Le Saint Rosaire

F. Flamien

10/Feb/2010

« Le chapelet, dit notre Directoire Général au chapitre où il énumère les différents exercices de piété qui nous sont prescrits chaque jour; doit être la prière chérie des Petits Frères de Marie. » Et que de bonnes raisons n'y a-t-il pas à cela! Sans compter qu'il est par lui-même, comme le Rosaire dont il fait partie, une des prières les plus belles et les plus excellentes qui soient en usage dans l'Église, n'a-t-il pas pour objet spécial d'honorer notre Mère du ciel, et ne fut-il pas la dévotion préférée de notre Vénérable Fondateur comme de la plupart de nos aînés dans la vie religieuse? Cela m'a fait croire qu'il serait agréable aux lecteurs du Bulletin de trouver dans ses pages, à l' approche du mois et de la fête du Saint Rosaire, un petit aperçu sur la nature, l'origine, la merveilleuse extension et les fruits précieux de cette pieuse pratique, que non seulement ils aiment à payer chaque jour à Marie comme un tribut d'amour filial, mais dont ils ont à cœur de faire contracter l'heureuse habitude à leurs élèves; et c'est pourquoi je me suis résolu à le leur offrir.

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C'est avec beaucoup de justesse que le Pape Léon XIII, dans son encyclique du 7 septembre 1892, appelle le Rosaire une admirable formule de prière, et un insigne modèle de parfaite vertu. Non seulement les prières qui le composent sont choisies parmi les plus belles, les plus saintes, les plus agréables à Dieu et par conséquent les plus efficaces qui soient dans le trésor de la piété chrétienne, mais les mystères sur lesquels il nous invite à méditer, sont comme un abrégé, une synthèse de la vie très sainte, de la passion et résurrection de Jésus-Christ, notre Seigneur, et par le fait même le miroir de toute vie vertueuse.

L'oraison dominicale, qu'on y répète jusqu'à 15 fois, est évidemment et sans contredit la plus excellente des prières. Aucune autre ne peut lui être comparée, ni pour l'autorité, puisqu'elle a pour auteur non un ange ni un homme, mais le divin Maître lui-même; ni pour l'étendue et la profondeur du sens, puisque, dans sa brièveté, elle contient tout un résumé du saint Evangile ; ni pour le choix et l'opportunité des demandes, où se trouvent exprimés tous nos devoirs et tous nos besoins.

La Salutation Angélique, dont la récitation y revient 150 fois en souvenir des 150 psaumes de David, par lesquels le peuple hébreu avait autrefois la coutume de célébrer les louanges du Très-Haut, est un admirable symbole des gloires et des grandeurs de Marie, et mérite de venir, sous le rapport de l'excellence, immédiatement après le Pater, puisqu'elle est, elle aussi, d'inspiration céleste, soit dans sa première partie,: composée des paroles de l'Ange Gabriel et d'Elisabeth, soit dans sa seconde partie, ajoutée par la sainte Eglise, sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu. –

La Méditation des 15 mystères fait passer successivement sous les yeux de notre âme toutes les principales circonstances de la vie, de la mort, de la glorification de Notre-Seigneur et de sa Sainte Mère, nous rappelant ainsi, avec une efficacité admirable, les vérités que nous devons croire, les vertus que nous devons pratiquer et le culte que nous devons rendre à Dieu.

Enfin, le nom même de Rosaire, qui a été donné à cette prière, est une source de bonnes pensées et de pieux sentiments. Tiré du latin rosarium, qui signifie couronne de roses ou jardin planté de roses, il nous fait songer à Marie, la Rose mystique, et nous rappelle que l'innocence et l'amour de nos cœurs doivent donner aux Ave Maria que nos lèvres prononcent la fraîcheur et le parfum des fleurs auxquelles ils empruntent leur nom.

