Circulaires 131

Louis-Marie

1878-12-08

Instruction sur l'enfer et sur la malheureuse éternité. - Moyens de n'y pas tomber. - Lettre du R. P. Raccurt. - Premier supplice du réprouvé : la séparation de Dieu. - Deuxième supplice : la peine du feu. - Troi­sième peine : l'éternité. - Défunts. - Nouvelles des Missions. - Ecoles publiques. Enquêtes. - Prières et  renouvellement de ferveur. Voyages aux Maisons Provinciales. - Fournitures. Conclusion et vœux de bonne année

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51.02.01.1878.5

1878/12/08

V. J. M. J.

 Saint-Genis-Laval (Rhône), le Dimanche, 8 décembre 1878.

Fête de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie

24ième Anniversaire de la définition de cette vérité comme dogme de foi.

 

Instruction sur l'enfer et sur la malheureuse éternité.

Moyens de ne pas y tomber.

 

          MES TRES CHERS FRERES,

    L'Instruction sur l'enfer et sur la malheureuse éternité vous est due depuis le Chapitre et les Elections Géné­rales de 1863. Dans la Retraite préparatoire, après la terrible méditation de Manrèse sur l'enfer, la pensée fut suggérée à tous les membres du Chapitre de se placer en face de cette redoutable vérité, pour arrêter leur choix, et ne prendre pour Supérieur Général et pour Assis­tants  que des hommes de foi et de zèle qui fussent comme une barrière vivante et infranchissable entre nos Religieux et le péché, entre nos Religieux et la dam­nation.

 Au Chapitre Général de 1876, la même pensée fut rappelée à tous les Frères Capitulants ; et cette mission pour les Supérieurs d'être toujours comme sur le chemin de l'enfer, pour en barrer le passage à tous leurs Inférieurs, fut donnée encore comme le devoir particulier de tous les Directeurs, principalement du Frère Supérieur Général et des Frères Assistants.

 Aussi, nous sommes-nous appliqués, dans toutes nos Instructions, dans nos lettres et entretiens, en toutes circonstances et partout, surtout dans les Retraites annuelles, à rappeler cette grande vérité aux Frères, à y rattacher la vocation et la persévérance finale, nous souvenant que le pieux Fondateur lui-même n'a point trouvé de meilleur moyen de former nos premiers Frères et de les établir solidement dans la vertu, que de les appliquer à la méditation des grandes vérités de la foi, de leur inculquer une crainte très vive et très forte des supplices éternels. C'est à cette même fin et dans cette même vue que nous avons si souvent rappelé, comme règle souveraine et infaillible de nos pensées, de nos paroles et de toutes nos actions, cette grande sentence de saint Louis de Gonzague : Quid hoc ad aeternitatem? Qu'est-ce que cela pour l'éternité?

 Cependant, M. T. C. F., en rappelant cette circonstance de nos Elections, je me reproche de n'avoir pas encore donné à la Congrégation cette Instruction spéciale sur l'enfer. Peut-être aurait-elle suffi, à elle seule, pour prévenir bien des découragements, pour fixer bien des inconstances, pour empêcher peut-être de lamentables défections.

 Qui, en effet, aurait la vérité de l'enfer bien présente à l'esprit et au cœur, et pourrait trouver la Vocation religieuse trop pénible, la Règle trop difficile, les Supérieurs et les Directeurs qui en exigent l'observation, trop sévères, les sacrifices des Vœux et tous les travaux de l'enseignement trop durs ? Ah ! à cette vue, comme tout est adouci, comme les peines du temps paraissent légères et qu'il est facile de comprendre ce que dit l’auteur de l'Imitation qu'une seule heure des tourments de  l'enfer sera là, SANS COMPARAISON, plus insupportable que CENT ANNEES de la plus rigoureuse pénitence qui puisse se faire en ce monde ! » (I Irnit., Chap. XXIV).

 Je suis donc heureux de vous entretenir aujourd'hui de ce sujet, et je le fais d'autant plus volontiers que, pour exercer envers vous tous cet acte d'impérieuse charité, j'ai l'aide d'un de nos bons Pères défunts, l'excellent Père Raccurt, Prédicateur de nos Retraites, Retraites Générales et Retraites du Régime. Tout le monde sait avec quel zèle ardent, avec quelle charité toute apostolique le bon Père nous donnait ces saints Exercices, et quelle solidité il savait imprimer à toutes ses instructions et méditations.

 Mais, où il se surpassait, c'était dans les instructions sur les grandes vérités, principalement sur l'enfer, vérité fondamentale qu'il annonçait avec tant de force et tant d'énergie ; méditation terrible à laquelle il avait su donner un caractère si particulier de foi et de terreur, qu'on l'avait surnommée : l'Enfer du Père Raccurt.

 Du reste, le bon Père avait tellement à cœur de prêcher et d'entendre prêcher cette vérité, qu'il ne pouvait se consoler de la voir écarter de certaines chaires, comme trop effrayante. Lui, au contraire, s'appliquait à la présenter dans toute l'exactitude et toute la sévérité du dogme catholique, craignant toujours, disait-il, de laisser tomber les Chrétiens dans l'enfer, après la mort, pour ne pas les avoir assez effrayés, pendant la vie, de ces supplices épouvantables et éternels.

 Dès qu'il sut mon dessein d'en parler aux Frères, dans une Circulaire, il mit aussitôt à ma disposition ses notes et ses propres pensées, et il m'engagea à le faire au plus tôt et avec le plus de force et d'énergie possible. Il m'en écrivit même en 1870, au jour de l'Assomption, et voici sa lettre qui sera déjà pour nous tous une puissante exhortation à nous pénétrer de cette grande vérité

 « MON RÉVÉREND FRÈRE,

J'ai pensé vous faire plaisir en vous communiquant les notes suivantes, que je lis dans une petite Notice d'un de nos Pères sur la Vie du Bienheureux Benoît-Joseph Labre.

Dans les premières années de sa vie, la seule lecture du Bienheureux était l'Ecriture Sainte, l'Imitation de Jésus-Christ, la Vie des Saints et les Sermons du Père Le Jeune. Jamais il ne perdit le souvenir des sermons de ce Missionnaire sur les flammes de l'enfer et sur le petit nombre des élus. La lecture et le souvenir de ces redoutables vérités eurent une grande influence sur toute sa vie.

Depuis son départ de la maison paternelle, il n'écrivit que deux fois à ses parents, et il ne leur fit qu'une seule recommandation : « Craignez l'enfer et faites en sorte d'être du petit nombre des élus. »

Dans sa première lettre, écrite le 22 octobre 1769, il leur dit : « Ayez soin de votre salut. Lisez et pratiquez ce qu'enseigne le Père Le Jeune, c'est un livre qui enseigne le chemin du Ciel ; et, sans faire ce qu'il  dit, il n'y a point de salut à espérer. Méditez les peines  effroyables de l'enfer, que l'on y endure l'éternité tout entière, pour un seul péché mortel, péché que l'on commet si aisément. Efforcez-vous d'être du petit nombre des élus. »

Dans sa seconde lettre, écrite le 31 août 1780, après sa retraite de Sept-Fonds, il dit : «Ayez soin surtout de votre salut et de l'éducation de mes frères et sœurs, veillez sur leur conduite. Pensez aux flammes éternelles de l'enfer et au petit nombre des élus. »

Par ces lettres, dit le bon Père Raccurt, on voit que le Bienheureux estime surtout l'enseignement du Père Le Jeune, parce qu'il appuie fortement sur la vérité de l'enfer; et que, pour assurer le salut de ses parents et procurer la bonne éducation de ses frères et sœurs, il ne demande autre chose, sinon qu'ils soient bien pénétrés de la crainte de l'enfer.

 Je ne doute pas, Mon Révérend, continue le bon Père, que votre piété ne vous suggère les plus salutaires réflexions à l'occasion de ce Bienheureux, qui est vraiment un Saint de notre époque. On peut dire que c'est la crainte de l'enfer qui l'a placé sur les autels; et n'est-ce pas cette même crainte qui sera toujours le moyen le plus efficace de nous placer nous-mêmes dans le Ciel?

 Le Bienheureux en a été rempli toute sa vie, et elle n'a fait que grandir dans son âme jusqu'à la fin. Dans son dernier pèlerinage à Lorette, un an avant sa mort, la femme de son hôte lui ayant dit qu'elle ne pouvait rien souffrir et qu'elle avait une peur extrême de n'être pas sauvée, aussitôt, Benoît devient rêveur, se trouble et s'écrie : « Et moi aussi j'ai peur de me damner ! Je suis continuellement dans l'épouvante des supplices affreux de l'enfer !… »

 Voilà ce que j'ai cru propre à vous servir pour votre Instruction sur cette vérité. Je désire vivement que vous la rappeliez bientôt à vos Frères et que vous les entreteniez tous dans cette crainte salutaire ».

 Or, pour répondre enfin à des instances déjà si anciennes et si pleines de foi du Révérend Père, je ne puis mieux faire que de me servir de ses propres pensées et de ses propres réflexions pour vous parler de l'enfer. Voici comme il débute :

On n'aime guère, dit-il, à entendre parler de l'enfer, et nous, non plus, nous n'aimons guère à en parler. Il serait bien plus doux de ne parler que du Ciel et la bonté de Dieu ; mais nous devons prêcher l'Evangile et le prêcher tel qu'il est. Or, dans l'Evangile, Jésus-Christ a parlé de l'enfer, et il en a parlé très souvent, jusqu'à trente fois. Malheur donc, malheur à moi, si je me taisais, malheur si mon silence sur cette vérité terrible était cause de la perte de vos âmes : nous en répondrions sur la nôtre. Oui, mes Frères, descendons maintenant, descendons dans l'enfer, descendons-y par la pensée et par la crainte, afin de ne pas y descendre un jour en corps et en âme.

Bénissez, Seigneur, bénissez nos paroles et nos réflexions, et faites qu'elles portent dans les cœurs un juste et salutaire effroi.

Qu'est-ce que l'enfer ? Il est tout entier dans ces paroles mêmes de Jésus-Christ : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel (Math., XXV, 41). C'est la séparation et la malédiction même de Dieu, Retirez-vous de moi, maudits ; c'est le supplice du feu, Allez au feu ; c'est l'éternité des peines, Allez au feu éternel. 

1. – PREMIER SUPPLICE DU RÉPROUVÉ : LA SÉPARATION DE DIEU,

LA MALÉDICTION DE DIEU, LA PERTE DU CIEL.

 Ah ! quelle est grande cette peine, mes Frères ! Elle est, dit saint Jean Chrysostome, plus grande que celle de mille enfers réunis. Elle est, dit saint Bernard, aussi grande que Dieu lui-même. Or, Dieu est immense, est infini, et elle lui est égale en tout: tant est grand Dieu lui-même, tant est grande la peine de le perdre.

