Le Lycée Léonin à Athènes

F- J. E.

20/Sep/2010

 

Voilà environ douze ans que nos Frères sont établis à Athènes au Lycée Léonin. Il sera certainement agréable aux lecteurs du Bulletin de lire quelques pages relatives à cet établissement qui, à plusieurs points de vue, peut être appelé remarquable.

Inutile de s'étendre outre mesure sur la ville d'Athènes, dont tous ont une idée au moins sommaire. Si ce n'est plus la ville unique, où se résumait pour ainsi dire la civilisation tout entière durant les plus beaux siècles de l'antiquité, c'est encore actuellement la plus belle ville de l'Orient. Bourgade de 4 à 5.000 habitants quand les Turcs l'abandonnèrent, il y a un siècle, elle est redevenue pendant ces cent dernières années une ville magnifique de 200.000 âmes. Les monuments anciens, précieusement conservés, les musées où sont collectionnés toutes les richesses accumulées par les fouilles de toute la Grèce, quelques monuments modernes construits en ce beau marbre blanc qui abonde dans les montagnes voisines, un ciel qui fait resplendir toutes choses, tels sont, avec-les souvenirs immortels de l'histoire la plus glorieuse, les attraits de ce pays qui attire des milliers de visiteurs de tous les points du globe.

Il semble, à ce compte, que les Petits Frères de Marie d'Athènes soient perpétuellement dans une sorte de vision béatifique puisqu'ils aperçoivent de leurs fenêtres les colonnades du Parthénon, qu'ils peuvent aller en promenade s'asseoir parmi les merveilles de l'Acropole, d'où ils contemplent la mer resplendis- sante semée d'îles glorieuses, et qu'ils foulent à tout moment un sol illustre d'où surgissent tout naturellement les souvenirs de grandeur et de gloire dont tous les peuples du monde tâchent de partager le patrimoine.

Il n'en est rien hélas! Les émotions artistiques sont vite épuisées et leur vaine magie serait un maigre réconfort pour les heures difficiles qui attendent les ouvriers du bon Dieu à Athènes comme ailleurs, sans la pensée bien autrement encourageante que toutes ces peines, inscrites par les anges ait livre de vie, servent à nous mériter une récompense éternelle.

C'est en 1907 qu'il fut question d'appeler des Frères Maristes à Athènes. Mgr Delenda était alors archevêque, et s'intéressant fort au Lycée Léonin qui était pour ainsi dire son Collège diocésain, il cherchait à lui infuser une vie nouvelle. Le Lycée fondé par Léon XIII il y a une trentaine d'années avait subi diverses vicissitudes. L'illustre Pape, dont il a gardé le nom, comptait en faire non seulement une école pour les enfants catholiques d'Athènes mais encore pour les jeunes orthodoxes qui voudraient bien le fréquenter et y prendre ainsi contact avec des maitres catholiques. Des périodes de prospérité avaient alterné avec d'autres et on était précisément arrivé à une de celles-ci. Le vénérable Mgr Delenda, en causant avec M. Lobry, visiteur des Lazaristes, de passage à Athènes, apprit combien le Collège des Lazaristes à Constantinople s'était trouvé aidé par la collaboration des Frères Maristes. Il se hâta de faire une demande pour en avoir. Elle fut accueillie favorablement et le 15 septembre 1907 le C. F. Mie-Brunon avec trois confrères venait s'établir au Lycée Léonin.

Leur tâche était loin d'être facile, car leur rôle était un peu effacé et pourtant on attendait beaucoup d'eux. Le Directeur du Lycée était un prêtre du diocèse, et le personnel comprenait, à côté des Frères, un certain nombre de professeurs civils. Il faut ajouter que le Lycée était grec, c'est-à-dire comportait l'enseignement officiel grec. Les Frères devaient simplement se charger de cours de français et, chose plus délicate, de la surveillance, de la discipline et du bon ordre. Le total des élèves atteignait à peine 150 et le petit internat comptait 16 enfants.

L'année 1907-08 fut donc plutôt difficile pour les Frères, mais ils mirent tant de bonne volonté à faire tout leur possible pour aider à la bonne marche générale que tout de suite les résultats heureux apparurent. Le bon ordre, le sérieux des études, la confiance des familles, la réputation de l'établissement, et la joie du vénéré archevêque, tout fut à la hausse, après quelques mois. A la rentrée de 1908, il y eut un accroissement surprenant d'environ cent élèves nouveaux. Décidément la partie était gagnée.

