Circulaires 195

Théophane

1899-06-02

Circulaire du 2 juin 1899 : Fixation des Retraites. - Taxe d'abonnement. - Fa­veurs attribuées au V. Champagnat. - Pèlerinage  à Fourvière. - Clôture des exercices de second novi­ciat. - Relation du voyage du F. Norbert au Brésil. -  Un mot sur  le R. P. de la Lande. - Réunion de Supé­rieurs généraux. - Visites épiscopales. - Installation des Frères  à Cartago. - Prise d'habit à Samoa. - Œuvres de jeunesse. - Œuvre des Juvénats. - Vocations. - Avis divers. - Décès.

195

51.04.01.1899.2

  Saint-Genis-Laval, le 2 juin,

fête de saint Pothin.

       Mes Très Chers Frères,

Il est rapporté dans l'Evangile que les Apôtres ayant reçu de jésus le pouvoir de chasser les démons et de guérir les malades, parcouraient les bourgs de la Judée, Prêchant partout le royaume de Dieu et rendant la santé aux infirmes. Revenus de ces courses, qui étaient comme l'essai de leur apostolat, ils s'empressèrent de raconter à leur Maître tout ce qu'ils avaient fait. Et Jésus leur dit : « Venez à l'écart et prenez un peu de repos. »

Cette invitation, le divin Maître l'adresse à vous aussi, M. T. C. F., à vous qu'il a envoyés travailler pour lui, à vous qu'il a pourvus, comme ses disciples, d'instructions et de grâces, vous commandant de faire son œuvre, en vous d'abord, puis dans les autres. Vous viendrez donc loin du monde, de ses asservissements, de ses tracas, de ses préoccupations, de ses affaires, passer quelques jours avec votre Sauveur, dans la solitude, le recueillement et le silence ; vous viendrez lui rendre compte de ce que vous avez fait, de la manière dont vous avez rempli votre mission, du profit que vous avez retiré de ses grâces et de ses dons, des moyens que vous avez employés pour établir son règne sur vous et dans les âmes dont le soin vous a été confié.

Nos retraites de cette année se feront dans l'ordre suivant

1° Saint-Genis-Laval, du 13 au 20 juin, pour le Régime et l'Administration

2° Sydney, fin juin ;

3° Iberville (Canada), du 19 au 26 juillet;

4° Dumfries (Ecosse), du 20 au 27 juillet;

5° Alger, du let au 7 août ;

6° San-Andrès (Espagne), du 2 au 9 août;

7° Beaucamps (Nord), du 23 au 30 août;

8° Varennes (Allier), du 27 août au 3 septembre

9° Saint-Paul-Trois-Châteaux, du 3 au 10 septembre;

10° Lacabane (Corrèze), du 6 au 13 septembre ;

11° Saint-Genis-Laval, du 12 au 19 septembre;

12° Notre-Dame de l'Hermitage, du 14 au 21 septembre ;

13° Aubenas, du 19 au 26 septembre.

Les Grands Exercices auront lieu du 20 août au 17 septembre, à la Côte-Saint-André et à Bourg-de-Péage, pour les Frères admis à la Profession.

Dans les missions, nos Frères feront leur retraite aux époques ordinaires: les Frères de Chine, de Turquie, de Colombie et de Syrie, en juillet ; ceux des Seychelles et de l'Afrique du Sud, en décembre ; les Frères de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calédonie et de l'Océanie, en janvier.

Pour obtenir la grâce d'une bonne et fervente retraite, et pour nous disposer à bien célébrer la grande fête de l’Assomption, nous réciterons, pendant les neuf jours qui la précèdent, trois Ave Maria après la méditation; et, pendant l'octave, le Veni Creator Spiritus, suivi de l'oraison et d'un Ave Maria, au commencement de la prière du soir.

Est-il besoin, M. T. C. F., d'ajouter que, plus que jamais, la retraite nous est nécessaire. En butte à la persécution et dépourvus de tout appui humain, ne sentons-nous pas combien il nous importe de nous rendre Dieu favorable ? Et comment nous le rendre propice, sinon en nous efforçant de lui plaire par la sainteté  de notre vie ? Mais c'est par le moyen de la retraite que s'accomplit l’œuvre de notre sanctification, de la retraite que saint Pierre Damien appelle la mort des vices et la vie des vertus ; de la retraite qui, de même que l'oraison, règle les affections, dirige les actes, corrige les excès, conforme les mœurs aux lois et met l'ordre dans la vie entière.

« C'est dans la paix et le silence que profite l'âme dévote, lisons-nous dans l'Imitation. Elle y apprend à pénétrer les sens cachés de l'Ecriture, elle y trouve la source des saintes larmes qui la lavent et la purifient, elle s'y approche d'autant plus de son bien-aimé Créateur, qu'elle s'éloigne davantage de tous les bruits turbulents du siècle.

 La nécessité de la retraite est basée : 1° sur la nécessité de l'esprit intérieur ; 2° sur le grand devoir de la réparation qui nous est imposé. 

I. – NÉCESSITÉ DE L'ESPRIT INTÉRIEUR. 

Soyez bassin et non canal, écrivait saint Bernard au pape Eugène. Ne vous donnez pas tellement au prochain que vous ne soyez plus à vous ; possédez-vous toujours ; remplissez-vous vous-même de grâces comme un bassin, puis vous servirez à les communiquer aux autres. Ne soyez pas comme un canal par où l'eau ne fait que passer.

Cet avis de saint Bernard devrait être la règle des ouvriers évangéliques. Mais ils font souvent tout le contraire : ils se donnent tout au dehors, ils s'épuisent pour les autres et demeurent eux-mêmes à sec. Toute la moelle de leur âme, s'il est permis de parler ainsi, toute la force de leur esprit passe dans leurs actions extérieures ; il ne reste presque rien pour l'intérieur.

Les prophètes, les apôtres, les autres saints ont fait des merveilles, parce qu'ils étaient inspirés de Dieu et qu'ils conversaient familièrement avec lui. Tout réussit aux saints, parce qu'ils obtiennent par leurs prières une bénédiction et une vertu qui rendent leurs travaux efficaces.

Nous avons beau travailler et faire de grands projets pour la gloire de Dieu et pour le service des âmes : sans l'oraison, il n'y a rien à espérer de nos travaux et de nos entreprises ; avec elle, au contraire, nous pouvons faire beaucoup ; Dieu se servira de nous pour de grandes choses, quoique nous n'ayons pas de grands talents.

Nous ne devons rien entreprendre, dans quelque emploi que ce soit, sans nous y être préparés par la prière. C'est de Dieu, en effet, que nous devons attendre tout le succès de nos emplois. Nous sommes ses instruments, et nous travaillons sous lui comme sous un Maître-architecte qui assigne à chacun sa tâche, selon le but qu'il se propose et l'idée qu'il s'est formée. Ainsi nous ferons d'autant plus de fruit que nous serons plus unis à Dieu, et que nous nous rendrons plus dépendants de sa conduite. Or, c'est l'oraison qui nous unit à Dieu; c'est par elle que nous nous disposons à recevoir l'impression et le mouvement de la grâce, comme des instruments, pour agir selon ses desseins.

Il y a des âmes que Dieu a résolu de n'aider que par nous. Si nous leur manquons ou si nous ne nous acquittons pas bien de nos fonctions, elles demeureront sans aide et l'Eglise en gémira. C'est à quoi doivent penser ceux qui ne sont pas assez intérieurs, ni assez unis à Dieu. Mais pense-t-on à ces sortes de fautes ?… Dieu sait pourtant quel compte nous lui en rendrons un jour.

Sans l'esprit de Dieu, avec tous nos talents, nous ne sommes que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Un homme intérieur fera plus d'impression sur les cœurs, par un seul mot animé de cet esprit, qu'un autre par un discours entier qui lui aura coûté beaucoup de travail, et où il aura épuisé toute la force de son raisonnement.

Si dans nos emplois nous pratiquons l'extérieur de la vertu sans l'intérieur, nous sommes misérables ; car nous portons le poids du travail sans goûter l'onction de la grâce : au lieu que, par le recueillement et l'oraison nous ferions plus avec moins de peine et avec plus de gloire pour Dieu.

On cherche Dieu, il est vrai; mais ne se cherche-t-on pas aussi soi-même ?… On se propose la gloire de Dieu et le bien des âmes ; mais oublie-t-on sa propre gloire et ses petits intérêts ? On s'emploie aux œuvres de zèle et de charité ; mais est-ce par le seul motif de la charité et du zèle ?

Si nous examinons bien, peut-être trouverons-nous dans notre âme si peu d'union avec Dieu, et dans les services que nous rendons au prochain tant de réserves d'amour-propre, que nous aurons sujet de craindre que nous ne fassions pas aux autres tout le bien que nous nous imaginons, et que nous nous fassions à nous-mêmes plus de mal que nous ne pensons.

Pour travailler utilement au salut des autres, il faut avoir fait de grands progrès dans sa propre perfection. Rien n'est si dangereux que de négliger le soin de son intérieur et de ne pas se mettre en peine de connaître ce qui s'y passe. Cette négligence et cette ignorance peuvent avoir les plus graves conséquences.

En se livrant sans cesse au tracas de l'action, en abandonnant le soin de son intérieur, sous prétexte de zèle et de charité et parce qu'on travaille pour le service du prochain, on s'expose à passer sa vie dans un mélange de nature et de grâce, sans faire un pas pour avancer dans la perfection pendant des dix et des vingt années, l'esprit aussi distrait, le cœur aussi dur, parmi tous les exercices de la piété chrétienne, que si l'on n'avait pas eu ces secours. Enfin la mort vient, et alors on ouvre les yeux, on reconnaît son illusion et son aveuglement, et l'on tremble à l'approche du redoutable tribunal de Dieu. Le moyen d'éviter tous ces malheurs, c'est de régler notre intérieur et de veiller soigneusement à la garde de notre cœur. 

Il. – LE GRAND DEVOIR DE LA RÉPARATION. 

Le devoir de la Réparation est un de ceux qui s'imposent le plus étroitement à toutes les âmes sincèrement chrétiennes. Jésus-Christ n'est venu sur la terre que pour réparer l'outrage fait à Dieu et le tort fait à l'homme par le péché ; dans sa vie publique comme dans sa vie souffrante, il a rempli le rôle de réparateur ; il le continue dans sa vie mystique et glorieuse. Si nous devons imiter chacune de ses vertus, mettre en pratique chacune de ses maximes, à plus forte raison devons-nous entrer dans l'esprit de la réparation, qui a été le but même de sa mission. A l'exemple du divin Maître, les saints se sont offerts à Dieu comme victimes pour le salut du monde ; plus ils ont été éminents en sainteté, plus ils ont été réparateurs.

Ce devoir, qui tient au fond même du christianisme, et dont l'obligation pour les vrais serviteurs de Dieu a été reconnue à tous les âges de l'Eglise, devient plus grave et plus impérieux à l'heure présente, où la Société catholique est plongée dans un abîme de maux. Dieu est horriblement offensé par toutes les iniquités qui se commettent, surtout par les actes d'impiété qui ont pour but de le détrôner des cœurs et de chasser Jésus-Christ de l'état social. Ce déluge de crimes provoquera nécessairement les représailles de la justice divine, si aucune réparation ne se fait. A des maux extrêmes il faut des remèdes puissants.

En fait, nous sommes bien obligés de reconnaître que Dieu éprouve son peuple. L'esprit du mal triomphe, la religion est humiliée de plus en plus. Et ici, une question se pose naturellement à tout observateur qui a la foi : pourquoi, tandis que l'Eglise est pourvue de réparateurs dans la personne des religieux, des prêtres, des personnes pieuses vivant au milieu du monde, ne ressentons-nous pas les effets de leur salutaire médiation ? Dira-t-on qu'ils sont en nombre insuffisant ? Mais c'est par milliers, par centaines de mille que l'on compte dans les pays catholiques ces âmes d'élite. Quelle apparence que Dieu leur refusât notre délivrance, lorsqu'il ne demandait autrefois que dix justes pour le salut de l'infâme Sodome ? Non, ce n'est pas ce qui l'empêche de nous secourir. Une seule solution peut être donnée à ce redoutable problème – c'est que la condition principale pour recevoir une si grande grâce n'est pas remplie ou ne l'est qu'imparfaitement ; c'est que Dieu attend encore une expiation.

Mais, pour être des hommes d'expiation et des réparateurs, faudra-t-il nous livrer à des macérations héroïques et rivaliser d'austérités avec les anciens pénitents ? Non, l'héroïsme que Notre-Seigneur désire trouver dans les âmes qui lui sont consacrées, c'est qu'à une vie de relâchement, de tiédeur, de médiocrité, si contraire à la perfection de leur état, elles fassent succéder une vie de ferveur, d'amour, d'abnégation, de sacrifices, de zèle pour ses intérêts. Au moment où la haine de ses ennemis dépasse toutes les bornes et trouve un puissant auxiliaire dans l'apostasie ou la désolante indifférence d'un grand nombre de chrétiens, le Cœur de Jésus cherche des cœurs qui l'aiment sans mesure. Religieux, donnons-lui cet amour ; faisons-nous victimes avec ce divin Cœur, par l'accomplissement généreux de tous les devoirs que nous imposent notre état, nos vœux et nos Règles ; soyons dignes de notre vocation: plus de naturalisme, plus -de routine, plus de demi-vertus ; ne vivons que pour nous sanctifier et sauver le plus d'âmes possible. Ainsi nous hâterons le triomphe de l'Eglise, et nous contribuerons pour notre part à la régénération religieuse de la société.

