Ecole de Sibundoy

09/Feb/2010

 

Au sud-est de la Colombie, par delà le puissant massif montagneux qui domine les environs de Pasto et d'où rayonnent en éventail les divers cordillères qui enserrent les vallées du Magdalena, du Cauca et du Patia, s'étend un vaste territoire encore mal exploré, couvert de forêts vierges, et qui fait partie de l'immense bassin du fleuve des Amazones. C'est la région du Caqueta, ainsi nommée à cause d'un des grands cours d’eau qui l'arrosent. Elle est peuplée de tribus indiennes dont l'ensemble peut former une population approximative de quarante ou cinquante mille âmes et qui vivent encore. à l'état à peu près sauvage.

C'est au milieu d'une de ces tribus, établie dans la vallée de Sibundoy, dans la partie la plus occidentale de la contrée, que nos Frères de Colombie ont fondé, il y a un an, à la demande des RR. PP. Capucins qui travaillent à l'évangélisation de ce pays, une école qui commence à donner de consolants résultats. Nous pensons intéresser les lecteurs du Bulletin en la leur faisant connaître. Nous devons les détails qui vont suivre à l'obligeance du directeur de l'Etablissement, le C. F. Manuel, auquel nous envoyons nos sincères remerciements.

 

A) LE VOYAGE

Les trois Frères désignés pour cette fondation vraiment apostolique s'étaient donné rendez-vous dans la religieuse ville de Pasto, où, depuis 1893, nous avons un établissement florissant. Deux d'entre eux, les Frères Manuel et Segundo, y arrivèrent le 26 août 1908, et comme le troisième, Frère Celso, s'y trouvait déjà, le départ put être fixé au 14 septembre, jour de l'Exaltation de la sainte Croix. Le peu de jours qui restaient furent employés à réunir le modeste mobilier nécessaire et à préparer le voyage, qui, nonobstant la longueur réduite du trajet (une soixantaine de kilomètres), présentait des difficultés relativement considérables, à cause du caractère montueux du sol, de la complète absence de chemins véritables et de la nature absolument primitive des moyens de transport dont on pouvait disposer.

« Par l'intermédiaire du T. R. P. Fidel de Montclar1, — dit le F. Directeur, à qui nous allons laisser la parole, — nous demandâmes à. Sibundoy les indiens indispensables pour le transport de nos bagages et de nos personnes ; et comme, dans les pays oh l'on voyage â cheval, on a besoin de bêtes de selle et de bêtes de somme, on distingue ici plusieurs sortes d'indiens porteurs: il y a les cargueros pour les colis, les estriberos, pour les personnes, les maleteros pour les provisions de bouche, et les tuleros pour les lits et le linge de rechange.

Le 10 septembre, nous reçûmes du R. P. Estanislao, missionnaire et curé de Sibundoy, une liste des indiens engagés pour le transport de nos bagages, et des le même jour ils commencèrent à arriver; mais ce fut alors que commencèrent aussi les difficultés. Aucun colis n'était de leur goût: l'un pesait trop, l'autre pas assez, celui-ci voulait une caisse de telles dimensions, celui-là. un petit sac; bref, pour chaque expédition à faire, c’était une guerre a n'en plus finir. Les coquins profitaient de notre inexpérience, parce que nous les traitions avec trop d'égards et de bonté. Mais bientôt il nous eurent mis au courant de leurs habitudes et de la manière dont nous devions nous conduire à leur égard: nous les menaçâmes des chefs, qui n'ont pas l'habitude de plaisanter, et par ce moyen, nous réussîmes à faire prendre à nos colis la route du Caquetá. Après l'expédition de nos bagages, il fallait penser à celle -de nos personnes et ce ne fut pas moins intéressant. On sait flue le transport des voyageurs qui vont au Caqueta se fait dos d'indien; or il y a deux manières dé chevaucher sur cette monture: en chaise et en planchette. La chaise consiste en deux bouts de planche assemblés à angle droit. Le voyageur s'assied dans l'ouverture de l'angle, l'indien, au moyen d'une têtière et de bretelles, assujettit à son dos la planche qui forme dossier, et: En route! La planchette a environ 10 centimètres de largeur et est taillée à peu près à la mesure de celui qui doit l'occuper; l'indien la suspend à son échine, le voyageur s'y assied et passe ses bras autour du cou de l'indien qu'il tient fortement enlacé, Ce dernier mode est le moins fatigant, aussi bien pour le porteur que pour le porté; mais il a le grave inconvénient d'obliger celui-ci à respirer constamment et de très près l'odeur tout à fait peu agréable qui se dégage d'une tête malpropre; aussi, va-t-il sans dire, que nous optâmes tous pour le premier.