Ni vous, ni moi, ni aucun homme sur la terre ne saurait la comprendre ; mais le pécheur la comprendra. Comme à ces Amalécites à qui, pour leur faire sentir leur malheur, on faisait un instant contempler le soleil avant de leur crever les yeux et de les priver pour jamais de la beauté du jour, Dieu, avant de précipiter le pécheur dans la nuit éternelle, se montrera à lui dans toute sa beauté, et jamais cette vue ne s'effacera de son désespoir, et servira d'aliment au ver rongeur qui doit le déchirer.

Eternellement, le réprouvé se dira : J'ai perdu mon Dieu, le souverain bien, je l'ai perdu par ma faute, je l'ai perdu pour un rien, je l'ai perdu pour toujours.

 Me voilà séparé de Dieu, maudit de Dieu, haï de Dieu. Jamais je ne le verrai, jamais je ne le posséderai ; et cependant, il m'avait créé pour lui, il voulait se donner à moi, il a tout fait pour cela, et je ne l'ai pas voulu, et je ne l'aurai jamais – et leur ver ne meurt point (Math., IX, 42).

Ce beau Ciel, ce brillant héritage, ce bonheur éternel que mon Sauveur m'avait acquis au prix de tout son sang, je me le suis ravi à moi-même par l'excès de ma folie ; un autre occupe la place qui m'était préparée. Je devrais être rangé parmi les Anges, et me voilà à jamais avec les réprouvés, sous les pieds des démons : et leur ver ne meurt point.

En qualité de Religieux, j'étais appelé aux premières places du Paradis. Je pouvais y parvenir aisément, j'avais pour cela tous les moyens désirables ; tant d'autres se sont sauvés dans les plus grandes difficultés; et moi, au sein de toutes les grâces, je me suis perdu.

Mes parents, mes amis se sont sauvés dans le monde, et moi je me suis damné dans la Religion.

J'étais Supérieur, j'étais Directeur, je savais le chemin du Ciel, je l'ai montré aux autres; plusieurs mêmes y sont rentrés par mon ministère, et moi j'en suis exclu pour jamais : et leur ver ne meurt point.

Les grâces que j'ai reçues auraient sauvé des peuples entiers, et ces grâces n'ont servi qu'à ma condamnation, n'ont servi qu'à me rendre plus coupable et plus malheureux.

Qu’eut-il fallu pour éviter cette réprobation? Veiller sur moi, me contraindre quelques jours, garder mes Règles et mes Vœux, et cela n'eût duré que peu de temps. Tant d'autres l'ont fait à côté de moi, pourquoi ne l'ai-je pas fait comme eux ? Les secours m'ont-ils manqué ? Lumières, conseils, remords, bons exemples, j'avais tout, tout en abondance, et j'ai abusé de tout. Oh ! qui me rendra un seul de ces jours que j'ai perdus si lâchement et si tristement ! Vains regrets ! La mémoire du juste sera éternelle. Le pécheur le verra et il frémira de colère ; il grincera les dents et il séchera de dépit ; les désirs des pécheurs périront (Ps. CXI, 9).

Après avoir fait ces réflexions avec une amertume de cœur, un regret, un désespoir que rien ne peut exprimer, il les fera de nouveau, il les fera encore, il les fera toujours, et toujours avec une douleur nouvelle, avec une rage et un dépit nouveaux. Jamais ces écrasantes pensées ne sortiront de son esprit, ni cet affreux désespoir de son cœur : et leur ver ne meurt point (Marc, IX, 42).

Oui, dit saint Jean Chrysostome, le Ciel, où le damné n'est point et où il ne sera jamais, le tourmentera plus que l'enfer où il est et où il sera toujours. Et si cela est vrai d'un simple fidèle, combien plus d'un Prêtre, combien plus d'un Religieux ? Ah ! ils sont plus torturés par le Ciel perdu qu'ils ne le sont par l'enfer mérité.

Nous faisons ces réflexions, mais comment ! Comme nous les faisons toutes, légèrement, rapidement, avec une demi-attention ; et, pendant que nous les faisons ainsi, on les fait ailleurs, on les fait en enfer; et là on les fait comme il faut, on les fait comme nous devrions les faire. Là, elles sont sérieuses, elles sont profondes, elles sont senties ; mais elles sont et seront à jamais inutiles; elles ne serviront qu'à perpétuer le désespoir et les tourments du damné. Et ici, elles seraient si profitables, si salutaires, si efficaces ! Pourquoi ne les faisons-nous pas ?

O pécheur ! pourquoi, maintenant qu'il en est temps, ne comprends-tu pas ton mal, ta perte irréparable ? Pourquoi ne songes-tu qu'à te satisfaire follement et à te perdre, comme Esaü, pour les misérables riens de cette triste terre ?

Esaü était un enfant de grande maison, un brillant héritage lui était destiné ; mais il le vendit pour un plat de lentilles, pour un rien, pour une honteuse gourmandise. Il ne comprenait pas alors la perte qu'il faisait, il la comprit plus tard ; et quand le moment fut venu, et qu'il se vit exclu de la bénédiction de son père, il en mugit de douleur, dit l'Ecriture ; mais ce fut en vain. Lorsqu'il voulut recevoir la bénédiction de son père en qualité d'héritier, il fut rejeté et ne put le faire changer de résolution, quoiqu'il l'en conjurât avec larmes (Héb., XII, 17)

O pécheurs, voilà votre image. Vous êtes des enfants de Dieu, les héritiers du Ciel, et vous ne faites aucun cas de ce riche héritage ; vous le vendez, vous le sacrifiez pour un rien, pour un misérable intérêt, pour un plaisir d'un moment. Ah ! un jour viendra, et il n'est pas éloigné, où vous comprendrez la grandeur de votre perte : vous en rugirez de douleur, vous en verserez des torrents de larmes ; mais, en vain, le Ciel ne vous sera jamais rendu.

Nous, du moins, M. T. C. F., nous, Religieux et Enfants de Marie, comprenons cet enseignement du bon Père ; et, pendant qu'il en est temps encore, hâtons-nous d'en profiter et d'en faire notre grand moyen de préservation.

Puisque le grand tourment des damnés est la perte. de Dieu, la séparation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attachons-nous à ce bon Maître, redoublons d'amour envers lui, tâchons de lui être tellement unis que nous puissions défier, comme le grand Apôtre, toutes les créatures de nous séparer de lui. Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ, s'écrie saint Paul ? Sera-ce l'affliction, ou les angoisses, ou la faim, ou la nudité, ou les périls ou la persécution, ou le glaive? Non, rien ne pourra nous en séparer, car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., VIII, 35 et suivants).

Et, en vérité, M. T. C. F., pour nous qui faisons profession, comme le grand Apôtre, de ne connaître et de n'aimer que Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui consacrons toute notre vie, tous nos travaux à le faire connaître et à le faire aimer, qui le recevons si souvent et qui ne nous plaisons qu'avec lui, soit dans l'exercice du culte, soit dans la prière, ce qui doit le plus nous épouvanter dans l'épouvantable mystère de la réprobation, n'est-ce pas la perte de Dieu, la séparation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, cet enfer des enfers, devant lequel les tourments du feu et toutes les autres horreurs de l'éternité disparaissent pour ainsi dire ? Oui, oui, craignons souverainement, craignons uniquement cet enfer des âmes privilégiées ; et, pour le prévenir, croissons, de jour en jour, dans l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et donnons-nous, avec un zèle et une ardeur toujours plus soutenus, à l'étude, et à l'enseignement de la Religion, à l'étude, à l'enseignement, à l'amour et à l'imitation de Jésus-Christ.

Demandons aussi, avec persévérance et avec toute la ferveur dont nous serons capables, d'être délivrés de ce souverain malheur. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous en préservera. Tous les matins, nous le lui demandons, dans une prière admirable, les Litanies de son saint Nom. Nos quarante-cinq invocations à ses titres ou noms les plus beaux et les plus doux, ont surtout ce but, cette fin suprême. C'est pour être délivrés de l'enfer, pour n'être jamais, séparés de Jésus-Christ, de sa Personne adorable, de son divin amour que nous répétons ce cri : Jésus ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, ayez pitié de nous. A ce cri répété nous joignons la prière du repentir : Soyeznous propice, soyez-nous propice. Puis, nous lui demandons qu'il nous délivre de tout mal, de tout péché, de sa colère, des pièges de satan, du démon impur, de la mort éternelle ; nous lui demandons, par dessus tout, qu'il nous délivre de ce qui y conduit, la négligence des petites choses, le mépris des divines inspirations. Enfin, toutes ces demandes, nous les adressons au Cœur de Jésus, par son Incarnation, par sa naissance, par son enfance, par sa vie divine, par ses travaux, par son agonie et sa passion, par sa croix et son délaissement, par ses langueurs, par sa mort et sa sépulture, par sa résurrection, par son ascension, par ses joies, par sa gloire. Oh ! qu'une prière si ardente, si instante, si puissamment appuyée sur tous les motifs de la foi ; qu'une telle prière, adressée à l'Agneau de Dieu, à celui qui, ôtant tous les péchés du monde, ôte par là même toutes les causes de damnation, que cette prière, si nous la faisons avec foi, avec confiance et amour, sera efficace pour nous préserver de l'enfer, en nous établissant solidement dans l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ !

Voilà donc la première et la plus terrible des peines des réprouvés, la perte du Ciel, la séparation de Dieu, la séparation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voici maintenant la seconde. C'est toujours en m'aidant des notes du bon Père que je vous en parlerai. 

II DEUXIÈME PEINE DES RÉPROUVÉS :

LE SUPPLICE DU FEU. 

Ite in ignem ! Allez au feu !

 Ici, mes Frères, je ne ferai pas des peintures d'imagination. Je ne dirai rien de moi-même, je me contenterai de vous citer simplement ce que Dieu a dit de l'enfer, les peintures qu'il en a faites.

Et d'abord, c'est le prophète Isaïe qui nous donne lui-même, avec la plus effrayante précision, l'horrible demeure du réprouvé, en nous posant à tous ces terribles questions . Qui de vous pourra habiter dans un feu dévorant ? Qui de vous subsistera dans des ardeurs éternelles ? (Isaïe, XXXIII, 14). Pas d'effort d'imagination à faire, pas d'exagération à chercher dans le texte; il n'y a qu'à rester dans le sens propre et naturel des mots; et l'on a, dans toute son horreur, l'affreuse et éternelle demeure des damnés: une demeure de feu, c'est-à-dire, un sol de feu ! une enceinte et des murailles de feu ! une couche de feu ! une voûte de feu ! une atmosphère de feu ! c'est-à-dire, le feu partout ! un abîme de feu !… c'est-à-dire encore, la fournaise ardente où Jésus-Christ nous avertit que seront jetés tous les scandaleux et tous ceux qui commettent l'iniquité. Deux fois, il le répète au chapitre XIII de saint Matthieu : Et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents ! … Et ils les jetteront dans la fournaise ardente : il y aura là des pleurs et des grincements de dents (Vers. 42 et 50).

