Circulaires 324

LĂ©onida

1947-05-24

Retraite annuelle, 569. Besoin de la retraite, 570. - - Application à la bien faire, 573. - Fruit à retirer de nos retraites : un plus grand amour de notre sainte vocation. 574. - Amour de la vocation, 576. - Générosité dans l'accomplissement de nos devoirs d'état, 581. - Persévérance jusqu'à la mort, 588. - Visite de Délégation aux provinces d'Espagne, 595. - Visite de Délégation à Madagascar, 607. - Nouvelles d'Allemagne. 61i, - de Chine, 618, --- de Ceylan, 629. Cause du Vénérable Fondateur, 623. -- Élections. 626. . Liste des défunts. 627.

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V.J.M.J.

 Saint-Genis-Laval, le 24 mai 1947.

 Fête de Notre-Dame Auxiliatrice.

       MES BIEN CHERS FRÈRES,

 Une tradition, qui remonte aux premiers jours de l'Institut, veut que chaque année le Frère Supérieur Général invite tous les Frères aux saints exercices de la retraite. Fidèle à cette tradition, je viens vous exciter à bien profiter des quelques jours que, par une faveur spéciale de Notre-Seigneur, vous allez consacrer à la prière, à l'examen attentif de votre vie et aux bonnes résolutions.

Les avantages qui résultent de la retraite annuelle, pour les âmes bien disposées, avaient porté la plupart des Congrégations religieuses à la rendre obligatoire bien avant les prescriptions du Code de Droit canonique. Mais il n'est pas hors de propos de rappeler qu'après la promulgation de ce dernier, cette obligation est devenue une loi de l'Église qu'enfreignent, non seulement les religieux qui, sans des raisons graves, se soustraient à la retraite, mais encore les Supérieurs qui ne fournissent pas à leurs sujets les moyens de la faire.

Cela donne une importance particulière à l'article 107 de nos Règles : « Si quelque Frère ne peut assister à la retraite générale, le Frère Provincial lui désignera un temps pour la faire en son particulier. »

 Besoin de la retraite.

 La conviction du grand besoin de la retraite est une disposition indispensable pour la bien faire quand cette conviction fait défaut, on s'expose à imiter le malade qui, ignorant son mal, ne fait rien pour guérir.

Il faut donc nous redire Suis-je une âme vertueuse ? J'ai besoin de la retraite pour ne pas déchoir, car la vertu la plus solide peut décliner aisément si elle n'est pas cultivée.

Suis-je une âme dissipée, partagée entre le service de Dieu et celui du monde ? J'ai besoin de la retraite pour me recueillir, pour orienter franche-ment ma vie religieuse vers Dieu qui m'y a appelé.

Suis-je en butte à de violentes tentations ? Je dois refaire mes forces et renouveler mes armes spirituelles dans. cette école de sainteté qu'est la retraite.

Ai-je à me reprocher des chutes ? Il n'est pas de cœur qui ne puisse être transformé par ce contact intime avec Dieu, par la méditation attentive et prolongée des grandes vérités.

 Nous avons besoin de la retraite parce que, depuis la précédente, il s'est produit en nous bien des changements ; saint Paul nous dit, en effet, que « notre être intérieur se renouvelle de jour en jour ». (II Cor., IV, 16.)            

Peut-être avons-nous progressé sur certains points, mais sur d'autres, n'avons-nous pas marqué un arrêt ou même un recul ? Une triste expérience ne nous dit-elle pas que si notre vocation est angélique, la mauvaise nature ne cesse pas, pour autant, de nous porter au pire ?

Ce sera parfois la ferveur qui aura diminué, ou bien le dévouement, l'amour de la vie cachée, l'attachement à la vocation, parfois aussi, la délicatesse de conscience par rapport à la pauvreté, à la chasteté, à l'obéissance ou à telle ou telle vertu. Peut-être aurons-nous à nous reprocher une médiocrité générale : la négligence de nos devoirs d'état, l'oubli des grands intérêts de notre âme, etc. …

La connaissance des changements survenus en nous, nous portera à confirmer le bien et à réformer ce qui est défectueux.

 Nous avons besoin de la retraite parce que, dans l'apostolat, le souci du bien du prochain a pu nous faire négliger les intérêts de notre âme. Aurions-nous passé tout notre temps à prêcher la vertu aux autres que nous n'en serions pas devenus nécessairement plus vertueux. Peut-être pourrions-nous dire avec saint François de Sales, et avec plus de raison que lui : « On vante le bien que font mes prédications et mes écrits, mais, hélas ! je suis comme celui qui distribue aux autres les aumônes du prince et ne garde rien pour lui ; comme un luth qui est sourd à ses propres sons ; comme l'échelle qui fait monter les autres où elle ne va pas elle-même ; comme les enseignes qui invitent les passants à entrer pour faire bonne chère tandis qu'elles passent la nuit au froid et à la pluie. » (Vie, par Ramon.)

Nous avons sans cesse besoin de réparer nos forces. Pour ce qui est des forces physiques, la nature nous en avertit et, parfois, par de graves accidents. Mais les besoins importants de l'âme, nous sommes exposés à les négliger parce qu'ils sont moins perceptibles que les autres. On parle beaucoup de restrictions, il ne devrait point y en avoir pour l'alimentation spirituelle, mais si malheureusement nous en avons souffert, la retraite nous fournit une excellente occasion de compenser cette sous-alimentation et de nous approvisionner pour nous et pour ceux dont nous avons la charge.

 Nous avons également besoin de retraite parce qu'étant données les difficultés qui nous attendent, nous sommes exposés à manquer à notre devoir si nous ne retrempons pas notre volonté.

Nous établirons donc, pendant la retraite, notre bilan spirituel, comme les hommes d'affaires établissent le leur pour prévenir la ruine. Ils constituent un fonds de réserve pour parer à des pertes éventuelles ; tâchons de pourvoir, d'une façon analogue, aux besoins spéciaux que peut avoir à envisager notre âme. Peut-être nous confiera-t-on un emploi difficile ou simplement contraire à nos goûts, qui exigera une plus grande abnégation. Peut-être devrons-nous résister à des assauts plus violents ou plus tenaces contre la vocation, la belle vertu ou l'esprit de soumission. Ne serions-nous pas exposés à succomber, alors, s'il nous manquait le surcroît de vigilance et de grâces que peut nous apporter la retraite bien faite ?

C'est avec raison que dans les luttes de la vie dont le salut est l'enjeu, la retraite est comparée au camp d'instruction, au terrain de manœuvres où l'on s'entraîne en vue de la victoire à remporter ; aussi n'est-il pas téméraire de dire que bien des défaites, des chutes et des défections seraient évitées si chacun correspondait, comme il convient, à cette grâce insigne.

Il avait bien compris l'influence d'une bonne retraite pour la persévérance le malheureux qui, étant sorti de la Congrégation, écrivait à un Frère chancelant : « Si tu veux sortir, garde-toi bien d'aller à la retraite. » Le démon ne parle pas autrement et s'il ne réussit pas à détourner les religieux de leur retraite, du moins tâche-t-il de les empêcher de la bien faire parce qu'il sait, qu'au point de vue spirituel, tant vaudra la retraite, tant vaudra l'année.

 Application à bien faire la retraite.

 Puisque nous avons grand besoin de la retraite, nous nous livrerons de notre mieux à ces saints exercices. Ne nous contentons pas de nous isoler du monde extérieur, efforçons-nous, en outre, de faire taire tout ce qui, dans notre monde intérieur, bien plus peuplé que l'autre, serait capable de nous distraire : comme les mille souvenirs agréables ou désagréables du passé, les rêves et les illusions de l'avenir, tous les fantômes d'une imagination plus ou moins rebelle au contrôle de la volonté. Il ne suffit pas non plus que nous écoutions, même d'une façon bienveillante, les instructions et les avis, mais nous devons tâcher de nous en pénétrer fortement par la méditation personnelle, nous appliquant surtout à y conformer notre conduite, car Notre-Seigneur ne se borne pas à dire : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu », il exige davantage : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent. » (Luc, XI, 28.)

Le fait de nous rendre à la retraite parce que nous y sommes convoqués, parce que c'est chose obligatoire à date fixe, nous incline à y apporter moins d'application que ceux qui la font par libre choix. Nous sommes exposés à la subir au lieu d'en profiter pour notre avancement spirituel.

Réagissons contre un tel état d'esprit toujours possible ; ne faisons pas la retraite vaille que vaille, ne nous bornons pas à suivre le mouvement général, mais tâchons, au contraire, de nous y livrer pleine-ment et d'être pour tous nos confrères un sujet d'édification.

 FRUIT A RETIRER DE NOS RETRAITES

 De tout temps le démon s'est attaqué de préférence aux âmes désireuses d'être entièrement à Dieu et résolues à étendre son règne. C'est pourquoi il cherche continuellement à ravir aux religieux le trésor de la vocation, ou, tout au moins, de l'affaiblir en les portant à la tiédeur.

Rien d'étonnant, dès lors, que dans la milice choisie de Dieu, à côté de la multitude des âmes ferventes, on en trouve qui vivent dans la médiocrité ou qui en arrivent à tourner le dos au divin Maître. Sans donner dans le travers qui porte parfois à tenir l'époque où l'on vit pour pire que les précédentes, il suffit de jeter un regard attentif autour de soi pour se persuader qu'actuellement ceux qui veulent embrasser la vie religieuse, y vivre saintement et y persévérer ont à vaincre de grands obstacles. Ces obstacles peuvent varier avec les divers pays, mais partout, il faut une trempe peu commune, beaucoup de générosité, un grand esprit de foi pour renoncer pleinement et jusqu'à la mort, au monde et à ses attraits. Cela s'explique, du moins en partie, par le désarroi des âmes, lequel est à la fois résultat et cause du désarroi de la société.

Les dernières guerres ont fait bien des victimes, amoncelé bien des ruines, causé de grands bouleversements, mais le plus déplorable résultat n'est-il pas dans les ravages dont les consciences ont été victimes ? De ce fait, on voit plus que jamais, les hommes fuir le sacrifice, méconnaître son aspect surnaturel et courir à la poursuite d'une vie de facilité. La notion de Dieu s'est altérée en bien des esprits et ceux qui ne nient pas son existence sont fort tentés de ne plus voir en lui le Maître absolu de toutes choses, à qui on doit obéissance entière.

Ces idées malsaines ne pénètrent que fort diluées dans nos communautés, mais elles y pénètrent tout de même et nous font courir le danger de ne servir Dieu qu'au rabais en attendant peut-être de le trahir et de l'abandonner. Ni le fléchissement de certains dans la ferveur, ni leur chute même ne doivent nous scandaliser, la faiblesse humaine ne les expliquant que trop. Du moins cela doit nous prémunir contre toute négligence volontaire afin de ne pas tomber, à notre tour, dans la lâcheté.

C'est dans ce but que je vous propose comme fruit principal des prochaines retraites : Un plus grand amour de notre sainte vocation.

Comme il n'est de meilleure preuve de cet amour que la ferveur et la constance au service de Dieu. je ferai quelques réflexions sur les points suivants :

Amour de la vocation :

Générosité dans l'accomplissement de nos devoirs ;

Persévérance jusqu'à la mort.

