Circulaires 237

Stratonique

1911-11-01

Elections de Frères Provinciaux.

Entretien sur la Musique du frère Henri-Emile

237

Circ. Sup. 11.6

 V. J. M. J.

                                                                                                 Grugliasco, 1ier novembre 1911

                                                                                                           Fête de Tous les Saints.

    Mes Très Chers Frères,

Comme vous le savez sans doute, les CC. FF. Amphiloque, Bassianus et Elie-Marie, Provinciaux respectifs de Syrie, d'Aubenas et de Saint-Genis-Laval, arrivent, le 3 de ce mois, au terme de la période triennale pour laquelle ils avaient été élus.

Le Conseil Général avait donc à procéder à une élection nouvelle. C'est ce qu'il a fait dans sa séance du 27 octobre, et la majorité des voix s'est de nouveau portée sur les trois Provinciaux sortants.

En conséquence, sont élus pour une nouvelle période de trois ans Le C. F. Amphiloque, provincial de Syrie;

Le C. F. Bassianus, provincial d'Aubenas;

Le C. F. Elie-Marie, provincial de Saint-Genis.

Dans le ferme espoir que, voyant dans ce choix l'expression de la volonté divine, vous continuerez à les entourer de votre affectueuse confiance et de votre religieuse soumission, comme ils continueront eux-mêmes à vous témoigner la paternelle sollicitude et l'entier dévouement que vous leur connaissez déjà, je demeure en J. M. J.,

Mes Très Chers Frères,

Votre religieusement affectionné,

          Frère Stratonique        

———————————– 

ENTRETIEN

 SUR LE PLAIN-CHANT ET LA MUSIQUE RELIGIEUSE

——————————————— 

PREMIÈRE PARTIE 

LE PLAIN-CHANT, 

I 

But du plain-chant dans la liturgie. – son excellence. – Le plain-chant est l'ensemble des mélodies que l'Eglise emploie pour ses différentes cérémonies. Il a pour mission d'imprimer au texte sacré une plus grande énergie, une éloquence plus vive, un sentiment plus profond ; il donne des ailes aux formules de prières. Voilà pourquoi il occupe une place privilégiée dans la Liturgie Catholique. Il nous a été donné par des hommes éclairés de Dieu ; la chrétienté l'a chanté durant de longs siècles. Du reste, alors même que l'on ferait abstraction des droits que la tradition lui donne, le plain-chant, considéré uniquement au point de vue de sa beauté intrinsèque, offre encore assez d'avantages pour demeurer à tout jamais le chant liturgique par excellence. « Gardons-nous de croire, dit dom Pothier, que le temps mis à chanter au chœur serait mieux employé à réciter nos prières à voix basse ou à méditer. Sans doute lorsque les prières sont simplement récitées, la série en est plus longue dans un même espace de temps ; mais, est-il bien sûr que le profit en soit plus grand ? La valeur de la prière est-elle, aux yeux du Seigneur, proportionnée au nombre de pensées qui passent dans l'esprit, ou des mots que les lèvres articulent ? Non, mais bien à la grandeur et à la pureté des sentiments de foi, de gratitude, de contrition ou d'amour qui émeuvent l'âme et qui dictent les paroles de la bouche. Ce n'est pas où il y a des paroles plus abondantes, mais où le sentiment est plus pur et plus ardent qu'il y a aussi une expiation des fautes entière, une action de grâce plus complète, une louange, une adoration plus pleine, une supplication que le Seigneur exauce. »

La simplicité du chant grégorien en le mettant à la portée du peuple le destinait aussi à devenir un chant religieux. La religion, en effet, n'est pas le propre d'une élite ; l'expression religieuse qui se fait par le chant doit être accessible à toutes les âmes. Le jour où le peuple ne va dans l'église que pour écouter des virtuoses, dont les voix exécutent des tours de force ou exhalent une sentimentalité plutôt malsaine, l'église a cessé d'être un temple pour devenir un théâtre. Mais Dieu rentrera dans le sanctuaire et dans l'âme populaire le jour où les chants simples dans leur allure et chrétiens dans leur expression jailliront de toutes les poitrines à la fois comme l'expression naturelle du sentiment religieux.

« Or, dit l'abbé Guibert, le chant grégorien, quand on l'aura tiré du mépris auquel on le délaisse, lorsqu'on lui aura rendu sa souplesse et sa piété native, redeviendra, en résonnant encore sur les lèvres du peuple assemblé, le fidèle interprète et le soutien puissant du sentiment chrétien… Il offre des airs majestueux pour chanter les grandeurs de Dieu ; il a pour les heures de tristesse des notes pleines de larmes et pour les instants de joie des accents de véritable enthousiasme. Aussi quelle injustice n'a-t-on pas commise à l'égard du chant d'église, lorsqu'on a prétendu que, pauvre en ressources, il ne saurait parler ni à toute l'âme humaine, ni rendre les sentiments si variés de l'âme humaine… Il nous faudrait parcourir ici tout le recueil de nos chants, pour y trouver les innombrables et fidèles échos de tout ce que peut sentir une âme d'homme. Peut-être semble-t-il que je me laisse entraîner et que j'exagère l'éloge. Il est vrai que mes paroles seraient étranges pour ceux qui ne connaîtraient du plain-chant que les informes lambeaux de la plupart de nos éditions courantes, et que l'exécution barbare faite par des chantres sans méthode. Si pour goûter une Oraison funèbre de Bossuet il faut lire le texte même de Bossuet, et non de mesquines réductions de ses amples et harmonieuses périodes, il importe de même, pour savourer les beautés du chant grégorien de le lire dans le texte même des auteurs tel qu'il sortit de l'âme des Artistes. Les œuvres, des artistes ne se corrigent pas; on les prend telles qu'elles sont ; en perdant l'empreinte des maîtres elles perdraient toute aptitude à éveiller dans nos âmes les nobles sentiments qui les ont fait naître. » 

