Circulaires 121

Louis-Marie

1876-06-29

Adieux aux Frères Missionnaires. - Adresse des Novices de Sydney. - Lettre en réponse à l'adresse. - Des­ soins miséricordieux de Dieu sur l'Institut, en nous ap­pelant à l’œuvre des Missions. - Résumé des départs. -  Desseins miséricordieux du bon Dieu sur l'Église dans l'établissement des Communautés Religieuses. -  Consé­quence ou réflexion très pratique, surtout au point de vue de l'humilité. - Avis divers. - Epoques des Retraites. - Ordre général. - Chapitre général, 2e Session. - Renseignements. - Construction d'Aubenas. -

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51.02.01.1876.4

 1876/06/29

 V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval (Rhône), le jeudi 29 juin 1876,

Fête des Saints Apôtres Pierre et Paul.

 MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 Nous venons de faire nos adieux, en Communauté, à trois nouveaux Frères Missionnaires :

 Frère Antonio, de la Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux; 39 ans d’âge, 22 ans de Communauté, 16 ans de Profession.

 Frère Audry, de la Province du Nord ; 38 ans d'âge 22 ans de Communauté, 16 ans de Profession.

  Frère Antonino, de la Province du Nord; 34 ans d'âge, 18 ans de Communauté, 12 ans de Profession.

 C'est lundi dernier que ces trois Religieux nous ont quittés et se sont dirigés sur Rochefort; et c'est le 1ier juillet prochain qu'ils doivent s'embarquer, aux frais de l'État, sur le Navarin, pour aller partager les travaux de nos Frères de la Nouvelle-Calédonie.

 Unissons, dès ce moment, nos prières et nos vœux, comme nous l'avons fait à l'égard de leurs devanciers, pour recommander à Dieu, par Marie, par Joseph et par les bons Anges, leur longue et périlleuse traversée. Le bâtiment n'étant qu'à voiles, ils s'attendent à une navigation de quatre à cinq mois. Heureusement, nous avons l'assurance qu'il y a un Aumônier à bord et que nos Frères ne manqueront point des secours de la Religion. Samedi prochain, 1ier juillet, on reprendra à leur intention, dans lesMaisons de Noviciat, à la Visite de onze heures et demie, la récitation de l'Ave Maris Stella, et on le continuera jusqu'à fin novembre.

 Ce départ fait suite à celui du mois de janvier dernier pour les Missions de l'Océanie ; et à celui du mois de février suivant pour la Mission du Cap de Bonne-Espérance ; cinq Frères, que je vous ai spécialement recommandés, dans la Circulaire du 10 mars 1876, et qui, grâce à Dieu, sont tous arrivés en bonne santé à leur destination.

 La traversée des Frères, en destination de la Nouvelle-Zélande, a même eu cela de particulier qu'ils ont pu entendre la sainte Messe tous les jours, et qu'ils ont été témoins d'un très heureux retour à la foi.

 «Nous avons eu, nous écrit le cher Frère Sigismond, la consolation, pendant notre traversée, de voir le deuxième Intendant du vaisseau embrasser la vraie foi. Ce fut le Samedi-Saint, vers les cinq heures du matin, qu'il fut baptisé, dans la cabine des RR. Pères ; nous y assistâmes tous pour ajouter à la cérémonie. La circonstance nous paraissant tout à fait exceptionnelle, le cher Frère Matthew fut le parrain, du consentement de tous : nous avons présumé la permission. Le saint jour de Pâques, le nouveau baptisé eut le bonheur de faire sa première Communion.

 « C'est un excellent jeune homme, de 27 ans, instruit, et possédant une assez belle fortune. Toutes ses pensées sont maintenant de se consacrer à Dieu de quelque manière. Je ne serais pas étonné qu'il se fit religieux, et plût à notre bonne Mère de le conquérir à l’œuvre de nos Missions ! »

 Le cher Frère, en nous donnant cette heureuse nouvelle, espère qu'elle vaudra de bons et pieux souvenirs au nouveau converti. Aussi, est-ce bien volontiers que je le comprends, dès aujourd'hui, dans toutes les prières et bonnes œuvres de l'Institut.

 Le départ de nos Frères pour les Missions est accompagné, comme vous le savez, de touchantes cérémonies.

 A la Chapelle, c'est la sainte Messe et la Communion. C'est, immédiatement après ou plus tard, le chant du Veni Creator et la rénovation des Vœux, précédée ordinairement d'une petite exhortation donnée par un de nos bons Pères Aumôniers. C'est le chant de l'Ave maris Stella et du Pange lingua, suivide la bénédiction du Très Saint Sacrement ; puis, les prières de l'itinéraire, récitées en chœur par les Frères Missionnaires et par la Communauté, sont suivies de la Consécration à la Sainte Vierge. Le cantique : Un Mariste à Marie, et le Sub tuum en chant viennois, terminent la cérémonie.

 A la salle d'exercices, après un mot à la Communauté, le baiser d'adieu est donné par les Frères Missionnaires à tous les Frères, Novices et Postulants réunis, pendant qu'on chante les Litanies de la Sainte Vierge.

 Déjà, à la Chapelle, il n'est pas possible de voir ces Frères, placés à part, en vue du Sanctuaire, sanctifier et consommer ainsi leur sacrifice, au milieu des chants et des prières de la Communauté, sans être profondément ému; mais c'est ici surtout que la sensibilité de tous est particulièrement excitée et que bien des larmes se mêlent à ce suprême et tout fraternel adieu.

 Or, M. T. C. F., pour nous disposer à nos prochaines Retraites, et pour mieux vous faire comprendre à tous à quelle fin et dans quel esprit je désire qu'elles se fassent cette année, laissez-moi, je vous prie, résumer ici les réflexions pieuses données à la Communauté, à l'occasion de ces deux derniers départs et des circonstances exceptionnelles qui les ont marqués. 

I

 Les premières, vous les trouverez dans une lettre très sérieuse, envoyée à nos bons Novices de Sydney, en réponse à leur excellente Adresse du 2 février 1875. Cette lettre me semble très propre à unir dans un même esprit, toutes les Provinces ou Parties de la Congrégation, quelque séparées qu'elles puissent être par l'espace et par le temps. On est vraiment surpris et consolé de voir, dans ces rapprochements si inattendus et si évidemment ménagés par la Providence, comme l'esprit d'humilité, de simplicité et de modestie, qui est le cachet propre de l'Institut, préside toujours et préside partout au développement de notre œuvre, de la même manière qu'il a présidé à sa naissance.

 Voici donc les faits, c'est-à-dire, l'Adresse, dans toute sa filiale et pieuse simplicité, de nos bons Novices de Sydney, et la réponse qui leur a été faite.

 « Au Très Révérend Frère Supérieur des Petits Frères de Marie.

 « Très Révérend Frère Supérieur,

 « Volontiers, nous nous écrierions avec l'Epouse des Cantiques : Qui nous donnera des ailes pour voler vers  notre bien-aimé?…

 « Ici, on nous parle si souvent de vous ; les Règles nous enseignent nos devoirs à votre égard; votre nom,  vos traits, votre bonté, votre tendresse et votre sollicitude, tout est imprimé dans notre souvenir ; tout tend à élargir nos jeunes cœurs en affection, en amour : nous sentons l'objet aimé, notre pensée le poursuit partout; mais la Providence permet que nous ne puissions pas l'atteindre.

 Nous voilà donc condamnés à vous aimer sans vous connaître, sans jouir de votre douce présence, emblème parfait du divin amour.

 « Mais s'ensuit-il que Dieu ne puisse être aimé, parce : qu'il est invisible ici-bas? et ses amants lui sont-ils  pour cela moins fidèles? Son autorité, ses ordres sont-ils moins respectés, parce qu'ils ne nous sont transmis que par ses Ministres, ses Représentants sur la terre? – Ah ! non ; les vrais amis de Jésus l'aiment sans le voir ; partout et toujours, ils lui sont fidèles, ils l'imitent surtout ; car l'effet de l'amour est de rendre semblable à l'objet aimé.

 « Voilà, Très Révérend Frère, nos obligations envers  Jésus, à cause de notre titre de Chrétiens ; et envers  vous, notre nom de Puits Frères nous impose les mêmes. S'il ne nous est pas donné de vous voir en ce  monde, nous vous serons très unis, très obéissants et  très dévoués, jusqu'au jour où nous nous donnerons l'éternel baiser de paix, en la compagnie de Jésus, de la bonne Mère et du vénéré Fondateur ».

 Ces filiales pensées, inspirées par la foi et la piété, sont admirablement écrites et artistement encadrées dans un beau dessin, aux couleurs les plus douces et les mieux harmonisées. Au bas, se lisent ces mots :  Hommage des Novices de Sydney (Australie).

  Fête de la Purification, 1875 »

 L'Adresse et le dessin reposent sur un arbre mystérieux dont les branches s'étendent à droite et à gauche. Sur la racine est écrit le nom du Fondateur. Marcellin Champagnat. Il va par Marie à Jésus-Christ, et fonde Lavalla : c'est le tronc. Viennent ensuite, à droite et à gauche, dans cet ordre, nos huit Noviciats : l'Hermitage,

 Saint-Genis-Laval, Saint-Paul-Trois-Châteaux, La Bégude, Beaucamps, Hautefort, Dumfries, Sydney.

