Circulaires 136

Théophane

1879-12-13

C'est le premier Assistant qui annonce le décès du F. Louis-Marie.

136

51.04.01.1879

 V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval, le Samedi 13 décembre 1879.

        Nos Très Chers Frères,

C'est sous la douloureuse impression du grand sacrifice que le bon Dieu vient d'imposer à la Congrégation et à chacun de nous, que ces lignes vous sont adressées. Après la nouvelle, aussi foudroyante qu'inattendue, transmise à tous par notre récente lettre de faire part, nous devons à votre piété filiale envers les Supérieurs et à votre attachement à notre cher Institut, de vous faire connaître sans délai les circonstances qui ont précédé et suivi la mort d'un Supérieur à jamais vénéré,

Notre très aimé et très regretté Frère Louis-Marie était depuis longtemps un fruit mûr pour le ciel. Et le Ciel, jaloux, le ravit subitement à notre affection, sans le surprendre lui-même.

Comme s'il eût eu le pressentiment de sa fin prochaine, et dans la plénitude de la santé, il voulut célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, avec plus de solennité que jamais. Il semblait désirer couronner ainsi une vie remplie de travaux et de vertus, par un déploiement tout spécial de dévotion à la Sainte Vierge, dont toute la Communauté a été frappée et singulièrement édifiée.

Ce jour-là, 8 décembre, fête habituellement solennisée avec pompe dans toutes nos Maisons de Noviciat, il fit relire à la Communauté la Bulle par laquelle l'immortel Pie IX a proclamé le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Souvent, il en interrompait la lecture pour y ajouter de touchantes réflexions. Il s'appliquait surtout à faire ressortir la beauté des textes des Saints Pères et des expressions du Souverain Pontife.

Ces développements donnés, il prolongea son instruction, en commentant d'une manière admirable le Petit Office de l'Immaculée Conception, et en recommanda la fréquente récitation.

Quelque long que fût déjà cet entretien, il ne suffisait pas à sa piété envers Marie. Voulant faire pénétrer de plus en plus dans les cœurs de ses Frères, la dévotion qu'il ressentait en lui-même, il commenta l'hymne des Petites Heures de l'Office de la Sainte Vierge, attirant particulièrement l'attention sur la deuxième strophe : «Maria, mater, gratiae, etc. Ô Marie, mère de grâce, mère de miséricorde ! Défendez-nous contre nos ennemis et protégez-nous à l'heure de la mort. » Sur ces dernières paroles, il insista avec force, pressant, conjurant Juvénistes et Postulants, Jeunes Frères et Anciens, de se dévouer au culte de la Sainte Vierge, comme un moyen assuré de salut. « Mon désir le plus ardent, ajouta-t-il, est que la dévotion à la Sainte Vierge grandisse toujours dans l'Institut ! » Iltermina enfin cette intéressante et mémorable conférence, par ces paroles que notre pieux Fondateur lui avait dites en mourant : 

« COURAGE ! LA SAINTE VIERGE NE VOUS ABANDONNERA JAMAIS ! »

 Ce fut là son suprême adieu à la Communauté. qui l'écoutait, et à tous les Frères de l'Institut, qu'il embrassait dans sa pensée et dans ses sentiments.

Ainsi se passa la matinée de ce jour, remplie par l'assistance aux Offices de l'Eglise, et par l'instruction dont nous venons de parler.

Ce qui n'a échappé à personne, c'est que, tout ce jour-là, comme si le R. F. Supérieur eût eu l'intuition de la fin de son exil ici-bas, sa figure exprimait un contentement, une joie extraordinaire; et, le soir, aux Vêpres, il chanta de toute la force de sa voix.

A six heures et quart, moment où arrivèrent auprès de lui, pour le saluer, deux d'entre nous qu'il avait autorisés à faire un pèlerinage à Notre-Dame de Fourvière, il paraissait tout aussi dispos qu'il l'avait été durant le jour.

Les Frères Assistants se préparaient à le quitter, après un quart d'heure d'entretien, lorsqu'il les invita à voir, par ses fenêtres, le bel effet produit par l'illumination de la Maison-Mère et du Pensionnat Saint-Joseph. Il était six heures trois quarts, lorsque les Frères Assistants le quittèrent. Quelques instants après, le cher frère Tite, son secrétaire particulier, arrivait auprès de lui. Cette arrivée fût toute providentielle ; car à peine fût-il entré, qu'il vit le Révérend Frère se promener d'un pas incertain, et lui dit : « Mon Révérend, mais vous êtes mal ! » – « Oui, répondit-il, d'une voix affaiblie. » Aussitôt, il s'affaissait, et le cher frère Tite, le retenant, l'assit sur un fauteuil.

Appelés en toute hâte, les Frères Assistants accourent et trouvent notre cher Malade frappé d'apoplexie, et le côté gauche paralysé. A leurs questions, il répond : « Mais je ne sais pas ce que j'ai !… » Il les prie d'appeler son confesseur, le Révérend Père de Lalande.