Le 12, arrivèrent les neuf estriberos qui nous étaient destinés. Il y en avait d’une telle musculature qu'ils semblaient devoir nous enlever comme une plume; mais n'allez pas croire que leurs préférences allèrent d'emblée aux plus gros d'entre nous. Il voulurent, tous, les uns après les autres, nous soupeser tous les trois, et force nous fut, bon gré malgré, de nous prêter à ce caprice en grimpant successivement sur leur dos, au grand divertissement des Frères de Pasto, qui pensèrent mourir de rire. Après chaque essai, il s'élevait entre eux une dispute animée: ils voulaient tous porter le Frère Celso qui était le plus sec et le moins lourd. Tant pis pour les pauvres obèses: la journée n'était pas pour eux. if fallut terminer le. débat en imposant à chacun sa tâche.

Le 14, au matin, nous les réunîmes, non sans peine, et nous leur fîmes prendre les devants, parce que nous devions aller à cheval jusqu'au beau lac de Cocha; et après avoir embrassé avec émotion les bons Frères de Pasto, nous nous mimes en route, en compagnie du T. R. P. Préfet Apostolique et du R. P. Basilio, qui devait être notre compagnon de voyage jusqu'à notre arrivée.

A ‘’La Laguna’’, village situé à une lieue et demie environ de Pasto, le R. P. Sigismundo, qui y réside en qualité de curé, nous fit servir un déjeuner confortable ; mais, au moment de nous remettre en route, nous n'avions pas nos indiens canasteros, et Dieu sait cependant si nous avions besoin d'eux, car dans ces montagnes solitaires, il serait gravement imprudent de s'aventurer sans provisions. Très ennuyé, le T. R. P. Préfet laissa le P. Basilio pour les attendre et nous nous acheminâmes vers le ‘’Diviso’’ qui forme la limite entre les deux versants de l'Atlantique et du Pacifique. Il est situé à 3.210 mètres d'altitude et. à 14 kilomètres de Pasto.

Notre plan, comme j'ai dit plus haut, était d'aller à cheval jusqu'au bord du lac de Cocha, qui est à une lieue et demie plus loin que le Diviso; mais il fallut y renoncer. Le chemin, par endroits était une véritable fondrière, et fréquemment il nous fallait mettre pied à terre pour ne pas nous exposer voir s'ensevelir dans la boue montures et cavaliers. Nous dûmes donc prendre congé du T. R. P. Préfet, et après avoir bu un coup pour nous donner du cœur, dire adieu au monde civilisé pour entrer en terre sauvage, pleine de grandeur, mais aussi d'inconnu. L'âme pleine de sentiments, qui sans nous les être communiqués étaient certainement les mêmes chez tous, nous gagnâmes le versant de la montagne opposé à celui d'où nous venions, en compagnie d'une douzaine d'indiens, et; trois heures durant, nous pataugeâmes dans la boue, à travers fondrières et marais, avant d'arriver au rio Guamaes, tributaire du lac rte Cocha. Là nous trouvâmes deux pauvres cabanes abandonnées qui nous firent presque l'effet de deux hôtels, au milieu de la solitude des bois, encore attristée par un épais brouillard.

Chacun s'installa le moins mal qu'il put dans la pièce la plus abritée, tandis que les indigènes ramassaient du bois pour préparer le souper. Peu après arriva le P. Basilio avec les indiens retardataires et la nuit ne tarda pas à nous envelopper de son ombre, qui favorisait les mélancoliques rêveries. La solitude des bois, la rusticité du réduit, à peine éclairé par la lueur rougeâtre du bois humide qui pétillait dans l'âtre, la présence d'hommes d une autre race, réveillaient dans mon esprit tout un monde de souvenirs; tout conspirait à me retracer au vif certaines scènes des bords l’Atrato et du San Juan ; pour compléter l'illusion, il n'y manquait que les nègres turbulents et irascibles2.