 Sur les branches de l'arbre ondule et se détache une riche banderole avec ces trois mots en beaux caractères gothiques : HUMILITÉ, SIMPLICITÉ et MODESTIE.

 Tout ce dessin, parfaitement conservé, est dans un cadre très bien peint, avec filet d'or aux quatre côtés.

 C'est donc à cette Adresse, conçue et exécutée dans une pensée éminemment religieuse, que répond la lettre ci-après :

 V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval, 31 janvier 1876.

                     « MES TRÈS CHERS NOVICES DE SYDNEY,

 « Il y a bientôt une année que j'ai votre bonne Adresse rédigée de concert et consignée en un magnifique dessin, sous la date du 2 février 1875, Fête de la Purification de la Sainte Vierge.

 « Plusieurs fois, j'ai eu la pensée et le désir de vous en témoigner ma satisfaction, et de vous adresser, en retour, quelques paroles d'encouragement. Toujours, ou les voyages, ou les affaires, ou, en dernier lieu, nos huit Retraites successives, m'en ont empêché ; néanmoins, je ne vous ai point laissé ignorer la joie toute spirituelle qui me revient des bons sentiments que vous m'exprimez et des paroles pleines de foi dont vous avez su les accompagner. Deux fois, votre excellent Frère Directeur a été chargé par moi de vous offrir l'assurance de mon affection toute paternelle, et de vous dire combien j'étais impatient de vous répondre directement.

  « Aujourd'hui que la Providence, qui veille sur toutes nos Missions avec une bonté si particulière, vous choisit et vous envoie, comme Provincial et comme Visiteur, le Très Cher Frère John, je ne puis le laisser partir sans lui remettre le bon mot que vous attendez de moi.

 « Que Dieu vous bénisse donc tous, chers et bien-aimés Novices, qu'il vous donne à vous et à tous ceux qui viendront après vous au Noviciat de la Nouvelle-Australie, la parfaite intelligence des réflexions que le bon Dieu m'inspire de vous adresser.

 « Déjà, je les ai données, aujourd'hui même, à la Communauté de la Maison-Mère, dans la cérémonie d'adieu de nos quatre nouveaux Frères Missionnaires: Frère John, Frère Sigismond, Frère Papinien, Frère Matthew. Elles m'ont paru très goûtées de tous et la bonne impression qu'elles ont produite, me fait espérer, qu'à l'aide de votre bon Frère Directeur, vous saurez également vous en faire une très juste et très salutaire application.

 « Il y a quarante-quatre ans révolus qu'un saint Evêque de France, feu Mgr Devie, Evêque de Belley, faisant visite au Noviciat encore naissant de l'Hermitage, où je venais d'arriver, et s'inspirant de la pensée et des paroles de la Sainte Ecriture, nous exprimait à tous ce souhait et cette espérance : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre (Genèse, I, 28).

 « Le saint Prélat formait ce vœu et concevait cette espérance, en voyant le Noviciat de l'Hermitage commencer si humblement, si modestement, dans un coin ignoré d'un pauvre pays de montagnes, inconnu à toute la terre.

 « Tout naturellement, une coïncidence admirable m'a reporté à ce fait déjà si ancien, la coïncidence du départ de nos Frères, et, en particulier, d'un Frère Provincial, pour nos Missions d'Océanie, dans la semaine même où l'Eglise nous fait lire, au 13e Chapitre de saint Matthieu, la parabole du grain de sénevé (Evangile du V° Dimanche après l’Epiphanie).

 « Combien cette parabole admirable répond et au souhait du saint Evêque et à la pensée de votre bonne lettre ! Comme elle explique parfaitement l'arbre historique, que vous me tracez, avec tant d'art, de la Congrégation des Petits Frères de Marie !

 « C'est bien, en effet, le grain de sénevé, la plus petite de toutes les semences, jeté en terre, par les mains du Fondateur ; se développant sous la protection de Marie, par la bénédiction visible et permanente du bon Dieu; et, devenant ce grand arbre où les oiseaux du Ciel, c'est-à-dire les âmes d'élite, viennent, de tous les points de la terre, chercher un abri: a l'Hermitage d'abord ; puis à Beaucamps, l'extrémité nord de la France puis, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, pour tout le midi puis, à Aubenas, pour tout le sud-ouest; puis à Saint-Genis-Laval, la Maison-Mère, pour tout le centre; puis à Hautefort, pour tout le couchant ; puis, à Dumfries, au midi de l’Ecosse, pour les trois royaumes des Iles Britanniques et, enfin, dans la terre d'Australie, au centre même de sa grande Capitale, pour toutes les Iles de l'Océanie, composant la cinquième Partie du monde.

 « Certes ! qui aurait dit que la parole de Mgr Devie et ses souhaits heureux se réaliseraient si promptement et sur une aussi merveilleuse étendue !… Mais c'est le grain de sénevé ; c'est une petite société, humble, simple, modeste, ignorée et méconnue du monde, et par là même bénie de Dieu et soutenue par son bras tout puissant.

 « Ah ! Mes Très Chers Frères, comprenons-le bien, c'est ainsi que Dieu fait toutes ses œuvres, à l'encontre de celles des hommes. Les hommes commencent avec bruit, avec éclat, et finissent par le néant. Dieu commence avec rien, dans le silence et l'obscurité, et son œuvre va toujours grandissant, toujours se fortifiant, jusqu'au jour où elle se consomme et se couronne dans l'immortalité bienheureuse.

 « N'est-ce pas là l'histoire de l’Eglise et de son divin Chef, véritable grain de sénevé, humilié et caché dans les anéantissements de l’Incarnation ; moulu et broyé dans les tourments de la Passion; et formant, par ces anéantissements et ces souffrances, le grand arbre catholique, où toutes les nations du monde sont invitées à venir puiser le salut et la vie?

 « Mais il y a plus, ô nos bons et chers Novices de .Sydney, vous que nous aimons et que nous chérissons en N. S. Jésus-Christ, sans vous connaître autrement que par la communion de notre Foi, de notre Espérance et de notre Charité; sans autre lien, entre nous, que la communauté de notre Vocation, de nos Règles, de nos Vœux et du but que nous poursuivons ; oui, Novices et Frères bien-aimés, il y a plus : c'est que pour vous, comme pour les Frères de l'Hermitage, Dieu fait tomber, d'une bouche épiscopale, une parole de salut et d'espérance qui vous assure, si vous la recueillez avec foi et si vous la réalisez avec courage, les mêmes bénédictions.

 « Quelle bonne parole, en effet, a été prononcée sur vous par votre saint et illustre Archevêque-Coadjuteur, à son heureuse entrée dans l'Archidiocèse de Sydney !

 « Sa Grâce venait d'arriver; Elle reçoit la visite du Cher Frère Directeur ; Elle l'accueille avec une bonté toute paternelle, et Elle veut savoir le nom de la Communauté qu'il représente.

  « Les Petits Frères de Marie, répond le Cher Frère Directeur: – Oh ! le beau nom, s'écrieaussitôt le saint Archevêque ! Combien je suis heureux que l'HUMBLE VIOLETTE vienne aussi prendre racine dans notre terre d'Australie ! Ah ! je ne serai point embarrassé pour donner mes premiers avis et ma première instruction à votre chère Communauté.

 « Puis, vous le savez tous mieux que moi, puisque vous l'avez entendu de vos propres oreilles, vous savez avec quelle force pleine d'affection Sa Grâce vous parla de la belle vertu d'humilité, vous recommanda à tous de rester bien humbles, bien simples, bien modestes.

 « Et c'est ainsi que la Providence a voulu que 1'oeuvre des Petits Frères de Marie, commencée à Sydney, par l'initiative et par les soins de son illustre Archevêque Mgr Polding, se trouvât consacrée et comme sanctifiée par la première parole que vous a fait entendre le saint Prélat, appelé à partager d'abord et à recueillir ensuite la charge auguste et difficile de ce grand Diocèse.

 « Saisissez tous, Mes Très Chers Frères, saisissez fortement et gardez, avec un soin persévérant, cette douce et profonde parole ; gardez-la avec le délicieux emblème qui vous l'explique si admirablement.

 « Je vous le redis en toute confiance, il en sera de vous, si vous la conservez et si vous la réalisez constamment, ce qu'il en a été des Frères de l'Hermitage, après la bénédiction du saint Evêque de Belley.

 « Oui, restez cachés comme l'humble violette ; gardez toujours la simplicité et la pureté de ses modestes couleurs ; ne soyez connus et appréciés que par le parfum de vos vertus : de votre piété, de votre innocence, de votre obéissance, de votre pauvreté et humilité, de votre zèle et de votre dévouement ; et, sans nul doute, vous croîtrez, vous vous multiplierez et vous remplirez la terre ; car Dieu pourra et saura se servir de vous pour accomplir une grande œuvre dans toute l'étendue du continent océanien.

