Circulaires 85

Louis-Marie

1867-01-09

Formation et Conservation des Frères. - Frère Ribier. - Procès-Verbal des Visites - Correspondance. - Chant. - Départ des Frères pour le Cap de Bonne-Espérance.

085

51.02.01.1867.1

 1867/02/09

V. J. M. J.

N.-D. de Saint-Genis-Laval, le 9 février 1867.

     Mes très chers Frères,

 En commençant cette Circulaire, je sens le besoin de remercier Dieu et de me réjouir avec vous des fruits de salut que nos dernières Retraites ont produits dans toute la Congrégation. Partout,  nous avons été édifiés et grandement consolés de la piété, du recueillement, de la bonne volonté avec lesquels vous vous êtes acquittés de ces saints exercices ; partout aussi, nous constatons aujourd'hui, avec un extrême bonheur, que l'on continue à faire des efforts tout nouveaux pour conserver l'esprit de piété et de ferveur, qu'ils avaient pour but de ranimer et de fortifier parmi nous.

 Mais ce qui me donne une satisfaction toute particulière, c'est de voir que nos entretiens et nos avis sur la formation des Frères et sur l'Esprit religieux ont été bien reçus de tous; qu'on en a saisi l'extrême importance et qu'on prend à cœur de les mettre sérieusement en pratique. Tout ce qui nous revient des différentes Maisons de l'Institut, par lettres ou autrement, nous annonce ces bons effets, cet excellent résultat. Que Dieu en soit mille fois béni, et que, par sa miséricorde infinie, par la protection de notre bonne Mère, la Vierge Immaculée, il daigne vous affermir, vous fortifier et vous conserver dans de si heureuses dispositions.

 Pour moi, je sens tellement le besoin que nos instructions sur ce sujet soient bien comprises de tous lés Membres de la Congrégation, spécialement des Frères Directeurs, que je ne me lasserai pas de vous les rappeler et de vous les recommander.

 C'est même pour le faire avec plus de fruit, qu'avant de vous adresser cette Lettre, j'ai voulu la confier au pieux Fondateur, m'inspirer de nouveau de son esprit, auprès de son tombeau, et lui redemander ses pensées et ses sentiments sur les deux points fondamentaux dont j'ai à vous entretenir : LA FORMATION DES FRERES ET L'ESPRIT RELIGIEUX. Le vénéré Père n'a-t-il pas travaillé sans relâche, pendant huit ans à Lavalla, pendant seize ans à l'Hermitage, à perfectionner son Œuvre par ce même moyen, c'est-à-dire, à élever et à former ses Frères, à leur imprimer à tous le cachet d'humilité, de simplicité et de modestie dont il a voulu faire le caractère particulier, l'esprit propre de sa Congrégation?

 Parlons d'abord de la formation et de la conservation des Frères, de l'obligation rigoureusement imposée aux Frères Directeurs d'y donner tous leurs soins et toute leur attention.

 I

 Qu'un des premiers et des principaux devoirs des Frères Directeurs soit la formation des Frères qui leur sont confiés, le soin de les conserver dans les vertus et l'esprit de leur état, c'est ce que prouvent également l'ensemble de nos Règles et de nos Constitutions, la composition de l'Institut et l'organisation de nos Maisons, les passages les plus évidents de la Sainte Ecriture, les maximes et les exemples des Saints, la vie entière et toutes les leçons de notre pieux et vénéré Fondateur.

 « L'emploi propre des Frères Directeurs, disent les  Constitutions, est de maintenir la Règle, de perfectionner dans les vertus religieuses et dans l'esprit de l’Institut ceux dont ils sont chargés ; de travailler sans cesse à combattre et à détruire en eux tout ce qui y serait opposé. » (Const. 2° Part. Chap. IV, Sect.1ière)

 Si elles demandent des Frères Directeurs un tendre amour pour Jésus-Christ et une dévotion particulière pour Marie, un grand esprit de foi et d'oraison, une prière fervente et continuelle, l'habitude du silence et du recueillement, l'exemple d'une régularité parfaite, une solide humilité, une simplicité toute religieuse, un dévouement et une charité à toute épreuve, un zèle ardent et courageux, accompagné de douceur, de prudence et de fermeté, la gravité et la modestie dans toute la conduite, l'esprit de sagesse et de réflexion, soutenu d'une constance inébranlable et d'une vigilance qui ne soit jamais en défaut (Const. ibidem) ; si, dis-je, elles demandent des Frères Directeurs toutes ces qualités, toutes ces vertus, tous ces moyens, c'est qu'ils sont nécessaires pour maintenir la Règle et la pratique des vertus religieuses, pour faire avancer les Frères dans la perfection de leur état et dans les connaissances qui leur sont propres ; c'est qu'ils sont indispensables à tout Frère Directeur, pour donner le bon exemple à ses inférieurs, pour s'en faire estimer et aimer, alors même qu'il fait une guerre continuelle à leurs imperfections et à leurs défauts.

 Des cinquante-quatre articles qui composent la Règle particulière des Frères Directeurs (2ième Section du même Chapitre), plus de la moitié sont exclusivement consacrés à expliquer les soins qu'ils doivent donner à leurs Frères, la manière de les former à la piété, à la régularité, à l'obéissance, aux sciences qui leur convienn ent ; de les habituer à la civilité, à l'ordre et à la propreté, au silence et au recueillement, à toutes les vertus de leur état.

 « Etant chargé des Frères qui sont avec lui, dit l'art. 16, et devant en répondre à Dieu et au Frère Supérieur, c'est pour lui, pour le Frère Directeur, UN DEVOIR RIGOUREUX de veiller sans cesse sur eux, de les obliger à vivre selon l'esprit de leur état, de les reprendre quand ils manquent à la Règle ou à tout autre devoir, d'étudier et de prendre les moyens les plus propres pour les perfectionner dans la vertu, et faire régner le bon esprit dans la Communauté, c'est-à-dire, l'humilité, la charité, l'obéissance et le recueillement. »

 L'article 17 veut qu'en fait de Régularité, il fasse cas des moindres choses, qu'il ne permette jamais qu'on viole les Règles, sous prétexte qu'elles sont peu importantes.

 L'article 18 explique encore qu'il doit former ses Frères à la science et à la vertu, que c'est à lui à les affermir dans leur Vocation, à leur donner l'esprit de l'Institut, à leur apprendre à faire oraison, à les rompre aux pratiques de la vie religieuse, à les diriger dans leurs études et leur emploi, en un mot, à continuer et à perfectionner l'éducation qu'ils ont reçue au Noviciat.

 L'article suivant lui apprend à gagner la confiance de ses inférieurs par une grande cordialité, par des manières honnêtes et engageantes ; mais principalement par une conduite toujours digne et toujours juste, par une attention soutenue à les prévenir, à les assister dans leurs besoins, à les consoler dans leurs peines, et à se montrer en toute occasion plutôt leur père que leur Supérieur.

 Ainsi en serait-il de tous les autres points de la Règle des Frères Directeurs, si nous pouvions les suivre ; mais j'ai voulu citer les précédents, pour donner à chacun l'occasion de reconnaître s'il les a bien compris, s'il les a assez étudiés, suffisamment pesés ; s'il s'est bien rendu compte de ces devoirs; devoirs si précis, si explicites et si importants ; devoirs dont il doit compte à Dieu et à la Congrégation comme étant l'obligation essentielle de sa charge et de son emploi ; devoirs d'état, enfin, dont rien ne peut l'affranchir, pas plus qu'un père ne peut être affranchi du soin d'élever ses enfants, un maître d'instruire ses disciples, un pasteur de nourrir et de soigner ses brebis.

 Oh ! M. T. C. F., que nous avons besoin, pour mettre notre conscience et notre salut en sûreté, de réfléchir sérieusement sur nos devoirs d'état, de voir devant Dieu si nous les connaissons bien, si nous les connaissons assez, pour les remplir même dans ce qu'ils ont de plus strict et de plus rigoureux !…

 Les Constitutions se résument dans le chapitre XIV de la première partie, qui traite de la conservation et de l'accroissement de l'Institut, de l'obligation qu'ont les Frères d'y travailler de toutes leurs forces, particulièrement le Frère Supérieur Général et tous ceux qui sont appelés à l'aider dans le gouvernement de la Congrégation. Or, ce Chapitre en entier, dans son ensemble comme dans ses détails, est la confirmation parfaite de tout ce que nous disons sur les devoirs des Frères Directeurs à l'égard de leurs Frères.

 En effet, conserver l'Institut, c'est conserver les sujets qui le composent, c'est-à-dire, maintenir les Frères dans l'amour et l'estime de leur Vocation, dans l'esprit de piété et de ferveur, dans l'exacte observance des Règles ; c'est les faire avancer dans les vertus et la perfection de leur état ; en un mot, c'est assurer leur persévérance, en assurant par tous les moyens possibles, leur fidélité à la grâce et leur entière correspondance à la fin première de leur Vocation, qui est leur sanctification personnelle, et à son but secondaire, qui est l'éducation chrétienne des enfants. Il n'y a pas possibilité de les conserver autrement : car, si la vocation religieuse est une grâce gratuite que Dieu fait à qui il lui plaît, la persévérance dans cette vocation n'est, pour l'ordinaire, que la conséquence et le fruit des efforts journaliers que l'on fait pour y répondre, pour remplir les desseins que Dieu a eus sur nous en nous appelant. C'est toujours le mot tant répété et si vrai du pieux Fondateur : Quiconque ne vit pas en Religieux, ne mourra pas en Religion.

 De même, accroître l'Institut, c'est mériter par l'éducation éminemment religieuse des sujets, par la piété, la ferveur et le bon esprit de tous, que Dieu multiplie de plus en plus les bonnes vocations, qu'il les rende toujours plus solides et plus fidèles, et qu'il procure par là même à la Congrégation la possibilité de s'étendre, de donner une diffusion plus grande à l'enseignement chrétien de la jeunesse.

 Or, ainsi entendus, la conservation et l'accroissement de l'Institut sont un devoir pour tous les Frères.

 Oui pour tous : car, Dieu a ordonné à chaque homme de veiller sur son prochain (Eccl., XVII, 12);et tel est l'ordre qu'il a établi dans la charité, qu'il veut que nous l'exercions d'abord envers nos proches, envers ceux qui nous sont plus étroitement unis par le sang ou par la Religion. Donc, les simples Frères, ceux mêmes qui ne sont encore qu'à l'état d'épreuve, doivent déjà à l'Institut, à la vertu et à la persévérance de leurs Confrères, leur part de bons exemples, de bonnes prières, et, au besoin, de bons conseils et de charitables avertissements.

 Pour les Profès, ce devoir s'accroît de toutes les obligations qui s'attachent à leur Profession. Membres perpétuels de l'Institut, ils sont obligés comme tels de pourvoir à sa conservation et à son accroissement, selon leur aptitude et leurs moyens, comme les membres sont tenus de pourvoir à la conservation et à l'accroissement du corps dont ils font partie.