Tandis que la folle imagination vagabondait ainsi à travers le monde, les indigènes attisaient timidement le feu, devant lequel s'alignaient trois marmites mal équilibrées. Le souper fut bientôt cuit, et, comme la fatigue et la température plutôt froide nous avaient aiguisé l'appétit, nous nous mimes en devoir de lui faire honneur. Avec les restes, les indiens firent régal ; mais il va sans dire que, sans nul souci de s'assujettir à notre étiquette, ils s'en tinrent strictement a la leur. Leurs doigts leur servirent la fois d'assiette, de cuiller, de fourchette et de couteau.

Pendant que le repas était en train de bouillir dans les marmites nous avions récité le chapelet auquel répondaient les indiens eux-mêmes, car ils savaient par cœur le Notre Père. et le Je vous salue. Nous dressâmes nos lits et, après la prière, nous nous mîmes confidemment entre les mains de la Providence pour le reste de la nuit.

Le lendemain, dès 5 heures, nous étions debout pour nous préparer au reste du voyage. A 6 heures, nous reprîmes notre marche en suivant le sentier qui grimpe doucement sur le flanc de la montagne située entre la vallée du lac de Cocha et celle de Sibundoy. Pendant l'espace d'une lieue et demie, ou a peu près, le chemin est passablement battu sans être trop rapide, de sorte que nous avancions d'un bon pas; mais les difficultés ne tardèrent pas à apparaître: le sentier serpentait péniblement à travers de gigantesques racines, sous des arbres touffus chargés d'eau et, pour comble de malchance, une pluie glaciale vint nous tremper jusqu' aux os. Cela ne nous empêcha pas de cheminer gaîment jusqu'au faite de la montagne ; mais là, nous perdîmes la trace du chemin, et il nous fallut plus d'une heure pour la retrouver.

Il devait être environ 4 heures lorsque nous primes la descente vers Sibundoy. Jusque-là, dans notre désir d'aller plus vite, nous n'avions pas fait usage de nos porteurs; mais à ce moment, épuisés de fatigue, nous résolûmes d'étrenner nos ‘’chaises’’. A pas comptés, les pauvres indiens avançaient péniblement à travers les mille obstacles de la route, lorsque tout à coup un faux pas du mien me fait faire malgré moi l'arbre droit au milieu des branches d'un arbre abattu. Heureusement je n’eus pour tout mal qu'un peu de peur ; mais il n’en fut pas ainsi de mon pauvre estribero qui se releva avec la jambe assez grièvement blessée.

Cela suffit à nous faire prendre en dégoût cette manière d'aller, et chacun se remit à marcher avec ses propres jambes, sauf le Frère Celso, qui, en qualité de plus faible et de moins lourd, continua à se faire porter quelque temps encore.

Cependant le chemin devenait de plus en plus difficile et nous ne faisions, malgré tous nos soins, guère plus d'un kilomètre et demi à l'heure. Nous espérions néanmoins pouvoir arriver avant la nuit aux premières habitations indigènes, et nous avions envoyé un courrier pour prévenir de notre arrivée et nous faire préparer de l'eau chaude, afin de pouvoir nous débarrasser de la boue dont nous avions tout le corps enduit. Illusion ! La nuit nous surprit dans la forêt, sans que le brouillard nous eût permis de mesurer de l’œil la distance qui nous séparait encore de la vallée.

Déjà plusieurs de nos indigènes nous avaient quittés pour aller demander à quelque grand arbre un abri où passer la nuit; les autres se traînaient péniblement à notre suite, au milieu d'une obscurité profonde, à peine entamée par la lueur vacillante de quelques chandelles de suif que nous avions eu la bonne inspiration de porter. En vain essayâmes-nous de crier de toutes nos forces. Personne ne nous répondit.

C'était environ 9 heures et il ne nous restait plus qu'un petit bout de chandelle. Nous crûmes prudent d'en profiter pour essayer de nous faire un lit au bord du chemin; mais toutes nos tentatives pour allumer du feu furent inutiles: tout ruisselait d'eau et le sol lui-même n'était qu'un bourbier. Il fallut nous contenter de couper en toute hâte quelques branches d'arbre, de les étendre sur le sol et de nous mettre dessus, tandis que les indiens, de leur côté, allaient se tapir au pied d'un arbre. Cet endroit inoubliable, n'est connu depuis lors parmi nous que sous le nom de ‘’Dortoir’’.