Le sujet étant très vaste, je me bornerai au rappel de quelques notions, à un retour rapide aux jours du Noviciat, les plus beaux que nous ayons vécus. Ce retour, étant donnée la bonne volonté qui vous anime, sera très utile, car c'est au Noviciat que commencèrent nos victoires et c'est l'oubli des leçons reçues alors qui explique le plus souvent, chez certains religieux, la diminution de leur ferveur et la perte de l'estime pour leur saint état.

 I. Amour de la vocation.

 a) Amour de notre vocation de religieux. Cet amour est commandé par celui que Dieu nous a témoigné en nous appelant et en nous conservant à son service où il nous comble de ses bienfaits.

De toute éternité, il a pensé au choix qu'il a fait de nous, nous préférant à bien d'autres qui se seraient montrés plus fidèles.

Il nous a fait naître dans un foyer chrétien, propice à l'éclosion de notre vocation qui est peut-être la récompense de la vertu de nos parents ou de nos ancêtres.

Il a pu se servir de moyens fort divers pour nous attirer à sa suite, mais peu importe la nature de ces moyens, ce qui est incontestable, c'est que tout don parfait, comme l'appel à la vie religieuse, vient du Père des lumières.

Avec les aptitudes voulues pour remplir les obligations de notre état, Dieu nous a donné la force de renoncer au monde et aux parents quand d'autres, imitant le jeune homme de l'Évangile, s'en sont allés tristes par un autre chemin. Et n'est-ce pas une grâce de choix ; ajoutée à la grâce insigne de la vocation que d'appartenir à une famille religieuse spécialement vouée à la Sainte Vierge ? Nous n'apprécierons jamais suffisamment la faveur d'être membre d'une Congrégation dans laquelle, par le nom que nous portons, par les Constitutions, par les usages établis, nous sommes tenus d'être les plus assidus à honorer, invoquer et servir Celle qui est la dispensatrice des grâces et la porte du ciel.

Et qui pourrait dire les bienfaits dont nous avons été comblés depuis que la bonté divine nous a retirés du monde, et ceux qui nous sont assurés pour l'avenir ! Bienfaits matériels et surtout spirituels, du temps et de l'éternité. Nous connaissons la réconfortante énumération qu'en fait saint Bernard, relisons-la, en méditant et en priant lorsque nous sommes portés à surestimer les oignons d'Égypte, lorsqu'un mirage séduisant et funeste nous fait prendre pour de l'or le clinquant du monde. Notre Vénérable Fondateur avait bien raison de dire : « Un Frère ne connaîtra que dans l'autre monde ce que Dieu a fait pour lui et comment il l'a aimé. »

Loin de moi cependant, la pensée de présenter la vie religieuse comme exempte d'épreuves. Elle en a, et parfois de bien grandes, permises par Dieu pour nous purifier. Notre-Seigneur ne nous dit-il pas de son Père : « Tout sarment en moi, qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde afin qu'il porte plus de fruits ?»

(Saint Jean, XV, 2.) Quelle touchante sollicitude ! Il ne nous retranche pas malgré notre indignité, il nous émonde en nous envoyant l'épreuve méritoire et sanctifiante !

Écoutons Bourdaloue nous dire : « Le grand avantage de la vie religieuse, c'est l'abnégation chrétienne, c'est la mortification des sens c'est la croix, et voilà sous quel aspect il faut l'envisager. Tout ce qui s'éloigne de cette vue, s'éloigne de la vérité et par conséquent n'est qu'illusion… Car, qu'est-ce, en effet, que la vie religieuse, sinon l'Évangile réduit en pratique et dans la pratique la plus parfaite ? Et qu'est-ce que l'Évangile, sinon une loi de renoncement à soi-même, de guerre perpétuelle contre soi-même ? » (Sermons.)

L'épreuve ainsi comprise ne saurait abattre et décourager le bon religieux car il lui reste toujours. même avec un cœur saignant, la joie intime, la seule vraie, celle du devoir accompli et de l'abandon à la Providence.

Parmi les confrères qui m'ont le plus édifié, il en est un surtout qui, humainement parlant, eut une existence très pénible : aux fatigues causées par les classes nombreuses d'enfants très pauvres, il ajoutait des mortifications volontaires telles que cilices, jeûnes, sommeil sur la dure ; malgré des infirmités précoces, il était habituellement des plus joyeux. Où puisait-il le secret de cette joie ? Dans ce qui fut sa grande préoccupation : mener une vie intensément religieuse pour contribuer au règne du Sacré-Cœur dans le monde. Terrassé par la maladie. cloué pendant quatorze mois sur un lit d'hôpital. amputé d'une jambe envahie par la gangrène, il disait encore : « Notre-Seigneur me traite en ami, s'il n'avait pas eu confiance en moi, il ne m'aurait pas envoyé une telle croix. »

Mais l'expérience et la simple raison ne nous disent-elles pas que les peines de la vie religieuse sont moindres que celles causées dans le monde par les passions, la politique, les affaires et même par la famille ?

Laissons à leur inanité les centaines de définitions du bonheur qu'avaient déjà trouvées les philosophes de la Grèce et de Rome, puisque, Dieu merci, nous connaissons les seules vraies, celles qui sont contenues dans les Béatitudes proclamées par Notre-Seigneur. Elles font bien riche la part du religieux fervent, quelles que soient d'ailleurs les vicissitudes par lesquelles il peut avoir à passer.

Combien consolantes sont ces pensées ! Celui qui les comprend bien est porté à s'écrier avec saint Augustin : « Que les autres choisissent les biens de la terre ; pour moi, le Seigneur est mon partage.»

b) Amour de notre vocation de religieux éducateurs. Si à la beauté et au mérite de notre vocation proprement dite nous ajoutons l'excellence de notre but secondaire, de notre mission d'éducateurs de la jeunesse, à qui pourrions-nous porter envie ? Lorsque nous voyons l'Église et ses ennemis se disputer par l'école les âmes innocentes, nous devons être fiers de défendre les intérêts du divin Roi sur ce champ de bataille de tous les pays et de tous les temps.

C'est là un sujet que je me borne à signaler car il est longuement et magistralement traité dans nos Avis, Leçons, Sentences et Instructions. Qui n'estimera comme un grand honneur de se voir désigner d'après la belle doctrine de notre Vénérable Fondateur comme le coopérateur de Dieu, l'associé de Jésus-Christ, l'auxiliaire des Pasteurs de l'Église, le remplaçant des parents et des gendarmes, l'ange gardien et le modèle des enfants, et, enfin comme un semeur de vérité dans des cœurs bien disposés ? Les paroles suivantes du Vénérable Père Champagnat résument sa pensée sur le sujet qui nous occupe : « Élever un enfant, c'est-à-dire l'instruire des vérités de la religion, le former à la vertu et lui apprendre à aimer Dieu, c'est une fonction sublime et plus élevée que celle de gouverner le monde. » Il fait sienne la doctrine de saint Thomas d'Aquin qui dit : « il est plus méritoire de communiquer la lumière que de briller, et l'occupation d'enseigner et de conduire les autres à la vérité est plus estimable que le martyre. »

L'habitude d'entendre le rappel de cette doctrine nous expose à perdre de vue sa valeur et à méconnaître la sublime dignité dont Dieu nous a investis.

De l'oubli de ces vérités peuvent naître deux sentiments également funestes : le découragement ou la mésestime.

On se décourage parce qu'on s'arrête à l'aspect humain, aux sacrifices qui sont la rançon obligée de toute conquête spirituelle, au lieu de penser aux fruits et aux récompenses de l'apostolat. On voit trop la monotonie de l'emploi, les défauts des enfants, le labeur pénible et l'on oublie que « ceux qui en auront conduit beaucoup à la justice seront comme les étoiles, éternellement et toujours». (Daniel, XII, 3.)

La mésestime pour la belle mission d'éducateur religieux se manifeste, parfois, d'une façon bien subtile. On la met en parallèle avec la mission du prêtre et le mal ne consiste pas à donner l'avantage à cette dernière, mais plutôt, à croire que l'on doit y aspirer sans un appel bien précis du ciel, appel qui d'après les auteurs est chose extrêmement rare pour un religieux profès. Le démon en a séduit plusieurs par de telles aspirations, qui les ont conduits, non au séminaire, mais dans le monde.

Ce sentiment de mésestime envahit de préférence des âmes éprises d'un bel idéal, mais elles oublient que si Dieu donne moins aux unes qu'aux autres, chaque âme reçoit assez pour réaliser les desseins providentiels sur elle. Elles oublient surtout qu'elles ont bien mauvaise grâce à trouver insuffisant ce que Dieu accorde d'une façon entièrement. gratuite. Le sentiment qui doit dominer en nous, c'est une sainte fierté et une vive reconnaissance d'avoir été appelés à remplir une des plus importantes missions de l'Église, celle que le Christ a pratiquée et qu'il a confiée à ses apôtres : « Allez, enseignez… »

 II. Générosité

dans l'accomplissement de nos devoirs.

 . Cette générosité est le meilleur moyen de ne pas enfouir nos talents. Notre-Seigneur fait appel à la générosité de chacun quand il dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, etc. … » (Matt., XIX, 21) « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. » (Matt., X, 37.) « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive. » (Luc. IX, 23.)

C'est d'abord l'invitation au détachement extérieur, le moins pénible quoique indispensable, et c'est ensuite l'invitation au détachement intérieur qui consomme le sacrifice.

Nous avons été généreux, nous avons renoncé à tout sans y être contraints, puisque Notre-Seigneur, comme le ferait un général pour des missions pénibles ou périlleuses, a demandé des volontaires. Nous nous sommes mis avec enthousiasme à sa suite, disant comme le divin Maître à son entrée dans le monde «Mon Père, me voici pour faire votre volonté. »

Manquer ensuite de générosité, traîner la croix que l'on a promis solennellement de porter, c'est renoncer à tendre à la perfection. Or, c'est traîner la croix que de vouloir se contenter de la vertu des simples chrétiens. Il est superflu d'abandonner le monde et ses livrées si l'on n'aspire pas à mieux ; l'Imitation le déclare en ces termes : « C'est le changement de vie et la mortification des passions qui font le véritable religieux. » (L. i, ch. XVII, v. 2.)

Saint Jérôme exprimait la même pensée lorsqu'il répondait à ceux qui le félicitaient d'habiter la Terre Sainte : « L'honneur n'est pas de vivre à Jérusalem, mais d'y vivre saintement. » Et l'abbé Bourdoise, Supérieur de Saint-Sulpice, disait à ses clercs : « Ceux qui ont le caractère de leur ordre sans en avoir les vertus ressemblent à de la fausse monnaie : la frappe est exacte, mais le métal est faux. »

On entend parfois, à ce sujet, des réflexions pénibles : « J'ai deux laïques en soutane dans ma communauté », disait un Frère Directeur. « Ce religieux reste chez nous par intérêt et non par conviction», avançait un autre. «Au moins envoyez-moi cinq Frères après la retraite », demandait un bon prêtre à un Frère Provincial. – «Mais vous les avez, Monsieur le Curé ? – Non, je n'en ai que trois. »

De tels propos sont rares, Dieu merci, et il est consolant de constater qu'en général nos religieux honorent leur habit et leur état. Ce serait contre nature, c'est-à-dire une monstruosité qu'il en fût autrement, comme ce serait contre nature qu'un général avec tous ses galons fût un mauvais stratège ou qu'une salle richement décorée devînt un vulgaire débarras.