Tel est donc, M. T. C. F., le double but que nous nous proposerons dans notre prochaine retraite : joindre l'esprit intérieur, l'esprit d'oraison à l'action et accomplir ainsi le grand devoir de la réparation.

En raison des besoins exceptionnels du moment, nous ajouterons chaque jour, d'ici au 1ieroctobre, cette invocation à la suite du chapelet : Saint Michel Archange priez pour nous. 

LOI D'ABONNEMENT 

Le 1iermai dernier, j'adressais à tous nos Frères un pressant appel pour les prier de nous venir en aide dans les circonstances pénibles où se trouve la Congrégation, par suite du récent arrêt de la Cour de Lyon.

Il me tarde de vous exprimer ma vive satisfaction et celle des membres du Régime pour l'empressement avec lequel vous m'avez répondu. Nous sommes très touchés des preuves d'affection filiale et de générosité héroïque que vous nous avez données.

Tous, vous avez été unanimes à nous approuver et à nous encourager dans notre attitude ; merci cordialement à tous pour la douce consolation que nous procurent votre conduite et vos sentiments admirables. Il nous est bien agréable, en effet, de savoir que nos Frères de France et des autres pays sont avec nous de cœur dans cette grave question. Si quelques-uns, pris au dépourvu, ne nous ont pas encore répondu, nous sommes persuadés qu'ils ne tarderont pas à le faire.

Jusqu'ici l'Enregistrement ne nous a pas encore signifié l'arrêt de la Cour d'appel ; par suite, la saisie n'est pas pratiquée. Nous attendons, pleins de confiance en la divine Providence et dans le secours de Marie, notre Mère. 

CAUSE DE BÉATIFICATION DU VÉNÉRABLE

MARCELLIN CHAMPAGNAT 

J'ai la satisfaction de vous annoncer que le tribunal chargé des procès apostoliques dans la cause du Vénérable Marcellin Champagnat, est sur le point de terminer son enquête sur la réputation de sainteté du Vénérable. Il restera ensuite à prononcer : 1° le jugement sur la validité des procès; 2° le jugement sur les vertus; 3° le jugement sur les miracles ; 4° le jugement super tuto, c'est-à-dire déclarant qu'on peut procéder sûrement à la béatification solennelle.

Continuons à prier Dieu d'assister le tribunal dans son importante mission, et de manifester la sainteté et le crédit de son serviteur par des grâces et des faveurs extraordinaires. 

FAVEURS OBTENUES PAR L'INTERCESSION DU VÉNÉRABLE

PÈRE CHAMPAGNAT 

    I. – GUÉRISON. 

                                    Sauve, le 18 novembre 1898.

Le dimanche 6 novembre, m'étant levée comme d'habitude, j'aidai ma mère dans tout ce qu'elle avait à faire. Au moment où je me préparais pour aller à la messe, je sentis des douleurs atroces qui me faisaient pousser des cris. On me coucha et les douleurs n'en devinrent que plus aiguës. Le lundi, on me conseilla de mettre l'image du Vénérable Père Champagnat sur la partie malade et de commencer une neuvaine en son honneur, ce que je fis aussitôt. Le mardi matin, je me trouvai encore plus souffrante ; mais vers onze heures, au moment où des personnes amies priaient à côté de moi, les douleurs disparurent subitement, et depuis, je ne les ai plus ressenties. Reconnaissance en soit rendue au Vénérable Père Champagnat ! Que son nom soit à jamais béni ! C'est pour lui payer un léger tribut de ma gratitude que j'ai fait cette relation.

                   A. GAL. 

II – GUÉRISON. 

                                        Belmont, le 9 janvier 1899.

Voici, mon cher Frère Assistant, une petite relation qui vous intéressera. Les parents d'un de nos anciens élèves vinrent trouver le Cher Frère Directeur, aux environs de la Toussaint pour lui dire que leur fils, un bon jeune homme de 18 ans, était très sérieusement malade : il rendait tout ce qu'il prenait, et les remèdes ordonnés par les médecins n'apportaient aucune amélioration à son état de santé. Le Cher Frère Directeur leur proposa de faire une neuvaine au Vénérable Père Champagnat. Ils la commencèrent le même jour, et nous la fîmes en même temps qu'eux.

   Le jeudi suivant, étant allés voir ce jeune homme, nous le trouvâmes presque guéri : les vomissements, qu'aucun remède n'avait pu arrêter, avaient cessé aus­sitôt la neuvaine commencée. Il continua ensuite à aller de mieux en mieux, et peu de jours après il assistait à la messe et faisait la sainte Communion, en action de grâces de la faveur qu'il avait obtenue par l'intercession du Vénérable Père Champagnat. Les parents de ce jeune homme sont convaincus qu'ils doivent à notre saint Fondateur la conservation de leur cher enfant ; aussi sont-ils remplis de reconnaissance envers lui et de confiance en sa protection.                

                        F. E. 

III. – GUÉRISON. 

                    Saint-Just-en-Chevalet, le 17 février 1899.

Mon fils Henri a été sérieusement malade à la fin du mois de novembre dernier; le docteur qui lui donnait ses soins l'a traité pour la fièvre muqueuse. Le samedi, 26 novembre, il était très fatigué lorsque le Frère Sous-Directeur vint le voir et m'annonça que les enfants de I'Ecole allaient commencer une neuvaine pour demander la guérison de mon fils. Il apporta en même temps une relique du Vénérable, que le petit malade embrassa souvent en disant : «Père Champagnat, guérissez-moi !» Dès ce jour, la fièvre a constamment baissé ; avant la fin de la neuvaine, mon enfant était en pleine convalescence, et le lundi 12 décembre, il reprenait ses classes.

Pour moi, j'attribue cette rapide guérison entièrement à l'intercession du Vénérable Marcellin Champagnat : aussi je me propose de faire bientôt, avec mon fils, ainsi que je l'ai promis, un pèlerinage à son tombeau, à Notre-Dame de l'Hermitage, pour le remercier de cette faveur.

                  J. CHATELUS. 

IV. – GUÉRISON. 

                             Dundee (Ecosse), le 19 mars 1898.

Lizzie, une de mes enfants, âgée de 10 ans, souffrait beaucoup d'une inflammation d'amygdales quand je reçus l'image du Vénérable Père Champagnat, avec un peu de ses reliques. Nous priâmes le Vénérable et appliquâmes la petite relique sur la partie malade, et ma fille fut complètement guérie. Depuis, grâce à Dieu et au Vénérable Père, elle a été en parfaite santé. Je n'ai pas besoin de dire que cette faveur a encore augmenté notre confiance en ce serviteur de Dieu et nous porte à recourir fréquemment à son intercession.

                 Mary FLETCHER. 

V. – EXEMPTION DU SERVICE MILITAIRE. 

                                 Aubenas, le 27 avril 1899.

Mon Très Révérend Frère Supérieur,

Au moment où s'instruit le procès de béatification de notre Vénérable Père, laissez-moi vous raconter une faveur toute spéciale que je crois devoir à son intercession. Il s'agit de mon exemption de tout service militaire : voici dans quelles circonstances :

Etant de la classe de 1897, je fis valoir comme motif d'exemption une infirmité d'oreilles, sur laquelle un médecin consulté me dit de ne compter guère cependant, vu le peu de gravité du mal. Me voyant dépourvu de toute protection du côté des hommes, j'implorai celle du Vénérable Champagnat ; je le priai avec ferveur, dirigeant à cette intention mes prières de règle et quelques pratiques particulières que je m'imposai jusqu'à la révision. Ce jour étant arrivé, je me présentai devant le Conseil, et il fut décidé que le cas que je faisais valoir serait examiné le 30 juin 1898 (c'était déjà pour moi un commencement d'espoir).

Le 30 juin, je me rendis donc au chef-lieu du département, avec un de mes confrères, qui avait aussi un cas à faire valoir. Mais comme nous n'étions inscrits ni l'un ni l'autre, on nous dit que nous pouvions nous retirer. Malgré cela, on nous permit d'entrer, et, après deux heures d'attente, on m'appela pour être examiné. On lut une enquête qui m'était à la vérité assez favorable, mais incomplète : aussi entendis-je prononcer cette terrible sentence : « Bon pour le service. »

Je me retirais bien triste lorsqu'on me rappela pour m'interroger encore, et me soumettre à plusieurs petites épreuves dont je me tirai avec aisance, en dépit de ma timidité naturelle. Enfin, ô bonheur ! on me déclara exempt complètement.

Quand je pense aux circonstances toutes providentielles qu'il a fallu pour arriver à ce résultat, je ne puis ne pas y voir l'intervention de notre Vénérable Père. A lui donc ma reconnaissance avec mes actions de grâces à Dieu et à la Sainte Vierge !

              F. C.-L. 

PÈLERINAGE DE LA MAISON-MÈRE

A FOURVIÈRE (30 mai 1899). 

Le pèlerinage de Fourvière, si cher aux Lyonnais, a été plus fréquenté que jamais cette année. La Maison-Mère a tenu à répondre au désir de notre vénéré et pieux Cardinal qui, dans une lettre pastorale, conviait tous les fidèles du diocèse à venir, particulièrement cette année, déposer aux pieds de la Reine du ciel les hommages de leur reconnaissance pour les bienfaits reçus dans le siècle qui va finir, et aussi, l'expression d'un repentir sincère pour les fautes trop nombreuses, hélas, envers son divin Fils.

C'est donc avec ce double sentiment de pénitence et de filiale gratitude que notre pèlerinage s'est accompli, que les membres de notre Communauté, jeunes et vieux, se sont rendus au sanctuaire de Fourvière, à pied et en récitant le Rosaire.

On sait dans notre Institut que, sur cette colline de Fourvière, il y a quatre-vingt-trois ans, venaient se prosterner de jeunes séminaristes avides d'accroître la gloire de Dieu, l'honneur de sa très sainte Mère, et de travailler au salut des âmes par les missions et par l'enseignement de la jeunesse.

Au nombre de ces cœurs généreux était notre Fondateur, le Vénérable Père Champagnat.

Là, à Fourvière, il confia à la Bienheureuse Vierge son pieux dessein et la conjura de le bénir s'il devait tourner à la gloire de Dieu. Nous savons combien il a été exaucé : la bénédiction de notre bonne Mère ne nous a point manqué.

A cette heure solennelle notre Vénérable Père se consacra tout entier au service de la Mère de Dieu. La formule de cette consécration nous a été conservée.

Le R. P. Hillereau, le supérieur de nos aumôniers, a eu l'heureuse pensée de la mettre sous nos yeux, et, en la commentant, d'y ajouter l'expression de notre gratitude personnelle, de nos désirs et aussi de nos  résolutions.

Voici cet acte de consécration, tel qu'il a été lu, après la messe, au nom de toute la Maison-Mère, formant un ensemble de 350 pèlerins. 

CONSÉCRATION A LA TRÈS SAINTE VIERGE 

« Le Vénérable Père Champagnat, il y a quatre-vingt-trois ans, à genoux dans l'antique sanctuaire de Fourvière, disait, et chacun de ses fils redit avec lui en ce beau jour :

« Vierge sainte, c'est vers vous, comme vers le trésor des miséricordes et le canal des grâces que j'élève mes mains suppliantes, vous demandant avec instance de me prendre sous votre protection et d'intercéder pour moi auprès de votre adorable Fils, afin qu'il m'accorde les grâces dont j'ai besoin    

« C'est sous vos auspices que je veux travailler au salut des âmes. Je ne puis rien, ô Mère des miséricordes! Je ne puis rien, je le sens; mais vous pouvez tout par vos prières. Vierge sainte, je mets toute ma confiance en vous. Je vous offre, je vous donne et vous consacre ma personne, mes travaux et toutes les actions de ma vie.     

   « O Marie, comme notre Père, nous vous disons à notre tour «. Memorare, souvenez-vous de vos enfants ; eux aussi veulent travailler sous vos auspices. Que peuvent-ils faire sans vous ? Prenez-les sous votre protection, intercédez en leur faveur auprès de Jésus !         

   « Bénissez et fécondez leurs travaux. Bénissez lesSupérieurs vénérés, les maisons et les membres de cet Institut voué à votre culte et qui porte votre nom.

« Bénissez les enfants confiés à vos fils ! votre bénédiction les a multipliés et répandus sur la surface du globe ; faites que partout ils portent votre esprit de simplicité, d'humilité, de sainteté et d'amour de Jésus.

« Acceptez aujourd'hui l'acte de piété sincère et filiale par lequel, au nom de toute votre grande famille, la Maison-Mère des Petits-Frères de Marie se consacre à vous, en présentant à votre bénédiction, comme le Vénérable Fondateur le faisait de lui-même, nos personnes nos travaux et toutes les actions de notre vie.

« A vous nous sommes, ô Marie, à vous nous voulons demeurer, fidèles à notre devise

                                      Tout à Marie pour Jésus

« Amen ». 