II 

Quelques temoignages. – On nous saura gré de citer ici quelques témoignages très variés en faveur du chant grégorien.

a) « Depuis longtemps, dit M. Jules Ruest, organiste d'Ainay à Lyon, je connaissais le culte de Gounod pour les mélodies grégoriennes, retrouvées et rétablies dans leur beauté rythmique par les Bénédictins de Solesmes. Ce que nous entendons journellement dans nos églises n'en peut donner aucune idée, à moins que cette exécution barbare n'en inspire l'horreur. L'illustre Maître me fit un matin le grand honneur de me recevoir pour me parler – avec quel art et quelle chaleur d'âme – « de cette merveilleuse musique qui venait de lui être révélée par un moine. » Puis, montant à son orgue, il chanta, en s'accompagnant lui-même, l'Alleluia de la fête des Martyrs : Te Martyrum Candidatus laudat exercitus ! N'est-ce pas que c'est beau, me disait-il. C'est une gerbe mélodique qui monte, comme un nuage d'encens jusqu'au ciel ! Depuis ce jour béni de ma vie, je demeurai convaincu qu'il existait un art radieux de fraîcheur et de grâce – pourtant profond et austère – aussi méconnu dans son esthétique, qu'il est massacré le plus souvent par des gens qui n'ont jamais cherché à le comprendre. »

b) En face des beautés de l'art grec, nos artistes les plus pénétrants avouent nettement notre impuissance à les bien apprécier. « Nos sens modernes, disait Taine, n'y atteignent pas ! » Nous aussi nous pouvons dire des productions musicales de l'antiquité ecclésiastique « Nos sens modernes n'y atteignent pas; nous ne parvenons qu'à demi et par degrés à deviner combien leur intention était parfaite. » – Nous n'avons plus la finesse de leur tact et de leurs perceptions…. nous sommes devant eux comme un auditeur ordinaire devant un musicien-né et élevé pour la musique ; son jeu a des délicatesses d'exécution, des puretés de sons, des plénitudes d'accords, des finesses d'intention, des réussites d'expression que l'autre, médiocrement doué et mal préparé, ne saisit qu'en gros et de loin en loin. »

c) On raconte qu'en 1871, le général de Sonis faisait une visite à l'Ecole Supérieure de Sainte-Geneviève de Paris. Comme on sonnait les Vêpres, il voulut y assister. Attentif à cette louange formée par 350 voix de jeunes gens, il pleurait à chaudes larmes et au sortir de l'office il s'écriait : « Oh ! que cela est beau ! »

d) « Vous applaudissez frénétiquement au théâtre, disait Gounod, certains passages de mes opéras qui vous paraissent neufs et heureux ; sachez que vous applaudissez des inspirations et des motifs que j'ai puisés directement dans les mélodies grégoriennes. »

e) J.-J. Rousseau écrivait : « Il faut n'avoir, je ne dis pas aucune piété, mais je dis aucun goût pour préférer dans les églises la musique au plain-chant. » J.-J. Rousseau était pourtant un bon musicien.

f) « Malgré tout, disait Huysmans (une conquête des beautés liturgiques), ce plain-chant décousu et altéré comme il l'est, vainement dominé par le fracas des orgues, et chanté « Dieu sait comme laisse subsister son imperméable beauté, qui sourd quand même de ces meuglements égarés des chantres! » – Que serait-il s'il était bien chanté !

Plusieurs objecteront qu'ils l'ont entendu, le vrai plain-chant, et que leur impression a été une déception! Il est incontestable que notre oreille accoutumée au luxe de l'art moderne éprouve une certaine déconvenue à l'audition d'une musique diatonique ; mais une impression première si vive qu'elle soit, si générale qu'on la suppose, ne doit pas prévaloir contre la culture esthétique, le goût éclairé, le sens religieux. C'est ce à quoi fait allusion Sa Sainteté Pie X dans ce passage : «… D'abord la nouveauté produira de la surprise chez quelques-uns; mais peu à peu… dans la parfaite correspondance de la musique aux règles liturgiques et à la nature du texte, tous remarqueront une beauté et une bonté qu'ils n'avaient jamais aperçue. »

g) « Perosi fait du Graduel et de l'Antiphonaire ses livres de chevet. »

h) « Le chant grégorien est certainement la forme la plus parfaite que l'âme puisse employer pour exprimer à Dieu sa foi et son amour. Il adore et prie sans abuser des sons et de leurs accords. Il a cette sobriété de l'ornementation grecque qui n'interrompt pas la ligne et ne brise pas les surfaces; il ne connaît ni les frivolités de la joie, ni les élans de la passion. Il ne ressemble pas aux illuminations de nos fêtes, mais à la lumière pure d'un beau jour. La beauté du chant grégorien n'exclut pas la variété. Il a des accents de joie et des accents de douleur ; mais ses mélodies sont toujours des chants d'amour qui deviendront des hymnes triomphales, lorsque tous les bienheureux ne feront qu'un instrument, un orgue divin, dont le Christ, le musicien suprême, tirera une éternelle mélodie. » L. Veuillot. 