Voilà, tout de suite, l'Ancien et le Nouveau Testament qui s'unissent pour nous révéler et nous préciser les supplices de l'enfer, pour nous donner également l'horrible demeure des réprouvés ; et, chose épouvantable ! le Nouveau Testament, loi de grâce et d'amour, loi de miséricorde et de salut, ne fait qu'enchérir sur l'Ancien.

O Dieu ! une fournaise de feu !… O Dieu ! tout vivant habiter dans le feu !… Habiter dans un feu devorant ! !… HABITER DANS LES ARDEURS ÉTERNELLES ! ! ! ! Qui en aura le courage ? Qui en aura la force ? Mon Dieu ! à moins d'être pris de démence et de fureur, on n'oserait se jeter dans un brasier ardent, traverser même d'un bond une fournaise embrasée… Et moi, j'oserais me jeter tout vivant dans les brasiers éternels de l'Enfer !… Certes, on sent, on peut se figurer la situation affreuse d'un détenu que le feu envahirait dans sa prison cellulaire, s'il se trouvait là sans issue ni secours possibles… Quels cris ! Quels efforts ! Quelles luttes surhumaines, pour s'arracher aux flammes qui le gagnent ! Et quels déchirements ! quel désespoir ! quand il voit que tout moyen de salut lui échappe ! Toutefois, hélas ! luttes, violences, déchirements de quelques instants à peine… Après quelques secondes d'intolérables douleurs, la vie cède, et il ne reste aux flammes qu'un cadavre à dévorer et à consumer.

Mais en sera-t-il de même en enfer? Oh ! non ! mille fois non ! car, dit saint Paul, c'est une chose effroyable de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hébr., X, 31) : vivant, pour immortaliser le supplice et la victime; vivant, pour punir éternellement un péché éternellement subsistant. Mon Dieu ! qui pourra se rendre compte à soi-même de l'action horrible de ce feu dévorant, agissant, dans toute sa fureur, sur des âmes et des corps éternellement vivants !… « En enfer, dit le Père Chaignon, dans ses Méditations Sacerdotales, toujours le paroxysme de la douleur… Nul dépérissement d'organe qui en émousse la pointe, nul affaiblissement de la nature qui en absorbe la vivacité. » Malheureux réprouvé ! voilà donc ta demeure unique ! ta demeure inévitable ! ta demeure éternelle ! LE FEU ! LE FEU ! DÉVORANT ! ! ! LES ARDEURS ÉTERNELLES ! ! !

Mon Dieu ! qui peut croire cette vérité et vous offenser encore ? Quel Religieux peut croire l'enfer, penser à l'enfer, méditer l'enfer, et se lasser de son état, de son dévouement, de ses sacrifices? O mon frère, s'écrie saint Augustin, écrivant au comte Boniface, sommes-nous donc de fer pour ne pas trembler ? Ou avons-nous perdu tout sentiment, pour ne pas être ébranlés, éveillés, au son de ces épouvantables paroles du Seigneur : Retirezvous de moi, maudits, allez au feu éternel.

Nous disons : qui peut croire l'enfer ? Mais il faut ajouter aussitôt: et qui peut ne pas le croire ? – « Personne, reprend l’Eglise, s'il ne veut lui-même être réprouvé. Ceux qui ont fait le bien, iront dans la vie éternelle; ceux qui ont fait le mal, iront dans le feu éternel. Voilà la foi catholique sans laquelle personne ne pourra être sauvé, s'il ne la croit pas fidèlement et  fermement. » (Symbole de saint Athanase.)

Et, M. T. C. F., en faisant l'acte de foi sur l'existence de l'enfer, n'essayons pas de nous faire un enfer adouci que rien ne justifie. Prenons-le tel que nous le donnent, avec une écrasante unanimité, les Saintes Ecritures tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, les Saints Pères, les Maîtres de la vie spirituelle et tous les Saints. Prenons l'enfer tel que l'a pris et prêché notre pieux Fondateur, le Père Champagnat, tel qu'il l'a enseigné à nos premiers Frères, et qu'ils l'ont cru et médité eux-mêmes, pour en faire la base de leur perfection et de leur sainteté.

Donc, ici, quelques passages seulement de la Sainte Ecriture et des Pères, pour éclairer et ranimer notre foi, en commençant par ce mot de saint Augustin : « Vous craignez, mes frères, dit-il, je crains comme vous, et pour moi comme pour vous. J'ai feuilleté nos Livres divins, je n'y ai rien vu qui me dispensât de trembler. » « De même, dit-il ailleurs, qu'aucune joie temporelle ne saurait nous donner une idée des joies de la vie éternelle dont les Saints doivent être inondés ; de même, nul tourment du temps présent ne peut être comparé aux tourments éternels des impies. »

Dans l'Ancien Testament, Moïse nous dit, de la part de Dieu, qu'il cachera sa face aux pécheurs, qu'il assemblera sur eux les maux, qu'il épuisera sur eux ses flèches, et qu'il les brûlera dans les entrailles de l'enfer, non avec le feu ordinaire qu'il a donné à l'homme dans sa bonté, mais avec un feu allumé contre eux dans sa fureur (Deut., XXXII, 20, 21, 23).

Job ne parle de l'enfer que comme d'une terre ténébreuse, couverte des ombres de la mort, d'une terre de désolation, d'où est banni tout ordre quelconque, et où règne une éternelle horreur (Job, x, 21, 22). Il dit de plus que l'hypocrite souffrira les peines de tous les maux qu'il a faits, sans en être consumé, et que l'excès de ses tourments égalera celui de ses crimes. Toutes les douleurs fondront sur lui. Des spectres effroyables passeront et repasseront sur sa tête. Les ténèbres les plus épaisses sont cachées dans son intérieur. Un feu qui ne s'allume point et qui ne s'éteint jamais le dévorera. Les cieux révéleront son iniquité ; et la terre, souillée de ses crimes, s'élèvera contre lui. C'est là le partage que Dieu fait à l'impie, et l'héritage qu'il réserve à ses paroles et à ses blasphèmes (Job, XX, 18 et suiv.).

Au livre de Judith, il est dit des impies que le Seigneur tout puissant exercera sur eux ses vengeances, qu'il les visitera au jour du jugement, et qu'il livrera leurs chairs au feu et aux vers, afin qu'ils soient brûlés et tourmentés à jamais (Judith, XVI, 20, 21).

 L'Ecclésiastique exhorte ainsi celui qui veut être ami de la sagesse : Ne t'unis pas à la multitude des hommes déréglés. Souviens-toi de la colère, parce qu'elle ne tardera pas. Humilie profondément ton esprit, parce que la chair de l'impie sera la pâture du feu et des vers (Eccl., VII, 17, 18, 19.) Et plus loin il ajoute : L'assemblée des méchants est comme un amas d'étoupe, et leur consommation sera la flamme du feu. La voie des pécheurs semble unie et pavée ; mais leur fin sera l'enfer, les ténèbres et les tourments (Eccl., XXI, 10, 11).

Isaïe, que nous avons déjà cité, termine ses prophéties par ces paroles que Jésus-Christ lui-même applique à l'enfer : Et ils sortiront et ils verront les cadavres de ceux qui ont prévariqué contre le Seigneur, leur ver ne mourra point, et leur feu ne s'éteindra point et ils seront à jamais un objet d'horreur pour toute chair (Isaïe, LXVI, 24).

 Le Seigneur, dit le Psalmiste, interroge le juste et l'impie ; mais celui qui aime l'iniquité hait son âme. Le Seigneur fera pleuvoir des pièges sur les pécheurs ; le feu, le soufre et l'esprit des tempêtes, voilà le calice qu'il leur prépare (Ps., x, 6, 7). Et ailleurs : Votre droite trouvera tous ceux qui vous haïssent, vous en ferez comme une fournaise de feu au jour de votre indignation : le Seigneur les consumera dans sa fureur et le feu les dévorera (Ps., XX, 9,10).

 Voilà quelques-uns des innombrables passages de l'Ancien Testament qui témoignent, avec une foi divine, de la nature, de la grandeur et de l'infinie durée des supplices réservés aux méchants. Le Nouveau Testament en parle dans les mêmes termes et d'une manière plus explicite encore.

Saint Jean-Baptiste, lui, le trait d'union entre la loi ancienne et la loi nouvelle, ne prêche aux hommes la pénitence qu'en les avertissant d'éviter la colère dont ils sont menacés ; il les prévient que la cognée est à la racine des arbres, et que tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu ; il leur explique que le Messie vient avec le van à la main, qu'il nettoiera parfaitement son aire ; et qu'il amassera son blé, c'est-à-dire, les justes, dans le grenier ; mais qu'il brûlera la paille, c'est-à-dire, les pécheurs, dans le feu qui ne s'éteindra jamais (Math., III, 12).

Point de variante : toujours le feu, toujours le feu qui ne s'éteint point ; et, pour pâture, l'arbre coupé, la paille stérile, le sarment desséché, c'est-à-dire, le pécheur impénitent et réprouvé.

Mais, il faut le dire, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même qui en a parlé le plus souvent et avec le plus de force. Venu sur la terre pour sauver l'homme et le délivrer de l'enfer, il ne pouvait, dans sa charité infinie, perdre de vue un seul instant cette grande Mission.

Voyez d'abord avec quel amour, avec quelles instances, il nous recommande à tous de craindre l'enfer et de le craindre souverainement. Je vous le dis donc, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. Mais je vais vous apprendre qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans l'enfer. Oui, je vous le dis, craignez celui-là. C'est en saint Luc qu'il nous fait cette recommandation ; il la donne aussi en saint Matthieu, presque dans les mêmes termes : Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre dans l'enfer l'âme et le corps.

Et, si nous voulons mieux comprendre toute la force de ces paroles, rappelons-nous qu'en les prononçant, le divin Maître avait, devant lui, saint Pierre qui devait être crucifié la tête en bas ; saint Barthélemy qui devait être écorché tout vif ; saint Jean qui devait affronter le supplice de l'huile bouillante : rappelons-nous qu'il voyait de son esprit prophétique tous ses apôtres, ses disciples, les premiers chrétiens et cette multitude de fidèles de tous les temps et de tous les lieux, qui devaient passer par le fer, par le feu, par les dents des bêtes, par toutes les tortures et tous les supplices que sauraient inventer, multiplier et prolonger la barbarie des juges et la rage des bourreaux.

Oui, il est très certain que, de ces innombrables et inconcevables souffrances réservées aux Martyrs, rien n'échappait ni à la pensée ni à la tendresse du divin Maître ; il les avait toutes présentes, et en mesurait et le nombre, et la durée et la violence. Néanmoins, dans sa sagesse infinie, qui pèse toutes choses à leur juste valeur, dans la tendresse infinie de son Cœur, qui le fait compatir aux moindres maux de ses frères, en comparant aux supplices de l'enfer toutes ces souffrances réunies, il les compte comme pour rien ; il veut que ses serviteurs les affrontent hardiment, il leur permet à peine de les craindre ; car, il ajoute : Si votre main vous est une occasion de péché, coupez-la. Il vaut mieux pour vous que vous entriez dans la vie n'ayant qu'une main, que d'en avoir deux, et aller en enfer, dans ce feu qui ne s'éteindra jamais, où le ver qui ronge ceux qui y sont, ne meurt point, et où le feu ne s'éteint point. Et de même pour le pied, de même pour l’œil, de même pour tout ; les réprouvés devant tous être salés par le feu, comme toute victime doit être salée avec le sel (Marc, IX, 42 et suivants).