 « C'est cet esprit de simplicité et d'humilité, l'esprit primitif de la Congrégation, le véritable esprit du Père Champagnat, que j'ai tout spécialement recommandé à votre excellent Frère Provincial de fortifier parmi vous, de répandre et d'entretenir dans toutes les Maisons de sa vaste Province. »

 Viennent ici quelques réflexions particulières sur la Constitution de la Province, sur les bons résultats que nous en espérons pour le développement de l’œuvre, sur l'heureux choix du Frère Provincial, et sur les dispositions avec lesquelles il doit être reçu et aidé dans l'importante mission qui lui est confiée.

 Puis la lettre continue et se termine ainsi

 « Maintenant, Mes Très Chers Frères, laissez-moi vous répéter, en finissant, avec le saint Evêque de Belley, cette parole divine des Saintes Ecritures: Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre. »

 « CROISSEZ, avant tout, et croissez toujours, en humilité, en abnégation, en esprit religieux ; mais croissez aussi, pour la gloire de Dieu, dans les connaissances utiles, dans toutes celles, même l'étude de la langue française, qui vous mettront à même de bien diriger vos Classes et de soutenir partout une légitime concurrence.

 « MULTIPLIEZ-VOUS, par le zèle, par le dévouement, par une union parfaite dans toutes vos Communautés : union précieuse qui ne manquera pas de vous attirer de nouvelles et bonnes Vocations.

 « REMPLISSEZ LA TERRE : la terre d'Australie, la terre de la Nouvelle-Zélande, toutes les terres qui composent la vaste étendue de l'Océanie. Et daigne le Seigneur, après que vous y aurez fait beaucoup de bien, pratiqué beaucoup de vertus, après que vous vous serez constamment abaissés et humiliés, constamment immolés et sacrifiés, à la suite de Jésus-Christ, vous faire arriver tous, vous faire arriver sans exception, à la terre des Vivants, où nous partagerons à jamais la gloire et la félicité du divin Maître.

 « Réalisons partout notre nom béni, unique au monde. A Lyon, comme à Sydney, l'Autorité épiscopale attache une extrême importance à ses heureuses significations.

 « Ainsi que Sa Grâce Mgr l'Archevêque de Nazianze, Sa Grandeur Mgr Thibaudier, Evêque auxiliaire de Lyon, nous faisant sa première visite et nous donnant ses premiers avis, n'a fait que commenter ce nom si doux de Petits Frères de Marie : « FRÈRES,a dit Monseigneur, par l'union et par la charité; PETITS, par la modestie, par la simplicité, par la vie humble et cachée; DE  MARIE, par une dévotion sans borne à votre bonne  Mère, par le soin persévérant de reproduire ses vertus et  de vous former sur ses exemples.

  Réalisant ainsi le titre heureux qui nous distingue, nous ne pouvons manquer d'assurer partout la prospérité de notre œuvre, et d'y trouver nous-mêmes le principe de notre bonheur éternel.

 « Plus qu'un mot, avant de clore cette trop longue lettre. Puissent les pensées saintes et les sentiments généreux qu'elle exprime, rester toujours vivants dans vos cœurs, toujours agissants dans votre vie, comme restent ici, sous nos yeux satisfaits, toujours fraîches, malgré le temps et malgré la distance, les belles et riches couleurs, dont vous avez orné votre magnifique tableau.

 « Je vous renouvelle à tous, très chers et très aimés Frères et Novices, tous mes sentiments de pieuse et tendre affection, et je me recommande instamment, avec toutes nos œuvres et tous les Membres de l'Institut, à vos bonnes prières et ferventes communions. »

  Je n'ai rien voulu retrancher, sinon quelques réflexions particulières, à cette longue lettre ; parce que les pensées qu'elle exprime et les incidents qu'elle rappelle, remontant à un demi-siècle pour le temps, allant jusqu'aux antipodes pour l'espace ; et, à cette double distance, sortant de deux bouches épiscopales, il m'a semblé voir là une confirmation des plus solennelles de l'esprit de l'Institut, un motif tout nouveau pour chacun de nous, à l'intérieur comme à l'étranger, de nous y attacher, de le défendre, de le conserver et de le fortifier, partout et toujours, de tout notre pouvoir. 

II

 Au second départ, je me suis attaché à faire ressortir : 1° le dessein miséricordieux du bon Dieu sur l'Institut, en nous appelant à l’œuvre des Missions étrangères ; 2° ce même dessein sur l’Eglise en général, dans l'établissement des Communautés religieuses, afin d'en tirer des conclusions pratiques et pour le bien de nos Frères Missionnaires, et pour le bien de tous. 

Dessein miséricordieux du bon Dieu sur l'Institut,

en nous appelant à l’Œuvre des Missions.

 En vous annonçant le départ des premiers Frères envoyés à Sydney, à la fin de 1871, et en recommandant à vos prières ces écoles naissantes, j'ajoutais ce mot : « J'ai la confiance que le bon Dieu les bénira, parce qu'elles rentrent tout à fait dans le plan de notre Œuvre et qu'elles répondent à la pensée et au désir de notre Fondateur. C'est lui qui, le premier, a donné des Frères pour les Missions de l'Océanie. »

 Dieu, en effet, a béni et développé cette Œuvre des Missions, d'une manière si visible qu'elle a lieu de surprendre et qu'elle doit exciter toute notre reconnaissance. Depuis que le Saint-Siège, en 1867, nous a demandé et comme imposé la fondation du Cap de Bonne Espérance, c'est-à-dire en moins de neuf années, nous avons eu quatorze départs, tant pour cette Mission que pour celles de l'Océanie. Je les rappelle ici par ordre :

 1° Départ du 10 février 1867, pour le Cap: Frère Chumald, Frère Sulpicius, Frère Faust, Frère Anthony, Frère Anatolie.

 2° Départ du 4 février 1870, pour le même Poste Frère Oswald, Frère Wilbred.

 3° Départ d'octobre 1870, pour le même Poste, en compagnie de Mgr le Vicaire Apostolique: Frère Loman.

 4° Départ de novembre 1870, pour Apia, presqu'île de Samoa, en compagnie de Mgr Elloy, Vicaire Apostolique : Frère Ulbert, Frère Landry.

 5° Départ du 30 novembre 1871, pour Sydney : Frère Ludovic, Frère Jarlath, Frère Augustinus, Frère Peter.

 6° Départ du 22 novembre 1872, pour Sydney Frère Ange, Frère Vial.

 7° Départ du 5 mai 1873 pour la Nouvelle-Calédonie: Frère Louis-Antonio, Frère Henricus, Frère Théobald, Frère Félix.

 8° Départ du 5 mai 1873, pour le Cap: Frère Nectaire, Frère Loetus, Frère Anselm.

 9° Départ du 3 mars 1874, pour la Nouvelle-Calédonie Frère Candide, Frère Raymond, Frère Aristarque.

 10° Départ du premier décembre 1874, pour la même Mission: Frère Marie-Clarent, Frère Bérardus, Frère Libertus.

 11° Départ du 21 novembre 1875, pour toutes nos Missions, en qualité de Frère Directeur Provincial Frère John,Profès des quatre Vœux.

 12° Départ du 30 janvier 1876, pour Wellington (Nouvelle-Zélande) : Frère Sigismond, Frère Papinien, Frère Matthew.

 13° Départ du 20 février 1876, pour le Cap : Frère Emiliani, Frère Aristœus.

  14° Enfin, départ du premier juillet courant, pour la Nouvelle-Calédonie: Frère Antonio, Frère Audry, Frère Antonino.

 Trente-huit Frères en tout, dont deux, Frère CHUMALD, Frère ANATOLIE, ont déjà reçu, j'en ai la ferme confiance, après le centuple de la vie présente, la grande récompense de la vie éternelle.

 Or, M. T. C. F., la première réflexion que m'inspirent ces départs déjà si nombreux, c'est que Dieu, en nous appelant à l’œuvre des Missions, a eu en vue de réveiller parmi nous l'esprit de zèle, de le soutenir et de l'enflammer dans toutes nos Provinces et dans toutes nos Maisons.

 Dieu, qui voit tout d'avance, a vu les temps difficiles que nous traversons ; le progrès des idées subversives qui gagnent, d'heure en heure, toute la société; les influences funestes qu'elles exercent plus ou moins jusque dans les Communautés elles-mêmes : il a vu les épreuves de toutes sortes qui nous attendent ; il a connu, dans sa prescience, les pensées d'infidélité qui peuvent en être la suite : et voilà pourquoi, avec une sagesse et une bonté infinies, il a voulu élever au milieu de nous cette nouvelle école de zèle et de dévouement, ouvrir à toutes nos Provinces ce nouveau champ des Missions étrangères, qui permet à nos Religieux d'aller au-delà même de leurs Vœux, et de demander des sacrifices auxquels l'obéissance ne saurait les soumettre.

 Quoi de plus propre, en effet, que l'exemple de nos Frères missionnaires à nous confirmer tous dans la vie sublime de la perfection religieuse, à exciter notre ardeur pour notre propre sanctification et pour le salut de nos Enfants !

