De limportance du bon exemple dans l?uvre de lEducation

F. D.

09/Feb/2010

 

Comme tout observateur un peu attentif a pu bien des fois s'en rendre compte, un des plus remarquables instincts de l'enfant est sa tendance naturelle à l'imitation. A peine est-il capable de -manifester par des signes extérieurs son activité naissante, qu'on le voit déjà s'essayer contrefaire tout ce qui frappe son oreille ou ses regards. Dés qu'il peut faire usage de ses membres, il n'a pas de plus grand plaisir que de s'exercer à reproduire, en les réduisant aux proportions de ses forces et de sa taille, les diverses opérations dont il est témoin; et, pendant longtemps ses jeux favoris ne seront que des imitations plus ou moins heureuses de ce qui se passe autour de lui. Actions, paroles, ton de voix, agencement des habits, démarche, gestes particuliers à tel ou tel artisan, il cherche à: tout copier, et il y réussit souvent d'une façon surprenante.

C'est une disposition de la divine Providence qui le fait aller de lui-même au devant de l'instruction, et lui permet de profiter de l'expérience et du savoir-faire de ceux qui l'ont devancé dans la vie, avant qu'il puisse en comprendre la nécessité et les avantages. Mais c'est aussi un danger sérieux qui sollicite vivement l'attention vigilante de l'éducateur vraiment conscient de sa tâche et soucieux de la bien remplir.

L'enfant, en effet, imite d'une manière instinctive et pour ainsi dire inconsciente; il n'a ni la pensée ni le souci de choisir entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, et dans son inexpérience il copie indifféremment l'un ou l'autre, selon le hasard des circonstances ou son humeur du moment. Qui ne sait cependant quelle impression durable et profonde laissent souvent dans l'esprit et dans les mœurs d'un homme les actions accomplies dans ces tendres années? Il est rapporté qu'Alexandre le Grand ne put jamais plus tard se corriger de certains défauts qu'il avait imités de son maître Léonide, et l'on voit tel vieillard, qui ne se souvient plus le lendemain -de ce qu'il a fait la veille, se rappeler, avec une surprenante précision de détails, les plus menus faits de sa lointaine enfance, et ressentir de nouveau toutes les impressions qu'il en avait reçues alors.

Il faut évidemment en conclure l'importance et l’impérieuse nécessité de ne dire et de ne faire devant les enfants que ce qu'ils peuvent imiter avec profit ou du moins sans danger; en d'autres termes, de ne leur donner que de bons exemples.

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Que, dans l'usage ordinaire de la vie, le bon exemple ait, pour porter à la vertu, une action puissante et salutaire, c'est ce qu'il est à peine besoin de démontrer, tant l'expérience de tous les temps a rendu la chose certaine. Il y a d'ailleurs de ce fait une raison toute simple et très facile à comprendre. Même dans l'état de déchéance où l'a réduite la péché originel, notre âme, quand elle n'a pas été autrement pervertie, aime et désire instinctivement le bien qu'elle se sent obligée de faire, et elle ne demanderait pas mieux que de le réaliser; mais, pour s'y porter efficacement, elle a à vaincre la résistance d'une foule d'inclinations mauvaises qui l' attirent en sens contraire; et cela exige d'elle un effort souvent si grand, si difficile que sa volonté n'a pas le courage de l'accomplir. C'est alors que, selon l'expression de saint Paul, « elle ne fait pas le bien quelle aime, et fait au contraire le mal qu'elle hait »

Or cet effort généreux que demande de nous la pratique du bien, est considérablement facilité par le bon exemple, qui amène au secours de notre faiblesse toute une série de sentiments, beaucoup moins parfaits sans doute que le pur amour du bien, mais qui, en agissant dans le même sens que lui, ajoutent leur puissance à la sienne pour soutenir notre volonté, lui donner du courage et la déterminer à bien agir. Tels sont, entre autres, l'instinct d'imitation, dont nous avons déjà parlé; l'instinct de sympathie, qui nous porte h nous identifier avec nos semblables par nos actions comme par nos sentiments; l'instinct d'émulation, qui nous pousse à égaler et même à surpasser en mérite ceux qui nous paraissent dignes de louange; le sentiment de l'honneur, qui nous fait fuir avec mépris tout ce qui serait capable de nous rabaisser dans l'estime des gens de bien ; la honte, qui nous donne une confusion salutaire de nous trouver inférieur à cc que nous devrions être, etc. Au milieu d'un entourage de gens de bien, dans une atmosphère de lion exemple, tous ces sentiments tendent de concert à prêter à notre âme, pour l'aider dans son effort vers -la bonne action, un appui analogue à celui que prête à un gouvernement bien intentionné une presse puis- sante el fidèle ; d'autre part, grâce aux lois de l'habitude, toute bonne action que notre âme a pu accomplir au moyen de ce secours lui rend plus facile l'accomplissement des actions semblables subséquentes, et c'est ainsi que, peu à peu et comme insensiblement, elle arrive sans trop de peine, Moyennant la grâce de Dieu, a cette disposition constante à bien agir, à cette heureuse facilité de bien faire qui est un des plus remarquables caractères de la vertu.