Et, en réalité et en toute rigueur, pour éviter le péché et l'enfer qui en est la suite, eussions-nous à briser des liens aussi forts et aussi chers que le sont nos pieds, nos mains, nos yeux, notre vie même, il ne faudrait pas balancer ; il faudrait tout sacrifier, tout endurer pour ne pas offenser Dieu et échapper à la damnation. Car; Jésus le répète sous toutes les formes, il vous est plus avantageux de perdre un de vos membres que si votre corps était jeté tout entier dans l'enfer (Math., V, 29).

Egalement encore, dans la parabole du mauvais riche, le divin Sauveur nous peint d'un trait l'inexorable et inflexible rigueur des supplices du damné : Père Abraham, fait-il dire au mauvais riche, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu'il trempe dans l'eau le bout du doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre cruellement dans ces flammes (Luc, XVI, 24).

O Dieu ! un Océan n'éteindrait pas les feux qui le dévorent, et il se réduit, lui qui nageait dans l'opulence et les délices, il se réduit à demander à peine une goutte d'eau !… Et cette goutte lui sera éternellement refusée !… Quelle rigueur, quelle immutabilité dans la souffrance !

Sur cette vérité, la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ paraît en toute circonstance. On sent à toutes les pages de l'Evangile combien son divin Cœur est préoccupé du désir de nous délivrer de ces maux affreux de l'enfer. C'est ce désir miséricordieux qui le porte à nous révéler, dans les moindres détails, tout ce mystère de justice. Comme on cueille l'ivraie, dit-il, et qu'on la brûle dans le feu, il en sera de même à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tout ce qu'il y aura de scandaleux et de gens qui commettent l'iniquité (voyez quelles gens !) et ils les jetteront (voyez quel mépris !) dans la fournaise ardente (voyez quel lieu !) : c'est ici qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents (Math., XII, 40, 41, 42).

Et les détails du jugement final, il les donne de même avec une exactitude aussi effrayante de la part de Celui qui doit nous juger, que miséricordieuse de la part du Sauveur qui nous prévient pour nous épargner : Quand le Fils de l'homme viendra dans sa Majesté, et tous les anges avec lui, il s'assiéra sur le trône de sa gloire, et toutes les nations étant assemblées devant lui, il séparera les uns d'avec les autres comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs. LES BOUCS ! c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus hideux ! Et il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde. Il dira ensuite à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (Math., XXV, 31 et suiv.).

Heure suprême ! heure redoutable : scène du monde complètement finie ! Et voilà comment Notre-Seigneur nous annonce son Jugement ; comment il nous fait entendre lui-même d'avance la sentence irrévocable qu'il doit prononcer, pour rendre à chacun selon ses œuvres (Rom., 11, 6). Et ceux-ci, les réprouvés, iront dans les supplices éternels, et les justes dans la vie éternelle (Math., XXV, 46).

Ici se place la réflexion de terreur que fait saint Bernard, en rapprochant de ces passages cette autre sentence de l'Ecclésiaste : L'homme ne sait s'il est digne d'amour ou de haine (Eccl., IX, 1). Oh ! s'écrie le Saint, je tremble de tous mes membres et les cheveux me dressent sur la tête, toutes les fois que je viens à peser ces paroles sacrées. Oh ! que ce passage est terrible ! il ne laisse aucun repos à l'esprit. Je frémis de tout mon être chaque fois que la pensée m'en vient, et je ne puis répéter en moi-même qu'en tremblant cet oracle divin : Qui sait s'il est digne d'amour ou de haine?

Hélas ! M. T. C. F., n'avons-nous pas nous-mêmes cent fois plus raison d'y réfléchir et de trembler !… Quoi ! devant la malheureuse éternité, devant l'incertitude où est l'homme par rapport à l'état de grâce, un saint Bernard, une des premières colonnes de l'Eglise, tremble et frémit ! et nous, nous ne tremblerions pas, nous continuerions à ne vivre que de légèretés, que de dissipation, que de négligences, de péchés peut-être ! nous qui n'avons déjà en nous-mêmes qu'une réponse de mort (II Cor., 1, 9), à cause de nos innombrables péchés ! Ah ! faisons appel à notre foi, faisons appel à notre raison, réfléchissons; et, certainement ces vérités agiront sur notre âme comme elles ont agi sur les Saints, comme elles ont agi même sur les plus grands pécheurs, dès qu'ils ont voulu réfléchir. Toute la terre n'est dans la désolation, dit Jérémie, que parce qu'il n'est personne qui réfléchisse dans son cœur (Jérém., XIII, Il.).

Laissez-moi, M. T. C. F., laissez-moi insister encore sur cette conduite de Notre-Seigneur, sur toutes les paroles et avertissements miséricordieux de sa sagesse éternelle, sur la grande vérité de l'enfer. Oh ! qu'il nous fait bien voir tout le désir qu'a son Cœur divin d'être notre Sauveur, selon que l'Eglise nous le fait dire dans cette belle invocation enrichie d'indulgences : O très doux Jésus ! ne soyez point mon Juge, mais mon Sauveur !

A tout propos il y revient, et presque avec les mêmes expressions. En parlant des enfants du royaume condamnés par la grande foi du Centenier, il dit qu'ils seront jetés dehors dans les ténèbres. C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents (Math., VIII, 12). En parlant de malédictions lancées contre les Scribes et les Pharisiens hypocrites : Achevez donc, leur dit-il, de combler la mesure de voie pères, serpents, race de vipères, comment éviterez-vous d'être condamnés au feu de l'enfer ? (Math., XXIII, 32, 33). Dans la parabole des conviés, à l'occasion de cet homme qui n'avait point de robe nuptiale, le Maître ordonne qu'il soit jeté dehors dans les ténèbres et qu'on lui lie les pieds et les mains ; par où Jésus-Christ nous apprend que le réprouvé sera éternellement immobile dans sa prison de feu, qu'il ne pourra faire un pas, un acte quelconque, avoir une pensée, un désir qui apporte le moindre changement à ses tourments et à son affreuse position : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dehors dans les ténèbres : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents (Math., XXII, 13). Et ces pleurs et ces grincements de dents, six fois, dans l'Evangile de saint Matthieu, Jésus-Christ les annonce et en fait la menace.

Il y a plus, c'est que le divin Maître a voulu que l'Apôtre de son cœur, l'Apôtre de la charité, saint Jean, le Disciple bien-aimé, nous parlât lui-même, de la manière la plus terrible, des supplices de l'enfer. Si quelqu'un, dit-il, adore la bête et son image, il boira du vin de la colère de Dieu, de ce vin tout pur préparé dans le coupe de sa colère ; et il sera tourmenté dans le feu et dans le soufre devant les saints anges et devant l'Agneau. Et la fumée de leurs tourments s'élèvera dans les siècles des siècles, sans qu'il y ait aucun repos, ni jour ni nuit, pour ceux qui auront adoré la bête, ou son image, ou qui auront reçu le caractère de son nom (Apoc., XIV, 9, 10, 11). Saint Jean ne désigne l'enfer que sous le nom d'étang brûlant de feu et de soufre : Mais pour ce qui est des timides,des incrédules, des abominables, des homicides, des fornicateurs, des empoisonneurs, des idolâtres, et de; tous les menteurs (voilà encore l’affreuse société rassemblée dans l'enfer), leur partage sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre : c'est là la seconde mort (Apoc., XXI, 8).

Ah ! mon Dieu ! pour résumer ces passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, donnons ici, avec le bon Père, quelques-uns des noms effrayants qui s'accumulent sur cette horrible prison de l'enfer. Dieu lui-même, dit-il, appelle l'enfer une fournaise embrasée, un océan de flammes, un étang de feu, de soufre et de poix bouillante, un puits horrible, un abîme épouvantable, une prison ténébreuse et éternelle, où les méchants enchaînés, entassés comme un vil troupeau, seront à jamais la pâture de la mort. , dit le livre de la Sagesse, sont des monstres de nouvelle espèce, des bêtes inconnues pleines de rage et de fureur ; leur bouche vomit la fumée et la flamme, leurs yeux lancent d'horribles étincelles. Ce n'est pas seulement leur morsure qui peut exterminer, leur vue seule peut faire mourir de frayeur (Sagesse, XI, 19, 20). Les puissants y seront puissamment tourmentés, les forts y seront fortement torturés ; autant ils auront eu de plaisirs, de jouissances sur la terre, autant ils auront de supplices dans l'enfer. Le Seigneur tiendra dans sa main une coupe pleine d'un vin troublé, et l'épanchera çà et là, et cette coupe ne sera jamais épuisée ; tous les pécheurs de la terre y boiront (Ps. LXXIV, 9). Et qu'y boiront-ils? Le vin de la colère de Dieu préparé dans sa fureur… (Apoc., XIV, 10).

 Ô mon Dieu ! Quelles expressions ! Ils chercheront la mort et ne la trouveront point ils voudront cesser de vivre et ils ne le pourront pas ils pousseront des cris et ils diront : Montagnes, tombez sur nous, collines, écrasez-nous (Apoc., IX, 6). Pourquoi ma douleur est-elle sans fin, et mon mal sans remède? (Jérémie, XV, 18). Je souffre horriblement et mon mal est sans remède. Je souffre horriblement dans ce feu. Crucior in hac flamma. Point de terme dans notre langue qui puisse rendre l'énergie d'une telle parole.

Enfin, mes Frères, aux noms écrasants déjà donnés à l'enfer, ajoutons les suivants, plus écrasants encore. C'est toujours la Sainte Ecriture, c'est-à-dire l'Esprit-Saint lui-même qui les dicte et qui appelle l'enfer : Un lieu de perdition, un supplice éternel, un feu éternel, un lieu de tourments, un lac de feu, le grand lac de la colère de Dieu, le puits de l'abîme, la confusion éternelle, la mort éternelle, le pressoir du vin de la fureur et de la colère du Dieu tout-puissant.