 A ceux qui ne savent pas se détacher suffisamment du pays, des parents, des connaissances, ils offrent une leçon de séparation absolue, de détachement complet : leçon admirable, qui se commence aujourd'hui dans notre cérémonie d'adieu ; qui va se consommer, dans quelques jours, sur les bords de l'Océan ; et qui ira se perpétuer, jusqu'à la mort, au-delà des mers. Après un tel exemple, comment oser lasser la patience des Supérieurs pour des voyages de famille si peu motivés et si souvent répétés? Comment se faire un besoin de communications continuelles, actives et passives, avec les parents et connaissances?

 A ceux qui chancellent dans leur Vocation, qui portent encore vers le monde des regards d'infidélité, quelle puissante leçon de constance et de généreuse persévérance ! Des Frères que nous avons connus, que nous avons aimés, avec lesquels nous avons vécu, jettent, tout d'un coup, entre eux et les espérances mondaines, toute l'immensité de l'Océan, tous les obstacles d'un retour comme impossible.

 A ceux qui calculent avec les sacrifices que demande la Règle, que demande l'enseignement religieux, que demandent les Vœux, Dieu apporte l'exemple d'un courage à toute épreuve, qui va au devant des travaux et des privations, au-devant de tous les dangers et de toutes les difficultés, pour étendre le règne de Jésus-Christ, et lui gagner des âmes.

 Dieu pouvait-il nous apporter des Modèles plus chers à tous, nous ménager un secours mieux approprié aux besoins du moment? N'est-il pas de toute évidence que les Missions nous viennent, à cette heure d'affaissement général, par un dessein de Dieu tout providentiel et tout miséricordieux, comme un des plus puissants encouragements et pour nous-mêmes et pour notre œuvre?

 Une seconde réflexion, c'est que, dans le dessein de Dieu, l’Œuvre des Missions est encore pour tout l'Institut une œuvre admirable d'expiation. Nous le dirons plus loin, les Communautés religieuses, même celles qui ne se vouent qu'à la prière et au jeûne, sont le salut du monde; parce qu'elles offrent sans cesse à la justice de Dieu, dans leurs pénitences et leurs bonnes œuvres, une compensation salutaire à l'effroyable multitude et à la monstrueuse énormité des crimes qui couvrent la terre.

  Mais les Communautés religieuses elles-mêmes n'ont-elles pas besoin, et un besoin continuel de se couvrir contre les coups de la justice de Dieu ? Hélas ! en n'arrêtant les yeux que sur nous-mêmes, que de négligences, que d'infidélités à la Règle, que d'abus de grâces, que de tiédeur dans la prière et la réception des Sacrements, que d'omissions dans nos devoirs de Chrétiens, de Religieux, d'Instituteurs, n'avons-nous pas à reconnaître et à déplorer, dans tout l'ensemble de la Congrégation ! Fautes innombrables, fautes prolongées, dont nous avons tous plus ou moins l'effrayante responsabilité. Et qui sait si, à ce passif spirituel déjà si lourd, il ne s'ajoute pas des crimes secrets, d'horribles profanations peut-être, de monstrueux scandales, qui provoquent contre nous la colère de Dieu et peuvent arrêter, entraver du moins, dans une foule de lieux, et le cours des grâces et le bien que nous sommes appelés à faire !…

 Je le sais, le bon Dieu, dans sa miséricorde infinie, entretient parmi nous, dans toutes les Provinces, des Religieux fervents, animés d'un grand esprit de péni­tence et de componction, qui lui offrent sans cesse, et pour eux-mêmes et pour les autres, de très humbles satis­factions. Dieu nous ménage encore, dans le même but, presque continuellement et presque partout, de bons et saints malades, qui expient les fautes de tous, par leurs souffrances et leur résignation ; et en ce moment même, il tient, depuis de longs mois, dans un état de souffrances terribles, plusieurs de nos meilleurs Reli­gieux.

 Mais à ces victimes nécessaires, quoique parfaite­ment résignées, que Dieu se choisit et fait lui-même, il faut qu'il vienne se joindre des victimes libres et vo­lontaires : les victimes du zèle de la gloire de Dieu, du zèle du salut des âmes, du zèle et du dévouement pour la grande Œuvres des Missions étrangères : les trente-­huit Frères que, déjà, nous avons donnés à cette Œuvre et qui continuent à y consacrer toutes leurs forces et toute leur vie. Nul doute que ces bons Religieux n'aient été acceptés de Dieu, au nom de toute la Con­grégation, comme des hosties saintes, vivantes et agréables à ses yeux ; nul doute qu'ils ne plaident très efficacement en notre faveur.

 Disons même, à ce propos, que, dans quelques jours, nous aurons nos Retraites générales, et qu'au moment même où nous les ferons, tranquillement, dans nos Mai­sons de Noviciat, les trois nouveaux Missionnaires qui nous font aujourd'hui leurs adieux, seront ballottés sur l'Océan, en butte peut-être à de violentes tempêtes, en butte au mal terrible qui en est le résultat. Mais alors, ne l'oublions pas, envoyés qu'ils sont au nom de tout l'Institut, avec la foi et la piété qui les animent, avec la charité et tout l'intérêt qu'ils nous conservent, ils prie­ront pour nous, ils offriront à Dieu, avec leur héroïque sacrifice, leurs humbles supplications. Eh bien ! M. T. C. F. j'en ai la pleine confiance, ils seront très bien venus de le faire; et ils ne manqueront pas d'être entendus de Celui pour lequel ils abandonnent tout.

 C'est certain, c'est encore au point de vue des besoins actuels, toujours plus grands, au point de vue des satisfactions dues à la justice de Dieu, toujours plus urgentes, que Dieu lui-même suscite parmi nous ces nouveaux dévouements, ces admirables exemples de courage et de générosité. Ils nous viennent au jour et à l'heure que la Providence a marqués ; et, plus tard, nous reconnaîtrons qu'elle rend au centuple à la Congrégation, dans nos pauvres et vieux pays d'Europe, en Etablissements sauvegardés, en Vocations conservées, en Vocations nouvelles, en bénédictions de toutes sortes, spirituelles et temporelles, tous les sacrifices, bien légers encore, que nous faisons aux Missions lointaines.

 Mais quelle conclusion tirer de ces premières réflexions?

 Evidemment, et tout d'abord, avec le désir et la volonté de nous consacrer nous-mêmes, s'il plaît à Dieu, à cette belle Œuvre, nous devons en tirer une conclusion toute de charité: Prier beaucoup pour nos Frères Missionnaires : et pour ceux qui sont encore sur mer, et pour ceux qui sont arrivés à leur destination, et même déjà pour les Frères qui marcheront à leur suite plus tard; demander à Dieu qu'il les conserve et les affermisse chaque jour dans toute la ferveur de leur premier sacrifice ; qu'ils restent constamment des Religieux modèles, constamment des victimes saintes, constamment des soutiens puissants de toute la Congrégation, et par la force de leurs exemples, et par l'héroïsme persévérant de leur religieux dévouement.

 Une seconde conclusion, et celle-ci sera pour eux-mêmes comme pour nous, c'est que, dans le dessein de Dieu, à l'intérieur comme à l'étranger, les Communautés, religieuses, devant offrir à l’Eglise des Chrétiens parfaits des Chrétiens modèles ; devant présenter à Dieu des satisfactions perpétuelles pour les péchés du monde, nous devons tous, nous devons partout, nous devons toujours nous conserver dans toute la ferveur et l'esprit de sacrifice que demande ce double caractère de l'état religieux. C'est la seconde pensée, je la touche le plus rapidement possible. 

Dessein miséricordieux du bon Dieu sur l’Eglise, dans

l'Etablissement des Communautés religieuses.

 Reproduire Jésus-Christ plus parfaitement, le faire revivre en chaque Religieux par les trois traits caractéristiques qui le distinguent : la Pauvreté, la Chasteté et l'Obéissance parfaites ; puis, dans l'ensemble des Communautés religieuses, le continuer et le perpétuer sans interruption, en faisant éclater, dans l'une ou dans l'autre, toutes ses vertus : sa charité, dans les Ordres Hospitaliers ; son zèle, dans les Ordres Enseignants ; sa patience et sa mortification, dans les Ordres Pénitents; sa prière et son recueillement dans les Ordres Contemplatifs ; enfin, manifester Jésus-Christ, aux yeux de tous, par la vertu propre de chaque Ordre : telle est la pensée première de Dieu dans l'établissement des Corps religieux.

 C'est par eux que Dieu veut confondre les démons et les réprouvés : les démons, qui, dans le Ciel, sans tentation, n'ont pu être fidèles ; tandis que les Religieux, dans un lieu de perdition, avec un corps tout de péché, au milieu des plus terribles tentations, sont devenus des Anges ; les réprouvés, qui se sont perdus, en s'abandonnant à tous les désirs de leur cœur, à toutes leurs concupiscences ; pendant que les Religieux ont su en triompher, non seulement par la pratique des Commandements, mais encore par l'observation fidèle des Conseils.

