La prière : sommet de la spiritualité de Marcellin Champagnat

Jacques Larouche, fms

2007

Depuis sa tendre enfance, Marcellin Champagnat a vécu dans une atmosphère de tendresse, de foi et de pratique profondément religieuse. Dans sa famille, on aimait prier, prier beaucoup, et bien prier. On se réunissait pour la récitation du chapelet, la prière du soir et on écoutait pieusement la lecture de la vie des Saints. Sa tante Rose, religieuse chassée de son couvent, facilitait cette ambiance spirituelle. Plus tard, Marcellin vouera une profonde reconnaissance à cette humble femme qui a garni son âme de convictions profondes. A l’époque où l’irréligion faisant des progrès, Marcellin apprenait la vie de famille, le travail en commun et la prière. Tout ce vécu familial va modeler son futur projet de fondation d’un institut pour aider les jeunes en difficultés et surtout peu catéchisés.

Pour mieux illustrer comment Marcellin a inspiré à ses Frères son esprit de prière dont il était bien imprégné, examinons en bref les points de Règles ou de Constitutions contenant les différentes prescriptions sur la prière. Il est intéressant de constater l’évolution de cet esprit de prière à travers la refonte des règles qui se produisait au moment des chapitres généraux. Comment le P. Champagnat s’est-il pris pour inculquer à ses Frères l’importance et la nécessité de prier pour rester en relation constante avec Dieu? Nos Règles nous livrent une réponse intéressante.

C’est en1837(Règle des Petits Frères de Marie, A Lyon, Imprimerie de F. Guyot, 1837) que Marcellin consent à imprimer les premières règles soigneusement et longuement préparées et si prudemment expérimentées, et c’est petit à petit qu’un ensemble de prescriptions sera mis en vigueur pour devenir l’ossature de la future Règle. Le groupe devenant plus nombreux, l’organisation devenait nécessaire. Déjà en 1824, on retrouve l’usage de réciter le Pater, l’Ave Maria et le De Profundis le dimanche après les vêpres; la récitation de la prière de l’heure; le psaume Miserere à la fin de la prière du soir et le Salve Regina après la messe. En 1825, l’usage de célébrer solennellement les cinq principales fêtes de la Sainte Vierge est introduit, ainsi que le chant des offices de la semaine sainte et la procession du St-Sacrement dans la propriété. En 1830, c’est le chant ou la récitation du Salve Regina avant la prière du matin et la coutume de terminer les exercices de piété par la récitation du Sub tuum. Tous les samedis, après la méditation, on récitait les litanies de la Sainte Vierge. La multiplication de ces divers exercices montre bien l’importance de trouver par tous les moyens une façon de vivre la présence de Dieu en toute chose. On pourrait croire que c’est là un emploi de beaucoup de formules les unes à la suite des autres, mais il faut comprendre qu’à cette époque les jeunes Frères étaient peu instruits, et  que c’était là pour eux un bon moyen de rester en état de prière. Le code définitif va se compléter  d’année en année pour, en bout de ligne, être imprimé en 1837. Cela  marquera un moment décisif dans l’histoire de l’Institut.

D’autres retouches concernant des points de Règles se sont avérées nécessaires et, en 1852, il sera désormais question de Règles Communes. Des ajouts apparaissent dans le chapitre II; on y présente onze articles sur les exercices de piété dont le premier précise le but de ces exercices : «Les Frères regarderont les exercices de piété comme le moyen d’éviter le péché et de corriger leurs défauts suivant ce mot de l’Apôtre : la piété est utile à tout». (Tim, 4,8) art. 1 p. 4  Règles communes de l’institut des Petits Frères de Marie, Lyon, Imp. Ant. Perisse, 1852. Des précisions sur l’oraison viennent intensifier le besoin de prier : «Ils ne doivent rien tant désirer que l’esprit de prière et le don d’oraison; car, qui sait bien prier, sait bien vivre, dit saint Augustin. » (Art. 2) p. 4.  Pour atteindre ce but, on ajoute la pratique de dix minutes d’examen particulier pour acquérir la pureté d’âme; un quart d’heure de lecture spirituelle; la récitation de l’office de la Sainte-Vierge; le chapelet deviendra  la prière chérie des Petits Frères de Marie et, s’il y a relâchement dans ces exercices, les Frères demanderont quelques jours de retraite afin de se renouveler dans la piété et l’esprit de prière. 

En 1893, on ne retrouve aucun changement notable. Les articles demeurent au même nombre et le texte sur les exercices de piété est conforme aux Règles de 1852.