CLOTURE DES  EXERCICES DU SECOND

NOVICIAT 

Les Frères appelés au second noviciat de six mois se sont rendus avec un louable empressement, à notre maison Sainte-Marie, pour en suivre les exercices qui ont commencé le 15 octobre 1898, et se sont clôturés le 26 mars, sous la direction du R. P. Petit, de la Compagnie de Jésus, et du cher Frère Augustalis, directeur du pensionnat de Chagny, élu depuis Assistant en rem­ placement du cher et regretté Frère Norbert.

. Comme leurs prédécesseurs, ces chers Frères, au nombre de 33, ont apporté à ces saints exercices toute leur intelligence, tout leur cœur, toute leur bonne volonté. C'était vraiment plaisir de voir le bon esprit, la reli­gieuse émulation et la sainte joie qui régnaient parmi eux. Ils ont fait un excellent travail, assurément, un travail véritablement utile : utile à eux-mêmes par le soin et le zèle qu'ils ont apportés à leur avancement spi­ rituel et à l'étude de leurs devoirs d'état ; utile à leurs élèves par les sujets religieux et pédagogiques qu'ils ont traités ; utile à l'Institut qui profitera des lumières des connaissances et des vertus qui sont pour eux les fruits de ce second noviciat.

Ils ont si bien senti et apprécié tous ces précieux avantages qu'avant de se séparer, les chers Novices ont eu à cœur de nous exprimer leur reconnaissance par l'organe de l'un d'entre eux, lequel, en termes enthousiastes, a rappelé qu'ils avaient trouvé dans cet asile béni un festin délectable pour l'esprit et pour le cœur, une délicieuse oasis, une plus grande estime de leur sainte vocation, et de nouvelles forces pour affronter les difficultés, confesser Jésus-Christ et honorer Marie, par la parole, par l'action et par l'exemple.

Chacun des retraitants a emporté, comme mémorial de ce noviciat béni, une image du Vénérable Champagnat, au revers de laquelle se trouve, entre autres choses, la liste des Frères qui y ont pris part. Voici leurs noms :

 FF. Anthelme. Aristéus. Armance. Auxent. Bassianus. Bernardin de Sienne. Elie-Marie. Ferdinandus. Flamien. Fraternus. Gabriel. Gatianus. Grégoire de Nazianze. Rodriguez. Svnèse. Théodicien. Valérian. Hermée. Honoratus. Joseph-Alphonse. Joseph-Célestin. Joseph-Eméric. Lazare. Lucius. Marie-Alexis. Marie-Florentin. Marie-Victoric. Pierre-Damien. Pierre-Décius. Pierre-Marie.  Valère. Victor. Vindicien. 

VOYAGE DU C. F. NORBERT

A Congonhas (BRÉSIL) 

En attendant que vous soit envoyée la notice consacrée à la mémoire de notre cher et regretté F. Norbert, Assistant, décédé le 10 janvier 1899, à bord du paquebot Le Portugal, je crois répondre à votre désir en même temps que je suis l'impulsion de mon cœur, en vous adressant encore quelques mots sur son voyage au Brésil, ce dernier acte de sa vie d'Assistant si active, si laborieuse, si bien remplie.

Dans cette relation, mon but n'est pas de vous donner une page littéraire, mais simplement de mettre sous vos yeux l'extrait d'un journal de voyage, de manière à vous renseigner, à vous édifier, et à laisser pour les temps à venir un mémorial des origines, mêlées de si douloureuses épreuves, de cette chère et intéressante mission du Brésil.

Voici ce que le C. F. Norbert écrivait de Bordeaux à la Maison-Mère, le 3 novembre 1898, veille de son embarquement sur La Plata[1]

« Nous confierons notre voyage au Sacré-Cœur, demain, premier vendredi du mois, et vous ne serez pas oublié dans notre communion. Nous aurons avec nous des religieux du Saint-Esprit, au moins jusqu'à Dakar.

« En me recommandant à vos prières et en saluant mes bien-aimés collègues, je me dis avec le plus profond respect, etc.

« Lisbonne, 8 novembre 1898. – Nous faisons route avec deux bons Pères du Saint-Esprit jusqu'à Dakar. Ils disent leurs messes dans notre cabine. Un prêtre espagnol s'est joint aux deux Pères. Tout va bien.

« Dakar, 12 novembre 1898. – Hier, vendredi, nous avons pu assister à la sainte messe, et tous nos Frères ont fait la sainte Communion. Notre voyage s'effectue dans de bonnes conditions. Plaise à Dieu qu'il s'achève de même !

« Pernambuco, 18 novembre 1898. – Je tiens à vous donner encore signe de vie. Nous avons été saluer les Frères de Ploërmel, qui nous ont accueillis très cordialement, comme des amis de leur Congrégation…

« Congonhas, 24 novembre. – Par la grâce de Dieu et la protection de la Sainte Vierge, nous sommes arrivés heureusement au port, le mardi 22. Le bon F. Andronic est venu nous prendre au bateau. Le lendemain, les Pères Prémontrés nous attendaient sur la place, à l'entrée du collège. Les élèves internes sont au nombre de quarante ; l'externat en compte une cinquantaine. Ce sont les Pères Prémontrés qui desservent la paroisse.

« 9 décembre. – Accompagné du C. F. Andronic, je pars pour Marianna. Nous y arrivons le 18, après avoir fait étape à Ouro Préto, chez Mgr Candido Villosa, curé de la ville. Mgr Silverio Gomès Pimenta, évêque de Marianna, nous fait un accueil on ne peut plus bienveillant. Nous profitons de notre séjour ici pour visiter le séminaire tenu par les Lazaristes, le pensionnat et l'hôpital confiés aux Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.

« 12 décembre. – Des conventions sont arrêtées avec Mgr l'Evêque de Marianna, par lesquelles les Frères sont autorisés à annexer au collège de Congonhas un juvénat et un noviciat pour le recrutement des Frères indigènes. Le but de ce noviciat étant de former des sujets destinés à donner non seulement l'instruction primaire, mais encore l'enseignement agricole, une étendue de terrain suffisante est mise à leur disposition à cette fin.

« 13 décembre. – Nous retournons à Ouro Préto, chez MgrCandido.

14 décembre. – Nous visitons l'école des mines de la Province, unique au Brésil. M. le docteur Costa Sena, sénateur de la Confédération, nous fait les honneurs de la réception. Nous visitons et admirons les diverses collections de géologie, de mécanique et autres de cet établissement.

« 16 décembre. – Nous allons à Miguiel Burnier, où l'on exploite. des mines de manganèse. M. Langban, ingénieur français, nous fournit des chevaux et un guide et nous arrivons à Congonhas dans la soirée.

24 décembre. – Nous assistons à la messe de minuit, célébrée pour la première fois dans notre chapelle et nous y faisons la sainte communion. Il a fallu à cette fin une autorisation spéciale du délégué du Saint-Siège, l'usage n'existant pas au Brésil, pour les fidèles, de communier à la messe de minuit… Je m'embarquerai le 4 janvier, si les affaires sont terminées.

26 décembre. – Le C. F Assistant réunit une dernière fois la communauté et les élèves et leur fait ses adieux. Il exprime aux Frères les impressions qu'il emporte de sa visite, et il leur laisse ses affectueux et paternels conseils, dans un écrit qui restera comme son testament spirituel, et que nous reproduisons ici. 

        Mes Très Chers Frères,

Sur le point de vous quitter, je sens le besoin de vous redire par écrit que j'ai été édifié, satisfait de ce que j'ai vu dans notre chère communauté de Congonhas do Campo.

Déjà, par la grâce de Dieu et la protection de la bonne Vierge Marie, vous avez été des instruments dociles dont Notre-Seigneur s'est servi pour faire le bien dans ce grand pays du Brésil. Vous jouissez de l'estime de votre digne et saint Evêque, du clergé et des populations qui vous environnent. Que tout soit rapporté à Dieu, seul auteur de tout bien ! Sans être prophète, je puis dire qu'il en sera ainsi dans l'avenir, si vous restez les fidèles observateurs de vos saintes Règles – tout est là pour un religieux -si vous conservez l'humilité, la simplicité et la modestie qui sont le cachet de notre chère Congrégation, et qui en font la force et la gloire. C'est par la pratique de ces vertus, si chères à notre toute bonne et céleste Mère, que vous attirerez sur vous sa toute-puissante protection, que vous resterez entre les mains du bon Dieu des instruments dont il se servira pour procurer le salut des âmes, pour faire de grandes choses.

Aimez-vous les uns les autres, entraidez-vous, supportez-vous : ainsi vous pratiquerez la vertu, vous vous donnerez réciproquement des sujets d'édification.

Donnez-vous, sans compter, au bien de vos chers élèves : ainsi vous les conduirez plus facilement à Jésus par Marie.

Continuez à édifier les populations au milieu desquelles vous vivez : ce sera un bon moyen de les porter à Dieu et de conserver la vénération dont elles vous honorent.

Ne perdez pas de vue, je vous en prie, que vous trouverez votre bonheur en religion:

1°Dans une constante fidélité à vos exercices de piété, vous rappelant que la piété est utile à tout ;

2°Dans la pratique de l'esprit de sacrifice, qui comprend la guerre à soi-même et le dévouement au prochain.

Qui donne à Dieu reçoit au centuple.

Qui donne au prochain reçoit aussi et s'enrichit pour la vie éternelle.

Qui donne à la nature, à ses passions, ne recueille que misère, ennui, dégoût ici-bas, en s'exposant à la damnation.

Soyez de vrais et saints missionnaires.

Vous êtes appelés à donner une impulsion vraiment mariste, vraiment religieuse à la Province du Brésil dont vous devez être les colonnes. Ceux qui viendront après vous, marcheront dans la voie que vous leur aurez tracée, ne l'oubliez pas.

Que de conseils, au nom du Révérend Frère Supérieur et au mien, j'aurais encore à vous donner ! Mais vous les trouverez dans nos livres si admirables et si admirés. Continuez à les lire, à les méditer et surtout à faire ce qu'ils recommandent. Ainsi vous resterez les dignes enfants de notre Vénérable Fondateur, un saint celui-là !

J'espère, en outre, que vous tiendrez compte des petits conseils pratiques que je vous ai donnés de vive voix, que vous ne les oublierez pas, et que vous pourrez toujours écrire à vos Supérieurs que Notre-Seigneur continue à bénir les Petits Frères de Marie du Brésil.

Je vous laisse dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie, sous la protection du glorieux saint Joseph et de vos bons Anges gardiens. Nous prierons bien les uns pour les autres ; et, si le bon Dieu ne permet pas que nous nous revoyions ici-bas, nous agirons tous de façon à nous retrouver ensemble dans la bienheureuse éternité, où il n'y aura plus de séparation.

Congonhas, le 26 décembre 1898.

Votre tout affectionné et attaché frère en J. M. J.

                                         F. Norbert. 

Là s'arrête la relation écrite de la main du Cher Frère Assistant. Les lignes qui suivent sont extraites d'une lettre du C. F. Andronic, du 18 janvier 1899.

26 décembre 1898. – Nous partons pour Saint-Paul, où nous arrivons le 28, après nous être arrêtés à Pindamonhagaba et y avoir visité une école que l'on aurait l'intention de nous confier.

A Saint-Paul,- nous rencontrons d'abord Mgr Passalacqua, commissaire de l'Ordre tertiaire du Carmel, puis nous avons une entrevue avec le Révérend Père Prieur de l'Ordre tertiaire du Carmel et nous visitons l'établissement qui nous est destiné ; les conditions de fondation sont ensuite arrêtées, et l'on convient que l'école s'ouvrira le 3 avril.

Le Visiteur des Dominicains qui est allé à Saint-Genis pour traiter de la fondation d'Uberaba, et un autre Père sont heureux de rencontrer providentiellement le Cher Frère Assistant, auxquels ils parlent longuement et utilement de la position offerte.

30 décembre. – Le C. F. Assistant va saluer les Sœurs de Saint-Joseph de Chambéry, qui tiennent un bel externat, un dépôt de mendicité et un grand pensionnat.

31 décembre. – M. l'abbé Garaude, avec qui les premiers Frères se rendant au Brésil avaient fait leur voyage, est venu tout exprès de Limeira, à 240 kilomètres de Saint-Paul, pour passer une journée avec nous. Il nous conduit chez le Consul de France, lequel nous fait l'accueil le plus sympathiqueet nous assure les 200 francs promis par le Gouvernement français (sur les démarches de M. l'abbé Garaude), aussitôt après notre installation à Saint-Paul. Nous visitons ensuite Mgr le Vicaire capitulaire (le siège étant vacant). Il nous félicite de nos intentions et nous annonce de futures propositions pour Sorocaba, où l'Evêché possède une belle et vaste propriété. Nous répondons ensuite à une invitation à dîner chez Mgr Passalacqua, et nous assistons au Te Deum de fin d'année dans la chapelle du Carmel. Mgr Passalacqua prit pour sujet de son sermon l'heureuse conclusion des négociations en vue de l'ouverture de l'externat tant désiré.

1ierjanvier 1899. – Nous faisons toutes nos dévotions à la chapelle des Jésuites et y prions longuement pour nos Supérieurs et nos confrères de France. Nous faisons une visite au Prieur. Le Père qui nous accompagne nous exprime l'intention de nous mettre en relation avec l'évêque du Parana, qui désirerait des écoles pour Curytiba, ville épiscopale et capitale de la Province. Selon ce Père, on aurait un climat européen et une population d'immigrants qui nous donnerait de bonnes vocations.

