Lettres Ă  Marcellin

Père Jacques Fontbonne

1837-08-19

A.M.D.G. et D.G.
Saint-Louis, le 19 août 1837.
Mon cher Monsieur Champagnat,
[1] Votre lettre, datée du 16 mai, est arrivée à Saint Louis le jour de lAssomption de la Vierge, notre bonne Mère, et ma été rendue le lendemain au soir. Au clair de la lune même, ayant distingué la bonne Vierge su votre cachet, mon coeur a tressailli de joie. Marie, ai-je dit dans mon coeur, vous qui êtes la lune des pécheurs dans la nuit de leurs iniquités, venez les éclairer. Jentre précipitamment dans la chambre dun de mes Confrères, et ayant lu votre lettre jusquà lendroit où vous manifestez le souhait de venir jusquà moi, je nai plus pu modérer mon transport, je ne fais quun saut à la cour, où lEvêque prend le frais, car après avoir porté la chaleur du jour, nous sommes bien aises de prendre le frais du soir. Je lui mets votre lettre dans la main. Il faut que je vous dise quil y a peu de jours que jai écrit à M. Cholleton, pour le prier de vous demander quatre de vos Frères, et lEvêque a apostillé ma lettre. La nuit se passe dans une agitation de joie, mais inquiet sur les réflexions de lEvêque, auquel je navais jamais découvert que jeusse été dans votre Société, et que jy tinsse encore. Au matin, dès que je le puis convenablement, jentre dans son appartement, et jetant un regard sur moi, telles sont ses paroles: Mon cher ami, je suis religieux moi-même, dites à vos Pères de venir ici pour diriger les Frères, il y a beaucoup de bien à faire, je leur donnerai une belle et vaste mission, mais les peines, vous le savez, ne leur manqueront pas. (Ici il entre dans de grands détails sur létablissement des Jésuites et sur la conduite de Mgr. Dubourg). La Providence se sert de tout pour le bien et permet que ceux qui doivent être amis se séparent, afin que lEvangile se propage (ici il cite plusieurs exemples). Jai soupçonné que M. Odin lui a donné des détails sur moi et sur notre Société, et que MM. les Lazarites lont déterminé à demander les Maristes. Il ny a pas deux mois que lEvêque a cédé un bel appartement à un prêtre américain, qui aurait fait à merveille pour les Frères. Je lui avais déjà communiqué mon idée, mais il semblait un peu froid, tandis quà présent, il en fait son affaire. Jespère que Maire, qui a reçu des honneurs dans ce lieu, car cétait une de ses chapelles, le rendra elle même aux Frères de Marie.
En attendant, lEvĂŞque va louer Ă  perpĂ©tuitĂ© un terrain sur la cĂ´te, mais encore dans la ville, dun bon Irlandais, qui nen demandera quune rente de 100 piastres par an (500 fr), tandis que cela en vaut plus de 200 (1000 fr). Mais sans ressources, comment faire pour y bâtir une maison. Marie elle mĂŞme la bâtira, et nenvoyez pas vos Frères avant que je vous Ă©crive quelle est bâtie, et je ne tarderai pas de vous envoyer cette nouvelle. M. Berthel et et MM… Doual ont lu votre lettre avec beaucoup de plaisir, ils sont pleins dardeur. Le dernier a une classe qui se compose de plus de 60 enfants. Il comptait recevoirvos Frères dans lappartement quil occupe, en y faisant des rĂ©parations, mais qui compte sans son hĂ´te, compte deux fois, la vieille Ă  qui appartient cet appartement, et Ă  qui il donne chaque annĂ©e 275 piastres na pas voulu quon fit les rĂ©parations. Ils vont en faire bâtir une sur le terrain du bon Irlandais, avec largent de leurs amis. Ils ont dĂ©jĂ  arrĂŞtĂ© ceux qui doivent faire louvrage, et parlent de cela comme de rien. Dans ce pays, les choses se font toutes de la sorte, dailleurs, en utilisant le reste du terrain, ils se feront un revenu de plus de 50 piastres par mois, pour peu que produise leur classe, ils seront Ă  loisir, dailleurs, jen reviens toujours Ă  ceci: cest laffaire de Marie qui ouvrira des ressources plus grandes encore. Faites vous mĂŞme des efforts pour leur procurer quelques ressources, cest