 Mais il existe avant tout, ce même devoir, il existe particulièrement pour le Frère Supérieur Général, et pour tous ceux qui sont appelés à l'aider dans le gouvernement de l'Institut. Pour eux, aux obligations générales de la charité et de la Profession religieuse s'ajoutent les obligations spéciales de la charge, de la mission, de l'emploi. Ce n'est pas seulement l'heureuse influence de l'âge, de la capacité, de l'ancienneté et du mérite, l'utile appoint de la prière, de l'exemple et des bons conseils qu'ils doivent à ceux qui leur sont confiés ; mais c'est encore l'action persévérante et journalière de l'autorité dont ils sont revêtus ; c'est toute la tendresse et tout le dévouement du père joints à tout le zèle et à toute la charité du Supérieur.

 Et ce devoir est le même pour tous ceux qui ont part au gouvernement de l'Institut, dans la mesure qu'ils y ont part. Ainsi, les Frères Directeurs, représentant le Frère Supérieur Général dans les Etablissements où ils sont envoyés, et les Frères devant leur obéir en toutes choses comme au Frère Supérieur Général lui-même (2nde Part. des Règles Communes, Chap. III, Art. 1), il est clair, par cela seul, qu'ils entrent, pour ces Frères et pour ces Maisons, dans toutes les obligations du Frère Supérieur Général. D'ailleurs, à quoi aboutiraient tous les efforts du Frère Supérieur Général, et avec lui du Régime et de tout le Corps administratif, pour assurer l'avenir et la prospérité de l'Institut, si, dans l'application et le détail, ils n'étaient secondés, soutenus, et comme individualisés dans chaque Maison par le zèle et le dévouement des Frères Directeurs ? Evidemment, tous leurs efforts n'aboutiraient à rien : les meilleures mesures, resteraient sans effet ; les plus sûrs moyens, sans résultat.

 Si donc, la conservation et l'accroissement de l'Institut, comme initiative, comme dispositions et organisation générales, comme surveillance et direction d'ensemble, sont le grand devoir, la grande obligation des premiers Supérieurs ; ils sont aussi, comme application de détail, comme exécution locale, le devoir rigoureux et journalier de chaque Frère Directeur.

 Donc, à ce point de vue, chaque Frère Directeur est tenu de travailler sans relâche et de toutes ses forces à conserver ses Frères. Il est tenu par conséquent, de prendre le seul moyen sûr, le seul moyen possible d'y réussir : les obliger à vivre en Religieux, à rendre leur Vocation constante en la rendant fidèle, à arriver peu à peu au degré de perfection que Dieu demande d'eux, afin d'arriver au degré de grâces qu'il leur a préparées, et d'où dépend leur persévérance.

 Donc encore, chaque Frère Directeur doit donner tous ses soins, toute son attention à la formation des jeunes Frères dont il a la direction ; s'appliquer à les rendre capables et vertueux, les mettre en état de répondre, eux aussi, à la sainteté de leur vocation, de la consolider par la piété et le bon esprit, et de servir l'Institut qui les a reçus.

 Du reste, en prenant les choses en détail, en parcourant les défauts à éviter et les moyens à prendre pour conserver et accroître l'Institut, énumérés dans ce même Chapitre, on voit clairement qu'ils comprennent, dans leur ensemble, tout ce qui est essentiel à la conservation et à la formation des sujets, et qu'ils reviennent en grande partie aux soins des Frères Directeurs.

 Ainsi, il n'y a que l'action continuelle des Frères Directeurs, action toujours unie à celle des premiers Supérieurs, qui puisse éloigner des Frères le manque d'esprit intérieur, le mépris des petites choses et la facilité à violer les Règles, l'impunité des fautes, la perte ou le mauvais emploi du temps, les rapports irréguliers avec le monde. Tous les ordres et toutes les recommandations des Supérieurs ne parviendront jamais à écarter ces causes de ruine, si les Frères Directeurs ne s'acquittent fidèlement de l'obligation nécessaire, indispensable, où ils sont, d'y tenir la main et de les faire exécuter.

 Pour les moyens à employer, leur part n'est pas moins marquée, leurs devoirs n'apparaissent pas avec moins d'évidence.

 Le premier de tous, la prière et l'union avec Dieu, ne peut se pratiquer et se soutenir que si les Frères Directeurs apportent une extrême attention à tous les exercices de piété, s'ils y tiennent invariablement.

 Le second, l'esprit de l'Institut, ne peut s'acquérir et se conserver qu'autant qu'ils tiendront leurs Frères éloignés du monde, et qu'ils les obligeront à vivre dans le silence et le recueillement, à ne parler et à n'agir qu'avec l'humilité, la simplicité et la modestie que demande notre état.

 Le troisième, l'esprit de pauvreté, qui pourra y former les Frères, sinon le Frère Directeur, chargé de pourvoir aux besoins de chacun, de veiller à ce que tout, dans l'Etablissement, soit conforme aux Règles et aux usages de l'Institut : ameublement, enseignement, objets personnels, soin de la chaussure et du trousseau, bon usage des choses, dépôt entre les mains du Frère Directeur de tout argent quelconque, nourriture, habillements, tenue et propreté, achats, permissions, voyages (?) etc. …

 Pour le quatrième, la formation des Novices, nous dirons tout à l'heure que tout le travail du Noviciat, quels que soient le zèle et l'aptitude des Maîtres, sera comme sans résultat, s'il n'est soutenu et continué par les Frères Directeurs.

 . Même observation pour les Postulants dont il est parlé au cinquième article. On ne parviendra jamais à avoir des sujets de choix, des sujets d'avenir, appelés à être un jour l'honneur et le soutien de la Congrégation, s'ils ne sont confiés à des Directeurs pieux et capables, qui sachent les entourer de bons exemples, ne leur faire entendre que des paroles édifiantes, les occuper convenablement.

 Le sixième article place sur la même ligne, pour la prospérité de l'Institut, la bonne composition du Régime et le bon choix des Frères Directeurs. « Pareillement , disent les Constitutions, après avoir indiqué la haute importance des élections, il sera nécessaire que la direction des Maisons particulières ne soit confiée qu'à des hommes capables, c'est-à-dire, à des Religieux doués d'un bon esprit, d'un bon jugement, d'une solide piété ; à des Religieux qui sachent toujours allier ensemble la bonté et la douceur avec la fermeté et l'exactitude ; qui soient pleins de zèle et de charité pour leurs Frères, tout dévoués à leur Communauté, exemplaires en toutes choses. » Et pourquoi ce rapprochement ? Pourquoi ces recommandations ? C'est, disent les Constitutions, que, dans chaque Maison, les Frères Directeurs sont chargés de faire avancer les Frères dans la perfection, d'exiger le devoir de tous, de maintenir la régularité, le bon esprit, toutes les vertus qui font les bons Religieux. C'est que, dans son Etablissement, le Frère Directeur fait en petit le bien ou le mal que fait en grand un premier Supérieur dans une Province ou même dans tout l'Institut.

 Ainsi en est-il des autres moyens proposés pour assurer la persévérance et la perfection des Frères, la stabilité et le succès des maisons ; ils ne sont possibles et ne se réalisent que par les soins assidus des Frères Directeurs. Ce n'est que de leur zèle et de leur dévouement, soutenus et dirigés par les premiers Supérieurs, que peuvent résulter dans l'Institut, l'union de tous les Frères par la charité et par la subordination des inférieurs aux supérieurs, l'éducation chrétienne des enfants, l'application de tous les Frères à devenir vertueux et capables, leur attention à mériter partout l'estime du publie et la bienveillance des autorités, le maintien de la Règle et l'uniformité dans les méthodes et en tout, le soin de tous les membres de la Congrégation de s'avertir charitablement et de se garder mutuellement en Notre-Seigneur Jésus-Christ, enfin, la dévotion à Marie qui est comme le couronnement de tous ces moyens, la clef de voûte de tout l'édifice et de ses différentes parties, c'est-à-dire du Corps entier de la Congrégation et de chaque Maison particulière.

 II

 Les considérations précédentes, toutes tirées du fond même de nos Règles et de nos Constitutions, sont bien propres, il me semble, à éclairer les Frères Directeurs sur l'étendue et la gravité des obligations qui leur sont imposées à l'égard de leurs Frères ; mais pour qu'ils les comprennent mieux encore, pour qu'ils s'en pénètrent toujours davantage, entrons plus avant dans la composition de l'Institut, dans les nécessités diverses de son organisation. C'est en face des difficultés de nos Noviciats, des impossibilités qu'ils présentent, que les Frères Directeurs doivent se placer en ce moment, pour juger eux-mêmes de la part qui leur revient dans la formation et l'éducation des jeunes Frères.

 Voici donc sur ce point capital les difficultés, ou plutôt les nécessités qui nous avons à subir.

 1° Le défaut d’âge des aspirants. Si on ne les admet au sortir des écoles, presque au sortir de la première Communion, on les perd infailliblement. Ils prennent carrière dans le monde, dans les usines, les chemins de fer, les diverses industries, et toute idée de vocation religieuse leur passe après quelques mois. PREMIÈRE NÉCESSITÉ.

 2° Le défaut d'instruction et de réflexion

 D'instruction dans les Postulants les plus âgés, qui viennent, pour la plupart, sachant à peine lire et ne connaissant de la Religion que ce qu'il y a de plus rigoureusement exigé pour la fréquentation des Sacrements.

 De maturité et de réflexion dans les plus jeunes, qui, sortant de nos Ecoles, apportent au Noviciat un esprit encore enfant, incapable de toute idée sérieuse et véritablement réfléchie. 

DEUXIÈME NÉCESSITÉ.

 3°L'impossibilité par là même de compléter au Noviciat l'éducation religieuse des Postulants. En effet que faire en une année avec des sujets dans les conditions que nous venons de dire, pour les initier à la vie religieuse, à la direction des classes, aux emplois divers de l'Institut, aux connaissances qu'ils demandent, et surtout à l'esprit religieux et à la pratique des vertus? Evidemment, ils ne peuvent être que commencés, que dégrossis, pour ainsi dire.

 Les sujets, pour la plupart, ne prennent au Noviciat, et ils ne peuvent y prendre que de bonnes impressions, c'est-à-dire : céder à l'exemple, subir un doux entraînement vers le bien, vers la piété, vers la vertu ; s'affectionner à l'état religieux par les dehors, les pratiques extérieures, les cérémonies, la discipline générale; se laisser gagner et attirer par la charité, la bonté, les égards, les soins et les bons procédés dont ils sont l'objet ; mais on ne peut espérer que d'un très petit nombre qu'ils pénètrent assez dans les principes de la vie religieuse, pour en faire la base de leurs pensées et de leurs jugements; qu'ils saisissent assez les instructions, pour arriver à ces convictions fortes, à ces déterminations réfléchies et absolues que rien ne fait plus changer, qui ne reculent ni devant les peines et les tentations, ni devant les épreuves et les contradictions. 

