su nous donner un historique trĂšs solide de lâhistoire de la statue de « La Bonne MĂšre » chez les FrĂšres Maristes qui a permis en quelque sorte une rĂ©surrection de cette piĂšce importante de notre patrimoine spirituel primitif. Je pense nĂ©anmoins quâil sous-estime lâimportance de la statue toujours prĂ©sente Ă lâHermitage qui, Ă son avis, est nettement plus petite que celle de Rome et serait dâĂ©poque plus tardive. Il Ă©met donc lâhypothĂšse quâelle aurait Ă©tĂ© acquise aprĂšs 1860 par le F. François revenu Ă lâHermitage.
A mon avis, cette statue serait Ă peu prĂšs contemporaine de celle de Rome. Mais lâessentiel de mon propos Ă©tant de complĂ©ter le travail historique du F. AgustĂn Carazo, je prĂ©senterai la discussion sur ce point particulier Ă la fin de mon article.
LA VIERGE DE LECOMTE (1777)
La Vierge du vĆu de Rouen est une statue de marbre de taille normale (environ 1 m 60) placĂ©e aujourdâhui dans la chapelle Sainte Marguerite, lâune des nombreuses chapelles latĂ©rales de la nef de la cathĂ©drale de Rouen en Normandie. Elle repose sur un cube de pierre placĂ© sur un autel Ă la place du tabernacle, sur lequel est gravĂ©e la formule : « Nostra clemens, accipe vota » (Notre clĂ©mence, reçois nos vĆux)7 . Cette inscription confirme le nom traditionnel donnĂ© Ă cette statue : « la Vierge du vĆu ».
SculptĂ©e par FĂ©lix Lecomte, elle a Ă©tĂ© offerte Ă la cathĂ©drale de Rouen vers 1775 par le cardinal-archevĂȘque Mgr. de la Rochefoucauld. Elle se caractĂ©rise par un trait original : lâenfant JĂ©sus suce son index. Mais il faut insister sur le fait que cette statue nâest pas isolĂ©e : le devant de lâautel porte un bas relief du mĂȘme sculpteur prĂ©sentant JĂ©sus mort pleurĂ© par Marie et les saintes femmes.
DâaprĂšs le Dictionnaire des artistes de lâĂcole française au XIXe siĂšcle FĂ©lix Lecomte est nĂ© Ă Paris en 1737 et mort en 1817. En 1764 il remporte le grand prix de sculpture, et en 1771 il est reçu membre de lâancienne AcadĂ©mie de peinture et de sculpture. Il a Ă©tĂ© en outre professeur Ă lâAcadĂ©mie de sculpture et membre de lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts. Sa statue de la Vierge et le bas relief de Rouen comptent parmi ses Ćuvres majeures.
LE JUBĂ MEDIEVAL ET LA PREMIĂRE VIERGE DU VĆU
Cet autel de la Vierge du vĆu nâest pas le premier Ă©rigĂ© sous ce vocable et il nâest pas Ă son emplacement primitif. En effet, il existait Ă Rouen, comme dans la plupart des cathĂ©drales mĂ©diĂ©vales, un jubĂ© isolant le chĆur de la nef. Sur celui-ci, certainement de style gothique, Jean-François Pommeraye8 donne, Ă la fin du XVIIe siĂšcle les dĂ©tails suivants :
« Le jubĂ© qui fait la clĂŽture du chĆur a Ă©tĂ© enrichi de deux magnifiques autels dâune trĂšs riche sculpture, du crucifix et dâautres ornements de menuiserie tous battus en or [âŠ]. Lâautel du vĆu a Ă©tĂ© fait des deniers de la fabrique. Jâapprens [sic], des mĂ©moires dâun particulier qui a Ă©crit ce quâil avait veu, que cet autel de la Vierge fut achevĂ© Ă la fin du mois de mars 1639 [âŠ] que le 26 avril [âŠ] cet autel fut consacrĂ© par M. François de Harlay lâancien qui y mit des reliques de S. Paul apĂŽtre et de St Nicaise. Il a Ă©tĂ© appelĂ© le vĆu Ă cause dâune grande peste qui affligeoit depuis longtemps la ville de Rouen ; ce qui obligea dâavoir recours Ă la misĂ©ricorde de Dieu. »
Lâauteur ajoute que : « Le principal ornement de cet autel du vĆu est lâimage de Notre Dame faite dâalbĂątre qui fut donnĂ©e environ lâan 1357 par un chanoine nommĂ© François Le Tourneur. » [âŠ] « Lâautel de Sainte CĂ©cile qui est Ă cĂŽtĂ© de celui du vĆu est cĂ©lĂšbre Ă cause de la confrairie ou puy de cette sainte oĂč les musiciens sâassemblent tous les ans pour solenniser sa fĂȘte ». [âŠ] « Jâapprens de quelques mĂ©moires que le 23 avril 1642 cet autel fut achevĂ© & les deux images posĂ©es »9 . Pour commĂ©morer lâĂ©vĂ©nement, une procession a lieu le 20 septembre et une lampe brĂ»le devant lâautel de la Vierge.
Donc, une Vierge mĂ©diĂ©vale, probablement dĂ©jĂ prĂ©sente dans la cathĂ©drale, est Ă©tablie en 1643 comme « Vierge du vĆu » sur le jubĂ© mĂ©diĂ©val, en compagnie de Ste CĂ©cile qui y figurait certainement dĂ©jĂ .
UN SECOND JUBĂ ET UNE SECONDE VIERGE DU VĆU
Sans doute parce que ce jubĂ© et sa statuaire paraissent trop « gothiques » ils sont remplacĂ©s par un jubĂ© de style classique Ă©difiĂ© entre 1773 et 1778 sur les plans de lâarchitecte rouennais Mathieu Lecarpentier, composĂ© dâun portique ionique portant un Christ entre la Vierge et saint Jean, couronnĂ© de balustres en bronze et cassolettes (vases dĂ©coratifs). Il abrite alors deux autels latĂ©raux dĂ©diĂ©s Ă la Vierge (statue et devant dâautel de Lecomte) et Ă Sainte CĂ©cile. Cette modernisation du jubĂ© nâest donc que relative : Sainte CĂ©cile et la Vierge du vĆu en sont toujours des piĂšces majeures.
