Confiance

Frère Augustalis

09/Feb/2010

C'est la sainte invitation que, depuis trois mois, l'Église nous adresse par toutes ses grandes fêtes, et tout particulièrement par celle des saints Apôtres Pierre et Paul, que nous venons de célébrer ces jours derniers.

« Confiance! nous dit-elle par toutes les voix de sa liturgie: confiance toujours, et surtout dans les épreuves!

Voyez: après la douleur vient la joie; après la mort, la résurrection; après les humiliations et les souffrances du Vendredi-Saint, la glorification du jour de Pâques et le triomphe de l'Ascension; après la terreur et les angoisses du Cénacle, l'immense consolation de la Pentecôte; après le combat, la victoire; après la croix et le glaive, l'immortelle apothéose même dès ici-bas; après les courts travaux de cette vie, la couronne du Ciel.

En vain les tyrans ont cru m'anéantir par la mort de mes deux chefs et le supplice de milliers et de milliers de mes enfants, le sang de mes martyrs est devenu pour moi une semence de nouveaux fidèles.

Toute la suite de mon histoire semble n'être que la confirmation de cette grande vérité: Au lieu d'être pour moi et pour mes œuvres une cause de mort, la persécution a toujours été le signal d'un renouveau de vie et de fécondité »

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L'Homme-Dieu a été l'homme de douleur. Il a été rebuté même en entrant dans ce monde qu'il venait sauver, il a été poursuivi dès sa naissance par la jalousie d'un prince barbare, il a été contraint de s'exiler pour échapper au massacre des innocents.

Pendant sa vie publique, il a passé en faisant le bien, semant à pleines mains les œuvres de miséricorde; et pourtant ses bienfaits ont été payés d'ingratitude, ses miracles de blasphèmes et sa doctrine' de censure. Il a été haï, calomnié, bafoué, mis à mort. Ceux qu'il avait guéris par des miracles, éclairés par sa doctrine, ont crié: « Nous ne voulons pas qu'il règne sur nous ». Il a épuisé le calice des iniquités humaines. Il est bien le chef, le roi des persécutés.

Au soir du vendredi, après avoir assisté aux épouvantables tortures subies par leur victime, après lui avoir vu rendre le dernier soupir dans l'abandon et dans le dénuement le plus complet, après le coup de lance du centurion qui, en perçant le cœur du supplicié, ne laissait plus aucun doute sur la réalité de sa mort, après la mise an tombeau et le scellement de la pierre qui en fermait l'entrée, les ennemis du Sauveur durent s'applaudir d'être enfin pas venus à l'accomplissement des noirs desseins de mort qu'ils projetaient depuis déjà longtemps contre Jésus.

Ce n'avait pas été sans peines ni sans efforts, ni non plus sans crainte d'un échec. Cette fois-ci, ils avaient réussi. Ils durent s'en applaudir.

Leur triomphe ne fut pas de longue durée.

Moins de deux jours après, le bruit de sa résurrection les avait troublés à nouveau. Ils venaient d'apprendre, de la bouche même de ceux qui avaient été postés tout exprès pour garder le tombeau, comment il était sorti victorieux, radieux, triomphant, de la pierre où ils croyaient l'avoir enseveli à jamais.

C'était la Résurrection! C'était la grande victoire sur la mort, sur l’enfer. C’était, pour l’humanité, la délivrance, la fin de l'esclavage sous l'empire du démon. C'était le commencement du triomphe immortel de Jésus-Christ sur tous ses ennemis, sur ceux d'alors comme sur tous ceux qui voudraient les imiter dans la suite des temps.

Le Christ avait vaincu, le Christ inaugurait son règne, le Christ régnait malgré ses ennemis, et son règne ne devait pas avoir de fin.

Mais ce triomphe, Jésus avait dû l'acheter bien- cher. « Il fallait que le Christ souffrit et qu'il entrait ainsi dans sa gloire » (S. Luc., XXIV, 26).

Jésus-Christ était hier et il a régné malgré les Caïphe, les Hérode, les Pilate ; il a régné plus tard malgré les Néron, les Domitien, les Dioclétien. 1l est aujourd'hui et il règne encore malgré les Caïphes, les Hérodes, les Pilates de notre époque. Il soya et •il régnera toujours malgré ses ennemis.