TROISIÈME ET TRÈS GRANDE DIFFICULTÉ.

 4°La multitude, la variété, et je dirais la profusion des avis, des instructions qu'on est obligé de leur donner, pendant la première année de probation.

 Ces avis, ces instructions sont écoutés avec bonheur par les Postulants et les jeunes Frères; ils les goûtent même, et ils en sont fortement touchés et remués. C'est ce qui détermine les bonnes confessions générales, les bonnes revues ; c'est ce qui amène pour tous le fondement indispensable de tout bien, de toute vertu : LA BONNE CONSCIENCE.

 Mais tout cela encore n'est et ne reste que comme à la surface de l'âme. C'est une excellente semence jetée à profusion si vous voulez ; mais elle n'a pas germé, elle n'est pas fécondée, c'est à peine si elle a pris racine. La multitude, la répétition incessante de tant d'avis, de tant d'instructions, de bons principes, de bonnes pratiques, de pieuses exhortations, apportent dans l'esprit de ces jeunes gens, esprit, avons-nous dit, ou si peu développé ou encore si léger, une confusion, un embarras qui ne leur permet de les comprendre et de les retenir que très imparfaitement.

 QUATRIÈME OBSTACLE, aussi insurmontable que les précédents aux bons effets du Noviciat, surtout à des effets solides et durables.

 5° Enfin, une CINQUIÈME DIFFICULTÉ, c'est l'impossibilité, en si peu de temps, d'amener les sujets à des habitudes religieuses solidement prises.

 Pendant cette première année de probation, les Postulants et les jeunes Frères pratiquent l'obéissance, s'exercent à l'humilité, remplissent certains emplois ; ils font la méditation et l'examen ; ils apprennent à dire l'Office et à faire les prières de Règle; ils arrivent même à la Communion fréquente. Tous, à un moment ou à l'autre, ont à réprimer les saillies de leur humeur, les travers de leur caractère, leur démangeaison naturelle de voir, de parler et d'entendre ; tous, enfin, s'essaient plus ou moins, soit à la correction de leurs défauts, soit à l'acquisition des vertus ; mais pour tout il n'y a que des essais. De tout, il ne se fait que quelques actes, des actes isolés, des actes plus ou moins réfléchis, plus ou moins répétés ; il n'y a point d'habitude véritablement prise ; rien, par conséquent, de la facilité, de la solidité, de la constance que donne un long exercice, accompagné de sérieuses réflexions, de bonnes et fortes convictions.

 De là il résulte que les jeunes Frères arrivent dans les Postes, avec de bons désirs sans doute, avec l'envie de bien faire, mais résolus plutôt qu'habitués à l'esprit et aux vertus qu'exige leur vocation ; disposés plutôt qu'exercés aux emplois qui les attendent ; préparés plutôt que formés à tout ce qui leur sera demandé, au spirituel comme au temporel.

 Et qu'on ne dise pas qu'il devrait en être autrement, qu'il les faudrait plus instruits, mieux exercés, plus solidement établis. Ce serait désirable sans doute ; mais ce n'est pas possible avec les conditions dans lesquelles on est forcé de les admettre ; ce n'est pas possible surtout avec la nécessité où l'on est de les essayer, dès la seconde année de la probation, pour les mettre à même de voir si l'état leur convient, et pour que les Supérieurs puissent juger s'ils conviennent eux-mêmes. Cet essai, adopté dans toutes les Constitutions et approuvé par le Saint-Siège, est commandé par l'intérêt des sujets aussi bien que par celui des Congrégations.

 Si donc, nonobstant toutes les difficultés que nous venons de dire, la formation des sujets n'en est pas moins le point capital dans toute Congrégation ; si une communauté ne peut se soutenir et faire le bien qu'à proportion des soins et de l'attention qu'elle y donne, quels soins et quelle attention ne doivent pas y apporter les Frères Directeurs, puisqu'elle leur revient en presque totalité, et qu'elle ne peut que se commencer, s'ébaucher, pour ainsi dire, au Noviciat ?

 C'est ici le lieu de faire la part des Maîtres des Novices et des Frères Directeurs, dans la formation des sujets, afin que, devant la conscience et devant l'Institut, ils sachent parfaitement ce qui est demandé à chacun ; quelle est, dès à présent, et quelle sera, à la mort et au jugement, leur responsabilité personnelle dans cette œuvre commune qu'ils ont à remplir. C'est sur la nécessité et sur la généralité des faits que nous nous basons pour faire ce partage.

 Donc : 1° Aux Maîtres des Novices de recevoir et de choisir les sujets ; à eux les examens à faire et tous les renseignements à prendre, avant l'admission au Noviciat et à la Vêture.

 Aux Frères Directeurs de les conserver et de les développer. A eux surtout de les mettre à même de satisfaire à tout ce qui leur sera demandé pour le vœu d'Obéissance et pour la Profession. On peut le dire, la différence de ces examens donne d'avance la différence de la tâche imposée aux uns et aux autres. Les deux premiers portent sur les qualités, sur l'aptitude, sur les vertus que le sujet doit avoir ; mais pour s'assurer qu'il les possède comme en puissance, comme en principe, qu'il en a le fond à un degré suffisant ; les deux derniers, surtout l'examen avant la Profession, portent sur les mêmes qualités, les mêmes vertus, la même aptitude ; mais pour constater qu'elles ont passé en actions, en habitudes, qu'elles ont été prouvées et confirmées par la pratique, par un exercice de plusieurs années. Or, cette pratique et cet exercice n'ont lieu que dans les postes, sous la garde et par les soins des Frères Directeurs. Tel est le principe, voici les détails :

 2° Aux Maîtres des Novices de dépouiller le Postulant des allures, des usages, des vanités et de tous les dehors du mondain, et d'y substituer la tenue, le langage, le costume, et tous les dehors du Religieux, de la vie de Communauté.

 Aux Frères Directeurs de tenir les Frères éloignés du monde, de veiller à ce qu'ils n'en reprennent ni le langage et les manières, ni les habitudes et les vanités ; de les obliger à ne rien changer au costume de l'Institut et à le porter toujours comme il est prescrit ; de leur faire garder partout et en tout l'extérieur de simplicité et de modestie qui nous est propre.

 3° Aux Maîtres des Novices de plier les sujets au Régime de la Congrégation, au Règlement général de la Communauté : repas, récréations, étude et travail, exercices divers, temps de sommeil, etc.

 Aux Frères Directeurs, en ne changeant rien à ce régime, en tenant constamment à ce règlement, d'y accoutumer chaque Frère ; de les faire passer, à la longue, dans leurs goûts, dans leurs habitudes et comme dans leur constitution, en sorte qu'ils soient faits et comme identifiés avec notre genre de vie.

 4° Aux Maîtres des Novices d'initier les sujets aux pratiques de la vie religieuse, à tous nos exercices de piété : Oraison, Office, Chapelet, Examen, Direction, etc.; de leur apprendre à faire les prières vocales avec gravité, avec modestie, d'un ton pénétré et édifiant, articulé et bien intelligible.

 Aux Frères Directeurs de faciliter ces Exercices, d'y habituer, par une longue et bonne pratique, par une constante exactitude; de les rendre agréables et comme nécessaires par le plaisir intime qu'apportent à l'âme une piété soutenue, des Exercices religieux bien faits, les lumières et les grâces dont ils sont la source. Aux Frères Directeurs surtout d'exiger la bonne tenue dans l'Office et les Prières, d'habituer les Frères à répondre toujours d'un ton grave et profondément religieux.

 5°C'est par les Maîtres des Novices, par les bonnes instructions, les bons exemples et tous les exercices du Noviciat que les sujets commenceront à comprendre, à goûter et à recevoir l'esprit de la Congrégation ; à s'affectionner à l'humilité, à la simplicité et à la modestie qui en font le caractère; à se faire à la Règle et à l'Obéissance qui sont l'âme de la vie religieuse à s'essayer, en un mot, dans toutes les vertus de l'état mais il faut de toute nécessité que les Frères Directeurs prennent ces sujets ainsi commencés, ainsi essayés et préparés, et qu'ils se chargent, avec l'aide de Dieu et sous la direction des premiers Supérieurs, de les affermir dans cet esprit et dans ces vertus, de les y faire avancer, de les y perfectionner.

 Il faut que, cet esprit et ces vertus, on les respire, pour ainsi dire, dans toutes leurs Maisons, qu'ils en soient comme l'air, comme l'atmosphère ; qu'en tout et de partout ressortent l'estime qu'on en fait, l'importance qu'on y attache, le désir ardent qu'on a de les pratiquer et de les voir pratiquer, la préférence marquée qu'on leur donne sur la science, sur les talents, sur tous les autres biens spirituels et temporels. Si Dieu nous en fait la grâce, nous aurons à revenir sur ces idées générales, à les expliquer et à les développer ; mais que ce simple énoncé suffise déjà, pour faire entrevoir aux Frères Directeurs toute l'étendue et toute l'importance de la charge qu'ils portent devant Dieu et devant la Congrégation.

 6°Aux Maîtres des Novices encore de donner ou de faire donner les premiers principes des connaissances qui nous sont nécessaires comme instituteurs ; mais aux Frères Directeurs de les développer et de les compléter, en maintenant dans leurs Maisons le goût de l'étude et la pratique du silence, en exigeant chaque jour de leurs Frères les leçons et les devoirs qui sont prescrits.

 Quelque court et quelque coupé qu'il soit, ce travail quotidien, s'il est fait régulièrement, s'il est dirigé, encouragé et suivi par chaque Frère Directeur, produira infailliblement deux effets : 1° il préviendra la dissipation et donnera aux jeunes Frères un genre et des goûts sérieux, un esprit solide et bien réfléchi; 2° il les formera très vite et très bien à tout ce qu'ils auront eux-mêmes à enseigner aux enfants. Que les Frères Directeurs comprennent bien cet avis et qu'ils y tiennent fortement ; en le pratiquant avec fidélité, outre les connaissances qu'ils donneront à leurs Frères comme Instituteurs, ils lèveront encore un des plus grands obstacles à leuréducation et à leur formation comme Religieux.

 7° Enfin, si c'est aux Maîtres des Novices d'amener les nouveaux sujets à avoir une bonne conscience, un bon commencement de crainte de Dieu, d'horreur du péché, d'amour de la vertu, d'estime et d'affection pour leur vocation ; si c'est aux Maîtres des Novices d'inspirer les sentiments pieux, les bons désirs, la bonne volonté que demande notre état ; c'est évidemment aux Frères Directeurs d'entretenir et de fortifier ces bonnes dispositions ; surtout, de ménager sans cesse la bonne conscience, ce fondement indispensable, cette condition essentielle, cet unique soutien de toute bonne vocation, de toute véritable vertu, de tout vrai zèle et vrai dévouement.

