Circulaires 32

François

1844-01-15

Circulaire du 15 janvier 1844 : Fidélité à la Règle. - Appendice à la Règle. - Testament spirituel du R. P.  Champagnat

51.01.01.1844.1

 Notre-Dame de l'Hermitage, le 15 janvier 1844.

   Nos Très Chers Frères,

Nous vous envoyons, comme il en a été convenu à notre dernière réunion, l'Appendice (de) la Règle que nous avons revu avec vous après la retraite. Les divers articles qui le composent ne sont pas tellement arrêtés qu'on ne puisse plus tard, y faire quelques modifications.  Après avoir fait tout ce qui est en nous pour les observer exactement, si l'expérience prouve qu'il s'y trouve des choses qui ne puissent pas généralement se pratiquer, on en fera l'observation et, tous ensemble, de concert avec le Révérend Père Supérieur, nous y ferons les changements qui seront reconnus indispensables. En attendant, nous devons les regarder, aussi bien que les autres articles de la Règle, comme l'expression de la volonté de Dieu, et les observer avec exactitude et fidélité.

A cette occasion, N. T. C. F., je vous renouvelle instamment la recommandation que je vous ai faite, toutes les fois qu'il m'a été possible, d'être en tout constamment fidèles à observer les Règles que le bon Dieu nous a données pour nous conduire. Vous le savez, toute la perfection d'un religieux consiste dans l'observation de ses Règles ; c'est même de là, d'après saint François de Sales, que dépend sa prédestination; c'est le seul moyen, ajoute saint Liguori, que Dieu lui ait donné de se faire saint et de se sauver. La force d'un religieux, dit Saint-Jure, est dans ses Règles, comme celle de Samson était dans ses cheveux ; c'est son bouclier et son épée contre ses ennemis ; c'est sa défense et sa consolation au moment de la mort : là est son honneur devant Dieu et devant les hommes ; là se trouvent son repos et sa joie. Ce n'est qu'aux âmes ferventes et régulières que sont réservées les consolations de la vie religieuse : la joie de la bonne conscience et le centuple du temps présent qui doit être. pour nous le gage de la gloire éternelle. Quant au religieux tiède et négligent, dit le pieux auteur de l'Imitation, il ne trouvera que tribulation sur tribulation, et, de quelque part qu'il se tourne, il ne rencontrera que peines et angoisses. Le religieux, ajoute-t-il, qui ne garde pas exactement sa Règle, est exposé au danger d'une grande ruine.

D'un autre côté, les Règles sont les appuis des communautés religieuses ; ce sont les colonnes qui les soutiennent, les nerfs qui leur donnent la vigueur et le mouvement. Les religieux, dit Saint-Jure, doivent imprimer profondément dans leur esprit que ceux qui sont les plus réguliers sont les piliers, les colonnes, l'ornement et la gloire des maisons religieuses; ce sont eux qui les conservent, les ennoblissent et leur attirent les grâces de Dieu et l'approbation des hommes.  Tant qu'une communauté est régulière, continue-t-il, elle jouit de la plus haute estime, elle édifie l'Eglise, elle rend à Dieu une très grande gloire et aux hommes de signalés services ; mais le relâchement vient-il à s'y introduire, dès lors, elle tombe misérablement dans l'opprobre, elle déshonore Dieu, scandalise l'Eglise et se rend non seulement inutile, mais même nuisible au prochain.

Ainsi, N. T. C. F., soit que nous voulions plaire à Dieu et nous perfectionner, soit que nous cherchions à être heureux et contents dans notre état, soit que nous désirions nous rendre utiles à la Congrégation dont nous sommes membres, il faut que nous nous attachions constamment à l'observation de nos Règles, et qu'à l'exemple de Notre Seigneur, nous en fassions notre aliment de chaque jour.

Aussi, N. T. C. F., nous ne croyons pas pouvoir mieux répondre aux vœux de bonne année que vous nous exprimez avec une sicordiale charité, qu'en priant Jésus et Marie de nous donner à tous cet esprit de régularité, cet amour de l'ordre et de la discipline religieuse.  Nous pouvons le dire, cette grâce précieuse, si nous l'obtenons du bon Dieu, mettra le comble à tous nos désirs, parce qu'elle nous procurera le seul vrai bonheur qu'il nous soit possible de goûter ici-bas, et nous donnera en même temps le gage le plus assuré de notre éternelle félicité.

 APPENDICE A LA RÈGLE

EXERCICES RELIGIEUX

 1. Depuis le commencement du mois de septembre jusqu'à Pâques, le lever des Frères est à cinq heures : à cinq heures un quart, la méditation; à cinq heures trois quarts, l'office; à six heures un quart, l'étude; le reste de l'année, on se lève à quatre heures.