III 

Encore quelques réflexions sur la beauté et la supériorité du chant grégorien. – Nous donnons la parole au Rmedom Pothier, président de la Commission pour l'Edition vaticane : « Après les progrès que ces derniers siècles ont apporté à l'art musical, maintenant que la musique a trouvé les ressources si puissantes de l'harmonie, qu'elle possède des secrets et des moyens variés que nos pères n'ont pas connus, peut-on dire encore que la musique religieuse par excellence soit, à notre époque, comme autrefois, le chant auquel saint Grégoire a donné son nom ? Oui, nous l'affirmons hardiment. Nous ne nions certes pas que l'art musical n'ait depuis saint Grégoire fait certains progrès, et nous ne croyons pas qu'en continuant de préconiser le chant grégorien, l'Eglise veuille arrêter l'essor du génie musical. Dans les circonstances plus solennelles, si le Maître de Chapelle est capable et qu'il dispose d'un assez grand nombre de voix suffisamment exercées, il peut lui être permis de faire entendre, par exemple, cette musique large et puissante de Palestrina ou quelque autre à son défaut, pourvu qu'elle soit religieuse. Mais c'est là comme un festin d'apparat qui ajoute, si l'on veut, à la solennité extérieure, mais n'empêche pas que l'aliment substantiel de la prière, le vrai pain de la piété ne soit toujours le chant grégorien. »

Voici maintenant une excellente réflexion de l'abbé Chipier, auteur d'un bel ouvrage, La vie liturgique : « La musique moderne est-elle moins religieuse que le plain-chant ? Quand nos artistes ressentent l'amour chrétien, ils savent chanter religieusement. Toutefois, sans refuser à la musique moderne sa place, car il est dans l'ordre que tous les arts glorifient le Seigneur, vous pouvez, sur l'expérience, affirmer : que quand elle ambitionnera de remplacer le plain-chant, outre qu'il y aura usurpation, elle le remplacera difficilement. Non, en général et pratiquement, elle ne porte pas à prier comme le chant liturgique. D'où vient cela ? En grande partie de ce que ces morceaux apparaissent comme des choses extraordinaires et à effet. Vous avez choisi dans un répertoire. Voilà l'assemblée transformée en jury. J'aimerais mieux n'entendre que mes morceaux traditionnels : je n'aurais qu'à voir le bon Dieu, mon âme et notre fête. »

Saint Augustin avait peur d'être plus occupé du chant que de la chose chantée ; et il aimait beaucoup la simplicité du sacrifice de la louange chez le peuple de Milan, « ce concert, comme il dit, de tous les frères chantant ensemble de la voix et du cœur » (Conf., IX).

Mais il faut le répéter, le plain-chant ne peut soutenir la comparaison que s'il est bien chanté, bien phrasé, et non pas traîné et martelé. Le chant grégorien est toujours intéressant et beau. Oui, on peut dire que l'art et la piété y trouvent des charmes et des jouissances que ne font point oublier les richesses de la musique polyphonique ; on y revient toujours et plus on pratique ce chant, plus aussi on le goûte, en y savourant quelque chose de supérieur dans sa merveilleuse simplicité. Mais, hélas 1 quand on chante du plain-chant, regardez dans quelles conditions dans certains milieux ! Il y fait l'office de remplissage, d'intermède permettant à la chorale de se reposer. Où sont donc les sanctuaires, où la musique fait prier les assistants et où l'on pourrait sortir de la cérémonie avec l'assurance parfaite que l'on a satisfait au précepte ou aux intentions de l'Eglise ? Trop souvent ceux qui veulent prier ont à faire d'héroïques efforts pour se soustraire à la musique bruyante qui s'exécute.

Trop souvent la musique envahit tout ; voilà, pour parler franchement, le danger à éviter sinon, en quelques endroits, l'abus à combattre. « C'est en vain, dit le Chanoine J. Condamin, qu'on se retranchera derrière de subtiles distinctions et qu'on invoquera, ici la nécessité de soutenir une œuvre ailleurs, je ne saurais dire quelles autres spécieuses raisons ou quelles circonstances atténuantes. La question se résout comme elle se pose par le mot fatidique de Shakespeare : « To be or not to be ». – En dehors des règles et des conditions de la sainte liturgie, il ne saurait exister de musique réellement, ni sincèrement religieuse. Or, la musique liturgique et religieuse, je veux dire celle qui l'est par l'idée autant que par la forme, nous avons la bonne fortune de la posséder dans le chant grégorien. Il faut donc s'opposer pour tous les offices, aux empiètements de l'art profane sur le chant sacré traditionnel. Et quant aux œuvres qui ne peuvent se passer de la musique… du dehors, je répondrai avec l'éminent et regretté cardinal Guibert, qu'on doit « laisser tomber les œuvres catholiques qui ne peuvent être soutenues que par des moyens profanes. »