 Mon Dieu ! que ne comprend-on toute la nécessité de la bonne conscience, d'une conscience droite et délicate qui se tienne toujours en éveil sur la grande affaire du salut éternel et sur le véritable état de l'âme ; qui fasse craindre les moindres péchés, les plus légers manquements, quand ils sont réfléchis ; qui ne permette jamais de faire la paix avec le péché ; qui force, pour ainsi dire, à le rejeter dès qu'on l'a reçu dans son cœur ! Cette bonne conscience, elle est comme le cachet particulier, la marque assurée du salut. Le caractère propre du cœur des prédestinés, c'est de ne pouvoir garder le péché, d'en éprouver un soulèvement, comme d'un aliment essentiellement indigeste, et de le vomir aussitôt : à l'encontre des réprouvés qui l'avalent comme l'eau, qui le gardent et le digèrent, se l'incorporant ainsi pour l'éternité !… Mon Dieu ! je le répète, que nous soyons à jamais délivrés de cette horrible conscience ! Que nous comprenions bien tous que la plus belle, la plus riche, et la plus nécessaire faculté de l'homme, du chrétien, du Religieux surtout, c'est la bonne conscience.

 Les Frères Directeurs ne doivent jamais oublier que le premier et le plus essentiel de leurs devoirs, comme Directeurs, c'est de ménager la conscience de leurs Frères, d'en sauvegarder, par tous les moyens possibles, non seulement le fonds, mais même la tendresse, la première délicatesse. Hélas ! hélas ! à ce point de vue, que penser et que dire de tant de paroles et de tant d'actes où sont si peu ménagés la piété, la charité, le respect de la Règle et de l'autorité, l'estime de la vie religieuse, la sainte pudeur elle-même ! où les peines et les sacrifices de l'état religieux sont si fortement exagérés ; ses avantages et ses incomparables sûretés éternelles, si mal appréciés, déniés même quelquefois ; le prétendu bien-être, les apparentes satisfactions des mondains, si faussement présentés, si faussement soutenus !.. Ah ! je le redis encore en gémissant, que de consciences, que de vertus, que de vocations, sont victimes de ces paroles, et de ces actes si opposés à l'esprit religieux, même à l'esprit chrétien ! …

 Oui, c'est aux Frères Directeurs à conserver et à ménager la conscience de leurs Frères, à les entretenir dans l'heureuse crainte d'offenser Dieu et de perdre leur âme, à les soutenir dans leur ardeur pour la vertu, dans leurs efforts pour y avancer et s'y former ; à fortifier leur estime et leur amour pour la vie religieuse ; en un mot, à convertir leurs pieux sentiments en fortes et profondes convictions, leurs bons désirs en bonnes actions, leur bonne volonté en une conduite constamment religieuse, constamment exemplaire.

 Ne craignons pas de le dire : aux Maîtres des Novices, plutôt la préparation à l'éducation religieuse que cette éducation même. L'éducation sérieuse des Frères, leur éducation pratique et suivie ne peut se faire que dans les Postes, sous la main et par les soins assidus, journaliers, persévérants et toujours paternels des Frères Directeurs. Eux seuls ont les sujets à l’œuvre, eux seuls les ont constamment, eux seuls les ont ou peuvent les avoir longtemps. Eux seuls, par conséquent, peuvent leur donner les bonnes habitudes, les exercer et les former aux emplois, les soutenir et les diriger dans les fonctions du zèle, leur demander et leur faire accomplir le devoir ; exiger et obtenir d'eux la parfaite tenue dans les Prières, l'exactitude et la constance en tout, les façonner, enfin, et les mouler selon la Règle et l'esprit de l'Institut ; c'est-à-dire, poursuivre, assurer et compléter leuréducation et comme Instituteurs et comme Religieux.

 III

 Et qu'on ne dise pas que cette tâche des Frères Directeurs est comme impossible et qu'elle dépasse les meilleurs courages. Sans doute que l'éducation, la formation complète d'un bon Frère instituteur, nous en dirons quelques mots plus loin, est une des choses les plus longues et les plus difficiles, qu'elle demande une attention et un dévouement sans bornes ; mais, avec cette attention et ce dévouement, on en vient à bout, on y réussit même infailliblement, sauf les cas rares de certaines vocations égarées, de certains sujets qui se fourvoient dans les Communautés sans y être appelés, ou encore de quelques autres qui abusent de la grâce d'une manière énorme.

 Non, il n'est presque pas possible qu'un sujet, bon d'ailleurs, animé de bonnes intentions, bien préparé au Noviciat, appelé de Dieu et aidé des grâces spéciales qu'il attache toujours à son appel, il n'est presque pas possible, dis-je, qu'un tel sujet ne se forme pas et ne persévère pas, s'il tombe avec un bon Directeur et dans une Maison bien réglée. A la longue, les fortes convictions religieuses, l'attachement à la vocation lui viendront comme nécessairement, sous l'influence prolongée des bons exemples et des bons procédés de ses Confrères de la piété, de la régularité et du bon esprit des Maisons et surtout de la direction intelligente, dévouée et toute paternelle du Frère Directeur.

 Et pourquoi ? Parce que, dans cet excellent milieu, s'il se continue, à la grâce première et gratuite de la Vocation, s'ajoutent les grâces, les lumières, l'onction intérieure qui l'accompagnent toujours, toutes les fois qu'on y est fidèle ; parce que, dans cette atmosphère de piété, de charité et de régularité, la conscience se conserve bonne, la joie du cœur remplace et fait oublier peu à peu les satisfactions naturelles de la famille et du monde ; parce que la famille elle-même se retrouve et se reconstitue pour ces sujets ainsi entourés, ainsi dirigés ; et elle se retrouve avec tous les avantages spirituels, avec toutes les consolations de l'âme et de la conscience que la Religion seule peut y ajouter.

 Placé dans ces conditions, l'Etablissement est la continuation, même avantageuse, du Noviciat : il en est la continuation pour l'union, pour la piété, pour le bon esprit, pour les bons conseils et la bonne direction ; et il y joint l'avantage d'un emploi déterminé qui donne une direction aux idées, une occupation à l'esprit, et laisse à l'âme la satisfaction d'avoir fait le bien, d'être utile à ses Frères et aux Enfants.

 Les Sujets voyant alors que, partout, dans les Etablissements comme à la Maison-Mère, on s'aime, on s'aide les uns les autres, on s'encourage à la vertu et au bien ; que partout, les Frères sont bons, sont édifiants, sont contents et heureux, qu'ils aiment leur Règle et leurs Supérieurs; que, partout, malgré les peines et les travaux, on préfère l'état religieux, avec ses sécurités, aux meilleures positions du monde, avec tous leurs prétendus avantages : les sujets, dis-je, voyant tout cela et ne trouvant que de la charité et du dévouement dans leurs Supérieurs, leurs Directeurs, leurs Confrères, s'attachent comme irrésistiblement à leur état, s'y plaisent et y persévèrent, nonobstant tous les assauts de l'enfer, toutes les répugnances de la nature et toutes les séductions du inonde.

 « Notre petite Communauté , nous écrivait un Frère Directeur le mois dernier,  ressemble à un Paradis par l'union et le bon esprit qui anime tous ses membres. » – Un autre : « Je suis fort content de mes Frères, nous allons très bien ensemble. Chacun s'étudie à contribuer de son mieux au bien de la Maison, et à faire plaisir à ses Confrères. Mon Etablissement n'a jamais mieux marché. Dieu en soit béni ! Nous nous sommes régulièrement confessés tous les huit jours,  dit un troisième, aucune Communion de Règle ni même de dévotion n'a été omise. Le lever n'a pas été manqué une fois ; enfin, je suis très content de la manière dont la Règle est observée. Ces premiers mois se sont passés dans un accord parfait. Je ne crois pas que les rapports entre nous puissent être meilleurs. »

 « Vous me demandez, répond un jeune Frère, si je suis content dans mon nouveau Poste. Soyez tranquille, à moins d'être en Paradis, je ne puis l'être davantage ; vous m'avez trop bien place, je ne méritais pas d'avoir un si bon Directeur. »

 Grâce à Dieu, ces expressions de charité et de saint contentement, de piété et de bon esprit, se multiplient dans les lettres que nous recevons. Cette année même, nous avons eu la satisfaction de les rencontrer plus qu'à l'ordinaire. J'en bénis Dieu de toute mon âme, et je le conjure de nouveau de les réaliser dans toutes nos Maisons. Le plus ardent de mes désirs, c'est qu'elles se trouvent vraies dans la bouche et dans le cœur de tous les Membres de la Congrégation, qu'elles puissent se répéter partout et de tous avec une parfaite exactitude.

 Et ce qui me fait demander cette grâce avec plus d'instance, ce qui me la fait désirer avec plus d'ardeur, c'est que là se trouve le grand secret de la formation et de la conservation des Frères ; parce que là se trouve le secret du véritable contentement. Pour mon compte, je ne suis jamais arrivé dans un Etablissement, je n'y ai jamais trouvé les Frères bien unis entre eux, exacts à leur Règle, franchement consciencieux, franchement à leur affaire, que je ne les aie vus parfaitement contents, qu'ils ne m'aient présenté l'image du Paradis.

 A ce propos, laissez-moi vous rappeler une impression déjà ancienne, mais très vive encore. J'étais dans une de nos Maisons de trois Frères, simple externat, sans pensionnaires, sans étude, sans surcharge quelconque, une de ces Maisons modestes, où l'on apprend avant tout, les Prières et le Catéchisme; où l'on se contente des parties essentielles de l'enseignement primaire ; et où, la classe finie, les Frères sont tout à leur Règle, tout à leur intérieur.

    C'était après la classe du soir, les enfants venaient de partir. Arrive une caisse de librairie, avec quelques  objets de vestiaire, venant de l'Hermitage, du bon Frère Louis, chargé alors des classiques. Aussitôt ces trois Frères, Directeur et seconds, de s'écrier : Une caisse de l’Hermitage ! Un envoi du Frère Louis ! Allons voir !  Allons voir ! Et les voilà tous les trois, tout joyeux et tout épanouis, à genoux autour de cette pauvre caisse, s'aidant à la déclouer; puis, se faisant passer, l'un après l'autre, les livres, les papiers, les objets de trousseau, tout ce qu'elle contient ; les regardant avec bonheur, les retournant dans tous les sens, lisant et se transmettant la facture du cher Frère Louis, avec le même empressement que des hommes avides de politique, feraient d'un article saisissant de journal.

 C'est une simplicité, c'est une naïveté, dira-t-on ; c'est possible ; mais pour moi, dans ce fait si simple, si naïf, trois choses me furent évidentes, et je n'ai jamais pu oublier le plaisir, je devrais ajouter l'admiration, qu'elles me causèrent.

