Du souvenir de la sainte Présence de Dieu

09/Feb/2010

 

De tous les moyens de perfection proposés par les maîtres de la vie spirituelle, celui que notre Vénérable Fondateur, pendant sa vie et encore au moment de sa mort, nous a recommandé avec le plus d'insistance est le souvenir de la sainte présence de Dieu. Il ne cessait, dit son biographe, de le rappeler à l'attention des Frères, soit dans ses entretiens particuliers, soit dans ses conférences publiques; il voulait que ce fût, chaque année, une des principales résolutions qu'on a coutume de prendre à la fin de la retraite, et, sur son lit de mort, dans son Testament Spirituel, il s'exprime en ces termes touchants

« Je demande au bon Dieu, et je souhaite de tonte l'affection de mon cœur que vous persévériez fidèlement dans le saint exercice de la présence de Dieu, l'Aile de la prière, de l'oraison et de toutes les vertus » Nous croyons donc que, du haut du ciel, il verra avec plaisir, dans l'intérêt qu'il prend au bien de nos aines, que le Bulletin, au commencement de l'année scolaire, vienne signaler à votre pieuse attention cette salutaire pratique, qu'il regardait avec raison, à la suite d'un grand nombre de saints et notamment de Saint François de Sales, comme le fondement de la vie spirituelle, et comme le moyen par excellence d'avancer dans la vertu.

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Quels puissants motifs d'ailleurs, n'avons-nous pas de nous entretenir habituellement dans cette pensée salutaire! Ne pas perdre le souvenir de la présence de Dieu, vivre dans la persuasion constante que Dieu est avec nous et que nous sommes avec lui en tout temps et en tout lieu, n'est ce pas tout à la fois confesser une vérité incontestable, accomplir un devoir essentiel de la vertu de religion, s'armer d'une force invincible contre les ennemis du salut; et se donner une des plus grandes, consolation qu'il soit possible de goûter ici-bas?

C'est confesser une vérité incontestable. La foi et la raison, en effet, sont d'accord à proclamer que Dieu étant éternel et immense; son être infini ne saurait admettre ni restriction ni limites, soit dans l'espace, soit dans le temps.

Il est donc toujours et tout entier partout. Dans le présent comme dans le passé et l'avenir, son immuable présence s'étend à tous les. lieux existants on possibles, et nous ne pouvons concevoir ni un seul instant ni un seul atome qui soit en dehors de lui. II est au ciel, sur la terre, dans les enfers; il est en 'nous, dans notre corps et dans notre âme, et selon l'expression de l'Apôtre; c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes; « il nous pénètre mieux, dit un pieux auteur contemporain, que la chaleur qui traverse notre sang et nos os; mieux que la lumière qui entre dans nos yeux, mieux Glue l'air qui gonfle nos poumons », et ce n'est même que par son action secrète que ces éléments physiques ont la vertu de nous vivifier, de nous éclairer et de nous échauffer.

Conséquemment c'est en toute vérité que nous pouvons nous écrier avec Fénelon: « Vous n'êtes borné nulle part, û Mon Dieu, et vous êtes partout; vous y êtes avant que j'y sois, et je n'y vais qu'à cause que vous m'y portez; je vous laisse au lieu que je quitte, et, que je me transporte loin ou près, je vous trouve toujours à celui où je passe » ; en toute vérité aussi que nous pouvons ajouter avec le roi-prophète: « Où irai-je, Seigneur, pour me soustraire á votre esprit et fuir de devant votre face? Si je monte au ciel, vous y régnez; si je descends dans les enfers, vous y êtes présent; si je prends des ailes pour me transporter au delà des mers, c'est votre main qui m'y conduit »

C'est remplir un acte essentiel de la vertu de religion. Qu'est ce que la religion, en effet, considérée comme vertu? C'est une disposition constante de notre volonté à rendre à Dieu, comme premier principe et maitre de toutes choses, le culte qui est dû à sa souveraine majesté; et l'acte le plus important de ce culte est l'adoration, qui se résume dans un triple et profond sentiment de respect pour son infinie grandeur, de reconnaissance pour ses bienfaits sans nombre et d'amour Pour ses perfections infinies. Or comment éprouver ce triple sentiment, comment surtout y conformer les actes de notre vie sans le souvenir habituel de la présence divine? Concevrait-on. par exemple, que nous eussions pour la Majesté de Dieu, le respect souverain qui lui est dû si, le sachant constamment présent devant nous, nous ne pensions jamais à lui, si nous nous comportions ou à peu près comme s'il n'existait ou comme si nous ne nous croyions tenus envers lui à aucun égard ou à aucun témoignage de déférence? Où serait notre amour, notre reconnaissance, si, l'ayant sans cesse prés de nous et jouissant de la multitude de ses bienfaits, nous nous comportions à son égard à peu près comme avec un indifférent ou un inconnu, sans que jamais ou presque jamais notre cœur ne rappelât à notre mémoire le souvenir de ses perfections ni de ses faveurs? En quoi nous distinguerions-nous pratiquement, sinon par notre inconséquence, des infidèles qui l'ignorent ou des athées qui le nient?