En 1903, nous ne parlons plus de Règles comme telles, mais des Constitutions de l’Institut des Petits Frères de Marie. (Lyon, Imprimerie X. Jevain, 1903)

C’est au chapitre XIV que l’on retrouve le titre suivant : «Des exercices de piété et des vertus auxquelles les Frères doivent plus particulièrement s’appliquer». Les articles sont au nombre de 7 soit de 67 à 73.  A l’article 71, le silence s’ajoute en sus à tous les exercices de piété déjà mentionnés dans les Règles précédentes. Plus loin, l’article parle du grand silence qui sera gardé plus rigoureusement depuis la prière du soir jusqu’après la méditation du lendemain matin afin de rester en attitude de prière.

Au chapitre général de 1920, on donne un autre nom à nos Règles soit : Constitutions de l’Institut des Frères maristes des écoles ou Petits Frères de Marie. (Turin, Vincenzo Bona, Imprimerie S.M. 1922) Le titre du chapitre XIV subit une autre transformation et s’intitule: «des moyens de sanctification et des vertus». Le nombre d’article est le même que dans les Constitutions de 1903. La seule différence que l’on constate c’est à l’article 68 où l’on précise que les exercices de piété doivent se faire en communauté. Tous les autres articles sont demeurés les mêmes qu’en 1903.

Le chapitre général de 1946 redonne le même nom de nos Règles qu’en 1852. (Règles communes de l’Institut des Petits Frères de Marie. (Economat général, St-Genis-Laval (Rhone) 1950. Au chapitre II, on revient avec le titre: «les exercices de piété». On y lit 18 articles dont 2 ont été retouchés et, dans  le dernier article, le no 18,  on remarque un ajout concernant les maisons provinciales, de retraite et de formation. Ce qui est frappant dans les présentes Règles de 1946, c’est de constater qu’on retrouve les mêmes articles qu’en 1893 à l’exception de deux ajouts, soit à l’art. 13…«Les Frères feront tous les jours dix minutes d’examen de conscience». Et l’art. 14 précise d’utiliser «les ouvrages de lecture spirituelle désignés par le Calendrier religieux ou approuvés par le Provincial…» Enfin, à l’article18, un exercice de piété s’ajoute pour les maisons provinciales, les maisons de retraite et de formation :  « le chemin de Croix le vendredi. »

Le chapitre de 1958 apporte également sa couleur que nous retrouvons dans : Règles communes des Frères maristes des écoles ou Petits Frères de Marie.(économat général, 1960) Le chapitre XXI s’intitule : « exercices de piété », comprenant les art. 239 à 250. L’art. 239 apporte une précision : «Les Frères désireront ardemment l’esprit de prière et le don d’oraison. De ce point important dépend, en grande partie, la conduite de leur vie; elle sera bien ou mal réglée selon qu’ils s’acquitteront bien ou mal de leurs exercices de piété».

Les autres articles sont presqu’identiques à ceux du chapitre général précédant, soit celui de 1946. Il faut cependant signaler quelques adaptations comme le choix du sujet de méditation; il pourra être personnel de temps en temps au lieu d’un sujet lu à haute voix. Même remarque pour la lecture spirituelle qui devient personnelle et devra se faire en communauté. Une autre adaptation importante est celle de l’Office de la Sainte-Vierge; on pourra continuer de le réciter en latin mais aussi en langue vulgaire suivant l’alternance déterminée par le Coutumier (mot à définir). Le seul ajout est l’art. 249 où l’on demande de faire en communauté une visite au St-Sacrement à l’heure prévue par le coutumier.

Peu de temps après l’élection de Jean XXIII, un événement ecclésial vient bouleverser le monde catholique : le Pape fait l’annonce d’un décret ouvrant le  concile Vatican II. Pour le chapitre de 1968, c’était devenu un incontournable; l’Institut devait appliquer aux nécessités de notre temps la Constitution dogmatique Lumen Gentium et le Décret Perfectae Caritatis, sans oublier l’esprit des autres documents de Vatican II touchant la vie religieuse.
En toute obéissance aux directives du Saint Père, la révision de nos livres normatifs : Constitutions, Règles communes et Règles du Gouvernement. L’assemblée du chapitre de 1968 a conservé tout ce que les anciennes Règles renfermaient de stable et de fondamental. Les membres du chapitre ont seulement voulu rénover et adapter tous les documents normatifs à l’esprit de notre temps. Ce travail colossal a produit des résultats fort intéressants notamment en ce qui a trait à l’adaptation de nos Constitutions aux besoins des jeunes et du monde moderne.