 Il me fut évident d'abord qu'il y avait une parfaite union entre ces Frères, et que tous, ils prenaient également intérêt aux affaires de la Maison.

 Ils s'appellent simultanément ; ils agissent de concert, sans distinction de premier et de dernier; ils sont tous à compter leurs livres, à vérifier la facture, a s'assurer que tout y est.

 Franchement, ce Frère Directeur qui fait tout avec ses seconds, qui les intéresse à tout, me plaît singulièrement. Je le préfère de beaucoup à celui qui fait mystère de tout, qui aime à agir seul et à se cacher.

 Ces seconds, qui aident ainsi leur Directeur, qui courent arranger des livres, des objets qu'on reçoit, qui s'empressent de voir que rien ne manque, me paraissent d'un excellent esprit. Ce dévouement, cet empressement, cet intérêt m'annoncent de bons Frères, de vrais enfants de famille. Mille fois, je les préfère aux sans-souci qui ne font attention à rien, aux égoïstes qui ne s'occupent que d'eux-mêmes.

 Ce qui me fut d'une égale évidence, c'est que la caisse, avec tout ce qu'elle contenait, intéressa surtout ces bons Frères, parce qu'elle venait de l'Hermitage, de la Maison-Mère. Ce fut leur cri unanime en la recevant, et tout ce qu'ils échangèrent de petits mots, de petites réflexions, en la défaisant, me disait que ce sentiment filial dominait tous les autres

 Mais ce qui me frappa, ce qui me toucha jusqu'à l'admiration, ce fut de voir la simplicité de ces excellents Frères, la candeur de leur âme, leur admirable innocence qui leur faisait trouver, comme au Disciple bien-aimé avec sa perdrix, un réel plaisir, une très douce satisfaction dans une si petite chose, une circonstance si commune, et, naturellement, si peu propre à produire un tel effet. Je savais d'ailleurs ces Frères capables, bien vus dans le pays, et tout à leur Règle et à leurs Enfants.

 Que Dieu les bénisse de plus en plus ! C'est pour moi un véritable bonheur de rappeler ici l'aimable scène d'intérêt de famille, de piété toute filiale qu'ils m'ont fournie. Je la trouve toute semblable à celle que présentent nos bons marins, lorsque, revenant d'une longue et lointaine navigation, ils s'extasient, ils sautent de joie, en entrevoyant de loin le clocher de leur village, le toit de la maison paternelle; ils pleurent de bonheur, ils ne se possèdent plus, dès qu'ils aperçoivent le père et la mère, les frères et les sœurs qui les attendent au rivage et leur tendent les bras !

 Peut-être encore que c'est trop de réflexions pour un sujet si mince en soi. C'est possible ; mais, puisque nous touchons à la question si délicate, si capitale de l'éducation de nos Frères, je suis bien aise de vous faire comprendre, par ces réflexions, que tout aide à l'esprit de famille, que les moindres choses mêmes l'entretiennent et le nourrissent. C'est par des riens que la mère s'attache son enfant : un joujou, une dragée, une caresse, un sourire ; c'est par des riens que l'enfant plaît à sa mère et la réjouit : une fleur, un de ses bonbons, un petit geste, un regard, un rien. Ainsi, entre nous, les petits égards, les petites prévenances, un léger service, une complaisance de rien, suffit pour entretenir la charité, comme l'huile entretient la flamme d'une lampe et la nourrit.

 Puissent donc Jésus et Marie, en bannissant de nos rapports mutuels l'enfantillage et la puérilité, y conserver d'ailleurs, toute la naïveté, toute la simplicité, toute la cordialité du véritable esprit de famille. C'est ce bon esprit qui doit entrer essentiellement dans l'éducation de nos jeunes Frères, parce que c'est le seul qui fait, le bonheur et la sûreté des Religieux. Partout où les Frères le trouveront et le goûteront, ils seront heureux ; ils se plairont à reconnaître qu'ils trouvent dans la Religion ce qu'ils sont venus y chercher : une seconde famille, un asile de paix, un abri contre le péché, un port de salut, une sûreté incomparable pour la conscience et pour la vertu.

 Pour les Religieux animés de ce bon esprit, et placés dans ces conditions, la vie religieuse est vraiment le trésor de l'Evangile, caché dans un champ. L'homme qui l'a trouvé, dit Jésus-Christ, l'y cache de nouveau, et, plein de joie, il va vendre ce qu'il a, et achète ce champ (Matth., XIII, 44). Tout Frère qui aura pénétré dans ces secrets intimes de l'état religieux, qui l'aura connu tel qu'il est en effet, quand il est bien pratiqué sera heureux de tout quitter pour le conquérir. L'état religieux sera encore pour lui la perle précieuse dont parle le divin Maître au même endroit. Le royaume du Ciel, dit-il, ressemble aussi à un marchand qui cherche de belles pierres ; et en ayant trouvé une d'un grand prix il va vendre tout ce qu'il a, et il l'achète (Ibid., 45, 46).

 Nous lisons de saint François que, son frère l'ayant rencontré dans les rues d'Assise, au milieu de l'hiver, et le voyant presque nu et à demi mort de froid, lui envoya demander, pour se moquer de lui, s'il voulait lui vendre une goutte de sueur. « Dites à mon frère, répondit le Saint, que j'ai tout vendu à mon Dieu et très chèrement. » Oui, très chèrement, si chèrement, qu'il lui fut répondu du Ciel, dans une autre circonstance où il souffrait des douleurs excessives : Courage, frère François ! réjouis-toi et fais éclater ta joie : car les peines que tu souffres doivent te mériter un si grand trésor dans le Ciel, que quand toute la terre serait convertie en or, toutes les pierres changées en perles et en diamants, et toutes les eaux en un baume du plus grand prix, tout cela n'aurait rien de comparable, en aucune façon, à la récompense que Dieu prépare à ta patience et à ton entier dépouillement. »

 Voilà, Très Chers Frères Directeurs, le trésor incomparable que vous êtes chargés de faire trouver à vos Frères, la perle inestimable que vous avez à leur découvrir; afin qu'ils quittent tout pour conquérir ce trésor et cette perle, qu'ils souffrent et endurent tout plutôt que de les perdre. Or, ce trésor divin, cette perle inestimable, ils les trouveront, je vous l'assure de nouveau àvous et à eux, dans toutes vos Maisons, si la piété et le bon esprit y règnent, si la Règle y est bien observée ; si, Jésus, Marie, Joseph, y habitant avec vous et vous couvrant de leur protection, elles sont comme autant de Maisons de Nazareth, où l'on ne connaît d'autre loi que celle de l'obéissance, d'autres liens que ceux de la charité, d'autre occupation que celle de faire la volonté de Dieu, de se sanctifier et de procurer le salut des âmes.

 Hélas ! faut-il ajouter ici qu'il en sera tout autrement, qu'on aura exactement le contraire dans tous les Postes dont l'esprit de piété ne sera pas l'âme, où l'esprit de famille ne régnera pas, où les Règles seront généralement et constamment violées. C'est une vérité triste à dire, mais elle n'est que trop réelle.

 Dès leur première entrée dans ces Postes, les Sujets se trouvent tout surpris, tout déconcertés. Mieux ils ont goûté les instructions qu'ils ont entendues, les pieux exercices qu'ils ont faits, plus ils sont étonnés de voir qu'on fasse si peu de cas de tout ce qu'on leur a appris à estimer et à vénérer; qu'on ait des pensées, des paroles et une conduite si opposées à tout ce qu'on vient de leur enseigner et de leur recommander. Ils se tairont d'abord, ils s'armeront de courage pour conserver leurs bonnes résolutions, pour observer la Règle, se lever à l'heure, faire leurs exercices comme il est prescrit ; mais si les irrégularités se continuent, si elles viennent des anciens Frères, de ceux mêmes qui ont la charge de les empêcher; si à ces exemples de relâchement se joignent, comme il n'arrive que trop souvent, certaines paroles railleuses, certains demi-mots, certains sourires, je ne sais quels airs moqueurs, comment voulez-vous que la vertu naissante de ces jeunes Frères y tienne? comment peuvent-ils échapper à ces mauvaises insinuations, à ces dangereux exemples, à des paroles et à des actes, vrai travail de destruction, tout opposés au travail de piété et d'édification qui s'est fait pendant le Noviciat ?

 Que ne puis-je, M. T. C. F., transcrire ici les plaintes que nous font entendre tous les sujets dont la vertu et la vocation ont subi cette redoutable épreuve, et que leur conscience et nos conseils ont arrêtés sur le bord de l'abîme ! Ah ! nous disent un bon nombre, jusqu'à telle époque je n'avais point eu de doute sur ma Vocation ; j'y étais content et heureux, jusqu'au jour où, à l'exemple et souvent en la compagnie de tel Confrère, quelquefois d'un Directeur, j'ai commencé à fréquenter le monde, j'ai passé le temps en courses, en visites, peut-être en de funestes veillées. Dès ce moment, le goût de la prière, l'amour de mon état, le bonheur que j'y trouvais tout a disparu ; dès ce moment aussi, les tentations ont redoublé ; le démon a pris sur moi un empire comme absolu ; l'enchantement des créatures m'a séduit, et je n'ai plus songé qu'à me jeter dans le monde, en ayant sucé tout l'esprit. Si j'ai échappé à ce malheur, je ne le dois qu'à mes vœux que je n'ai osé rompre entièrement. Je ne le dois qu'aux avis et aux pressantes exhortations de mes premiers Supérieurs… Oh ! ajoutent-ils tous, qu'ils auront un terrible compte à rendre à Dieu, les Frères et surtout les Directeurs qui exposent ainsi la vertu et la Vocation de ceux qu'ils avaient le devoir d'édifier et de conserver ! Quelle terrible responsabilité !

 En effet, M. T. C. F., quand ces exemples se multiplient sous nos yeux, quand on fait sérieusement toutes ces considérations, est-il possible de trop dire et redire aux Frères Directeurs que la conservation des Vocations, et, par là même, l'avenir religieux des Frères et l'avenir de tout l'Institut, sont entre leurs mains ; qu'ils ne peuvent assez y veiller, assez travailler à porter leurs Frères à la vertu, à la piété, à la ferveur.

 Malgré tous leurs soins et tous leurs efforts, ils ne parviendront pas à les sauver tous ; certaines vocations, même excellentes, leur échapperont, rien au monde n'étant plus menacé que la vocation religieuse, parce que rien au monde n'est plus précieux devant Dieu. Qu'en serait-il donc, si ces soins faisaient défaut, si les Frères étaient laissés à eux-mêmes ; si, faute de direction, ils grandissaient dans l'irrégularité et la dissipation, sans principes, dans ce vague et cet irrésolu qui ne peuvent aboutir qu'à l'infidélité; s'ils prenaient des habitudes toutes contraires aux obligations de leur état ; si, même sans tomber dans de grands abus, sans rencontrer de grands scandales ils perdaient peu à peu, par suite de petits manquements, cette délicatesse de conscience dont nous avons dit un mot et qui est la première sauvegarde du Religieux ; cet esprit de foi, ce désir du salut qui a été le principe de leur vocation, et qui seul peut la soutenir ?