Oh ! quelles images ! quelles figures ! quelle en sera l'épouvantable réalité ! Mes Frères, entendez et expliquez ces paroles comme vous le voudrez ; mais je vous dis qu'elles n'expriment rien de rassurant, rien qui ne doivent nous pénétrer d'épouvante et d'effroi…. Non, il n'est pas possible d'avoir la foi à cette vérité, d'y réfléchir, sans qu'on brise avec le péché et toutes les occasions du péché. Il y a dans ce monde dés tourments qui sont affreux ; cependant, il en est peu et peut-être il n'en est point qu'on ne puisse supporter, au moins quelques instants, sans se désespérer; mais le feu ne se supporte pas, la moindre atteinte du feu met un homme hors de lui. Ce sont tout de suite des cris, des rages, des hurlements, des contorsions qui font frémir. Nous savons ce que c'est que le feu. Nous le voyons tous les jours. Il ne tient qu'à nous d'en faire l'expérience, nous n'avons qu'à y mettre la main, et nous verrons ce qu'il en est… Eh quoi ! nous ne pourrions supporter le doigt dans le feu pendant cinq minutes, et nous nous exposons à être précipités, tout entiers et tout vivants, dans les brasiers éternels de l'enfer !…

O démence ! ô fureur ! ô incompréhensible aveuglement de l'esprit humain ! ô dureté infernale de son cœur perverti !

Mais peut-être que les Saints Pères, interprètes des divins oracles, en auront adouci la signification, qu'ils les auront pris dans quelque sens métaphorique propre à en diminuer un peu l'épouvantable rigueur. Point du tout. Il semble, au contraire, qu'ils enchérissent tous sur ces formidables sentences de la justice de Dieu. Et, pour n'en citer que quelques-uns, saint Jean Chrysostome, d'abord : « Les réprouvés , dit-il dans sa 44ième homélie sur saint Matthieu,  sont précipités dans  un fleuve, un océan de feu. Là, des flots embrasés s'élèvent à l'égal des plus hautes montagnes. Je dis des montagnes de feu, non du feu ordinaire, mais  d'un feu infiniment plus horrible : abîmes de flammes qui vont, qui viennent, qui circulent de toutes parts, semblables à des bêtes d'une incomparable férocité. »

« Imaginez , ajoute-t-il ailleurs,  le feu, le fer, les  bêtes et, si vous le pouvez, quelque autre chose plus  cruel, ce ne sont que des ombres devant les tourments  de l'enfer.

 Joignez la fureur des bourreaux, voyez comme ils  lient leurs victimes, comme ils les traitent, comme  ils les torturent, déchirant leurs corps, creusant dans  leurs entrailles, joignant ensemble le fer et le feu. !»

Et le saint Docteur conclut: « Pur jeu, pur amusement  que tous ces supplices, si vous les comparez avec les  supplices de l'enfer. »

 « Ô région dure et cruelle, s'écrie saint Bernard séjour de la mort dans lequel est un feu ardent, un froid déchirant, un ver immortel, une puanteur intolérable.

Je tremble de tout mon être et je suis saisi d'horreur au souvenir de cette région maudite, et tous mes os en sont ébranlés. »

Et de même, tous les Maîtres de la vie spirituelle dans leurs instructions; Saint-Jure entre autres, au IIIième  livre de la Connaissance de Jésus-Christ.

De même encore tous les Saints. Plusieurs ont eu des révélations sur l'état des damnés; ils ont vu, sous divers symboles, les tortures auxquelles ces malheureux sont livrés, et ils en donnent des descriptions qui paraissent incroyables tant elles annoncent d'excès de douleurs et de tourments.

Et sur ces écrits, sur ces révélations, que fait l'Eglise ? Elle se tait. Elle a canonisé ces Saints, comme sainte Françoise Romaine et autres, sans incriminer leurs écrits. Et cependant, qui ne connaît l'extrême délicatesse de l'Eglise sur tout ce qui concerne la doctrine, toutes les fois qu'elle instruit un procès de canonisation ?

Concluons donc, par ce qu'enseigne saint Basile: « De peur que le chrétien ne pèche, dit le Saint, il doit  toujours avoir devant lui et redouter le profond abîme, les ténèbres impénétrables, le feu qui brûle et n'éclaire pas, les vers innombrables et les serpents venimeux, infligeant par leurs morsures des douleurs intolérables ; enfin, de toutes les peines la plus dure, l'opprobre et l'éternelle confusion.»

Disons aussi sur ces sentences des Saints Pères et des Saints, qu'ils ne font que commenter cette parole divine adressée par Jésus-Christ aux filles de Jérusalem : Ne pleurez point sur moi ; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car il viendra un temps où ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous, car si l'on traite ainsi le bois vert, comment le bois sec sera-t-il traité ? Là encore, et là surtout, Notre-Seigneur s'abandonne à toute la tendresse de son cœur. Il oublie ses propres souffrances ; il les compte pour rien si, à ce prix, il peut nous délivrer des souffrances éternelles. De là, cet avertissement si miséricordieux : Ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes ; car, si Dieu le Père laisse exercer tant d'horreurs sur son Fils innocent, son Fils bien-aimé, quel châtiment n'exercera-t-il pas sur des esclaves révoltés, à quelles tortures ne les abandonnera-t-il pas ? Je vois le Fils de Dieu pris et garrotté comme un criminel, livré à toute la malice et à toute la fureur des Princes des Prêtres, impitoyablement abandonné à la barbarie de ses bourreaux et des soldats ; je vois cet innocent Agneau, plutôt écorché que flagellé, frappé, meurtri, souffleté, couvert de crachats ; je le vois insulté, bafoué, couronné d'épines ; je le vois monter au Calvaire, écrasé sous le poids d'une pesante Croix, attaché à cette Croix, y souffrant, pendant trois heures toutes les tortures de la plus cruelle agonie, mourant enfin, abandonné de Dieu et des hommes, au milieu de deux scélérats. C'est ce supplice horrible du Fils de Dieu, c'est le Calvaire qui est la mesure exacte de la grandeur du péché; c'est aussi le Calvaire qui nous dit, mieux que tout le reste, quels tourments attendent les réprouvés, c'est-à-dire les pécheurs obstinés, impénitents et maudits. Rien à ajouter à ce spectacle sanglant et tout divin du Calvaire. Dieu lui-même ne pouvait nous révéler, d'une manière plus épouvantable, la puissance infinie de sa colère.

Mais disons aussitôt que Dieu ne pouvait nous révéler d'une manière plus admirable, la puissance infinie de sa miséricorde, le désir infini qu'il a de nous délivrer de l'enfer et de nous sauver. Si donc nous allons au Calvaire pour étudier tout ce qu'il y a d'effrayant, dans la justice de Dieu, allons-y pour y puiser le salut, pour nous prémunir contre la rigueur et la pesanteur des coups de la justice de Dieu, en nous couvrant du Sang et des Plaies de la divine Victime et de ses mérites infinis.

Oh ! quel amour et quelle reconnaissance nous devons à Jésus pour la miséricorde doublement infinie dont il a usé envers nous, en nous délivrant, par une mort si cruelle et si ignominieuse, des supplices éternels et infinis de l'enfer et en nous méritant, à la place, les biens éternels et infinis du paradis !

Oh ! avec quelle ardeur nous devrons nous attacher aux pas du divin Rédempteur dans la Voie douloureuse du Calvaire, pour méditer ses souffrances, satisfaire pour nos péchés et prévenir la sévérité des jugements de Dieu ! Combien nos Stations du Chemin de la Croix nous deviendront chères', avec quelle foi et quelle piété nous les suivrons chaque jour, lorsque nos occupations nous le permettront, pour nous couvrir contre les dangers de la damnation, contre toutes nos infidélités passées et celles qui nous menacent encore !

C'est à la Station du Crucifiement que nous demanderons particulièrement d'être délivrés de la peine du sens, par toutes les douleurs extérieures de Jésus : ses mains et ses pieds percés, sa tête couronnée d'épines, ses os disloqués, tout son corps ne portant que sur des plaies, et sur des clous, sa bouche abreuvée de fiel et de vinaigre, toutes ses chairs déchirées et en lambeaux, tout son sang répandu. C'est par ces tourments réunis, par tout cet enfer volontaire, que Jésus accepte et subit dans son amour, que nous demanderons d'être délivrés des horreurs de l'enfer : les feux ardents ! les ténèbres éternelles ! la société des réprouvés ! les tyrannies des démons ! les puanteurs horribles ! les pleurs et les grincements de dents et tous les autres maux que nous venons de méditer !

A la Station de la mort de Jésus sur la Croix, à la douleur infinie que lui cause l'abandon de son Père : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? à tous les tourments intérieurs du Cœur de Jésus, de l'âme de Jésus dont les tourments extérieurs n'ont été que le signe, nous demanderons d'être délivrés de l'enfer des enfers, de la perte de Dieu, du péché mortel surtout qui, seul, en effet, est l'enfer des enfers ; parce que seul, il peut nous séparer de lui.

Ô M. T. C. F., contre ce double enfer du corps et de l'âme, couvrons-nous tous de la dévotion aux Plaies de Jésus, de la dévotion à son Sang adorable ; de la dévotion à toute sa douloureuse Passion et au Chemin de la Croix. 

III. TROISIEME PEINE DU RÉPROUVÉ

ÉTERNITÉ DE SON SUPPLICE.

 Chose remarquable, Mes Frères, c'est toujours avec le bon Père que je continue cette Instruction, chose remarquable, presque jamais Dieu ne parle des supplices de l'enfer, sans dire qu'ils sont éternels. Vous avez pu vous en convaincre par les textes que j'ai cités. Je pourrais en citer mille autres à l'appui de cette vérité ; mais, c'est inutile, nous savons et nous croyons tous que les châtiments de l'autre vie sont éternels comme les récompenses, et voilà ce qui les rend souverainement redoutables. Etre dans le feu, y être tout entier, quand ce ne serait qu'un jour, qu'une heure, ce serait un supplice affreux. Mais y être pour toujours, y être pour une éternité, y être pour n'en jamais sortir, Mes Frères, c'est un supplice qui nous doit tous glacer d'effroi. Quand il aura brûlé dans ce feu cruel autant de millions d'années qu'il y a d'étoiles dans le Ciel et de feuilles sur les arbres; autant de milliards de siècles qu'il est tombé de gouttes de pluie sur la terre depuis le commencement du monde et qu'il en tombera jusqu'à la fin; autant de milliards de siècles qu'il faudrait d'atomes pour remplir l'espace immense de la terre au ciel le damné se dira avec horreur : « Tout ce que j'ai déjà payé à la justice de Dieu ne diminue rien de la dette qui me reste ; tant de larmes amères, tant de cris de douleurs sont inutiles et perdus; il faut recommencer. Quand j'aurai souffert mille fois plus, je ne serai pas plus avancé qu'aujourd'hui. Point de fin, point de soulagement dans mes maux : toujours même feu, mêmes pleurs, toujours mêmes grincements de dents… » Non, non, Mes Frères, il n'est rien de comparable à ce désespoir; quand même les supplices du réprouvé seraient mille fois plus grands encore ; quand même ils devraient augmenter, redoubler à chaque instant, son sort paraîtrait moins affreux s'il pouvait ignorer qu'ils sont éternels…. Mais être assuré qu'ils ne finiront jamais; mais avoir constamment cette pensée dans l'esprit et ce désespoir dans le cœur, voilà, Mes Frères, voilà ce qui est véritablement un enfer… Qu'il faut que le péché soit un grand mal !… O énormité du péché ! O justice de Dieu ! que vous êtes incompréhensibles ! Oh ! qui me donnera des paroles et des cris capables d'effrayer tous les hommes? Il n'y a que vous, ô mon Dieu ! qui puissiez faire cela; qui puissiez porter dans les âmes cette frayeur qui convertit et qui sauve. Faites-le donc, ô mon Dieu ! et faites-le dans moi tout le premier : car, je le confesse ici devant vous et à ma confusion : non, non, je ne suis pas effrayé de l'enfer comme je devrais l'être.