Au lever du jour, nous constatâmes avec plaisir que nous n'avions plus qu'un petit kilomètre à parcourir pour atteindre les premières maisons indigènes, où nous trouvâmes des chevaux, envoyés par les Pères de Santiago, village situé une lieue plus loin. En chemin, nous eûmes la joie de rencontrer le R. P. Benito, de Guatemala, vice préfet de la mission, qui venait au-devant de nous. Dès avant notre entrée au village, il nous fallut passer sous des arcs de triomphe ornés de fleurs, puis les cloches de l'église se mirent à carillonner comme aux jours de fête, et des boîtes de poudre étaient tirées en notre honneur. Sur la place, le R. P. Lorenzo, directeur de l'Ecole de garçons et le Gouverneur avec tous ses employés vinrent nous saluer ; bref, nous fûmes reçus comme de grands personnages, grâce à la prévenante amabilité des bons Pères, qui avaient organisé toute cette manifestation.

Le 17, nous continuâmes le voyage jusqu'à Sibundoy, situé à une douzaine de kilomètres de Santiago. Nous étions accompagnés du R. P. Benito et de quelques blancs venus à notre rencontre de San Francisco. Le chemin qui fait communiquer les cieux villages côtoie le flanc des collines pour éviter les marais de la vallée, ce qui ne l'empêche pas d'être fangeux en beaucoup d'endroits; mais les indigènes, sous la direction des Pères, ont corrigé en partie ce défaut en y faisant une sorte de pavé avec des madriers placés tantôt en long, tantôt en travers. A une lieue avant d'arriver, nous rencontrâmes le bon Père Estanislao, qui était venu nous attendre avec un nombreux groupe d'enfants. Pour nous faire honneur, il avait fait ouvrir une route droite comme un I et longue de plus d'une lieue; elle s'étendait de Sibundoy aux environs du rio San Pedro ; M. D. José Oviedo, Intendant du Caqueta, vint aussi à notre rencontre et nous souhaita la bienvenue au nom du gouvernement Colombien.

Comme à San Francisco, notre entrée au village se fit, mais encore plus solennellement, sous des arcs de triomphe, au milieu des détonations de la poudre, du carillon des cloches, des acclamations, des vivats, etc. … Ce devait être environ midi lorsque nous abordâmes ainsi, près de trois jours après notre départ de Pasto, a cette terre encore en friche, mais féconde. espérions-nous, dont le Seigneur, par l'intermédiaire des fils de: saint François, nous confiait la culture.

$$$

B) LE PAYS

Nous dirons bientôt comment les Frères mirent sans retard la main à l'œuvre, comment la Providence a déjà béni leurs travaux, et quelles espérances il leur est permis d'entretenir; mais auparavant donnons un coup d'œil rapide sur le pays et sur l'état physique et moral des populations qui l'habitent.

La vallée de Sibundoy a toutes les apparences d'avoir été jadis un beau lac. Elle forme une plaine elliptique d'une dizaine de lieues carrées d'étendue, bordée de collines qui s'élèvent tout autour en pente douce, et d'où descendent des eaux limpides et abondantes tributaires du Putumayo3.

Sauf dans la partie méridionale, qui est marécageuse, elle est couverte de forêts et de halliers au milieu desquels vivent les indiens. Dans toute son étendue; de même que sur les collines avoisinantes peuvent prospérer toutes les cultures de la zone tempérée; les forêts abondent en bois précieux, et en plantes aromatiques. Le sol renferme des minerais d'or et d'autres métaux, et laisse sourdre deux belles sources thermales dont une est à la température de 80° Le climat, dont la température oscille autour de 17°, est délicieux.

Mais les habitants, encore à demi sauvages, n'ont ni l'intelligence, ni le souci de profiter de ces avantages et vivent comme figés dans leur vieille routine. Ils forment trois tribus distinctes: celle de Santiago, celle de Sibundoy et celle de San Andrés, qui comprennent respectivement 1.500, 2.000 et 500 âmes ou à peu près. Les Sibundoyes, qu'on dit avoir été amenés des bords du Casanare par Hernán Perez de Quesada, parlent le cocha; les Santiaguenos et les Sanandreses, qu'on croit être d'anciens sujets des Incas du Pérou, parlent l'inga.

