Circulaires 134

Louis-Marie

1879-07-02

Circulaire du 2 juillet 1879 : Epoques des Retraites. - Avis divers. - Défunts. - Pensées sur l'Eternité. - Aperçu  de l'Eternité au moyen des nombres. - Autres pensées sur l'Eternité. - Post­-scriptum au sujet d'une personne soi-disant  marchande de vernis. - Se tenir sur ses gardes

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51.02.01.1879.3

 V. J. M. J.

    Saint-Genis-Laval, 2 juillet 1879,

Fête de la Visitation de la B. V. Marie. 

                      MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 En vous donnant l'époque de nos prochaines Retraites, je ne puis que vous reporter à notre Circulaire du 8 décembre dernier, sur la grande vérité de l'enfer, en y ajoutant quelques pensées sur l'éternité, afin que nous retirions, comme fruit de nos saints exercices, l'amour et l'estime de notre saint état, qui est le moyen par excellence, le moyen comme infaillible de nous assurer la bienheureuse éternité. 

1. EPOQUES DES RETRAITES.

 1° Retraite du Régime, du Dimanche 12 au Dimanche 19 octobre.

2° Retraite de Dumfries (Ecosse), pour toutes les Maisons des Iles Britanniques, du jeudi 17 au jeudi 24 juillet.

3° Première Retraite dg la Maison-Mère, Province de l'Hermitage et du Bourbonnais, du Dimanche 24 au Dimanche 31 août.

4° Deuxième Retraite de la Maison-Mère, Province de Saint-Genis-Laval, du Dimanche 7 au Dimanche 14 septembre.

5° Première Retraite de Beaucamps, pour les Frères Novices, Postulants et Juvénistes de la Maison Provinciale et pour les Frères des Postes qui y seront appelés par une Obédience particulière, du Dimanche 17 au Di­manche 24 août .

6° Deuxième Retraite de Beaucamps, du Dimanche 31 août au Dimanche 7 septembre. – Fête de la Nativité de la Sainte Vierge, le lendemain, et départ le 9.

7° Saint-Paul-Trois-Châteaux, du Dimanche 14 au Dimanche 21 septembre.

8° Aubenas, du Dimanche 21 au Dimanche 28 septembre.

9° Azerat, du mercredi 17 au mercredi 24 septembre.

10° Retraite supplémentaire de Notre-Dame de l'Hermitage, à l'Hermitage, pour les Frères qui y seront appelés, du Dimanche 10 au Dimanche 17 août. La Fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, le vendredi 15, avec Communion et Offices solennels.

11° Les Frères du Cap de Bonne-Espérance et de Port-Elisabeth (Afrique méridionale) et les Frères des différentes Stations de l'Océanie (Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Australie, Nouvelle-Zélande) font leur Retraite à l'époque qui leur est assignée, ordinairement vers Noël. 

II. AVIS DIVERS.

 1° Nous renouvelons tous les avis donnés, l'année dernière, dans la Circulaire du 21 juin.

Nous rappelons en particulier :

1° Que l'arrivée dans les Maisons de Retraite doit se faire la veille du jour de l'ouverture, et qu'on doit arriver ensemble et se présenter ensemble aux Supérieurs.

2° Que, pour l'ordre des Maisons, comme pour l'ordre des Retraites, on doit se conformer aux dispositions de nos Circulaires du 7 juin 1874, et du 29 juin 1876. Revoir et relire ces deux Circulaires.

3° Que la balance et le règlement des comptes, préparés comme il est dit aux numéros 6, 7, 9, 10 de la même Circulaire du 6 juin 1874, seront faits avec d'autant plus de soin que les temps deviennent plus difficiles et que la gêne financière de la Congrégation est toujours la même.

A ce point de vue, nous serons obligés de restreindre le plus possible les permissions pour saisons d'eau, voyages de famille et autres voyages ou visites qui pourraient nous être demandés.

4° Nous recommandons, tout de nouveau, qu'on se tienne partout en garde contre les mauvais prospectus qui seraient envoyés dans nos différentes Maisons. Nous savons que, cette année même, il en est arrivé dans plusieurs Etablissements, dont le titre seul découvrait l'extrême danger, au point de vue moral et religieux. Veillons plus que jamais à écarter de nos Maisons et de nos bibliothèques tous livres ou brochures, toutes gravures et ouvrages quelconques qui seraient propres à attaquer la foi ou les bonnes mœurs.

5° D'autre part, nous devons éviter, plus que jamais toute parole, tout écrit, tout acte quelconque qui s'écarterait du respect dû à l'Autorité civile et des règlements généraux prescrits pour la Comptabilité des Eclose ; cependant, on ne pourrait accepter de surveiller les écritures scolaires des Institutrices, ni se prêter à les établir. Il y a là une convenance religieuse et morale que notre état lui-même nous oblige à respecter et à garder toujours.

6° Pour la Méthode d’Ecriture, I'Œuvre des Juvénats, l'obligation de nous garder les uns les autres en Jésus-Christ, le soin du temporel, les prières particulières à continuer, et pour la question capitale des études et des brevets, nous ne pouvons que vous renvoyer à nos deux petites Circulaires des derniers mois ; la première, du 4 avril et, la seconde, du 10 mai 1879.

Disons, d'une manière générale, que les circonstances difficiles dans lesquelles nous nous trouvons, nous obligent à nous renfermer, avec un soin extrême, dans l'esprit et dans la lettre même de nos Règles et de nos Constitutions, surtout en ce qui concerne nos rapports avec les Enfants : respecter leur innocence et respecter leur jeune âge, NE PAS LES SCANDALISER, NE PAS LES FRAPPER.

C'est pour conjurer ces calamités, que nous offrirons toutes nos prières, et que nous continuerons avec ferveur nos six Invocations extraordinaires du matin et du soir : Cœur  sacré de Jésus, etc. Cœur immaculé de Marie, etc., etc. 