Le jubĂ© du XVIIIe siĂšcle est Ă son tour dĂ©moli en 1884 mais ses statues sont prĂ©servĂ©es : celle de Ste CĂ©cile, avec son autel et le bas-relief qui lâorne, Ćuvres de Clodion, sont aujourdâhui relĂ©guĂ©s dans la chapelle St Nicolas10 tandis que la Vierge, son autel et le bas-relief, Ćuvres de FĂ©lix Lecomte, sont placĂ©s dans la chapelle Ste Marguerite. Deux des six colonnes du jubĂ© sont encore prĂ©sentes dans la cathĂ©drale : elles encadrent une des portes latĂ©rales11 . Il semble nĂ©anmoins quâau XIXe siĂšcle le sens de la dĂ©votion Ă la Vierge du vĆu se soit modifiĂ© : une tradition non vĂ©rifiĂ©e mais trĂšs plausible prĂ©tend que câest devant cette statue que les nouveaux prĂȘtres du diocĂšse se seraient consacrĂ©s Ă Marie avant de rejoindre leurs paroisses.
Il y a donc eu Ă Rouen deux Vierges du vĆu et deux jubĂ©s. Rien ne semble restĂ© de la premiĂšre statue et du premier jubĂ© mais il nous reste des reprĂ©sentations iconographiques du second jubĂ© ; et lâautel de la seconde Vierge du vĆu a Ă©tĂ© soigneusement restaurĂ© dans un emplacement nouveau.
UNE STATUE INSCRITE DANS UNE TRADITION NORMANDE ?
MĂȘme si nous ignorons la facture de la statue mĂ©diĂ©vale Ă©tablie en 1642 comme Vierge du vĆu, nous pouvons supposer que Lecomte a dĂ» inscrire son Ćuvre dans une tradition vĂ©nĂ©rable et en aurait donc gardĂ© des traits caractĂ©ristiques majeurs parmi lesquels lâenfant JĂ©sus, placĂ© entre les bras de sa mĂšre et suçant son doigt.
LâhypothĂšse nâest pas tout Ă fait gratuite car il existe un antĂ©cĂ©dent iconologique dans la mĂȘme zone culturelle : la Vierge de Valmont, statuette dâivoire de 41 cm de haut, de la fin du XV° siĂšcle, conservĂ©e dans lâabbaye de Valmont, en Normandie, jusquâĂ la RĂ©volution. Lâoriginal est dĂ©posĂ© actuellement au musĂ©e des AntiquitĂ©s de Seine-Maritime (Rouen)12 . Le commentaire qui accompagne cette statue13 est extrĂȘmement intĂ©ressant :
« La Vierge est debout, le visage penchĂ© vers son fils quâelle tient allongĂ© dans ses deux bras. Elle est vĂȘtue dâune longue robe ajustĂ©e au dĂ©colletĂ© arrondi. »14 [âŠ] « Lâenfant potelĂ©, les cheveux bouclĂ©s, est enveloppĂ© dans un lange dâoĂč Ă©merge son torse nu. Lâexpression triste de la Vierge, qui jette un regard mĂ©lancolique sur son fils car elle sait quel sera son destin, est le reflet de la sensibilitĂ© du XVe siĂšcle, plus apte Ă saisir lâaspect douloureux de la vie du Christ et Ă en restituer lâimage. » [âŠ] « Le geste rare de lâenfant qui met deux doigts dans sa bouche correspond au besoin de rapprocher le monde des hommes de celui de Dieu, de rendre plus familier le monde divin. »
Habit mis Ă part, cette description correspond parfaitement Ă la Vierge de Lecomte. Il suffit dâailleurs de comparer la statue du XVe siĂšcle et celle de Lecomte pour se demander si celui-ci nâa pas simplement modernisĂ© un modĂšle iconographique antĂ©rieur, dont la Vierge de Valmont serait un des Ă©chantillons.
Cette « modernisation » est manifeste dans le vĂȘtement de la Vierge : celle de Valmont, selon la tradition mĂ©diĂ©vale, prĂ©sente dâamples plis cachant largement le corps, tandis que celle de Lecomte suit la tradition antique, le vĂȘtement largement plaquĂ© rĂ©vĂ©lant le corps plus quâil ne le cache. Le voile sur la tĂȘte modĂšre partiellement cette impression de statue antique en la rattachant Ă une reprĂ©sentation classique de la Vierge. Quant Ă lâEnfant JĂ©sus, encore quelque peu homme en miniature et partiellement vĂȘtu dans la statue de Valmont, il apparaĂźt comme un beau bĂ©bĂ© Ă peu prĂšs nu chez Lecomte.
PERMANENCE DU MESSAGE THĂOLOGIQUE ?
On serait tentĂ© de considĂ©rer que, dans les deux statues, le message religieux, qui repose sur le contraste entre la mĂ©lancolie du visage de la mĂšre et le charme de lâenfant, est largement implicite et donc que la Vierge de Valmont tĂ©moignerait dâun certain affadissement religieux de la fin du gothique, celle de Lecomte, de son cĂŽtĂ©, paraissant assez typique de la sensibilitĂ© du XVIIIe siĂšcle qui a redĂ©couvert la femme et lâenfant mais nâexprime guĂšre de sentiment religieux profond.
NĂ©anmoins, pour la Vierge de Lecomte le message thĂ©ologique est transparent si lâon tient compte du bas-relief du devant dâautel reprĂ©sentant la vĂ©nĂ©ration du Christ mort par les saintes femmes, qui paraĂźt dâailleurs sâinspirer du thĂšme iconographique de la pietĂ . Ainsi, statue et bas-relief rĂ©sument lâhistoire du salut : Incarnation et RĂ©demption.
Lâenfant, qui suce son index et non son pouce, pourrait mĂȘme ĂȘtre interprĂ©tĂ© thĂ©ologiquement puisque lâindex est le doigt qui, posĂ© sur les lĂšvres, signifie la volontĂ© de faire silence. Serait donc Ă©voquĂ© ici le silence du Verbe incarnĂ©. Auquel cas, la figure du Christ-enfant rejoindrait le texte de Philippiens 2,6-11 : « Lui, de condition divine⊠sâanĂ©antit lui-mĂȘme⊠devenant semblable aux hommes »⊠Mais il faudrait des sources explicites pour Ă©tayer une telle interprĂ©tation.
En rĂ©sumĂ© : la Vierge de Lecomte sâinscrirait dans une tradition iconographique normande illustrĂ©e par une statue du XVe siĂšcle et une autre du XVIIIe, la statue de 1357, rĂ©employĂ©e vers 1637 servant de modĂšle hypothĂ©tique pour les deux Ćuvres.
