Le bon emploi des loisirs

F. Joseph-Lucien.

25/Oct/2010

Nous trouvons dans la revue familiale de Belgique Entre Nous, qui donne souvent des articles à la « substantifique moelle », quelques considérations sur les loisirs dans les pensionnats. Nous pensons être utile à nos lecteurs en les leur communiquant ; peut-être ces réflexions rejoindront-elles leurs propres préoccupations sur ce sujet.

Lors de la Journée pédagogique de Genval durant les vacances de Pâques 1957, on aborda la question si importante de l'emploi des temps libres dans un internat. Une question bien nette fut posée par un surveillant ayant la charge d'une bonne centaine de pensionnaires : « Que faire le dimanche ? »

Au cours de l'exposé du Frère rapporteur et de la discussion qui suivit, on eut l'impression qu'on cherchait avant tout une solution pratique, une formule heureuse, par exemple, un horaire soigneusement élaboré et varié, permettant d'occuper facilement et agréablement les enfants durant cette longue journée. On cherchait à « passer le temps ». On calculait la durée de la messe, on déterminait la longueur du sermon, on discutait de l'utilité d'une étude, de la nécessité des Vêpres, des séances récréatives, la part du sport, etc.

Tout cela est peut-être utile, même nécessaire. Mais n'est-ce pas là simple question de règlement sans âme ? N'est-on pas à côté de notre fonction d'éducateur ? Eduquer est autre chose que d'établir des horaires. C'est la formation de l'esprit et du cœur pour faire de nos élèves des hommes pour la vie qui les attend. On n'a jamais fini d'éduquer et on y travaille aussi bien par les loisirs que par le travail. Nous savons tous que l'éducation atteint son plus haut objectif quand elle amène l'élève à travailler à sa formation personnelle. Le véritable objet de l'éducation doit être de rendre le maître superflu. Cette fin est atteinte quand on a donné à l'étudiant un intérêt enthousiaste pour les grandes et belles choses. Cela l'incite à continuer l'éducation commencée en classe et lui réserve des expériences plus pleines et plus profondes. Il devient le jeune homme aux intérêts variés qui puise abondamment au fleuve de la vie qui passe et qui peut apporter aux autres le plus de bonheur et de joie.

Il y a des enfants qui n'ont aucun intérêt spontané pour quoi que ce soit d'ennoblissant. Ils en sont réduits à rechercher leur distraction dans les choses extérieures et par conséquent à se limiter aux seuls plaisirs des sens. Le défaut de direction dans la culture des intérêts supérieurs pendant les années d'étude est, au moins en partie, responsable de cette situation.

Pourquoi les cinémas sont-ils bourrés de monde tandis que les musées restent vides ? Pourquoi les romans à cinq sous ont-ils relégué la vraie littérature dans les coins poussiéreux des bibliothèques ? Les journaux perdent leur attirance lorsqu'on a dévoré la page des sports ou les « stripts » humoristiques. Les revues sérieuses font faillite tandis que les magazines à sensation font fortune.

Quand les hommes n'ont plus d'intérêt pour les choses qui en valent la peine, le temps leur pèse comme du plomb et ils essaient de le tuer. Ces gens-là sont les victimes toutes désignées des marchands de sensations. Ils cherchent en surface ce qu'ils ne trouvent pas en profondeur.

La tâche de l'éducation est d'éveiller et de cultiver des intérêts enrichissants. La période de la vie la plus propice pour cela est certainement celle de la puberté. La jeunesse est alors intellectuellement apte et constitutionnellement réceptive aux grands et beaux sentiments. Si elle est intelligemment guidée, elle peut s'enthousiasmer pour les plus belles choses. Si l'éducateur ne profite pas de ces dispositions idéales, il peut faillir à la partie la plus noble de sa tâche qui est d'éveiller au sens des valeurs.

Comment y travailler dans nos pensionnats ?

Que de fois le pensionnaire sent comme par instinct qu'il est amené au pensionnat parce qu'il est un obstacle à la vie de plaisir des parents.

Il voit donc cet « emprisonnement » comme obstacle à ses plaisirs (film, radio, télévision sont réduits à zéro ou presque). De plus, quand il vient en vacances, en week-end, la famille essaie de lui procurer tous les extras qu'il souhaite. En famille, il trouve comme idéal un maximum de confort et de jouissance avec un minimum d'efforts. Dans le monde extérieur où il tombe, l'amusement est organisé et commercialement exploité. Une réclame raffinée lui apprend que le bonheur se trouve dans l'argent et le plaisir. La suite en est que bien peu résistent à cette frénétique chasse aux jouissances.

Le jeune homme nous revient fatigué et flasque, avec du dégoût pour le travail et l'effort, rêvant au passé, faisant des plans pour l'avenir et un peu plus pénétré (on peut bien dire empoisonné) par la conception matérialiste de la vie, que nous avons toujours à combattre en eux.

Nous devons sauver de ce déluge du matérialisme la puissante et profonde poussée de la nature et cultiver cette noblesse intérieure qui sauvera la jeunesse du naufrage spirituel, moral et même simplement humain.

Toute notre action pour le bon emploi du temps libre, tout notre apostolat de l'amusement sain, toute notre éducation du loisir devra en fin de compte aboutir à cela.

Sauver « le plus est en vous ». Eveiller et cultiver dans notre jeunesse le désir des valeurs spirituelles les plus hautes afin qu'elle ne prise pas trop les choses terrestres et aime les choses du ciel.