Par conséquent, mes bien chers Frères, ne nous contentons pas d'éviter seulement les fautes graves, mais encore le péché véniel délibéré et même les simples imperfections. Appliquons-nous avec ardeur à l'acquisition des vertus de notre état, dédaignant la voie large qui n'est pas pour nous et nous engageant résolument dans la voie étroite, la seule qui conduise à la vie.

a) Générosité dans la garde des vœux. Ils sont le suprême témoignage de notre amour envers Notre-Seigneur, et lui, par sa grâce et ses exemples, nous aide puissamment à les observer.

Par le vœu de pauvreté, nous sacrifions des biens fragiles et caducs, dont l'acquisition et la conservation causent de graves soucis et qui servent trop souvent à satisfaire les pires instincts. En retour, Notre-Seigneur, qui n'eut pas où reposer sa tête, nous assure le centuple en ce monde et nous promet solennellement le ciel.

Par le vœu de chasteté, nous offrons un corps qui tend à asservir l'âme et qui est sujet à la maladie, à la décrépitude et à la mort. Nous consacrons un Cœur qui se laisse si aisément captiver par les créatures. En échange, Notre-Seigneur, que nul ne put convaincre de péché, se fait notre aliment pour amortir nos passions, nous rendre forts et déposer en nous un germe de vie et de résurrection. Il nous donne également son cœur, foyer de l'amour le plus pur, et avec cela une belle et grande famille dans nos Supérieurs, nos Frères et nos élèves.

Par le vœu d'obéissance, nous livrons notre âme notre intelligence sujette à l'erreur ; notre liberté si exposée à se reprendre et tendant aisément au libertinage ; et enfin notre volonté, inconstante et lâche au point de faire le mal qu'elle hait au lieu du bien qu'elle aime. En retour, Notre-Seigneur. qui fut obéissant jusqu'à la mort de la croix, nous conduit lui-même par nos Supérieurs, rend plus soumise en nous la chair à l'esprit.

Soyons délicats dans la garde des vœux car toutes les infractions, même les plus insignifiantes, rendent la conscience moins sensible et détendent les ressorts de la volonté, de telle façon que certains religieux en arrivent à des fautes graves, à des situations lamentables dont la seule pensée les aurait révoltés aux jours de ferveur. Aussi les Fondateurs se sont-ils appliqués à inculquer à leurs disciples le plus grand respect pour les vœux. et pour les vertus qui en font l'objet.

C'est ainsi que saint Dominique sur son lit de mort et saint Vincent de Paul dans ses discours, ont maudit les religieux qui n'observent pas la pauvreté.

Notre Vénérable Fondateur se montrait particulièrement sévère à l'égard de ceux qui s'oubliaient ostensiblement sous le rapport de « la plus belle et la plus délicate vertu » .

Saint Ignace a voulu qu'une parfaite obéissance fût la marque distinctive des véritables enfants de la Compagnie de Jésus.

b) Générosité dans l'observation de la Règle. Après avoir bien étudié la Règle au Noviciat, nous avons vu en elle le meilleur moyen de garder nos vœux et nous avons promis de l'observer. Nous n'avons pas dit que nous l'observerions seulement avec tels Supérieurs ou tels confrères, ni jusqu'à un âge déterminé, ni comme on l'observe dans telle communauté, ou à l'exception de certains articles. Nous n'avons ni posé des conditions ni fait des réserves ; elles auraient suffi à nous faire écarter de l'Institut.

Si alors l'idée d'enfreindre la Règle n'effleura pas même notre esprit, pourquoi nous soustraire, dans la suite et sans raison grave, à ses prescriptions Quand Dieu nous rappellera à lui, les combats contre la mauvaise nature, les sacrifices que nous aurons à nous imposer pour être fidèles à nos engagements auront un terme, mais il nous en restera le mérite. Heureux serons-nous si, à ce moment suprême, nous pouvons dire comme le Frère Malachie, directeur de la maison provinciale d'Aubenas : « Si c'était à recommencer, je ferais comme j'ai fait. » Mais au contraire, quelles perplexités sont réservées alors à ceux qui n'auront pas su se faire violence ? Ils éprouveront le trouble de celui qui, devant rendre ses comptes, reconnaît qu'il a abusé de la confiance de son Maître. N'attendons pas l'heure de la mort pour mettre notre vie en parfaite harmonie avec la Règle qui est le Code sur lequel le Juge divin établira sa sentence.

Faisons en sorte que l'on puisse dire de nous comme on a dit de certains religieux : « Après chaque chapitre de la Règle l'on pourrait écrire : c'est ainsi qu'agit ce Frère. Si la Règle venait à se perdre, il suffirait pour la reconstituer de voir la conduite qu'il observe. »

De saint Jean Berchmans l'on a pu dire : « Il a été une copie vivante de la Règle… Nous sommes prêts à jurer que nous ne l'avons jamais vu transgresser une Règle. » C'est que parmi les résolutions de ce saint nous relevons les suivantes que nous devrions faire nôtres : « Je veux haïr comme la peste une dispense dans l'observance des Règles. Je veux être mis en pièces, plutôt que de transgresser volontairement la moindre règle. »

Que les jeunes Frères observent la Règle généreusement afin de conserver la ferveur du Noviciat, à un âge où les ennemis de la vocation sont plus à craindre et où l'on acquiert des habitudes dont l'influence se fera sentir toute la vie.

Que les Frères les plus âgés l'observent de même, puisqu'il connaissent mieux la portée de leurs engagements et la responsabilité qu'ils encourent quand ils s'en écartent.

c) Générosité dans l'exercice de l'apostolat. Remplir d'une façon quelconque un ministère qui nous fait les auxiliaires de Dieu lui-même, pour que se réalise la fin de la création et de la rédemption, ce serait nous rendre indignes du choix dont nous avons été l'objet ; ce serait nous ranger parmi les serviteurs paresseux et inutiles.

Sachons nous sacrifier pour gagner les âmes, bien persuadés, comme le dit notre Vénérable Fondateur. qu'on ne peut être utile aux autres et procurer le salut des âmes qu'en se sacrifiant. Ne reculons pas devant les peines de l'emploi ; elles sont le breuvage de fiel qu'il nous faut boire avec esprit de foi pour être des rédempteurs. Acceptons joyeusement le travail qu'exigent la formation des élèves, la préparation des leçons, la correction des cahiers, la surveillance et les travaux supplémentaires qui ne manquent jamais. Pourrions-nous en faire moins que les hommes qui se donnent tant de mai pour acquérir une fortune ou les méchants qui exposent leur vie pour gagner des adeptes ?

Notre grande supériorité sur les autres maîtres est dans le dévouement, dans la donation totale de nous-mêmes pour la réalisation du plus bel idéal : donner Dieu aux âmes et les âmes à Dieu. Quand ce dévouement manque, l'idéal disparaît et l'on devient de simples instituteurs. Ce serait chose bien triste si des religieux, parce qu'ils ne sont pas exposés à perdre leur emploi ou à voir diminuer leur traitement, cherchaient dans leur vocation un modus vivendi fait de routine et d'insouciance.

Peut-être dirons-nous que les élèves ne correspondent pas toujours à nos efforts ; mais le propre de l'amour n'est-il pas de chercher, malgré tout et par tous les moyens, le bien de celui que l'on aime ? Aimons nos élèves, aimons leurs âmes et nous ne nous arrêterons pas aux peines de l'apostolat. Penser que nous pouvons semer dans, le cœur de nos élèves quelque idée généreuse, quelque sentiment chrétien, un vif désir de se sauver, devrait suffire à nous redonner courage aux heures de lassitude.

A plus forte raison reprendrons-nous courage si nous pensons que les âmes que nous aurons sauvées seront nos meilleurs témoins devant le Souverain Juge.

 III. Persévérance jusqu'à la mort.

 La générosité nous aidera puissamment à obtenir la grâce de la persévérance, car, si le pape Pie XI a pu dire en s'adressant aux chrétiens que « dans le monde actuel il n'y a pas place pour la médiocrité », à plus forte raison n'y en a-t-il pas dans la vie religieuse.

La vocation et la persévérance sont deux grâces distinctes. La première a été gratuite, nous devons obtenir la seconde par la prière et par la correspondance aux desseins de Dieu sur nous. Il nous faut chaque jour, renouveler la résolution de ne rien lui refuser, vivre sans cesse en religieux, si nous voulons mourir en religion, et chacun de nous, doit craindre car il n'est ni lieu, ni âge, ni vertu, ni talents qui mettent complètement à couvert de ce danger : les cèdres du Liban eux-mêmes peuvent tomber.

« J'en ai vu, dit saint Augustin, qui avaient la vertu de Basile et de Grégoire et ils sont tombés. » Lucifer et ses légions perdirent leur vocation au ciel, Judas dans le collège apostolique, et il avait, probablement, fait des miracles puisque saint Pierre dit de lui : « Il était l'un d'entre nous et il avait part à notre ministère. » Des prélats et des docteurs ont sombré dans l'hérésie et le schisme.

Sommes-nous plus forts que les colonnes de l'Eglise ? Craignons, soyons prudents, soyons fidèles à nos devoirs d'état. N'imitons pas ces religieux que nous voyons eux-mêmes préparer leur ruine, déchoir graduellement de leurs bonnes dispositions, ne plus se soucier de remplir leurs obligations. Leur vie ne s'orientant plus vers Dieu, ils s'en désaffectionnent et veulent alors se persuader qu'ils n'ont pas vocation, que l'on a forcé leur volonté, ou que la vie religieuse impose des devoirs impossibles à accomplir. Ce n'est pas, certes, que le Dieu de leur profession. ait changé ou qu'il ait retiré ses pro-messes en faveur de ceux qui le servent fidèlement ; ce sont eux qui ont changé, en abusant de la grâce.

De prime abord, du moins chez certains, la chute semble soudaine, mais en général une série plus ou moins longue d'infidélités a sapé les fondements, c'est-à-dire les convictions. Un long drame intérieur qui nous échappe, s'est déroulé, beaucoup plus compliqué que le drame extérieur sur lequel nous fondons nos jugements. Ce religieux a trop donné au monde et aux passions, la banqueroute s'en est suivie ; c'était fatal. Si les cheveux de notre tête sont comptés, les grâces que nous devons recevoir de la miséricorde divine le sont également. Il peut y en avoir des millions, mais nos infidélités sont autant de fissures par où elles se perdent.

Par la profession religieuse nous nous sommes consacrés à Dieu pour toujours. Ne perdons jamais de vue le caractère irrévocable de notre sacrifice lorsque notre imagination court après des chimères ; lorsque nous rêvons aux richesses, aux honneurs, aux plaisirs ; lorsque le bonheur apparent des mondains nous fait trouver froids et inhabitables les murs du couvent. Chaque fois que là loi de la chair veut prévaloir sur celle de l'esprit, cette pensée : je me suis donné pour toujours, nous aidera à mépriser les fantômes de notre tête en délire.