DES ARTISTES INSPIRĂS PAR LA VIERGE DU VĆU
Si la tradition dans laquelle sâinscrit la Vierge de Lecomte est largement hypothĂ©tique, sa postĂ©ritĂ© esthĂ©tique et dĂ©votionnelle semble assez importante comme nous allons essayer de le montrer ci-dessous en exploitant essentiellement les ressources du site internet de lâInventaire des monuments historiques15 .
Nous pouvons dâabord distinguer une postĂ©ritĂ© artistique, plus soucieuse de sâinspirer de Lecomte que de le copier servilement et travaillant sur des matĂ©riaux nobles. Ainsi, le site des musĂ©es de Haute-Normandie prĂ©sente une « Vierge du vĆu » en ivoire de 13,2 cm de haut, conservĂ©e au chĂąteau musĂ©e de Dieppe, Ă©videmment copiĂ©e de la Vierge de Lecomte. Le mĂȘme musĂ©e de Dieppe a rĂ©cemment fait lâacquisition dâune autre copie, signĂ©e Brunel, en ivoire, haute de 34 cm, datĂ©e de 1857. Une troisiĂšme statue en ivoire inspirĂ©e de Lecomte, de 13,2 cm de haut, sans auteur mais probablement de lâatelier de Brunel, figure aussi dans les collections de Dieppe. Nous pouvons donc supposer que, de la fin du XVIIIe siĂšcle Ă 1860 environ, il sâest trouvĂ© une production de statues dâivoire copiant la Vierge de Lecomte dont tĂ©moignent les trois Ă©chantillons ci-dessus. Si elles ont pu servir Ă un usage dĂ©votionnel, vu leur taille celui-ci devait ĂȘtre privĂ© et rĂ©servĂ© Ă une certaine Ă©lite. En Normandie encore, lâInventaire des monuments historiques signale Ă PrĂ©aux, prĂšs de Rouen, une statue grandeur nature (160 cm) en terre cuite et prĂ©cise mĂȘme que câest dĂšs le 30 juillet 1780 que les trĂ©soriers et habitants dĂ©cident de faire exĂ©cuter cette copie.
Nous trouvons aussi un certain nombre de statues dâĂ©glise, de facture plus ou moins grossiĂšre, apparemment Ćuvres dâartistes locaux ou rĂ©gionaux. Le service rĂ©gional de lâinventaire du Limousin prĂ©sente une Vierge Ă lâenfant, dite Vierge de Lecomte, Ă Nigremont : haute de 104 cm, en bois peint (polychrome) et datĂ©e de la 1iĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle. Si lâattitude de la Vierge et son vĂȘtement sont trĂšs inspirĂ©s de Lecomte, lâenfant JĂ©sus, sculptĂ© assez maladroitement, comme lâensemble de la statue, est assis et Ă©carte les bras en un geste dâaccueil. Dans la mĂȘme rĂ©gion, Ă Felletin (Creuse) une « Notre-Dame du Bon Secours » en bois taillĂ© polychrome, haute de 81 cm, datant du XIXe siĂšcle, est une copie fidĂšle de celle de Lecomte. Une troisiĂšme statue est signalĂ©e Ă Lit et Mixe, dans les Landes (sud de Bordeaux) en bois dorĂ©, dâenviron 1 m de haut. Elle est datĂ©e du milieu du XIXe siĂšcle. Enfin, existe dans lâAbbaye de TamiĂ©, en Haute-Savoie, une statue de 140 cm, copie en bois de celle de Lecomte, offerte par la paroisse dâUgine, proche de lâabbaye, en 1930. Elle Ă©tait alors polychrome. Un moine de lâabbaye a dĂ©capĂ© la peinture et replacĂ© le bras gauche qui avait Ă©tĂ© cassĂ©16 . Rien nâest dit sur lâorigine de cette statue mais elle date certainement du XIXe siĂšcle.
Lâartiste a probablement pris comme modĂšle la statue conservĂ©e dans lâĂ©glise paroissiale de Verrens, sur la route du col de TamiĂ©, Ă une dizaine de km de lâabbaye. Elle est en plĂątre, dâenviron 97 cm de haut et on peut la dater du milieu du XIXe siĂšcle. Le voile, la robe de Marie et le pagne de lâenfant JĂ©sus sont dorĂ©s et leurs visages sont peints de couleur chair. La statue nâa pas de dos : une simple toile recouvre un trĂšs large orifice ovale allant des Ă©paules jusquâau socle17 .
LES COPIES EN PLĂTRE DE LA VIERGE DU VĆU
Il semble que les entreprises dâart saint-sulpicien aient Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©es par la Vierge de Lecomte si lâon en croit le nombre relativement Ă©levĂ© de copies en plĂątre de 96-99 cm18 recensĂ© par lâInventaire des monuments historiques.
Ainsi, Ă SaulgĂ© (Vienne) le prieurĂ© Saint Divitien possĂšde une copie en plĂątre de 99 cm de haut, datant du milieu du XIXe siĂšcle. A La Potherie-Mathieu (Eure) lâĂ©glise paroissiale Saint Pierre a une statue en plĂątre moulĂ© de 97 cm de haut. La Direction du patrimoine dâAquitaine prĂ©sente une autre Vierge dite de Lecomte, Ă Tournon-dâAgenais, en plĂątre moulĂ© et peint, de 98 cm de haut et datant du milieu du XIXe siĂšcle. Lâattitude de la Vierge et son vĂȘtement sont, lĂ aussi, identiques Ă la statue originale mais lâenfant est assis entre les bras de sa mĂšre et bĂ©nit de sa main droite, le bras gauche Ă©tant cassĂ©. Dans la paroisse de Saint Louis de Monferrand, prĂšs de Bordeaux, lâautel de la Vierge prĂ©sente une copie fidĂšle de celle de Lecomte, qui semble de la mĂȘme taille : environ 100 cm. Une autre statue, assez abĂźmĂ©e, mâest signalĂ©e dans la mĂȘme rĂ©gion Ă St JĂ©rĂŽme dâEscalans et une autre encore Ă GrĂ©sillac (Gironde)19 . Chez les SĆurs Maristes, Ă Belley, figure une statue peinte en blanc de 96 cm de haut 20 et un modĂšle semblable se trouve dans lâĂ©glise de Coutouvre, paroisse natale de Jeanne-Marie Chavoin, fondatrice des SĆurs Maristes. Il en existe une autre en Nouvelle ZĂ©lande, certainement apportĂ©e par un missionnaire mariste aprĂšs 183621 .