Cependant, une pensée plus terrible doit être ajoutée à tout ce qui précède, c'est que celui qui sera damné pour un seul péché mortel, souffrira tout ce que j'ai dit, beaucoup plus que je n'ai dit et ne pourrai jamais dire ; mais celui qui sera damné pour deux péchés mortels, souffrira le double ; celui qui sera damné pour trois, souffrira le triple ; celui qui sera damné pour vingt, trente, quarante, cinquante, cent, mille, souffrira ces tourments vingt fois, trente-fois, quarante fois, cin­quante fois, cent fois, mille fois redoublés. C'est la règle de la justice. Quel sera donc le sort de ces malheureux qui ajoutent, chaque jour, crimes sur crimes, qui ava­lent l'iniquité comme l'eau; qui passent ou persévèrent des dix ans, des quarante ans dans le péché mortel, peut-être une vie tout entière dans l'abus des grâces et dans le sacrilège ? Mon Dieu ! mon Dieu ! je frémis d'épouvante à la seule pensée des tortures qu'ils se préparent.

Oh ! c'est épouvantable ! – Oui, mes Frères, épou­vantable ! Dieu lui-même en a été épouvanté, et l'épou­vante l'a fait descendre du Ciel et mourir sur une Croix, pour nous en préserver. Oui, c'est épouvantable ! Tous les Saints en ont été épouvantés, et pour ne pas y tom­ber, ils ont tout sacrifié, tout souffert ; ils ont aban­donné leurs biens et leurs parents ; ils se sont enfoncés dans les déserts et renfermés dans les Couvents, pour faire pénitence; ils ont livré leurs membres à la dent des lions et leur tête à la hache des bourreaux, ils sont morts dans les plus cruels supplices.

Mais y aura-t-il beaucoup de réprouvés dans l'enfer ? Oh ! mes Frères, dut-il n'y en avoir qu'un seul, que nous devrions tous trembler d'être ce malheureux ; mais il y en aura plus d'un, il y en aura beaucoup. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'a dit, et ce n'est qu'avec effroi qu'il parle du petit nombre de ceux qui se sauvent. Oh ! s'écrie-t-il, que la porte du Ciel est étroite et que le chemin qui y conduit est étroit et qu'il y en a peu qui le trouvent ! (Math., VII, 14).Mais que la porte de la perdition, est large et que le chemin qui y mène est spacieux, il y en a beaucoup qui le prennent (Math., VII, 13).

Nous-mêmes, mes très chers Frères, nous Religieux, où allons-nous ? Ne marchons-nous pas avec les relâchés et les négligents ? Ne sommes-nous pas dans la voie qui aboutit presque infailliblement à la perdition, la voie de la tiédeur, la voie des péchés véniels volontaires ? L'enfer, dit le Prophète, a dilaté ses entrailles, il a ouvert sa bouche outre mesure, les petits et les grands, les forts et les faibles y descendent à flots pressés (Isaïe, V, 14). Que faire donc, puisque nous croyons qu'il y a un enfer et un enfer éternel ? Ne commettons plus le péché, et hâtons-nous de faire pénitence des péchés commis. Il faut faire tout de suite ce que nous voudrions avoir fait au moment de la mort. Il faut faire ce que ferait un réprouvé lui-même, s'il lui était donné de sortir de l'enfer, de confesser son péché et de se repentir. Oh ! comme sa confession serait sincère ! comme sa contrition serait parfaite ! comme sa pénitence serait prompte, sévère et entière ! Oh !. quelle constance et quelle persévérance dans son repentir et son forme propos !

Nous, M. T. C. F., Religieux et Enfants de Marie, nous avons déjà embrassé l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le zèle pour sa gloire et le salut de nos Enfants, comme le premier moyen d'échapper au plus grand supplice de l'enfer, la perte du Ciel, la séparation de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Contre les feux de l'enfer, la peine du sens et toutes les horreurs de cet affreux séjour, nous avons embrassé la Croix, la dévotion à la Passion, aux Plaies sacrées et au Sang adorable du divin Rédempteur. Nous voulons le suivre, tous les jours de notre vie, dans la Voie douloureuse du Calvaire, dans la pratique du Chemin de la Croix.

Contre tout l'enfer et contre sa malheureuse éternité, recourons à un troisième moyen, la dévotion à Marie, la confiance en Marie, l'amour et l'imitation de cette bonne Mère, le recours continuel à sa toute puissante protection. C'est à cette fin que j'ai tenu à rattacher cette Instruction à la grande Fête de l'Immaculée Conception, définie, il y a aujourd'hui vingt-quatre ans, comme article de foi.

Dieu, en dotant sa Mère de ce grand privilège, Marie en le préférant à tous les autres, même à celui de la Maternité divine, Jésus-Christ lui-même en la proclamant plus heureuse d'avoir toujours été sans tache que d'avoir été sa Mère, nous apprennent admirablement à préférer la grâce à tout, à la défendre et à la garder à tout prix, à haïr et à craindre uniquement le péché qui seul, peut nous la faire perdre et nous conduire en enfer.

Marie immaculée nous vient aussi comme notre grande défense contre le péché impur, source si ordinaire d'aveuglement, d'endurcissement, d'impénitence finale, de damnation par conséquent. Pas de tentation, si violente soit-elle, dont nous ne puissions triompher par le recours à Marie Immaculée. O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui, avons recours à vous.

Enfin, l'Immaculée Conception de Marie nous assure que nous avons en elle une protectrice toute puissante, une médiatrice d'intercession qui ne saurait être refusée ; car elle a toujours plu au Seigneur, elle a toujours été dans sa grâce et son amour.

Donc, disons et concluons que l'instruction sur l'enfer, sur la malheureuse éternité, doit nous remplir de confiance en Marie, de dévotion envers Marie; qu'elle doit nous attacher à elle, nous attacher à notre vocation, à la vie et à la mort ; car nous savons sûrement que si nous persévérons fidèlement jusqu'à la fin dans notre saint mat, – dans nos pratiques de piété envers Marie ; si nous restons fidèles à nos Règles et à nos Vœux, nous ne tomberons pas dans les abîmes de l'enfer. 

DÉFUNTS.

 

Nous avons cinq nouveaux décès à enregistrer, depuis la Circulaire du 2 novembre dernier :

 1° F. ANGE, Profès, décédé au Noviciat de Saint Joseph, à Sydney (Australie), le 10 octobre 1878.

2° F. DIDYME, Stable, décédé à Aubenas (Ardèche), le il décembre 1878.

3° F. SÉRÈNE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 22 décembre 1878.

4° F. MARTINIANUS, Novice, décédé dans sa famille, à Saint-Paul-le-Froid (Lozère), le 3 janvier 1879.

5° F. PIERRE-BENOIT, Obéissant, décédé à Aubenas (Ardèche), le 14 janvier 1879.

6° Joseph EVESQUE, Postulant, décédé dans sa famille, à Salindres (Gard), au mois d'août dernier.

 

C'est le quatorze décembre dernier, que nous avons appris la mort du cher Frère Ange, décédé dans la Maison Provinciale de Saint-Joseph, Hunter's Hill, près de Sydney.

Il est mort à 37 ans 8 mois d'âge, après 22 ans de communauté et 15 ans de Profession. Parti pour l'Océanie, au mois de novembre 1872, il y a passé cinq ans et huit mois.

Au témoignage de ses deux Frères Assistants, de ses Directeurs et de tous ses Confrères, il s'est toujours fait remarquer, en France comme à l'étranger, par sa piété, son obéissance, son bon esprit, son parfait dévouement, et une conduite constamment exemplaire.

C'est le premier Frère de l'Institut qui meurt en Australie. Il conviendra d'en tracer la Biographie pour l'édification de nos Frères Missionnaires et de tout l'Institut, afin que cet excellent Religieux continue, par les bons exemples qu'il nous a laissés, à soutenir l'Œuvre des Missions, comme il la soutiendra, du haut du Ciel, nous en avons la confiance, par l'efficacité de ses prières auprès de Jésus et de Marie.

La lettre du cher Frère John, Provincial des Missions, du cher Frère Ludovic, Maître des Novices, et du bon Frère Félix, en résidence à Sydney, depuis quelque temps, fourniront, pour cette notice, les plus touchants détails. Nous en attendons d'autres de nos Chers Frères de Saint-Paul-Trois-Châteaux qui l'ont vu à l’œuvre, en France, à Etoile, à Taulignan, à Tulette, à la Maison Provinciale et Saint ­Hippolyte-du-Fort, pendant plus de quatorze ans. Il est certain que tous ces matériaux réunis fourniront une excellente et très édifiante Biographie, principalement sur le point capital de son amour pour ses Frères, que le cher Frère Provincial appelle immense ; sur la qualité essentielle de tout Frère Missionnaire, en pays étranger : se faire tout à tous, ne jamais blesser personne; se prodiguer pour le bien temporel et spirituel de la Mission, ce que notre cher Frère Défunt a fait d'une manière admirable, selon le récit du cher Frère Provincial.

Enfin, nous aurons à admirer son zèle du salut des âmes et sa parfaite soumission à la volonté de Dieu. Voici sur cette vertu spéciale du Défunt, les paroles du cher Frère Félix, à la suite d'un entretien intime qu'il eut avec le cher malade, peu de jours avant sa mort :  Me serrant la main dans sa main amaigrie par la souffrance, nous écrit ce Frère, il me dit, avec une affection et une émotion impossibles à rendre, ces quelques mots que je n'oublierai jamais : « O mon Frère, que je suis heureux de faire la volonté de Dieu ! Oh ! oui, la volonté de Dieu, voilà ce qui me console le plus. J'ai toujours fait, sans réclamation aucune, tout ce que mes Supérieurs ont voulu ; ils m'ont placé à droite, à gauche, je n'ai jamais fait aucune résistance ; au contraire, je me suis efforcé de faire toujours de mon mieux ce qu'ils désiraient de moi, comme étant la volonté de Dieu… Aussi, maintenant je suis content. Je ne veux ni la vie, ni la mort, mais uniquement la volonté de Dieu. Ne demandez pas autre  chose au bon Dieu pour moi que l'accomplissement de cette sainte volonté. Je suis prêt, ô mon Dieu !  s'écriait-il de temps en temps ; prenez-moi, je vous  prie, pourtant que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre ».

 Je m'arrête là pour les détails, mais quand on aura l'ensemble de cette vie et toutes les circonstances de la mort angélique de ce bon Frère, sa patience, sa résignation, son admirable ferveur dans la réception des derniers Sacrements, on ne pourra s'empêcher de s'écrier avec les bons Frères de Sydney :

Heureux l'enfant de notre Vénéré Père Champagnat, heureux le Petit Frère de Marie qui sera doux, humble, simple et modeste comme Frère Ange !

