La méthode Ward

F. L.-R.

20/Oct/2010

 

Nous savons tous que le Vénérable Père Champagnat attachait une grande importance à l'enseignement du chant. Pour lui, le chant était un grand moyen d'éducation que les Frères ne devaient pas négliger. Aussi fut-il un des premiers éducateurs à introduire le chant dans les écoles primaires. Le chant sèmera la joie dans le cœur des enfants et contribuera à l'épanouissement de leur piété.

Mais pour former nos enfants au chant, il ne suffit pas de leur faire chanter des chansons ; il faut avoir en vue une véritable formation musicale. Il faut donner aux enfants la technique nécessaire qui leur permet de chanter avec la plus grande perfection possible. Malheureusement dans beaucoup de nos écoles, la leçon de musique se réduit à l'enseignement de quelques chants. Il y a mieux à faire. Si nous voulons former de bons chantres pour les paroisses, comme le souhaitait notre Vénérable Fondateur, il faudra donner aux enfants une formation sérieuse. Le grand problème est de connaître la façon de s'y prendre. Sans aucun doute, la méthode qui est actuellement la plus adaptée aux enfants est la méthode Ward.

 

Origine de la méthode Ward1. — L'histoire se passe dans le Minnesota (Amérique) aux environs de 1870. Thomas Shields encore enfant était considéré comme un sot. Ses parents désespéraient de faire quelque chose de lui ; par deux fois, ils le retirèrent de l'école, puis l'occupèrent aux travaux de la ferme. Mais là aussi il faisait le désespoir des parents. Il s'intéressait à une seule chose : la mécanique. Pour l'occuper, on lui faisait arracher des souches d'arbres ; mais cette corvée l'ennuyait.

Dans le plus grand secret, il monte une machine à déraciner les arbres. Il réussit. Il ressent la joie de l'inventeur. Cette expérience lui donne confiance. Il entreprend des études, devient prêtre, docteur en biologie et physiologie, puis professeur d'Université à Washington. Il consacre son temps à la pédagogie. Persuadé qu'on peut apprendre aux enfants tout ce qu'on veut, à condition de s'y prendre à temps et de procéder d'une façon méthodique, il se met à rédiger des livres pour enfants : Catholic Education Séries. Il place deux chants à la fin de chaque chapitre. Le premier résume ce qu'il vient de dire, le second prépare ce qui va suivre.

 

La rencontre avec Mme Ward. — Thomas Shields fit connaissance, un jour, avec Mme Ward, qui était professeur de musique, et lui montra ses chants pour enfants. Celle-ci lui dit carrément que ses chants ne valaient rien. Thomas Shields accepta la critique avec le sourire et demanda à Mme Ward de l'aider. A partir de ce moment Mme Ward est à la recherche d'une méthode d'enseignement de la musique. Sa méthode s'adressera à tous les enfants, sans exception, et dès l'âge de 6 ans. Elle espère par là contribuer au renouveau du chant liturgique, comme le demandait Pie X, en initiant tous les petits baptisés à la musique.

A cette même époque, Mme Ward entend parler de Solesmes. Pour étudier à fond le chant grégorien, elle franchit l'Océan et se met, pendant plusieurs années, sous la direction de Dom Mocquereau qui lui révèle les secrets de la rythmique.

 

Comment se présente la méthode Ward. — La méthode Ward comporte quatre livres : Premier livre : le mode majeur ; Deuxième livre : le mode mineur ; Troisième livre : la polyphonie ; Quatrième livre : le chant grégorien. Chaque livre renferme la matière pour une année d'enseignement. De sorte qu'en commençant à l'âge de six ans, la méthode sera terminée vers onze ans. Pour ne pas être obligé d'écrire les exercices au tableau, on peut aussi se procurer les feuillets qui accompagnent chaque livre ; ce sont des tableaux du format d'une carte de géographie. Ces feuillets sont pratiquement indispensables à partir de la deuxième année vu le nombre d'exercices à faire. Le quatrième livre étudie uniquement le chant grégorien. Mme Ward estime que chaque baptisé doit être un chanteur des louanges de Dieu. D'ailleurs, c'est répondre au désir de l'Église que de former le peuple au chant grégorien. Cette méthode nous intéresse au plus haut point, étant donné que l'un des buts du Vénérable Père Champagnat, en introduisant le chant dans nos écoles, était de former de bons chantres pour les paroisses. Partout on essaye actuellement de faire participer le peuple plus intensément à la liturgie. Donnons à nos enfants le goût de la belle liturgie en leur faisant chanter les offices avec la plus grande perfection possible.

 

La leçon Ward. — La leçon commence toujours par un exercice vocal, la prière viendra après. Nous devons louer le Seigneur de la manière la plus parfaite. L'exercice vocal qui précède la prière a pour but de préparer notre voix pour cet acte. Ensuite viennent : un exercice d'intervalles, un exercice rythmique, une dictée rythmique ou mélodique et différents autres exercices. Pendant la leçon, on exécute ainsi une dizaine d'exercices différents, chacun d'eux ne durant que deux ou trois minutes. La leçon est très variée, Un élément intéressant de la leçon, c'est le rythme. L'enfant doit acquérir le sens du rythme par l'intermédiaire du corps tout entier.

Chaque chapitre prépare soigneusement le chapitre suivant tout en récapitulant le précédent. On fait toujours découvrir à l'enfant l'inconnu au moyen du connu. La période d'initiation proprement dite doit durer le moins longtemps possible. Les enfants ne doivent pas habituellement être arrêtés par les intervalles d'un exercice ou d'un chant, ces intervalles étant toujours soigneusement préparés au cours de la leçon.