Jâai repĂ©rĂ© encore une autre statue de 96 cm dans lâĂ©glise de Saint Christophe-la-Grotte (Savoie). Elle a Ă©tĂ© peinte en blanc assez rĂ©cemment et le bras gauche de lâenfant JĂ©sus est cassĂ©. DâaprĂšs la tradition orale elle aurait Ă©tĂ© donnĂ©e par le monastĂšre de la Grande Chartreuse, ce couvent Ă©tant proche de la paroisse. Au couvent lui-mĂȘme existe une statue semblable, mais de 75 cm de haut22 .
GrĂące Ă M. Jacques Delen, laĂŻc mariste, jâai connaissance dâune autre de ces statues dans un monastĂšre de Trappistines, Ă Chimay en Belgique23 , dont lâitinĂ©raire peut ĂȘtre ainsi dĂ©crit : des religieuses de lâabbaye cistercienne de Gomerfontaine (1207-1792) dans la commune de Trie-la-ville (Oise), appartenant alors au diocĂšse de Rouen, sont dispersĂ©es par la RĂ©volution. Elles se reconstituent Ă Nesle, au diocĂšse dâAmiens, en 1804-1816, puis sâinstallent Ă Saint Paul-aux Bois en Picardie, au diocĂšse de Soissons oĂč elles restent jusquâĂ leur exil de France en 1904, suite aux dĂ©crets anti-congrĂ©ganistes. A cette date, la statue, acquise Ă une Ă©poque indĂ©terminĂ©e, est confiĂ©e Ă une famille qui la restituera en 2007. Elle est peinte en bleu et blanc. On peut supposer quâelle a Ă©tĂ© acquise vers le milieu du XIXe siĂšcle.
Un ami de M. Delen a encore photographiĂ© une de ces statues au chĂąteau de Clermont, en Haute Savoie, qui semble de la mĂȘme taille24 . Enfin, lâĂ©glise dâArs, celle de Jean-Marie Vianney, prĂšs de Lyon, conserve une statue de 99 cm, rĂ©cemment restaurĂ©e, le voile de la Vierge Ă©tant dorĂ© et la robe rouge.
Ces statues, de lĂ©gĂšrement moins dâun mĂštre, semblent correspondre Ă trois types plus ou moins fidĂšles au modĂšle original. Nous avons dĂ©jĂ vu que certaines statues reprĂ©sentent lâenfant JĂ©sus assis et bĂ©nissant, mais les autres rĂ©vĂšlent une diffĂ©rence plus subtile dans le traitement du vĂȘtement que porte lâenfant JĂ©sus. Chez Lecomte, câest une simple bande dâĂ©toffe couvrant la cuisse droite de lâenfant et descendant entre ses jambes, laissant la cuisse gauche Ă dĂ©couvert, de sorte quâil paraĂźt Ă peu prĂšs nu. Les statues dâArs et celle de Clermont semblent suivre ce modĂšle mais les autres prĂ©sentent un enfant JĂ©sus vĂȘtu dâune sorte de pagne couvrant le bas ventre et les deux cuisses de lâenfant, traitĂ© de maniĂšre variable selon les statues : voile tĂ©nu Ă Belley et Ă St Christophe la Grotte, il devient une Ă©toffe trĂšs importante avec la statue de Chimay25 .
A notre avis, les statues prĂ©sentant un enfant-JĂ©sus pratiquement nu pourraient ĂȘtre antĂ©rieures Ă celles qui le couvrent dâune sorte de pagne. Sur ce point nous avons un indice car Catherine Lassagne, tĂ©moin de la vie du curĂ© dâArs dĂ©clare: « M. Vianney avait, au commencement, achetĂ© une statue de la sainte Vierge tenant lâEnfant JĂ©sus » et ajoute que cette statue « est maintenant dans une niche Ă cĂŽtĂ© de la chapelle de la Sainte Vierge. »26 Le curĂ© dâArs Ă©tant arrivĂ© en 1818 on peut supposer que la statue actuelle, qui occupe toujours la mĂȘme niche, a pu ĂȘtre acquise dans les annĂ©es 1820-25. Les statues Ă lâenfant JĂ©sus davantage habillĂ© dateraient plutĂŽt du milieu du XIXe siĂšcle et viendraient dâun atelier dâart saint sulpicien.
LES PETITES STATUES EN PLĂTRE
Quant aux copies de la Vierge de Lecomte de mĂȘme taille que celles des FrĂšres Maristes, en plĂątre assez grossiĂšrement moulĂ©, hautes dâenviron 75 cm, lâInventaire gĂ©nĂ©ral semble nâen signaler aucune. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait : leur faible valeur artistique, lâinachĂšvement de lâInventaire, le fait que les enquĂȘteurs ne repĂšrent pas le lien avec le modĂšle. Une autre raison me paraĂźt dĂ©terminante : ces statues sont dĂšs lâorigine particuliĂšrement adaptĂ©es Ă un culte privĂ© ou conventuel et donc dâaccĂšs difficile. Toujours est-il quâĂ lâheure actuelle jâai connaissance de quatre de ces statues : deux chez les FrĂšres Maristes, une dans le monastĂšre de la Grande-Chartreuse et une dans le couvent des Saints Anges de MĂącon. Ayant pu observer trois de ces quatre statues, je constate que pour chacune dâelles lâenfant JĂ©sus porte une sorte de pagne recouvrant le bas du corps et les deux cuisses.
PETITE ENQUĂTE SUR LES STATUES DES FRĂRES MARISTES
Le F. Carazo attribue Ă la statue de Rome une hauteur de 75 cm et seulement 68 cm Ă celle de lâHermitage, ce qui suggĂšre que les deux statues ne viennent pas du mĂȘme atelier. Sur ma demande les FrĂšres Antonio MartĂnez EstaĂșn et Juan Moral ont mesurĂ© la statue de Rome et voici les rĂ©sultats de leurs mesures :
« Le piĂ©destal de la statue mesure 3,6 cm. Nous avons effectuĂ© cette mesure sur la partie frontale, devant les pieds de la statue. A vrai dire le piĂ©destal nâa pas de largeur uniforme et prĂ©cise dans toute sa structure Ă cause de la peinture, mais on peut estimer que cette mesure est valable pour toutes les faces du parallĂ©lĂ©pipĂšde servant de base Ă la statue.
Sans compter les 3,6 cm du piĂ©destal, la statue mesure 70 cm. La hauteur totale de lâĆuvre est donc de 73,6 cm.