2 janvier, 8 heures du matin. – Nous arrivons à Rio-de-Janeiro où nous visitons d'abord M. le Consul de France qui nous fait un excellent accueil. Après avoir retenu un passage sur le Portugal, nous prenons un aller et retour pour Petropolis, où le cher Frère Assistant désire parler au Ministre de France et trouver un séjour plus sûr qu'à Rio.

3 janvier. – Après avoir passé la nuit à Petropolis chez les bons Pères Lazaristes, nous allons, accompagnés d'un Père, visiter le Ministre de France, M. le comte de Sainte-Fortunada-de-Lavaur, qui a l'amabilité de nous entretenir longuement des choses de France, de nos projets, d'une fondation d'école à Petropolis, de nous faire visiter sa magnifique résidence, puis de nous re tenir à déjeuner avec lui, et même de nous inviter encore à souper. On fait remarquer au C. F. Norbert qu'il ferait bien de passer une autre nuit à Petropolis et qu'un train du matin le conduirait sûrement à Rio pour le bateau ; mais, de crainte de n'avoir pas le temps nécessaire, il préfère aller coucher à Rio. A notre arrivée dans cette ville, nous nous présentons à l'Archevêché où, en l'absence de Monseigneur l'Archevêque, le cher Frère Assistant laisse sa carte expliquant le but de sa visite ; puis nous allons, avec une lettre de recommandation, demander l'hospitalité aux Lazaristes de l'hôpital, situé sur une colline assez élevée, Le Castello.         

   4 janvier. – Nous entendons la messe dans la chapelle des Sœurs de la Charité, nous y faisons la sainte communion, après quoi nous allons déjeuner avec M. le Supérieur des Lazaristes. A l'hôpital, qui est un im­mense édifice avec pavillons d'isolement bien conçus, on nous dit qu'il n'y a en ce moment aucun cas de fièvre.        

A 10 heures, le cher Frère Assistant s'embarque sur le Portugal, paraissant bien gai, bien portant, quoique fatigué de la chaleur et de ses courses ; et la mort l'a frappé au moment où il concevait les meilleures espérances sur l'avenir de notre mission !

Cette perte nous est des plus sensibles en raison des œuvres pour lesquelles le Frère Assistant était venu au Brésil. D'un autre côté, d'après la parole d'un vénérable Archevêque, c'est un bon signe en faveur de notre fondation de Saint-Paul. Le démon n'est pas content du bien qui va se faire, et il cherche, avec tous ces événements, à porter le découragement dans l'esprit des Frères. Mais le Frère Assistant sera notre premier avocat au ciel. Que Dieu l'ait en son sein et accepte le sacrifice qu'il a fait de sa vie en faveur de nos fondations au Brésil !

   Ce sont bien là, mon T. R. Frère Supérieur, les sen­timents et les espérances qui doivent nous animer, quoique nous n'arrivions pas encore à nous ressaisir après ce coup terrible. Nous recevons des lettres de condoléances, pleines de promesses de protection, d'encouragements et d'intérêt à notre mission ; mais vous, mon T. R. Frère Supérieur, pensez à nous, nous vous en supplions ! Puisque nous avons été les confidents des grandes pensées de notre regretté défunt sur l'avenir de notre mission, puisque c'est à nous qu'il a consacré ses derniers travaux, n'est-ce pas un devoir rigoureuxpour nous d'insister auprès de vous et du Régime, pour la réalisation de ses dernières espérances ?… Oui, il y a un bien immense à faire dans ce vaste Brésil; mais il faut des éducateurs chrétiens, il faut des catéchistes

   Selon le vœu exprimé par le C. F. Andronic, non seulement le Régime, mais encore tous les Frères s'in­téresseront à la mission du Brésil, comme ils s'intéressent, d'ailleurs à toutes les missions ; ils la compren­dront dans tout ce qui fait l'objet de leur dévouement et de leur zèle ; et elle leur sera d'autant plus chère qu'elle a coûté à l'un des membres les plus recomman­dables, les plus méritants, les plus aimés de l'Institut, le sacrifice de sa vie. Nous ne saurions oublier que le cher et regretté F. Norbert est mort dans l'exercice du zèle et de la charité, nous laissant l'exemple d'une vie toute de travail et de vertu, toute consacrée au ser­vice de Dieu, des âmes et de son Institut.

Au moment où se termine cette Circulaire, je reçois une lettre du C. F. Andronic m'annonçant l'ouverture de l'école de Saint-Paul. Je suis heureux de pouvoir vous en donner les passages se rapportant à cette fondation. 

                                                                     Saint-Paul (Brésil), le 1ier mai 1898. 

                       Mon Très Révérend Frère Supérieur,

Notre école de Notre-Dame du Carmel est ouverte depuis le 10 avril, et jusqu'ici, grâce à la bonne Providence, à la protection de la Sainte Vierge et de notre Vénérable Fondateur, nous n'avons pas rencontré les difficultés habituelles d'une installation en pays étranger : climat, langue, coutumes, programmes d'enseignement, rien ne nous semble insurmontable et le public paraît satisfait de nos débuts. La maison a été bénite le 9 avril, par Monseigneur l'Evêque de Saint-Paul. Le premier jour nous avons compté 60 élèves ; nous en avons actuellement 92 et, tous les jours, il nous en arrive de nouveaux des meilleures familles de la ville et aussi des environs.

L'instruction, ici, est comme tout le reste, assez avancée comme programme et très en retard comme résultats obtenus. L'instruction primaire comprend la lecture, l'écriture, les quatre règles et un peu d'histoire, de géographie et de grammaire ; de sorte qu'à dix ans l'enfant commence ses études secondaires, après trois ans au plus d'enseignement primaire. Quant à l'enseignement dit secondaire, il se donne en partie avec des auteurs français, encore non traduits, tels que Langlebert, pour les sciences physiques et naturelles, et F. I. C., pour les mathématiques.

Comme langues vivantes, une seule est obligatoire, le français ; les autres sont facultatives. La classe commence à 10 heures du matin et se termine à 3 heures du soir, avec une demi-heure de récréation à midi. Nous n'avons pas de classe le jeudi.

Avec sa lettre, le cher Frère Andronic nous a fait parvenir un fragmentd'un journal de Saint-Paul, contenant le récit de la cérémonie d'inauguration de notre Ecole de Notre-Dame du Carmel. Voici la traduction de ce récit écrit en langue portugaise : 

                             Saint-Paul, le 15 avril 1899.

Dimanche dernier, à une heure de l'après-midi, a eu lieu l'installation solennelle de l'externat de Notre-Dame du Carmel, confié aux Frères Maristes, à laquelle assistèrent beaucoup de familles de cette ville.

Son Excellence, Monseigneur l'Evêque fut reçu dans l'église du Tiers-Ordre du Carmel, par Mgr Passalacqua, Commissaire, le Dr Americo de Abreu, Prieur, de nombreux confrères revêtus de leurs costumes distinctifs, un grand nombre d'enfants du catéchisme avec leur bel étendard couleur de l'espérance, et une foule de fidèles, qui y attendaient Son Excellence Révérendissime.

Au moment où Son Excellence franchit le seuil du temple, on entonna le solennel cantique Magnificatet, après qu'il fut terminé, tous se dirigèrent vers l'édifice scolaire modestement orné.

Malgré les grandes dimensions de la salle dans laquelle devait avoir lieu la cérémonie de l'installation de l'externat, l'accès en était presque impossible, à cause de la grande affluence des assistants.

Son Excellence procéda à la bénédiction de l'édifice, et il aspergea ensuite toutes les pièces de l'école.

La cérémonie de la bénédiction terminée, Mgr Passalacqua lut un long et très substantiel discours, dans lequel il étudia les questions modernes de l'enseignement, montrant l'insuffisance de quelques systèmes, le péril des autres, et trouvant la solution du grand problème de la pédagogie moderne dans l'enseignement du catéchisme, dont il fit une très savante apologie.

A la fin de son discours, Mgr Passalacqua adressa des éloges aux Frères Maristes, à ces vaillants jeunes gens qui avaient abandonné leur patrie, leur famille, les tendresses maternelles, pour venir, dans une terre étrangère, différente de langue, de climat et de cieux, se consacrer à l'éducation de l'enfance, pour laquelle Jésus a toujours montré une si vive prédilection.

L'orateur, dans sa péroraison, produisit une très vive impression sur tous, par son éloquence et l'accent convaincu de son discours. Les paroles du commissaire du Tiers-Ordre étaient entrecoupées de ses larmes.

Le Dr Americo de Abreu, invité à adresser la parole aux assistants, lut un éloquent discours qui, malgré sa concision, impressionna beaucoup par la hauteur de la conception, la sublimité des pensées et la pureté du langage.

Son Excellence Révérendissime parla à son tour pour faire l'éloge des fondations d'écoles chrétiennes. Elle se félicita avec l'Ordre du Carmel et les familles de Saint-Paul des bienfaits qu'Elle espérait en recevoir, et fit des vœux pour que l'externat qui venait d'être installé, produisit des fruits salutaires de bénédiction ; enfin, Son Excellence termina la cérémonie en bénissant d'une manière toute spéciale les Frères Maristes, les membres du Tiers-Ordre du Carmel et tous les assistants.

Le même journal apprécie ensuite le bienfait de cette fondation et les avantages que la ville de Saint-Paul compte en retirer.

Grâce à Dieu, la fondation des écoles chrétiennes, en cette ville de Saint-Paul, pour l'instruction primaire et secondaire des enfants, est donc maintenant un fait accompli ; ces écoles sont très avantageusement confiées aux Frères Maristes, venus ici par l'initiative du Tiers-Ordre de Notre-Damedu Carmel de cette capitale.

Le grand intérêt que cette œuvre éminemment chrétienne a suscité dans toutes les classes de la société, prouve avec évidence non seulement l'excellence des méthodes des dignes Frères Maristes dans les centres les plus civilisés du monde, mais encore la palpitante nécessité qui, depuis longtemps déjà, s'en faisait sentir parmi nous.

Ce que maintenant nous devons désirer, c'est que ces écoles se multiplient, d'abord dans toutes les paroisses de cette capitale, et ensuite à l'extérieur.

Ceux qui, comme nous, ont constamment lutté pour l'enseignement chrétien et populaire de notre jeunesse, unique moyen de salut pour la société de Saint-Paul, doivent être satisfaits. Nous n'entendrons plus maintenant les pères de famille se lamenter par suite du manque d'écoles où ils peuvent, en toute tranquillité, envoyer leurs fils, pour leur faire donner une éducation conforme aux sentiments de leur foi. Et nous, prêtres, nous pourrons, avec toute sécurité, leur indiquer des maîtres dignes et capables de former de bons chrétiens en même temps que de bons citoyens.

Sans doute, les écoles que nous possédons maintenant, ne suffisent pas au grand nombre de nos enfants chrétiens. Mais, spes messis in semine, la semence que nous en avons est une espérance.

Le plus difficile est fait sous les meilleurs auspices la première impulsion est donnée, grâce aux généreux et jamais assez loués efforts du très méritant Tiers-Ordre du Carmel, qui, aidé de quelques-uns de ses membres, n'a épargné ni travaux ni sacrifices pour donner satisfaction à un si urgent besoin social.

Tout homme sensé peut se rendre compte de tout ce. qu'il en a coûté pour faire venir au milieu de nous une Congrégation qui, bien que nombreuse en personnel, reçoit constamment de toutes les parties du monde des demandes pour de nouvelles fondations, et qui a en outre la nécessité de pourvoir ses établissements déjà fondés.

Les prières et le savoir-faire du Tiers-Ordre, les bénédictions de Dieu et la constante protection de la Très Sainte Vierge ont victorieusement surmonté les obstacles qui ne manquent jamais aux œuvres naissantes, et qui n'ont pas manqué non plus à celle qui vient de s'achever.

Le petit nombre de ceux qui, au début, étaient hésitants, sont maintenant convaincus qu'aucun acte ne pouvait être plus utile et plus riche en bénédictions que celui d'ouvrir une école permanente, non seulement pour les fils du Carmel, mais encore pour ceux de tous les parents chrétiens. Qui ne sait les difficultés qu'il y a d'obtenir des professeurs pénétrés de la sublimité de leur mission d'éducateurs ? Qui ne se souvient des nombreuses tentatives que nous avons faites dans ce sens ? Combien d'écoles sont maintenant fermées par manque de bons professeurs !

Louons donc Dieu de ce que cet important problème est en partie résolu, et mettons toute notre bonne volonté à en étendre les bienfaits par le développement de l'institution qui vient de s'ouvrir à Saint-Paul. 

LE R. P. DE LA LANDE 

Le dimanche 15 janvier 1899, en notre Maison-Mère de Saint-Genis-Laval, s'éteignait doucement le bon et vénéré P. de la Lande, de la Société de Marie, dans la 88e année de son âge, la 59ième de son sacerdoce, la 47e de sa profession religieuse, et la 46ième de son saint ministère auprès des Frères Maristes, tant à l'Hermitage qu'à Saint-Genis-Laval.