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Et quelle est l'origine du Rosaire? D'après une tradition constante dans l'Eglise et appuyée sur des témoignages qui semblent 'incontestables, c'est la Très Sainte Vierge elle-même qui le révéla à saint Dominique, fondateur de l'ordre des Frères Prêcheurs, comme moyen très efficace de ramener à la foi et à la pratique de la religion les hérétiques et les pécheurs endurcis.

On était au commencement du XIII° Siècle, où le Midi de la France eut tant à souffrir des ravages des Albigeois. Favorisés par Raymond VI, comte de Toulouse, et un grand nombre de ses vassaux, ces farouches hérétiques, qui niaient la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, la responsabilité humaine, l'utilité des sacrements et, d'une façon générale, toutes les vérités de l'ordre surnaturel, s'étaient rapidement répandus dans tout le Haut-Languedoc, où ils brûlaient les images, saccageaient les villages et les hameaux, massacraient les prêtres et les religieux, pillaient les monastères et les églises, profanaient les choses saintes et se livraient, à toute sorte d'autres excès.

Emu de tant de crimes et de forfaits, le Saint-Siège essaya d'y porter remède. Dans ce but il assembla des conciles, organisa des missions, envoya des légats, sans parvenir à désarmer la fureur des audacieux sectaires, qui multipliaient chaque jour leurs sacrilèges attentats.

A la suite de son pieux évêque, Dominique Guzman, archidiacre d'Osma, en Vieille Castille, si célèbre depuis sous le nom de saint Dominique, était venu, dans ces douloureuses circonstances, se joindre aux légats Raoul, Pierre de Castelneau et Arnould de Cîteaux, sillonnant en tous sens la contrée, et prêchant au peuple les vérités chrétiennes si outrageusement méconnues; mais, en dépit de ses efforts surhumains et de l'éloquence persuasive et entraînante dont le ciel l'avait doué, il n'avait produit que peu de fruit: au lieu .de reculer, l'hérésie semblait faire continuellement des progrès nouveaux.

C'est alors que, profondément affligé, il se tourne avec confiance vers la Mère de Dieu, toute-puissante contre les hérésies, et la supplie avec larmes de lui inspirer quelque moyen de vaincre l'obstination de ces fanatiques. Marie entend les supplications de son serviteur, et lui apparaissant elle lui dit: « Fils bien-aimé, tu sais les moyens dont Dieu s'est servi pour sauver l'humanité coupable: il s'est fait homme dans mon sein, il a payé par son sang précieux et ses indicibles souffrances la dette de l'humanité coupable, et il a rouvert par son ascension les portes du paradis. Eh bien, enseigne au peuple obstiné la prière et la méditation de ces augustes mystères, selon la forme que je vais t'indiquer. » Et en même temps elle lui détailla l'organisation du Rosaire, composé de 15 dizaines d'Ave Maria, à chacune desquelles correspond un des mystères de notre foi.

Muni de cette arme puissante, Dominique se met à l'œuvre avec un nouveau zèle; il lutte sans trêve contre les hérétiques, les sollicite, les presse de toutes parts, le Rosaire à la main, et bientôt les fruits de conversion se multiplient avec une rapidité qui tient du prodige. Tels sont les résultats de cette dévotion que, peu d'années après, des milliers d'hérétiques sont revenus au sein de la vraie foi et grand nombre de pécheurs auparavant endurcis ont été ramenés à Dieu par la pénitence. Les écrivains du temps n'évaluent pas à moins de 10.000 le nombre des conversions opérées par Dominique lui-même.