Il n'entre pas dans le cadre de cette circulaire d'énumérer toutes les causes de la perte de la vocation, mais on peut, semble-t-il, les ramener aux suivantes : la négligence dans la prière, le mépris de la Règle, l'oubli des fins dernières. Par suite, les moyens suggérés pour assurer la persévérance se résument dans l'intensification de la prière, l'observance de la Règle, la pensée de l'éternité.

 1° Attachons-nous donc fortement à la prière. La volonté par elle-même est bien faible, il faut demander à Dieu de la soutenir, de ne pas nous laisser succomber à la tentation. Quand le découragement menace de nous envahir ; quand l'amour trop humain des parents nous expose à oublier que nous ne devons pas les préférer à Dieu ; quand les passions nous invitent à leur donner dans le monde un champ plus libre. ; quand les défauts des confrères ou les nôtres nous rendent plus pénible la vie de communauté, en toute sorte de tentations contre la persévérance, demandons le secours du ciel. Redisons à Dieu, comme dans les litanies des saints, de daigner nous conserver et nous fortifier dans son divin service ; mettons plus particulièrement notre confiance en Marie, la Vierge fidèle, la RESSOURCE ORDINAIRE que l'on n'invoque jamais en vain.

Oui, la prière est bien le thermomètre de la fidélité à la vocation. Après de longues années, j'entends résonner encore à mes oreilles la voix émue, profondément attristée d'un Supérieur racontant une pénible scène avec un Frère résolu à rentrer dans le monde. Dans un suprême effort pour le retenir, il l'avait invité à se mettre à genoux avec lui pour réciter ensemble le Souvenezvous, mais il en avait reçu cette terrifiante réponse : « Je ne puis pas prier. »

Écoutons ce que dit sur ce même sujet le Père de Ravignan : « Croyez-moi, croyez-en mon expérience de plus de trente ans de ministère, j'affirme que toutes les déceptions, tous les échecs spirituels, toutes les misères, toutes les chutes, tous les pas en dehors de la voie, tout vient de la même source, du manque de persévérance et d'humilité dans la prière. » Et il ajoute : « Oh ! la prière ! il faut s'y jeter à corps perdu, sans cela on est englouti, dévoré… Vous êtes poursuivi, perdu, bouleversé, vous êtes je ne sais où, jetez-vous dans la prière comme un pauvre animal se jette à la nage, ne raisonnez pas, nagez : c'est-à-dire priez. »

 2° Attachons-nous à la Règle. Elle est le droit chemin du devoir, notre guide, notre phare, notre sauvegarde. Qui s'en écarte doit craindre les chutes les plus graves. Les rapports prohibés avec les séculiers, surtout avec les enfants et les personnes du sexe ; la satisfaction, sous des formes diverses de la sensualité ou de l'amour-propre l'oubli des exigences de la sainte pauvreté, donnent lieu à de fréquents manquements à la Règle et sont autant de voies par lesquelles de trop nombreux religieux sont retournés dans le monde. C'est ainsi que l'on a pu dire : « Qu'un sujet soit violemment retranché de son ordre ou expulsé, ou, que branche morte, il se détache lui-même, toujours il est victime de son inobservance. »

Tout d'abord il y a manque de respect pour la Règle, puis vient le mépris. L'on se marque peut- être une limite mais on la dépasse vite. On finit par ne plus se faire violence, par ne pas écouter les conseils des confrères ou des Supérieurs, par se montrer sourd aux reproches de la conscience. Les irrégularités minent fatalement l'esprit religieux et sur la pente glissante des concessions à la nature dépravée, on roule jusqu'à l'abîme.

Un tel malheur ne saurait arriver aux religieux fidèles à la Règle, car, comme le dit un auteur : « En est-il un seul qui soit retourné dans le monde ? Fidèle jusqu'au scrupule aux menues prescriptions, comment oserait-il trahir sacrilègement ses vœux ? Et pourquoi quitterait-il un couvent où il vit heureux ? Pourquoi abandonnerait-il sa famille religieuse qu'il aime et dont il est aimé ? Les enfants prodigues et les transfuges du cloître ne se recrutent pas habituellement parmi les meilleurs. Moins encore les Instituts sont-ils tentés de se débarrasser des sujets d'élite qui sont leur force et leur gloire. » (Culte de la Règle.)

On ne saurait trop le répéter : « Gardons la Règle et elle nous gardera. »

 3° Pensons à notre éternité. Enfin, pour que les peines de la vie religieuse nous soient plus supportables, pour que la terre ait pour nous moins d'attraits, ne perdons pas de vue notre sort éternel. Encourageons-nous en pensant, comme l'ouvrier, au riche salaire qui nous est promis. Demandons-nous ce que nous voudrions avoir fait lorsque la mort nous placera devant le tribunal de Notre-Seigneur.

Mais, dira-t-on, le salut est-il impossible dans le monde ? Non, sans doute, si l'on est appelé à y vivre, mais, ceux qui méprisent les grâces abondantes de la vie religieuse pourront-ils facilement se soustraire. au mal dans le siècle d'où Dieu, dans sa bonté, les avait retirés et où ils sont retournés en contrariant ses desseins ?

Ceux qui ont été lâches dans la vie religieuse seront-ils des héros là où les dangers sont plus nombreux ? S'ils ont été incapables d'imiter les exemples de vertu qu'ils voyaient autour d'eux, pourront-ils échapper à l'influence pernicieuse des mondains ? Il faudrait pour cela un miracle constant que ne mérite pas celui qui n'a pas profité de la grâce insigne de la vocation.

Malheureusement, comme le démon excelle à aveugler ceux qu'il veut perdre, le religieux qui prépare sa désertion écarte comme importune la pensée des jugements de Dieu et de son avenir éternel. La figure de ce monde qui passe lui cache la seule réalité véritable : Dieu, principe et fin de toutes choses ; Dieu de bonté et de miséricorde infinie, mais aussi Dieu de justice dont on ne se moque pas en vain.

Loin de nous scandaliser, à la vue de religieux infidèles, qui peut-être un jour furent meilleurs que nous, remercions Dieu de nous avoir appelés à son service et de nous y avoir gardés. Promettons-lui de mieux l'aimer et de mieux le servir afin qu'il nous fasse la grâce de mourir en prédestinés dans notre sainte vocation.

Le monde actuel cherche sa voie, il est en effervescence, l'on parle beaucoup de révolution sociale, de réformes de structure ; il se produit des changements profonds dans l'organisation des Etats, dans les lois économiques, dans les rapports internationaux, etc. L'avenir dira ce que valent ces réformes. Ce que nous pouvons assurer, c'est qu'elles n'ont qu'une importance bien minime pour nous en comparaison de la réforme de nous-mêmes, toujours nécessaire, toujours urgente, puisque la tendance à déchoir est la condition de tout homme, comme de toute société. Pour cette réforme, nous n'avons pas, Dieu merci, à chercher notre voie, elle est parfaite-ment tracée dans la Règle, nous devons tâcher seulement de nous y maintenir, d'y revenir au besoin, d'y progresser afin de mieux réaliser la fin de notre vocation et d'y persévérer.

C'est à ce travail que j'ai voulu vous convier en vous rappelant la bonté infinie de Dieu à notre égard ainsi que les devoirs que cette bonté nous impose.

J'engage instamment les Frères qui présideront les diverses retraites à insister, à leur tour, sur le besoin où nous sommes d'obtenir, que grâce aux efforts généreux de chacun, il y ait dans notre chère Congrégation, plus de ferveur et plus de constance au service de Dieu. J'engage de même, tous les retraitants à orienter leurs prières, leurs réflexions et leurs résolutions vers ce but : devenir des soldats plus fidèles de Notre-Seigneur et diminuer, autant qu'il dépend d'eux, le nombre de ceux qui, ayant mis la main à la charrue, regardent en arrière.

 Visite de délégation

aux Provinces d'Espagne

 MON RÉVÉREND FRÈRE SUPÉRIEUR,

 Votre vénéré prédécesseur, et par la suite les deux Vicaires Généraux qui lui ont succédé, m'avaient chargé de faire la visite canonique des diverses maisons d'Espagne.

Les difficultés survenues par suite de la guerre qui m'ont tenu éloigné de la Maison-Mère plus de trois ans, ma maladie ensuite, m'avaient empêché de présenter en temps opportun, un rapport détaillé de ces visites.

D'autre part, ce long séjour en Espagne m'a permis de prendre un contact direct et plus intime avec les Frères, les oeuvres et les nécessités des quatre provinces, au moment précis où l'organisation définitive devait avoir lieu pour hâter le redressement tant souhaité après la catastrophe.

C'est ce que je tâcherai d'exposer dans ce bref compte rendu que j'ai l'honneur de remettre entre vos mains.

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 A maintes reprises, la Circulaire et le Bulletin de l'Institut se sont faits l'écho des douloureux événements survenus en Espagne entre 1936 et 1939. C'est avec raison qu'on a pu écrire dans le Bulletin « que la tragédie espagnole constitue la plus sanglante que l'Institut ait traversée depuis son origine ».

D'ailleurs le tableau de nos Frères martyrs, qui, au nombre de 172, ont scellé de leur sang la fidélité à la cause de Dieu et à leur vocation de religieux éducateurs, en témoigne avec une tragique grandeur. Mais s'il est un fait prouvé tout au long de l'histoire de l'Église, c'est celui que traduit la pensée profonde de Tertullien : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. »

Nul doute que le sang versé par nos courageux martyrs et les souffrances et privations endurées par un grand nombre de nos Frères, durant ces années terribles, ne soient un ferment de vie pour nos oeuvres d'Espagne et un puissant encouragement pour le maintien de la ferveur et de l'esprit de zèle parmi nos religieux. C'est ce que j'ai eu la consolation de constater pendant la visite canonique faite aux maisons des quatre provinces, comme l'indique le petit tour d'horizon qui va suivre.

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 Par une décision du Conseil Général, en date du. 3 mai 1944, on dressa ce qu'on pourrait appeler la nouvelle carte géographique de l'Espagne Mariste. Cette décision comportait la création de quatre provinces, assez homogènes quant au personnel enseignant et en formation, et même quant au nombre d'élèves. La dénomination de Norte, Bética, Levante et Léon, correspond à peu près à leur position aux quatre points cardinaux. Chacune d'elles a un magnifique champ d'apostolat et l'heure est aussi très propice, car les autorités se préoccupent, avant tout, de la formation chrétienne de la jeunesse.

La décision des Supérieurs semble donc avoir été des plus opportunes, et l'on est à même d'eu constater les heureux résultats : un élan plus remarquable pour le recrutement, une administration mieux contrôlée, une direction plus efficace et même une certaine émulation de bon aloi entre les quatre provinces qui, d'ailleurs, se compénètrerit et s'entraident mieux que par le passé.

Les sujets en formation sont déjà plus nombreux qu'avant les événements : 607 en 1936 et 652 en 1947. Et malgré la fermeture forcée de plusieurs écoles, le nombre des élèves a augmenté sensible-ment : 26.177 en 1936 et 27.002 à la fin du cours scolaire de 1946. A la fin de l'année académique dernière, 929 bacheliers finissaient leurs études secondaires dans nos collèges ; en 1947 le nombre atteindra le millier.