2. Tous les samedis, après la méditation, on récitera les litanies de la sainte Vierge avec l'invocation: 0 Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous, pour demander la sainte vertu de pureté.

3. Hors le temps des récréations, on doit garder exactement le silence, à moins que l'obéissance, la charité ou la nécessité n'oblige de parler, et encore ne faut-il le faire qu'à voix basse et en peu de mots.

On gardera un silence très rigoureux depuis laprière du soir jusqu'à l'oraison du lendemain matin.

4. Le mercredi, après l'office du soir, et le dimanche, au moment désigné par le Frère Directeur, onfera une lecture de piété, pendant une demi-heure, dans Rodriguez ou dans l'HommeReligieux.

5. Dans les visites, on lira, au commencement du repas, quelques  versets du Nouveau Testament et, à la fin, quelques nombres de l'Imitation de Jésus-Christ.

6. Les Frères tâcheront de faire entrer quelques mots d'édification dans leurs entretiens, afin de ne pas perdre le souvenir de la sainte présence de Dieu, et de faire toutes leurs actions pour sa plus grande gloire.

 DEVOIRS ENVERS LES FRÈRES

 7. Les Frères se feront un devoir d'étudier les règles de la civilité, pour les pratiquer habituellement entre eux, et dans les occasions, avec les personnes du dehors.  Ils veilleront aussi à ce que les enfants les observent fidèlement.

8. Les Frères ne se permettront aucune familiarité ni aucun jeu de mains, tels que se pousser, se frapper, ou autre chose semblable.

9. Tous les quinze jours, et même tous les huit jours, s'il est nécessaire, les Frères se réuniront pour se concerter sur les besoins de l'Etablissement.

10. Toutes les lettres doivent être remises au Frère Directeur, sans qu'on se permette d'avertir ceux à qui elles sont adressées, à moins que l'on ne reconnaisse que ce sont les Supérieurs eux-mêmes qui écrivent.

11. Pour que les lettres des Supérieurs, adressées aux Frères en second, puissent être facilement reconnues par le Frère Directeur, celui qui écrit mettra au dos de la lettre les initiales de son nom avec son parafe.

12.  Si l'on manque plusieurs fois de faire, à l'heure fixée et en public, la méditation du matin, la prière du soir et l'examen, ou de dire l'office, les Frères devront en avertir les Supérieurs.

13. Pour faire usage de tabac ou de lunettes, il faut une permission positive du Supérieur, qui ne l'accordera que sur l'attestation du médecin.

Celui qui aura obtenu la permission de prendre du tabac, ne doit en présenter à personne.

 DEVOIRS ENVERS LES ENFANTS

 14. Toute espèce de jeu lucratif sera proscrit parmi les enfants, et à plus forte raison parmi les Frères.

15. Il faut, autant que possible, qu'un enfant soit fourni de tous les livres nécessaires, avant d'être admis à une classe ou à une division supérieure.

16. Un Frère en second ne peut ni recevoir un enfant pour la classe, ni l'en éloigner, sans la permission du Frère Directeur.

17. Les Frères n'admettront dans leurs maisons ni pensionnaires, ni demi-pensionnaires, à moins qu'ils n'en aient préalablement obtenu la permission par écrit. ,

18.  Les Frères ne permettront pas à leurs élèves de jouer aux cartes : à plus forte raison, ne pourront-ils pas y jouer eux-mêmes.

19. Les Frères ne pourront se baigner ni faire baigner leurs 'élèves que dans les baignoires ordinaires ou dans un bassin préparé à cet effet.  Cet article est de rigueur.

20. On ne recevra pas les enfants avant les classes et on ne les gardera pas après, soit par punition, soit pour les faire travailler.

 DEVOIRS ENVERS LES PERSONNES DU DEHORS

21. Les Frères ne doivent entretenir aucun rapport ni aucune liaison avec ceux qui sont sortis de la Société, mais ils se montreront toujours honnêtes et charitables à leur égard.

 22. Le Frère Directeur réglera ses comptes avec les personnes du dehors tous les trois  mois, et tâchera de les solder en même temps. Il en aura toujours le double à la maison.

23. Les Frères n'entretiendront aucun rapport avec, les communautés de personnes du sexe, qui pourraient se trouver dans les paroisses où ils sont employés.

Ils ne se serviront pas de ces personnes pour faire blanchir leur linge, le raccommoder, faire leurs provisions, etc.

24. Il est défendu aux Frères Directeurs de faire aucune visite sans que les Frères en second en soient prévenus, et sans qu'ils soient accompagnés par l'un d'eux.

25. Les Frères ne doivent pas prendre leur récréation avec les séculiers, ni permettre que ceux-ci la prennent dans l'Etablissement ou ses dépendances.