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Ce n'est pas seulement en France que la pieuse pratique du Rosaire, dès son apparition, fait sentir ses effets bienfaisants. Reçue avec faveur par les Papes Innocent III, Grégoire IX, Urbain IV, Innocent V, Benoît XI, Jean XXII, etc., qui l'enrichissent de nombreuses indulgences, elle est accueillie avec enthousiasme dans les Ordres religieux, dont plusieurs rivalisent de -zèle avec les Dominicains pour la propager; elle devient bientôt, dans les pays chrétiens, la dévotion favorite des grands comme du peuple, et on la voit régner dans l'intérieur de presque tous les foyers. L'invasion de la peste noire, en lui enlevant ses plus zélés prédicateurs, et le grand schisme d'Occident, en répandant le trouble dans les consciences, lui font subir une éclipse momentanée; mais, à la parole ardente du bienheureux Alain de la Roche, et de Jacques Sprenger, prieur des Dominicains de Cologne, elle ne tarde pas à devenir plus florissante que jamais. Tout cc qu'il y a de distingué dans le clergé, la noblesse et la bourgeoisie, et de fervent parmi le peuple demande à être inscrit .dans la pieuse association, qui, à la suite de Christophe Colomb, pénètre même en Amérique.

Pendant le XVI° et le XVII° siècles, le Rosaire devient l'arsenal du peuple chrétien contre l'hérésie qui le déchire, et l'islamisme qui menace de l'envahir. Saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, qui sera le marteau du protestantisme, consacre chaque jour sept heures à la prière et .emploie les premières à la récitation du Rosaire. Un de ses fils, Pierre Canisius, qui, pour combattre l'hérésie, emploie tour à tour la parole, la plume et surtout la prière, prêche partout le Rosaire, dont il proclame hautement la puissance contre l'erreur, et Dieu bénit visiblement ses efforts. Saint François de .Sales, l'apôtre du Chablais, récite tous les jours le Rosaire et ne cesse, par ses paroles et par ses écrits, d'exhorter les autres à cette dévotion si efficace. Saint Vincent de Paul, fondateur des Lazaristes et des Filles de la Charité, M. Ollier, fondateur du Séminaire de Saint-Sulpice, le savant cardinal de Bérulle, introducteur en France de l'ordre de l'Oratoire, Bossuet, l'illustre évêque de Meaux et un grand nombre d'autres célèbres et saints personnages, se font aussi un pieux devoir de réciter le chapelet et de le recommander. Pendant les guerres de religion, le vaillant chef catholique, Anne de Montmorency, connétable de France, combat, l'épée d'une main et le Rosaire de l'autre.

C En 1571, les Turcs, qui se sont emparés de l'île de Chypre, menacent d'envahir l'Europe occidentale et d'y arborer le croissant à la place de la croix. En vain le Pape saint Pie V a fait appel aux princes de 'la chrétienté, divisés par la politique: un seul, Philippe II, roi d'Espagne, a consenti à joindre sa flotte à la flotte pontificale et à celle de la république de Venise pour refouler l'ennemi commun; or la flotte chrétienne ainsi composée ne compte que 200 galères avec un équipage de 40.000 hommes, qu'il faut opposer à la flotte turque forte d'au moins 300 galères, montées par 120.000 hommes de troupes. Mais le saint Pontife ne se décourage pas: il exhorte tous les fidèles de la chrétienté à s'unir à lui, à défaut des princes, dans une croisade de prières où le Rosaire tiendra la plus large place; il distribue le chapelet à tous les soldats, les fait enrôler dans la sainte confrérie, et, le 7 octobre, la flotte chrétienne; commandée par Don Juan d'Autriche, attaque la flotte ottomane dans le golfe de Lépante. Humainement toutes les chances sont du côté des Turcs; mais les chrétiens ont du leur la protection de Marie, plus forte à elle seule que toute armée rangée en bataille, et, malgré l'infériorité de leur nombre et le désavantage de leur position, ils remportent une éclatante victoire. Cent sept navires ennemis sont brûlés et 130 capturés ; 40.000 de leurs soldats succombent ; 1200 chrétiens, enchaînés comme rameurs sur leurs galères, sont délivrés, et l'Europe occidentale est sauvée du flot montant de la barbarie.