L'un des facteurs les plus puissants de ce relèvement, et qui constitue en même temps un trait d'union entre les Frères des diverses provinces, est, sans doute, la Maison Éditoriale de Saragosse, qui poursuit la belle tradition de celle de Barcelone, détruite par la révolution communiste en 1936. Les Frères qui s'y dévouent, au nombre de 15, appartiennent aux quatre provinces. Les intérêts étant communs, chacun considère comme son bien propre tout ce qui regarde la Maison Éditoriale. De là la sympathie avec laquelle sont reçus les nouveaux livres édités chaque année, et l'enthousiasme qu'on met à les faire connaître et accepter par un grand nombre d'écoles.

Grâce à cet effort soutenu et à l'intelligence de ceux qui ont plus directement la responsabilité de l’œuvre, le nom de Edelvives a conquis d'emblée la première place parmi les entreprises similaires, tant par la valeur pédagogique de ses ouvrages, que par l'extension de sa clientèle et la quantité de ses livraisons.

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 Un organisme qui est en train de produire d'heureux résultats pour l'efficacité du labeur d'ensemble, est le secrétariat, organisé à Madrid, pour veiller aux intérêts communs des quatre provinces et de celles de l'Amérique espagnole. Toute question d'ordre ecclésiastique, missionnaire, militaire, économique ou administratif pouvant intéresser nos oeuvres ou les Frères espagnols en particulier, est étudiée et résolue avec empressement. On se préoccupe d'avoir des archives et des fiches aussi complètes que possible.

Dans le but de faire connaître le Vénérable Père Champagnat et d'attirer des vocations de choix, on envisage la publication d'une série d'opuscules ayant trait aux points suivants (soumis au préalable à l'approbation des Supérieurs et de l'autorité ecclésiastique) :

a) Vénérable Père Champagnat, apôtre du culte de Marie ;

b) Vénérable Père Champagnat modèle des éducateurs religieux ;

c) Vénérable Père Champagnat, précurseur de l'Action Catholique ;

d) Vénérable Père Champagnat et les enfants pauvres ;

e) Vénérable Père Champagnat et l’œuvre des missions.

Après ce qui vient d'être dit, qu'il me soit permis de faire un bref exposé sur chacune des quatre provinces.

 Norte.

 Cette province englobe la vieille Castille y compris Valladolid, la Navarre et les Pays Basques, où s'était établie l'ancienne province d'Anzuola, annexée à celle de Norte.

Moins favorisée que les trois autres quant à l'extension et à la population, elle jouit cependant de l'avantage d'être le centre d'un recrutement inépuisable et de première valeur. Mais loin de s'en prévaloir, elle se montre généreuse envers les provinces sœurs puisque celles-ci peuvent aller puiser à la source si chrétienne qu'offrent la Navarre et la vieille Castille.

La révolution marxiste n'épargna pas nos oeuvres de la région. Ce fut, d'abord, Barruelo, école destinée aux fils des mineurs, fréquentée par trois cents enfants d'enseignement primaire. C'est là, qu'en 1934, trouva la mort son Directeur, le serviteur de Dieu Frère Bernardo, dont la cause de béatification va être introduite à Rome.

Ce fut ensuite le tour de la maison provinciale d'Anzuola, saccagée et brûlée, et dont la communauté fut emmenée prisonnière à Bilbao. Le collège de cette dernière ville eut aussi à souffrir des dégâts considérables, par l'effet des bombardements de l'aviation. Il a fallu donc réparer toutes ces ruines et rétablir le cadre du personnel.

La province de Norte ne comprend pas de grandes villes dans son territoire. Cependant elle dirige d'importants collèges, tels ceux de Burgos, Pampelune, Logrono, Bilbao, Valladolid et Maracaibo avec un chiffre d'inscriptions dépassant 2.000 étudiants pour l'enseignement secondaire. Pour ce qui regarde l'enseignement primaire, elle se place au premier rang, avec 4.400 élèves. Elle tient aussi la première place pour la formation professionnelle, très appréciée dans la région. Notre école commerciale d'Oronoz et celles d'Arts et Métiers de Durango et de Zalla, jouissent d'un juste renom. D'autre part., c'est la province qui tient le plus grand nombre de petites écoles consacrées surtout aux enfants de la classe ouvrière, telles : Barruelo, Erandio, Galdacano, Placencia, Burgos (Circulo et Serramagna) avec plus d'un millier d'élèves.

La province vient de réaliser un effort considérable en menant à bonne fin l'agrandissement du Liceo Castilla, à Burgos, dans une conception tout à rait moderne. L'acquisition de l'immeuble du collège « La Immaculada », à Valladolid, est aussi un pas en avant vers un avenir qui s'avère plein de belles promesses. A l'honneur de la province, je dois faire mention de l'important collège qu'elle a su fonder à Maracaibo, dans le Venezuela, où vingt-quatre Frères se dévouent avec une grande générosité malgré les incommodités d'un climat excessivement chaud.

Je fais des vœux sincères pour que bientôt la province de Norte puisse avoir un second juvénat et un scolasticat indépendant et parfaitement installé. L'avenir de ses oeuvres l'exige.

 Bética.

 Issue de celle qu'on désignait sous le nom de Grande Province », Bética comprend une partie du centre du pays et de la région du sud-est, avec une superficie de près de 207.600 kilomètres carrés, et plus de 10 millions d'habitants. Comme extension et population, elle comprend plus du tiers de l'Espagne.

Sa dénomination lui vient du fameux « Bétis », le fleuve qui passe par Séville, connu aujourd'hui sous le nom de Guadalquivir. Elle est la plus récente et cela explique pourquoi elle a dû emprunter à Norte les locaux destinés au juvénat et au noviciat.

Bética tient la première place pour le personnel (474 sujets), et aussi pour le nombre d'élèves (7.672). Son champ d'action est immense et fait présager un bel avenir. Dans toutes les principales villes, telles que Madrid, Cordoue, Grenade, Tolède, Carthagène, Huelva, Lucena et Larache, fleurissent d'importants collèges fréquentés par plus de quatre mille étudiants de l'enseignement secondaire. La sollicitude de l'Institut pour l'éducation des enfants du peuple est mise en relief dans les écoles que la province soutient à Burgos, Arceniega, Villanueva de las Minas, et dans la gratuité de bon nombre d'élèves de l'enseignement secondaire.

Bética a été à l'honneur lors des tragiques événements de la révolution. Les communautés de Madrid, Murcie, Badajoz, Carthagène et Huelva eurent à gravir leur calvaire. Mais c'est surtout à Malaga et à Tolède que nos Frères durent payer le plus dur tribut de sang. Dans la première de ces villes, la moitié de la communauté périt, et à Tolède onze Frères sur douze turent fusillés.

Le vaste territoire réservé au zèle de nos Frères de Bética offre un champ d'apostolat de tout premier ordre. Par défaut de clergé, l'ignorance religieuse sévit, dans certaines régions surtout, avec les conséquences les plus fâcheuses. Aussi les associations d'Action Catholique établies dans nos collèges ont pris à cœur d'organiser des centres catéchistiques dans les quartiers les moins favorisés des agglomérations urbaines. Les résultats obtenus à Madrid, Cordoue, Séville et autres villes, sont des plus consolants. Je me fais un devoir de féliciter ceux qui se dévouent à cette oeuvre, tout en encourageant le plus grand nombre d'autres à imiter cet exemple.

Le recrutement et les maisons de formation constituent la principale préoccupation des autorités de la province. Le développement de ces oeuvres demande d'urgence un accroissement du nombre des sujets et l'installation définitive du juvénat et du noviciat.

 Heureusement, des vocations de choix commencent à surgir dans divers collèges, ce qui est de bon augure pour l'avenir. Cordoue et Séville en sont la preuve.

Le scolasticat s'organise dans la belle propriété de Castilleja de la Cuesta, aux environs de la capitale de l'Andalousie. D'autre part, on vient d'acquérir un vaste terrain dans le but d'y installer le noviciat.

Reste le juvénat d'Arceniega, obligé de vivre de la généreuse hospitalité que lui offre la province de Norte. Diverses démarches ont été effectuées afin de trouver un local ad hoc, mais sans résultats jusqu'à présent ; Dieu aidant, la solution souhaitée ne se fera pas attendre beaucoup,

 Levante.

 Cette province comprend les anciens royaumes de Catalogne, d'Aragon et de Valence, avec une population globale de 6 millions d'habitants. A juste titre, Levante se flatte d'être le berceau de l’œuvre mariste en Espagne. Ce fut, en effet, à Gérone, dans la Catalogne, que le 19 décembre 1886, s'installaient les premiers Frères, dans le but d'apprendre la langue du pays, et que, le 1ierjuin 1887, s'ouvrit la première école, dédiée au Sacré-Cœur de Jésus.

Le bon Dieu permit que le Révérend Frère Théophane, qui avait tant favorisé la fondation et l'épanouissement de nos oeuvres en Espagne, allât finir ses jours à Mataro, où il se trouvait en visite, le 17 avril 1907. Son corps repose dans le cimetière de cette ville, qui avait accueilli nos Frères avec une vive sympathie.

Malgré l'esprit révolutionnaire qui sévit longtemps dans la Catalogne, la province de Levante ne cessa de voir ses oeuvres se multiplier et devenir prospères jusqu'en 1936, année où elle faillit périr. C'est elle, en effet, qui eut à souffrir la plus grave atteinte de la fureur satanique des bolcheviks. Toutes nos maisons de Catalogne et de Valence endurèrent les plus graves épreuves et connurent le pillage ou l'incendie.

Plus de la moitié des glorieuses victimes que nous vénérons aujourd'hui exerçaient leur zèle dans les diverses communautés de la région.

Le procès de béatification du Frère Crispant, directeur du juvénat de las Avelanèdes, se poursuit au tribunal ecclésiastique de Lérida. Plusieurs autres procès sont envisagés.

Nombre d'écoles restent encore fermées malgré les appels réitérés des autorités et des populations, mais l'élan n'a pas été arrêté. Plus de 7.000 élèves fréquentent nos classes, dont 2.500 les cours de baccalauréat.

La province vient de mener à bon terme deux entreprises de grande envergure : la construction des collèges de Barcelone et de Saragosse, ce qui nous place, dans ces deux villes, en toute première ligne parmi les institutions enseignantes. Des projets sont aussi à l'étude pour Valence, Alicante et Lérida.

Comme partout ailleurs, les œuvres de formation tiennent la première place dans les préoccupations des Supérieurs de la province. La maison de las Avelanèdes, vaste enceinte qui permet le fonctionne-ment d'une communauté assez nombreuse, avec infirmerie attenante, et des sections comprenant juvénat, noviciat, scolasticat, ne suffit pas pour abriter la jeunesse qui s'y prépare à sa belle mission de demain ; aussi on envisage la possibilité d'une installation ailleurs du scolasticat, ce qui favoriserait le développement des divers groupes.

Je tiens à faire une mention spéciale de l'intérêt que porte cette province à l'organisation des œuvres postscolaires. Les Amicales des anciens élèves sont établies dans presque tous les collèges, à tel point qu'une fédération a pu être constituée.

 Léon.