Ce n'est pas précisément comme artiste au sens humain ou pour le devenir qu'on doit aborder le chant grégorien ; mais avec le désir d'apprendre à louer Dieu et à le prier d'une manière plus parfaite. C'est-à-dire de la manière réglée et rendue féconde par la Sainte Eglise. C'est absolument l'idée de notre Vénérable Fondateur. La question n'est point de constater si ce chant nous plaît ; il s'agit de l'aimer et de nous y appliquer parce que c'est le chant de l'Eglise et que Dieu y attache ses bénédictions. Ce n'est pas à nous qu'il appartient de rêver un idéal de chant sacré, il faut le recevoir tel qu'il a été réalisé et pleinement goûté dans les âges de foi. « Inspirons, dit un auteur, à nos jeunes gens ce goût effréné pour la musique polyphone, bientôt ils n'auront que du dégoût pour le chant de l'Eglise qui est essentiellement mélodie et unisson. Vous formerez des artistes (peut-être!), des artistes religieux, c'est très contestable. A coup sûr ces artistes, ces jeunes Frères, n'aspireront qu'à former des chœurs à plusieurs voix et à enlever les applaudissements du publie dans les circonstances solennelles ; mais ils n'auront pas le zèle pour former obscurément, patiemment, constamment et pour les offices ordinaires, les chœurs d'enfants qui seront les chantres de plus tard, si nécessaires pour les paroisses et qui peuvent seuls rendre possibles les offices liturgiques. » (J. D.)

Dans l'article 3, paragraphe Il du Motu proprio du 22 novembre 1903, le Saint-Père dit en propres termes: « L'antique chant grégorien traditionnel devra donc être largement rétabli dans les fonctions du culte, tous devant tenir pour certain qu'un office religieux ne perd rien de sa solennité quand il n'est accompagné d'aucune autre musique que celle-là. »

Nous terminerons ce chapitre en citant encore M. l'abbé Chipier : « Aimons la musique, mais gardons le plain-chant, parce qu'il est un chant complet qui a réjoui des cœurs et des oreilles qui valaient bien les nôtres. Gardons-le, parce qu'il fait barrière contre le mauvais goût et autres invasions. Gardons-le comme nous retenons la formule de nos prières et pour la même raison, parce qu'il est traditionnel. C'est surtout à ce titre qu'il restera préférable à la musique moderne. » 

IV 

Parti que nous pouvons tirer du plain-chant pour les enfants de nos écoles. – Nous lisons dans une Circulaire du Révérend Frère Louis-Marie (Circ., 9 février 1867) ces paroles encourageantes pour les Frères employés dans l'enseignement : « Le plain-chant est peut-être le moyen le plus puissant pour moraliser les enfants, les attacher à l'école, les attirer à l'église et les porter au bien. Volontiers, je dirais que pour tout religieux instituteur l'enseignement du chant doit tenir le premier rang après celui du catéchisme : point d'autres leçons qui puissent contribuer pour une si large part à la gloire de Dieu. C'est l'ignorance du chant, hélas ! trop générale aujourd'hui, qui nuit peut-être le plus à la beauté des offices de l'Eglise, et qui fait que tant d'hommes y viennent indifférents… Les parents et les fidèles ne peuvent assez dire combien ils sont heureux d'entendre les petits enfants de l'école faire chœur à l'église ! » Il faut donc, conformément .aux volontés des Supérieurs, de l'Eglise elle-même, enseigner le plain-chant dans les écoles. Il y a deux jours désignés par le Guide des Ecoles: le mardi et le samedi. Dans beaucoup d'endroits on pourrait encore trouver quelques moments le dimanche et le jeudi. C'est à chacun de voir comment il pourra s'y prendre suivant les lieux, les circonstances et les éléments dont il 'peut disposer. Il faut commencer par des choses faciles, par les pièces de plain-chant qui reviennent le plus souvent pour les cérémonies liturgiques, par ex., O salutaris, Tantum ergo, etc. On pourrait continuer par le chant des psaumes suivant les règles d'une bonne psalmodie ; de là, on passerait à l'étude d'une messe facile du Kyriale ; celle de Angelis, par exemple ; ou bien on apprendrait à alterner au Credo, etc., etc. Avec les enfants qui débutent, il faut, avant d'apprendre du nouveau, faire chanter plusieurs fois de suite les mêmes choses. Cela leur donne de l'assurance et les encourage. Celui qui les accompagne à l'harmonium doit les suivre à l'unisson, pour les mêmes motifs. Quand ils savent très bien, on se hasarde à leur faire un accompagnement peu chargé, en faisant bien les pauses avec eux. Malheureusement on trouve des organistes, qui se croient déshonorés devant le publie si, de temps en temps, ils jouent à l'unisson; ils croient qu'ils passeront pour inexpérimentés dans la pratique de leur instrument; ils préfèrent le prouver d'une autre manière en exposant les enfants à se tromper, et en exécutant médiocrement un accompagnement qui lève le dernier scrupule à ceux qui douteraient encore de leur naïveté.

Avant toute chose, il faut préparer les éléments dont on se servira pour les chants, c'est-à-dire : 1° Cultiver les voix, leur faire acquérir dans une certaine mesure les qualités qu'elles doivent avoir. On en trouve abondamment la méthode et les moyens dans nos Principes de musique et de chant. 2° Apprendre les notes aux enfants, faire quelques exercices élémentaires de solfège au moins. On s'épargne ainsi beaucoup de peine. On fait cela 2, 3, 4, 5, 6 mois suivant les cas; on peut ensuite logiquement apprendre aux enfants quelques pièces de chant en rapport avec leur capacité. Ceci vaut également pour la musique ; car on est exposé à choisir des morceaux au-dessus de la portée des élèves. Ce qui rend les classes de chant et les répétitions laborieuses; les enfants quelquefois s'impatientent… et les maîtres aussi. On n'en finit pas avec les répétitions pour obtenir l'ensemble et une perfection quelquefois bien relative. Et souvent, malgré cela, quel résultat ! Heureusement que dans bon nombre de morceaux les compositeurs ont été sagement inspirés en semant quelques points d'orgue. Si les parties ne s'accordent pas dans l'exécution on a toujours la ressource de s'attendre à ces endroits fortunés. – Visons au pratique avant de nous lancer, examinons nos propres forces et la valeur de nos ressources.