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L'Église est la vie continuée de Jésus-Christ, son divin fondateur. « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles » (S. Matth., XXVI, 20).

Dans son Enlise, Jésus-Christ est contredit, attaqué, calomnié, renié, trahi, comme il le fut dans sa vie terrestre. Mais il sera vainqueur aussi: Ne craignez rien, petit troupeau, j'ai vaincu le monde „ (S. Luc., XII, 32).

Et en effet, voilà un miracle permanent: celui de l'invincible durée de l'Eglise, miracle plus incompréhensible que celui de sa fondation ; miracle an milieu duquel nous vivons, miracle dont les ennemis de Dieu sont les principaux instruments, et miracle qu'ils ne voient point.

Chaque siècle ou plutôt chaque génération, apportant à l'Eglise son tribut de rudes épreuves, a laissé aux générations suivantes une de ces démonstrations toujours recommencées, mais toujours concluantes. Les ennemis de l'Eglise semblent n'avoir qu'un rôle bien net ici-bas : travailler à prouver sa divinité. S'ils y réfléchissaient tant soit peu, ils ne pourraient moins faire que d'être troublés par cette idée: l'Eglise victorieuse, triomphante après vingt siècles de luttes et d'épreuves, vingt siècles dans lesquels se sont engloutis tant de puissants d'un jour qui l'attaquèrent tant d'empires qui lui furent opposés, tant de systèmes philosophiques dans lesquels devait s'anéantir la foi chrétienne.

Malgré toutes les attaques, l'Eglise subsiste toujours. Elle avance laissant derrière elle des pierres tumulaires qui marquent la fin de tous ses persécuteurs.

Tandis que Julien l'Apostat guerroyait chez les Perses, un païen d'Antioche voulut un jour s'amuser d'un chrétien. Il lui demanda d'un ton railleur ce que faisait en ce moment le Fils du Charpentier. Le chrétien répondit: « Il fait un cercueil… ». C'était vrai. En cet instant, Julien était percé d'une flèche. Et reconnaissant la supériorité du Dieu qu'il avait voulu détrôner et détruire; il s'écriait dans sa rage impuissante, en jetant une poignée de son sang vers le ciel: « Tu as vaincu, Galiléen ! »

Avant celui de Julien, le Fils du Charpentier avait fait pas mal de cercueils. Depuis, il en a fait beaucoup d'autres. Et il y en a encore à faire.

De nos jours, l'Eglise subit une persécution violente: l'impiété semble triompher sur toute la ligne. Ceux qui l'attaquent escomptent sa fin prochaine. Ils ne se cachent pas pour le dire: « Si l'Eglise ne périt pas dans la lutte que nous lui préparons, nous la reconnaîtrons comme divine et par conséquent indestructible. Le catholicisme touche à sa fin » — « L'Église de France tombe en lambeaux »

Quelle sera la durée de celte victoire apparente du mal? Nous ne le savons. Mais l'issue est certaine. L'Eglise en a vu bien d'autres; elle a supporté d'autres tempêtes.

Contre tous ceux qui persécutent l'Eglise, qui la trahissent ou qui l'enchaînent, disait Montalembert, à la Chambre des Pairs, en 1845, l'Eglise a, depuis 19 siècles, une victoire et une vengeance assurées: sa vengeance est de prier pour eux, et sa victoire est de leur survivre…

Oui, tous les tyrans du nom chrétien, tous les impies, tous les novateurs de doctrines, tous les apostats traîtres, tous les suppôts de Satan, qu’ils s’appellent ou Hérode, ou Pilate ou Néron, du julien, ou Luther, ou Voltaire, sont venus se briser contre ce roc inébranlable de l'Eglise. Les tyrans de nos jours qui s’acharnent au même roc, seront brisés comme leurs prédécesseurs.

Après eux, autour de leurs tombeaux oubliés bien vite après qu'ils auront été fermés sur leurs dépouilles mortelles, l'Eglise, victorieuse d'eux comme rie tous leurs devanciers, les yeux fixés en haut sur la croix triomphante et oubliant les os de ses persécuteurs ou n'y pensant plus que pour pardonner, chantera encore Alleluia du triomphe.