III. DÉFUNTS.

 Voici la Liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 8 décembre 1878 :

F. DIONIS, Obéissant, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 24 janvier 1879.

F. SALOMON, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 7 février 1879.

F. EUSTOCHE, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage sur Saint-Chamond (Loire), le 11 février 1879.

F. DACE, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage sur Saint-Chamond (Loire), le 11 février 1879.

F. FLOVIE, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 14 février 1879.

F. LOUIS-CÉLESTIN, Novice, décédé à la Tour-d'Aigues (Vaucluse), le 16 février 1879.

F. EMILIANUS, Profès, décédé à Bessèges (Gard), le 7 mars 1879.

F. GÉRAN, Novice, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 20 mars 1879.

F. DION, Obéissant, décédé à Robiac (Gard), le 30 mars 1879.

F. DEUSDEDIT, Obéissant, décédé à La Chapelle-sur-Usson (Puy-de-Dôme), le 11 avril 1879.

   BOUVET (Antoine), Postulant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 24 avril 1879.

F. VICTORINUS, Obéissant, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage sur Saint-Chamond (Loire), le 30 avril 1879.

F. SERGIO, Profès, décédé à La Bégude (Ardèche), le 6 mai 1879.

F. MARIUS-JOSEPH, Novice, décédé dans sa famille, à Champeix (Puy-de-Dôme), le 20 mai 1879.

F. JEAN-BAPTISTE, Stable, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 25 mai 1879.

F. MÉNÉLUS, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage sur Saint-Chamond (Loire), le 6 juin 1879.

F. URSIZE, Obéissant, décédé à Saint-Genis-Laval. (Rhône), le 6 juillet 1879.

 

Dans cette liste de Défunts, parmi plusieurs Frères Profès déjà anciens dans la Congrégation, comme F. Salomon, F. Eustoche, F. Dace, nous avons le bon F. Jean-Baptiste, Frère des quatre Vœux, et comme le Fondateur, avec le bon Frère Paul, de la Maison Provinciale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, sous la direction et par les soins de feu M. l'Abbé Mazelier.

J'ai chargé notre cher Frère Assistant de la Province de recueillir lui-même, ou de faire recueillir par ses Frères, les traits édifiants de cette belle vie et de préparer la Biographie de cet excellent Frère, qui viendra heureusement continuer celles que la Province a déjà données à la Congrégation. Ce n'est pas par des actes extraordinaires que la Vie du bon et pieux Frère Jean-Baptiste nous frappera ; mais c'est par une vertu soutenue jusqu'à la fin, par une piété et une régularité exemplaires, par un zèle et un dévouement persévérants, par une droiture et une simplicité admirables, que le bon Frère fera l'édification de sa Province et de tout l'Institut, et qu'il méritera une place marquée dans nos Annales. En attendant, je le recommande, avec tous nos nouveaux Défunts, aux pieux suffrages de toute la Congrégation. Qu'on soit bien exact à donner les Messes de Règle et à faire toutes les prières et pratiques prescrites pour nos chers Défunts. 

IV. PENSÉES SUR L'ÉTERNITÉ.

 C'est donc en relisant notre Instruction du 8 décembre dernier, sur la grande et terrible vérité de l'enfer, que nous nous préparerons à nos prochaines Retraites, et que nous nous efforcerons, pendant ces saints exercices, de nous affermir de plus en plus, dans notre Vocation, dans l'amour et l'estime de notre saint état.

Pour exciter de plus en plus dans nos cœurs la crainte salutaire et l'ardent amour que nous demandons, chaque jour, dans la prière à saint Louis de Gonzague, nous ajoutons encore ici quelques pensées sur l'éternité, quelques-unes des suppositions, quelques-uns des calculs qui sont faits pour aider à pénétrer dans les profondeurs infinies de cette épouvantable éternité.

 Il faut le dire, l'enfer des enfers, c'est d'avoir perdu Dieu ; et l'enfer de cet enfer, c'est de l'avoir perdu pour toujours : c'est l’ETERNITE.

De même, le Ciel du Ciel, c'est de voir et d'aimer Dieu, et le Ciel de ce Ciel, c'est de savoir qu'on le verra et qu'on l'aimera toujours : c'est l’ETERNITE.

Donc, sans Eternité, ni Ciel, ni enfer; mais parce que le Ciel et l'enfer sont certains, sont de foi, l'Eternité aussi est certaine et de foi.

Oui, M. T. C. F., chacun de nous peut et doit se dire « Je vivrai éternellement ; j'ai commencé d'être, mais je ne finirai jamais. Ma vie sur la terre n'est  qu'une halte d'un instant dans la durée infinie de mon éternité ; et cette halte, Dieu me la donne pour me  faire choisir librement entre deux Eternités : ou, au Ciel, avec lui, l'éternelle prédestination ; ou, en enfer,  loin de lui, l'éternelle réprobation. »

Ah ! M. T. C. F., que nous avons besoin de faire souvent, et pour nous-mêmes et pour les pauvres pécheurs, la prière de l'aveugle de l'Evangile :  Domine, ut videam ! Seigneur, faites que je voie  ! faites, ô mon Dieu ! que je voie et que nous voyions tous et les biens et les maux du monde à venir, avec leur interminable durée !

Hier encore, je balançais pour vous faire ces réflexions et vous donner nos calculs sur l'Eternité, lorsque j'y fus déterminé par le souvenir de la circonstance toute providentielle que voici :

Il y a quelques années déjà qu'un jeune Novice, sortant de ma chambre, se retirait lentement, se retournait même à demi vers moi, et me faisait comprendre qu'il avait quelque chose à me dire. – Qu'y a-t-il donc, lui dis-je? – Mon Révérend, je suis si content, si content que je ne puis pas assez vous l'exprimer. – Et d'où vient ce contentement? – Il dure depuis bientôt trois mois ; depuis votre instruction sur l'Eternité, je ne puis m'en ôter la pensée. Quoi? me dis-je : Toujours ! toujours ! toujours !… Mais toujours ! mais jamais ! Une fois en Paradis, c'est fait ; m'y voilà pour toujours ! Oh ! voyez, si je ne me retenais, je pleurerais à chaudes larmes…. Je pleure souvent tout seul, à la pensée de ce bonheur éternel.

Mais je pense aussi à l'enfer. Malheureux ! me dis-je, si tu y tombes, tu n'en sortiras jamais. Il faudra brûler toujours brûler avec les démons et les damnés… Ah ! voyez, à cette pensée, je tremble de tous mes membres. Malgré moi, j'en ai la figure toute trempée de sueur.

J'écoutais ce jeune Frère, je mêlais quelques mots à ses réflexions, et je suivais ses gestes, un peu singuliers, mais qui me parlaient plus encore que son langage même.

Il ajouta : Je pensais à ces vérités en venant dans votre chambre, et quelque chose me disait de vous en parler, et il continuait de dire et de redire le redoutable toujours ! le redoutable jamais !