Dans l'audience accordée au Très Honoré Frère Nicet-Joseph des FF.E.C. le Pape dit : « Il ne faut pas seulement suivre de près les élèves pendant les heures qu'ils sont chez nous à l'école mais aussi lorsqu'ils ont quitté l'école et qu'ils luttent dans le monde pour mener une vie vraiment chrétienne. »

Comment allons-nous procéder et quelle est la méthode et l'exemple à suivre ? Dans son mandement de Carême, Mgr Frings, archevêque de Cologne, écrit : « C'est tout un art de bien remplir les temps libres. Que vos dimanches servent à vous détendre dans la nature, à intensifier les jours de la vie familiale par les visites et l'exercice d'une sobre intimité. Jeux, musique de chambre, chants communautaires sont d'heureux passe-temps du dimanche. » On vient donc bien nous suggérer que la bonne formule de cette éducation se trouve dans la famille chrétienne moderne !

Et l'archevêque continue : « Une grande tâche repose sur le peuple qui dispose de plus de temps libre que parle passé. »

Il s'agit donc de conduire les gens, les jeunes gens surtout, aux nobles et vraies joies goûtées dans une lecture formatrice et intéressante, une fréquentation critique du cinéma, l'intelligent usage de la radio et de la télévision, la pratique saine du sport et l'épanouissement de nobles et utiles passe-temps comme les arts appliqués, les sciences pratiques, les collections, etc.

Voilà donc le programme !

 

Pratiquement :

Pour arriver à ce bon résultat il faut beaucoup de dévouement et de zèle de la part de l'éducateur.

Afin d'atteindre son but, il doit savoir intéresser les enfants à cette éducation qui leur révèle tant de richesses enfouies.

On ouvrira donc des horizons pour l'élève en variant à l'infini les différents passe-temps du dimanche et des jours de fête.

Ces jours-là auront un horaire spécial et l'on attirera l'attention sur l'un ou l'autre point nouveau… (par une affiche, par exemple, dans le mot du soir, par la vente du programme, par les préparatifs).

Messe chantée, repos prolongé — ou coucher retardé. Une rencontre sportive, une séance dramatique, une promenade intéressante, etc.

Cela éveille les appétits… et quand la chose arrive on est tout disposé à en profiter au maximum. Songez au décorum.

Il faut une troisième chose — on doit dans toutes ces entreprises former le goût, l'esprit critique, le sens esthétique, le fair-play, l'adresse, etc., de l'enfant. Qu'il soit simplement spectateur, auditeur ou acteur dans la fête, il faut autant que possible demander sa collaboration.


Exemples
:

Citons pour être plus concrets quelques exemples de notre pensionnat :

 Journée des jeux olympiques. Les moniteurs sont des volontaires. Ils préparent tout eux-mêmes (appareils, listes des compétitions, paiements, notation des résultats). Le Frère supervise tout et éveille ou stimule l'esprit sportif. Le soir, proclamation des « records » et petites récompenses. Ces dernières faisaient même souvent défaut. Et tous étaient contents.

Séance de disques. Annoncée par une affiche. Souvent disques payés par les élèves mêmes. La salle d'étude est disposée en salle de concert, avec podium et une décoration adaptée.

Commentaire par un Frère ou par les élèves eux-mêmes. Ainsi ils ont écouté durant plus de deux heures des extraits de la Passion de J.-S. Bach ou une suite de morceaux de jazz dans un silence impressionnant. A la fin de la séance, on a tiré au sort un disque écouté (qui sera la première plaque noire du jeune discophile).

Ballet. Dans la classe du travail manuel (leçon de cartonnage) on a fabriqué des masques. On a étudié la ballade de Gœthe : « Der Zauberling » et ils ont fait cadeau d'un disque « L'Apprenti sorcier » de P. Dukas. Pendant quelques semaines, un Frère étudie avec une douzaine d'élèves un ballet et le tout est porté sur scène. C'est une révélation. Le soir, on vient demander de toutes parts le titre du disque, le nom du compositeur. Ils demandent la plaque comme cadeau à la maison, ou l'achètent pour leur bibliothèque.

Week-end. Le soir, avant que les enfants partent en week-end ou en vacances, on affiche ou on leur recommande les films, les spectacles, les sports, etc., qui sont à voir et qui sont à leur portée, question de les guider dans le choix de leurs divertissements et de former leur goût et leur conscience.

Résultat. Devant deux films, ils choisissent bien souvent celui recommandé et en reviennent ravis. Parfois, c'est le contraire (assez rare) et on peut discuter la chose avec eux. Tout cela est formateur.

« Instructif-Actif ». Il y a en Hollande un mouvement catholique qui s'occupe des jeunes gens afin de leur procurer le dimanche et le samedi soir, des séances intéressantes. Ce qui manque souvent, c'est la variété du programme : quand on n'a rien, on fait un bal.

Au pensionnat, on les prépare à jouer un rôle actif dans ces organismes. On organise avec les élèves des soirées théâtrales, des crochets, des quiz, etc., où ils peuvent chanter, improviser, déclamer, etc. …, en public avec un jury (choix d'élèves) et des récompenses pour celui qui fait le mieux.

Exemple. Mode-show. Chaque classe délègue huit élèves qui seront présentés par l'un d'entre eux (speaker) et qui devront figurer un personnage : cow-boy, vieille dame, saint Nicolas, sportman, Indien, clown, etc. Ils doivent faire eux-mêmes le costume avec ce qu'ils ont en chambre ou dans le vestiaire de notre théâtre. La séance a duré deux heures et demie et a été un succès complet de trouvailles heureuses, sans une marque de vulgarité. Formation !

On peut organiser aussi un championnat d'échecs, de jeu de dames, de jeu de cartes. Aux jours de pluie, un championnat de ping-pong ou de badminton, etc.

Les temps libres ne seront bien employés que s'ils sont choisis librement. A nous de guider ce choix, de former leur goût !

F. Joseph-Lucien.

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