 C'est Jésus-Christ lui-même, le Juge suprême des vivants et des morts, qui nous l'assure. Il se prépare des Assesseurs, pour le grand jour des vengeances, en ces âmes d'élite, en ces fervents Religieux, qui ont tout quitté pour le suivre : Je vous le dis en vérité, dit-il lui-même, au temps de la résurrection, lorsque le Fils de l'Homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous qui m'avez suivi, vous serez vous-mêmes assis sur douze trônes, où vous jugerez les douze tribus d'Israël (Math., XIX, 27).

 Et comment les jugeront-ils? En montrant à tout l'univers, par la sainteté de leur vie, la sainteté de la Loi de Dieu ; la possibilité pour tous, de la garder, au moins dans ce qu'elle a de rigoureux, puisque de faibles créatures, combattues par toutes les passions, attaquées par tous les démons, en butte à toutes les séductions du monde, ont pu, avec le secours de la grâce, s'y rendre fidèles jusqu'à la perfection : rester vierges malgré tous les entraînements de la nature rester pauvres, malgré tous les appas des richesses ; rester obéissants, malgré toutes les oppositions de l'orgueil et de l'amour-propre.

 Oh ! quel motif de ferveur, de perfection et de sainteté ! quel motif tout puissant de fidélité et de persévérance pour un Frère sérieux, qui comprendra ce dessein de Dieu sur lui ; qui comprendra que Jésus-Christ veut se glorifier en sa vie et en sa mort ; qu'il veut faire éclater en son âme et les richesses de la grâce et les magnificences de la gloire ; qu'il veut le présenter, au jour du Jugement général, à l'univers entier, comme le trophée de ses miséricordes !

 Non, non, M. T. C. F., nous ne pouvons pas avoir devant nous la perspective incomparable de cette gloire que notre saint état nous appelle à rendre à Jésus-Christ, la perspective du triomphe infini qu'à son tour Jésus-Christ lui-même nous prépare, sans que nous soyons excités, au-delà de tout ce qu'on peut dire, à être pieux, à être réguliers, à être fervents, à devenir, à quelque prix que ce soit, des Religieux modèles. Ou il faut ne pas croire à ces promesses divines, ou il faut les oublier complètement pour rester dans nos tiédeurs et nos négligences.

 Ah ! Prions Dieu de réveiller notre foi, de la rendre aussi vive que possible, afin que, dans toutes les Parties du monde où l'obéissance nous appellera, nous vivions tous et nous vivions toujours d'une manière digne d'elle, digne de notre sublime et toute exceptionnelle destinée.

 La seconde pensée, si nous la saisissons bien, ne sera pas moins efficace pour nous entretenir dans la ferveur et nous porter à l'esprit de sacrifice. En effet, on peut le dire, les Communautés religieuses sont, dans l’Eglise, comme autant de Calvaires en permanence, où viennent se réunir librement les âmes de choix ; s'associer volontairement au divin Rédempteur les cœurs généreux, pour y subir le martyre de la vie religieuse, en se fixant sur la Croix, avec Jésus-Christ, par le triple clou de la Pauvreté, de la Chasteté et de l'Obéissance. Dans cet état de crucifiement, pendant que le mondain s'abandonne sans retenue à toute la fureur de ses passions, les Religieux, les Trappistes, les Chartreux, les Carmes et les autres, les Frères Instituteurs, dans le dur travail de l'enseignement, se présentent à Dieu comme des hosties vivantes, et lui offrent leurs prières, leurs jeûnes, leurs macérations, leurs durs travaux, pour le salut du monde. On les dit inutiles ; mais,en réalité, ils font plus pour la paix de la terre, pour le bien de leurs semblables, que ne peuvent faire toutes les industries humaines, toutes les puissances temporelles réunies. Ce sont comme autant de paratonnerres spirituels, perpétuellement élevés entre les foudres de la justice de Dieu et la multitude des prévaricateurs.

  Mais là encore quelle ferveur, quelle sainteté, quelle perfection demande de chacun de nous ce second caractère de la Mission toute divine donnée aux Communautés religieuses. Ne demande-t-il pas du Religieux lui-même, dans toute la proportion qui convient, ce que saint Paul nous dit du Pontife suprême, de Jésus-Christ, le Souverain Médiateur entre Dieu et les hommes, qui satisfait pleinement et infiniment, parce qu'il est infiniment saint. Il était convenable, dit saint Paul, que nous eussions un Pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs et élevé au-dessus des cieux (Héb., VI, 26). Voilà le degré infini de sainteté et d'innocence auquel doit aspirer le Religieux, appelé de Dieu à offrir des prières et des supplications efficaces en faveur des hommes.

 Donc, ne perdons jamais de vue ce double caractère de notre saint état : caractère de Chrétiens parfaits, présentés au monde comme des modèles ; caractère de Victimes saintes, présentées à la justice de Dieu pour arrêter ses coups. Dans cette vue, efforçons-nous chaque jour de réaliser, dans toute sa perfection et dans toute son étendue, par une vie éminemment religieuse et constamment exemplaire, ce dessein si miséricordieux du bon Dieu sur toute l’Eglise. 

Conséquence ou réflexion très pratique, surtout au point de

vue de l'humilité.

 Ces pensées de sacrifices, d'immolation, de victimes, nous ont conduit à une réflexion importante et très pratique, au point de vue surtout de l'esprit d'humilité qui doit être le fruit particulier de nos prochaines Retraites ; c'est que le vice et la vertu ne veulent que des victimes. L'un et l'autre tendent également à dominer leurs sectateurs et exigent, avec un égal empire, qu'ils leur soient complètement, soumis. Mais la différence, c'est que la vertu demande qu'on lui sacrifie tout ce qu'il y a en nous et autour de nous, d'avilissant, de honteux, de pervers, de déraisonnable; et que le vice, au contraire, veut qu'on lui sacrifice tout ce qu'il y a de digne, de noble, de vrai, de droit, de bon : d'où il faut conclure, évidemment que, victime pour victime, il vaut infiniment mieux l'être de la vertu que du vice. L'application est facile : prenons le Religieux tiède et dissipé, et opposons-le au Religieux fervent et recueilli.

 Le premier ne sait pas ou ne veut pas prier; la dissipation le domine, depuis le commencement d'un exercice jusqu'à la fin ; il donne toute liberté à ses regards, toute liberté à ses pensées et à ses imaginations : il ne répond pas aux prières ou il y répond très mal; il a une tenue toute nonchalante et tout évaporée. On voit qu'il ne veut s'imposer aucune gêne, ne se faire aucune violence, ne rien accorder au respect qu'il doit à la majesté de Dieu ; rien à la nécessité absolue de prier que lui imposent les besoins de son âme, ses tentations à vaincre, ses devoirs à remplir ; rien encore de ce que demande la ferveur : ponctualité aux exercices, lever à l'heure, application à l'étude, résistance prompte aux tentations, courage énergique et persévérant dans la fidélité au devoir.

 Vous croiriez peut-être qu'il est heureux, parce qu'il accorde tout à la nature : erreur. Il est tyrannisé par sa passion ; il change en tourments tout ce qui fait le bonheur du Religieux fervent ; il donne l'empire au démon, à la chair, au monde, à tous ses mauvais penchants : il ne peut que se perdre.

 

A l'opposé, il est vrai, la piété, le recueillement, n'est pas moins exigeant que la dissipation : il impose la garde sévère des yeux, la parfaite tenue de tout le corps, la constante exactitude à bien faire toutes choses, le soin de répondre parfaitement à toutes les prières. Il commande l'attention à l'exercice actuel, le respect pour la présence de Dieu ; il ne permet aucune liberté, ni intérieure ni extérieure, qui s'en écarte.

 Donc la contrainte est la même, le corps et l'âme sont également victimes ; mais quelle différence dans le résultat ! Au Frère pieux et modeste, au Frère fervent et recueilli, la paix de l'âme, le contentement du cœur, les lumières divines dans l'esprit, la force de la grâce dans la volonté, l'empire sur tous ses sens et sur toutes les mauvaises passions : enfin, la grâce, la vertu, la persévérance, le salut.

 Qui n'acceptera, avec bonheur, le délicieux empire de la ferveur, de la piété et du recueillement? Qui ne repoussera, avec horreur, l'affreuse tyrannie de la tiédeur, de la dissipation et de l'indévotion?

 Opposons pareillement, en écoutant la foi et la raison, le simple bon sens même, les basses suggestions de l'orgueil aux glorieux abaissements de l'humilité.

 Il est vrai que l'humilité combat, jusque dans la racine, la recherche de soi-même, les retours de l'amour-propre, le désir de paraître; elle fait tout supporter, tout endurer tout pardonner ; elle exige qu'en tout nous choisissions ce qu'il y a de moindre, de plus pénible, de plus rebutant ; elle va jusqu'à nous faire accepter et aimer le mépris, l'abjection, l'abandon, l'oubli complet; enfin, il n'est sorte de sacrifices qu'elle n'impose à notre orgueil et à tous ses monstrueux enfants.