Mais, mon ami, lui dis-je alors, vous savez à peine lire, vous ne connaissez pas même l'addition: qu'avez-vous pu comprendre à tous les calculs que nous avons faits? – Allez, allez, je les ai bien compris, et je vous assure que je ne les oublierai jamais. Le lendemain, j'en ai parlé à un des plus Anciens de la Maison, et il m'a dit lui-même qu'il n'en avait rien dormi de toute la nuit, et que ces nombres infinis ne lui sortent plus de la tête. Moi, c'est de même et cela m'encourage? Voyez, rien ne me coûte; je n'ai qu'une frayeur, c'est de manquer mon coup. Quand je sors de la Maison, pour quelque commission et que je la revois en rentrant, je me dis très souvent : Oh ! si tu venais à sortir du Couvent, que tu serais malheureux ; tu n'aurais que l'enfer pour partage, c'est probable, c'est comme certain ; mais si tu y restes, tu iras sûr en Paradis. Non, non, je n'en sortirai jamais ; pour tous les biens du monde, je n'en sortirai pas… Que servira à ces gros richards du monde d'avoir tant d'or, s'ils vont en enfer?

C'est bien, mon ami, ajoutai-je, vous avez là de très bonnes pensées, il ne faut pas les oublier, il faut même les communiquer aux autres, quand vous le pourrez. Je l'ai déjà fait, me dit-il, notamment, ces jours derniers, à quelques jeunes Frères qui venaient de prendre l'Habit et qui déjà voulaient partir. Cela ne leur a pas fait de mal, ils n'y pensent plus maintenant.

Bref, j'abrège cet entretien qui me frappa singulièrement. Sur le moment, je m'en réjouis dans l'intérêt du jeune Frère, dont le salut et la persévérance me paraissaient comme complètement assurés par une foi si vive ; mais, en y réfléchissant, en me le rappelant à cette heure je ne puis y voir qu'un réel avertissement de la Providence qui a voulu m'amener à vous redire à tous les bonnes et fortes réflexions de ce Frère. Puissent-elles exciter en chacun de nous les mêmes sentiments, donner à notre Vocation une base aussi solide et nous apporter à tous un stimulant si puissant, pour nous porter a prier avec ferveur, à combattre avec courage, à bien faire toutes choses, en les faisant pour Dieu seul ! 

V. APERÇU SUR L'ÉTERNITÉ AU MOYEN DES NOMBRES.

 Oui, M. T. C. F., servons-nous d'une science que nous sommes obligés d'enseigner tous les jours, de la science des nombres, pour sonder les profondeurs infinies de l'interminable éternité. Nous ne pouvons faire un meilleur usage des secrets du calcul.

Deux chiffres marquent la durée ordinaire de la vie trois, la vie la plus longue possible ; quatre, la durée du monde. Au rapport d'Archimède, cinquante-deux chiffres représentent un nombre si grand qu'il dépasse de beaucoup celui des grains de sable qu'il faudrait pour remplir l'espace de la terre, au firmament.

Le nombre 5, suivi de 9 zéros, donne cinq mille millions ou CINQ MILLIARDS,l'énorme indemnité que la France, dans nos dernières guerres, a dû payer à un trop dur vainqueur. On aura une idée de cette somme énorme, lorsqu'on saura que 161 voitures de chemin de fer, chargées d'or, à 10.000 kilogrammes, chacune, n'auraient pas suffi pour la transporter.

Du reste, le milliard, ou mille millions (10 chiffres) est déjà un nombre si considérable, que, depuis la naissance de Jésus-Christ jusqu'à ce jour, il ne s'est pas écoulé un milliard de minutes.

Judas, pour avoir vendu son Maître trente deniers, n'eût-il été condamné à l'enfer que pour trente milliards de minutes, n'aurait pas encore subi, après plus de dix-huit siècles, la trentième partie de son châtiment !… Et pourtant dix-huit siècles dans le feu !… 0 Dieu ! quel supplice !  Mais, non, non ! ! ! Les trente milliards de minutes s'écouleront… et trente milliards d'heures, et trente milliards d'années et de siècles !…. et un nombre infini d'années et de siècles !…. et le traître n'aura rien payé de son enfer, il reste tout entier. Malheur à celui par qui le Fils de l'homme sera trahi. Il eût mieux valu pour cet homme qu'il ne fût jamais né (Marc, XIV, 21).

Sur quoi, s'écrie saint Jean Chrysostome « Ô épouvantable sort de Judas ! Ne vous effrayez point, mes Frères de voir le Christ trahi ; mais plutôt, désolez-vous et pleurez amèrement sur le traître Judas. En  effet, celui qui a été trahi a sauvé le monde, et le traître a perdu son âme. Celui qui a été trahi règne au Ciel, assis à la droite de son Père ; et le traître est maintenant en enfer, sous le poids d'un éternel supplice.  Ah ! pour cette cause, pleurez et gémissez ; pour cette cause, lamentez-vous, car pour cette cause, le Christ lui-même a pleuré. » (Offices de la Semaine Sainte.)

Aussi, il faut le dire, la damnation de Judas est la plus épouvantable des damnations : c'est celle d'un Prêtre, d'un Evêque, d'un Apôtre, d'un Religieux, d'une âme privilégiée ! C'est celle, hélas ! que nous devons craindre, si jamais nous devenions infidèles à notre Vocation et traîtres à nos Vœux. Aux âmes d'élite qui se damnent, le ver rongeur le plus cruel, les feux les plus ardents, le désespoir le plus affreux et tout le raffinement de rage des démons.

Oh ! que nous avons besoin de répéter ici la prière du Roi-Prophète : Percez mes chairs de votre crainte, ô mon Dieu ! et que je sois saisi de frayeur à la vue de vos jugements (Ps. CXVIII, 120). Dieu seul, en effet, peut nous éclairer sur cette grande vérité de la malheureuse éternité. Impossible que notre esprit fini et borné s'en fasse une idée juste et exacte. L'infini ne saurait être compris par une intelligence créée, fût-elle même angélique ; mais les grandes comparaisons ou suppositions, données par les Saints, si nous les pesons sérieusement aux lumières de la foi et de la conscience, nous feront assez entrevoir cette redoutable Eternité, pour nous établir dans une juste et salutaire terreur capable de nous préserver à jamais du péché: Dans toutes vos actions, dit l'Esprit-Saint, souvenez-vous de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais (Ecclésiastique, VII, 40).