Mgr Delenda, en face des résultats heureux de la première année, n'eut plus qu'un rêve, celui de confier définitivement aux Frères Maristes la direction complète et la responsabilité entière du Lycée Léonin. Ce ne fut pas sans une certaine hésitation que les Supérieurs acceptèrent. Ils auraient préféré une plus. longue expérience. Le bon archevêque insista, on finit par se mettre d'accord, et en septembre 1909 la direction passa entre les mains des Frères, à qui elle est restée depuis.

Etat actuel. — Comme il est un peu fastidieux de suivre pas à pas des accroissements continus, passons, si on le veut bien, à. une description de l'état actuel du Lycée.

Il compte actuellement environ 600 élèves répartis en trois sections qui sont en vérité trois écoles différentes. Il y aurait des avantages à les loger chacune dans un local différent, mais la guerre a, pendant des années, arrêté tous les projets jusqu'ici ébauchés.

Ces trois sections sont : 1° Une section grecque composée de 9 classes. L'enseignement s'y donne en grec, sauf les cours en français. Ces derniers sont réservés aux Frères avec certains cours de morale et de catéchisme, et l'on a recours, pour le reste, à des professeurs civils. Cette section qui était la seule au moment où les Frères entrèrent au Lycée est restée la plus fréquentée et elle comporte à peu près la moitié de la population scolaire de l'établissement.

Une section commerciale. L'enseignement officiel grec de la section précédente est resté, depuis un demi-siècle environ, où ses programmes furent fixés, un enseignement trop théorique pour convenir parfaitement à une nation moderne surtout éprise des choses du commerce comme c'est le cas en Orient. De là, la création d'écoles qui, avec le titre de commerciales, comportent spécialement l'étude de langues modernes, de mathématiques, de sciences et de comptabilité.

Cette section fut créée dès 1908, elle compte 4 classes recevant. des jeunes gens plutôt que des enfants. Le nombre des élèves-atteint dans cette section environ 125 à 130.

Une section française. Cette section a été la plus lente à se constituer. Elle est aujourd'hui complète, comprenant les 10 classes de l'enseignement secondaire français avec le couronnement des examens du baccalauréat. Le nombre des élèves de cette section atteint 180.

Tel est, avec ce triple enseignement, l'ensemble du lycée qui occupe mi personnel d'environ 40 professeurs dont la moitié seulement, sont de nos religieux.

Locaux. — Le Lecteur peut bien ici se demander si, comme en bien d'autres endroits, ne sévit pas la crise des locaux et si cette bourdonnante jeunesse de 600 élèves se trouve à l'aise entre les murs. Il faut vite constater que ce n'est guère que par un prodige de compression que le Lycée s'emplit de la façon actuelle. Sans doute les enfants des villes sont accommodants sur la dimension des cours, mais tout de même il est certain que le Lycée actuel en est sinon privé du moins si piètrement pourvu, que c'est une tâche difficile pour les surveillants de récréer les élèves. D'autre part la bâtisse pour avoir une façade magnifique sur une des principales rues de la capitale, n'en est pas moins un bloc fait de diverses parties, que les Frères ont raccordées tant bien que mal et qui, telle qu'elle est, laisse encore bien à désirer. Un beau projet de construction qui faillit voir le jour il y a quelques années, fut arrêté par diverses circonstances. En 1914, un projet nouveau, où les cours certes n'auraient pas manqué, était en voie d'exécution. Mais la guerre vint tout interrompre. Et depuis cinq ans on se contente de combinaisons diverses pour canaliser le flot toujours plus pressé des élèves.

Par bonheur que périodiquement, tous les jeudis soir pour les Frères et assez fréquemment pour les élèves internes, la compression cesse, et en joyeuse envolée on se dirige vers Héraclée. C'est la maison de campagne du Lycée. Qu'on n'aille pas voir là un bien vaste bâtiment, c'est plutôt un minuscule pied-à-terre, mais tout de même on peut y loger pas mal de monde quand il ne s’agit que d'un dîner ou d'un goûter. Situé à plus de 200 m. d'altitude, sur un mamelon qui domine toute une vaste plaine, le village d'Héraclée jouit d'une vue magnifique. Il est, par exception, catholique, étant formé des descendants des familles bavaroises qui vinrent à la suite du roi Othon, il y a de cela bien près d'un siècle. Notre maison, au bout du village, jouit du grand air, de la complète indépendance, et de l'espace illimité. Quel jour d'ivresse pour les enfants, qui trouvent là haut, outre l'appétit gagné par une bonne marche d'une heure, tous les jeux imaginables.