Mme Ward enseigne déjà la chironomie en première année, alors que dans les écoles grégoriennes, elle est enseignée en quatrième année. La chironomie est l'art de diriger, en dessinant le rythme avec la main. Ainsi, dès la fin de la première année, ces rythmes élémentaires, ces pas ou petits mouvements constitués chacun par un élan et une retombée (que les anciens appelaient arsis et thesis) sont familiers aux élèves.

Combien de temps faut-il consacrer à la leçon ? L'idéal est d'y mettre vingt minutes chaque jour ou à la rigueur quatre demi-heures par semaine. Ce n'est pas exagéré, car les programmes officiels prévoient à peu près ce temps. La leçon doit être donnée par le professeur de la classe. Il connaît mieux que n'importe quelle autre personne les capacités et les réactions des enfants. Il doit enseigner la musique au même titre que les autres matières, à condition d'avoir l'oreille juste évidemment.

 

La méthode a fait ses preuves. — En Hollande, M. Joseph Lennards a lancé la méthode depuis vingt ans. Les résultats obtenus sont très satisfaisants. A neuf ans, on remet déjà le Kyriale entre les mains des enfants. A douze ans, comme cadeau de première communion, on leur donne tout simplement le graduel avec notation carrée. Ce livre n'a aucun secret pour ces enfants, car ils connaissent aussi bien la notation grégorienne que la notation ordinaire.

On se souvient encore de la séance donnée à Paris, aux Membres de l'U.N.E.S.C.O. en novembre-décembre 1946. Un maître hollandais fit une démonstration de la méthode Ward devant l'assemblée. Après la leçon, le maître désigna un enfant de 9 ans pour diriger ses camarades ; il s'exécuta avec la plus grande facilité devant l'assistance émerveillée. Les enfants chantèrent aussi différentes pièces grégoriennes indiquées par l'assemblée.

On cite aussi le cas, qui n'est pas unique d'ailleurs, d'une. paroisse de Hollande qui possède une chorale de deux cents chanteurs. Tous ces chanteurs ont été formés par la méthode Ward. Ils lisent la musique couramment. Dans les répétitions, le déchiffrage ne prend aucune minute ; tout le temps est consacré à des mises au point.

Rapportons encore un autre témoignage. Mlle Odette Hertz a séjourné un an en Amérique auprès de Mme Ward. Elle a fréquenté plusieurs écoles d'Amérique et actuellement, elle a la haute main sur l'enseignement de la méthode Ward en France. Voici ce qu'elle écrit dans Pédagogie2 : « Je me souviens de l'exécution collective d'une mélodie de Schubert, dans une classe d'enfants de onze ans, à Saint-Louis (Missouri). Il n'était pas question d'ânonner des notes ou de balbutier des mots sur une mélodie. Les phrases musicales avaient une telle vie, une si belle harmonie rythmique qu'elles jaillissaient d'un même élan mû par une science, une même connaissance de la technique musicale. Cette performance semblait naturelle à ces enfants qui étaient capables aussi bien d'exécuter un chœur de Costeley ou un choral de Bach avec la même aisance, la même sûreté, leur formation technique les menant tout naturellement à l'exactitude du style. »

Ce sont là des faits qui parlent suffisamment et qui doivent nous encourager à essayer un travail sérieux dans la formation musicale de nos élèves.

 

Enseignement de la méthode Ward. — Evidemment, il n'est pas question de se lancer du jour au lendemain dans cette méthode sans en connaître à fond les rouages. La bonne volonté n'est pas suffisante ; il faut une initiation, sans quoi on risque de courir au-devant d'un échec. Sans doute, il n'y a qu'à suivre la matière telle qu'elle est exposée dans la suite des chapitres. La façon de donner les exercices est indiquée dans le livre. Cela ne signifie pas que l'on soit à même de bien réussir un exercice sous prétexte que l'on a saisi la manière de procéder. Rien ne vaut les exemples pratiques que l'on trouve dans les cours d'initiation.

Il existe en France plusieurs centres d'initiation qui donnent régulièrement des cours chaque semaine ou font des sessions au moment des vacances. Plusieurs confrères ont déjà participé à ces sessions ou cours. Quelques-uns appliquent la méthode dans leur classe et s'en trouvent bien. Il faut se réjouir de ce départ et espérer que ce mouvement ira en s'amplifiant. Arriver à un enseignement général de la méthode, voilà un idéal à atteindre. Le grand problème qui reste à résoudre est la formation des maîtres et c'est là une question de temps.

A partir de cette année, l'initiation à la méthode Ward fera partie du programme de formation musicale des scolastiques à Saint-Genis-Laval. Une heure par semaine y sera consacrée. Ainsi dans quelque temps, les Frères sortant du scolasticat auront une certaine formation qui leur permettra d'aller de l'avant. Avec l'appui des confrères déjà compétents dans la matière, ils pourront réaliser du bon travail. Grâce à cette formation des cadres, il sera possible d'obtenir que chaque maître de classe enseigne le chant et que le travail entrepris par l'un soit continué par l'autre dans le même sens.

Les résultats obtenus un peu partout, dans nos maisons de formation, pour l'exécution des mélodies grégoriennes ou d'autres pièces polyphoniques sont remarquables. Il est à souhaiter qu'une intelligente application des méthodes pédagogiques accentue ces louables progrès, et toujours à la plus grande gloire de Dieu et à l'honneur de la Très Sainte Vierge.

                                              F. L.-R. (f. Louis-Régis, Weber)

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1 Cf. Pédagogie, avril 1950, p. 233 et suivantes.

2 Pédagogie, avril, 1951, p. 215.

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