Suivons ici quelques-unes de ces suppositions, si incomplètes en réalité, et si épouvantables cependant.

 Quand une montagne de sable toucherait au ciel, disent les Maîtres de la Vie spirituelle, et qu'après cent millions d'années, un oiseau en transporterait un seul grain, cette montagne changerait enfin de place ; et quand cent mille millions de montagnes égales auraient changé de même, il n'y aurait rien de changé, rien de diminué ni dans la rigueur ni dans la durée des peines des damnés : feu aussi violent, ténèbres aussi épaisses, puanteur aussi insupportable, larmes aussi amères, après ces siècles infinis, qu'au premier jour.

Quelle supposition ! quel nombre ! quelle durée !quelle immutabilité ! ! ! …

Autre supposition non moins terrible, inscrite dans tous les livres de méditations et répétée cent fois dans les prédications ; étudions-la avec soin et tâchons de nous en pénétrer fortement pour arriver à entrevoir, au moins d'une certaine manière, ce que c'est que l'Eternité.

Soit un mètre cube de chiffres ainsi formé : mille chiffres à la ligne, mille lignes semblables ou un million de chiffres à la page ou au mètre carré ; mille bandes ou mille millions de chiffres au volume ou au mètre cube ! Donc, en un seul mètre cube, un milliard de chiffres alignés, accumulés, entassés avec une valeur de dix en dix fois plus grande. Dieu ! à quelle hauteur est déjà montée l'unité dans ce seul mètre cube d'un milliard de chiffres ! Aucune langue humaine ne peut l'exprimer ! Quel esprit créé pourrait le comprendre ! ! !… 

La première ligne seule échappe à toute conception : mille chiffres ! 333 tranches ! La quatrième, c'est le milliard, nombre déjà comme incompréhensible, nous venons de le voir, aux esprits ordinaires. Qui pourrait comprendre la huitième tranche, le sextillion ! la douzième, le décillion ! la seizième, le quatridécillion ! tous mots déjà tellement étrange, tellement barbares qu'ils n'apportent plus à l'esprit aucune idée précise. Qu'est-ce donc que serait la centième tranche, la millième, la millionième !…. Que seraient un centillion?… un millillion? et nous ne serions pas sortis encore de notre mètre cube de chiffres !

Cependant, ce n'est pas dans un mètre cube que se condense ce milliard de chiffres ; c'est dans un décimètre cube : mille, au décimètre linéaire ; un million, au décimètre carré; un milliard, au décimètre cube; MILLE MILLIARDS, AU MÈTRE CUBE !… Et le volume de la terre étant UN SEXTILLION de mètres cubes, on arrive à un SEXTILLION de mètres cubes de chiffres.

C'est donc avec cet élément, avec ce mètre cube ou volume, avec ce nombre écrasant de mille milliards de chiffres que doit se construire la demeure du réprouvé : Mon fils, lui dit Abraham, il y a entre vous et nous un grand abîme, en sorte que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le peuvent ; comme du lieu où vous êtes on ne peut venir ici. Et dixit illi Abraham : Fili, inter nos et vos chaos magnum firmatum est : ut hi, qui valunt hinc transire ad vos non possint, neque inde huc transmeare (Luc, XVI,.25, 26.)

Evidemment, ici, ce n'est pas d'une construction matérielle qu'il s'agit; c'est d'une supposition de nombres, grandissant sans mesure, pour nous faire entrevoir les abîmes infinis de l'éternité.

Donc, poursuivons nos calculs sans limite. De ces mètres cubes, réunissant chacun, je le répète, mille milliards de chiffres alignés dans la progression décuple ascendante, formons un globe égal au volume de la terre, un sextillon de mètres cubes, et ne perdons jamais de vue que c'est toujours l'unité suivie de ce monde immense de chiffres et grandissant toujours dans la même proportion. Qui pourra énumérer un tel nombre… Mais ces siècles infinis, ces siècles innombrables, qui les verra s'écouler?….

Vous et moi, M. T. C. F., et tout être intelligent sorti des mains de Dieu : au Ciel, le Bienheureux, dans des joies ineffables; en enfer, le damné, dans des supplices incompréhensibles.

Oui, ces siècles accumulés passeront, passeront un à un, passeront tous, sans diminution de bonheur pour les Elus, sans adoucissement de peines pour les réprouvés ! Mon Dieu ! quelle durée, quels abîmes !… Daigne votre infinie bonté, ô mon Dieu ! nous aider à sonder encore ces insondables profondeurs.

Si, notre globe de chiffres, au lieu de le faire égal au globe de la terre, un sextillon de mètres cubes, nous le supposons assez grand pour comprendre la terre elle-même et tout l'espace qui la sépare du soleil : 144 millions de kilomètres ; qui la sépare de l'étoile polaire : 200 trillions de kilomètres ; qui la sépare des étoiles, placées à l'extrémité du monde, à des distances complètement incalculables. Grand Dieu ! quelle sphère ! quel volume ! quel nombre ! O myriades infinies de chiffres s'alignant à la suite les uns des autres, avec une valeur toujours plus grande ; se superposant, s'entassant, s'élevant et se prolongeant à travers ces espaces incommensurables !!! …

Mais toi, unité première, simple unité, montée à cette hauteur, à quel ordre appartiens-tu ? Quel est ton nom ?… Quelle est ta valeur ? ….

Puisque ni homme mi ange ne peuvent le dire, au moins, dans ton effrayante réalité, nous donnes-tu l'éternité ? Approches-tu de l'éternité? Non, non, ni elle ne la donne, ni elle n'en approche !!!! Les océans de siècles qu'elle représente, coulent, coulent, et l'éternité reste ce qu'elle était, ce qu'elle est, ce qu'elle sera toujours, au Ciel ou en enfer : une durée sans fin, un espace sans limite !

Mon Dieu ! soutenez-moi dans la considération de l'éternité avant qu'elle m'absorbe dans ses abîmés… Oui, Seigneur, souffrez, je vous supplie, que, pour les sonder encore, je vous appelle au secours de ma faiblesse, dans ce dernier effort de mon imagination.