Quant Ă lâobservation de lâintĂ©rieur de la statue, je dois dire quâil nâest pas possible de lâestimer Ă vue dâĆil. A la base de la statue on observe un trou conique mesurant 2 cm environ dans la partie extĂ©rieure, et un peu moins dans la partie intĂ©rieure. A travers le trou on ne peut apprĂ©cier ce quâil y a Ă lâintĂ©rieur sans introduire dans la cavitĂ© quelque instrument muni dâune source lumineuse qui nous aide Ă photographier ou Ă observer directement la structure de la composition en-dedans. Il semblerait que la base du socle ait Ă©tĂ© couverte dâune grosse couche de plĂątre pour fermer une cavitĂ© existante. La couche de plĂątre ajoutĂ©e est visible sur les rebords grossiers qui sont restĂ©s aprĂšs lâapplication de la pĂąte. Sur le matĂ©riau utilisĂ© pour la couverture on a employĂ© une couche de peinture similaire Ă celle des parties visibles du socle. Lâouverture pratiquĂ©e au centre de la base permet de voir aisĂ©ment lâĂ©paisseur de la couche de plĂątre appliquĂ©e. Et lâon peut apprĂ©cier parfaitement la couleur blanche de ce matĂ©riau.
Une opĂ©ration semblable a Ă©tĂ© faite Ă lâHermitage Ă la mĂȘme date (fin janvier 2011) et le tableau suivant donne les rĂ©sultats obtenus.
Hermitage. Statue de lâoratoire (ancienne) | Hermitage. Statue de la salle de confĂ©rence (copie rĂ©cente) | Statue romaine | |
Hauteur du piédestal | 3,5 cm | 4 cm | 3, 6 cm |
Statue + piedestal | 71,5 cm | 72,5cm | 73.6 cm |
Profondeur du creux Ă lâintĂ©rieur de la statue | 71 cm | 64,5 cm | CachĂ© par une plaque de plĂątre |
QualitĂ© du plĂątre | TrĂšs rugueux ! | Assez lisse Ă lâintĂ©rieur, plus rugueux en bordure | Non visible |
Inscription Ă lâintĂ©rieur | Inscription au crayon partiellement effacĂ©e : « (s)tatue du Bx (fo)ndat (eur) 27 » | « Notre Bonne MĂšre Copia del original de lâ Hermitage Enero 1989 H. Esteban MartĂn » | Pas dâinscription signalĂ©e28 |
La diffĂ©rence de hauteur entre les statues anciennes est donc faible : 2 cm environ. Elle peut provenir dâailleurs du caractĂšre artisanal du moulage qui fait quâaucune statue nâest absolument identique Ă lâautre et aussi dâune certaine approximation dans les mesures, difficilement Ă©vitable. A priori les deux statues anciennes pourraient venir du mĂȘme atelier et ĂȘtre Ă peu prĂšs contemporaines mĂȘme si elles nâont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de la mĂȘme finition. Par exemple, pour lâune lâintĂ©rieur est cachĂ© par une plaque de plĂątre alors que pour lâautre le matĂ©riau demeure Ă lâĂ©tat brut, comme au sortir du moule.
Le F. A. Carazo, que jâai rencontrĂ© Ă lâHermitage en juillet 2011, mâa cependant rapportĂ© que lorsquâil a vu la statue de lâHermitage avant quâil nâen soit fait un moule, celle-ci nâĂ©tait pas dans le mĂȘme Ă©tat quâaujourdâhui, dâoĂč la diffĂ©rence dans les mesures quâil avait alors constatĂ©e.
UN ATELIER A LâHERMITAGE
Mais ce problĂšme semble somme toute annexe car un passage de la Vie du F. Bonaventure (1804-1865)29 donne Ă rĂ©flĂ©chir. EntrĂ© dans lâInstitut en 1830, il devient maĂźtre des novices vers 183330 Or, « un jour le PĂšre Champagnat le trouvant occupĂ© Ă aider un ouvrier qui faisait en plĂątre des statues de la saint Vierge lui dit : FrĂšre Bonaventure, nâest-il pas vrai que tel est le moule, telle est la statue ? Eh bien ! Rappelez-vous que vous ĂȘtes le moule des FrĂšres, le moule de toute la congrĂ©gation »âŠ
Entre 1833 et 1840 on a donc fabriquĂ© Ă lâHermitage des statues de la Sainte Vierge en plĂątre. Le cahier des comptes des recettes de lâHermitage, commencĂ© en 1835, apporte mĂȘme les prĂ©cisions suivantes quant Ă la vente de certaines dâentre elles :
- le 27 mars 1838 : « reçu pour 3 statues : 9 F. »
- le 7 mai 1838 : « reçu (le prix) des statues : 4.75 F. »
- le 25 juin 1838 : « reçu pour une statue : 0.60 F. du F. Bonaventure : 1.15 F. »
- le 8 août 1838 : « pour une statue : 3 F. »
Une derniÚre vente est signalée le 11 mai 1842 : « pour ventes de statues : 5 F. »
Ce serait donc au cours de lâannĂ©e 1837 et au dĂ©but de 1838 quâil faudrait situer la leçon donnĂ©e par le P. Champagnat au F. Bonaventure et la constitution dâun stock de statues qui sont trĂšs probablement celles de la Bonne MĂšre.
LA QUESTION DU MAĂTRE DâĆUVRE ET DU MOULE
Le registre des dĂ©penses signale le nom dâAntoine Robert, plĂątrier Ă Saint Chamond31 dans la phase qui prĂ©cĂšde et accompagne la vente de ces statues. Quâon en juge :
- 23 mai 1837 : « (donné) au F. Stanislas pour payer Robert, plùtrier, 40 F. »
- 4 juillet 1837 : « Donné à Robert pour solde 27,75 F. »
- 5 août 1837 : « Donné à Robert pour plùtre et pour solde : 18 F. »
- 23 aoĂ»t 1837 : « DonnĂ© Ă Robert pour 4 sacs de plĂątre Ă 3 F; le sac : 12 F.â.
- 16 janvier 1838 : âDonnĂ© Ă Robert pour 4 sacs de plĂątre gris que nous avons : 12 F.32 » en mĂȘme temps quâon signale un achat de 7 sacs de plĂątre gris pour 6 F.
- 19 avril 1838 : « donné pour acheter du plùtre : 6 F. »
On remarquera que jusquâau 5 aoĂ»t Robert est payĂ© pour un ouvrage mais quâensuite il se contente de livraisons entre le 5 aoĂ»t 1837 et le 19 avril 1838 qui sâexpliqueraient donc par le moulage de statues. Et lâacteur principal de cette entreprise semble ĂȘtre le F. Bonaventure rĂ©alisant ou faisant rĂ©aliser un moule Ă partir de la statue du P. Champagnat et en tirant un nombre important de copies.