Les maisons ou cases des indiens ont presque toutes une forme et des dimensions identiques. Les murs sont formés de pieux bruts ou grossièrement équarris serrés les uns à côté des autres, et couverts d'un toit de paille à pentes très rapides. Quant à l'intérieur, il se compose invariablement de deux pièces: dans la première, qui a généralement une douzaine de mètres de long sur 6 ou 7 de large, se tiennent les réunions et les fêtes: au fond, se trouve le foyer toujours allumé, et contre l'une des parois sont alignées en longue série les cuves de chicha, boisson fermentée, faite avec du maïs maclé, qui joue parmi les indiens d'Amérique le même rôle que le vin, la bière ou le cidre chez les peuples européens. La seconde pièce, qui est plus petite, sert de salle à coucher aux maitres de la maison, et l'on y retire les objets qu'on veut soustraire aux regards étrangers.

Les maisons des indiens sont, en général, plus propres que leurs habits. Le principal de ceux-ci est la cusma, sorte de chemise sans manches qui s'assujettit autour des reins par une ceinture. Par dessus ce vêtement fondamental , les hommes portent le capisayo, qui est une pièce d'étoffe longue de 1 m. 50 à 2 mètres, sur environ 80 centimètres de large; au centre, il a une échancrure dans laquelle on passe la tête, et les deux moitiés retombent l'une en avant et l'autre en arrière. Le droit de porter le chapeau est un privilège du gouverneur de la tribu. Les autres indiens laissent pousser leur abondante chevelure, qu'ils lient au moyen d'un cordon autour de la tête. Ils n'ont pas d'autre coiffure.

Ils n'ont, pour ainsi dire pas d'organisation politique qui leur soit propre. Ils élisent bien chaque année un cabildo (chapitre) composé d'un gouverneur, de deux alcaides et de six juges; mais c'est en vue de maintenir les vieilles coutumes, de régler le service qui est dû à l'église et aux autorités colombiennes, et d'organiser les divertissements publics, plutôt que pour participer d'une manière quelconque à la législation du pays.

Au point de vue religieux, à peu près tous les indiens de la vallée sont baptisés; mais ils vivent dans une déplorable ignorance, et mêlent aux croyances et aux saintes pratiques du culte catholique une multitude de superstitions païennes, auxquelles. il est très difficile de les faire renoncer.

En général, ils sont hostiles à toutes les pratiques de la vie civilisée et ils se méfient des blancs, à cause des mauvais traitement dont ils ont été souvent victimes de la part d'hommes sans foi ni loi; la plupart repris de justice, échappés des provinces de l'intérieur et dont les excès étaient d'autant plus barbares qu'ils demeuraient toujours impunis, personne n'étant là pour les réprimer. Mais heureusement cette méfiance tombe peu à peu, grâce au dévouement des missionnaires, qui, en se faisant les défenseurs des indiens en même temps que leurs apôtres, ont acquis sur eux une influence, Dieu merci, très considérable, dont ils se servent pour leur bien matériel comme pour leur bien spirituel.

C) L' ŒUVRE

C'est au relèvement intellectuel, moral et religieux de ces pauvres peuplades si longtemps abandonnées que nos Frères ont été appelés par la Providence à prendre leur modeste part, au moyen de l'instruction et de l'éducation chrétienne des petits garçons. La tâche n'est pas facile; mais c'est pour cela, espèrent-ils, qu'elle sera méritoire et qu'elle attirera la bénédiction de Dieu sur la Province; et les débuts, comme on va le voir, ne sont pas faits pour déconcerter ces consolantes prévisions. Dès leur arrivée, les Frères se mirent à l'oeuvre avec courage et les résultats déjà obtenus donnent lieu de croire que le Seigneur travaille véritablement avec eux.

Dans les commencements, il fut très difficile d'amener les enfants à l'école : soit crainte de mauvais traitements, soit préjugés de race contre tout ce qui tient à la civilisation, les enfants avaient une extrême répugnance à y venir, et les parents une répugnance encore plus grande à le leur permettre.

Mais, d'accord avec les autorités, on eut recours à toutes les industries que peut suggérer le zèle: on organisa une petite milice de recrutement qui parcourait fréquemment les chacras ou propriétés des indiens pour ramasser les enfants et les amener à l'école; d'un autre côté, les Frères eurent grand soin d'accueillir avec bonté ceux qui venaient en classe, de les intéresser et de les traiter paternellement.; tous les samedis ils encourageaient ceux qui avaient été ponctuels, en leur faisant tirer au sort quelques petites récompenses, comme des chapelets, des images, des croix, des médailles et même quelque morceau de sucre, ou quelque grain de sel, dont ils sont extrêmement friands.