A nous de supposer des nombres, d'aligner des séries interminables de chiffres ; mais à Dieu seul de comprendre ces nombres infinis, et de les comprendre sans travail et sans efforts. Il peut les doubler et former une nouvelle sphère de chiffres égale à la précédente, à cette sphère infinie déjà imaginée. Que dis-je? il peut multiplier ce nombre par lui-même et en prendre toutes les puissances ! l'élever au carré, au cube, à la 4e, à la 10e, à la 100e, à la 1,000e puissance !… Il peut l'élever ! l'élever à une puissance dont ce nombre lui-même serait l'épouvantable degré ! ! !… Ô Dieu ! quels produits ! quels nombres ! quels univers de chiffres ajoutés les uns aux autres dans l'infinité de l'espace !… Il faudrait nous arrêter ici; car notre esprit borné se perd dans ces calculs qui semblent toucher à l'infini, et qui, malgré tout l'excès de leur grandeur, n'ont pu et ne pourront jamais nous faire avancer d'une ligne dans l'étendue sans mesure de l'incompréhensible Eternité…

Cependant, ajoutons-y encore cette troisième supposition, supposition épouvantable, donnée bien souvent par les plus saints et les plus zélés Prédicateurs ; supposition plus terrible et plus écrasante que toutes celles qui précèdent, Par elle les comprend toutes et les dépasse infiniment.

Donc, que nos séries innombrables de siècles s'écoulent toutes et s'écoulent entièrement; et qu'alors seulement une seule larme du malheureux réprouvé soit recueillie !…

Que les mêmes séries recommencent et s'écoulent de même, et qu'une seconde larme vienne enfin s'ajouter à la première !!!…

Que dirons-nous ?… Ah ! c'est que de ces larmes réunies, à ces distances infinies, il se formera, dans la durée de l'éternité, des fleuves ; il se formera des mers, des Océans, qui couvriront le globe, qui rempliront l'espace jusqu'aux plus extrêmes limites du monde, et l'éternité n'aura pas fait un pas ; et les larmes désespérées continueront à couler, à couler encore, à couler éternellement – C'est là, dit Jésus-Christ, qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, que rien ne pourra faire cesser ni même interrompre (Matth., XXIV, 51).

Mon Dieu ! qu'est-ce donc que l'Eternité ? Pouvons-nous rien ajouter ?…

La lumière parcourt plus de trois cent mille kilomètres par seconde ; elle nous arrive du soleil, trente-six millions de lieues, en huit minutes seize secondes. Il y a des étoiles à l'extrémité de. l'univers, d'où la lumière ne peut nous parvenir qu'on dix, cent, mille, cent mille ans… Quelle distance ! quelle immensité !

Or, qu'avec cette rapidité de la lumière mille et mille fois redoublée, le réprouvé s'élance de ses abîmes brûlants, qu'il en parcoure les espaces infinis, qu'il se précipite, sans interruption, des jours, des années, des siècles… qu'après ces siècles sans fin, avec ces élans et cette rapidité sans mesure, le malheureux veuille savoir où il en est dans l'immensité du gouffre éternel : il n'aura pour réponse que ce mot désespérant : AU CENTRE IMMUABLE DE L'IMMUABLE ÉTERNITÉ !… Au-dessus et au-dessous, à droite et à gauche, dans tous les sens, l'étendue infinie de cet abîme infini!…

L'éternité, lui dit sa foi, comme sa raison, est une sphère immense dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

Ô abîmes infinis de feu 10 océans sans limites de flammes dévorantes ! Ô pécheurs maudits, jetés et perdus dans ces gouffres éternels de la justice de Dieu ! ! !….

Inutile de pousser plus loin ces suppositions qui font entrevoir l'éternité, mais n'en approchent pas. La réalité, c'est que le réprouvé a son enfer inhérent à lui-même, inhérent à son être. C'est le péché, le péché mortel qui, en souillant son âme tout entière, a également pénétré tout son corps, et devient en lui l'aliment indestructible du feu qui le dévore et le dévorera à jamais. Il s'est couvertde la malédiction, dit le Prophète, comme d'un vêtement ; elle est entrée comme l'eau dans ses entrailles, et comme l'huile dans ses os (Ps. CVIII, 18).

La réalité, c'est que le pécheur endurci qui meurt avec son péché, ne pourra plus faire un pas, un mouvement, le moindre acte pour s'en séparer, se repentir et changer sa position désespérée : En quelque lieu que l'arbre tombera, dit l'Ecclésiaste, il y restera (Eccl., XI, 3). Alors, le Roi dit à ses officiers : Liez-lui les mains et les pieds et jetez-le dehors dans les ténèbres ; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents (Matth., XXII, 13).

La réalité, enfin, c'est qu'à cette immuable et immobile éternité, il ne faut pas oublier de joindre toutes les autres peines et tous les autres supplices de l'enfer déjà donnés : le tourment et les tortures du feu, la séparation de Dieu plus terrible encore, les ténèbres profondes, l'infection horrible et l'affreuse société de cet infernal séjour ! ! !….

Mais comment les damnés, demande Saint-Jure, seront-ils placés dans cette prison de l'enfer? quelle sera leur position dans les flammes ! Et il répond que les Saintes Ecritures nous l'apprennent en ces termes : Ils seront jetés, dit le Prophète David, dans le feu comme du bois sec (Ps. XXII, 10) ; et, ajoute Isaïe, les ayant ramassés et liés ensemble comme un faisceau, il les jettera dans le lac, où il les tiendra comme dans une prison éternelle (Isaïe, XXIV, 22.) Et, conclut Saint-Jure, ils y seront « entassés comme des briques dans un four ardent, « sans pouvoir se donner le moindre mouvement. »

Que conclure de toutes ces horreurs, sinon que nous ne pourrons jamais assez aimer et bénir Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des Cieux ; s'est incarné, s'est fait homme dans le sein de la Vierge Marie; et s'est offert lui-même à la mort la plus cruelle pour nous délivrer des supplices éternels. Oui, grâce à la miséricorde de Jésus, si j'ai mérité l'enfer, je puis m'en délivrer par la vertu de ses souffrances et par ses mérites infinis. Oui, contre les flammes éternelles j'ai le sang de l'Agneau sans tache, sang divin, sang adorable, dont une seule goutte suffit pour racheter et payer toutes les iniquités du monde (Prose : ADORO TE).