Ensuite n'exagérons pas la difficulté d'apprendre aux enfants le chant grégorien, soit à cause de la forme des notes ou des groupes, soit à cause de l'impossibilité où l'on est d'amener les enfants à la perfection voulue. On a résolu le premier cas en faisant des éditions de chant grégorien en « notes musicales ». Voilà qui est un bon appoint pour les pensionnats et les maisons où la musique est étudiée par un grand nombre d'élèves. Quant à la perfection dans l'exécution elle est désirable partout ; là où l'on ne peut l'atteindre on tâche de s'en rapprocher le plus possible. Avec des éléments assez ordinaires et une bonne méthode on obtiendra déjà de bons résultats; mais on sera bien près de l'idéal si à ces facteurs on ajoute le goût de s'occuper de la chose.

Voici, sur le même sujet, le sentiment d'un Maître parfaitement autorisé en la matière : « Quelle exécution convient au chant grégorien ? La réponse ne peut être douteuse : à une mélodie fine et délicate, convient éminemment une bonne et artistique interprétation ; mais je m'empresse d'ajouter que l'art seul est insuffisant pour le bien exécuter; il faut joindre à l'art, la foi, la piété, l'amour. Et ici, il faut bien s'entendre. La cantilène grégorienne est belle, mais elle est simple aussi, facile et à la portée des humbles et des petits. Le pain musical, que l'Eglise distribue à ses enfants, peut, comme les paroles de la Liturgie et de la sainte Ecriture, être à la fois la nourriture des intelligences les plus élevées et celle des âmes les moins cultivées.

 « Au village, elle est à sa place sur les lèvres du la­boureur, du montagnard, de l'artisan qui, le dimanche, abandonne ses instruments de travail pour venir chan­ter les louanges du bon Dieu ; elle est aussi à sa place dans la métropole, où le sénat de nos vénérables cha­noines, aidé par les jeunes voix d'une maîtrise bien exercée, l'interprète, sinon toujours avec art, du moins avec l'intelligence du «psallite sapienter ». Sans doute, au village ou à la métropole, nos mélodies ne sont ni exécutées, ni comprises, ni goûtées de la même manière. Mais ne serait-il pas injuste et intempestif de demander à nos pauvres villageois une interprétation artistique, que leur éducation ne leur permet pas même de soupçonner et qui, après tout, n'est pas nécessaire pour sa­tisfaire leur piété et leur goût rustique ?

« Non, ce qu'on est en droit d'attendre, ce qu'on peut exiger d'eux, c'est une interprétation convenable, et elle se résume en bien peu de règles : Modération de la voix, justesse et liaison des sons, observation au moins matérielle des accents, des pauses, des rythmes, sentiment de la mélodie ; ajoutez à cela un peu de piété, d'âme, de cœur, ce qui n'est pas rare dans les classes les, moins privilégiées… et voilà tout.

« Tout cela peut être obtenu facilement ; dans pareil cas, l'enseignement didactique est inutile, il faut agir avec eux comme avec des enfants, et employer le procédé de l'imitation, c'est le moyen le plus sûr et le plus prompt. Dans nos mélodies grégoriennes, il y a un air, un rythme que les enfants et les plus humbles virtuoses saisissent et apprennent par cœur avec une aisance surprenante… Avec ce léger bagage de science musicale, je l'avoue volontiers, le chantre de nos villages n'atteindra pas à l'art, il ne rendra pas les beautés, les nuances de la musique ; cependant il aura satisfait sa piété personnelle et même il aura fait la conquête de son auditoire … " (Dom Mocquereau). Nous pourrions continuer cette encourageante citation, mais cet extrait suffit. Il est évident que nous pouvons obtenir avec nos enfants aux voix souples, à l'intelligence neuve, et à qui le chant plaît tout naturellement des résultats bien supérieurs à ce que l'on peut obtenir dans les campagnes avec des chantres âgés « enlisés » dans leur routine.

Quand on a ainsi formé un bon noyau d'enfants, on en admet d'autres, de temps en temps, qui remplaceront les premiers quand leur voix aura mué; insensiblement les nouvelles recrues apprendront les mêmes chants en les entendant exécuter par leurs camarades. Il suffira d'un peu de goût et de persévérance pour continuer l’œuvre. Elle aura coûté en commençant, mais que de beaux résultats ; quel charme de plus aux cérémonies liturgiques ! Beaucoup de paroisses, mais encore trop peu nombreuses, ont été dotées par nos Frères de chœurs de voix d'enfants qui remplissent exactement leur rôle. Notre Vénérable Fondateur a introduit le chant dans nos Ecoles, afin de procurer des chantres aux paroisses et de contribuer ainsi à la solennité des offices. Que ne ferait-il pas aujourd'hui, que Pie X a parlé si clairement pour la restauration du chant grégorien et de la musique sacrée ? A nous de seconder dans la mesure de nos forces le zélé Pontife.

Voici comment le R. P. Delaporte (S. J.) témoignait son admiration aux élèves du petit séminaire de Versailles :

« Votre chant fait prier et votre chant fait croire,

Il fait dire au pécheur contrit : Miserere.