 Mais quelle paix ! quelle joie intérieure pour l'humble lui-même ! quelle union avec ses frères ! quelle estime, quelle considération ! Avec Dieu surtout, tout est bénédiction, espérance, bonheur : «tant Dieu aime et protège l'humble de cœur ; tant il répand sur lui ses grâces avec profusion. » (II Imit., Ch. II.)

 Au contraire, malheur, malheur infini à celui qui se livre à l'abominable vice de l'orgueil et à toutes les passions qu'il enfante. Qu'il nous suffise, pour le sentir et en avoir horreur, d'en énoncer quelques-unes : la vaine gloire, qui s'exalte jusqu'à la sottise ; l'ambition, qui allume dans le cœur la soif dévorante des dignités; l'hypocrisie, qui détruit dans l'âme la sainteté, en la simulant; la colère, qui, à la moindre résistance, entraîne aux derniers excès; l'envie, passion cruelle qui dessèche le cœur par la vue même du bien des autres; la suffisance, la fierté, la jactance, l'arrogance, la présomption, et cent autres fruits et enfants abominables de l'abominable orgueil.

 L'orgueilleux est tout cela: il dédaigne les autres et se croit seul sage ; il s'arroge tout, présume de lui-même en tout, est entêté, est ingrat, est insubordonné, est incivil, est dur, répond avec insolence, ne veut relever que de son propre jugement.

 L'orgueil fait extravaguer, inspire la folie, jette dans toutes les extrémités, souffle les haines, les aversions, les désobéissances, les opiniâtretés, les soupçons, les jugements téméraires, les préventions, et porte souvent aux plus affreuses calomnies.

 L'orgueil couvre d'une couleur noire les actions les meilleures, donne l’œil malin, qui ne voit que paille et que défauts tout autour de lui, enfante le faux zèle qui trouble et renverse les meilleures œuvres, l'excessive susceptibilité qui rend impossible tout bien, toute charité.

 L'orgueil surtout conduit au mauvais vice, parce que, dit le Catéchisme de Lyon, Dieu punit ordinairement les orgueilleux, en permettant qu'ils commettent des fautes honteuses et humiliantes. »

 « Voyez, m'écrit l'un de vous, cette malheureuse victime de l'orgueil et de l'impureté ! Dieu lui avait dé« parti ses dons les plus excellents ! dons de la nature  et dons de la grâce : un extérieur avenant, une belle  intelligence, une bonne mémoire, un grand talent  pour la conduite des hommes et des affaires, etc., etc. »

 Je passe ici le récit de toutes ses aptitudes, de ses succès, de ses triomphes, tout ce qui peut flatter la vanité d'un maître, pour en venir à cette redoutable demande que l'auteur de la lettre emprunte au Prophète des douleurs :  Comment, en un plomb vil, l'or pur s'est-il changé?

  Hélas ! à côté de tant et de si brillantes qualités, il y avait un point noir, un secret orgueil, petit d'abord  mais qui, n'étant pas assez combattu, a grandi à l'ombre des succès obtenus, à l'ombre des grâces négligées, à l'ombre de certaines règles violées, de conseils non suivis. Ce défaut, cet orgueil caché est devenu le Goliath qui a terrassé ce malheureux plein de lui-même et l'a précipité dans la boue. »

 Les détails et les réflexions abondent dans cette lettre, je ne puis les donner ; mais je dois conclure et dire avec l'auteur :

 « A cette vue, quels Religieux ne comprendraient pas la nécessité de s’humilier, de prier et de se garder  mutuellement en Jésus-Christ ?

 « Quels Maîtres de Novices ne sentiraient pas avec  quelle vigilance et quelle énergie ils doivent étudier  et réprimer les défauts naissants, l'orgueil surtout,  de tous ceux que la divine Providence leur a confiés?

  « Quels Supérieurs pourraient craindre de poursuivre trop vivement par leurs paroles et par leurs actes, les vices connus de ceux dont ils ont l'effrayante responsabilité? »

 Enfin, M. T. C. F., concluons et disons tous qu'il ne peut y avoir d'hésitation dans notre choix ; et que, puisqu'il faut être victimes ou de la vertu ou du vice, nous voulons être, à quelque prix que ce soit, les victimes dociles de la grâce, les heureuses victimes de l'amour de Dieu, qui bannit la mort et conduit infailliblement à l'éternelle vie ; les victimes perpétuelles de l'humilité, de la simplicité et de la modestie : véritable esprit de l'Institut, qui seul, fait sa gloire, sa sûreté et sa persévérance ; seul, nous fait échapper au vice impur, à tous les mauvais vices et dangers qui nous poursuivent ; seul, nous assure l'abondance des grâces divines : Dieu résiste aux superbes et il donne sa grâce aux humbles (Jacques, IV, 6) ; la protection de Dieu dans nos temps si difficiles et si tourmentés : Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, afin qu'il vous élève dans le temps de sa visite (I Pierre, v, 6) ; et, finalement, les grandes gloires de l'éternité : Quiconque s'exalte sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté (Math., XXIII, 12) : Je vous le dis, en vérité, si vous ne changez, et si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume du ciel (Math., XVIII, 2, 3).

 Oui, je l'espère ; plus que jamais, nous reviendrons à l'esprit primitif du Fondateur ; plus que jamais, nous serons très humbles, très simples, très modestes; plus que jamais, nous nous ferons très petits, et nous suivrons à la lettre l'admirable exhortation quinous vient de deux saints Evêques, à un demi-siècle de distance et des extrémités opposées du monde.

 Ce sera la fin principale de tous les exercices de nos prochaines Retraites, la grande grâce que nous demanderons les uns pour les autres, et que nous tâcherons de mériter par la ferveur de nos prières et la constance de nos efforts.

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V. J. M. J. 

AVIS DIVERS 

I.Epoques des retraites pour 1876.

 1° Saint-Genis-Laval, Province de Saint-Genis-Laval, du Dimanche 3 au Dimanche 10 septembre.

 2° Saint-Genis-Laval, Province de Notre-Dame de l'Hermitage, du Dimanche 17 au Dimanche 24 septembre,

 3° Beaucamps, du Dimanche 10 au Dimanche 17 septembre.

 4°Saint-Paul-Trois-Châteaux, du 17 au 24 septembre.

 5° La Bégude, du 17 au 24 septembre.

 6° Azerat, du Dimanche 24 septembre au Dimanche 1ieroctobre.

 7° Dumfries (Ecosse), du 20 au 27 juillet.

 8° Les Frères du Cap de Bonne-Espérance ont demandé à faire leur Retraite en juillet; les Frères des différentes Stations de l'Océanie la font dans la dernière quinzaine de janvier. 

Il. Ordre général.

 1° On doit être rendu la veille de la Retraite, arriver de jour, arriver ensemble, et se présenter ensemble au Frère Supérieur Général, au Frère Assistant de la Province et au Frère Directeur de la Maison.

 2°Pour l'ordre des Maisons, comme pour l'ordre des Retraites, je vous renvoie aux dispositions énumérées dans la Circulaire du 6juin 1874, pages 3*, 4* et 5*. Il n'y a rien à changer ni à retrancher. L'année dernière, nous exprimions le désir que ces dispositions lussent exactement suivies et qu'elles passassent en habitude dans toutes les Provinces de la Congrégation. Cette année où elles devront être appliquées pour la troisième fois, j'espère que l'habitude en aura été prise en effet, et que personne n'y manquera.

 Je désire surtout que l'ordre prescrit pour le service de la Librairie soit parfaitement gardé, et que le silence, de rigueur pendant les huit jours de la Retraite, n'y souffre aucune interruption. Les Jeunes Frères ne doivent point y aller, et les Frères Directeurs eux-mêmes ne doivent s'y rendre que lorsqu'ils sont appelés.

 Leurs commandes diverses étant faites d'avance, il leur sera facile de les compléter en une seule fois ; et ainsi de ne pas se croiser avec les Frères des autres Etablissements. Le Frère chargé de la Librairie devra lui-même compléter ou faire compléter les commandes.

 3° Les avis divers, donnés à l'occasion des Retraites, sont les mêmes que les années précédentes. Vous les trouverez dans la Circulaire du 2 juillet 1871 et dans celle du 26 juillet 1872. Suivez-les exactement pour les objets de Vestiaire (taillerie et cordonnerie) délaissés dans les Postes; les fournitures classiques, les livres de prix, le linge personnel des Frères, les brevets, les examens, les renseignements à fournir, l'engagement décennal, etc.

 A ce propos, je recommande tout de nouveau la note de la Circulaire du 24 mai 1875, concernant la chaussure ; l'obligation pour chaque Frère de la tenir en bon état et de rapporter les vieux souliers dans les Maisons de Noviciat. Vous savez qu'on en tire bon profit, soit pour les Postulants, soit pour la confection de la chaussure neuve

 Un bon Frère Econome m'engage à réclamer de même les vieux livres de piété, Directoire, Livre d'Office, Can­tiques, etc., dont on ne se servirait plus dans les Postes. il serait bon d'y joindre les livres classiques, grammaire arithmétique, et autres, qui seraient également hors d'usage. Dans les Noviciats, on arrive à les relever assez pur les faire servir encore longtemps.