Qu'une seule larme de repentir, unie au mérite de ce sang précieux, tombe sur ces brasiers éternels où je devrais être plongé, et elle fera, à elle seule, dans le temps, ce que ne pourront faire, dans l'éternité, les océans de larmes et de pleurs du réprouvé : elle les éteindra et m'en délivrera à jamais.

Que conclure encore de cette terrible éternité, c'est qu'elle explique la rigueur et la longueur des souffrances de Jésus-Christ ; non qu'elles fussent nécessaires pour payer la dette éternelle que nous devions à la justice de Dieu, puisqu'avec la dignité infinie de sa personne, une seule larme, un seul soupir eût suffi ; mais elles étaient nécessaires à sa charité et à sa miséricorde sans bornes. Il voulait nous faire comprendre, par l'excès incompréhensible de ses tourments, la grandeur des châtiments qui seraient imposés, en l'autre vie, aux pécheurs impénitents. Si l'on traite ainsi le bois vert, comment le bois sec sera-t-il traité? (Luc, XXIII, 36).

De plus, admirons ici la facilité infinie du Cœur de Jésus à nous pardonner. L’Eglise nous le dit dans ses Oraisons : « O Dieu dont le propre est de toujours compatir et de toujours pardonner, recevez nos humbles supplications, afin que nous et tous vos serviteurs que « les liens du péché tiennent malheureusement enchaînés, en soient délivrés par la commisération sans borne de votre tendresse infinie. » (Oraison : DEUS CUI PROPRIUM EST.)

Jésus-Christ lui-même, dans son amour sans mesure, dans son désir infini de notre salut, nous adresse à tous cette puissante et miséricordieuse invitation : Venez tous à moi, vous qui souffrez, vous qui êtes malades, vous qui êtes chargés de tentations et même de péchés, et je vous guérirai, et je vous soulagerai, et je vous referai. Donc, sur cette parole, partie de son Cœur divin, signée de son Sang et écrite en Saint Matthieu, Chapitre XI, Verset 28, nous pouvons et nous devons aller, en toute confiance, au Cœur de Jésus et le conjurer d'effacer, dans le livre de notre vie, tout ce qui serait écrit contre nous, et de mettre à la place tout ce qui peut nous justifier.

C'est avec cet amour et cette miséricorde qu'il a poursuivi le seul homme dont il nous a révélé la damnation, le malheureux Judas : Il eût mieux valu pour cet homme qu'il ne fût jamais né (Matth. XXVI, 24).

L'Evangile a pris soin de raconter en détail tout ce que Jésus a fait pour prévenir sa perte, pour l'arrêter dans son crime et pour le retenir sur le penchant du gouffre éternel. Il le garde trois ans en sa compagnie, le fait témoin de tous ses miracles, lui dévoile son forfait, l'avertit de ses suites, guérit sous ses yeux le soldat frappé, le renverse d'un mot, avec la troupe des soldats, fait appel à son cœur : A quel dessein êtes-vous venu? Quoi ! Judas, vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ! (Luc, XXII, 48).

Enfin, à moins de le forcer, il épuise toutes les ressources de sa tendresse pour éclairer, pour toucher et ramener ce malheureux.

Mais là, s'arrête la puissance même de Dieu ; elle respecte la puissance comme souveraine de notre libre arbitre ; elle ne violente pas la détermination infernale, mais libre, que la perversité de notre cœur a conçue et arrêtée de nous perdre. Ce qu'il y a de certain, c'est que nul de nous n'ira en enfer par surprise ; seul, le péché mortel peut nous y conduire, et le péché mortel est essentiellement un acte réfléchi, pleinement connu et pleinement voulu, de notre libre arbitre. Donc, aussi, l'enfer qui en est la suite, si nous nous obstinons dans notre péché, malgré tout ce que Dieu fait et promet pour nous amener au repentir et le faciliter.

Donc, en second lieu, pendant qu'il en est temps, hâtons-nous de nous séparer du péché, de le rejeter de notre cœur. Après la mort, le pécheur et le péché seront à jamais inséparables : inséparables dans le châtiment comme ils l'ont été dans le crime : Veillez et priez en tout temps, dit Jésus-Christ lui-même, afin d'être trouvés dignes d'éviter tous ces maux qui doivent arriver et de paraître avec confiance devant le Fils de l'homme (Luc, XXI, 36). 

VI. ENCORE QUELQUES PENSÉES SUR L'ÉTERNITÉ.

 Autant la pensée de l'éternité est effrayante pour le pécheur, autant elle est douce et consolante pour le juste. Quand on prend isolément cette terrible vérité, elle écrase, on reste tout épouvanté, presque découragé ; mais, dans l'ensemble des vérités chrétiennes, avec l'Eucharistie, avec la Crèche, avec la Croix, avec l'Autel, avec Marie et Joseph, avec nos Règles, nos Vœux et tous nos Ministères de charité, nous ne pouvons que nous réjouir et bénir Dieu de nous avoir promis et assuré la récompense éternelle.

L'essentiel est de vouloir cette récompense, de la vouloir fortement, de la vouloir à tout prix ; en un mot, de la poursuivre avec l'ardeur et l'empressement que doivent inspirer et son immense grandeur et son infinie durée.

Saint Paul dit lui-même que les afflictions si courtes et si légères de la vie présente nous produisent le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire (11, Cor., IV, 17.)

Sur quoi Saint-Jure nous invite à considérer quels biens nous sont préparés dans le Ciel : les richesses immenses, les sublimes honneurs, la gloire souveraine, les délices ineffables ; en un mot, la béatitude parfaite de tout l'homme, dans une durée qui ne finira jamais. Tous ces trésors infinis sont la récompense infaillible de chaque bonne œuvre faite en état de grâce. C'est pour ce sujet que saint Bernard les appelle les semences de l'éternité. Comme l'arbre et le fruit sont renfermés dans la semence, ainsi, dans chaque bonne action, quelque petite qu'elle soit, est renfermé le Paradis tout entier, la vision bienheureuse de Dieu et la possession éternelle de sa félicité. C'est encore ce qui fait dire a l'Auteur de l'Imitation : « Que rien ne vous paraisse ni relevé, ni précieux, ni admirable, ni digne d'être connu, ou considéré, ou loué, ou désiré, que ce qui est éternel. » ( Ill° Imit., V.)