Voici des partisans de la petite guerre, qui portent le bouclier, rouge ou bleu et brandissent des roseaux en guise d'arme offensive. Ici, les tenants du football font des passes savantes qu'admirent de loin, ébahis, tous les bambins du village. Dans les airs planent à des hauteurs vertigineuses des cerfs volants géants de toutes formes, qui balancent leurs couleurs voyantes et que des mécanismes compliqués font ronfler comme des aéroplanes. Jadis même un âne, célèbre sous un joli nom historique, mettait en joie toute la division des petits, qui faisaient sur son dos pacifique des chevauchées incessantes. Et puis quelles belles promenades à travers les oliviers et les pins, au milieu des chants des cigales et du parfum du thym !

Aussi, quand les enfants reviennent les soirs de congé, c'est avec des visions de paradis anticipé qu'ils s'endorment et la prochaine lettre à la famille décrit en termes ravissants, ce bienheureux Héraclée, où l'on s'amuse tant et où l'on mange de si bon appétit.

Résultats. Le Lycée Léonin, surtout depuis qu'il est complètement entre les mains des Frères, semble bien avoir atteint le but de son auguste fondateur Léon XIII. Il n'a cessé d'assurer aux enfants catholiques d'Athènes les bienfaits d'une éducation catholique. De plus, en fournissant à ces enfants une instruction généralement au dessus des moyens des familles, ordinairement peu fortunées, auxquelles ils appartiennent, il n'a pas cessé non plus de leur procurer des situations honorables. Ceci est un fait d'une grande importance dans un pays où les catholiques ne formant qu'un élément infime et peu influent ont par suite une tendance fatale à se laisser absorber dans la grande masse "orthodoxe". Ce n'est que trop arrivé si l'on se reporte aux statistiques navrantes du dernier siècle.

Enfin, auprès des enfants "orthodoxes", il ne s'est pas fait un moindre travail. Elle est bien lointaine l'époque où le Lycée dans ses débuts devait subir l'enseignement du catéchisme de la part d'un prêtre schismatique. Aujourd'hui les familles qui nous ont depuis longtemps vus à l'œuvre nous ont donné leur confiance, nous faisons le catéchisme à tous les élèves sans distinction. Les enfants récitent en classe les mêmes prières que les catholiques de nos écoles de France et participent aux exercices du mois de Marie ou autres sans difficulté!

Dans le même temps, le bon renom de notre Lycée catholique a pénétré, on peut le dire, dans toute la Grèce, et il est certainement l'un des principaux établissements scolaires de la capitale.

Ces heureux résultats sont dus sans doute au zèle constant des Frères pour joindre aux bonnes méthodes d'instruction tout ce qui peut contribuer à la bonne éducation, spécialement une exacte surveillance et un solide enseignement religieux. Si la Grèce et en général l'Orient ne sont pas aussi catholiques que nous le voudrions, du moins ces pays ne connaissent pas cet état d'esprit sceptique qui fait le désespoir des éducateurs religieux dans certaines régions. On y considère, aussi bien en particulier qu'officiellement, la religion chrétienne comme la base de toutes les vertus sociales et privées, de toute éducation et de toute société. Aussi les enfants suivent avec un réel intérêt les leçons de catéchisme et sans rien dissimuler des divers points de doctrine qui séparent l'Église catholique des églises d'Orient il est facile de leur laisser l'impression que ces divergences ne sont qu'un point dans l'immense fonds des croyances et des pratiques communes.

De fait les parents qui savent bien quel est notre enseignement, s'effarouchent de moins en moins et des enfants des familles les plus influentes du royaume nous sont amenés chaque année. Il y a même, pour se borner à ceux-là, des fils de ministres et nous en comptons trois cette présente année.