Heureux le Frère Missionnaire  qui aura l'esprit de dévouement et de sacrifice du Frère Ange !

Heureux le Religieux qui mourra de la mort du Frère Ange !

 Sur le bon Frère Didyme, il me sera facile de vous édifier tous, en vous transcrivant simplement la lettre que m'en écrit le cher Frère Philogone, son Assistant.

 « Mon Très Révérend Frère,

C'est d'un cœur serré par la douleur que je vous écris cette lettre. Notre cher Frère Didyme n'est plus de ce monde. Perte pour l'Institut, perte plus vivement sentie dans cette Province et surtout dans notre Maison d'Aubenas.

Que les desseins de Dieu sont impénétrables ! Que de déceptions dans les prévisions humaines ! En peu d'années, et par huit jours seulement de maladie, trois Stables nous sont enlevés : Frère Juvénal, Frère Louis-Régis et Frère Didyme ; et trois Stables dans la force de l'âge, dans la plénitude de leur raison; ils nous sont enlevés alors que, par la solidité de leur vertu, les connaissances acquises, l'expérience des affaires, ils étaient le plus en état de se rendre utiles à la Congrégation et de faire le bien.

 Nous comptions beaucoup sur le bon Frère Didyme, pour donner une bonne impulsion à notre Pensionnat naissant d'Aubenas ; et à peine est-il ouvert, que le bon Dieu nous prend ce Frère… Qu'il soit néanmoins béni de tout !

 Le bon Frère Didyme, vous n'en doutez pas, a fait la mort d'un Saint. La veille de sa mort, au matin, alors que son état paraissait rassurer le médecin et nous rassurait tous, son Confesseur de la Retraite, M. l'abbé Raphanel, vint le voir. Il lui demanda si les affaires de son âme étaient bien en règle ; le Frère Didyme, dans sa jovialité habituelle, lui répondit: « Oui, bien, très bien.» Il s'était confessé la veille et avait communié le jour de la Fête de l'Immaculée Conception. Peu avant sa mort, étant quelques minutes seul avec lui, je lui dis : N'auriez-vous rien de particulier à me communiquer ? Me regardant et souriant, il répondit : Rien, rien. L'expression de son visage me rendait, le même témoignage plus énergiquement encore que sa parole.

« Le Cher Frère Didyme a toujours marché droit et n'a pas connu la duplicité ni la dissimulation. Ouvert, simple et bon, il portait sur la main un cœur franc comme l'or ; et, à ses derniers moments, sa conscience paraissait pure comme le cristal. Aussi, a-t-il rendu le dernier soupir sans effort. C'est bien le juste qui s'est endormi dans le Seigneur. Durant sa maladie, la bonté de son caractère ne s'est pas démentie un instant. Toujours content, toujours d'une jovialité à faire croire qu'il ne souffrait nullement : Comment allez-vous ? lui demandaient les visiteurs et le médecin. Je vais bien, très bien, Docteur, répondait-il.

La veille de sa mort, vers les trois heures du soir, arriva de la Préfecture une lettre lui annonçant qu'il peut faire prendre, quand il le voudra, la médaille d'argent que lui décerne le Ministre de l'Instruction Publique. « Je ferai mieux, dit-il, j'irai la chercher, en me rendant à Saint-Genis-Laval prochainement ». Il ne se doutait pas, cet excellent Religieux, que, le lendemain, il devait renoncer à cette récompense éphémère, pour aller recevoir la récompense éternelle d'une vie entière de dévouement.

« Vous le savez, mon Très Révérend Frère, le cher Frère Didyme avait pour lui : bon cœur, excellent caractère, savoir-faire, bonnes manières, vertu, science, expérience, relevant tout cela par une simplicité admirable. Mais, au point de vue religieux, ce qui le caractérise le plus, c'est, à l'égard de ses Supérieurs, un esprit filial, une docilité, un attachement que rien n'égale.

Pour lui, ses Supérieurs étaient tout. Partout et toujours il prenait  leur parti. Un désir de ses Supérieurs, était pour lui un ordre ; il le disait à ses Frères en toute oc­casion. Tout ce qui venait, surtout du Supérieur Général, lui semblait venir du Ciel. Quel plaisir il eût eu de revoir, avant de mourir, ce bon Supérieur Général ! – Un seul trait qui dessine son bon esprit et peint sa docilité, c'est que malgré ses connaissances et son expérience des Pensionnats, il venait, journellement, deux, trois et quatre fois, dans ma chambre, soit pour me consulter, soit pour me communiquer ses projets. Il lui manquait une foule de choses dans la maison en fait que d'agence­ments, et il les demandait ; je lui répondais : Nous n'avons pas d'argent; faisons, en attendant, comme nous pourrons. Cette réponse était bien accueillie, et il la faisait accepter de ses Frères qui réclamaient de leur côté. C'est vous dire le grand sacrifice que le bon Dieu a exigé de nous, en nous prenant ce fruit mûr pour le Ciel, alors que nous fondions sur lui les meilleures espérances. »

   Nous aurions des détails également édifiants à inscrire ici sur le bon Frère Sérène, décédé à la Maison-Mère, dans sa 56ième année d'âge, sa 36ième année de Communauté et sa 30ième année de Profession, après avoir exercé, comme Instituteur Adjoint, à Bourg-Argental, à Saint-Didier-sur-Chalaronne, à Millery et à Digoin, pendant 21 ans ; puis, avoir dirigé, pendant 18 ans, l’Etablissement de Saint-Laurent-de-Médoc, dans le Bordelais. On sait que ce bon Frère, avec, une instruction médiocre, a été cons­tamment pieux, régulier, d'un dévouement parfait, et qu'il s'est fait estimer et aimer partout du Clergé, de ses Confrères, des Parents et des Enfants, par la conduite la plus exemplaire et toujours marquée au coin du bon sens et du dévouement.

Combien ces Défunts, jeunes et anciens, et tous nos Défunts vérifient cette parole que nous répétons, après le Fondateur, à la fin de l'instruction sur l'Enfer : « Que les Frères qui restent fidèles à leur Vocation et à leurs Vœux jusqu'à la mort, ne tombent pas dans l'enfer ! … Prions, néanmoins, de notre mieux pour le repos de leurs âmes. 

NOUVELLES DES MISSIONS.

    La Loire, partie de Rochefort, le 17 juillet dernier, emportant nos quatre nouveaux Frères Missionnaires, le C. F. Emiliani, le C. F. Tharsice, le C. F. Joseph­-Edith et le C. F. Marianus, est arrivée à Nouméa le 26 oc­tobre, après trois mois et quelques jours de traversée.

Le récit qu'ils nous font de leur voyage témoigne du contentement de tous, de leur bon état de santé et de leur parfaite disposition à se prêter à tous les besoins de la Mission. Malgré vingt jours de très gros temps et des coups de vent affreux, la traversée a été heureuse ; les bons Frères ont même peu souffert du mal de mer.

A part quelques jours de violente tempête, ils ont pu avoir la sainte Messe sur le navire et faire les commu­nions de Règle.

Heureusement, la Loire est un fort bâtiment qui, malgré diverses avaries, a résisté à toute la fureur des vents et des flots. Les Frères reconnaissent qu'ils avaient grand besoin d'un vaisseau de ce calibre et de cette force, dans les mauvais jours qu'ils ont eus. Ils ajoutent, cependant, qu'ils ont pu s'occuper activement pendant la traversée que le bon Frère Joseph-Edith, en particulier, donnait dix heures par jour à l'étude de l'Anglais.

Les dernières nouvelles venues de Nouméa nous dirigent que la révolte des Canaques n'était point encore complètement réprimée, au mois de septembre dernier ; on comptait alors 164 victimes. On s'était battu à dix kilomètres de Bourail, où se trouvent les Frères Marie-Clarent et Libertus. Grâce à Dieu, et ces Frères et tous les autres, ainsi que les Pères Missionnaires, ont été préservés jusque-là. C'est même un fait tout providentiel que le Poste de Moindou, qui nous avait été proposé et pour lequel deux Frères étaient déjà désignés, n'ait pas abouti, car tout a été ravagé depuis dans ce quartier.

Ces désastres répétés ont laissé un bon nombre d'orphelins dans la colonie, tant des Blancs que des Canaques. Le Gouvernement s'en est chargé, et les a confiés aux Frères et aux Sœurs, à Nouméa, à Païta et à Saint-Louis. Prions tous la bonne Mère et saint Joseph de continuer à veiller sur nos Frères et à les garder corps et âme, en demandant aussi, avec instance, au bon Dieu, par l'intercession de Marie et de Joseph, de faire cesser au plus tôt ces tristes événements.

Du reste, nous avons à remercier le bon Dieu des bénédictions toutes particulières qu'il ne cesse de répandre sur toutes nos Missions de Nouvelle-Calédonie, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. La santé et le contentement des Frères se conservent; la piété, la régularité et le bon esprit règnent dans toutes les Maisons, et les Ecoles prospèrent et se développent.

Il en est de même dans le midi de l'Afrique, au Cap de Bonne-Espérance, où nos Frères sont établis depuis 1867. Nous espérons même qu'au mois de mars prochain, nous pourrons réaliser la promesse faite à Monseigneur Ricards, Vicaire Apostolique du district oriental de la colonie du Cap. C'est en 1875 que Sa Grandeur, après trois années des plus vives instances, vint à la Maison-Mère les renouveler Elle-même, et nous obliger à lui promettre des Frères pour la ville de Port-Elisabeth.

Il est probable que ces Frères s'embarqueront à Londres, sous la direction de notre Cher Frère Procope, Assistant des Iles dans les premiers jours du mois de mars. Ils s'arrêteront quelques jours au Cap de Bonne-Espérance, pour faire leur Retraite avec les Frères de cette Maison; et c'est là que le Cher Frère Assistant arrêtera définitivement les trois Frères qu'il doit aller installer lui-même à Port-Elisabeth. Nous sommes heureux de faire visiter, à cette occasion, nos bons Frères du Cap, qui, eux-mêmes, après douze ans de séparation, seront tout contents de revoir et de recevoir leur bon Frère Assistant. Prions tous le bon Dieu de bénir cette Visite et cette nouvelle Fondation; de bénir et de faire prospérer de plus en plus toutes nos Missions. 

ECOLES PUBLIQUES. ENQUÊTES.

 Vous savez tous que, dans divers Départements, les Conseils Municipaux cherchent à enlever les Ecoles Communales à nos Frères ; qu'ils prennent des délibérations dans ce sens, et les envoient à l'Autorité Supérieure pour en réclamer l'exécution.

Généralement, Messieurs les Préfets, pour se conformer aux Circulaires ministérielles, ordonnent une enquête préalable auprès des pères de famille appelés, à cet effet, à la Mairie, pour connaître plus à fond l'opinion générale du pays.