En attendant l'arrivée du Prêtre et du Docteur, on lui prodigue tous les soins possibles. Il répond encore à tout ce qu'on lui demande, et il ne cesse de répéter cette invocation : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! » Il a pu parler tout à son aise à son Confesseur, qu'il a prié de ne plus le quitter. Mais, vers sept heures et quart, il ne donnait plus aucun signe de connaissance. Quoique le Révérend Frère ait demandé le bon Père de Lalande, ce n'est pas, comme on le pense bien, qu'il eût besoin de se confesser, ayant toujours été un modèle de sainteté. Mais les saints tiennent à se purifier même des moindres imperfections, conformément à ces paroles de l'Esprit-Saint : « Que celui qui est juste se justifie encore, et que celui qui est saint se sanctifie encore. » (Apoc., XXII, 11).

Souvent, dans la conversation particulière, il nous avait parlé du bonheur d'avoir un prêtre à côté de soi au moment de la mort. Cette faveur lui a été largement accordée, car le bon Père, dans sa charité bien connue, s'est empressé d'accéder à la demande de notre pauvre Malade. Il ne l'a pas quitté un seul instant, sauf le lendemain, pour aller dire la messe de communauté à son intention. Peu après l'attaque, il lui a administré le sacrement des mourants, et n'a cessé ensuite de lui suggérer, pour le cas, où notre cher Supérieur eût pu entendre ce qui se disait autour de lui, les pensées et les oraisons jaculatoires les plus consolantes.

Il va sans dire, qu'avec les secours spirituels, tous les soins temporels lui ont été prodigués ; mais, soins infructueux ! nos vœux et nos prières, non plus que nos larmes et nos besoins, n'ont pu changer les décrets de Dieu, qui le voulait auprès de lui.

Le lendemain, 9 décembre, à une heure vingt minutes de l'après-midi, il a rendu sa belle âme à Dieu, au moment où la Communauté terminait la récitation du chapelet à son intention et où nous finissions nous-mêmes de réciter autour de son lit, pour la troisième fois, la dernière invocation des litanies de la sainte Vierge : Regina sine labe originali concepta.

Pour la consolation de tous, nous devons ajouter qu'une bénédiction spéciale du Souverain Pontife a été demandée pour le Révérend Frère, par l'intermédiaire de Son Eminence le cardinal Howard, protecteur de notre Congrégation. Sa Sainteté a daigné envoyer cette bénédiction le jour même, par une dépêche conçue en ces termes. 

« LE SAINT PÈRE ENVOIE UNE PARTICULIÈRE ET PATERNELLE BÉNÉDICTION AU SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES FRÈRES DE MARIE ».

                                         Cardinal HOWARD.

 Cette mort, si inattendue la veille, mais que l'on voyait arriver d'un pas rapide, d'un instant à l'autre, le jour même, a plongé toute la Communauté dans une profonde affliction. Chacun comprenait la perte immense, la perte irréparable que faisait la Congrégation entière. Chacun sentait le vide qui se faisait parmi nous, au départ pour le Ciel du meilleur des Pères et du plus aimé des Supérieurs.

C'est au milieu de ce deuil universel, que peuvent seuls adoucir l'esprit de foi et la conformité à la volonté de Dieu, que se sont préparées les obsèques de notre cher Défunt. Elles ont eu lieu le jeudi 11, du courant. Jusqu'au moment des funérailles, un concours considérable de Frères n'a pas cessé d'entourer les restes vénérés du Révérend Frère. Nuit et jour, six membres de la Communauté se sont succédé autour du lit funèbre, récitant l'office des morts, le chapelet et autres prières.

C'est dans la salle capitulaire, tendue de noir et convertie en chapelle ardente, qu'avait été déposé le corps de notre cher Défunt, revêtu de son costume religieux, tenant dans ses mains sa croix de profession et son chapelet. Comme pendant sa vie, sa religieuse et douce figure, encadrée par ses cheveux blancs portait au respect, à la vénération. On sentait que l'on avait devant soi les précieux restes d'un saint. Aussi, quoique les larmes aux yeux, la douleur dans l'âme, était-on attiré à lui : on se plaisait à lui baiser les mains, à lui faire toucher des croix et autres objets de piété.

Une heure avant la cérémonie des funérailles, le corps de notre vénéré Défunt fut déposé dans une bière en plomb revêtue d'un fort cercueil en chêne.

Vers les dix heures, Monseigneur Pagnon, vicaire général, délégué par Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Lyon pour présider la cérémonie, fit la levée du corps et l'accompagna, après la messe, à sa dernière demeure.

Ce fut le R. P. Poupinel, assistant des Pères Maristes, venu de Lyon, avec plusieurs autres Pères, qui officia à la grand-messe.