 Oui, T. C. F. Directeurs, comprenez-le bien, sans votre concours de tous les jours et de tous les instants, le zèle et les efforts des Supérieurs, des Frères Assistants, des Frères Visiteurs, du Frère Supérieur Général lui-même, leurs visites, leurs avis, leurs lettres, leurs instructions, resteront sans effet, parce que l'application manquera ; ou bien l'effet n'en sera que très incomplet, très passager, presque nul, parce qu'il sera comme paralysé par l'esprit de relâchement qui régnera dans vos Maisons.

 Comprenez pour vous, comme nous le comprenons pour nous-mêmes, ce que je ne crains pas d'avancer et de dire pour tous : Si nous, Supérieurs, nous ne remplissions pas les devoirs de notre charge, nous perdrions le Corps entier de l'Institut, parce que l'action des premiers Supérieurs s'étend à tous les Membres ; mais les Frères Directeurs, quand ils se négligent et qu'ils négligent leurs Frères, rendent ce Corps, rendent la Congrégation toute souffreteuse et toute maladive ; ils lui créent des malaises partiels qui ne peuvent que la faire languir, et en préparer peu à peu la ruine, à mesure que les négligences se répètent, s'aggravent, s'étendent et se prolongent.

 Comprenez enfin, qu'un Frère Directeur ne peut pas être infidèle à la grâce, infidèle à l'esprit de sa vocation, infidèle aux obligations de sa charge, sans faire ses subordonnés participants de son infidélité, sans poser pour lui-même et pour eux, le principe le plus actif et le plus certain de défection et d'apostasie.

 Je compléterai plus tard ces réflexions, que je suis obligé de suspendre aujourd'hui pour ne pas allonger outre mesure cette Lettre. J'espère néanmoins que tout ce qui précède sera compris de chacun de vous, et que vous en profiterez tous. Les Frères Directeurs y apprendront de plus en plus l'importance, la gravité et toute l'étendue de leurs obligations. Tous les autres Frères en prendront occasion de mieux apprécier la charge des Frères Directeurs ; et, voyant qu'elle est si lourde, que leur responsabilité est si grande, ils se feront un devoir de la faciliter et de l'adoucir par leur obéissance et leur docilité. C'est d'ailleurs, comme nous le dirons en son lieu, le commandement formel que leur a fait le grand Apôtre : Obéissez, leur dit-il, à vos conducteurs, parce qu'ils veillent pour le bien de vos âmes, comme devant en rendre compte ; et soyez-leur soumis, afin qu'ils s'acquittent de ce devoir avec joie, et non en gémissant ; ce qui ne vous serait pas avantageux (Hébr., XIII, 17).

 Voici la liste des Frères, Novices et Postulant, décédés depuis notre Circulaire du 21 juin 1866 :

 

F. LÉONIEN, Profès, de la Province de Saint-Paul-trois-Châteaux, décédé le 21 octobre 1865 (omis).

 F. APOLLINARIS, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval, le 19 juillet 1866.

 F. AVELLINO, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval, le 19 juillet 1866.

F. FERNAND, V. O., décédé à Saint-Genis-Laval, le 29 juillet 1866.

F. SEBASTIANUS, V. O., décédé à Largentière (Ardèche), le 15 septembre 1866.

F. MARIE-MARTYRIUS, Profès, décédé à Santes (Nord), le 17 septembre 1866.

F. ANTOINE DE PADOUE, 'Profès, décédé dans sa famille, le 24 septembre 1866.

F. OCTAVIUS, Profès, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 23 octobre 1866.

F. WILLIAMS, V. O., décédé à Dundee (Ecosse), le 8 novembre 1866.

F. CIPRIANO, V. O., décédé à Aveize (Rhône), le 17 décembre 1866.

F. ILLIDE, Profès, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 20 décembre 1866.

F. CLASSIQUE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval, le 27 décembre 1866.

   FAURE (Marie-Pierre), Postulant, décédé à Saint-Genis-Laval, le 31 décembre 1866.

F. MARIE-VICTORIC, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval, le 4 janvier 1867.

F. ULPIEN, V. O., décédé dans sa famille, le 12 janvier 1867.

F. CAIUS, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval, le 20 janvier 1867.

F. RIBIER,Stable, décédé à la Bégude, le 9 février 1867.

 

L'excellent Frère Ribier, dont nous apprenions la mort le jour même où se terminait cette lettre, a laissé toute la Maison de la Bégude dans l'admiration de la piété et de la ferveur qui l'ont accompagné jusqu'à ses derniers moments. « Notre bon Frère Ribier, nous écrit le cher Frère Malachie, vient de nous quitter pour aller au Ciel, aujourd'hui, samedi, 9 février.

 « Il avait demandé au bon Dieu de faire son purgatoire en ce monde, et à la Sainte Vierge de mourir un samedi ou un jour de ses Fêtes. L'un et l'autre lui ont été accordés. Depuis dix jours, il était entre la vie et la mort, souffrant beaucoup, ne pouvant prendre qu'un peu d'eau pure coupée avec quelques gouttes de vin blanc ; mais toujours calme, toujours édifiant et d'une parfaite rési­gnation. Il m'a particulièrement chargé de dire au Ré­vérend Frère, au cher Frère Philogone, son Assistant, ainsi qu'au cher Frère Jean-Baptiste, qu'il ne les oublierait pas dans le Ciel, qu'il ne peut assez les remercier de toutes les bontés qu'ils ont eues pour lui, de tout le bien qu'ils lui ont fait. Après sa mort, tout le monde courait à l'infirmerie pour avoir quelque chose de ce bon Frère, et le garder comme une relique. »

 Le cher Frère Ribier, attaché à la Maison de la Bégude depuis 1845, époque de son entrée au Noviciat, a été chargé de la cuisine pendant douze ans, puis de la porte et de divers soins temporels, pendant les dix dernières années de sa vie. Or, ce qu'a été à l'Hermitage et à Saint-Genis-Laval le cher Frère Bonaventure, dont je vous al parlé dans une précédente Circulaire, pendant ses dix-huit années d'occupations manuelles, le cher Frère Ribier l'a été de tous points et dans la même perfection, pendant vingt-deux ans, pour la Maison de la Bégude. Même piété, même bonté de caractère dans la vertu, même constance et même simplicité dans l'emploi, même application et même dévouement ; dans toute la conduite, même régularité, même droiture d'intention, même exactitude à ne rien faire que dans l'obéissance et selon l'obéissance, soit à la Règle, soit aux Supérieurs.

 Tous les deux ont été remplis de douceur et de condescendance pour tous les autres, et n'ont eu de la dureté, de la sévérité que pour eux-mêmes ; tous les deux ont aimé leurs Supérieurs comme leurs pères, tous les Membres de l'Institut comme leurs frères, l'Institut lui-même, comme leur héritage, comme leur famille : il n'est pas possible de pousser plus loin l'intérêt pour la Congrégation, l'affection. pour tous ses Membres, le bon esprit en tout et toujours. Ce que nous avons dit du Frère Bonaventure, de son excellent caractère, il faut le dire à la lettre du bon Frère Ribier. La douceur et la bonté en faisaient le fond ; et la grâce, la nature et ses efforts y avaient ajouté l'affabilité, les bonnes manières, les égards, les prévenances, une complaisance qui ne se démentit jamais. Lui aussi a passé ses vingt-deux ans de Communauté sans se heurter contre qui que ce soit, sans blesser personne, sans faire de la peine au moindre de ses Frères.

 Tous les deux encore ont été des Frères de bons conseils, toujours disposés à encourager dans la vertu, à consoler dans les peines, à porter tous ceux qui les approchaient à l'estime de leur Vocation, à l'amour de leurs Supérieurs, à l'esprit religieux. Je n'oublierai jamais avec quelle piété, avec quelle incomparable douceur le cher Frère Ribier exhortait un jour un Frère mourant dans l'infirmerie de la Bégude. Je l'entendais de la pièce voisine, sans qu'il me vit, et je ne pouvais en revenir de tant et de si pieux sentiments, des admirables pensées de confiance et de résignation qu'il savait suggérer à son Confrère. Oh ! que je voudrais, me disais-je à moi-même, être assisté à ma mort par un Frère aussi bon, aussi pieux, aussi rempli de l'esprit du bon Dieu !

 Ce qu'il y a eu de particulier dans ces deux Frères, vrais modèles du véritable Petit Frère de Marie, c'est que, sans se distinguer en rien, menant une vie en apparence très simple, très commune, ils sont arrivés tous les deux à la perfection des vertus, au comble du mérite ; et ils ont laissé à tous leurs Confrères une telle opinion de leur sainteté, qu'on s'est disputé à leur mort, tout ce qui leur avait appartenu, comme on le fait à la mort des Saints.

 Ah! plaise Dieu que ces bons Anciens qui nous quittent, plaident assez les intérêts de la Congrégation auprès de la bonne Mère, pour qu'elle leur donne à tous de dignes successeurs !… De tels sujets, à la Maison-Mère, dans les Maisons provinciales, sont un trésor incomparable ; leurs prières, leurs vertus, leurs bons exemples deviennent pour tous une source de bénédictions.

 Je vous recommande toujours l'exactitude à faire les Prières de Règle pour tous nos Frères, Parents et Bienfaiteurs défunts. Vous remarquerez que, dans le nouveau procès-verbal des Visites, une question doit vous être faite chaque fois sur le fidèle accomplissement de ce point de règle et de charité.

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 Je crois utile de donner à chaque Maison un exemplaire du nouveau procès-verbal des Visites, dont je viens de dire un mot. Il est nécessaire que les Frères Directeurs le connaissent parfaitement, et qu'ils préparent avec soin tous les renseignements que les Frères Visiteurs auront à leur demander:

 1°Sur l'esprit religieux de la Maison et l'état général des classes.

 2°Sur le local, le mobilier des Frères et le mobilier scolaire de chaque classe.

 3° Sur le temporel : taux des rétributions mensuelles, taux des abonnements, prix divers, état de la caisse et de l'actif lors de la visite ; actif présumé pour toute l'année, à partir d'octobre, époque de la rentrée, jusqu'à la fin de septembre. Dans cet actif présumé, on ne doit compter que le bénéfice présumé des classiques, et non leur valeur vénale.

 4° Le nombre des élèves, selon les catégories indiquées.

 5° Les désignations personnelles de chaque Frère, le tableau de leur travail ordinaire, où ils en sont pour les cours spéciaux.

 6°L'état du trousseau de chaque Frère, etc.

 Nous avons fait imprimer à part les signes convenus pour les différentes notes. C'est une clef à garder entre nous.