Regardons particulièrement la section I de nos Règles intitulée : « Notre service de Dieu dans la prière » et scrutons la vision donnée par les capitulants dans chacun des articles.

Tout ce qui concerne  nos exercices de piété  est concentré dans les articles 34 à 41; nous verrons que la terminologie est adaptée aux courants modernes de prière de notre temps. L’article 34 parle de l’exigence de la prière théologale;  l’art. 35 souligne les aspects de notre prière; l’art. 36 exprime l’idée de centrer notre journée autour de l’Eucharistie; l’art. 37 fait ressortir la prière du corps mystique à l’aide de la récitation de l’Office divin; l’art. 38 souligne la révélation de la Parole dans un message vivant, incisif et efficace à travers les livres sacrés; l’art. 39 fait appel à une vie religieuse plus personnalisée en insistant sur  la vigilance spirituelle, l’examen de conscience quotidien,  la réception du sacrement de Pénitence. Ce chapitre mentionne la direction spirituelle bien que cette dernière était pratiquée aléatoirement. L’art. 40 nous propose Marie comme modèle de prière, un aspect qui est en quelque sorte notre héritage mariste; puis, l’art. 41 nous présente un devoir de piété filiale envers notre Fondateur selon le contenu du testament spirituel.

Cet effort d’adaptation insuffle un grand renouveau spirituel à la vie de prière des Frères. Le chapitre général n’a rien négligé pour que l’application de ces nouvelles Règles trouve un écho favorable dans tout l’Institut. Elles ont été déposées à titre Ad experimentum avec un instrument d’application appelé : le Directoire des Frères maristes des Écoles et des Petits Frères de Marie. Les articles 11 à 40 de ce Directoire exposent le pas à pas de la vie de prière et communautaire des Frères.

Les textes du XVIIe Chapitre général de 1976 poursuivent la rénovation et l’adaptation de la vie de prière. On parle maintenant d’un chemin d’unification à partir de la vie de prière avec une nuance plus personnalisée. Chaque Frère devient responsable de sa vie de prière. C’est à lui de faire une bonne lecture des signes des temps, des appels de Dieu et de voir aux orientations pratiques de sa propre croissance spirituelle. On insiste sur un effort d’unité de prière au plan communautaire. L’art. 49, page 90,  le souligne en ces termes : «L’unification de notre vie de prière consiste à redécouvrir et à vivre d’une manière actuelle la méthode du Père Champagnat, à savoir la présence de Dieu et le dynamisme de l’engagement apostolique, à l’œuvre de Dieu avec les attitudes de Marie».

En parcourant tous les ajustements, les ajouts et les adaptations des Règles des Frères maristes sur la vie de prière, on peut avancer l’idée que les exercices de piété sont devenus une vie de prière ou la prière dans la vie. Une telle pratique devient plus incarnée et plus efficace pour assurer la croissance spirituelle. A titre d’exemple, faisons l’expérience de prier et de contempler le chapitre de la vie de prière tiré des présentes Règles des Frères maristes en utilisant une méthode bien particulière.

En communauté, il y a des moments quotidiens et hebdomadaires bien prévus et suffisamment prolongés pour nous cultiver un esprit de prière et consacrer du temps à Dieu. Sauf que, parfois, nos habitudes de prières ne nous donnent pas toujours une satisfaction personnelle dans  la pratique.  C’est que les prières communes et la prière personnelle ne sont pas suffisamment liées et complémentaires.

Si nous voulons aller plus loin dans notre croissance spirituelle, il faut chercher des avenues nouvelles à notre prière quotidienne, des chemins plus contemplatifs liés à la méditation et une spiritualité plus articulée aux exercices de piété. La prière personnelle et les prières communautaires doivent constituer une unité relationnelle avec le Dieu de notre cœur.

À l’aide de l’anthropologie spirituelle, cest-à-dire, cette connaissance de l’humain qui s’ouvre à Dieu1, et grâce à l’action du Centre Ephata2, appelé l’Institut de théologie spirituelle Ephata et né dans le nouvel horizon ouvert par l’anthropologie spirituelle3,  nous pouvons découvrir une voie dynamique à notre spiritualité.

Son programme, centré sur la personne, sa méthodologie propre à l’autodidaxie, son accompagnement assisté et sa démarche pédagogique vise à ouvrir (ephata) le cœur à une grande réalité surnaturelle. Ce centre de formation privilégie une pédagogie d’intégration qui fait appel à divers niveaux de la conscience et sollicite particulièrement l’esprit et le cœur.