Cent douze ans plus tard, l'islamisme vaincu veut relever la tète et se dispose à frapper un grand coup. En 1683, une armée turque de 250.000 hommes vient mettre le siège devant Vienne, capitale de l'Autriche qui est défendue par 24.000 hommes à peine, soldats improvisés pour la plupart. Mais dans tout l'empire on prie. L'empereur Léopold Ier récite tous les jours le Rosaire; dans la ville assiégée, les petits enfants eux-mêmes répètent cette ,prière avec une admirable ferveur; les Carmes de l'église Notre-Dame, à Rome, récitent, dans l'espace de quinze jours, mille Rosaires pour sa délivrance, tandis que, dans le même but, le Pape Innocent XI conduit en personne une procession de l'église de la Minerve à l'église nationale d'Autriche, Santa Maria dell'Anima; des supplications analogues ont lieu dans beaucoup d'autres centres de la chrétienté, et Notre-Darne du Rosaire, secours des chrétiens, fait sentir encore une fois sa protection d'une manière visible. Le 12 septembre, 25.000 Polonais, commandés par Jean Sobiewski, avec quelques contingents amenés par les électeurs de Saxe et de Bavière, .arrivent devant la place, y entrent triomphalement le lendemain, après une lutte-héroïque, et le 14, un Te Deum solennel d'actions de grâces est chanté dans la cathédrale de Saint-Etienne.

Au XVIII" siècle, le bienheureux Grignon de Montfort en France, le bienheureux François de Posadas en Espagne, et Saint Alphonse de Liguori en Italie continuent, comme zélateurs et apôtres du Rosaire, les traditions de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul et du cardinal de Bérulle, et ils en obtiennent les mêmes fruits de salut. Le premier, dans toutes ses missions, cherche à assurer le succès de sa parole en la mettant sous la protection de la Mère de Dieu et en établissant partout la récitation du chapelet. Le second, voué dès sa naissance à Notre-Dame du Rosaire, et sauvé par elle d'un péril imminent de mort pendant sa jeunesse, entre plus tard dans l'Ordre des Frères Prêcheurs et se fait l'apôtre infatigable de la dévotion au saint Rosaire, dont il obtient des grâces extraordinaires. Le troisième s'engage par vœu à réciter tous les jours le Rosaire, et reste fidèle à cette pratique jusqu'au milieu des plus graves occupations. Dans ses missions en Italie, il recommande avec insistance la récitation du chapelet. Dans ses écrits, il exhorte vivement les pasteurs des âmes à en introduire l'habitude dans les familles, et il conjure les prédicateurs et les missionnaires de répandre parmi le peuple cette salutaire dévotion, assurant que de toutes les pratiques en l'honneur de Marie, il n'en connaît pas de plus agréable à la Mère de Dieu que le- saint Rosaire.

Et dans les temps plus rapprochés de nous, que d'autres saints et illustres personnages se sont fait du Rosaire une consolation pour leur cœur, un remède aux maux- de la société et un instrument de salut pour les âmes! C'est le Pape Pie VII, qui le récite chaque jour comme un simple campagnard, selon l'expression du cardinal Wiseman, et qui y trouve son espoir et sa force, pendant sa captivité à Savone et à Fontainebleau. C'est le célèbre docteur Récamier, qui récite son chapelet en allant voir ses malades et lui attribue, bien plus qu'à ses remèdes, une bonne partie des guérisons qu'il obtient; c'est Lacordaire, qui, non content de faire du Rosaire sa prière favorite; en vrai fils de saint Dominique, écrit des pages éloquentes pour en inspirer la dévotion, le venger des dérisions dont il est l'objet de la part du scepticisme. C'est le bienheureux Curé d'Ars, qui l'implante parmi ses paroissiens et en obtient des prodiges de transformation ; c'est enfin le grand Pape Léon XIII qui le préconise comme moyen le plus efficace de guérir la société chrétienne: des grands maux dont elle est affligée, et ne publie pas moins de 14 encycliques pour en faire ressortir le mérite, en rappeler les avantages et en recommander la pratique.