 Ce fut dans la séance du 20 juin 1920 que le Conseil Général décida la création de cette province, issue de celle d'Aubenas, dont elle faisait partie. Les régions de Léon, Palencia, les Asturies et la Galice lui furent assignées, avec faculté de s'établir à Madrid. Cela représente une population d'environ 6.200.000 habitants.

Le territoire qui lui est échu, est des plus variés et des plus pittoresques de la péninsule. C'est surtout dans la région de la Galice, au nord-ouest de l'Espagne, que les œuvres se sont développées.

Léon comprend en ce moment quelque 450 sujets et près de 5.500 élèves, dont 2.800 suivent l'enseignement secondaire. La maison de Tu renferme toutes les ouvres de formation : juvénat, noviciat et scolasticat. Un second juvénat est en projet

Venta de Baños. On souhaite que les revenus de la province permettent la prompte réalisation de ce vœu.

Je dois déclarer avec satisfaction qu'un certain nombre de bonnes vocations viennent de nos col-lèges, choisies parmi les grands élèves. Le mouvement est donné vers ce recrutement tant désiré, et je ne doute pas qu'il aille en s'accentuant.

La province de Léon paya aussi un dur tribut à la révolution communiste. Deux communautés surtout, celles d'Oviedo et de Madrid, furent durement éprouvées. La première vit le local du collège détruit en grande partie et l'un des Frères tué par une bombe. A Madrid, la maison fut saccagée de fond en comble, et six Frères furent mis à mort par les marxistes.

Tel est, Mon Révérend Frère, le bref résumé de la situation de nos oeuvres en Espagne, au commencement de votre généralat. Cela fait un total de près 1.200 Frères en fonction, quelque 650 sujets en formation et plus de 27.000 élèves dans nos classes. Partout on tâche de relever les ruines accumulées par les sans-Dieu. Les Frères se portent à cette noble mission avec un entrain et un dévoue-ment dignes d'éloges.

Les Chers Frères Provinciaux et leurs conseillers, comme aussi les Directeurs locaux, veillent au maintien de la régularité et je puis affirmer que les Frères se sentent de plus en plus disposés à l'accomplissement de leurs devoirs de religieux éducateurs, sous la protection de la Vierge Immaculée et du Vénérable Père Champagnat.

Tel est l'héritage que m'ont laissé mes vénérés prédécesseurs, les Frères Bérillus, Michaélis, Flamien, Augustin-Joseph et vous-même, mon Révérend Frère Supérieur, dans votre court passage comme Assistant d'Anzuola. Avec le secours d'En-Haut je m'emploierai, de mon mieux, à le faire valoir.

                          Frère SIXTO, A. G.

 Visite de délégation à Madagascar

    MON RÉVÉREND FRÈRE SUPÉRIEUR,

 La Mission de Madagascar, où je viens d'accomplir la visite de délégation que vous m'avez confiée, est certainement l'une des plus belles missions de l'Institut. Vos enfants de là-bas, soit européens, soit malgaches, ont été bien touchés de savoir que vous les avez en particulière affection, après le long isolement où ils ont été, du fait de la guerre notamment. Mon arrivée parmi eux si peu de temps après le Chapitre et par la voie la plus rapide, celle des airs, leur en était une preuve manifeste. Ils vous remercient de tout cœur et m'ont chargé de vous dire leur attachement à votre personne vénérée et à l'Institut.

Je puis vous donner sur cette lointaine mission des renseignements qui intéresseront sûrement les confrères du monde entier, d'autant plus que je suis heureux de rendre témoignage de leur régularité, de leur piété et je puis dire de leur ferveur, en même temps que de leur zèle vraiment apostolique.

L'île de Madagascar est, comme on sait, plus grande que la France, mais sa population n'est guère que de 4 millions d'habitants. A peu près entièrement païenne il y a soixante ans, elle entre rapidement dans le sein de l'Église catholique, qui y compte aujourd'hui plus de 600.000 fidèles. Le paganisme malgache n'offre pas une résistance bien sérieuse. Il n'est pas solidement constitué avec clergé, temples, faux-dieux, etc. Rien de tout cela n'existe. Même les païens malgaches croient en un Dieu unique, créateur de toutes choses. Cette notion reste d'ailleurs assez vague et c'est une nuée de superstitions, de coutumes, d'amulettes, de sorcelleries qui font toute la religion. On 'n'a donc guère à lutter que contre des sorciers locaux et des pratiques superstitieuses. De là les conversions nombreuses que semble limiter seul le faible effectif des apôtres de l'île : Pères, Frères, Sœurs et catéchistes.

Nos Frères ont été appelés à l'aide par les Pères de La Salette qui évangélisent le vicariat apostolique d'Antsirabé, situé à peu près au centre de l'île. Notre première école fut ouverte à Betafo. en 1911 et ensuite, en 1920, eut lieu notre installation à Antsirabé. La première école compte aujourd'hui 250 élèves et la seconde 575. Les programmes sont assez élevés, puisque l'on conduit quelques élèves, chaque année, au diplôme d'instituteur. Ces deux écoles ne reçoivent que des Malgaches mais l'enseignement se fait en français dans les hautes classes. Il y a dans chaque école quatre ou cinq Frères en tête et, à la suite, des professeurs civils généralement anciens élèves. Le salaire des maîtres est fourni par la Mission. Il faut avouer qu'elle n'est pas riche et que ses charges immenses ne lui permettent pas de nous donner un bien fort traite-ment. On se contente de peu, comme cela convient à qui veut être réellement missionnaire.

Au point de vue de la piété et de la formation chrétienne, tout se passe comme dans les meilleures écoles de l'Institut. Les enfants sont aussi intelligents qu'ailleurs, d'un naturel plutôt doux et calme, et ils donnent à leurs maîtres bien des consolations. Les régions de Betafo et d'Antsirabé, qui sont parmi les plus anciennement évangélisées, sont presque entièrement chrétiennes et d'une ferveur qu'on voudrait bien trouver partout, dans nos vieux pays. Il y a, par exemple, peu de cathédrales au monde, comme celle d'Antsirabé, où les abords des confessionnaux ont dû être munis de grilles et de chicanes, nécessaires pour canaliser les foules qui les assiègent à toutes les fêtes et même les samedis soir et dimanches matin. Les communions des jours de fête sont interminables. On voit de braves chrétiens venir à pied, avec leur famille, de 10, 20 et 30 kilomètres, pour ne pas manquer la communion du premier vendredi du mois. C'est souvent qu'à Betafo, notamment, les prêtres passent toute la matinée au confessionnal, pendant qu'un de leurs confrères distribue la sainte communion jusqu'après midi.

A Antsirabé, à côté de l'école malgache, nous avons pu établir une maison de formation. Elle a été bâtie par nos soins, en 1924, dans un terrain de quatre hectares, aujourd'hui bien mis en valeur. Le bâtiment, assez long, comprend deux œuvres distinctes : à une extrémité, une école dite « européenne », car elle est réservée surtout aux petits Français, créoles ou autres non malgaches. Elle s'ouvre pourtant petit à petit à ceux-ci. Elle compte une bonne centaine d'élèves, dont 45 internes. Ces internes proviennent de toutes les régions de l'île, depuis Diégo Suarez, qui est à 900 kilomètres au nord, jusqu'à Fort-Dauphin qui est à 600 kilomètres au sud. C'est d'ailleurs ce qui fait espérer qu'un jour prochain on pourra établir, en la développant, un collège complet. Mais il est encore à bâtir. Heureusement que le terrain est acquis déjà, en prévision.

L'autre partie de la maison est consacrée au juvénat, noviciat et scolasticat. Sans doute il y a, faute de place, un peu de compénétration, mais tout cela s'arrangera avec du temps. En mission, on fait comme on peut, dans les commencements. Et ici on ne saurait trop louer ceux qui ont commencé le recrutement sur place, sans trop se soucier des conditions matérielles lesquelles, en 1921, étaient encore bien piètres.

En effet, nos Frères, après une dizaine d'années d'apostolat, eurent l'heureuse idée de réunir quelques enfants qui leur paraissaient avoir les dispositions voulues pour la vie religieuse. Leur attente n'a pas été trompée. Toutes les Congrégations et tous les Vicariats apostoliques ont tenté la même expérience et tous ont réussi dans une proportion encourageante. La proportion, dans le Vicariat d'Antsirabé, est actuellement de 12 prêtres français pour 12 malgaches. Disons, en passant, que sur ces derniers il y en a onze qui sortent de nos écoles. Pour nous, la proportion est encore plus forte. Elle était, le 8 décembre dernier, de 23 Frères malgaches sur 32 religieux. Et il y avait encore, pour assurer l'avenir, 24 juvénistes. Le juvénat est actuellement bloqué par le manque de place… et de riz. La cherté des vivres se fait sentir ces derniers temps bien plus que pendant la guerre et la prudence veut que nous arrêtions à ce chiffre le nombre de juvénistes, pour le moment.

J'ai eu le cœur navré d'en voir refuser deux qui se sont présentés pendant mon séjour, mais que faire ?

Je dois dire que les ressources du secteur sont bien réduites. Après l'aide que donne le pensionnat de l'école européenne, il n'y a guère que la culture du vaste enclos.

Aussi, comme ceux qui ne sont pas riches et qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front, juvénistes et novices passent la plus grande partie de leurs récréations aux travaux du jardin. Ils piochent et ils bêchent ou bien sèment des haricots, sarclent le maïs, vendangent la vigne et cueillent des fruits, dont une partie peut être vendue. Le climat des régions où nous sommes établis est merveilleux. L'altitude de 1.400 mètres, sous les tropiques, donne un. été sans chaleurs excessives, entre 20 et 25 degrés. Et, de plus, il y a pendant cette saison, qui est la saison humide, une pluie à peu près chaque soir. Aussi il faut voir comme tout pousse. Les arbres fruitiers, pruniers et pêchers surtout, ont des branches qui plient jusqu'à terre. La vigne est chargée de beaux raisins. Les arbres croissent avec une rapidité à laquelle nous ne sommes pas habitués ailleurs. Ainsi, les pins plantés au bord de la cour des juvénistes, il n'y a que treize ans, ont déjà, quelques-uns du moins, un mètre et demi de tour. Il en est de même polir les eucalyptus d'une autre cour.

Tout fait espérer que de futurs développements sont sur le point d'être réalisés. En effet, les huit novices de l'an passé ont prononcé leurs premiers vœux à la fin de la retraite du 8 décembre et sont passés au scolasticat. Cela promet pour bientôt quelques sujets pouvant enseigner et par suite la fondation de quelque école nouvelle. D'autre part, après l'isolement causé par la guerre, voici qu'on a déjà pu envoyer quelques Frères aider cette belle mission. II y en aura bien encore quelques-autres, les années suivantes et, puisque nous avons sur place des vocations suffisamment abondantes il suffit de les former et de les encadrer pendant quelque temps.

Le bien accompli par nos Frères de Madagascar est considérable. Il faut signaler que nos écoles ont formé, non seulement de bons petits chrétiens, mais encore un bon nombre de catéchistes ou d'instituteurs répandus aujourd'hui dans une centaine de centres éloignés. Les prêtres étant trop peu nombreux, c'est au moyen de catéchistes qu'on atteint les villages éloignés. Ces jeunes gens, une fois formés, s'établissent dans une localité dont les missionnaires entreprennent l'évangélisation. Là ils assurent l'instruction chrétienne des enfants et le service du dimanche pour les villageois déjà chrétiens. Leur nombre grossit rapidement. Dès qu'ils sont un peu nombreux, ils construisent une chapelle qui leur sert de lieu de culte. Un Père. peut alors y aller de temps en temps baptiser, marier, confesser, dire la messe et communier les fidèles.