Peu à peu, grâce à ces procédés et â une discipline où la douceur avait plus de part que la crainte, ces petits naturels farouches commencèrent à s'apprivoiser, et à s'affectionner à l'école, qui réunit bientôt la grande majorité des enfants en âge scolaire, malgré les grandes distances qu'il leur faut parcourir par des chemins raboteux et presque toujours détrempés par les pluies.

Le Frère Provincial, qui visita les classes au mois de mars dernier, y trouva 136 élèves dont l'âge s'échelonnait depuis 6 ans jusqu'à 16 ou 177: tous savaient faire le signe de la croix et réciter les prières les plus communes : un bon nombre pouvaient répondre à la plus grande partie des demandes du catéchisme diocésain et une trentaine commençaient à pouvoir s'exprimer convenablement en espagnol, qui est la langue nationale de la Colombie.

Le programme des études est naturellement très simple. Avec la Religion, qui tient, comme de juste, la première place, il comprend la lecture, l'écriture, et les phis simples éléments du calcul. Pour le moment, c'est le plus liant qu'on puisse viser; mais pour plus tard on ne désespère pas d'aller plus loin. Ne faut-il pas un commencement à. tout?

On tâche, de plus, d'initier ces pauvres petits sauvages aux principales opérations de l'agriculture, complètement inconnue chez eux, en dehors de celle du thaïs. Dans ce but. les Frères ont obtenu la cession d'un terrain assez vaste, et se sont procuré une paire de bœufs, avec une charrue d'un genre primitif dont ils ont appris l'usage à leurs plus grands élèves. Ils leur ont également appris la manière pratique de cultiver la pomme de terre, la fève, le blé et l'avoine; et, tandis que la moisson se prépare, ils se proposent de monter un moulin simplifié, appareil encore inconnu parmi ces pauvres gens.

Par ce moyen, on espère non seulement acclimater. chez eux les plus importantes cultures alimentaires, mais pouvoir nourrir gratuitement à l'école un bon nombre des enfants qui la fréquentent, et les soustraire ainsi le plus possible à l'influence de leurs parents sans religion et sans mœurs.

Jusqu'à présent les enfants étaient presque nus ou n'avaient que des vêtements peu en rapport avec ce que requièrent les bienséances. Un des premiers soins des Frères a été de chercher à leur en procurer de plus convenables et ils espèrent y avoir réussi ; une souscription ouverte, avec le concours du Fr. Provincial, clans les écoles de la province, leur a permis de se procurer quelques pièces d'étoffe; des personnes charitables de Pasto ont bien voulu se charger de la confection, et, à l'heure qu'il est, la réforme désirée est très probablement un fait accompli. La difficulté à laquelle on avait peur de se heurter était de la faire accepter par les intéressés; mais il n'y a pas de doute qu'on y sera parvenu.

Outre l'école de Sibundoy, les Frères dirigent l'école do San Francisco, où le dévoué Fr. Segundo se rend tous les jours à cheval et revient le soir. C'est ainsi une course quotidienne de 13 kilomètres, aller et retour, qui à la longue devient fort pénible; mais il est probable que l'expérience fera trouver un meilleur moyen d'arranger les choses pour la commodité et le plus grand bien de tous.

En attendant, les Frères trouvent une compensation à leurs sacrifices dans la pensée que le Seigneur compte tous leurs pas et qu'ils font son Œuvre. Nous croyons être l'interprète de tous les lecteurs du Bulletin en faisant des vœux pour que le bon Dieu soutienne toujours leur courage et leur fasse la grâce de récolter un jour clans la joie ce qu'ils sèment aujourd'hui dans l'abnégation et la souffrance.

______________________________

1 Préfet Apostolique du Caqueta. Il est de l'ordre des Capucins.

2 Pendant plusieurs années, le Frère Manuel, auteur de ce récit. fut directeur de l'établissement que nous avions alors à Quibdó, sur les bords de l'Atrato, fleuve de la Colombie nord-occidentale.

3 Le rio Putumayo, ici tout près de sa source; devient plus tard, — de même que le Caquetá, son voisin d'origine, — après avoir traversé la Colombie méridionale et une partie du Brésil, un des grands affluents de l'Amazone

RETOUR

De limportance du bon exemple dans l?uvre de ...

SUIVANT

Nos oeuvres dEcosse - History of Fifty Years?...