En parcourant attentivement le chapitre de la prière des Constitutions de l’Institut des Frères maristes4 nous mettrons à profit cette pédagogie intégrative. La vie de prière décrite au chapitre IV sera prise en compte avec cette philosophie d’intégration. Le chapitre comprend : des exercices de piété, l’union à Dieu, un culte pour deux principaux modèles de vie de prière : Marie et Champagnat, l’Eucharistie comme centre de vie. Il s’en dégage que la responsabilité du religieux est de devenir un homme de prière par l’oraison, la méditation de la Parole de Dieu afin de vivre une spiritualité constamment en mouvement de progression d’amour pour celui qui est Amour.
Un choix de méthode s’imposait afin d’avoir un regard rigoureux et en même temps fort simple. Dans un but d’intégration telle que décrit plus haut, on se donne un temps de prière et de contemplation sur chacun des articles et comme la machine à penser prend souvent beaucoup de place, un mot sacré5, en lien avec le fond de l’article, nous ramène à l’essentiel soit : écouter Celui qui a quelque chose à nous dire.

L’usage du mot sacré préconise une manière d’imiter le style gréco-byzantin. Ce sont les orthodoxes qui ont popularisé cette formule de prière, basée sur l’invocation du nom même du Sauveur et désignée comme «la prière de Jésus». Il s’agit de répéter le nom de Jésus qui en constitue le cœur et la force. En utilisant le mot sacré, on se rapproche de ce mode de prière ancienne.

Une autre étape consiste à écrire les remontées du cœur profond, à enregistrer les interrogations et à terminer la contemplation en laissant monter une prière spontanée ou une autre prière en lien avec le sujet de l’article.
Ce procédé permettra de découvrir si les prières demandées par nos Constitutions traduisent et  influencent la vie de prière ou si elles viennent éclairer une manière d’entrer en soi-même, de converser avec Dieu et d’établir une relation avec les autres et avec la création toute entière.

Cette démarche inspirera-t-elle un souffle nouveau de spiritualité? La vie de prière des Constitutions peut-elle être un chemin pour rejoindre la source intérieure et déboucher sur une spiritualité pour le cœur profond lequel a besoin de l’oraison, du silence intérieur et de la contemplation pour que nous soyons présents  à la Présence? Cette même démarche produira-t-elle  les effets recherchés en vue de la croissance de la prière personnelle?

Libre au lecteur de vivre une telle expérience de prière pour développer le goût de l’oraison du silence intérieur qui «est la pierre angulaire d’un engagement total à vivre la dimension contemplative de l’Évangile6» et de croitre spirituellement.

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Jacques Larouche, fms, Un saint pour notre temps, Thèse de doctorat en Anthropologie spirituelle, Éditions  Ste-Claire,  Québec , 2007,  257 pp.

1 SIMARD,  Jean-Paul; DUFOUR, Simon. Ephata, (la spiritualité du cœur). Ed. Anne Sigier, 2003 p. 180

2 SIMARD,  Jean-Paul; DUFOUR, Simon. Ephata, (la spiritualité du cœur). Ed. Anne Sigier, 2003 p. 23

Ephata est un mot-symbole que nous utilisons pour désigner louverture nécessaire permettant daccéder à la spiritualité que nous proposons. Au -delà du symbole, le terme a aussi ce rôle de nous introduire aux divers aspects de la spiritualité du cœur. Nous insistons cependant pour dire quil ne sagit dans cet ouvrage que dune introduction à la spiritualité du cœur et non pas dun traité. Nous entendons développer davantage cette spiritualité dans des ouvrages ultérieurs.

3 SIMARD,  Jean-Paul; DUFOUR, Simon. Ephata, (la spiritualité du cœur). Ed. Anne Sigier, 2003 p. 180

4 Constitutions et Statuts des Frères maristes des Écoles ou Petits Frères de Marie, Rome, le 8 décembre 1986

5 KEATING, Thomas. Prier dans le secret, Ed. La table ronde, Paris, 2000 p. 72
Le mot sacré est un moyen de laisser s’estomper toutes les pensées. Cela permet à nos facultés spirituelles,    attirées qu’elles sont vers le silence intérieur, d’aller spontanément dans cette direction. Cela ne demande     aucun effort, simplement le désir profond de laisser de côté nos préoccupations habituelles.

6 KEATING, Thomas. Prier dans le secret, Ed. La table ronde, Paris, 2000 p. 188

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