Généralement aussi, ces enquêtes sont favorables à nos Frères, quand les habitants en connaissent suffisamment l'objet et donnent leur avis en toute liberté. C'est ce qui a eu lieu, tout près de nous, à Thurins et à Soucieu-en-Jarez (Rhône), à Saint-Symphorien-d'Ozon (Isère), et, plus loin, à Genelard (Saône-et-Loire).

A ce sujet, disons, ce que tous doivent bien comprendre, qu'on ne peut trop redoubler de zèle et d'efforts, pour attacher les Enfants à nos Ecoles et donner toute satisfaction aux familles, par une bonne et paternelle discipline, par un dévouement et des soins assidus, et par de solides et réels progrès.

Il est bon également d'intéresser d'avance à l’œuvre des Frères M. le Curé et les personnages influents du pays, afin qu'ils vous appuient fortement et vous recommandent dans ces circonstances.

Sans blesser les Autorités et sans nous écarter en rien des prescriptions légales, nous devons faire partout tout ce qui sera en notre pouvoir pour conserver nos Ecoles Communales. Il faut que les Frères Directeurs nous avertissent sans retard des mesures qui seraient prises contre leur Etablissement, des mesures mêmes qu'ils ne feraient que pressentir.

Sans doute que, les Ecoles Communales nous étant enlevées, nous devons accepter avec reconnaissance d'y substituer des Ecoles libres, quand les populations et les bienfaiteurs veulent bien s'y prêter ; cependant, il ne faut en venir là que s'il n'y a plus possibilité de garder les Ecoles Communales.

Vous savez tous combien nous tenons et nous avons toujours tenu à marcher avec les Administrations départementales et avec les Autorités municipales.

C'est à cette même fin que, sur l'invitation d'un excellent Conseiller d'Etat (c'est le cher Frère Euthyme qui m'en écrit de Paris dans ce sens) je vous recommande de nouveau et je vous recommande très fortement, la prudence, la politesse, l'honnêteté, la convenance de langage et de procédés envers tous, même envers ceux qui nous seraient opposés. Faites en sorte, dit ce Conseiller, de ne donner aucune prise contre vous. La moindre imprudence de la part des Frères serait exploitée contre eux et servirait de prétexte à de nouvelles vexations. J'ai vu, a-t-il ajouté, au Ministère de l'Intérieur le rapport d'un Préfet représentant le Frère Directeur d'une Ecole comme se moquant des Autorités devant les Enfants. C'est souverainement imprudent, de parler mal des Autorités devant les enfants, qui ne comprennent que trop et ne manquent pas de tout répéter à leurs parents. Je ne puis assez vous dire combien ce rapport a fait mauvais effet. 

PRIÈRES ET RENOUVELLEMENT DE FERVEUR.

 C'est du bon Dieu que nous devons attendre notre secours dans les temps actuels et dans toutes les difficultés qui nous sont faites. Il faut donc redoubler de prières et de ferveur dans toutes nos Maisons. Il faut que nous nous rendions plus que jamais très fidèles à la Règle, très exacts à tous nos exercices de piété, très ponctuels en tout.

Nous ajouterons même, jusqu'à Pâques, les pratiques particulières qui suivent, pour nous rappeler ces intentions et attirer de plus en plus les bénédictions du bon Dieu sur toute la Congrégation.

1° Dans toutes les Maisons de l'Institut, après le Salve Regina du matin, et après le Sub tuum de la prière du soir, on dira les six invocations suivantes :

Cœur Sacré de Jésus, ayez pitié de nous.

Cœur Immaculé de Marie, priez pour nous.

Saint Joseph, priez pour nous.

Saints Anges Gardiens, priez pour nous.

Saints et Saintes de Dieu, intercédez pour nous.

Que les âmes des fidèles trépassés reposent en paix par la miséricorde de Dieu.

Ainsi soit-il.

2° Dans les Ecoles, le Chapelet sera récité à ces mêmes intentions.

3° En outre, dans les Maisons de Noviciat, chaque jour de la semaine, il y aura, en Communauté, l'exercice du Chemin de la Croix :

Le lundi, à la Maison-Mère.

Le mardi, à N.-D. de l'Hermitage.

Le mercredi, à Saint-Paul-Trois-Châteaux.

Le jeudi, à Aubenas.

Le vendredi, à Beaucamps et à Hautefort.

Le samedi, à Dumfries et à Sydney.

Le dimanche, à Arfeuilles. Puis, en particulier, ce jour-là, dans toutes les Maisons, pour ceux qui le désireront.

4° De plus, dans les Maisons de Noviciat, de 8 heures du matin à 11 heures; et, le soir, de 1 heure à 4 heures, le jeudi et le Dimanche exceptés, il y aura, en adoration devant le Très Saint-Sacrement, pendant demi-heure, un ou deux des Membres de la Communauté, pour continuer cette sainte Croisade de prières. Pendant cette demi-heure, on récitera un Chapelet avec les Litanies du Sacré Cœur de Jésus (Drepage 473) et du Saint Cœur de Marie (Drepage 508); puis, les autres prières qu'on jugera à propos, en terminant par le Salve Regina.

Espérons de cet ensemble de prières et du renouvellement général de l'esprit de ferveur parmi nous, que le bon Dieu se laissera toucher et nous sauvera des dangers qui nous menacent. 

VOYAGES AUX MAISONS PROVINCIALES.

FOURNITURES.

 Dans la dernière Circulaire, nous avons dit qu'on doit s'abstenir des voyages faits sans permission, même à la Maison-Mère et aux Maisons Provinciales. Cette recommandation, que l'état financier actuel de l'Institut rend très nécessaire, a été mal interprétée par quelques-uns. Ils n'ont pas compris qu'on est moins autorisé à venir en ville, sans permission, sous prétexte de s'approvisionner, qu'à venir à la Maison-Mère ou à la Maison Provinciale.

Dans cette fausse persuasion, on vient et on s'arrête à une ville voisine, comme Lyon, ou autre, et on y fait des achats de classiques et autres fournitures, contrairement à la recommandation formelle tant de fois répétée de ne faire ces achats que dans les Procures Provinciales.

Je ne puis que réclamer contre cet abus et le désapprouver fortement, aujourd'hui surtout que nous devons concentrer plus que jamais tous nos fonds et toutes nos économies soit dans nos Caisses Provinciales, soit à la Caisse Générale. Sans doute que nous devons tenir à régulariser tous nos voyages, en les faisant agréer par les Premiers Supérieurs ; mais, comme je l'ai dit dans la Circulaire du 2 novembre dernier, s'il y a quelque permission à présumer à cet égard, pour quelques besoins, c'est évidemment pour les voyages à la Maison-Mère ou aux Maisons Provinciales. 

CONCLUSION ET VOEUX DE BONNE ANNÉE.

 Un voyage de quinze jours dans le Nord m'a empêché de vous envoyer cette Instruction à l'époque même de sa date, le 8 décembre 1878; je vous la donne dans la seconde quinzaine de janvier 1879. C'est ce qui me fournit l'occasion d'ajouter ici un mot en réponse à tous vos souhaits de bonne année, et ce mot me vient précisément du Nord, d'un excellent Prêtre du Diocèse de Cambrai, très ami de nos Frères, très dévoué à tout ce qui nous intéresse, et d'une éminente piété. C'est un mot délicieux, qui répond admirablement au premier moyen que nous avons donné plus haut pour éviter l'enfer ou plutôt l'enfer des enfers, la séparation de Dieu, la séparation de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Pour le mieux saisir, je vous répète ici la réponse admirable du mendiant de Thaulère, rappelée dans notre Circulaire du 8 avril 1872. « Que feriez-vous, avec votre résignation, demande Thaulère au mendiant, si Dieu voulait vous damner? » – « Me damner ! répond celui-ci, si Dieu voulait en venir là, j'ai deux bras avec lesquels je l'embrasserais étroitement : le gauche, qui est la vraie humilité; le droit, qui est l'amour et la vraie charité. Avec ces deux  bras, je le tiendrais si serré, que s'il voulait me précipiter dans les flammes, il faudrait qu'il y vînt avec moi. Or, ce serait une chose incomparablement plus douce pour moi d'être en enfer avec Jésus-Christ, que de posséder sans lui tous les contentements du Ciel.»

Dans cette même pensée, laissez-moi, je vous prie, M. T. C. F., faire mienne la lettre de cet excellent Prêtre et vous l'adresser à tous comme l'expression parfaite de mes souhaits les plus ardents pour 1879, et comme le retour le plus complet à tous ceux que vous avez formés pour nous :

« Tout est vide en moi, nous écrit le bon Aumônier, dans le sentiment profond de son humilité, la tête et le cœur je ne possède ni l'or ni l'argent des vœux précieux mais, à l'exemple de saint Pierre, qui disait : Je n'ai ni or ni argent, je veux vous donner ce que je puis.

Je vous donne donc Jésus lui-même. Vous êtes des Jésus : je donne l'âme sanctifiante de Jésus à vos âmes brûlantes du feu sacré. Je donne son cœur qui embrase à vos cœurs d'apôtres, dévorés de zèle pour  sa gloire et le salut des âmes. Je donne son corps couvert de plaies, à vos corps mortifiés, temples d'honneur de la Divinité. Je vous donne tout Jésus, je vous donne cent fois Jésus, afin que vous soyez de plus en PLUS de VIVANTS JESUS. Il est cent fois vôtre, à  vous qui savez l'aimer. »

« Miracle !… j'aperçois vos cœurs, et je suis forcé de m'écrier : C'est vraiment Jésus qui vit ici !… Oui, ici, pas d'autre vie que celle de Jésus ! – Prières de Jésus, zèle de Jésus, innocence de Jésus, humilité et douceur de Jésus ! vraie sainteté de Jésus ! et, plus tard, Ciel de Jésus !….

 Pardonnez-moi, vous et les vôtres, très honoré Frère, l'étrangeté de mes souhaits dévoués, et daignez agréer, etc.

     B. M   Prêtre.»

 Souhaits étranges, en effet, comme tout ce qui vient des Saints ; souhaits uniques, peut-être dans toute l'étendue de la France. Oh! avec quel bonheur nous les avons reçus, et avec quelle joie nous vous les redisons à tous !

Oui, M. T. C. F., à tous ceux qui vivront de cette vie de Jésus, de ces vertus et de cette imitation de Jésus ; à tous ceux-là ! la gloire et le bonheur éternels ! C'est de foi d'ailleurs, selon cette parole de saint Paul : Ceux que Dieu a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils (Rom., VIII, 29).

 C'est donc, en demandant pour vous tous cette grâce suprême de la parfaite union avec Jésus, et en vous conjurant de la demander pour moi-même, que je vous renouvelle, en attendant la bienheureuse éternité, tous mes vœux de bonne et sainte année, et la tendre affection avec laquelle je suis, en Jésus, Marie, Joseph,

Mes Très Chers Frères,

Votre très humble et très dévoué serviteur. 

       F. LOUIS-MARIE.

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