Louis-Emile Aubry de la Lande, le dernier d'une famille de sept enfants, était né le 3 juillet 1811, au château de Pond'het, canton de Saint-Jouan des Guérets, dans le diocèse de Rennes. Son père, Olivier Aubry de la Lande, ancien officier de marine, était estimé de ses compatriotes, en raison de ses qualités morales, autant qu'il en était respecté et craint pour son courage et sa force physique. Aussi avait-il traversé la Terreur, non seulement sans être inquiété, mais encore en se faisant le protecteur et le défenseur de ceux que poursuivait la fureur révolutionnaire. Sa mère Félicité Sioch'an de Saint-Jouan, avait été, à l'âge de 18 ans, enfermée dans la prison de Saint-Malo, comme aristocrate et royaliste, avec d'autres membres de sa famille, et n'avait dû son salut qu'à la chute de Robespierre.

Après avoir passé son enfance auprès de sa grand'mère, entouré des soins de cette noble et pieuse dame et de ceux de deux vénérables et saints prêtres, Emile de la Lande, était entré, vers l'âge de 13 ans, au petit séminaire de Saint-Méen, où ses vertus l'avaient rendu digne d'être proposé pour modèle à ses condisciples.

Admis ensuite au grand séminaire de Rennes, il s'y était de même distingué entre tous par sa piété, sa régularité, son régime austère, sa conduite exemplaire. Ordonné prêtre en 1839, il avait été nommé vicaire à Saint-Coulomb, petite paroisse du diocèse de Rennes et il y avait passé treize ans dans l'exercice du ministère le plus fructueux, lorsqu'il entra, en 1852, dans la Société de Marie.

A la fin de son noviciat et deux jours après sa profession religieuse, le P. de la Lande fut envoyé, comme aumônier des Petits Frères de Marie, à Notre-Dame de l'Hermitage, Maison-Mère de l'Institut, où il arriva le 19 septembre 1853, alors que trois cent cinquante Frères s'y rendaient pour faire leur retraite. Voici en quels termes il parle d'eux dans une lettre écrite à sa tante : « Je ne connais pas ces bons Frères, mais leur extérieur me plait singulièrement : ils ont un air de candeur et de piété vraiment remarquable … » Dès lors le bon Père s'attacha à eux, identifia sa vie avec leur vie, de manière à pouvoir leur dire : Je suis tout vôtre. Pendant quarante-six ans, il leur prodigua tout ce qu'il y avait dans son cœur de bonté, de charité, de dévouement et de zèle, se faisant le serviteur de tous, se mettant à la disposition de tous et de chacun, la nuit et le jour. Aussi, dès 1857, dans une lettre écrite aux Frères de l'Océanie, le R. F. François se plaisait-il à faire son éloge. « Nous avons toujours, dit-il, le P. Matricon pour premier aumônier; c'est le P. de la Lande qui le seconde et qui fait presque toutes les cérémonies et tout l'ouvrage de la maison. Ils sont tous les deux bien dévoués aux Frères et prient beaucoup pour eux : aussi on les aime bien… Le P. de la Lande, tout en ne vivant que de fruits et de légumes et en ne faisant qu'un repas par jour, chante à merveille et travaille comme quatre. Il fait journellement le chemin de la croix, veille une grande partie de la nuit et ne veut point de feu dans sa chambre. Quels beaux exemples de mortification, de pauvreté et d'humilité il nous donne »

Comme à l'Hermitage, le R. P. de la Lande a laissé à la Maison-Mère de Saint-Genis, où il est resté trente-sept ans, la réputation d'un saint et d'un saint aimable par sa douce gaîté, par son exquise urbanité et ses petits mots pour rire. Bon et condescendant pour tous, reconnaissant pour le moindre service rendu, toujours disposé à rendre tous les services possibles, il n'était dur et sévère que pour lui-même. D'un dévouement et d'un zèle infatigables, il était nuit et jour à la disposition des Frères qui s'adressaient à lui, pour la confession (et l'on sait combien ils étaient nombreux), ne renvoyant jamais personne, ne se plaignant jamais, alors même qu'il était fatigué, exténué, et accueillant tous ses pénitents avec une bonté qui les mettait à l'aise et leur inspirait confiance.

C'est surtout à l'infirmerie, auprès des malades et des mourants, que le bon P. de la Lande a exercé sa grande charité et a rendu de précieux services. On peut dire que pendant plus de quarante ans, la plupart de nos Frères de la Maison-Mère sont morts entre ses bras. Il s'approchait des malades sans bruit, avec un doux sourire, les saluait amicalement, leur faisait de courtes exhortations et leur suggérait des oraisons jaculatoires. Si un malade arrivait vers sa fin, il le visitait au moins six fois le jour, et souvent se levait la nuit, sans même qu'on l'appelât, pour l'aller voir. Quand venait la dernière heure, il n'abandonnait plus le chevet de son malade, mais, personnifiant la divine Miséricorde, il priait, encourageait, appliquait les indulgences : sa présence suffisait pour chasser les angoisses, les craintes, les tristesses, cortège ordinaire des mourants. Aussi l'espoir d'être assistés par le bon Père, à leurs derniers moments, était-il d'avance une consolation pour ceux qui voyaient approcher le terme de leur vie.

Ainsi le cher et vénéré P. de la Lande a passé quarante-six années de sa vie au milieu des Frères, en leur donnant l'exemple de toutes les vertus, en se faisant auprès d'eux l'instrument des infinies miséricordes du Seigneur. Sa dernière bénédiction a été pour eux, et c'est en compagnie de ceux qu'il a aidés à mourir dans la paix du Seigneur qu'il dort son dernier sommeil. Longtemps il vivra dans la mémoire des Frères qui, pendant sa vie l'ont entouré de leur respectueuse affection ; longtemps ils conserveront un pieux et reconnaissant souvenir de ses bienfaits, avec la confiance que, du haut du ciel, il continuera à leur faire du bien. 

RÉUNION DE SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX

A PLOERMEL (MORBiHAN), 3, 4 ET 5 mAi 1899. 

De nos jours, plus que jamais, on sent le besoin de s'associer, de s'unir, de se grouper, selon cette maxime de nos saints Livres : Il vaut mieux que deux soient ensemble que d'être seul, car alors ils tirent de l'avantage de leur société. Si l'un tombe, l'autre le retient (Eccl., IV, 9), et cette autre : Le Frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte (Prov., XVIII, 19).

C'est ce qu'ont voulu faire les Supérieurs généraux de Congrégations de Frères enseignants qui se sont réunis à Ploërmel au commencement de mai 1899.

Déjà, en 1895, S. Em. le cardinal Serafino Vannutelli avait exprimé au R. F. Cyprien, Supérieur général des Frères de l'Instruction chrétienne de Ploërmel, le désir d'une réunion annuelle telle que celle dont il est ici question. Après la mort du R. F. Cyprien, son successeur, le R. F. Abel, brûlant de zèle pour tout ce qui peut procurer la gloire de Dieu, prit à cœur la réalisation de ce désir, qui avait été réitéré par l'éminent Cardinal, et plusieurs Supérieurs généraux entrèrent dans ses vues. En conséquence, une première réunion eut lieu le 12 mai 1898, en notre pensionnat de la rue Pernety, à Paris ; et il fut décidé qu'il y aurait une seconde réunion à Ploërmel, en 1899.

A cette réunion étaient présents ou représentés les Révérends Frères Supérieurs généraux des Congrégations des Frères Maristes, des Frères de l'Instruction chrétienne, de la Doctrine chrétienne de Nancy, de la Sainte-Famille, de la Croix de Jésus, de Saint-Gabriel, du Sacré-Cœur et de la Miséricorde.

Le premier jour de la réunion, 3 mai, le T. C. F. Yriez-Marie, premier des Assistants du R. F. Abel, leur souhaita la bienvenue en ces termes : 

                  « TRÈS RÉVÉRENDS FRÈRES SUPÉRIEURS GENERAUX, 

« C'est pour moi un très grand honneur de porter, le premier, la parole en la circonstance solennelle qui vous réunit en cette Maison, et de vous dire, au nom de tous les membres de la Communauté, le bonheur que nous éprouvons à saluer votre présence au milieu de nous.

« Oui, Très Révérends Frères, nous sommes heureux d'offrir publiquement nos hommages aux vénérés collègues du Révérend Frère Abel, et de constater la fraternelle affection qui unit, sous une inspiration venue de haut, nos huit congrégations.

« Cette inspiration est venue de haut, en effet, puisqu'elle est partie de Rome, centre des cœurs chrétiens, et vous me permettrez, bien Révérends Frères, de faire remonter notre reconnaissance jusqu'à Son Eminence le Cardinal Séraphin Vannutelli, jusqu'à Sa Sainteté Léon XIII quiont béni, après l'avoir approuvée, la réunion que vous avez tenue, l'an dernier, chez les Petits Frères de Marie, à Paris.

Et ceci m'amène à vous dire, Révérend Frère Théophane, combien nous sommes heureux de voir se resserrer encore les liens qui unissent au nôtre, l'Institut des Petits Frères de Marie. En votre personne, nous le saluons et nous bénissons Dieu d'avoir suscité, en 1817, le Vénérable Père Champagnat, alors simple vicaire de Lavalla, pour donner à l'Eglise une famille religieuse dont l'action féconde s'étend, aujourd'hui, aux cinq parties du monde. Que Dieu lui garde, durant de longues années encore, son digne et vénéré Supérieur Général, le Très Révérend Frère Théophane !

Pour une fois, je suis fort tenté, Très Cher Frère Angel, de penser quelque bien de la Terreur ! Votre Institut existerait-il, en effet, si votre pieux Fondateur le Révérend Père dom Joseph Frechard n'eût été chassé de son abbaye bénédictine pour rentrer plus tard, en France, comme Curé dans le diocèse de Nancy ? Ce qui prouve, une fois de plus, que Dieu sait tirer le bien même du mal, et que, pour un religieux persécuté, il en surgit du soi par centaines, pour l'exaltation de la sainte Eglise et la confusion de ses ennemis. Au Révérend Frère Supérieur Général des Frères de la Doctrine Chrétienne de Nancy, à son Institut, qui dirige tant de florissants pensionnats, parmi lesquels nous saluons celui de Saint-Julien-d'Angers, nous souhaitons honneur et prospérité.

Le diocèse de Belley, auquel se rattache le souvenir du saint Curé d'Ars, envoie vers nous le Révérend Frère Charles, Supérieur Général des Frères de la Sainte-Famille et le Révérend Frère Firmin, Supérieur Général des Frères de la Croix de Jésus, de Ménestruel. A vous aussi, Très Révérends Frères, nous faisons le plus fraternel accueil. Vos œuvres, si nombreuses déjà, se multiplierontencore pour la gloire de Dieu si, comme nous l'espérons, nos prières et nos vœux sont exaucés !

« Elle est belle, Très Révérend Frère Martial, la part que Dieu a faite à votre zèle en vous confiant l'Institut des Frères de Saint-Gabriel. Aux nombreuses écoles ou pensionnats primaires que vous dirigez, en effet, votre Institut ajoute l'instruction et l'éducation des Sourds-Muets et des Aveugles. Noble mission, mon Révérend Frère, qui vous donne une place à part dans la milice des religieux enseignants, et qui vous mérite de nombreuses et chaudes sympathies. Votre Institut trouve en nous d'humbles mais sincères admirateurs de son dévouement, et nous bénissons le Ciel qui, par vous et par les vôtres, rend l'ouïe aux sourds, la vue aux aveugles et la parole aux muets !

Bien qu'elle soit indépendante de leur volonté, l'absence du Révérend Frère Norbert, Supérieur Général des Frères du Sacré-Cœur, du Puy, et du Révérend Frère Joseph, Supérieur Général des Frères des Ecoles Chrétiennes de la Miséricorde, de Montebourg, nous est fort sensible. Elle nous le serait plus encore, si, pour les représenter à cette réunion annuelle, ils n'avaient délégué les Très Chers Frères Paulus et Augustin.

Ne me permettrez-vous pas de le dire, Très Cher Frère Paulus, votre Maison-Mère porte un nom vraiment gracieux ! Le Paradis ! Quoi de plus délicieux ! Eh bien, Très Cher Frère, nous souhaitons que les jeunes gens entrent nombreux dans ce paradis terrestre, afin que, répondant à l'une des fins principales de votre Institut, ils contribuent, par leur zèle et leurs vertus, à peupler, pour l'éternité, le paradis céleste.

Il nous est bien doux de saluer aussi la présence à cette réunion, du Très Cher Frère Augustin, Assistant du Supérieur Général de l'Institut des Frères de la Miséricorde de Montebourg.

« Comme les Révérends Frères Supérieurs Généraux, comme les Très Chers Frères Assistants ou Secrétaires qui les accompagnent, soyez le bienvenu, Très Cher Frère Augustin, dans cette maison qui vous sera, à tous bien hospitalière.

   « Votre arrivée parmi nous, Très Chers Frères, fait épanouir les fronts et dilater les cœurs. Tous, vieux et jeunes, sont heureux de vous acclamer. Tous aussi, aux heures laborieuses oÙ vous travaillerez pour la gloire de Dieu et le bien des Congrégations unies, tous seront heureux de demander à l'Esprit-Saint, invoqué déjà ce matin, les lumières nécessaires pour mener à bonne fin l’œuvre que vous entreprenez. Ils s'adresseront encore à tous les Fondateurs des Congrégations ici représentées, à tous ces hommes éminents qui furent, comme notre Vénéré Père de La Mennais, animés de l'amour de Dieu et du salut des âmes, et ils leur demanderont de vous couvrir de leur paternelle bénédiction.                            