Un pieux auteur va même plus loin encore : « Quand, dit-il, pour mériter le Ciel, il faudrait passer dans l'enfer des milliards de siècles et en supporter tous les tourments, il n'y aurait pas à balancer, parce que ces tourments auraient un terme et que l'éternité  n'en a point… Ce terme passé, on aurait encore l'éternité pour jouir…. »

Oh ! que le damné le comprend parfaitement ! Mais combien nous devrions le comprendre nous-mêmes et mettre à profit la miséricorde infinie du bon Dieu qui veut que, sur la terre, par un simple acte d'amour, par un seul acte de vrai repentir, nous fassions librement ce que ne pourraient faire, dans l'enfer, des siècles infinis de tourments accumulés.

Ici encore, pour relever à nos yeux le prix infini de nos bonnes œuvres, recourons de nouveau à nos grandes lois du calcul.  – C'est un principe en Arithmétique que, sous l'action d'un multiplicateur très grand, le moindre nombre peut arriver à produire des sommes immenses. Un sou, par exemple, qui n'est que la vingtième partie d'un franc, placé à intérêts composés, au temps de Notre-Seigneur, donnerait aujourd'hui la somme incroyable de 68 ondécillions de francs : somme tellement énorme qu'un milliard de globes d'or massif, égaux, chacun, au globe terrestre, ne suffiraient pas pour la payer. La raison en est qu'un capital, placé à intérêts composés, au taux légal de cinq pour cent, double tous les 14 ans 2 mois et 15 jours; c'est-à-dire qu'en nous arrêtant à l'année 1850, il faut multiplier les cinq centimes placés à intérêts, au temps de Notre-Seigneur, par la 130e puissance de deux. Or, la valeur approximative de la terre, supposée d'or massif, serait de 64 octillions de francs, nombre un milliard de fois plus petit que l’ondécillion.

De là, la merveilleuse application à l'excellence et au prix incomparable de nos actions de vertu et de nos mérites de chaque jour, puisque c'est l'éternité elle-même qui les saisit et qui leur donne sa valeur comme infinie. loi, le multiplicateur n'est plus du temps ; il est de l'éternité, qui est sans mesure. Ne vous y trompez pas, dit saint Paul, l'homme ne recueillera, dans l'éternité, que ce qu'il aura semé, dans le temps, savoir : de la chair, la corruption; de l'esprit, la vie éternelle. (Gal., VI, 7, 8.) Non, non, rien de ce que je pense, rien de ce que je dis, rien de ce que je fais, ne peut être justement apprécié que sous l'action de ce multiplicateur infini, L'ÉTERNITÉ.

C'est ainsi qu'elle nous saisit tous ; que, déjà, elle marque, d'une façon ou de l'autre, toutes nos minutes, toutes nos secondes et le moindre de nos actes. Mon Dieu ! qui nous donnera de comprendre cette vérité, et de traiter tous les instants de notre vie et toutes nos actions de chaque jour avec l'importance souveraine, avec l'attention extrême que demande cette grande pensée de l'éternité?

On s'empresse pour se créer des rentes sur la terre on ne parle que d'opérations de bourse, d'actions, d'obligations ; mais, à chaque instant, par les œuvres méritoires, nous nous créons et nous nous assurons des rentes dont nous jouirons éternellement, non pas successivement, non pas par parties, par coupons réglés ; mais pleinement, entièrement, parfaitement, à chaque instant de l'éternité : comment négliger une si belle fortune !

Saint Grégoire le Grand, étant encore Abbé, donna un jour l'aumône à un passant qui la lui demandait sous la forme d'un pauvre naufragé. Quelque temps après, devenu Pape, et donnant à dîner à douze pèlerins, il en aperçut treize au lieu de douze. Comme il reprochait à son diacre Jean d'avoir augmenté le nombre sans ses ordres, celui-ci les compte et les recompte et soutient qu'il n'y en a que douze.

Le Saint juge alors qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire; et, le dîner achevé, il retint le treizième pèlerin, qu'il avait vu, d'ailleurs, changer de visage, paraître tantôt comme un jeune homme, tantôt comme un vieillard, et il le conjura de lui dire franchement qui il était.

« Je suis un Ange de Dieu, répond le pèlerin, celui  à qui vous avez fait l'aumône n'étant encore qu'Abbé. C'est pour cette aumône que Dieu vous a établi son Vicaire sur la terre, et que j'ai reçu l'ordre de me tenir auprès de vous pour prendre soin de vos affaires  et vous obtenir tout ce que vous demanderez. » Sur quoi, saint Grégoire se jette à terre, s'abaisse devant Dieu et dit en versant des larmes de tendresse: « Si Dieu, pour récompenser une si petite aumône, m'élève à la première de toutes les dignités, s'il m'accorde l'assistance extraordinaire d'un Ange, que ne me donnera-t-il pas pour de plus grandes aumônes et pour l'observation de ses saintes lois ? »

Et nous, M. T. C. F., sur cet exemple, en entendant Notre-Seigneur exalter, devant tout l'univers, les plus petites œuvres de miséricorde, un verre d'eau froide donné en son nom, ne pouvons-nous pas, ne devons-nous pas nous demander quelles louanges, quels honneurs, quelle récompense sont réservés à tous les sacrifices de la vie religieuse : à l'abandon de tous les biens de la terre, à la pratique parfaite de l'obéissance, à la garde inviolable de la chasteté, à tous les exercices du zèle, à tous les actes de religion qui remplissent notre vie, si nous gardons fidèlement nos Règles et nos Vœux.

 1° Donc, pour conclusions finales, que notre grande détermination à tous soit d'aimer et d'estimer notre saint état, qui nous met continuellement dans l'heureuse nécessité de pratiquer la vertu et de multiplier nos bonnes œuvres. Que la résolution ferme de nous y attacher de cœur et d'âme, d'y persévérer jusqu'à la mort, à quelque prix que ce soit, soit le fruit particulier de ces considérations sur l'enfer et sur l'éternité, le fruit spécial de tous nos exercices de la Retraite. Je recueillerai moi-même les pensées et les réflexions qui nous seront données sur l'excellence, sur les avantages et sur les sûretés incomparables de la vie religieuse; et je tâcherai de vous les rappeler à tous dans notre première Circulaire ou Instruction de l'année prochaine.