 SOIN DU TEMPOREL

 26. Le Frère Directeur de chaque Etablissement s'entendra avec le Frère Visiteur pour l'entretien du mobilier ; il n'achètera rien sans sa permission, à moins que ce ne soit des objets de première nécessité.

27. Les Frères de Marie ne feront pas tapisser leurs appartements.

28. Il n'est pas permis aux Frères de prêter de l'argent.

29. On exigera, pour les faux frais, un franc cinquante centimes dans la grande classe et un franc dans la petite. On fera en sorte de les faire payer en entrant.

30. Les livres pour prix ne doivent pas être à la charge des Frères ; ils n'ont absolument, à cet égard, d'autre permission que celle qui est accordée par l'article 26 du § IV du chap.  V de la Règle.

31. Les livres pour prix seront achetés à la Maison-Mère, ou bien la liste en sera préalablement soumise au Frère Directeur Général.

32. A Noël et à Pâques, le Frère Directeur de chaque Etablissement, en écrivant à la Maison-Mère, fera connaître le total de ses recettes et de ses dépenses.

33. Lorsque les communes ou quelques bienfaiteurs voudront avoir un Frère de plus dans un Etablissement, il faut qu'ils en fassent eux-mêmes la demande et qu'ils en assurent le traitement ; le mobilier et les frais de fondation doivent être préalablement payés.

34. Les Frères doivent faire renouveler de temps en temps la permission qu'ils auraient obtenue d'avoir à leur usage personnel des objets qui ne sont pas d'un usage général, tel qu'étui de mathématiques, reliquaire, etc.

 RÈGLES PARTICULIÈRES

 35. Autant que possible, à l'époque des vacances, les Frères de chaque Etablissement arriveront ensemble avec le Frère Directeur, à la Maison-Mère.

36. Pour s'appliquer à des matières d'étude autres que celles qui sont mentionnées dans la Règle, chap. 1ier, art. 1ier  ; chap. VI, art. 19, il faut une permission positive et par écrit du Supérieur. 37. Dans chaque Etablissement, on fera en sorte d'obtenir de MM. les Curés une messe du Saint-Esprit pour l'ouverture des classes.

 TESTAMENT SPIRITUEL

 de Joseph-Benoit-Marcellin CHAMPAGNAT,

Prêtre, Supérieur et Fondateur de la Société des  Petits Frères de Marie.

décédé à Notre-Dame de l'Hermitage sur Saint-Chamond (Loire),

le samedi, 6 juin 1840.

          Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.  Ainsi soit-il.

Ici, en la présence de Dieu, sous les auspices de la très sainte Vierge et de saint Joseph, voulant faire connaître à tous les Frères de Marie, l'expression de mes dernières et plus chères volontés, je recueille toutes mes forces pour rédiger, selon que je le crois le plus conforme à la volonté divine et le plus utile au bien de la Société, mon Testament spirituel.

D'abord, je supplie très humblement tous ceux que je pourrais avoir offensés ou scandalisés en quelque manière, quoique je ne sache pas avoir fait volontairement de la peine à personne, de vouloir bien me pardonner en considération de la charité infinie de Notre Seigneur Jésus-Christ, et d'unir leurs prières aux miennes pour obtenir du bon Dieu qu'il daigne oublier les péchés de ma vie passée, et recevoir mon âme dans son infinie miséricorde.

Je meurs, plein de respect, de reconnaissance et de soumission pour M. le Supérieur Général de la Société de Marie et dans les sentiments de la plus parfaite union pour tous les membres qui la composent, spécialement pour les Frères que le bon Dieu avait confiés à ma sollicitude, et qui ont toujours été si chers à mon cœur.

Je désire qu'une entière et parfaite obéissance règne toujours parmi les Frères de Marie, que les inférieurs envisagent dans les Supérieurs la personne de Jésus Christ, leur obéissant de cœur et d'esprit, renonçant toujours, s'il est besoin, à leur volonté et à leur jugement propres.  Qu'ils se souviennent que le religieux obéissant remportera des victoires et que c'est l'obéissance principalement qui est la base et le soutien d'une communauté.  Dans cet esprit, les Petits Frères de Marie se soumettront aveuglément, non seulement aux premiers Supérieurs, mais encore à tous ceux qui seront préposés pour les diriger et les conduire.  Ils se pénétreront bien de cette vérité de foi, que le Supérieur représente Jésus-Christ, et qu'il doit être obéi quand il commande, comme si c'était Jésus-Christ lui-même qui commandât.