 En finissant cette note, j'ai lieu de constater le bon résultat de celle qu'on a donnée, l'année dernière, concernant la taillerie. Le Cher Frère Gonzalve, chargé de cette partie à la Maison-Mère, arrive dans ma chambre, pour me prier de renouveler mes recommandations sur ce point. il m'assure qu'avec toutes les vieilleries qu'on lui a rapportées l'année dernière, il a pu entretenir les deux Noviciats de Saint-Genis-Laval et de l'Hermitage, et vendre encore pour300 francs de débris. Son mot, comme le mot du Frère chargé de la cordonnerie, est qu'on doit rapporter, dans les Maisons de Noviciat, tout ce qui est délaissé dans les Postes, tout ce qui n'entre pas dans le trousseau personnel des Frères qui y sont employés. Ils insistent surtout pour avoir le trousseau complet des Frères décédés ou sortis pendant l'année.

 J'inscris au long toutes ces remarques, et je les confie à l'esprit d'ordre et au dévouement de chaque Frère Directeur. Plus tard, nous les rappellerons, en renvoyant à la présente Circulaire. 

III. Chapitre Général, 2° Session.

 Notre intention est de réunir le Chapitre Général en seconde Session, le jeudi 10 août. Nous désirons même que les Frères Capitulants arrivent tous le mardi, 8, afin de profiter de l'Adoration Perpétuelle qui a lieu le 9 à la Maison-Mère, et de se préparer en présence du Très Saint Sacrement, à terminer saintement et heureusement leurs travaux.

 Tout le mois d'août, les prières et bonnes œuvres de la Communauté, les Communions surtout, seront offertes à cette intention. Pour le rappeler chaque jour, et pour implorer plus spécialement encore la protection de Marie, on ajoutera trois Ave Maria au Salve Regina du matin.

 Les Indults que nous avions demandés à Rome pour l'élection des nouveaux Assistants, pour l'érection des nouveaux Noviciats et autres fins, nous sont tous venus depuis la fin du mois de mai ; mais la pensée que le Chapitre Général se réunirait plus facilement au mois d'août, après la sortie des Pensionnats, nous l'a fait retarder jusqu'à cette époque.

 Par notre Circulaire du 2 février 1875, nous avons prié les Frères Directeurs et les principaux Frères de nous donner leurs observations sur la pratique des Règles et des Constitutions, en ce qui concerne les rapports des Frères et la bonne tenue des Maisons ; de nous fournir des détails pratiques et précis qui nous permettent d'expliquer et d'arrêter la forme extérieure de nos Communautés, comme les instructions sur Pontmain nous ont amenés à expliquer et à arrêter la forme extérieure de nos Exercices de Piété.

 Qu'on tâche de revoir au plus tôt les points indiqués et de nous adresser, avant le mois d'août prochain, les notes et les renseignements qui peuvent aider le Chapitre Général à régler lui-même toutes choses, le plus convenablement possible.

 En outre, je donne ici quelques points sur lesquels on nous a priés d'appeler l'attention du Chapitre Général.

 1° Régler la sortie des Classes, à dix heures et à trois heures.

 2° Déterminer les attributions des Chefs de District.

 Ne serait-il pas à propos, en étendant convenablement les Districts, de faire faire la visite des Classes, la visite des comptes et du temporel, les compositions des Elèves, etc., etc., par le Chef de District ; réservant au Directeur Provincial la visite des Frères et des Maisons, au point de vue plus intime de la Règle, de l'esprit religieux, de la piété et de la formation des Frères ?

 3° Avec cette disposition, dans les Maisons de Noviciat, l'instruction religieuse et la formation des Novices et des Postulants seraient particulièrement confiées à un Frère appelé Maître des Novices, et qui exercerait sous la dépendance du Frère Directeur Provincial.

 4° Fixer le déjeuner à 7 heures et demie, et l'entrée en classe à 8 heures.

 L'entrée à 8 heures répondrait, dit-on, au vœu d'un grand nombre de parents.C'est l'heure adoptée dans toutes les écoles, même chez les Frères des Ecoles Chrétiennes.

 5° En été, dans certaines Communes agricoles, pourrait-on permettre d'avoir la classe, de 9 ou 10 heures du matin à 2 ou 3 heures du soir?

 6° Régler les voyages de famille, trop fréquents aujourd'hui, et aviser aux moyens d'arrêter les courses trop multipliées pendant le congé de Pâques et les vacances.

 Idem pour les saisons d'eaux, données présentement comme remède indispensable ; et, cependant inconnues, en pratique, dans l'Institut, jusqu'à ces dernières années.

 7° Déterminer les livres à adopter pour les matières facultatives, tant pour les Maîtres que pour les Elèves.

 8° Avoir une malle commune ou deux, par Etablissement. Pas de malles personnelles ni de sacs fermant à clef.

 9° Interdire les montres personnelles, qu'elles viennent de la famille ou d'ailleurs.

 10° Dans les Postes, ne pas faire manger les Parents des Frères avec la Communauté, ne pas les faire coucher dans l’Etablissement.

 11° Ne pas élever le programme de l'enseignement, sans y être autorisé par écrit.

 12° Etablir l'uniformité dans le Coutumier des Maisons de Noviciat et de Pensionnat.

 13° Le versement de la Procure se fait en raison du traitement et des ressources de l’Etablissement. Indiquer un minimum.

 14° Ne pas manger chez les fournisseurs.

 15° Ne point garder de livres de science, à usage personnel, sans permission écrite.

 Cette permission ne peut être accordée que pour quelques matières facultatives.

 16° Suffrages pour les défunts – Frères décédés dans les Postes ou dans leur famille.

 17° Abus des dépêches télégraphiques. N'y avoir recours que pour des cas extrêmement graves et de toute urgence, la correspondance par lettre étant, pour l'ordinaire, presque aussi expéditive. Ainsi, les lettres mises à la poste à Haubourdin, à Lille (Nord), avant une heure du soir, sont, le lendemain, à Saint-Genis-Laval, avant neuf heures du matin.

 Pas de facteur à payer pour la Maison-Mère, Saint-Genis-Laval étant pourvu d'un bureau télégraphique, aussi bien que d'un bureau de poste.

 18° Règlement des Pensionnats. Etudier avec soin le projet envoyé dans les principaux Postes, et nous donner au plus tôt les observations qu'on jugera nécessaires.

 19° Dans toutes les Maisons de l'Institut, Noviciats, Pensionnats et autres, n'avoir qu'une seule caisse, et y déposer, à jour fixe, tout l'argent de la Maison. Interdire absolument tout pécule.

 20° Organiser l’œuvre du denier de Saint-Pierre dans nos Ecoles, surtout dans nos Pensionnats ; la combiner avec l’Œuvre de la Propagation de la Foi et l’Œuvre de la Sainte Enfance.

 21° Frères Economes. – Attributions. – Règlement, (Voir la Circulaire du 27 décembre 1860, et la Circulaire du 2 février 1869.

 22°Vœux. – N'accorder les vœux qu'à ceux qui sont inscrits sur la liste d'admissibilité. – Moyens à prendre pour avoir l'avis des Frères Directeurs et des Frères Profès sur les Aspirants. – Examen. – Fixer le minimum des points à obtenir pour être admis.

 23° Brevet obligatoire. – Moyens à prendre pour fortifier les études dans les Postes. – Ecole Spéciale dans les Maisons Provinciales. – Ecole Supérieure à la Maison-Mère.

 24° Vocations. – Moyens à prendre pour recruter des Sujets. – Abus à éviter. – Juvénat à rétablir à la Maison-Mère.

 25° Modification de l'article relatif aux tapisseries.

 26° Expliquer plus clairement le sens restrictif de l'article concernant l'usage du café.

 Deux choses, autrefois l'apanage des riches, aujourd'hui fort communes, même dans la classe ouvrière.

 Je dois faire remarquer que nous inscrivons ces demandes, propositions ou observations, telles qu'elles nous sont venues, avec les raisons données à l'appui.

 Je ne veux pas que vous les regardiez comme exprimant le sentiment du Régime. Voyez-les et examinez-les en elles-mêmes, et donnez en conscience et devant Dieu, sur une feuille détachée et par numéros, votre sentiment personnel, toujours avec le respect qui est dû à la Règle et aux usages établis.

 Le Chapitre Général examinera toutes choses dans ce même esprit; et, quoiqu'il soit disposé à avoir, pour les pensées et les désirs de chacun, tous les égards possibles, il ne saurait accepter des changements ou modifications qui s'écarteraient essentiellement de nos traditions et de l'esprit primitif de la Congrégation. 

IV. Renseignements.

 Nous avons besoin des renseignements suivants, comme moyens de défense de nos Ecoles, à l'Assemblée nationale, dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire.

 1° Résultats obtenus dans les concours, année par année, des Ecoles primaires, aux chefs-lieux de canton, d'arrondissement et de département. (Ces concours ont lieu dans plusieurs départements.)