Au contraire, le souvenir habituel de sa sainte présence est non seulement un hommage que nous lui rendons, mais la disposition la plus favorable pour faire naître dans notre cœur tous les sentiments que nous devons avoir pour Lui. Quel motif de saint respect, de crainte révérentielle, d'amour, de gratitude et de filiale confiance que de pouvoir se dire sans cesse : « Je suis en la présence de Dieu : devant la souveraine majesté que les anges adorent en tremblant ; devant le Dieu tout-puissant, qui d'une seule parole a créé le ciel, la terre et tous les êtres qui y sont contenus; devant le Dieu trois fois saint, dont le regard infiniment pur découvre des taches jusque dans ses anges ; devant le Dieu infiniment bon, qui m'a aimé de toute éternité, b. qui je dois l'existence avec tous les biens dont elle est la condition, et qui me réserve dans le ciel une éternité de bonheur et de gloire ; devant le Dieu infiniment aimable, infiniment parfait dont la contemplation fera 6. jamais la félicité des élus! Comment, â ce souvenir, ne nous sentirions-nous pas inclinés â toutes les vertus que la religion implique ou recommande ? C'est la pensée de Dieu présent qui, de tout temps, a fait naître et s'épanouir la constance des martyrs, la générosité des confesseurs, le zèle des apôtres, la pureté des vierges, la pénitence des solitaires, la sainteté, en un mot, de tous ceux qui ont édifié le monde par la perfection de leur vie »

C'est s'armer d'une force invincible contre les ennemis du salut. « Le souvenir de la présence de Dieu, dit le grand solitaire saint Antoine, met en fuite les démons comme le vent chasse la fumée » ; « ils ne peuvent rien contre nous, ajoute un autre saint anachorète, tant que nous nous tenons en la présence de Dieu » Etre bien pénétré que Dieu est devant nous, près de nous et en nous ; qu'il nous regarde et est le témoin de toutes 'nos actions ; que le mal lui déplaît infiniment; qu'il ne peut s'empêcher de le punir rigoureusement, et malgré cela se livrer au péché, n' est-ce pas, en effet, une chose tellement monstrueuse qu'on peut à peine la concevoir ?

Non, déclare saint Augustin, une âme vraiment convaincue que Dieu la regarde comme si elle était seule au monde, qu'il entend toutes ses paroles et les inscrit dans le grand livre d'après lequel elle doit être jugée ne péchera jamais. Il n’est point de tentation dont la foi vive à cette divine présence ne triomphe ; point d'orgueil ni d'emportement qu'elle ne corrige ; point de faiblesse qu'elle ne soutienne et ne fasse triompher. « Comment pourrais pécher devant Dieu qui me voit? se dit Joseph sollicité au mal par la femme de Putiphar » ; et cela suffit à le faire sortir victorieux d'une tentation très dangereuse.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement d'une manière directe que le souvenir habituel de la présence de Dieu combat les tentations et les fautes; il les prévient aussi dans leurs causes, en chassant les pensées vaines et inutiles, en arrêtant la dissipation; la légèreté, l'immodestie des regards, les discours mondains, nous porte à veiller avec le plus grand soin sur notre esprit, notre cœur et nos sens, et par là, dit saint Chrysostome, il devient un rempart inexpugnable contre le péché en même temps qu'une voie assurée pour arriver a la perfection.

C’est se donner une des plus douces consolations qu'il soit possible de goûter ici-bas. Quelle consolation, en effet, dans nos travaux, nos combats, nos difficultés, nos tentations, nos épreuves, de penser que Dieu est toujours avec nous, qu'il nous garde et nous protège, qu'il veille sur nous, selon l'expression de son prophète, comme sur la prunelle de ses yeux; qu'il est témoin de nos efforts, de nos luttes, de notre bonne volonté, et qu'il tient de tout cela un compte fidèle pour nous en récompenser un jour si nous l'avons fait pour Lui! Quand on a des peines, n'est-ce pas un soulagement inexprimable de se représenter Dieu A nos côtés et de verser dans son cœur paternel notre cœur affligé? Quand on a des joies, ne sont-elles pas mille fois plus douces, épanchées dans le cœur de Dieu et goûtées pour Lui? Quand ou est abattu, décourage, n'est-ce pas une force indicible de se jeter entre les bras de Dieu et d'attendre de lui le secours ? Dans quelque situation qu' on se trouve enfin, il y a une joie ineffable, et comme un avant-goût du paradis, à penser qu'on vit en Dieu, en Dieu infiniment bon, infiniment beau, infiniment juste, infiniment parfait. A ces doux souvenirs, le cœur se dilate, il sent que Dieu est tout, il l'aime, il en est aimé: que faut-il de plus pour être heureux? Le saint roi David en avait fait l'expérience, et c'est pourquoi il s'écriait: Je me suis souvenu de Dieu et j'ai été rempli de bonheur. Je l'ai cherché au jour de la tribulation, j'ai étendu vers lui mes mains pendant la nuit et mon attente n'a pas été trompée. Je le voyais à ma droite pour me soutenir, et cette pensée habituelle faisait tressaillir de joie mon cœur et ma chair 1.