Ă  prĂ©sent quil faut faire appel aux braves personnes qui vous entourent. Je suis entrĂ© dans tous ces dĂ©tails pour bien vous mettre au courant des choses. Ne croyez pas que ce soient des choses en lair, dès lors quon a un terrain assurĂ© dans ce pays-ci, tout est Ă  peu près fait. Laffaire des Soeurs de Saint Joseph Ă©tait bien moins sĂ»re que tout cela, et cependant je crois quelles feront leur petite route. Croyez, mon cher Monsieur Champagnat, que je me suis bien agitĂ© pour elles, et jen ferai de mĂŞme pour vos Frères. Grâce Ă  Dieu, je jouis dune excellente santĂ©.
Répondez vous-même à lEvêque et faites lui vos observations, de même que M. Colin à qui jai écrit hier avec une apostille de lEvêque. Sil sest servi de moi, cest quil ne vous connaît pas, ni lun ni lautre, il va lui même en écrire à M. Cholleton, en qui il a grande confiance, disant sans cesse que cest le prêtre qui a fait le plus de bien au diocèse de Saint Louis. Mr. Roux va quit-ter sa cure, il paraît quil se réunirait à vous, il apprendrait langlais aux Pères qui, pendant ce temps, desserviraient la mission des Caskaskias, avec son aide, et croyez que je ferai mon petit possible; si je pouvais être utile en quelque chose, je quitterais de suite Saint Louis, ou jy demeurerais pour les Frères, tout cela dépendrait de vous et de M. Colin.
Pour lEvêque, dans ces choses là, il na jamais de volonté propre. Il nous laisserait arranger tout comme nous voudrions. Il semblerait quil compte sur un riche don dun fonds de terre, pour la bonne oeuvre, de la part du colonel Ménard. Ce Monsieur est Français dorigine, quoiquil ait éprouvé des pertes, il a encore de grandes possessions à Caskaskias, et il semblerait quil sest engagé auprès de lEvêque, jai cru comprendre cela par lardeur que met lEvêque dans cette affaire. M. Ménard na que sa parole, cest la réputation quil a dans le pays, et surtout parmi les sauvages dont il a été longtemps le père. M. Roux ma assuré quil lui a promis 600 arpents de terre, ce qui est une petite fortune. Mais que faire pour bâtir? cest toujours la difficulté. Dieu y pourvoira. Venez ramasser ce que vous pourrez, levez la tête, ne voyez-vous pas que la moisson est déjà toute jaune, ne prenez ni sac, ni deux tuniques, etc., quand je vous ai envoyés, vous a-t-il manqué quelque chose? je me contredis, ou plutôt je contredis le Maître, je dis: Venez, ramassez et il dit: ne portez ni sac ni deux tuniques. Enfin un seul argument: mettez-vous tous en prière, et si Marie obtient de son Fils de vous faire connaître quil faut partir, partez de suite. Si vous restez en France, je me recommande bien à vos bonnes prières, je pense souvent à vous tous. M. Roux se porte bien. Je suis fort en peine pour les Soeurs de Saint Joseph, parties au mois davril, je crains quil ne leur soit arrivé quelque accident, je nen vois point venir. Mes res-pects et amitiés aux mêmes personnes désignées dans votre lettre, Mr. Rouchon, les paroissiens. Jespère que vous communiquerez toute cette affaire à M. Cholleton et viceversa. Adieu. Votre tout dévoué serviteur,
FONTBONNE, p. M.
[2] P.S.: Les Frères peuvent faire ici au moins autant de bien que les prêtres, il est déplorable de voir quels mauvais principes sont donnés aux jeunes gens, et leur instruction est totalement négligée. Devinez ce que je ne dis pas.
[3] Venez sil est possible avec lexcellent M. Tevenon, Grand vicaire du diocèse et supérieur du Séminaire et des MM. de St. Lazare. Sil nallait pas à Lyon je vous conseillerais décrire au Supérieur des Lazaristes à Paris, afin quil lavertit. Sil na pas été chargé lui-même de cette affaire, cest que probablement, cétait incompatible avec ses autres affaires, ou quil est plus naturel que je vous écrive moi-même qui vous connais mieux.

fonte: CSG 01, 231

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