L'Eglise sera victorieuse comme son divin Fondateur, qui a promis d'être avec elle jusqu'a la lin des siècles: « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle »

Ayons donc confiance. Gardons eu notre cœur les promesses de Jésus-Christ. « Il y a plaisir d'être dans un vaisseau battu de l'orage lorsqu'on est assuré qu'il ne périra pas » (Pascal). Malgré la faveur dont jouit auprès des pouvoirs publics, l'antichristianisme contemporain, malgré ses armes, son acharnement, sa fureur, ses cris de victoire, il a trouvé son maître et son vainqueur. Et ce maître, ce vainqueur, c'est le Christ Jésus!…

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« Si le monde vous hait, disait ce divin Sauveur ses apôtres, sachez que j'en ai été haï avant vous. Si vous eussiez été du monde, le inonde aimerait ce qui serait a lui: mais parce que vous n'êtes point du monde et que je vous ai choisis au milieu du monde, c'est pour cela que le inonde vous hait. Le disciple n'est pas au-dessus du maître; s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (S. Jean, XV, 18, 19, 20).

Après cela, les religieux doivent-ils s'étonner d'être persécutés?… N'ont-ils pas, au contraire, ù en tirer un vrai sujet de confiance et d’espérance?… Mieux encore, un grand motif de joie et d'allégresse?…

« Soyez heureux lorsque, à mon sujet, les hommes vous chargeront d'opprobres, qu'ils vous persécuteront, qu'ils diront de vous toute sorte de mal contre la vérité; réjouissez-vous alors et faites éclater votre joie, parce que la récompense qui vous attend dans le ciel est grande » (S. Matt., V, 11, 12)

Et même ici-bas, les persécutions ont leur récompense.

L. Veuillot, dans ses Mélanges, donne une belle comparaison: L'Eglise romaine, dit.-il, est comme un grand arbre secoué périodiquement par d'effroyables tempêtes, qui le dépouillent de ses feuilles, qui brisent et dispersent au loin ses rameaux, mais ces rameaux brisés prennent racine où le vent les porte; tandis que le tronc lui-même toujours indestructible, se couvre d'une frondaison et d'une floraison nouvelles, et semble moins mutilé que jamais. ,

Belle comparaison que nous pouvons étendre et appliquer avec beaucoup de justesse aux Congrégations religieuses. Appliquons-la à la nôtre.

Sans nul doute, nos ennemis avaient juré notre anéantissement. Ils avaient bien cru nous frapper à mort avec leur loi de dissolution qui tombait impitoyablement sur les personnes et les œuvres du moment et de l'avenir. Pour les œuvres du moment, nous recevions un coup terrible en Fiance… Et pour l'avenir?…

J'ai tari la source du recrutement monacal, disait quelque temps après le trop fameux Combes, dans un banquet où il se vantait cyniquement de ses exploits de rage et de haine.

L'horizon d'alors était bien sombre, bien menaçant… Et, en n'envisageant les choses qu'au point de vue humain, ne l'est-il pas encore?

C'est le cas de nous rappeler le dilemme de notre ‘’Vénérable Fondateur’’: « Ou la Congrégation est l'œuvre des hommes, ou elle est celle de Dieu. Si elle est l'œuvre des hommes, elle périra sans nul doute; si elle est l'œuvre de lieu, elle souffrira des contradictions, des persécutions, mais elle en triomphera. Si elle avait été l'œuvre des hommes, elle eût sombré il y a longtemps. Mais elle a été l'œuvre d'un saint, nous croyons dès lors qu'elle est l'œuvre de Dieu, et nous avons confiance. Les œuvres des saints fleurissent sur leurs ruines. De la mort même, de la destruction complète, sortent, sous le souffle de Dieu, de bien éclatantes résurrections.

Voilà huit ans que nous avons été condamnés, six ans que nous avons été exécutés!… Et nous vivons encore. Et nos œuvres soutenues à travers tant de difficultés vivent toujours. Elles se sont même agrandies, développées. L'orage qui, selon les desseins de l'enfer, devait nous anéantir, nous a, au contraire, réveillés et fortifiés. N'est-ce pas consolant, réconfortant, encourageant?

Le, roi Hérode aussi s’était mis à persécuter; il avait fait mourir Jacques, frère de Jean, et voyant que cela faisait plaisir aux Juifs, il avait fait prendre encore Pierre. Mais Jésus-Christ veillait sur son Eglise, les- fidèles priaient. L'ange du Seigneur vint délivrer l'Apôtre. 'Alors Pierre étant revenu à lui, dit: Je vois bien maintenant que le Seigneur a envoyé son Ange et qu'il m'a délivré des mains d'Hérode et de toute l'attente du peuple juif. Ne pouvons-nous pas, ne devons-nous pas faire la même constatation?