Le cortège était composé des élèves de l'école communale et du Pensionnat Saint-Joseph, des notables de la localité, de nombreux ecclésiastiques et de Religieux de différentes Congrégations qui étaient venus se joindre à la Communauté.

Il nous reste, maintenant, nos très chers Frères, à beaucoup prier à l'intention de notre cher Défunt, bien que nous ayons tout lieu de croire qu'il jouit déjà de la béatitude éternelle. Vous vous êtes empressés, sans doute, de commencer, à cette fin, les prières présentes par la Règle. Nous reproduisons ici l'article où elles. sont indiquées.

 Art. 4. « A la mort du Frère Supérieur Général, il sera dit, dans la Maison où il réside ordinairement, trente messes basses pour le repos de son âme, et l'on dira le De Profundis pendant trente jours, après le dîner. On y fera un service au jour anniversaire de son décès. Dans les autres Maisons, on récitera le De Profundis pendant trente jours, et l'on fera dire trois messes, dont une chantée[1]. Chaque Frère de l'Institut offrira neuf communions pour le repos de l'âme du Supérieur défunt. La première de ces communions se fera, à la Maison-Mère, le jour même de l'enterrement, autant que possible, et, dans les établissements, le jeudi qui suivra la nouvelle de sa mort… L'office des morts à neuf leçons se dira, dans les établissements, le jeudi qui suivra la nouvelle de sa mort. »

Pour entrer dans les vues de notre cher et très regretté Défunt, redoublons de courage et promettons tous à Dieu de ne point nous laisser abattre. Armons-nous de confiance, élevons nos yeux et nos cœurs en haut et, selon l'expression de nos saintes Règles, voyons la divine Providence dirigeant tous les événements à sa gloire et au bien de ses Elus. L'Institut est l’œuvre de Dieu : Dieu le soutiendra.

Il est vrai que nous avons perdu un soutien, un guide sur la terre ; mais nous avons un protecteur de plus dans le ciel. Uni au Père Champagnat, à ses deux Assistants, le cher Frère Jean-Baptiste et le cher Frère Pascal, et à tous nos anciens Frères qui peuplent le ciel, il obtiendra que la sainte Vierge protège et développe un Institut établi sous son patronage et portant son nom béni.

Il nous laisse un héritage précieux, qui le fera revivre parmi nous aussi longtemps que durera la Congrégation : ce sont ses nombreuses et riches circulaires. Sans qu'il s'en soit douté, retraçant la vie ascétique qui nous est propre, il s'y est dépeint lui-même, de main de maître. C'est là que nous retrouverons ses vertus et ses exemples, aussi bien que ses avis et ses leçons ; car il n'enseignait et ne conseillait que ce qu'il pratiquait. Chacun pourra aisément reconnaître que sa conduite a été constamment en harmonie avec les trois mots qu'il adopta pour devise, en acceptant le généralat. 

PIÉTÉ, RÉGULARITÉ, CHARITÉ.

 « Le juste parle encore après sa mort. » (Héb., XI, 4). Ces paroles de l'Apôtre conviennent parfaitement à notre bien-aimé Supérieur. Oui, mort, il nous parle encore ! Il nous parlera éloquemment surtout par sa dernière circulaire, livrée à l'impression trois jours seulement avant son décès, circulaire que nous devons regarder comme son testament spirituel. Nous la recevons comme un trésor tombé du ciel. Jamais sujet ne pouvait mieux venir à la circonstance. Il nous parle de la SAINTETE, c'est-à-dire, de l'ensemble et du couronnement de toutes les vertus. Au moment où il termine sa laborieuse et vertueuse carrière, notre saint Supérieur nous lègue les nombreuses assurances de sainteté que nous avons dans notre sainte vocation. Quel puissant motif d'encouragement à remplir, avec générosité et constance, les devoirs qu'elle nous impose, surtout en présence de la brièveté de la vie et de l'insondable éternité !

Nous la conserverons donc comme le dernier témoignage que nous laisse notre saint Supérieur, de la tendre affection qu'il nous portait, du désir ardent qu'il avait de notre bonheur, et de ses efforts persévérants pour nous conduire au ciel.

Le Chapitre Général sera convoqué pour l'élection d'un nouveau Supérieur, conformément aux constitutions. Déjà les Frères de l'Océanie ont été invités, par dépêche, à envoyer au plus tôt leur député.

Vous comprenez tous l'importance de cette élection. Nous unirons donc nos prières et nos supplications, pour obtenir de Dieu, par l'intercession de Marie Immaculée, un Supérieur selon son cœur.

Veuillez croire au sincère attachement et au religieux respect avec lesquels nous sommes, en union de prières et en J. M. J., 

Nos Très Chers Frères,

Vos très humbles et très dévoués serviteurs. 

Les Frères Assistants

           F. THÉOPHANE, F. PHILOGONE, F. EUTHYME, F. FELICITE,

                F.NESTOR, F. PROCOPE, F. AVIT, F. NORBERT.

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[1]Messe chantée, et non office solennel.

 

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