D'ailleurs, si le Rosaire tient, comme nous le voyons, une si -grande place dans l'histoire générale de l'Eglise, il n'en tient pas une moins grande, à proportion, dans la modeste histoire de notre Institut. Notre pieux Fondateur, lui aussi, fut un dévot fervent et un apôtre zélé du Rosaire. Tout enfant, il se fait un plaisir de le réciter chaque jour à la maison paternelle, en compagnie de sa mère, de sa pieuse tante et des autres membres de la famille; au séminaire, il prend la résolution de ne jamais l'omettre; à Lavalla, il le recommande souvent, dans ses instructions, aux habitants de la paroisse; à peine a-t-il réuni ses premiers Frères qu' il fait de la récitation du chapelet un des points essentiels de leur règlement de chaque jour; et nous voyons dans sa vie que plus tard, dans ses entretiens publics et particuliers, il revenait souvent sur la recommandation de ne jamais le manquer. « Si, par suite de quelque événement imprévu, disait-il, vous n'aviez pas le temps de le réciter en entier, dites-en au moins quelques dizaines, et si cela vous était absolument impossible, dites les trois premiers Ave, ou tout au moins prenez votre chapelet et baisez-le avant de vous coucher, de sorte qu'il ne vous arrive jamais de l'omettre entièrement. »

C'est sous les auspices de N.-D. du Rosaire que son premier successeur, le Frère François, fut donné à l'Institut naissant. Avant de le remettre aux mains du Vénérable Fondateur, alors qu'il n'avait encore que dix ans, sa pieuse mère le mena dans l'église de Lavalla, et, devant un tableau où saint Dominique est représenté recevant le Rosaire des mains de Marie, elle renouvela la donation que, bien des fois déjà, elle avait faite de lui à la Très Sainte Vierge. Plus tard, il écrira lui-même dans son journal: « J'ai quitté le monde un mercredi, le 6 mai 1818, donné par ma mère à Marie, au pied de l'autel de N.-D. du Rosaire. »

Avec le chemin de la croix, le Rosaire, le chapelet fut également la grande dévotion du Frère Louis-Marie; et, par l'insistance avec laquelle il recommande aux Frères, dans sa circulaire du 17 janvier 1876, de le réciter avec piété et d'avoir soin que leurs élèves le récitent de même, on peut juger en quelle estime il tenait cette pieuse pratique, dont nos Constitutions nous font un devoir journalier.

Le Frère Jean-Baptiste, auteur des Méditations sur l'Incarnation et sur la Passion de Notre-Seigneur, trouvait une si grande douceur spirituelle à réciter le chapelet, en méditant sur ces divins mystères, qu'il ne pouvait, souvent, le terminer en moins de demi-heure; et c'est en l'égrenant ainsi que Dieu lui fit la grâce de passer de cet exil à la patrie céleste, comme nous le montrent ses photographies.

Et que d'autres exemples il nous serait facile d'ajouter!

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Aimer particulièrement le chapelet, en faire, selon l'expression du Directoire Général, notre ‘’prière chérie’’, notre dévotion favorite, le réciter tous les jours une ou plusieurs fois avec religion et piété, en propager l'amour et la pratique parmi nos élèves, ce ne sera donc pas seulement, pour nous, entrer dans l' esprit de l'Eglise et suivre l'exemple d' une foule d'hommes éminents par leur vertu et leur sainteté; mais encore marcher sur les traces de notre Père et de nos aînés, continuer une tradition de famille.

Ce sera aussi donner un aliment substantiel et quotidien aux vertus les plus essentielles à notre état: l'humilité, la charité, la pauvreté, l'obéissance, la mortification, le détachement, l'esprit de sacrifice, l'espérance des biens éternels, et nous prémunir efficacement contre les trois grandes sources de corruption qui sont le mal du siècle 'et menacent de nous atteindre : l'aversion pour la vie obscure et laborieuse; l'horreur de tout ce qui fait souffrir, et l'oubli des choses célestes.