Je vous prie aussi, Mes Bien Chers Frères, de toute l'affection de mon âme et par toute celle que vous avez pour moi, de faire en sorte que la sainte charité se maintienne toujours parmi vous.  Aimez-vous les uns les autres comme Jésus-Christ vous a aimés.  Qu'il n'y ait entre vous qu'un même cœur et un même esprit.  Qu'on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : Voyez comme ils s'aiment !… c'est le vœu de mon cœur le plus ardent, à ce dernier moment de ma vie. Oui, mes très chers Frères, écoutez les dernières paroles de votre Père; ce sont celles de notre bien aimé Sauveur : Aimez-vous les uns les autres.

Je désire, Mes Bien Chers Frères, que cette charité, qui doit vous unir tous ensemble comme les membres d'un même corps, s'étende aussi à toutes les autres Congrégations.  Ah ! je vous en conjure par la charité sans bornes de Jésus-Christ, gardez-vous de jamais porter envie à personne et surtout à ceux que le bon Dieu appelle a travailler comme vous, dans l'état religieux, à l'instruction de la jeunesse. Soyez des premiers à vous réjouir de leurs succès et à vous affliger de leurs disgrâces. Recommandez-les souvent au bon Dieu et à la divine Marie. Cédez-leur sans peine. Ne prêtez jamais l'oreille à des discours qui tendraient à leur nuire.  Que la seule gloire de Dieu et l'honneur de Marie soient votre unique but et toute votre ambition.

Comme vos volontés doivent se confondre avec celles des Pères de la Société de Marie, dans la volonté d'un Supérieur unique et général, je désire que vos cœurs et vos sentiments se confondent aussi toujours en Jésus et en Marie. Que leurs intérêts soient les vôtres, que votre plaisir soit de voler à leur secours, toutes les fois que vous en serez requis.  Qu'un même esprit, un même amour vous unisse à eux comme des branches à un même tronc et comme les enfants d'une même famille à une bonne mère, la divine Marie. Le Supérieur Général des Pères l'étant également de la branche des Frères, doit être le centre d'union des uns et des autres. Comme je n'ai eu qu'à me louer de la soumission et de l'obéissance que m'ont toujours montrée les Frères de Marie, je désire et j'entends que le Supérieur Général trouve toujours la même obéissance et la même soumission. Son esprit est le mien et sa volonté est la mienne. Je regarde cet accord parfait et cette soumission entière comme la base et le soutien des Frères de Marie.

Je demande encore au bon Dieu, et je souhaite, de toute l'affection de mon âme, que vous persévériez fidèlement dans le saint exercice de la présence de Dieu, l'âme de la prière, de l'oraison et de toutes les vertus. Que l'humilité et la simplicité soient toujours le caractère des Petits Frères de Marie. Qu'une dévotion tendre et filiale vous anime dans tous les temps et dans toutes les circonstances pour notre bonne Mère. Faites-la aimer partout, autant qu'il vous sera possible.  C'est elle qui est la première Supérieure de toute la Société. Joignez à la dévotion à Marie la dévotion au glorieux saint Joseph, son très digne époux. Vous savez qu'il est un de nos premiers patrons. Vous faites l'office d'anges gardiens auprès des enfants qui vous sont confiés: rendez aussi à ces purs esprits un culte particulier d'amour, de respect et de confiance.

Mes Très Chers Frères, soyez fidèles à votre vocation, aimez-la et persévérez-y avec courage.  Conservez-vous dans un grand esprit de pauvreté et de détachement. Que l'observation journalière de vos saintes Règles vous préserve de manquer jamais au vœu sacré qui vous lie à la plus belle, et à la plus délicate des vertus ! Il y a des peines pour vivre en bon religieux ; mais la grâce adoucit tout. Jésus et Marie vous aideront, d'ailleurs la vie est bien courte et l'éternité ne finira jamais. Ah ! qu'il est consolant, au moment de paraître devant Dieu, de se rappeler qu'on a vécu sous les auspices de Marie et dans sa Société ! Daigne cette bonne Mère vous conserver, vous multiplier et vous sanctifier !… Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communication du Saint-Esprit soient toujours avec vous ! Je vous laisse tous avec confiance dans les Saints Cœurs de Jésus et de Marie, en attendant que nous puissions nous réunir tous ensemble dans la bienheureuse éternité.

Telle est ma volonté dernière et expresse pour la gloire de Jésus et de Marie.

Le présent Testament spirituel sera remis entre les mains de M. Colin, Supérieur Général de la Société de Marie.

Fait à Notre-Dame de l'Hermitage, le dix-huit mai mil huit cent quarante, en présence des témoins soussignés .

 Le Supérieur et Fondateur des Petits Frères de Marie

JOSEPH-BENOIT-MARCELLIN CHAMPAGNAT,prêtre,

F. François, F. Louis-Marie, F. Jean-Marie,

F. Louis, F. Stanislas, F. Bonaventure. 

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