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Mais, précisément parce que le souvenir de la présence de Dieu produit en nous d'excellents fruits de sainteté, le démon fait tous ses efforts pour nous en détourner et nous le faire perdre. Dans ce but, il emploie des moyens nombreux et variés parmi lesquels nous nous bornerons signaler: les affections et les désirs désordonnés, les passe-temps frivoles, la fréquentation du monde et le souci des choses qui ne nous regardent pas.

En remplissant notre âme de l'objet qui leur est propre, en concentrant sur lui toute l'activité de notre esprit et de notre cœur, les désirs déréglés, l'attachement désordonné aux créatures, les amitiés trop humaines, et en général toutes les passions immortifiées, absorbent notre attention, enchaînent nos facultés aux choses de la terre et rendent très difficile, pour ne pas dire impossible, notre union avec Dieu.

Il en est de même des amusements, des jeux, des passe-temps frivoles qui, en répandant notre âme au dehors, lui font rechercher ce qui dissipe et distrait, lui donnent du goût pour les bagatelles et l'empêchent de se complaire aux choses divines et de songer sérieusement aux intérêts de l'éternité, seules dignes cependant d'occuper les pensées d'une âme vraiment chrétienne.

Le monde de son côté est, comme on l'a dit avec raison, la terre classique de l'oubli de Dieu, et celui-là ne peut guère espérer vivre longtemps de la vie spirituelle et intérieure, qui, au lieu de s'en tenir éloigné le plus possible, aime, au contraire, à s'y trouver, soit de corps en lui rendant des visites inutiles, soit de cœur en s'y ménageant des attaches, soit d'esprit en s'occupant trop de ses affaires, de sa politique, de ses vanités; soit de souvenir en se rappelant avec complaisance les personnes qui l'ont flatté ou les choses auxquelles il s'est vivement intéressé. Comment, en effet, pourrait-il éviter d'être troublé, séduit ou distrait par toutes ces choses qui le tentent et l'importunent?

Enfin, un dernier et très grave obstacle au souvenir habituel de la présence de Dieu, c'est le souci des choses qui ne nous regardent pas. « Oh! que l'on goûterait de paix et de tranquillité, dit encore l'auteur de l'Imitation de Jésus Christ, si on retranchait toute vaine sollicitude! Mais souvent, par défaut de détachement ou sous un faux prétexte de zèle ou de charité, on s'embarrasse de mille soins étrangers à ses devoirs d’état et dont la pensée nous poursuit partout; on s'en préoccupe nuit et jour sans modération ni prudence, et le souci de ces soins accessoires nous fait oublier le principal. Comme Jésus le disait à Marthe, on s'occupe de mille choses sans penser qu'une seule est nécessaire »

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Pour imiter Marie, qui, d'après l'affirmation même du divin Maître, a choisi la meilleure part; pour persévérer sans trop d'obstacles dans l'union avec Dieu et jouir de la familiarité de son entretien, il y a donc des écueils à éviter et des moyens à. prendre. Il faut nous dégager de tout désir, de toute affection, de toute attache qui, en remplissant notre esprit et notre cœur de la pensée et de l'amour des choses créées n'y laisserait point de place pour la pensée et l'amour des choses divines. II faut nous tenir le plus possible dans le recueillement, le silence, la solitude et n'avoir avec le monde que les rapports obligés, nous souvenant de ces sages paroles du P. Louis de Grenade. « Les Saints qu'un devoir quelconque appelle dans le siècle reviennent aussitôt qu'ils le peuvent aux exercices de la vie spirituelle, de crainte que leur trop long contact avec le monde n'imprime à leur âme quelque souillure, ou que l'ardeur de la charité venant à se refroidir en eux, ils n'aient tout à. faire ensuite pour revenir au point d'on ils sont partis » Il faut nous tenir tout entiers à nos devoirs d'état, nous contenter de remplir de notre mieux l'emploi que nous tenons de l'obéissance, sans vouloir nous engager dans toutes œuvres qui nous semblent bonnes : outre que notre intervention y serait souvent d'une utilité douteuse, elle aurait pour effet certain de nous enlever la tranquillité dont nous avons besoin pour vivre d'une vie vraiment religieuse. Enfin, puisque le souvenir de la présence de Dieu est une grâce, il faut le demander par la prière, en faire des actes fréquents pendant la journée et élever souvent notre esprit et notre cœur à Dieu par la pratique des oraisons jaculatoires. « Pensez et Dieu dans toutes vos voies, — dit le Saint-Esprit au livre des Proverbes — et cette pensée guidera vos pas dans les sentiers de la perfection ».

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1 Ps. 65 et 15.

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