 Mêmes renseignements pour les concours relatifs aux cours d'adultes. (Indiquer les dates et lieux des concours, et dans quelle proportion les Elèves des Frères ont eu l'avantage.)

 2° Les résultats obtenus dans les expositions départementales ou nationales de dessin et de pièces d'écriture.

 3° Les récompenses honorifiques obtenues par les Frères, telles que : mentions honorables, médailles, etc.

 4° Le nombre, la note (bien, très bien, etc.), et la date (mois et année) des certificats d'études obtenus par les Elèves des Frères.

 En outre, dans les départements où ces certificats sont délivrés au concours, entre tous les élèves du canton, indiquer le nombre des concurrents (laïques et congréganistes), et les succès remportés par les Elèves des Frères et par ceux des Instituteurs.

 5° Enfin, faire connaître tout ce qui serait de nature à établir la supériorité des Ecoles congréganistes.

 V. Construction d'Aubenas.

 J'ai la satisfaction de vous annoncer que l'analyse de notre source minérale de la Bégude vient d'être présentée, avec un rapport favorable, à l'Académie de médecine. Nous espérons donc que cette approbation sera prochainement accordée, ainsi que l'autorisation de l'État.

 Nous regardons cette source, une fois approuvée, comme un secours que la Providence nous a ménagé pour venir en aide à la Congrégation, dans un temps où ses besoins temporels sont si nombreux et si grands.

 Elle nous servira tout d'abord à couvrir les dépenses de la construction de la Maison Provinciale d'Aubenas, et à rembourser plus tôt aux autres Provinces les avances qu'elles font pour cette œuvre.

 Outre que cette eau est excellente comme eau de table, ses propriétés médicales, pour les voies digestives et pour plusieurs maladies internes, sont de nature à la faire apprécier dans le publie, et à favoriser un écoulement considérable.

 En attendant, continuons tous à faire tous les efforts possibles pour payer, sans trop nous grever de nouveaux emprunts, les travaux en voie d'exécution. Il n'y aura pas moins de 30.000 francs à verser à la fin de septembre prochain. 

VI. Défunts.

 Voici la liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 10 mars 1876.

 

I°  F. ANSELME, Profès, décédé à St-Genis-Laval (Rhône), le 28 mars 1876.

2° F. DIONYSIUS, Obéissant, décédé à St-Genis-Laval (Rhône), le 6 avril 1876.

3° F. NICÉPHORUS, Novice, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 9 avril 1876.

4° F. BARNABY, Profès, décédé à Dumfries (Écosse), le 9 avril 1876.

5° F. HERVE, Novice, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 20 avril 1876.

6° F. BERNARDIN, Novice, décédé dans sa famille à Kilmeldy (Irlande), le 24 avril 1876.

7° F. MARIE-FREDERIC, Novice, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 18 mai 1876.

8° F. POLYCARPUS, Obéissant, décédé à St-Genis-Laval (Rhône), le 21 mai 1876.

9° F. JOSEPH-CANTIEN, Novice, décédé à Matour (Saône-et-Loire), le 22 mai 1876.

10° REYNIER Hilaire-Eugène, Postulant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 23 mai 1876.

11°  F. GONDULPHE, Profès, décédé à Lallaing (Nord), le 26 mai 1876.

12° F. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Novice, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 31 mai 1876.

13°  F. ATHÉNODORE, Profès, décédé à la Verdière (Var), le 5 juin 1876.

14° F. MACÉDO, Novice, décédé dans sa famille à Charnas (Ardèche), le 21 juin 1876.

15° F. MAGNE, Novice, décédé dans sa famille à Savas (Ardèche), le 22 juin 1876.

 

A la liste de nos Frères Défunts nous devons joindre le nom béni d'un de nos plus généreux Bienfaiteurs, M. ANTOINE THIOLLIÊRE,décédé à Saint-Chamond, le mois dernier.

 Les Petits Frères de Marie perdent en lui un ami et un protecteur dévoué, celui qui a pris la plus large part, et par ses dons et par ses prières, à toutes les épreuves du R. Père Champagnat, notre Fondateur ; et, pendant trente six ans, à celles de ses deux Successeurs.

 Constamment, ses abondantes aumônes nous sont venues en aide, et nous ont fait sortir des positions les plus difficiles. J'en ai été moi-même le témoin et le dépositaire à l'Hermitage, pendant vingt et un ans. Depuis le déplacement de la Maison-Mère, elles n'ont point cessé ; et une de mes plus sensibles consolations a été le bon et généreux souvenir qui lui a fait étendre, tout récemment, ses pieuses largesses sur la Maison de Saint-Genis-Laval.

 Ce sera donc pour tous les Petits Frères de Marie un devoir de piété et un besoin de reconnaissance d'unir leurs suffrages aux suffrages de sa famille et de tant d'âmes pieuses qui conservent au vénéré Défunt le plus religieux souvenir. Nous le ferons dans toutes nos Provinces; mais, à la Maison-Mère et à l'Hermitage, nous ajouterons un Service solennel.

 Ce Service religieux a eu lieu à Saint-Genis-Laval, le 28 de ce mois. En l'annonçant à la Communauté, je lui ai exprimé une pieuse pensée que je rappelle ici pour le bien de tous. C'est le désir que l'excellent M. Thiollière, comme les défunts de la Congrégation, nous rende, maintenant qu'il est dans l'éternité, un service spirituel plus grand encore que tous les secours temporels dont nous lui sommes redevables.

 Il s'est préparé à la mort par une vie si parfaite, une piété si ardente, une générosité si grande, qu'elles restent à sa famille comme son plus précieux héritage, comme l'encouragement le plus puissant à marcher sur ses traces et à continuer ses œuvres.

 Néanmoins, ce saint défunt, l'ami des pauvres, l'ami et le soutien de toutes les bonnes œuvres, a voulu s'assurer, après la mort, les suffrages les plus abondants, et toute sa famille s'est empressée de les demander pour lui.

 Trouvons là une grande leçon pour nous préparer nous-mêmes au redoutable passage du temps à l'éternité ; trouvons-y un grand motif de consolation et de reconnaissance dans notre saint état, qui nous assure de si nombreux et si fervents suffrages ; prenons-en occasion de nous renouveler dans la fidélité à toutes les prescriptions de la Règle concernant nos Frères, Parents et Bienfaiteurs défunts ; et que ces pieuses pensées, ces saints exemples, nous conduisent tous, très efficacement, à faire notre prochaine Retraite avec une ferveur extraordinaire comme si nous étions pleinement assurés qu'elle sera la dernière de notre vie. 

VII. Neuvaine et Prières préparatoires.

 Dans le but d'obtenir la grâce suprême d'une bonne mort, et un profond esprit d'humilité et de componction qui en est le gage, nous ferons de notre mieux la Neuvaine préparatoire à la grande Fête de l'Assomption, Fête patronale de tout l'Institut.

 Comme pratique, pendant les neuf jours avant l'Assomption, nous réciterons les prières suivantes :

 1° Trois Ave Maria, après l'Office du matin.

 2° Après la prière du soir, les Litanies du Saint Cœur de Marie, pour demander l'amour de Dieu, condition indispensable de la bonne mort.

 3° En outre, répéter souvent, pendant la Neuvaine et pendant tout le mois d'août, consacré à Marie comme Patronne de la bonne Mort, les trois invocations suivantes enrichies de 300 jours d'indulgences, chaque fois qu'on les dit :

 Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et ma vie !

Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi à ma dernière agonie !

Jésus, Marie, Joseph, que je meure paisiblement en votre sainte compagnie !

 Pendant l'Octave, avant la prière du soir, on récitera le Veni Creator et l'Ave Maria, à la place du Veni Sancte Spiritus, pour demander la grâce de faire une très fervente Retraite. 

VIII. Prières pour nos malades.

 Vous avez su, sans doute, que le T. C. F. François a été subitement frappé de paralysie, dans tout le côté droit, la nuit du Samedi au Dimanche après l'Ascension, àl'époque même où redoublait la maladie qui a emmené le pieux Fondateur, il y a trente-six ans passés.

 L'état de notre cher Malade s'est un peu amélioré mais il reste toujours extrêmement grave.

 Unissons toutes nos prières et tous nos vœux pour obtenir du bon Dieu, par Marie et Joseph, qu'il nous conserve cet excellent Frère et ancien Supérieur Général ; qu'il lui accorde toutes les grâces qui lui sont nécessaires.

 Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il est admirable de, piété et de résignation. Il a été administré dès les premiers jours de sa terrible maladie.

 Toutes nos prières, Communions et bonnes œuvres seront également à son intention, principalement le Chapelet.

 Je vous recommande de même nos autres malades, dont plusieurs sont assez gravement atteints.

 La présente Circulaire sera lue, en Communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture Spirituelle ; et une fois ,de plus, au réfectoire, dans les maisons de Noviciat.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph,

 Mes Très Chers Frères, Votre très humble et très dévoué Frère et serviteur,

                       F. Louis-Marie.

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