Pourrions-nous douter de la bonté de Dieu envers nous ! Pourrions-nous douter de la protection dont la sainte Vierge, notre Ressource Ordinaire, a continué d’entourer ses Petits Frères? Ce serait vraiment mauvais signe si nous ne sentions pas notre cœur rempli de reconnaissance envers Dieu, envers Marie, pour tant de bénédictions répandues sur notre cher Institut.

Mais les ruines de France, direz-vous peut-être?… Mais tous nos biens dispersés, gaspillés, vendus à vil pris?… Sans doute, il y a bien des ruines, nous subissons de grandes pertes; mais que ces pertes matérielles ne nous déconcertent pas. Ce qui est plus douloureux, ce sont les pertes spirituelles: ce sont ces milliers d'enfants qui voudraient venir dans nos écoles pour y trouver le pain de la vérité et qui ne le peuvent; ce sont ces trop nombreuses vocations qui ont été anéanties par la tempête ou qui ne peuvent se faire jour à cause du bouleversement des temps actuels. Voilà ce qui est désolant, ce qui est douloureux bien plus que la perte de nos maisons: la perte des âmes d'enfants, la perte des vocations, toutes ces vies religieuses saccagées…

A la vue de toutes ces ruines, nous ne pouvons moins faire- que d'éprouver un sentiment profond de compassion, de douleur; mais il ne faut pas laisser entrer la désespérance. Loin de là ! Confiants en Dieu quand même il nous éprouverait plus fort encore; il faut imiter les abeilles. Quand on leur a pris leur miel, saccagé leur ruche, elles recommencent.

Et grâce à Dieu, grâce à Marie, c'est ce que nous avons fait. Nos belles ruches de France, si garnies, si prospères, oui été renversées, détruites. Après un moment d'épouvante résultant du coup si subit qui les frappait, des essaims en sont partis et se sont réfugiés en Italie, en Belgique, en Espagne, jusque même en Orient. et en Amérique. Et voilà les abeilles recommençant à faire leur ruche et à travailler leur miel I…

Le bon Dieu déjoue les projets des méchants; il tire le bien du mal. Certes! la tempête avait secoué bien violemment l'arbre de notre cher Institut ; elle avait jeté, ici et là, des rameaux brusquement arrachés. Et, merveilleusement, ces rameaux ont pris racine là où le vent les jetait. Ce qui, dans la pensée des méchants, devait amener la destruction, favorisait au contraire l'épanouissement de nos œuvres.

On se rappelle avoir entendu dire, à Saint Genis-Laval, par un des premiers Supérieurs, au moment de la dissolution, alors qu’humainement on pouvait croire tout perdu ou fortement ébranlé: Dans quelques années, nous constaterons les avantages de la persécution présente. Nous les constatons à l'heure actuelle.

Pour nous donc aussi; après la passion que nous avons eu à souffrir et que nous endurons encore, nous apercevons déjà la résurrection par ce développement des œuvres de notre chère famille religieuse. Comme au printemps on semble voir la sève monter dans les rameaux, on croit entendre le frémissement des bourgeons qui se débarrassent de leurs enveloppes, de même ne sentons-nous pas, ce renouveau de vie qui fait arriver dans nos Noviciats et Juvénats cette belle jeunesse qui est le printemps, qui est l'avenir?

Réconfortons-nous alors afin de réconforter .de même ceux qui vivent à côté de nous. Disons-nous sincèrement: On veut nous arracher â Dieu eu détruisant en clous la vie 'religieuse ; rendons cette vie d’union à Dieu plus forte et plus intime, estimons de plus en plus notre sainte vocation.

On vent déchristianiser le monde, on veut empoisonner l'enfance, la jeunesse, soyons de vaillants champions du bien, soyons des héros dans la cause de Dieu et des âmes, estimons à un très haut prix noire sublime mission d'éducateurs religieux. . Gloire, reconnaissance à Dieu et à Marie qui ne nous ont pas abandonnés dans l'épreuve! Courage et confiance toujours!

Frère Augustalis.

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