Mais au milieu d'un entourage corrompu, dans une atmosphère de mauvais exemple, c'est le contraire qui arrive et avec une intensité plus grande encore. La bonne volonté, au lieu d'être soutenue et secondée par les sentiments dont nous avons parlé plus haut, les voit se tourner ouvertement contre elle ; au lieu de jouer le rôle de la presse fidèle, ils jouent celui d'un puissant parti d'opposition, et ajoutent leur paissance celle des autres mauvais instincts pour paralyser ses efforts. L'instinct d'imitation devient une tentation permanente qui, moins d'être incessamment combattue, nous incite nous-mêmes à faire le mal dont nous sommes témoins; le sentiment de l'honneur se transforme en un lâche respect humain qui nous fait rougir de l'accomplissement de nos plus saints devoirs; la honte une confusion ridicule de nous trouver encore bons et vertueux, comme nos compagnons s'accusent de l'avoir été au temps de ce qu'ils appellent leur candide ignorance ; l'émulation, une incitation coupable a nous signaler parmi les héros du mal, et, de leur ensemble, il résulte un courant funeste, auquel, moins d' un miracle de la grâce ou d'une constance presque héroïque, les meilleurs mêmes se laissent comme fatalement en- traîner, tant il est difficile de s'isoler du milieu où l'on vit, et tant. est vrai généralement le proverbe Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es!

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Si telle est la puissance de l’exemple, même pour les per- sonnes d'un âge adulte, â qui leur maturité (1' intelligence et leur raison formée devraient donner une règle suffisante pour l'orientation de leur conduite et la direction de leur vie; que sera-t-elle pour les enfants, que leur faiblesse physique et morale leur défaut d'initiative volontaire et leur absence de véritable personnalité condamnent presque nécessairement à n' être que les serviles imitateurs de tout ce qu'ils voient et, pour ainsi dire, le reflet vivant de leur entourage? Aussi l'a-t-on considéré de tout temps, suivant qu'il est bon ou mauvais, comme un des facteurs les plus importants de l'éducation ou comme un des plus redoutables obstacles contre lesquels elle ait à lutter.

« L'enfant. dit Quintilien, s'attache à tous les êtres qui l'environnent; en grandissant, il se forme insensiblement à leur image, et porte bientôt dans l'adolescence les mœurs de ses maîtres » Il s'ensuit de là que ceux qui ont la responsabilité de ce beau none, ne sauraient apporter trop d'attention à se conduire de telle sorte qu'il n'y ait rien dans leurs manières, leurs paroles ou leurs actions qui ne soit cligne d'être imité.

En effet, selon la très juste remarque de Platon, « l'imitation, lorsqu'on en prend l'habitude clans la jeunesse, devient bientôt une seconde nature, et transforme tout en nous: l'intérieur, l'extérieur, le langage, le ton, le caractère, les mœurs »

C'est pourquoi le célèbre philosophe veut que si les jeunes gens, dans des rôles de convention, imitent quelque chose, ce soient les qualités qui conviennent à leur âge: le courage, la grandeur d'âme, le désintéressement, la générosité et les autres nobles vertus, afin qu'ils prennent clans cette imitation quelque chose de la réalité.

Combien il serait à désirer que de toutes ces vertus et de beaucoup d'autres que les anciens ignoraient, mais dont le Christ est venu depuis lors nous montrer le divin exemplaire, l'enfant trouvât la personnification vivante dans chacun de ses maîtres! Non seulement il en résulterait pour ceux-ci un précieux élément d’autorité morale qui décuplerait l’efficacité de leurs enseignements, mais l'enfant lui-même, les ayant toujours devant les yeux, en subirait insensiblement la secrète influence et, comme à son insu, il deviendrait presque infailliblement meilleur.

Mais le moyen d'espérer un pareil résultat si l'enfant, au lieu de trouver, dans la conduite de ceux qu'on lui enseigne à estimer et honorer, une invitation à la vertu doit elle doit être l'image, y trouve, au contraire, un encouragement tacite à s'en détourner, pour suivre le chemin plus facile de l'indifférence ou du vice? N'est-il pas évident qu’il faut s'attendre plutôt à un résultat tout contraire, c'est-à-dire à le voir se corrompre au lieu de s'améliorer?