S'il vous eût entendus, le grand Pape Grégoire

Aurait battu des mains et, peut-être, pleuré. » 

« Je rêve en écoutant ces voix, ces voix chrétiennes

D'enfants, qui pour Jésus, veulent vivre et grandir,

Que les Anges parfois, à la fin des Antiennes

Penchés au bord du Ciel, viennent vous applaudir. » 

Puissent les chants de nos chapelles susciter les mêmes sentiments dans les cœurs de tous ceux qui les entendront !

 On dit que Beethoven, après avoir terminé le Kyrie de sa messe solennelle, avait écrit sur sa partition ces quelques mots qui expriment admirablement les senti­ments de cet artiste si chrétien : «Sorti du cœur, puisse-t-il en retrouver le chemin ». Puissent aussi nos belles mélodies de l'office catholique, inspirées à saint Grégoire et à tant de saints par l'esprit de foi et l'amour de Notre­-Seigneur, être toujours étudiées et chantées par nous avec les sentiments qui les inspirèrent et contribuer ainsi à faire aimer Dieu et l'Eglise.

 ———————————————– 

DEUXIÈME PARTIE

 LA MUSIQUE RELIGIEUSE 

I 

Pourquoi la réforme est-elle si lente ? – Le 22 novembre 1903, S. S. Pie X publiait un Motu Proprio, sur la musique sacrée. Après six ans, on pourrait se demander comment la volonté du Saint-Père a été suivie. Si dans quelques endroits on en a tenu compte, il est resté lettre morte pour un bien grand nombre.

Le 8 décembre de la même année, dans une lettre au Card. Respighi, son vicaire pour la ville de Rome, Pie X après être entré dans quelques détails sur les réformes concernant la Ville éternelle, s'exprimait ainsi : « Pour vous, Monsieur le Cardinal, n'usez pas d'indulgence et n'accordez pas de délai. A différer on ne diminue pas la difficulté, mais on l'augmente ; et puisqu'il faut supprimer, qu'on le fasse sur-le-champ et résolument. Que tous aient confiance en Nous et en Notre parole, à laquelle sont attachées la grâce et la bénédiction du Ciel. La nouveauté produira d'abord chez quelques-uns un certain étonnement ; peut-être des Maîtres de Chapelle, des Chefs de Chœur se trouveront-ils pris au dépourvu ; peu à peu, néanmoins, les choses se remettront d'elles-mêmes ; dans cette parfaite conformité de la Musique avec les règles liturgiques et la nature de la psalmodie l'on découvrira une beauté et une bonté qui peut-être avaient échappé auparavant… » Nous voyons par là combien le Saint-Père désire être obéi.

Pourquoi cette réforme est-elle si lente ? Voici comment répond un écrivain autorisé : « … La majeure partie des abus n'est pas attribuée à une répugnance positive, à l'indolence calculée, mais au  défaut de con naissances, au manque d'entendement do l'art, au manque de distinction entre Musique et Musique »

« On a parfois peine. à comprendre comment des Maîtres de Chapelle ne savent pas distinguer entre un Motet de Palestrina et un Tantum ergo style de chansonnette ; comment des organistes ne comprennent pas que dans les églises détonnent certains versets, offertoires, sorties, etc. … Souvent ces personnes se trouvent de bonne foi, sûres de ne heurter la susceptibilité de qui que ce soit, persuadées de n'offenser aucune prescription ecclésiastique et d'accomplir excellemment leur devoir. » Evidemment les personnes dont veut parler Mgr Nasoni, dans le passage ci-dessus, devraient lire le Motu Proprio de Pie X et se pénétrer de son esprit. Ceux qui ont mission de s'occuper du chant ou de la musique dans une église ou une chapelle en ont le devoir. La vraie musique religieuse est : 1° le plain-chant; 2° la musique palestrinienne ; 3° la musique moderne qui, se rapproche du genre palestrinien et lui ressemble, dans sa forme et son allure. 

II 

Petit commentaire sur le « motu proprio » du 22 novembre 1903. – Nous croyons être utile et agréable à nos Frères en leur donnant ici un petit commentaire du document pontifical. Dans les articles ou passages un peu délicats nous nous sommes inspiré à des sources revêtues de l'approbation ecclésiastique.

Le Motu Proprio n'a pas expressément abrogé les documents législatifs antérieurs. On peut dire qu'il les a fait tomber en désuétude, parce qu'il les résume tous et les explique avec une clarté et une profondeur plus. grande; mais abrogés, non.

Dans la préface du Motu Proprio, nous relevons ce passage : « Nous publions notre présente instruction à laquelle, comme au code juridique de la Musique sacrée. Nous voulons de notre pleine autorité apostolique, qu'il soit donné force de loi, et à tous, par le présent chirographe, Nous en imposons la plus scrupuleuse observation ». Ce passage nous paraît d'une grande clarté.

Le Motu Proprio contient neuf paragraphes, divisés en vingt-neuf articles.