Nous sommes dâailleurs Ă une Ă©poque oĂč lâInstitut a besoin de statues non seulement pour la maison-mĂšre mais encore pour les Ă©coles, et il est pensable que la procure de lâHermitage ait tenu Ă la disposition des communautĂ©s ce genre de statues peu coĂ»teuses et de taille bien adaptĂ©e aux oratoires et aux classes. Dans cette hypothĂšse la statue de lâHermitage serait une copie de la statue du P. Champagnat et une relique dâun modĂšle assez rĂ©pandu chez nous puis supplantĂ© progressivement par de nouveaux types plus Ă la mode. En somme, la multiplication actuelle de statues de « la Bonne MĂšre » ne ferait que reprendre une tradition primitive. Le F. A. Carazo suggĂ©rait dâailleurs une hypothĂšse dans ce sens.
Si lâon suppose un sac de plĂątre par statue, ce qui semble un maximum, cela ferait une collection dâau moins une quinzaine de statues. Dâailleurs, les comptes des recettes Ă©voquent la vente de 11 statues Ă un prix compris entre 2,5 et 3 F. piĂšce. Un prix si bas suggĂšre que les statues rĂ©alisĂ©es devaient ĂȘtre de qualitĂ© trĂšs mĂ©diocre et non peintes.
LA STATUE DE MĂCON
Le F. Claudino Falchetto mâa indiquĂ© la prĂ©sence dâune statue de « la Bonne MĂšre » dans la ville de MĂącon33 Ă la maison-mĂšre des SĆurs des Saints Anges fondĂ©e en 1844 mais ne comprenant plus guĂšre aujourdâhui que des sĆurs brĂ©siliennes. EntrĂ© en contact avec sĆur Maria Theresinha Falchetto, sĆur du F. Claudino, jâai pu voir la statue en question placĂ©e dans une grotte artificielle du jardin des sĆurs. Peinte en blanc, elle mesure 74 cm avec son piĂ©destal qui nâest pas carrĂ© mais rond et assez haut : 7 cm environ. La comparaison avec les autres statues montre que les pieds de la Vierge et le bas de la robe ont Ă©tĂ© noyĂ©s dans ce socle et une feuille dâarbre a Ă©tĂ© moulĂ©e au bas de la robe, sur le socle lui-mĂȘme. Enfin, le dessous du piĂ©destal, complĂštement fermĂ©, porte un nom gravĂ© Ă main levĂ©e qui est probablement celui du rĂ©alisateur ou du rĂ©parateur de la statue : G. Hocpuet. Mais il nây a aucune date et ce patronyme semble trĂšs rare.
Une remarquable biographie de la fondatrice34 , Barbe-Ălise Poux (1797-1855), Ă peu prĂšs contemporaine de Marcellin Champagnat nous donne cependant des indices. Jurassienne, B. E. Poux fonde en 1822 une Ă©cole Ă Poligny pour les fillettes de la classe moyenne. Etant tombĂ©e malade, ses Ă©lĂšves entreprennent « une neuvaine devant une statue de la Sainte Vierge et elles obtinrent sa prompte guĂ©rison. La statue, du coup, fut dĂ©clarĂ©e miraculeuse et sĆur Franco (la chroniqueuse) nous dit quâelle est prĂ©cieusement conservĂ©e Ă la maison-mĂšre » (p. 65). Mais cette statue, qui figure toujours dans la salle de communautĂ© des sĆurs, est en pierre, de plus petite taille que la « Bonne MĂšre », et lEnfant JĂ©sus a une colombe dans les mains.
Pour expliquer la prĂ©sence de cette rĂ©plique de la « bonne MĂšre » Ă MĂącon, une autre piste semble possible : la pratique du mois de Marie. En effet, installĂ©e en 1831 Ă Lons-le-Saulnier, ville situĂ©e au pied du Jura, B. E. Poux continue son Ćuvre Ă©ducative avec lâaide dâune communautĂ© des femmes aspirant Ă la vie religieuse et introduit dans son pensionnat la pratique du mois de Marie jusque lĂ inconnue Ă Lons, dont les exercices sâeffectuent dans lâoratoire autour dâune statue de la Sainte Vierge dĂ©corĂ©e de branches et dâĂ©toiles (p. 75). En 1832 la cĂ©rĂ©monie se dĂ©roule Ă la paroisse : « dans lâavant chĆur de lâĂ©glise une statue de la sainte Vierge avait Ă©tĂ© placĂ©e sur un piĂ©destal » (p. 83).
Sa fondation ayant Ă©chouĂ© Ă Lons, B. E. Poux recommence une fondation Ă Morez, au cĆur du Jura, et y instaure aussi le mois de Marie. Sa communautĂ© sâĂ©tant affermie, elle installe Ă MĂącon en 1844 une seconde maison. DĂšs 1845 elle instaure au pensionnat le mois de Marie : « Au milieu de draperies et de fleurs, on installa une belle statue de la Vierge » (p. 212).
Il me paraĂźt donc raisonnable de supposer que cette statue mĂąconnaise de la « Bonne MĂšre » Ă©tait employĂ©e pour la cĂ©lĂ©bration des mois de Marie, peut-ĂȘtre dĂšs lâĂ©poque de Lons-le-Saulnier. On peut mĂȘme penser que les dĂ©placements frĂ©quents de la statue auraient causĂ© des dommages nĂ©cessitant une restauration de sa base. Toujours est-il quâĂ lâheure actuelle existe Ă MĂącon une statue semblable Ă la Bonne MĂšre du P. Champagnat et dont le modĂšle semble dater des annĂ©es 183035 .
DES CERTITUDES ET DES HYPOTHĂSES
Il convient maintenant de faire le point afin de distinguer certitudes et hypothĂšses. Pour les certitudes : les travaux du F. A. Carazo montrent que la « Bonne MĂšre » de Rome doit ĂȘtre datĂ©e des annĂ©es 1820 environ. Dâautres statues en plĂątre de la Sainte Vierge sont rĂ©alisĂ©es Ă lâHermitage dans les annĂ©es 1837-38.
Passons maintenant aux hypothĂšses. Le P. Champagnat a dĂ» se procurer sa statue auprĂšs dâun marchand dâarticles religieux, tandis que la statue actuelle de la Bonne MĂšre de lâHermitage aurait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en 1837-38 par les soins du F. Bonaventure grĂące Ă un moule confectionnĂ© Ă partir de la statue du P. Champagnat. Cette diffĂ©rence dâorigine expliquerait la prĂ©sence dâune plaque de plĂątre sous le piĂ©destal de la statue romaine et son absence pour la seconde.