   « Ils prieront aussi pour vous, Très Révérends Frères, et Très Chers Frères, la Vierge Marie. N'est-elle pas la puissante Patronne de tous nos Instituts ? Et ne sommes-nous pas à l'aurore de son mois béni ? Double raison qui fera monter vers cette bonne Mère les plus ferventes supplications de ses enfants.

 Donc, sous le regard de Marie, notre commune Mère, nous vous souhaitons, Très Révérends Frères et Très Chers Frères, la bienvenue en cette Communauté dont vous êtes les nobles hôtes, et dont elle est l'auguste Reine          

Le deuxième jour, le Souverain Pontife, informé de notre réunion, daigna nous faire adresser le télégramme suivant :

   " Le Saint Père a agréé le nouvel hommage des Supé­rieurs Généraux et délégués des huit Congrégations de Frères enseignants réunis pour l'intérêt de leurs œuvres, et, comme gage de sa bienveillance et des faveurs  célestes, leur envoie de tout cœur une spéciale bénédiction pour leurs travaux. »                                 M. Card. RAMPOLLA.

   Mgr Latieule, évêque de Vannes, voulut bien aussi nous envoyer sa bénédiction.

   Ainsi bénis et encouragés, les Supérieurs réunis se livrèrent aux travaux faisant l'objet d'un programme arrêté d'avance, et dont nous donnons ici un extrait

   Œuvre  des Juvénats et des Noviciats. :

   Formation religieuse. – Obligations des vœux.

   La Vocation et la Piété dans nos Ecoles.

   Enseignement religieux.

   Enseignement agricole.

   Enseignement professionnel.

   Les meilleures Méthodes d'enseignement.

   Organisation des Retraites pour les Elèves.

   Mesures conseillées par l'expérience pour nos Frères soldats.

   Echange de vues sur quelques questions de Discipline et de Pédagogie.

   Œuvres de jeunesse.

   Œuvres de piété.

   Exposition scolaire de 1900. 

   Telles sont les principales questions que nous avons examinées, sur lesquelles nous avons échangé nos vues, et à l'étude desquelles chacun a apporté les lumières de son expérience, pour en venir ensuite aux Moyens pratiques de réaliser le plus de bien possible dans nos Congrégations. Et ce travail, nous l'avons accompli en vue de la gloire de Dieu, dans un esprit de parfaite union et de religieuse et cordiale confraternité. Aussi avons-nous emporté de ces trois j'ours passés ensemble les plus agréables impressions, en nous donnant rendez-vous pour l'année prochaine, et en nous promettant de garder comme bouquet spirituel et de mettre en pratique cette devise :

Zèle pour la prière, énergie dans l'action, charité dans l'union.

Je me plais à ajouter que, pour, nous exciter à accomplir nos promesses, il nous suffira de nous rappeler et de pratiquer ce que nous avons vu dans cette maison bénie de Ploërmel, où nous a été prodigué tout ce que la charité fraternelle et hospitalière a de plus exquis. Là, est une nombreuse et belle communauté qui prie avec ardeur, qui agit avec vigueur, qui est unie dans la charité, qui est l'honneur de la religion et de la catholique et vaillante Bretagne. 

VISITES ÉPISCOPALES 

I. – Le 9 novembre 1898, notre maison de juvénat de San Andrés de Palomar (Barcelone), en Espagne, a été favorisée de la visite de Monseigneur l'Evêque de Pasto (Colombie), venant de Rome. Le vénérable Prélat s'est dit tout heureux de pouvoir donner un témoignage de sympathie aux Frères et aux Juvénistes de San Andrés, et de leur dire combien il était satisfait d'avoir des Frères Maristes dans sa ville épiscopale, où ils donnent l'instruction et l'éducation chrétiennes à 700 enfants.

Il. – A la date du 21 décembre, notre Maison-Mère a été honorée de la visite de Mgr Simon, évêque de Thaumacos, vicaire apostolique du Fleuve-Orange (Afrique du Sud), sacré récemment dans la cathédrale de Troyes. Le pieux Prélat, qui connaît spécialement nos Frères du Cap, a bien voulu venir nous donner un témoignage de sa bienveillance, avec sa bénédiction, que nous avons reçue avec reconnaissance comme émanant d'un homme de Dieu, d'un ouvrier évangélique des plus zélés et des plus méritants.

III. – Le 26 février 1899, Mgr François Fogolla, évêque titulaire de Bagi, coadjuteur du Chan-si septentrional, revêtu des insignes de mandarin, est venu à la Maison-Mère nous entretenir des besoins de son Vicariat apostolique, et de son désir d'avoir des Frères pour l'époque où il nous serait possible de lui en envoyer.

IV. – Le 29 mars, Mgr Broyer, évêque de Samoa, venant de faire un voyage en Allemagne et se disposant à s'embarquer pour les îles Salomon, a profité de son passage à Lyon, pour venir donner à la communauté de Saint-Genis, un témoignage de sa sympathie et de sa bienveillance pour les Petits Frères de Marie. C'est avec bonheur que la communauté a salué en la personne de Monseigneur le Religieux Mariste, l'intrépide Missionnaire  dont le zèle a opéré tant de bien parmi les populations des îles Samoa.

Dans une aimable causerie, MgrBroyer nous a entretenus de faits aussi intéressants qu'édifiants concernant son apostolat. Nous avons éprouvé un plaisir particulier dans ce qu'il nous a dit de Mataafa, ce roi des îles Samoa que les Anglais et les Américains ne veulent pas reconnaître, parce qu'il est catholique et que les Allemands soutiennent.

Mataafa, qu'on se représente comme un sauvage, n'a de sauvage qu'une ressemblance extérieure de race avec les naturels non civilisés de son pays. Il a de la culture et des mœurs tout à fait exemplaires ; il peut rivaliser pour la piété avec les plus fervents catholiques de nos contrées européennes. En maintes occasions il a prouvé qu'il avait l'âme élevée et le caractère généreux. Lorsque la conférence de Berlin décida que Malietoa régnerait à sa place, il déclara très simplement que pour éviter la guerre, il se démettait de nouveau en faveur de celui que les blancs désigneraient. Il se retira alors dans la petite île de Manano, à 25 milles d'Apia. Il portait encore ombrage aux Anglais, paraît-il, car un peu plus tard, on lui intima l'ordre de partir pour l'exil. Cependant ses partisans (ils étaient nombreux et très dévoués à sa cause) voulurent reprendre les armes pour le replacer sur le trône. L'infortuné roi se mit à pleurer à la pensée des malheurs dont ses sujets allaient être accablés. Alors le R. P. Broyer (il a été sacré Evêque depuis) s'entremit pour empêcher l'effusion du sang; et, comme il conseillait au roi la soumission, il en reçut cette réponse :

« La résolution des chefs est que nous ne nous rendions pas. A la grâce de Dieu.

– Si j'étais guerrier, répliqua le missionnaire, j'agirais peut-être comme vous; mais regardez ces femmes et ces enfants. »

Mataafa resta un instant silencieux, en proie à l'hésitation la plus pénible. Enfin, relevant la tête, il dit:

« Ah ! Père, vous auriez mieux fait de ne pas venir. Nous serions morts où nous voulions. Mais maintenant, si nous refusions de vous obéir, le bon Dieu ne nous bénirait pas. »

Il rentra dans sa case, et alla annoncer aux chefs assemblés qu'il obéissait aux ordres des puissances. Le lendemain, il partait pour l'exil dont il revint l'année dernière, lorsque son peuple, à la mort de Malietoa, l'invita à remonter sur le trône de ses pères.

V. — Le 19 mai, notre maison de Saint-Genis a joui de la faveur d'une nouvelle visite épiscopale. Mgr de Cayzedo y Cuero, évêque de Popayán (Colombie) depuis le 2 décembre 1895 (il était précédemment sur le siège de Pasto), se rendant à Rome pour assister à un Concile, s'est arrêté une journée à la Maison-Mère, et nous a donné les preuves les plus touchantes de sa bienveillance et de son dévouement à notre Institut. Sa Grandeur nous a exprimé sa satisfaction de posséder des Frères Maristes dans dix établissements de son vaste diocèse, et de trouver en eux de dévoués et de zélés auxiliaires pour l'aider à porter sa croix. Il est bon d'ajouter que nos Frères de Colombie ont en Monseigneur de Cayzedo un père, un bienfaiteur, un ami, qui n'a pour eux que des bontés et des encouragements.

Monseigneur était accompagné de son secrétaire, M. Maximilien Crespo, qui s'est fait l'aumônier de la Maison provinciale de Popayan ; il est on ne peut plus dévoué aux Frères et leur rend les plus précieux services. 

INSTALLATION DES FRÈRES 

A CARTAGO (COLOMBIE) 

Au commencement du mois de septembre dernier, après un voyage de quatre à cinq jours, soit à cheval par des sentiers abrupts et bordés de précipices, soit en bateau sur un fleuve semé d'écueils, le Cauca, six de nos Frères arrivèrent, après divers incidents plus ou moins périlleux, à Cartago, province du Quindio, où ils allaient fonder un établissement, sur la demande du gouvernement.

Le C. F. Coronat, directeur, nous raconte en ces termes, l'arrivée et l'installation des Frères dans ce nouvel Établissement.

« Nous arrivons enfin au port où nous attendait un péon avec plusieurs bêtes pour nous et nos bagages. Nous enfourchons aussitôt nos montures qui n'avaient cependant rien de bien attrayant. Après une heure de marche, nous aperçûmes les premières maisons de Cartago ; puis, là-bas et au loin, le petit clocher d'une église qui nous fit penser au divin et céleste Ami qui nous attendait, et auquel nous envoyâmes un salut du cœur, qu'il nous a rendu par mille bénédictions.

Nous chevauchâmes, perdus dans ces longues rues, pendant près d'une demi-heure, ne sachant de quel côté nous diriger pour arriver à la maison qu'on nous destinait. Enfin, le hasard ou plutôt la Providence nous fit rencontrer un homme qui nous aborda, se dit être le balayeur de notre maison et envoyé au-devant de nous pour nous conduire à notre habitation. Telle est la réception dont nous fûmes honorés ! Jugez, très cher Frère Supérieur, combien nous eussions été déçus dans notre attente si nous avions rêvé à quelque bruyante et pompeuse démonstration ! Loin de nous plaindre, vous nous direz sans doute que la manière dont nous avons été reçus est bien celle qui convient à des missionnaires, à des Petits Frères de Marie qui doivent faire le bien sans bruit et se regarder comme des serviteurs inutiles. C'est bien ainsi que je pense aussi ; et puis, comme mes confrères, je me dis que la réception qui nous a été faite a ait moins J'avantage de ne pas nous mettre dans l'obligation de faire des miracles.

Arrivés à notre maison nous pûmes constater qu'elle ne renfermait rien de contraire à la pauvreté religieuse. Son ameublement consistait simplement en six paillasses étendues par terre, sur lesquelles nous passâmes notre première nuit, dormant comme des bienheureux, après avoir pris notre souperà l'hôtel.

Le dimanche d'après, on annonça en chaire notre arrivée, comme une bénédiction du Ciel sur Cartago et l'on engagea les parents à nous envoyer leurs enfants. Le jour de l'ouverture,nous en avions une centaine. Peu à peu, les habitants, témoins du silence et de l'ordre qui régnaient dans les rangs de nos élèves défilant dans les rues, nous témoignèrent de l'intérêt et de la confiance, si bien qu'après quelques jours nous comptions 320 élèves présents, seul nombre qu'il nous soit possible de recevoir. Il s'en est présenté 120 autres que nous avons dû refuser faute de place.

Mais quel champ à défricher! Figurez-vous 200 enfants ne sachant ni A ni B, et 50 autres âgés de 15 ans et plus n'ayant pas fait leur première communion, et dites s'il n'y avait pas de quoi exercer notre zèle. Nous nous sommes mis à l’œuvre, pleins de courage et de confiance en Dieu et en la bonne Mère. Grâce à Dieu, nos efforts n'ont pas été stériles: après deux mois de classe, nous n'avons plus qu'une vingtaine d'élèves du premier tableau de lecture. Chaque dimanche, une douzaine de nos enfants nous accompagnent à la sainte Table. Il y a ici beaucoup de bien à faire, car les gens, de ce pays sont très religieux ; mais ils ont une religion extérieure, une religion de routine qui a besoin d'être éclairée, et nous ne perdons pas de vue que c'est à les instruire que nous devons tendre avant tout. M. le Curé comprend parfaitement notre mission ; il a beaucoup de zèle et nous aide le plus possible par ses bons conseils et ses encouragements.

Cartago a 12.000 habitants. Les habitations n'y sont pas ce qu'on peut appeler des palais : on n'y voit guère qu'une trentaine de maisons à deux étages. La ville a cinq églises qui sont desservies par quatre prêtres seulement, dont deux déjà parvenus à la vieillesse. Elle est entourée par sept ou huit collines d'un aspect très agréable. Plusieurs autres villes ou bourgs, comptant de six à dix mille habitants, en sont éloignés de sept à dix lieues. Partout on nous désire… Quel bien à faire ! Puisse le bon Dieu nous envoyer des ouvriers ! 

PRISE DHABIT RELIGIEUX A SAMOA 

                               Apia, le 28 décembre 1898.

                    Mon Révérend frère Supérieur,

Vous serez heureux d'apprendre que vous avez maintenant un Samoan Petit Frère de Marie : c'est le jeune Kélémete, qui a reçu le saint habit, le 8 décembre, et le nom de Frère Marcellin B.