Dans le premier paragraphe qui renferme deux articles, le Pape déclare comme principe général que la Musique sacrée, comme partie intégrante de la liturgie solennelle, participe à sa fin générale qui est la gloire de Dieu, la sanctification et l'édification des fidèles. Il déclare, en conséquence, que les qualités propres de la musique sacrée sont celles mêmes de la liturgie, c'est-à-dire la sainteté et la bonté des formes et l'universalité de son caractère. On le voit, la musique d'opéra par ex. sur laquelle on a adapté des paroles latines ou religieuses est indigne de l'Eglise : « De tels morceaux, dit Saint-Saëns, sont des méfaits artistiques ; rien ne les justifie, étant donné le nombre prodigieux de pièces de musique écrites spécialement pour l'Eglise depuis le XVI° siècle jusqu'à nos jours. »

Dans le paragraphe II, composé de quatre articles, sont signalés les différents genres de musique. La musique liturgique vraiment belle est le chant grégorien « le chant propre de l'Eglise romaine, le seul chant dont elle a hérité de ses Pères, qu'elle a gardé jalousement et, que des études plus récentes ont si heureusement restitué dans son intégrité et dans sa pureté » (art. 3).Néanmoins l'Eglise n'a jamais défendu l'usage d'une musique plus ornée et d'une plus grande élégance extérieure que le plain-chant. Mais elle veut éliminer de nos saints temples le style théâtral (art. 6). – Le Saint-Père fait ensuite l'éloge de la musique palestrinienne : voilà le vrai genre. Mais l'Eglise accepte le genre de musique plus moderne pourvu « qu'il ne contienne rien de proche fade, qu'il n'ait aucune réminiscence de théâtre ». C'est dans ce paragraphe que Pie X établit cette règle d'or générale: « Une composition pour l'église est d'autant plus sacrée et liturgique qu'elle se rapproche plus, par l'allure, par l'inspiration et par le goût, de la mélodie grégorienne et elle est d'autant moins digne du temple qu'on la reconnaît plus dissemblable de ce suprême modèle. » (art. 3). Ne serait-ce pas un peu le cas de nous dire : … brûle ce que tu as adoré ? »

Le paragraphe III contient trois articles et se rapporte au texte liturgique. Ce texte, dans les fonctions solennelles, peut se chanter seulement en langue latine. Il n'est pas permis de substituer un texte à un autre, ni d'en altérer les paroles. Le soin principal du compositeur et du chanteur doit être de rendre le texte liturgique intelligible aux fidèles qui l'écoutent.

Le paragraphe IV s'occupe de la forme extérieure des compositions sacrées. La psalmodie doit toujours rester comme un chant alterné et pour cela, sont prohibés les psaumes dits « de concert ».

Les articles 12, 13 et 14 qui forment le paragraphe V, ont pour objet les chantres d'église. – En fait de soliste, dans l'église, il n'y a que le célébrant à l'autel. Donc pas de morceaux pour une voix seule, ni à l'élévation, ni à l'offertoire, ni au salut.

Le paragraphe VI regarde le son de l'orgue et des autres instruments admis dans l'église, spécialement au point de vue de l'accompagnement du chant. Le Motu Proprio exclut de l'église les pianos, les instruments bruyants ou légers, tels que le tambour, grosse caisse, les cymbales, les clochettes… (art., 19). – Les fanfares ne peuvent pas jouer dans l'église (art. 20). Est permis dans l'église le son de l'orgue et des instruments d'orchestre qui ne sont ni bruyants, ni légers. Mais sur ce point, Pie X en réfère au jugement des Ordinaires… (art. 15-20). Le son de l'accompagnement ne doit jamais couvrir le chant (art. 16).

Le paragraphe VII parle de la durée de la musique. Ne pas faire attendre le célébrant à l'autel. – Le célébrant de son côté doit avoir égard aux chantres (art. 22). – La musique doit rester servante de la liturgie ; cette dernière est la partie principale ; la musique n'est que secondaire (art. 23).

Enfin les derniers articles du Motu Proprio donnent les principaux moyens d'appliquer ce qui précède. Rien de mieux que de les lire dans le document lui-même. 

III 

Moyens pour distinguer, dans la pratique, la musique ecclésiastique de celle qui ne l’est pas. – Sur ce sujet également, nous nous sommes inspiré à bonne source ; et nous pensons faire œuvre utile en donnant à nos Frères un « critérium » pour distinguer, dans bon nombre de cas, la vraie musique religieuse de celle qui ne l'est pas, aussi bien pour la musique vocale que pour la musique d'orgue ou d'harmonium.

Les titres. – Beaucoup de morceaux portent en eux-mêmes le titre de leur condamnation : Ce sont, en effet, des réductions, des transcriptions, réminiscences de motifs théâtraux[1]et profanes. C'est le cas de rappeler le mot de Mgr Parisis : « Cette musique fût-elle savante pour le monde, pour l'église, elle est un scandale. »

Les auteurs. – En général on peut affirmer que si un auteur est connu comme compositeur profane ou de théâtre, ses compositions pour l'église sont à rejeter ou du moins à examiner de très près avant de les accepter. – Dans le célèbre Ave Maria de Gounod manquent les mots Mater Dei ! Quel Mariste acceptera un Ave Maria, où un si grand privilège est passé sous silence ?

Les éditeurs. – On en trouve qui ont encore en magasin des morceaux de chant, d'orgue ou d'harmonium indignes de nos saints temples. D'autres se proposent seulement de faire du bénéfice, spéculant sur la patriarcale bonhomie ou sur l'ignorance technique des acheteurs. Tels recueils sont ce qu'il y a de plus hybride et de plus vulgaire qui se puisse imaginer. On se demande comment les auteurs de ces livres et leurs éditeurs peuvent s'aborder sans éclater de rire.