En peu d'années c'est un centre bien vivant où le bon Dieu est connu, aimé et prié par de fervents néophytes. Ces catéchistes font un bien immense. Plus de cent sont sortis de chez nous et cet apostolat continue sans arrêt. Quelques-uns d'entre eux sont de vrais apôtres, d'un zèle infatigable. Les Pères ne les perdent pas de vue. Ils ont leur retraite de trois jours chaque année. A Betafo, ceux de la région viennent chaque veille du premier vendredi du mois, passer une journée de récollection. Toute Vile est ainsi travaillée par un ferment chrétien et s'il y avait plus d'ouvriers sa conversion complète serait assurée en bien peu de temps. Mais souvent un Père a pour lui tout seul cinquante postes à par-courir, ce qui ne lui laisse que peu de temps pour chacun d'eux. Et quelle vie pour ces pauvres Pères, sur la côte surtout, où le climat est torride, où les -fièvres perfides les épuisent et où le confort des stations est plus que rudimentaire. Il faut voyager dans la brousse, souvent sous des pluies torrentielles et dormir sur la dure.

Mais cela ne fait pas peur à ceux qui veulent à tout prix avancer le règne de l'évangile. Nos Frères aussi couchent sur des planches, les beaux sommiers métalliques n'ayant pas encore fait leur apparition dans bien des régions de la grande île. Et c'est sur cette note que je puis finir ce petit rapport. Vos Frères de Madagascar, mon Révérend Frère, sont des modèles de pauvreté et leurs écoles, pauvres à souhait, où tout est gratuit pour les nombreux enfants qu'ils instruisent, sont tout à fait de celles dont le Chapitre a rappelé que nous devions nous soucier avant tout.

Frère JEAN-ÉMILE, A. G.

 Nouvelles d'Allemagne

 On sera heureux d'apprendre que nos œuvres, presque complètement ruinées en Allemagne par la persécution nazie et par la guerre, se réorganisent d'une façon très satisfaisante grâce à la protection du ciel et au courage de nos Frères.

La maison provinciale de Fürth ayant été transformée en hôpital pour aveugles, les Frères, les novices, les postulants et juvénistes, en tout au nombre de 80, furent pendant quelque temps entassés dans les dépendances, en des locaux trop étroits. Le même réfectoire était occupé pour chaque repas, successivement par trois groupes. Pour les offices religieux on devait se rendre à l'église du village. Peu à peu on a pu, à force d'instances, reprendre possession d'abord de quelques salles, puis de la chapelle, puis d'un étage et enfin, en novembre dernier, de toute la maison. Dieu soit béni ! Quels beaux recommencements on se promet avec l'aide de notre « Ressource Ordinaire »

A Straubing les deux bâtiments du scolasticat sont restés jusqu'à ce jour occupés, l'un par des réfugiés, l'autre par des officiers américains. Les six scolastiques, qui suivent les cours de l'École normale officielle, sont logés, trois à trois, avec leur Frère Directeur, dans des maisons amies.

Le juvénat de Recklinghausen a été vendu obligatoirement à la ville avant la guerre et les Frères qui devaient l'abandonner, purent, grâce à l'intervention de l'Évêché, rester dans la cave où, pendant cinq ans ils ont vécu péniblement, laissant le rez-de-chaussée et les deux étages à des bureaux d'administrations diverses, ou à des familles privées de leur habitation par les bombardements ou par l'avance des armées.

Quoique l'installation de nos Frères fût précaire, ils pouvaient du moins continuer à cultiver le jardin et à fabriquer du biphosphate. On nous apprend que l'usage de leur maison vient de leur être rendu ; ils ne peuvent la racheter pour le moment, malgré les nombreuses démarches tentées à cet effet. D'autre part, le manque de vivres et de combustible n'a pas permis de rouvrir le juvénat qui, comme autrefois, compléterait si bien celui de Furth. La volonté bien arrêtée des Supérieurs de la province est de rétablir ce juvénat dès que disparaîtront les obstacles indiqués.

Notre pensionnat de Cham fut occupé par des réfugiés polonais, puis par l' U. N. R. A. Depuis dix-huit mois les Frères et leurs cent-vingt pensionnaires avaient reçu l'hospitalité dans une maison de retraite des Pères Rédemptoristes. Au moment où ceux-ci voulaient absolument reprendre la dis-position de leurs Iocaux pour leurs propres étudiants, on annonçait au Frère Directeur que les clefs de notre pensionnat nous seraient remises le 9 janvier. C'est fait, mais le mobilier, les objets de première nécessité, le charbon font défaut. Néanmoins on est optimiste. Le Frère Directeur qui jadis fonda le pensionnat au milieu d'autres difficultés est plein de confiance en saint Joseph. Ce grand saint n'a-t-ii pas déjà maintes fois montré sa puissante protection sur cette maison, placée sous son patronage spécial ?

Le pensionnat de Mindelheim, fermé par la persécution au moment de sa plus grande prospérité, fut laissé en location à la ville et occupé par des réfugiés ou des malades de tous pays et de toutes catégories.

Quand, l'an passé, à la demande de la municipalité et de la population, très attachées aux Frères, nous avons repris possession de nos locaux, ils étaient dans un état lamentable : conduites d'eau, installations électriques, w.-c., lavabos, robinets, serrures demandèrent d'importantes réparations et le matériel nécessaire était et est encore quasi introuvable.

On réalisa l'impossible à force d'ingéniosité et de dévouement. Enfin on put faire la rentrée et les élèves affluèrent. Ils sont maintenant 650, dont 140 internes, avec .14 classes conduisant au baccalauréat. Les autorités scolaires sont bienveillantes et assurent à l'école tous les avantages des écoles officielles.

Cette bienveillance s'explique d'autant mieux que le pays souffre d'une très grande pénurie de maîtres, qu'en maints endroits une classe compte jusqu'à 150, 200 et même 250 élèves, dont les diverses sections viennent, à tour de rôle, sept ou huit heures seulement par semaine.

La Bavière seule aurait besoin de 22.000 maîtres et n'en a que 14.000 dont 6.500 n'ont qu'une formation insuffisante. Plus de cent mille enfants en âge scolaire n'ont reçu jusqu'ici, aucune instruction.

En résumé, nos Frères, malgré le milieu où ils ont dû vivre, sur les divers champs de bataille ou dans les camps de prisonniers sont, en général. revenus pleins d'attachement à leur vocation et à la Congrégation, avec le désir de contribuer au relèvement moral et religieux de leur pays, décidés à reprendre, dès qu'ils le pourront, les oeuvres abandonnées à Remagen, à Bad Reichenhall, à Kempt, etc. Mais ils ne sont malheureusement plus en nombre suffisant. Aussi le recrutement a-t-il été intensifié et le sera-t-il encore davantage dans la suite.

Déjà la statistique du 1ier janvier est encourageante : 34 juvénistes, 18 postulants, 6 novices, et le Cher Frère Provincial a bon espoir d'atteindre le chiffre de 70 ou 80 juvénistes avant la fin de l'année.

 Nouvelles de Chine

 Les nouvelles de Chine ne sont pas bien bonnes depuis déjà du temps. La guerre a duré là-bas trois ans de plus que chez nous et elle ne semble pas finie, vu les mouvements communistes qui s'y continuent.

Nos Frères de Wei-hai-wei et de Che-foo en ont su quelque chose. Les deux établissements sont fermés, la région étant sous le joug communiste. Des Frères avaient d'abord été forcés d'aller suivre des cours de formation communiste. On voulut alors les nommer à diverses écoles. Ils obtinrent de rester réunis, mais profitèrent de la première occasion pour se sauver en zone tranquille. Le Frère Directeur de Wei-hai-wei étant resté sur place a été.. peu après, traîné devant un de ces soi-disant tribunaux populaires, puis frappé, malmené et pro-mené à travers la ville sous les injures et les huées de la foule ameutée. Deux jours après, nouvelle scène du même genre. Une semaine plus tard on voyait encore sur son corps la trace des coups de fouet reçus. Le plus affligeant de l'affaire, c'est qu'on avait dressé des anciens élèves de l'école pour le rôle de bourreau de leur maître. C'est l'histoire du martyre de saint Cassien renouvelée de nos jours.

D'autre part, l'école fut mise au pillage et le Frère Directeur condamné à diverses amendes 3.000 dollars, pour avoir vendu des livres classiques : 4.000 dollars pour avoir donné des costumes aux professeurs ; 400 dollars pour avoir mangé du sucre et ainsi de suite. Le Frère fut réduit à liquider ce qui restait de mobilier pour se libérer. Un autre Frère était accusé d'avoir enseigné le japonais (qui était d'ailleurs obligatoire pendant l'occupation, dans toutes les écoles, même au noviciat de Pékin), d'avoir mal parlé des communistes. Mais heureuse-ment il était déjà hors de prise. Le Frère Directeur, quelques jours après, avec la complicité d'amis dévoués put, grâce à un faux passeport, franchir la zone dangereuse et se réfugier à Tsin-tao.

Il écrivait à cette occasion : « J'ai grandement souffert corporellement, mais, intérieurement j'ai senti de grandes consolations, car j'ai imité Notre-Seigneur flagellé et promené dans les rues de Jérusalem.»

Comme on le voit, notre belle province de Chine passe par de mauvais moments. Demandons au bon Dieu de lui venir en aide.

 Nouvelles de Ceylan

 L'isolement causé par la guerre a forcé la mission de Ceylan à vivre un peu repliée sur elle-même. La province de Chine, dont elle fait partie, était entre les mains des Japonais et les communications étaient impossibles avec l'Europe.

Mais voici que le Cher Frère André-Gabriel, Provincial de Chine, à son retour du Chapitre, a pu y séjourner quelques jours et il nous donne d'intéressantes nouvelles.

Tout d'abord, les Frères ont pu continuer à peu près en paix leur travail. Il y a eu pourtant au collège de Négombo une réquisition des locaux, pour y loger des soldats, et cela a bien dérangé les classes qu'il a fallu transporter sous des cases provisoires. Le juvénat qui venait à peine de commencer dans ce même local a dû être suspendu. Malgré tout, l'île a connu une ère de prospérité, du fait qu'elle se trouvait être la dernière région insulaire échappée aux Japonais et presque la seule à pouvoir fournir le caoutchouc, le copra et le thé. Les Frères en ont profité pour obtenir, par des souscriptions, quelques ressources qui serviront à l'agrandissement de leurs bâtiments. Les anciens élèves, même bouddhistes. se sont montrés, en cette occasion, bien attachés aux Frères.