C’est d' ailleurs ce qui ressort de l’expérience de tous les siècles: on a vu assez souvent des enfants demeurer pervers ou le devenir malgré les leçons et les exemples d' excellents maîtres ; mais je ne sais si l'on pourrait citer l'exemple d'un seul qui soit devenu bon sous la conduite de mauvais maitres, quand même leurs enseignements auraient mieux valu que leurs mœurs.

C'est que les enfants, en général, sont très perspicaces et que leur logique, quoique instinctive, est remarquablement sûre. Ils sont presque toujours beaucoup plus frappés de ce qu'ils voient que de ce qu'ils entendent; et, peu touchés des longs raisonnements, ils vont droit au fait. En vain essaye-t-on de leur donner le change en dissimulant a leurs yeux les secrets de sa vie si elle n'est pas bonne: quelque précaution que l'on prenne, et l’observateur ne tarde pas, d'habitude, à découvrir le mystère ; ils prennent un malin plaisir à noter la contradiction flagrante qui existe entre la doctrine et les mœurs; des paroles ils en appellent aux actes, et dés lors les discours les plus éloquents, les exhortations les plus pressantes demeurent sans efficacité: leçons de morale et préceptes de vertus ne sont guère plus accueillis, qu'avec dérision ou indifférence. C'est la vérification de ces paroles de saint Jean Chrysostome: Les paroles ne persuadent jamais quand elles son démenties par l'exemple.

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Nous donc qui désirons voir fructifier comme une bonne semence les instructions que nous donnons chaque jour aux jeunes âmes que le Seigneur nous a confiées, n'oublions pas que, pour enseigner efficacement la vertu, il est indispensable de paraître vertueux, et.que le seul moyen vraiment Sûr de paraître vertueux, c'est de l'être en effet.

Que nous servirait d'ailleurs de le paraître si nous ne l'étions pas? Quand, par un difficile miracle, nous parviendrions a échapper à la honteuse flétrissure que porte avec soi le nom d'hypocrite, nous ne serions guère plus avancés, car il nous resterait toujours à subir les inévitables reproches de notre conscience, et a redouter les terribles anathèmes portés par Jésus-Christ même contre les « sépulcres blanchis »

A l'exemple. de ce divin Maitre, il nous faut donc commencer par faire si nous voulons; pouvoir enseigner avec fruit. Voulons- nous que nos élèves soient exacts, assidus, silencieux, sincères, laborieux? Il faut commencer par l'être nous-mêmes. Avons-nous le désir de les voir croître et se fortifier dans la piété, la ferveur, la charité, le zèle, la générosité sous toutes ses formes Il faut leur offrir dans notre conduite l'exemple de toutes ces vertus. Désirons-nous enfin en faire de vrais et solides chrétiens, selon le but de notre Institut et l'espérance de l'Eglise? Il faut que nous nous efforcions de pratiquer sous leurs yeux toutes les vertus du christianisme, de sorte nous puissions leur dire, autant que possible, en action sinon en paroles, ce que saint Paul disait aux chrétiens de son temps: Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ.

C'est ce que firent à un très haut degré la plupart de nos premiers Frères; entre autres le Frère Cassien et le Frère Arsène, .dont les élèves se sentaient comme invinciblement attirés à la vertu par l'esprit surnaturel qui animait toutes leurs actions et par le parfum de sainteté qui rayonnait de leur personne. « Nous avions pour ces deux Frères, dit l'un d'eux, une estime qui touchait à la vénération et nous les regardions comme de vrais saints. La ferveur qu'ils apportaient dans la récitation de l'office, leur grand respect pour le Saint-Sacrement, leur profond recueillement après la sainte Communion, nous faisaient une impression si grande, que nous nous sentions, comme malgré nous, pénétrés des mêmes sentiments, et que, nonobstant la légèreté de notre âge, nous priions avec une piété qui me fait envie aujourd'hui, tellement nous étions subjugués par leur exemple »

Heureux les Maîtres à qui leurs élèves, devenus grands, peuvent – rendre un pareil témoignage! Ils ont été vraiment « la bonne odeur de Jésus-Christ » ; la semence de vertu qu'ils ont répandue pendant leur vie fructifie encore longtemps après leur mort. ils auront pour avocats au tribunal de Dieu les bons anges de ceux qu’ils auront. ainsi édifiés, et tout donne lieu d’espérer qu'ils entendront de la bouche du souverain juge ces consolantes paroles: Venez les bénis de mon Père: tout ce que avez fait au moindre des miens, c’est à moi- même que vous l'avez fait. Mais, ne faut- il pas trembler à la pensée du compte terrible qu'auront à, rendre les Maîtres semeurs de mauvais exemples à celui qui a dit: Malheur à quiconque scandalise un de ces petits qui croient en moi? Dieu nous préserve à jamais de nous trouver de leur nombre!

F. D.

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