Cela indique sans doute que la période de défiance et d'animosité contre notre sainte Église est bien près d'être terminée. Elle se présente en Orient, comme dans le monde entier, avec de telles œuvres que les yeux les plus obstinément fermés sont obligés de l'admirer et que les cœurs les plus méfiants sont attirés doucement à elle. Puisse le Lycée Léonin, dans la modeste sphère de son action, faire sa petite part pour le retour de l'Orient chrétien!

Faits remarquables. — Il y aurait encore à narrer pour être complet quelques uns des événements qui sont venus rompre un peu la monotonie de la vie scolaire soit périodiquement, chaque année, soit par la suite des événements.

Nommons, au nombre des cérémonies publiques auxquelles le Lycée prend part, la Fête annuelle du drapeau. Toutes les écoles de la Grèce possèdent un beau drapeau qui, un des premiers jours de l'année scolaire, est solennellement présenté aux élèves. Un petit discours patriotique rappelle aux enfants les gloires du drapeau grec et pourquoi il porte dans ses plis et sur sa hampe la croix ; une garde d'honneur accompagne le drapeau qui parcourt lentement les rangs des élèves. Ceux-ci chantent l'hymne national, et la journée est consacrée à un congé qui grave dans les jeunes cœurs l'enseignement patriotique du matin. La cérémonie a parfois lieu en public au stade, immense monument de marbre où peuvent prendre place 80.000 spectateurs. Toutes les écoles peuvent y défiler à l'aise et les chants patriotiques, chantés par des masses de voix, y font un effet martial.

Vers la fin de l'année scolaire a lieu en public le concours de gymnastique. Tous les enfants y font les mouvements d'ensemble qui ne manquent pas de charme, et comme la gymnastique est en grand honneur au beau pays de Grèce qui l'inventa. jadis, chaque école reçoit des inspecteurs officiels préposés à cet important examen les félicitations qu'elle mérite.

Parmi les faits non périodiques il faut citer la visite dont le Révérend Frère Stratonique honora l'Établissement le 25 mars 1910. Le Lycée en a gardé le meilleur souvenir.

Il y aurait à signaler bien d'autres visites de personnages, mais comme ils sont d'un intérêt plutôt local, terminons en rappelant le fait d'ailleurs signalé en son temps par le Bulletin du départ subit en décembre 1916 de toute la communauté pour Grugliasco à la suite de fâcheux événements. Le personnel du Lycée put ainsi représenter aux fêtes du Centenaire les communautés lointaines et quelques jours après, la bonne Providence ramenait les Frères à Athènes où la joie du retour fit oublier les péripéties du voyage.

En 1914, la mobilisation faillit amener la fermeture du Lycée, où il ne restait que trois Frères. En cette circonstance le F. Joseph Emile, qui se trouva directeur, sauva la situation, et, loin de désespérer, organisa pour le mieux l'ensemble des classes qu'on pouvait conserver avec l'aide des professeurs civils. Il est vrai que l'expulsion brutale de nos Frères de Turquie devait peu après fournir tous les renforts nécessaires. D'ailleurs d'heureuses mises en sursis d'appel vinrent vers la fin de l'année scolaire rendre au Lycée, entre autres, son directeur actuel F. Louis-Marie.

En 1916, après une année où il avait fallu louer un local peu éloigné pour y loger quelques classes, Mgr Petit, le savant archevêque actuel d'Athènes, voulut bien disposer en notre faveur moyennant un loyer, des locaux contigus du Séminaire, devenus disponibles. Cette nouvelle combinaison a permis d'atteindre le chiffre actuel de 600 élèves.

Les petits Athéniens sont généralement intelligents, développés de bonne heure, polis, de bonnes manières, très ouverts et ils montrent une réelle bonne volonté. Ils sont sensibles aux éloges soit qu'ils s'adressent à eux personnellement, soit qu'ils visent leur pays ou leur histoire dont ils sont très fiers. Ils ont peut-être besoin un peu plus que d'autres, d'être excités au travail quand arrivent les jours chauds de l'été. D'aucuns prétendent que, comptant dans leurs aïeux le rusé Ulysse, ils excellent à trouver d'ingénieuses excuses toutes les fois qu'ils en ont besoin. Mais, en somme, la réunion de leurs qualités et défauts nationaux est loin de former un ensemble déplaisant pour les maîtres qui entreprennent leur éducation. On trouve généralement de la ressource dans ces enfants et ceux qui ont passé quelques années parmi eux en ont gardé un bon souvenir.

                                                                                                                      F- J. E.

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