Nous avons à Ceylan quatre belles écoles. La dernière fondée est celle de Tudéla qui, en quatre ans, est déjà montée au chiffre de 400 élèves. Les trois autres sont : celle de Négombo, grand collège de 900 élèves, celle de Wennapuwa qui en a 300 et celle de Bandarawella qui a passé, en pleine guerre, de 300 à 600 élèves. Les trois premières sont sur la côte, dans un climat fort chaud. La quatrième est au centre de l'île, dans la région des montagnes, à 1.300 mètres d'altitude. Elle jouit d'un climat délicieux, le thermomètre restant constamment aux environs de 22 degrés. C'est ce qui fait espérer qu'on pourra y créer un beau pensionnat, un jour, dès que les ressources le permettront. 11 est déjà commencé, mais, faute de place, ne peut se développer.

Au total cela fait environ 2.200 élèves et il faut avouer que pour une vingtaine de Frères, c'est beau-coup de besogne, même avec l'aide de toute une équipe de professeurs civils. Aussi le manque de Frères a fait songer au recrutement sur place. Il est en plein essor. Un juvénat ouvert tout de suite après la guerre compte actuellement une dizaine de jeunes gens et il faut maintenant songer à leur bâtir de quoi les abriter. Là, comme ailleurs, dans les missions, c'est la crise de croissance, où tout manque à la fois, les locaux, les professeurs et les ressources. Mais là aussi on la passera, à force de dévouement.

Un des obstacles au recrutement qui s'ajoute à ceux que connaissent bien partout ceux de nos Frères qui s'y dévouent, est le système des castes dont tout le monde a entendu parler, à propos dès Indes.

On ne peut admettre encore. ni dans le clergé ni dans les ordres religieux des sujets, pourtant bien disposés, mais qui appartiennent aux castes réputées basses. C'est une ennuyeuse nécessité. Elle est apparemment bien opposée à la sainte égalité entre fidèles, qui ressort de l'évangile. Mais l'état des esprits est tel encore que l'on compromettrait irrémédiablement un noviciat ou un séminaire qui accepterait des enfants des castes méprisées. Aucune famille des meilleures castes n'y laisserait plus entrer ses enfants. Les écoles, à leur tour, se vide-raient devant des maîtres de castes inférieures. On est donc réduit à choisir entre accueillir seulement les hautes castes ou tout voir périr. Ceux qui sont loin des Indes peuvent se récrier et même s'indigner. Ceux qui sont sur place constatent qu'il faut s'adapter aux mœurs du pays. La barrière est, pour du temps encore, infranchissable et on ne peut que l'abaisser un peu avec une longue patience par la prédication de l'évangile. Celui-ci n'atteint encore qu'une infime minorité, si l'on songe qu'il y a aux Indes 390 millions de païens contre quelques millions de chrétiens.

Quoi qu'il en soit, l'œuvre essentielle de toute mission, le recrutement sur place est commencé chez nous comme dans les séminaires et d'ici quelques années il donnera ses fruits. Il y a déjà d'ailleurs plusieurs Frères cingalais qui étaient venus avant la guerre au noviciat de San Maurizio et qui montrent qu'on peut compter sur leurs compatriotes.

 CAUSE DU VÉNÉRABLE FONDATEUR

 Je viens de recevoir de Rome une bonne nouvelle que je m'empresse de vous communiquer.

Les deux miracles obtenus, l'un aux États-Unis, l'autre à Madagascar et dont il a été parlé dans la Circulaire du 25 décembre 1945, ont été l'objet d'un premier examen favorable de la part des médecins spécialisés dans ces questions. On les a donc présentés à la Sacrée Congrégation des Rites.

Celle-ci, comme dans les cas analogues, a rédigé un certain nombre de questions qui viennent d'être envoyées aux Ordinaires des diocèses où ont eu lieu les miracles. Une enquête sévère sera poursuivie sur place et les résultats en seront envoyés à Rome pour être' examinés avec soin.

Vous comprenez l'importance de la décision qui sortira de cet examen. Si ces deux miracles sont retenus, c'est le premier pas vers la béatification souhaitée si vivement et depuis si longtemps qui sera fait ainsi.

C'est pourquoi je recommande instamment que dans toutes nos maisons on veuille bien prendre à cœur de prier Dieu par l'intercession de la Très Sainte Vierge pour que ces enquêtes canoniques aient le résultat que nous désirons. On peut partout commencer une neuvaine de prières et y associer les enfants de nos écoles, même les plus petits qui sont si puissants, par leur innocence, sur le cœur du bon Dieu. Et que chacun y ajoute quelques généreux sacrifices, quelques mortifications volontaires qui doubleront l'efficacité des prières pour la réussite de cette sainte cause.

 Guérison d'un jeune Frère.

 Le Cher Frère Publie, ancien Visiteur de Notre-Dame de Lacabane, écrit :

Le vendredi 10 mai 1940, le jeune Frère Léon-Baptiste ressent un mal de tête léger mais persistant. Le lendemain, le malaise s'aggrave. Le dimanche 12 mai, le mal empire ; vomissements. Nuit tranquille, mais l'estomac ne peut rien garder. Le médecin appelé diagnostique une méningite. Il fait une ponction lombaire aux fins d'analyse. Le surlendemain, le docteur déclare que le malade a la plus mauvaise méningite, celle dont on ne se relève généralement pas : la méningite tuberculeuse. « Dans une dizaine de jours, continue-t-il, il aura cessé de vivre ; bientôt, il rentrera dans le coma. Pour adoucir ses souffrances qui seront très grandes. je lui ferai des ponctions lombaires. »

Très émus, nous décidons de recourir au Vénérable Père Champagnat par une neuvaine. Le cher malade s'y associe de son mieux. Dès le second jour le mal de tête a disparu. La communauté chante sa reconnaissance en un vibrant Magnificat. – « Doucement, doucement, objecte le médecin… attendons de voir si le mieux se maintiendra. Appelez-moi, même pendant la nuit, si le mal de tête revient. » Le mal de tête ne revint pas ; la guérison était acquise, le médecin l'a reconnu par l'attestation suivante :

          Terrasson, le 8 février 1942.

 « Je soussigné, Dr Cheynier (André), des Facultés de Bordeaux, ancien interne de l'hôpital Pellegrin à Bordeaux (service des contagieux, professeur Saluazets), médecin assermenté, certifie avoir donné mes soins, au mois de mai 1940, à Jean-Albert Marsat, en religion Frère Léon-Baptiste, de Lacabane (Corrèze). Ce malade qui souffrait de douleurs de tête localisées au. front avec les yeux parfois rouges, depuis deux mois, fut pris de vomissements avec fièvre, raideur de la nuque et constipation. Après avoir fait le diagnostic « de méningite » je fis une ponction lombaire qui donna un liquide en jet, abondant et clair. Au repos se produisit un flocon qui, examiné au microscope, contenait une grande abondance de lymphocytes. La recherche des bacilles de Koch fut positive (sept bacilles) ainsi que l'hyperalbuminose. Il s'agit donc d'une méningite tuberculeuse. Deux jours après, une nouvelle ponction fut faite, la fièvre qui était montée un peu au-dessus de 390 consentit à baisser. Après une troisième ponction, le malade était nettement mieux et la guérison suivit. Aujourd'hui il est parfaitement guéri et n'a absolument aucune séquelle. Il occupe un poste de professeur à Brive.

« En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat à la Congrégation qui m'en a fait la demande.

            A. CHEYNIER.  

ÉLECTIONS DE FRÈRES PROVINCIAUX

 Dans la séance du 26 novembre 1946, le Conseil Général a élu le Cher Frère BORGIA Provincial de Nouvelle-Zélande, pour une première période triennale, en remplacement du Cher Frère LOUIS-BENEDICT, démissionnaire.

Dans la séance du 28 février 1947, le Conseil Général a nommé le Cher Frère CARMELO Provincial du Pérou, à la place du regretté Frère GÉDÉON, décédé.

Dans la séance du 18 mars 1947, le Cher Frère CONON a été élu de même Provincial du Brésil septentrional, en remplacement du Cher Frère ZEPHIRINUS, arrivé au terme de son mandat. 

LISTE des FRÈRES dont nous avons appris le Décès

depuis la Circulaire du 8 Décembre 1946.

 

Noms des Défunts                        Lieux des Décès                              Dates des Décès

 

F. Evergile                Stable              Beaucamps (Nord)                               3 février 1946

F. Joseph-Louis       »                       Alep (Syrie)                                           8 déc.                       »

F. Arcesio                 Profès perp.    Buga (Colombie)                                  9       »          »

F. Marie-Lucianus    (a. in.)               Antsirabé (Madagascar)                      11      »          »

F. Emilio-Valentin    Stable              Huacho (Pérou)                                     19      »          »

– Alberto L. Teruel    Juvéniste         Lujàn (Argentine)                                  21      »          »

F. Cyrus                     Stable              St-Paul-Trois-Châteaux (Drôme)        25      »          »

F. José-Candido      Profès perp.    Anzuola (Espagne)                               31      »          »

F. Claudio-José       »                       St, Maria da B. do Mte (Brésil)           3 janvier 1947

F. Rogaciano            Profès temp.   Curitiba (Brésil)                                     24      »          »

F. Johannes              Profès perp.    Mainkofcn (Bavière)                             25      »          »

T. Antoine-Marie      Stable              N.-D. de l'Hermitagee (Loire)              26      »          »

F. Jean-André          »                       Beaucamps (Nord)                               4 février        »

F. Denis                    Profès perp.    Mittagong (Australie)                                      4          »          »

F. Léo-Joseph          »                       A la guerre (Silésie)                                       4          »          »

F. Cyprien-Régis      »                       Saint-Pal-de-Mons (Haute-Loire)                 7          »          »

F. Flovie                    »                       Aubenas (Ardèche) –                            13      »          »

F. Libérien                Stable              Beaucamps (Nord)                               14      »          »

F. Timoteo                »                       Avellanas (Espagne)                            14      »          »

F. Callixtus                »                       Iberville (Canada)                                 16      »          »

F. Roman-Arturo      Profès perp.    Palencia (Espagne)                             16      »          »

F. Gédéon                 Stable              Lima (Pérou)                                         19      »          »

F. Marie-Fulgentius  »                       Saint-Genis-Laval (Rhône)                  20      »          »

F. Dosithéus             »                       N.-D.-de-Lacabane (Corrèze)                       3 mars»

F. Benedetto             »                       Varennes-sur-Allier (Allier)                            6          »          »

F. César                    Profès perp.    Bourg-de-Péage (Drôme)                   13      »          »

F. Laurus                   »                       Beaucamps (Nord)                               17      »          »

F. Gervais                 »                       St-Paul-Trois-Châteaux (Drôme)        22      »          »

F. Pergentinus.         Profès perp.    Lujan (R. Argentine)                              26      »          »

F. Marie-Anthelme   Stable              Negombo (Ceylan)                                         3 Avril  »

F. Joseph-Archangélus»                      Varennes-sur-Allier (Allier)                  4       »          »

F. Henri-Marius        Profès perp.    Aubenas (Ardèche)                              16      »          »

F. Arateur                  Stable              Saint-Paul-trois-Châteaux (Drôme)    19      »          »

 

La présente circulaire sera lue en Communauté à l'heure de la lecture spirituelle.

Recevez, Mes Bien Chers Frères, l'assurance du religieux et affectueux attachement en J. M. J. de Votre très humble et tout dévoué serviteur,

                         Frère LÉONIDA, Supérieur Général.

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