 SIGNES CONVENUS

 1, très bien ; 2, bien ; 3, assez-bien ; 4, faible, laisse à désirer 5, mal, nul, rien.

 

[1](A) Quand il y a double titre,on met le 1ier  en numérateur et le 2nd en dénominateur. EXEMPLES Colonne (1) 3/4 : santéassez bien, constitution faible; (2) 36/12 : 36ans d'âge, 12ans de communauté ; (3) V. 0./4, V. P./10 : 4ans de vœux d'obéissance, 10 ans de profession, (faire compter toute année commencée) : (4) B. 0./11, B.C./3 : 11ans de brevet obligatoire, 3 ans de brevet complet ; (5) D./1, 1ière  C./2; très bien comme Directeur, bien comme Maître de 1ière  classe ; (idem) pour : S.-D. (Sous -Directeur), 1ier S.(1ier Surveillant), etc. (6) 2/50:Catéchisme bien, 50 pages de Notes Spirituelles ; (7) 2/4 : Histoire de France bien, Géographie faible ; (8) 2/20-9-6 : Orthographe bien, 20Dictées, 9 Analyses, 6 Exercices ; (9) 1/60 Ecriture très bien 60 pages ; (10) 2/100Arithmétique bien, 100 problèmes ; (11) 1/5 : plain-chant très bien, en Musique, rien, nul, etc.

 (B) Mettre simplement en numérateur le nombre des soutanes, bas, manteaux ; et en dénominateur, le nombre des culottes, souliers, chapeaux, selon l'état de chaque objet, c'est-à-dire selon que l'objet est bon, mi usé ou mauvais.

 (C) S'il y a deux Frères Cuisiniers, deux Frères Surveillants, mettre en numérateur les notes du premier et en dénominateur les notes du second. S'ils étaient trois, on recommencerait de même une seconde fraction.

 (D) Mettre en numérateur le nombre des Elèves de l'Ordre, et en dénominateur la note qu'ils ont obtenue. Si quelques Elèves de cet Ordre se distinguent en bien ou en mal, l'indiquer par une seconde fraction composée de même, c'est-à-dire, ayant pour numérateur le nombre des Elèves qui se distinguent, et pour dénominateur la note qu'ils méritent.

 (E) Devant chaque classe, indiquer, par une première fraction 1° l'ordre de la Classe, 2°sa force moyenne ; et, par une second fraction : 1° le maximum des Elèves de cette Classe; 2°le nombre des Elèves présents. Le signe de fraction est placé sur le procès-verbal, on n'a qu'à écrire les chiffres au-dessus et au-dessous.

 Je me réserve de vous donner à la Retraite la raison des additions faites au procès-verbal des Visites. Vous reconnaîtrez sans peine qu'elles n'ont d'autre but que le bien particulier de chaque Frère et la parfaite Régularité des Maisons.

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 La liste d'admissibilité aux Vœux devant être envoyée aux Frères Profès dans le courant du mois d'avril, il est nécessaire que les Aspirants au Vœu d'obéissance ou à la Profession, fassent leur demande en mars. Qu'on n'oublie pas de la faire sur un billet à part et de la signer.

 Les observations des Frères Profès sur ceux des Récipiendaires qu'ils connaissent, devront nous être envoyées avec la correspondance du mois de mai. Il faut qu'ils soient très exacts à les donner.

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 Voici sur la correspondance quelques observations que je recommande à l'attention de tous. Il est très nécessaire, pour la facilité, la régularité, et l’économie du service, qu'on s'y conforme parfaitement.

 1°Marquer, par des alinéas bien tranchés, chaque article de lettre, chaque objet distinct. Par exemple, en rendant compte des classes, faire un alinéa pour chaque classe; en rendant compte des Frères, faire un alinéa pour chaque Frère. Il ne faut pas craindre de multiplier les alinéas. C'est le moyen de rendre la lettre plus lisible, plus intelligible, et d'avoir une réponse toujours ad hoc. C'est d'ailleurs une règle de bon goût de faire ressortir, par des alinéas, les pensées saillantes, les points de vue différents qui se rapportent au même sujet ; à plus forte raison, faut-il le faire, quand on passe d'un sujet à un autre.

 Je suis obligé d'insister sur ce point, parce qu'il arrive assez souvent qu'on y manque. Il nous est venu des lettres de quatre, de six et huit pages, écrites sur toute la réglure du papier quadrillé, et presque sans alinéas. Franchement, de pareilles lettres peuvent-elles être lues? Quand on n'a qu'une lettre à lire, on prend son temps ; mais, quand on en a des masses et qu'il faut plusieurs heures pour les parcourir, alors même qu'elles sont bien écrites et bien disposées, on ne peut que souffrir et se dépiter devant celles où ces attentions ne sont pas gardées. Je dis ces attentions: car vous les devez au Régime pour la rude tâche que lui impose la correspondance.

 2°Se servir de papier blanc, avoir de l'encre bien noire et écrire très lisiblement. Ne pas écrire trop fin, ne pas trop serrer les lignes.

 3°Mesurer la force du papier au nombre des lettres, de manière à ne pas dépasser les dix grammes fixés pour un seul timbre, ni les vingt grammes fixés pour deux timbres.

 C'est le papier demi-pelure qui convient le mieux, quand il n'y a que quatre ou cinq lettres dans le paquet. Le papier pelure ne supporte pas assez l'écriture, il ne faut pas l'employer.

 Assurez-vous toujours que votre lettre ne dépasse pas le poids. Nous avons eu beaucoup de surtaxes pendant le mois de janvier dernier.

 4°Apporter une extrême attention à toutes les lettres, billets, reçus, demandes, écrits quelconques, envoyés en-dehors de la Congrégation. Soignez-les de votre mieux pour l'écriture, pour l'orthographe, pour la rédaction et pour tout. Evitez avec plus de soin encore de manquer aux formes de l'honnêteté et de la politesse ; alors surtout que vous écririez pour vous plaindre de quelque chose ou de quelqu'un, ou pour réclamer contre des retards, des refus ou autres choses pénibles. On passe les fautes qui dénotent l'oubli, l'inattention ; mais on ne passera jamais à un Religieux instituteur ce qui s'écarte du respect, de la convenance, de la modestie. En général, ne visez qu'à être très clairs et très courts dans votre correspondance extérieure, et soyez très fidèles à toutes les prescriptions de la Règle pour la correspondance avec les Autorités.

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 Quoique les travaux essentiels de la Chapelle et du Noviciat de la Maison-Mère soient achevés, nous sommes loin, très loin de les avoir acquittés. C'est au contraire le moment où la Procure Générale éprouve la plus grande gêne, à cause des dettes courantes qu'elle n'a pu couvrir à temps, et des dettes de la construction dont le solde est demandé en ce moment.

 Elle aurait besoin, pour éviter des emprunts toujours si onéreux pour tous, que chaque Frère Directeur se mit en mesure de faire, avant la fin mai, un versement de 100 francs par Frère dans les Externats, et de 200 à 300 francs dans les Pensionnats.

 Je vous recommande aussi, pour la même fin, d'avancer, le plus possible, le paiement des classiques et autres fournitures.

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 Un point de Règle auquel je désire que vous donniez une attention toute particulière, c'est l'étude et l'enseignement du Chant. C'est peut-être le moyen le plus puissant pour moraliser les enfants, les attacher à l'Ecole, les attirer à l'Eglise et les porter au bien. Volontiers, je dirais que pour tout Instituteur religieux, l'enseignement du chant doit tenir le premier rang après celui du Catéchisme : point d'autres leçons qui puissent contribuer pour une si large part à la gloire de Dieu. C'est l'ignorance du Chant, hélas ! trop générale aujourd'hui, qui nuit peut-être le plus à la beauté des Offices de l'Eglise, et qui fait que tant d'hommes y deviennent comme indifférents.

    L'Eglise s'est toujours occupée très sérieusement du Chant ; les plus grands génies parmi les plus grands Saints, l'ont étudié pour eux-mêmes et se sont fait un devoir de l'enseigner aux autres. Tous les bons prêtres, dans les paroisses, s'efforcent d'en inspirer le goût à leurs paroissiens ; et le plus grand plaisir que les Frères puissent leur faire, c'est de les aider de leur mieux pour cette œuvre, en formant eux-mêmes leurs enfants au chant. Du reste, il y a une convenance telle que les reli­gieux se prêtent au chant de que Mgr Parisis, de si sainte mémoire, dans sa Lettre pastorale sur le chant leur en fait comme un devoir, en citant ces paroles du Cardinal Bona à ses Religieux  « Ceux-là sont condamnables qui, dans l'oblation publique, ravissent à Dieu leur offrande, en lui refusant le tribut de leurs lèvres ; ils ne considèrent pas que, retranchant ainsi leur part de concours au service de l’Eglise, à l'édification du prochain, à la joie des Anges, à la gloire des Saints, au culte dû à Dieu, ils méritent que, dans la même proportion, Dieu les prive de sa grâce, les Saints de leurs suffrages, les Anges de leur assistance, le prochain de son secours et l'Eglise de ses bienfaits. »

 Il est donc souverainement à désirer, et c'est le vœu de l'Eglise, que tous les fidèles prennent part au chant de nos saints Offices. « Il est bon, dit saint Bernard, de glorifier Dieu en chantant dos psaumes et des cantiques. Si nous sommes nourris et fortifiés par l'oraison, nous sommes encouragés et réjouis par la modulation des psaumes. Dans le Chant de l'Eglise, les âmes tristes trouvent la joie; les esprits fatigués, du soulagement ; les tièdes, un commencement de ferveur ; les pécheurs, un attrait à la componction. » « Ô Seigneur, s'écrie saint Augustin, oh! comme j'ai pleuré au chant de vos hymnes et de vos cantiques ! Oh! combien les douces voix de votre Eglise me causaient de vives émotions ! Ces voix pénétraient dans mes oreilles, et en même temps votre vérité s'infiltrait dans mon cœur, et de là bientôt naissait en moi votre amour, qui m'animait et m'embrasait; mes larmes coulaient en abondance,  et j'étais heureux de les répandre. »

 A l'appui de ces vérités, nous pourrions citer l'exemple de plusieurs de nos Frères qui ont obtenu les plus heureux résultats par l'enseignement régulier du Chant. Nous avons des paroisses où le Chant attire à l'église les meilleurs jeunes gens de la localité et les entretient dans la fréquentation des Sacrements. Les parents et les fidèles ne peuvent assez dire combien ils sont heureux d'entendre les petits enfants de l'Ecole faire chœur au Graduel, imposer les Antiennes, et chanter des Motets à l'Elévation et aux Bénédictions.

 Je vous engage donc, M.T.C.F., à faire tout ce qui dépendra de vous, pour donner le goût du Chant à vos enfants. C'est pour vous aider dans cet enseignement que nous avons fait imprimer les Principes de plain-chant et de Musique.