La cérémonie a été faite avec toute la solennité possible, afin que l'impression fût des plus favorables au peuple Samoan. Les questions et les réponses de la vêture avaient été traduites en langue samoane. Jamais on n'avait vu la cathédrale, où la cérémonie s'est faite, aussi remplie que ce jour-là. Que de larmes ont coulé des yeux de tout ce peuple en entendant les interrogations, comme aussi pendant le sermon prêché par le Père Gabette ! Il est certain que cette vêture a fait une impression qui ne s'oubliera jamais et qu'elle favorisera beaucoup nos œuvres.

Selon l'usage de Samoa, la cérémonie religieuse a été accompagnée d'une fête et d'un banquet offert par les parents et les amis de notre nouveau Frère Marcellin. Au menu figuraient 33 porcs rôtis, 11 tonneaux de bœuf, 40 poulets, 100 couronnes de pain, 1.100 carottes, 30 grappes de bananes, etc., etc. Vous pouvez vous imaginer si nos bons Samoans ont été heureux de la fête. Aussi personne ne s'en est allé avec la faim, ni les mains vides. Les bons Pères ont bien voulu partager cette fête de famille et prendre part au festin.

                  F. PHILIPPE. 

œuvres de jeunesse 

En mars dernier, je me suis adressé à ceux de nos Frères qui ont déjà établi des œuvres de jeunesse pour leurs anciens élèves, afin de me procurer les documents nécessaires pour faire un rapport sur le fonctionnement de ces œuvres dans notre Institut. Ce rapport était destiné à notre réunion annuelle des Supérieurs généraux des Congrégations de Frères enseignants. Les renseignements qui m'ont été fournis au sujet de ces œuvres sont des plus édifiants. Parmi eux se trouvent des rapports complets et très intéressants sur la fondation et l'organisation de plusieurs de nos Patronages. Je serais heureux de pouvoir les reproduire tous dans cette circulaire, persuadé que vous en tireriez bon profit pour le bien des âmes ; mais, obligé de me limiter, je me contenterai de vous donner connaissance du suivant, lequel vous montrera, M. T. C. F., le bien immense qu'avec l'aide du Sacré Cœur de Jésus, une œuvre de jeunesse peut faire, pour la gloire de Dieu et le salut de nos chers élèves. 

FONDATION ET DÉBUTS. 

Dès mon arrivée à X…, en septembre 1892, je constatai avec peine qu'un bon nombre d'enfants et de jeunes gens de la localité étaient entièrement livrés à eux-mêmes, le dimanche, qu'ils se réunissaient par groupes pour aller de ci et de là, et que, dans ces réunions, ils couraient les plus grands risques pour leur vertu.

Il y avait à l'école une magnifique salle construite jadis en vue d'un Patronage, mais qui n'avait jamais été utilisée pour ce but ; elle ne servait à rien.

J'eus donc la pensée de faire servir cette salle à une œuvre de jeunesse, et, sans parler encore à personne de mon projet, je le recommandai souvent à Dieu dans mes prières et j'étudiai le moyen de le mettre en pratique.

Sur ces entrefaites, M. le Curé de la paroisse me demanda de fonder un Patronage. Je lui répondis que j'étais disposé à faire tout ce qui dépendrait de moi pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes ; mais que je désirais avoir l'autorisation préalable de mes Supérieurs. Cette autorisation fut demandée et très facilement obtenue par M. le Curé.

Muni de l'approbation de mes Supérieur et fortement encouragé par eux, je me mis à l’œuvre. Comprenant tout d'abord que, pour réussir, il me fallait la grâce du bon Dieu, je fis beaucoup prier les enfants de l'école, j'établis parmi eux l'Apostolat de la prière et la Ligue du Sacré Cœur de Jésus : honorer et faire aimer le divin Cœur était mon seul but et c'est encore l'unique motif des efforts que je consacre à l’œuvre de jeunesse qui m'est actuellement confiée.

Je parlai souvent à mes élèves de la Communion du premier vendredi du mois, et je fus tout heureux de constater que le premier vendredi de juin 1893, six d'entre eux s'approchaient de la Sainte Table. En juillet ils étaient dix, et en août, douze. C'étaient les plus grands élèves de ma classe : ils avaient 13, 14 et 15 ans. Les plus jeunes commencèrent à assister à la Sainte Messe ce jour-là.

A cette époque, aucune réunion n'avait encore été faite le dimanche. Je vis qu'il était temps de commencer. J'élaborai un projet de règlement et le fis approuver par mes Supérieurs. Puis, le 20 août 1893, veille de notre départ pour la Retraite annuelle, je réunis douze de mes élèves les plus sérieux, leur lus ce règlement, qu'ils acceptèrent avec joie; puis, leur ayant dit quelques mots au sujet de nos futures réunions du dimanche, je les renvoyai en les convoquant pour la Communion du premier vendredi de septembre.

Tous furent fidèles au rendez-vous. A l'issue de la Messe, ils vinrent à l'Ecole, où, après une courte prière, ils se constituèrent en Société pour l'élection d'un président, d'un vice-président, d'un trésorier et d'un secrétaire. C'était le 3 septembre 1893.

Le dimanche suivant, j'ouvris le Patronage, et mes douze associés étaient présents. Après quelques semaines, les demandes d'admission vinrent nombreuses. Je n'accueillis que celles des jeunes gens que je savais être bien intentionnés et capables d'observer le règlement. En février 1894, le Patronage comptait vingt-huit membres, en mars il en avait quarante-deux, et en mai cinquante.

Voyant le nombre de mes jeunes gens augmenter de plus en plus, je crus bon d'ajouter aux dignitaires déjà mentionnés, cinq commissaires, choisis parmi les plus âgés et les plus sérieux des sociétaires, et de donner à tous les dignitaires, des insignes en rapport avec leur grade. Ces insignes consistent en casquettes différemment galonnées, portant sur le devant, un cœur brodé en or, et en petits rubans tricolores diversement ornés et placés à la boutonnière du paletot. Une chose manquait encore : c'était un drapeau. Il fut confectionne. Il est tricolore et de forme triangulaire ; il est orné en son milieu, d'un magnifique cœur en relief, avec ces mots : « Association catholique, fondée sous le Patronage du Sacré Cœur de Jésus. X…. 1894. » Bénit le jour de la fête du Sacré-Cœur, il fut porté à la procession, ce même jour, pour la première fois. Mes jeunes gens en étaient fiers.

L’œuvre était constituée ; je n'avais plus qu'à marcher. C'est ce que j'ai fait, avec la grâce de Dieu et l'assistance du Sacré Cœur de Jésus. Visiblement bénie par ce divin Cœur, l'Œuvre a toujours été en progressant.

A la fin de 1894, elle comptait 58 membres.

            de 1895,             68

            de 1896,             80

            de 1897,             86

            de 1898,             92

 

Et ce chiffre s'est maintenu jusqu'à ce jour.

Il me reste à dire, maintenant, quelques mots de son organisation matérielle, de son organisation spirituelle et des résultats obtenus. 

ORGANISATION MATÉRIELLE. 

Les jeunes gens du Patronage sont divisés en deux sections : la première a soixante membres ; elle comprend ceux âgés de moins de 16 ans ; la deuxième section en compte trente-deux, ayant de 16 à 22 ans.

Les réunions ont lieu tous les dimanches et toutes les fêtes chômées, ainsi que chacun des jours de la fête patronale. Elles commencent immédiatement après les vêpres. Les membres de la deuxième section doivent être arrivés avant 4 heures ½, et ceux de la première avant 5 heures. Les retardataires sont réprimandés et punis d'une amende, de même que ceux qui manquent aux réunions sans prévenir.

Une fois entrés, les jeunes gens doivent tous jouer. Ils ont le choixdes jeux, mais ils ne peuvent les prendre eux-mêmes : je les leur distribue. Un enjeu de 5 centimes par partieest toléré. De temps en temps, je leur fais gagner des prix, consistant en objets utiles : couteaux, canifs, porte-monnaie, etc. ; d'autres fois ils gagnent des cachets de récompense, servant ensuite à acheter des objets que je mets en vente.

Une fois par an, le mardi-gras, tous les jeunes gens dînent au Patronage ; ceux qui ont plus de 21 ans ont droit d'y inviter leurs pères, qui sont placés à la table d'honneur. Le jour de la fête du Sacré-Cœur, il y a aussi déjeuner et goûter au Patronage. A part ces deux circonstances, les jeunes gens ne prennent rien à l'établissement, sauf quelques verres de bière ou de vin, ou quelques petites friandises que je leur offre de temps en temps.

Chaque année, à l'époque du Carnaval, le Patronage donne une séance récréative, publique et payante. Outre qu'elle procure des ressources, cette séance a l'avantage d'attacher les jeunes gens à l'œuvre et de les occuper une bonne partie de l'hiver pour sa préparation. A cette même séance, ceux des membres qui ont atteint l'âge de 21 ans, sont décorés publiquement : ils reçoivent une belle médaille, sur laquelle est gravé leur nom, et un joli tableau du Sacré-Cœur, comme diplôme de persévérance.

Les dignitaires se réunissent tous les mois et s'occupent des mesures à prendre pour le bien de l'Œuvre, de l'organisation des fêtes, de l'acceptation des nouveaux membres et du renvoi de ceux qui ont pu se rendre indignes. Les membres dont la conduite laisse à désirer, sont parfois appelés à cette réunion, pour y recevoir une admonestation.

   Les ressources pécuniaires dont l'Œuvre a besoin, sont fournies par une cotisation hebdomadaire de 5 cen­times que paye chaque membre, par les amendes, par le produit de la séance du Carnaval, et par le bon saint Antoine, qui est établi trésorier de l'Œuvre, et qui sait lui susciter de temps en temps de généreux bienfaiteurs. La caisse est presque toujours vide ; nous arrivons, néanmoins, chaque année, à faire face à toutes nos dépenses, grâce à la bonté de celui à qui nous avons eu l'heureuse inspiration d'en confier la garde. 

ORGANISATION SPIRITUELLE. 

L'assistance à la messe et aux vêpres, le dimanche et les jours de fête, est obligatoire pour tous les membres de I'Œuvre. Il est rare qu'un membre manque les vêpres sans un motif sérieux et sans avertir auparavant.

Les chants de l'Eglise sont exécutés par le Patronage.

Les membres ayant moins de 15 ans sont tenus d'assister, tous les dimanches, au catéchisme de persévérance, lequel a lieu immédiatement après les vêpres. Ils sont actuellement quarante-cinq suivant très régulièrement ce catéchisme.

Chaque dimanche, je fais une petite instruction à tous les membres réunis, dans laquelle je reviens fréquemment sur le respect humain, sur la nécessité de la piété, de la pratique des sacrements, de la fuite des mauvaises compagnies et des occasions dangereuses, etc. De loin en loin, M. le Curé fait lui-même cette instruction.

Les jeunes gens de la première section et les plus grands de la deuxième reçoivent tous les mois une convocation pour la Communion du premier vendredi. Le nombre de ceux qui répondent à cet appel varie entre quarante et cinquante, suivant la presse des travaux. Plusieurs d'entre eux n'ont pas encore manqué une seule communion du premier vendredi du mois depuis dix ans.Tous, grands et petits, communient au moins une fois chaque mois; un bon nombre le font plusieurs fois, et quelques-uns toutes les semaines.

Une retraite est donnée, chaque année, aux membres du Patronage, soit par M. le Curé, soit par un prédicateur étranger, comme préparation à la fête du Sacré-Cœur. Quoique cette fête tombe un jour de semaine, nos jeunes gens ont jusque-là toujours tous communié à cette occasion. Ceux d'entre eux qui sont employés dans les usines, demandent la permission pour la matinée, ou la prennent d'eux-mêmes s'ils prévoient qu'elle leur sera refusée, préférant encourir un reproche de-leur patron que manquer la communion le jour de la fête du Sacré-Cœur.

Deux fois l'année, un peu avant la fête du Sacré-Cœur et quelques jours avant la fête patronale, je vois les parents de tous les membres du Patronage. Je profite de ces visites pour leur faire mes observations et mes recommandations concernant leurs enfants.

En dehors de ces deux circonstances, je ne vois que les parents des membres dont la conduite ne me donne pas suffisamment satisfaction. 

RÉSULTATS OBTENUS. 

La plupart des jeunes gens du Patronage sont des chrétiens exemplaires: ils fuient les fêtes profanes, les divertissements dangereux, les bals, les débits de boissons, si funestes à la jeunesse de notre région; ils aiment la vie de famille, pratiquent les sacrements et sont fidèlesà leurs autres devoirs religieux.

La communion mensuelle est en honneur parmi eux ; aucun ne la manque sans un empêchement grave, et beaucoup communient le premier vendredi de chaque mois. Aussi, depuis le commencement de l’œuvre, nous comptons plus de 5.800 communions en l'honneur du Sacré Cœur de Jésus, à l'occasion du premier vendredi du mois. En voici le détail :

 

   940         communions pendant l'année             1894

1.062                                                                    1895

1.204                                                                    1896

1.302                                                                    1897

1.055                                                                    1898

   260                                     depuis le 1ierjanvier 1899

 

Le chiffre des messes entendues le premier vendredi du mois dépasse 12.800, et à ce nombre s'ajoutent quantité de saluts, de chapelets et d'exercices religieux faits au Patronage, les jours de réunion.