Il est possible que dĂšs cette Ă©poque la statue existe aussi en version plus grande, plus adaptĂ©e aux paroisses et certainement plus chĂšre, comme en tĂ©moignerait lâachat fait par Jean-Marie Vianney dans les annĂ©es 1820-30.
Reste le problĂšme de la peinture des deux statues. Il est clair que celle de la statue de Rome rĂ©vĂšle la patte dâun artiste tandis que celle de lâHermitage est beaucoup plus grossiĂšre. Mais de quand date cette peinture ? Il est en effet possible que la statue du P. Champagnat ait Ă©tĂ© blanche Ă lâorigine, donc peu coĂ»teuse Ă une Ă©poque oĂč il nâĂ©tait pas riche36 . Dâailleurs lâoriginal en marbre de Lecomte est blanc tandis que les couleurs choisies pour la statue (manteau bleu bordĂ© de motifs dorĂ©s et robe blanche) Ă©voquent un goĂ»t pour la tradition mĂ©diĂ©vale encore absent vers 1820 mais trĂšs prĂ©sent dans les annĂ©es 1840.
Un travail de restauration de la statue primitive aurait pu avoir lieu vers 1837-38, aprĂšs quâelle ait servi Ă mouler de nouvelles statues, et le peintre pourrait ĂȘtre Ravery. A cette Ă©poque celui-ci travaille Ă la dĂ©coration de la nouvelle chapelle de lâHermitage construite en 1836, et le registre des dĂ©penses mentionne les sommes Ă lui versĂ©es pour cet important chantier:
- 16 juillet 1837 : « Donné à M. Ravery : 300 »
- 25 septembre 1837 : « Donné à M. Ravery à compte : 300 »
- 12 septembre 1838 : « A Ravery pour acompte : 300 »
- 7 avril 1839 : « A Ravery pour acompte de la peinture : 100 »
- 13 juin 1839 : « A Ravery pour solde de la peinture etc. : 400 »
La peinture de la statue de la Bonne MĂšre aurait pu ĂȘtre comprise dans ces sommes Ă un moment oĂč lâInstitut, aprĂšs vingt dâexistence, dispose de davantage de moyens et se soucie de manifester artistiquement sa tradition.
CONCLUSION
Comme il arrive toujours, une recherche rĂ©sout un certain nombre de questions et en pose de nouvelles. En ce qui concerne lâInstitut, nous devons considĂ©rer quâil possĂšde deux statues anciennes de « la Bonne MĂšre » mais dâorigine diffĂ©rente. LâauthenticitĂ© et lâanciennetĂ© de celle de Rome ne font aucun doute. Quant Ă celle de lâHermitage, quoiquâimparfaitement documentĂ©e, elle semble mĂ©riter dâĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une piĂšce rare datant du temps du P. Champagnat et tĂ©moignant de la dĂ©votion mariale des frĂšres, peut-ĂȘtre liĂ©e Ă la pratique du mois de Marie.
Dans un contexte plus gĂ©nĂ©ral, il semble quâassez tĂŽt aprĂšs la RĂ©volution ait fonctionnĂ© un atelier de moulage de statues en rĂ©duction du modĂšle de Lecomte fournissant les magasins dâart religieux. Dâailleurs les circonstances sây prĂȘtaient : aprĂšs une phase iconoclaste qui avait dĂ©truit ou dispersĂ© le mobilier des paroisses et des couvents, ce matĂ©riel permettait dâen rĂ©tablir une piĂšce importante rapidement et Ă bon marchĂ©, tout en sâinscrivant en continuitĂ© avec la sensibilitĂ© esthĂ©tique du XVIIIe siĂšcle encore tout proche.
NĂ©anmoins, la petite taille de ces statues et la faiblesse du message thĂ©ologique Ă©voquĂ©, ainsi que la montĂ©e de la sensibilitĂ© gothique, de la dĂ©votion Ă la mĂ©daille miraculeuse37 et dâautre part lâĂ©mergence dâune industrie saint sulpicienne de la statuaire, ont dĂ» progressivement marginaliser ce type. Nous avons vu nĂ©anmoins quâun modĂšle de cette statue a paru digne dâintĂ©rĂȘt pour une entreprise de statuaire saint sulpicienne Ă partir du milieu du XIXe siĂšcle.
Demeure la question dâune tradition iconographique de Vierge Ă lâenfant courant du XVe au XIXe siĂšcle, axĂ©e sur le Christ Ă lâĂ©tat de bĂ©bĂ© et dont le message thĂ©ologique est peu Ă©vident. Jâai prĂ©sentĂ© plus haut une interprĂ©tation et le F. Carazo propose le psaume 130 : « ⊠Je tiens mon Ăąme en paix et silence comme un enfant contre sa mĂšre. » Mais, pour ĂȘtre intĂ©ressante, cette interprĂ©tation ne paraĂźt pas plus que la mienne fondĂ©e sur des sources sĂ»res.
Câest peut-ĂȘtre dâailleurs parce quâelle permet une grande diversitĂ© dâinterprĂ©tations, de la plus thĂ©ologique Ă la plus sentimentale, que cette tradition de Vierge Ă lâenfant suçant son doigt garde un attrait Ă travers des Ă©poques trĂšs diverses et en dĂ©pit de copies dont la valeur artistique est trĂšs inĂ©gale.
1 Dans Tras las huellas de Marcelino Champagnat, Provincia Marista de Chile, 1999, p. 208-233, et dans un fascicule de 63 p. intitulé Nuestra Buena Madre, édité par la Provincia Marista Mediterrånea en 2007, sans compter divers articles.
2 Par le F. Claudio Santambrogio, entre le 27/11/1998 et le 21/02/1999.
3 Lâemploi de lâimparfait signifie que lâauteur Ă©crit aprĂšs la mort du F. Jean-Baptiste en 1872.
4 Voir dans le cahier Annales de lâHermitage en forme de compte-rendu de certains Ă©vĂ©nements (AFM 213/16) qui dresse lâinventaire des objets possĂ©dĂ©s par le P. Champagnat et rĂ©digĂ© par le F. François, p. 23-24 : « Effets qui ont servi au P. Champagnat qui sont Ă la maison-mĂšre Ă St Genis-Laval » [âŠ] « A la chambre quâoccupait le C.F. Jean-Baptiste 1° Le crucifix devant lequel le bon pĂšre Champagnat priait ; 2° la statue de la Ste Vierge quâil avait dans sa chambre Ă Lavalla ; (rajoutĂ© par le mĂȘme auteur en lettres plus petites) lâenfant JĂ©sus est couchĂ© dans les bras de sa mĂšre, lâindex Ă la bouche »âŠ
5 Le F. AgustĂn Carazo attribue une grande importance Ă la prĂ©sence de cette statue qui semble tĂ©moigner de la tradition portĂ©e par des frĂšres des origines encore vivants Ă cette Ă©poque.