 Ces deux petits ouvrages renferment tout ce qui est nécessaire pour former au Chant, et diriger les Maîtres chargés de l'enseigner. C'est le témoignage qu'en ont rendu tous ceux qui les ont examinés. En voici quelques

 « Je viens de lire avec bonheur vos deux Traités de plain-chant et de Musique. Ils sont clairs, exacts, bien divisés, bien écrits et suffisamment complets. Ils renferment une foule de conseils précieux pour l'étude et la pratique du Chant. »

 « Vos deux Ouvrages sont rédigés avec une méthode excellente, et renferment dans un cadre restreint un corps d'enseignement complet. Je suis heureux d'unir mon suffrage à celui de votre Eminent Cardinal, et de vous féliciter d'une œuvre qui contribuera pour une  large part à développer dans nos écoles l'étude d'une science si nécessaire et parfois pourtant si négligée.

 « Il y a dans vos deux Traités d'excellentes choses, de ces aperçus qu'on ne trouve pas ailleurs et qui seront  très utiles. »

 Vous avez donc entre les mains tout ce qu'il vous faut pour donner une bonne direction à l'enseignement du Chant ; il ne tient qu'à vous de l'utiliser dans la vue du bien, en vous conformant à ce qui est prescrit dans le Guide soit pour le plain-chant, soit pour les Cantiques avant le Catéchisme.

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 Vous savez que, sur la demande réitérée de Monseigneur Grimley, évêque d'Antigona, Vicaire Apostolique du Cap de Bonne-Espérance, et sur les pressantes recommandations de Son Eminence le cardinal Barnabo, Préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande, nous avons accepté de fonder, dans la ville du Cap, un Etablissement de nos Frères, sous l'autorité de l'Ordinaire, et selon les Règles et les Constitutions de l'Institut.

 J'ai la satisfaction de vous annoncer que tout est réglé pour cette importante Fondation, et que cinq Frères viennent de partir pour aller la commencer.

 Ils doivent s'embarquer à Toulon, le 10 de ce mois, sur le vaisseau l'Iphigénie. l'État a bien voulu faire les frais de leur passage, et les comprendre à bord dans l'Etat-Major du bâtiment. Ils auront la consolation d'avoir trois Prêtres avec eux, et nous avons su qu'ils seront aussi bien que possible, pendant cette longue traversée.

 Mais les dangers de la mer sont toujours grands, et les difficultés d'une Fondation nouvelle, dans un pays si éloigné, ne laissent pas de nous inquiéter. Nous nous unirons donc pour demander à Dieu qu'il accorde à nos cinq Frères et à tous ceux avec lesquels ils se trouvent, une heureuse navigation ; qu'il les bénisse et les garde à leur arrivée, et qu'il leur donne les forces, le courage et tous les moyens nécessaires pour faire le bien qu'attend d'eux l'excellent Evêque qui les appelle.

 Ils sont partis pleins de zèle et de bonne volonté, sacrifiant tout avec plaisir, pour aller se dévouer au salut des enfants catholiques, et même des autres enfants, quels qu'ils soient, qui voudront être admis dans leur Ecole et en suivre le Règlement. Ils auront, il paraît, un Etablissement très convenable, avec les dépendances ordinaires de nos Maisons d'école. On dit le pays très sain et le climat excellent.

 Le Directeur est le C. F. CHUMALD,de la Province du Centre; le sous-directeur est le C. F. SULPICIUS,de la Province du Nord; les deux autres Frères d'Ecole sont le C. F. FAUST et le C. F. ANTHONY, de la Province d’Angleterre ; le Frère chargé du temporel est le C. F. ANATOLIE,de la Province de Saint-Paul-trois-Châteaux.

 Nous prierons pour eux, d'une manière toute particulière, pendant leur traversée, et nous offrirons à cette fin la sainte Messe, nos Communions, et, en général, toutes nos prières et bonnes œuvres.

 Voici dans quels termes je l'ai promis à ces bons Frères en leur écrivant à Toulon, le jour même de leur départ, à la suite de la cérémonie qui l'a précédé. (Il y avait eu Exposition du Saint Sacrement et Communion à la Messe de Communauté, puis, à la suite du déjeuner, Salut solennel, suivi de l'accolade d'adieu). Je suis bien aise qu'ils retrouvent dans celte Circulaire, la première qui va leur être envoyée, l'expression de mes sentiments et mes derniers avis au moment de leur départ.

 N.-D., le 6 février 1867.

        « MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 « Je suis encore sous l'impression de notre belle et  touchante cérémonie de ce matin. Elle laisse dans toute la Communauté un parfum de piété et de cordiale charité qui réjouit tous les cœurs, malgré les douleurs et les regrets de la séparation. Oh! qu'il est beau de voir des Frères quitter tout, famille et pays,  Se séparer même, de corps, de leur famille religieuse,  pour aller travailler dans des pays lointains, à la gloire de Dieu et au bien des âmes. Avec quel amour, avec quelle religieuse tendresse nous vous avons tous embrassés en vous quittant ! Comme vous allez nous rester chers désormais ! Comme nous allons penser à vous, prier pour vous et attendre chaque jour de vos bonnes nouvelles ! Non, non, les liens qui nous unissent, ne se relâcheront point par l'espace qui nous sépare ; ils seront plus étroits, plus indissolubles que jamais. »

 Ici, j'ai promis à nos chers Voyageurs que, pour les rappeler aux bonnes intentions de tous les Frères, chaque jour, jusqu'à la fin du mois d'avril prochain (on présume qu'ils seront soixante-dix jours en mer), nous ajouterons un second Ave Maria au Salve Regina du matin ; et le soir, nous terminerons la prière par les six Invocations suivantes :

 Cœur Sacré de Jésus, ayez pitié de nous.

Cœur Immaculé de Marie, priez pour nous.

Saint Joseph, priez pour nous.

Saints Anges Gardiens, priez pour nous.

Saints et Saintes de Dieu, intercédez pour nous.

Que les âmes des Fidèles trépassés reposent en paix par miséricorde de Dieu.

Ainsi soit-il.

 Dans les Noviciats, on dira, de plus, l'Ave Maris Stella la visite de onze heures et demie.

 Puis, j'ai ajouté, et je le répète ici pour tous:

 « Maintenant, M. T. C. F., je vous laisse avec confiance sous la protection de la sainte Vierge et de saint Joseph, et sous la garde de vos bons Anges, vous recommandant, tout de nouveau, d'attirer sans cesse sur vous, sur vos enfants et sur toute la Mission, les bénédictions célestes, par la ferveur de votre piété, par votre constante régularité, et surtout par la plus entière et la plus parfaite union dans la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l'amour de Marie, notre bonne et commune Mère.

 « Il faut que votre parfait accord fasse l'édification du Clergé et des Fidèles, qu'il apparaisse à tous, même à la population protestante et mahométane. On doit dire de vous en toute occasion et partout : Voyez comme ces Frères s'aiment ! Voyez comme ces Frères sont unis ! Ils n'ont véritablement qu'un cœur et qu’une âme comme les premiers Chrétiens !

 « Conservez aussi en toutes choses une grande simplicité, un grand esprit de pauvreté: démarche, tenue, habillements, ameublement, langage, rapports extérieurs, enfin. Que partout aussi on puisse dire de chacun de vous : Voilà un véritable Petit Frère de Marie, bon, humble, modeste, simple, ennemi de tout luxe, de tout faste, de toute ostentation, de toute mollesse, de toute sensualité, de toute mondanité…

 « Vous voyez, M. T. C. F., que je vous exhorte jusqu'au bout, et que je ne puis assez multiplier mes recommandations. Ne l'attribuez qu'à mon ardente affection pour vous, à mon ardent désir de vous voir constamment bons Religieux, agréables à Dieu, utiles à l'Eglise et aux âmes, pleins de mérites pour le Ciel.

 « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu,, et la communication du Saint-Esprit soient avec vous tous. Amen. » (Il Cor., XIII, 13).

 Oui, M. T. C. F., je le redis pour tous, avec le grand Apôtre, pour répondre, en finissant cette Lettre, à tous les bons souhaits que vous nous avez exprimés dans la première correspondance de cette nouvelle année : Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit toujours avec vous tous! Que Jésus possède tous vos cœurs, les cœurs de tous vos Enfants, les cœurs de tous nos Parents et Bienfaiteurs, de tous ceux qui nous sont chers! Oui, que Jésus les possède seul, qu'il les possède tout entiers, qu'il les possède à jamais!…

 « Avec Jésus nous serons riches, dit l'auteur de l'Imitation, et lui seul nous suffit pour tous. Il prendra soin lui-même de tout ce qui nous regarde. »

 Le chef-d’œuvre de la grâce, le triomphe de la sagesse, de la puissance et de la bonté de Dieu, agissant dans l'homme, c'est l'union de Jésus, l'union de l'Auguste Trinité avec notre âme, avec notre cœur, par la charité, par la grâce sanctifiante. Que personne de nous ne soit assez hardi, assez malheureux pour briser ce chef-d’œuvre, pour ôter à Dieu cette gloire… Plutôt mille fois la mort, que de ravir nos cœurs à Jésus, de l'en exclure par un péché mortel! Sacrifions tout, aussi, ne plaignons ni soins ni peines, pour préserver de ce malheur tous ceux qui nous sont confiés ou avec qui nous vivons, Frères et Enfants.

 Ce que je vous souhaite donc par-dessus tout, M. T. C. F., avec la santé, les forces et le courage dont vous avez besoin, c'est que toute cette année 1867 se passe pour chacun de vous dans la grâce et dans l'amitié de Dieu, dans la haine et la fuite du péché, dans la pratique des bonnes œuvres ; alors elle sera vraiment heureuse, parce qu'elle sera vraiment sainte. A cette fin, veilIons sans cesse, prions avec beaucoup de ferveur pour nous-mêmes et pour tous nos Frères ; et, nous confiant en la puissante protection de la Vierge Immaculée, de saint Joseph, notre glorieux Patron, attendons cette grande grâce de la bonté infinie du Cœur de Jésus, en qui et par qui nous pouvons tout.

 La présente Circulaire sera lue en Communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture Spirituelle. Quoique l'Instruction qui vous est donnée, regarde principalement les Frères Directeurs, elle doit être lue attentivement par tous : car, en rappelant aux premiers les devoirs qu'ils ont à remplir envers leurs Frères, elle rappelle à ceux-ci, par là même, l'obligation où ils sont d'y répondre par beaucoup de respect et une parfaite docilité.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et respectueux attachement, avec lequel je suis, en Jésus et Marie, Mes Très Chers Frères,

 Votre très humble et très obéissant Frère et serviteur,

      F. Louis-Marie.

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[1]: Les renvois A, B, C, D, E sont indiqués sur le procès-verbal aux endroits qui en sont l'objet.

 

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