 2° Que nous nous appliquions plus que jamais à faire toutes choses, prières et œuvres quelconques, en vue de l'éternité et déjà comme dans l'éternité. Nous sommes plus sûrs, en effet, d'y être un jour et très prochainement que de tous les problèmes de l'Arithmétique les mieux démontrés. Nous sommes citoyens de l'éternité, et nous devons appliquer à chacun de nos actes le mot de Xeusis : Je peins pour l'éternité ! Portons l'éternité pendant la vie, et elle nous portera, elle nous élèvera, après la mort, jusque dans le sein de Dieu. Si nous refusons de la porter en ce monde, de nous la rappeler et d'y réfléchir, elle pèsera sur nous de tout son poids en l'autre, et elle nous fera descendre jusqu'au fond des enfers. Ah ! ne perdons jamais de vue qu'une seconde en Paradis nous fera oublier un million de fois tous les maux de la vie présente ; et qu'une seconde en enfer fera oublier de même tous les plaisirs de la terre.

 3° Reconnaissons aussi qu'il est impossible d'accorder nos délicatesses, nos susceptibilités, toutes nos petitesses et prétentions d'amour-propre, avec cette grande vérité de l'éternité. Comment se montrer difficile avec les Confrères, quand on pense à la redoutable société qui attend le pécheur dans l'enfer ? Comment mettre en balance, avec des siècles infinis de châtiment ou de récompense, les peines si légères et si courtes de notre saint état, les fatigues de la Classe, la pratique des Vœux et des Observances régulières ? Comment se plaindre de la rigueur et de la longueur des épreuves, quand on sait par la foi qu'elles nous feront échapper à toutes les tortures de la malheureuse éternité ?

 4° Qu'en face de la malheureuse éternité, notre zèle ne connaisse plus de bornes, pour nous en préserver nous-mêmes et en préserver nos Frères et nos Enfants, selon ce vœu d'un excellent Chrétien : « Que pas un Prêtre séculier ou régulier ; que pas un Supérieur ou  Supérieure de Communauté ; que pas un Religieux ou Religieuse d'école ; que pas un Instituteur ou  Institutrice laïques ne trouvent ni un jour, ni même  une heure à perdre, en présence de tant d'âmes qui  abandonnent le Ciel et se précipitent dans l'enfer. »

Quand on réfléchit aux lumières profondes qu'avaient les Saints sur ces deux éternités, on conçoit le nombre et la grandeur de leurs travaux pour le salut des âmes ; on conçoit la hardiesse de plusieurs à écrire aux Prêtres, aux Evêques et jusqu'au Souverain Pontife lui-même, pour les conjurer de venir au secours des pauvres pécheurs.

 5° Enfin, terminons par ces belles paroles de l'Auteur de l'Imitation : « Le monde promet des biens méprisables et temporels, et on le sert avec une étrange  passion; j'en promets de souverains et d'éternels, et  je ne trouve dans les hommes que de la froideur et du mépris. On entreprend de grands voyages pour obtenir un peu de bien dans l'Eglise; et plusieurs ne  veulent pas faire un pas pour acquérir les biens infinis de l'éternité. O honteux aveuglement des hommes ! lorsqu'il s'agit d'un bien céleste, d'une récompense inestimable, d'un honneur tout divin, et d'une gloire qui ne finira jamais, on ne peut se résoudre à  se donner la moindre peine. » (III Imit., 3.)

Cependant, si vous avez de l'intelligence, dit Saint Jean Chrysostome, comprenez que de toutes les nécessités la plus grande est de sauver votre âme.

Dans ces pensées, pour nous disposer à la grande Fête de l'Assomption, Fête Patronale de l'Institut, et pour confier de nouveau à Marie, notre bonne Mère, la grande affaire de notre salut éternel., nous réciterons, pendant les neuf jours avant la Fête, trois Ave Maria, après la prière du matin, et trois Ave Maria, après la prière du soir.

Pendant l'Octave, pour nous disposer aux exercices de la Retraite, nous réciterons, à la prière du soir, le Veni Creator, à la place du Veni Sancte Spiritus.

La présente Circulaire sera lue en Communauté, à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle; et, dans les Noviciats, on la relira encore, pendant le dîner, au réfectoire.

Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph,

Mes Très Chers Frères,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

                    F. LOUIS-MARIE.

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post-scriptum. – Voici ce que vient de m'écrire un de nos bons Frères Directeurs du Midi :

« Pour la seconde ou la troisième fois, depuis deux ans, il se présente une personne d'environ 35 à 40 ans, marchande, soi-disant, d'une espèce de vernis pour boiseries ; et j'ai su qu'elle s'est présentée de même  dans beaucoup de nos Etablissements de différentes Provinces. Elle prend avec les Frères un genre affectueux et familier qui décèle une rouerie des plus raffinées. Elle est au courant des petites affaires concernant nos Communautés. Elle parle de certaines sorties déjà accomplies, d'autres, qui se préparent, dit-elle. Elle connaît et nomme beaucoup de Frères.

« L'ensemble de la conduite et des procédés de cette personne m'a paru si étrange, que je ne serais pas loin de penser qu'elle joue un rôle dangereux pour  nos Frères et qu'elle exerce quelque mission secrète. Elle voyage seule, avec un petit sac contenant quelques fioles de ses drogues. Ce qui me porte encore à  la suspecter, c'est qu'elle n'a pas voulu me donner  son adresse.

 Je livre ces détails, mon Révérend, à votre prudence et à votre paternelle sollicitude. »

Déjà, l'année dernière, de sérieux embarras nous sont venus de cette marchande, à la suite de sa visite dans une de nos Maisons du Centre. C'est plus qu'il n'en faut pour qu'elle soit promptement congédiée, si elle se présente quelque part, pour qu'on n'engage aucune conversation avec elle et qu'on n'accepte rien de sa marchandise. Cette nouvelle leçon ne pourra que confirmer la défense qui vous a déjà été faite, plusieurs fois, de ne prendre jamais affaire avec les marchands ambulants, quels qu'ils soient.

 La note qui suit m'est demandée par le cher Frère Assistant de la Province du Bourbonnais: Envoyer à la Maison Provinciale d’Arfeuilles, comme nous l'avons déjà recommandé, plusieurs fois, pour les autres Provinces, les vieux habits, les vieux manteaux, les vieux souliers; et, en général, tout ce qui serait délaissé, comme hors d'usage, dans les divers Postes de la Province. On en tirera très bon parti, à la Maison d'Arfeuilles, ou pour les Postulants et Novices ou pour les Frères eux-mêmes.

        F. L.-M.

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