4°  La répétition des paroles. – Les paroles ne doivent pas être répétées d'une manière superflue (art. 9 du Motu Proprio). D'autre part un morceau, même bien beau, devient fatigant s'il est trop long; il enlève de l'importance à la cérémonie liturgique qui s'accomplit. Il y a quelque temps un prêtre demandait à Pie X : « Très Saint Père, que peut-on chanter pendant un office ? Mon fils, répondit le Pape, on ne chante pas pendant un office mais on chante l'office ! » – Au sujet des répétitions superflues des paroles, un homme d'esprit écrivait dans une revue italienne : « Que signifie donc : sede, sede, sede, a dextris meis ? On se fait peut-être aussi des compliments dans le ciel ? Sede, une seule fois et avec toute la cordialité possible. »

Pour ne pas nous tromper dans le choix de la musique que nous voulons faire chanter ou exécuter, prenons, conseil de quelques personnes prudentes et éclairées. 

IV 

L'orgue et les organistes. – Nous terminons ce sujet par quelques alinéas sur le rôle de l'orgue et de l'organiste. Ce qui vaut pour les orgues vaut aussi pour les harmoniums. Beaucoup de nos Frères sont appelés à accompagner les chants liturgiques, et les quelques idées qui suivent leur seront aussi très agréables, nous l'espérons.

« L'organiste a une double mission à remplir, il doit, être décorateur et prédicateur. Décorateur au goût éclairé, artiste aussi consciencieux qu'érudit, il doit assortir ses cadres et ses enluminures au fond du tableau ; prédicateur convaincu, apôtre à sa manière, il doit créer autour de lui une atmosphère suggestive de prière et de recueillement, n'attirant pas exclusivement sur lui, par un jeu trop étincelant, l'admiration de l'assistance au détriment de Dieu, s'inspirant des pensées liturgiques de l'office du jour et en puisant les pièces qu'il doit jouer dans un répertoire autorisé. » (P. Chassang.) Il faut, dit le cardinal de Bonald, que les fidèles viennent dans nos temples non pour admirer les beaux effets de l'orgue, mais pour prier.

La vraie musique d'orgue n'est pas de la science exclusive qui intéresse seulement l'esprit ; elle ne consiste pas non plus dans des accents passionnés et des effets brillants qui séduisent seulement les sens. C'est par l'étude des bons auteurs, l'emploi fréquent de la tonalité ecclésiastique qu'on peut déjà imprimer à la musique d'orgue un caractère spécial plein de majesté, de calme, de grandeur, et en parfait accord avec le chant d'église.

« Je crois, dit l'abbé Chassang, que l'étude approfondie de la tonalité grégorienne et de ses rapports avec l'harmonie, est la base de tout enseignement de l'orgue et tant que les organistes n'entreront pas dans cette voie, cet instrument demeurera l'écho des orchestres ou l'asile des pédants » Ils sont encore trop rares les organistes tels que les désire le Motu Proprio. « Je sais bien, continue le même auteur, qu'ils ont quelquefois à compter avec la déplorable éducation musicale de l'auditoire, car les amateurs de sérénades sont encore nombreux dans les églises et les chapelles ; et l'organiste idéal, pour eux, est celui qui joue des airs qui font plaisir… ; mais trop souvent aussi, c'est le mauvais organiste, ce sont ces peu scrupuleux chercheurs d'effets, hérésiarques dans leur sphère, qui ont faussé l'éducation musicale de ces auditoires, qui boudent maintenant à la vraie musique d'orgue, à la vraie musique religieuse. » – « Un certain nombre d'organistes, dit Alex. Guilmant, doivent jouer des entrées, des offertoires, des élévations, des communions et des sorties. Le titre de ces pièces indique le caractère qu'elles doivent revêtir. Il est d'un usage assez commun de jouer à l'offertoire les morceaux les plus vibrants. Pourquoi ! Au lieu dune vibrante symphonie je préfère, à ce moment d'offrande, une prière avec, les jeux de fonds qui sont les plus beaux de l'orgue. »

Quelque beau développement d'un thème puisé dans le chant liturgique du jour serait d'un parfait à propos ; c'est l'exemple que nous donnent les maîtres de l'orgue.

« Oui, la perfection du genre serait de s'emparer de ces mélodies que chante le chœur, et de les lui renvoyer paraphrasées avec goût, grâce aux ingénieuses ressources du contre-point et au charme des sonorités variées. Ce n'est pas de l'inédit ou du rêve, encore une fois ; et ceux qui voudraient entendre des modèles du genre n'auraient qu'à pénétrer dans une église pourvue d'un bel orgue et d'un organiste à la hauteur de sa mission. Ils verraient toutes les merveilles d'art que l'on peut faire éclore d'un thème grégorien. » (P. Chassang.)

C'en est assez sur ce point. Une pensée du chanoine Stephen Morelot nous servira d'enseignement et de résumé : « Que les organistes soient toujours les interprètes de graves et nobles inspirations, qu'ils s'appliquent à jouer de la belle et bonne musique et nous leur répondrons qu'ils seront honorés de ceux mêmes qui sont incapables de se mettre à leur niveau. Que la crainte de n'être pas goûtés par le grand nombre ne les arrête pas.

Qu'ils se gardent surtout de flatter les goûts frivoles en se faisant les colporteurs des cantilènes vulgaires, des concerts ou des théâtres. »

                                                                                                                                   F. H. E.[2]

———————————————

  


[1] : théâtrals.

[2] : Frère Henri Émile, Jutier.

RETOUR

Circulaires 236...

SUIVANT

Circulaires 238...