6 Un condensĂ© de la thĂšse a paru au BrĂ©sil en 1999 sous le titre A « superiora » dos Maristas. Une traduction en français a Ă©tĂ© Ă©ditĂ©e la mĂȘme annĂ©e sous le titre La supĂ©rieure des Maristes. Mais, Ă ma connaissance, il ne sây trouve pas de prĂ©cision sur cette statue de Rouen.
7 Un document indique que lâautel a Ă©tĂ© Ă©difiĂ© en 1954. Cela paraĂźt dâautant plus vraisemblable que la cathĂ©drale, ayant subi de graves dĂ©gĂąts durant la guerre de 1939-1945, on y a procĂ©dĂ© ensuite Ă dâimportantes transformations. Une photo de 1921 (Vierge de Lecomte, site Inventaire des monuments historiques. Base Palissy) montre quâalors la statue Ă©tait Ă la croisĂ©e du transept.
8 Histoire de lâEglise cathĂ©drale de Rouen mĂ©tropolitaine et primatiale de Normandie, Rouen 1685, p. 20-25.
9 DâaprĂšs Maurice Vloberg, auteur de La Vierge et lâEnfant JĂ©sus dans lâArt français, lâautel de cette Vierge du vĆu Ă©tait adossĂ© au pilier droit, Ă lâentrĂ©e du chĆur, « emplacement de la chapelle dite du vĆu, Ă©rigĂ©e dans lâancien jubĂ© Ă la suite dâun vĆu pendant la peste de 1637 ». CitĂ© sur le site de lâabbaye de TamiĂ©.
10 Lors de ma visite en 2010 cette chapelle semble servir de dépÎt de mobilier superflu.
11 Lâouvrage consultĂ© ne dit rien du groupe central : le Christ entre la Vierge et saint Jean.
12 Sa valeur historique est telle que lâatelier de moulage du Louvre en propose des copies en rĂ©sine Ă un prix relativement abordable (244 âŹ).
13 Voir document informatique sur internet : « Vierge de Valmont ».
14 Son vĂȘtement semble inspirĂ© de la mode fĂ©minine du XV° siĂšcle : « Elle porte sur les Ă©paules une cape retenue par deux cordonnets terminĂ©s par des glands quâelle ramĂšne sous le bras gauche et qui se casse doucement en lourds plis volumineux. Ses cheveux longs ondulent de part et dâautre de la figure et descendent dans le dos ».
15 On peut aller sur le site « Inventaire des monuments historiques. Base Palissy » ou bien, plus simplement, « Vierge de Lecomte ».
16 Site internet de lâabbaye de TamiĂ©.
17 Lors de ma visite, le 12 aoĂ»t 2011, cette statue, placĂ©e normalement sur lâautel de la Vierge, avait Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e Ă la sacristie pour ĂȘtre transportĂ©e Ă Lyon en vue de sa restauration.
18 Ces différences de hauteur sont dues apparemment à la difficulté de donner une mesure exacte avec des moyens rudimentaires.
19 Ces trois statues mâont Ă©tĂ© obligeamment signalĂ©es par M. Rambert Christophe, du Service RĂ©gional de lâInventaire dâAquitaine. Apparemment, lâInventaire GĂ©nĂ©ral ne les a pas rĂ©pertoriĂ©es comme Ă©tant des Vierges inspirĂ©es de Lecomte. Nous nâen connaissons donc pas les dimensions exactes ni ne savons de quel matĂ©riau elles sont faites.
20 Le bras gauche de lâenfant JĂ©sus, cassĂ©, a Ă©tĂ© maladroitement reconstituĂ©.
21 Nous ignorons sa taille exacte.
22 Lettre du frĂšre archiviste.
23 Aux derniÚres nouvelles cette statue a été transférée chez les Trappistines de Arnhem aux Pay-Bas.
24 Un frĂšre mâa signalĂ© la prĂ©sence dâune autre de ces copies Ă N. D. du Laus, sanctuaire des Alpes du sud, mais je nâai pas procĂ©dĂ© Ă une vĂ©rification.
25 Mais la polychromie accentue peut-ĂȘtre cette impression.
26 CitĂ© dans Mgr. RenĂ© Fourrey, Le curĂ© dâArs authentique, Ăditions LâĂchelle de Jacob, 1989, p. 126, note 440.
27 Ces mots ont dâailleurs fort bien pu ĂȘtre inscrits Ă lâĂ©poque oĂč la statue a servi de modĂšle Ă la rĂ©alisation dâune copie. Ils ont pu servir Ă diffĂ©rencier les deux statues.
28 Mais sur le devant du piĂ©destal est collĂ© un papier semblant du XIXe siĂšcle : « Câest devant cette statue que la question des bas de drap a Ă©tĂ© tranchĂ©e Ă la chapelle de lâHermitage en 1829. »
29 Biographies de quelques frĂšres, 1868, p. 110.
30 Voir RĂ©pertoire des Lettres p. 99.
31 Ce Robert est trĂšs prĂ©sent dans le compte des dĂ©penses dĂšs le dĂ©but : le 22 avril 1826 le registre dĂ©clare verser 100 F. Ă Antoine Robert, plĂątrier Ă St Chamond et, au dĂ©but mai, 600 F. Ces sommes sont certainement dues pour les travaux dâamĂ©nagement de lâHermitage. On retrouve Robert 2 fois en 1830 (95 F.) et une fois en 1833 (26,50 F.).
32 Il se peut que la mĂȘme dĂ©pense ait Ă©tĂ© signalĂ©e deux fois.
33 A 80 km au nord de Lyon.
34 Abbé Jean Ladame, Educatrice et fondatrice au XIXe siÚcle. MÚre Marie Saint-Michel Poux, 356 p.
35 Il est utile de remarquer que lors de la révolte des bas de drap en 1829, le P. Champagnat fait dresser dans la chapelle un autel marial vivement éclairé, comme dans les pratiques du mois de Marie.
36 Vie de Champagnat 1iÚre partie, ch. 7, p. 342 : « Il lui éleva dans sa propre chambre un petit autel sur lequel il mit sa statue » et il instaure le mois de Marie (p. 343).
37 Apparition à Catherine Labouré en 1830 et diffusion massive de la médaille à partir de 1834.