L'Œuvre  a déjà donné trois Frères à notre Institut et six séminaristes au diocèse.

Ces résultats sont bien consolants! Ils le sont encore davantage lorsque l'on compare la conduite de nos jeunes gens avec celle de ceux qui ne fréquentent pas le Patronage, lesquels ne tardent pas à abandonner les pratiques religieuses pour rechercher les plaisirs mondains.

Tous nos jeunes gens ne persévèrent pas dans leurs bonnes dispositions; mais le nombre de ceux qui se laissent entraîner par les sollicitations extérieures est heureusement bien petit. La grande majorité d'entre eux restent fidèles à leurs bonnes résolutions, et les consolations qu'ils me procurent me dédommagent amplement de la sollicitude et du dévouement qu'exige la direction de l’œuvre.

 En terminant, je dois dire que ces résultats doivent être attribués entièrement au Sacré Cœur de Jésus, sous lePatronage duquel est placée notre Œuvre. Pour moi, je ne suis que le faible instrument dont Notre-Seigneur veut bien se servir pour faire du bien aux âmes. Me rappelant que ce bon Maître a dit à la B. Marguerite-Marie : « Je répandrai d'abondantes bénédictions sur toutes les entreprises de ceux qui propageront la dévotion à mon divin Cœur », je m'efforce de faire connaître et aimer cette sublime dévotion à notre chère jeunesse, et j'ai la consolation de voir que Celui qui est la Vérité même se montre comme toujours fidèle à ses promesses. 

œuvre DES JUVÉNATS. – VOCATIONS 

Dans un mandement du 27 décembre 1898, au clergé de son diocèse, Mgr Moreau, évêque de Saint-Hyacinthe (Canada), recommande en ces termes l’œuvre des Juvénats :

« La recherche et la culture des vocations est un devoir sacré pour tout bon pasteur du troupeau de Jésus-Christ. Il s'étudie à en discerner les germes délicats, déposés par la grâce de Dieu dans l'âme du baptisé. Il sait que, pour protéger contre l'ivraie des voluptés du siècle, on doit prévenir « l'homme ennemi» dans la possession du champ béni qui porte cette « espérance de moisson ». C'est donc dès l'âge le plus tendre des petits de sa bergerie, qu'il les enveloppe de sollicitude. Selon une parole de l'Ecriture, « ses yeux et son cœur sont là tous les jours ». Il se rend compte que lui seul a le droit, la charge et la grâce de cet important ministère : qu'il peut y- être aidé par de pieux parents, par de consciencieux instituteurs ; mais que personne ne peut l'y remplacer. Aussi, visite-t-il ses enfants aux écoles, les rencontre-t-il au foyer paternel, les réunit-il à l'église pour les préparer aux sacrements ou leur faire le catéchisme : il les observe soigneusement. Et s'il distingue en eux ces dispositions heureuses de caractère et de cœur qui sont l'indice ordinaire des premières touches d'une grâce de vocation, il redouble de zèle et de prière, il met tout en œuvre pour que ces bons commencements puissent se développer et s'affermir.

« Faire ainsi, c'est réaliser un des vœux les plus chers à l'Eglise. Vous n'avez pour vous en convaincre, qu'à relire le chapitre 18 de la 23ième session du concile de Trente. Vous remarquerez, parmi les dispositions de ce décret, qu'il faut autant que possible séparer même du siècle, dès leur première jeunesse, dès l'âge d'une douzaine d'années, les enfants que de bonnes marques de vocation paraissent suffisamment destiner à la profession de vie ecclésiastique ou religieuse.

« Déjà, nos petits séminaires répondent parfaitement à toutes les exigences, pour la protection des vocations ecclésiastiques. Déjà aussi, et dans une grande mesure assurément, les vocations de Frères et de Sœurs trouvent un secours puissant dans les pensionnats de nos excellentes maisons religieuses. Mais, il y avait encore autre chose à souhaiter en ce genre : et voici que nous l'avons.

« Vous rencontrez souvent de jeunes enfants qui manifestent pour la vie religieuse des dispositions bien prononcées. Volontiers ils sortiraient sur-le-champ de la maison de leur père », pour aller placer sous la sauvegarde d'une règle religieuse leur innocence et leur piété. Leurs parents sont eux-mêmes pleins de foi : de bon cœur, ils offriraient à Dieu, dans la personne de ces enfants, la dîme des bénédictions qu'ils en ont reçues.

« Eh bien !, il existe maintenant, en notre diocèse même, des maisons qui recueillent ces vocations naissantes. On les appelle juvénats, ou noviciats préparatoires. Les enfants y sont reçus dès l'âge d'une douzaine d'années. Soumis à une discipline religieuse adoucie, ils se préparent, en s'instruisant et en se sanctifiant, au grand noviciat, où on les admet d'ordinaire vers l'âge de 16 ans.

« Dans ce milieu favorable, la piété devient plus grave et plus profonde, l'intelligence s'ouvre aisément, les caractères se dressent et s'affermissent, les tempéraments se fortifient dans des exercices physiques sagement organisés. Puis, quand il s'agit de prononcer définitivement sur les vocations – on a pu les étudier à loisir – la décision est entourée des meilleures garanties. Bien des congrégations observent que le plus solide de leur recrutement s'opère aujourd'hui par leurs petits noviciats. De là leur arrivent les vocations les mieux trempées, les sujets les mieux pénétrés de l'esprit de la règle et des œuvres de la famille religieuse.

« Voilà, bien chers messieurs, la belle œuvre que je veux signaler à votre attention et à votre sympathie. Je ne doute pas que vous saurez l'apprécier, surtout en ces tristes jours où la guerre à l'enseignement religieux menace à chaque instant notre catholique pays. Il s'agit en effet, des juvénats de deux congrégations enseignantes du diocèse.

« Le premier, et le plus important par les développements rapides que la divine Providence lui a donnés depuis à peine trois ans qu'il existe, est celui de nos Petits Frères de Marie, à Saint-Athanase. On y compte à l'heure actuelle, une cinquantaine de jeunes gens venus de différents points du Canada et des Etats-Unis. Il s'agit maintenant d'alimenter cette pépinière religieuse et de la fortifier, en y dirigeant les recrues nouvelles qui s'offriront à l'attention de votre vigilance pastorale.

« Ce n'est pas tout. Les enfants des juvénats ne persévèrent pas tous. Ceux-là même qui, persévèrent, en ont pour longtemps à vivre de leur congrégation, avant de contribuer par leurs services à son existence. Il se trouve donc que les juvénats sont pour les instituts religieux une charge considérable. En conséquence, s'il est indispensable de leur fournir de bonnes vocations, c'est aussi une vraie nécessité de leur procurer des ressources pécuniaires.

« C'est pourquoi, imitant au Canada ce qui a pu se faire avec succès en d'autres pays, nos Frères Maristes organisent présentement la composition d'un comité de zélateurs ecclésiastiques et laïques, pour leur juvénat d'Iberville. Vous voudrez bien, messieurs et chers collaborateurs, leur donner à cet effet tout votre concours. Vous leur désignerez ceux de vos paroissiens que vous saurez capables d'occuper utilement une place dans le comité du juvénat, ou disposés du moins à faire quelque zèle pour contribuer à l'entretien des juvénistes pauvres, et sans assistance de la part de leurs parents.» 

AVIS DIVERS 

I. Livres hors d'usage. – Les Frères directeurs sont priés d'apporter à leur maison provinciale respective les livres de prières et les livres classiques qui, regardés dans leurs établissements comme hors d'usage, peuvent cependant, après avoir passé par la reliure, servir aux juvénistes ou aux novices. Il y a là une raison d'économie qui s'allie avec la pratique de la pauvreté religieuse dont nous devons faire profession.

II. Examens avant les vœux  – Les Frères appelés à la Profession ou au Vœu d'obéissance, se feront un devoir d'étudier les matières indiquées dans la Circulaire du 25 avril dernier, de manière à pouvoir subir l'examenavant de se présenter à la retraite préparatoire à l'émission des vœux Cet examen se fera, dans chaque province, par le F. Vicaire Provincial ou le F. Directeur de la maison provinciale, avec l'assistance de deux ou trois Frères stables ou profès, soit à la maison provinciale, soit dans d'autres établissements choisis comme centres de réunion.

III. Dévotion Au Sacré-Cœur. – Il vient d'être publié un Nouveau Manuel des Congréganistes du Sacré Cœur de Jésus, bien propre à favoriser parmi nos élèves la dévotion au Sacré-Cœur. On pourra s'en procurer un spécimen, au prix de 0 fr. 90 en timbres-poste, en s'adressant au Frère Sous-Directeur du pensionnat de la Salle rue Saint-Gervais, à Rouen.

IV. Correspondance. – Les Frères sont priés de n'écrire aux Supérieurs, pendant leur retraite, que dans les cas d'urgence et de véritable nécessité.

De plus, je les informe qu'en raison de l'approche des retraites et du travail de préparation qui en résulte les Chers Frères Assistants ne répondront aux lettres du mois de juillet que s'ils en voient un réel besoin. 

V. Société des agriculteurs de France. 10° Section. Enseignement agricole. – Prix de Felcourt (1900). Un prix de 150 francs sera décerné, en 1900, à l'établissement agricole qui contribue le mieux à former des cultivateurs honnêtes et intelligents.

Concours entre les instituteurs et les institutrices. -Prix de la Société. – Ce concours est ouvert cette année pour les départements de la Charente- Inférieure, du Doubs, de la Mayenne, de l'Oise, des Pyrénées-Orientales, du Haut-Rhin (Territoire de Belfort), de la Savoie et du Tarn-et-Garonne. Voir la circulaire du 4 avril 1898.

Pour de plus amples renseignements, s'adresser à M. le baron de la Bouillerie, président de la 10° section de la Société des Agriculteurs de France, 8, rue d'Athènes, Paris. 

Nos DÉFUNTS.

 

F. CASTULLE, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 29 décembre 1898.

F. PIERRE-BENOIT, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 30 décembre 1898.

F. NORBERT, Assistant, décédé sur mer au retour du Brésil, le 10 janvier 1899.

F. JOSEPH-LOUIS, Profès, décédé à Varennes (Allier), le 13 janvier 1899.

F. ROMULUS, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 4 mars 1899.

F. ZOEL, Stable, décédé à Saint-Raphaël (Var), le 6 mars 1899.

F. HUGUES, Profès, décédé, à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 7 mars 1899.

F. M. CAMILLUS, Novice, décédé à Saint-Maurice-d'Ibie (Ardèche), le 8 mars 1899.

F. BENITO-JOSÉ, Obéissant, décédé à San Andrès de Palomar (Barcelone), le 22 mars 1899.

F. DECE, Profès décédé à Auchel (Pas-de-Calais), le 23 mars 1899.

F. FLAVIUS, Stable, décédé à Langon (Gironde), le 25 mars 1899.

F. THÉODOSE, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 28 mars 1899.

F. AUGUSTE-HENRI, Obéissant, décédé à la Roche-la-Molière (Loire), le 30 mars 1899.

F. LOUIS-BÉNÉDICT, Profès, décédé sur mer en se rendant de Sydney à Wellington, le 5 avril 1899.

F. OSWALD, Profès, décédé à Port-Elisabeth (Afrique du Sud), le 6 avril 1899.

F. JOSUE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 6 avril 1899.

F. PRUDENCIO, Obéissant, décédé à San Andrès de Palomar (Barcelone), le 9 avril 1899.

F. MARIE-VITALIEN, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 27 avril 1899.

SCHLIQUET Jules, Juvéniste, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 30 avril 1899.

PEFFER Nicolas, Postulant, décédé à Nordange, Grand-Duché de Luxembourg, le 8 mai 1899.

F. LOUIS-DANIEL, Profès, décédé à Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), le 15 mai 1899.

F. JOSEPH-CAMILLE, Obéissant, décédé à Beaucamps (Nord), le 15 mai 1899.

F. CLAUDE, Stable, décédé à Charlieu (Loire), le 19 mai 1899.

F. PAPHNUCE, Profès, décédé à Breteuil-sur-Nove (Oise), le 23 mai 1899.

F. CORNÉLIUS, Profès, décédé à Paris, rue Pernety, le 30 mai 1899.

 

Vous voyez, mes Très Chers Frères, quels grands vides la mort a faits dans nos rangs en si peu de temps. Que le souvenir des vertus de nos chers défunts, de leur sainte vie et de leur heureuse fin, nous anime à les imiter, afin qu'après avoir partagé leurs peines et leurs travaux, en cette vie, nous avons le bonheur de participer à leur félicité et à leur gloire dans le ciel.

La mort peut nous surprendre à tout âge et au moment où nous nous y attendons le moins. Soyons donc  toujours prêts ; veillons et prions sans cesse, afin qu'il soit vrai de dire : Il a cessé de mourir et commencé de vivre.

La présente Circulaire sera lue au réfectoire, dans les Noviciats et les Communautés nombreuses, et de plus en Communauté, à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Je suis avec la plus tendre affection, dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie, Mes Très Chers Frères,

Votre très humble et tout dévoué serviteur,

     F. Théophane.

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[1] : Avec lui devaient s’embarquer les CC. FF. Frumentius, Gaspard, Marie-Nicet, Marie-Amance et Marie-Esdras.

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