Bien que si opposée à l'esprit de l'Evangile, la soif de la notoriété ; l'ambition d'attirer les regards, d'être remarqué, forme depuis longtemps, mais aujourd'hui plus que jamais, la grande préoccupation de la généralité des gens du .siècle, et cherche même à s'insinuer dans l'esprit de beaucoup de religieux.

Or, le meilleur remède à lui opposer, n'est-ce pas la considération des mystères joyeux du Rosaire? Quel exemple des vertus contraires, dans cette sainte maison de Nazareth où ils nous introduisent! Là, dans la calme et la retraite, loin du bruit, du tumulte et de l'éclat des faux biens du monde, en dehors de toute préoccupation de l'estime ou du mépris des hommes, règnent la candeur, l'humilité, la simplicité, le respect mutuel, la charité réciproque, une perpétuelle concorde, la patience dans le travail, l'accomplissement intégral et avec une intention toujours pure de tous les devoirs d'état, si insignifiants ou si pénibles qu'ils soient. Peut-il y avoir pour nos Communautés un idéal plus admirable? Comment celui qui vit dans la familiarité d'un pareil spectacle pourrait-il se plaindre de l'obscurité de sa condition?

Un autre mal non moins grave du siècle où nous vivons, c'est l'horreur de la souffrance, la préoccupation obsédante de se soustraire, à tout prix et par n'importe quels moyens, à la douleur et à la peine. Or, quoi de plus propre à nous en garantir, à nous faire comprendre la nécessité du renoncement et du sacrifice, le rôle salutaire de la douleur volontairement acceptée en vue de Dieu, et à nous donner la force de la supporter patiemment quand la Providence nous l'envoie, que la considération habituelle des mystères douloureux de la vie de Notre-Seigneur et de sa très sainte Mère? « Quiconque — dit Léon XIII dans son encyclique du 8 septembre 1893 — contemplera fréquemment, non seulement des yeux du corps, mais par la pensée et la méditation, d'aussi grands exemples de force et de vertu, pourra-t-il moins faire que de concevoir le désir efficace de les imiter? »

Enfin, le troisième grand mal de la société contemporaine, dont nous devons chercher à nous garantir à tout prix, c'est l'oubli des choses éternelles, résultant de l'ardeur insensée avec laquelle on se porte à la recherche des biens du temps. Et c'est à quoi nous servira très utilement la considération des mystères glorieux, qui forment la dernière partie du Rosaire ; car il s'en dégage une lumière toute céleste à l'aide de laquelle nous découvrons ces trésors de beauté que notre œil ne peut voir, mais qui sont préparés à ceux qui aiment Dieu. Nous y apprenons que la mort n'est pas une destruction qui ne laisse rien après elle, mais le passage d'une vie à une autre, et que le chemin do ciel est ouvert à tous. Quand nous y voyons Jésus ressusciter et monter au ciel, nous nous rappelons sa promesse de nous y préparer une place; nous nous souvenons qu'il y aura un temps où Dieu séchera toutes nos larmes, où il n'y aura plus ni deuil, ni gémissement, ni douleur, où nous serons toujours avec le Seigneur, semblables à Dieu, parce que nous le verrons comme il est, enivrés du torrent de ses délices, concitoyens du ciel et de la bienheureuse Vierge notre Mère. Or, " comment une âme qui se nourrit de semblables pensées, dit encore Léon XIII dans la même encyclique, ne se sentirait-elle pas embrasée d'ardeur et ne s'écrierait-elle pas avec un grand saint: Que la terre me paraît vile quand je regarde le ciel! Comment ne se consolerait-elle pas, en songeant qu'une légère tribulation momentanée produit en nous un poids éternel de gloire? ,

F. FLAMIEN

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