Fête de Saint Marcellin Champagnat – Fr. Seán D. Sammon, Supérieur général

07/06/2007

Il était une fois un seigneur de la guerre qui détruisait les champs et les terres, en semant la désolation et la mort partout. Dès quon entendait sa voix quand il approchait, les habitants des environs se dispersaient pour mettre en lieu sûr leur vie.
En laissant derrière lui un sillage de boucherie, le seigneur de la guerre pénétra dans la dernière des localités, en se disant satisfait : Je suppose que le village sera vide, non ?.

Son lieutenant hésita quelques instants, mais répondit ensuite : Pas du tout, seigneur. Ils sont tous partis, sauf un vieux moine qui refuse de sen aller. Le seigneur de la guerre se mit en colère et demanda de lui amener ce rebelle.

Le moine, comme je viens de le dire était un homme déjà très âgé, fut traîné jusquà la place du lieu. En le voyant, le seigneur lui cria : Ne sais-tu peut-être pas qui je suis ? Je suis celui qui peut te transpercer de part en part avec une épée sans faire un seul geste.

Le moine, le regardant fixement dans les yeux, répondit doucement mais fermement : Et bien toi sais-tu qui je suis ? Je suis celui qui peut se laisser transpercer de part en part avec lépée sans faire un seul geste.

Que vient faire cette histoire le jour où nous fêtons Marcellin Champagnat ? Est-ce que ces récits qui nous parlent des sinistres seigneurs de la guerre et de la mort dans les villages ne sont pas hors de propos quand nous rappelons la figure dun homme qui fit tout ce quil pouvait pour construire la paix à son époque ?

Je vous conte cette histoire parce que nous courons quelques fois le danger de ressembler plus au seigneur de la guerre quau moine. Cette histoire enferme une leçon sur le caractère, les entrailles, les choses qui sont importantes dans la vie. Nous voyons parfaitement que le vieux moine manquait complètement de tout ce qui permettait davoir une relation avec des pouvoirs mondains, des ressources matérielles ou de la notoriété. Mais ce qui est certain cest que là, au milieu de la place, il a fini par être plus fort que tous ces guerriers armés jusquaux dents qui lentouraient, parce quil possédait trois vertus qui le rendaient différent des autres : simplicité, courage et indifférence spirituelle. Nous devrions aujourdhui nous demander si nous possédons aussi ces vertus, surtout la troisième, puisquelle est essentielle pour le labeur de la rénovation.

Nous pouvons répondre à cette question plus facilement si nous nous imaginons un moment que le nom du père Champagnat est sur la liste des personnes invitées à cette fête aujourdhui. Et si nous nous imaginons en plus quen recevant linvitation, le fondateur aurait regardé son agenda et après avoir vérifié quil était disponible, aurait répondu rapidement, avec un peu davance sur la date prévue. Que penserait-il de nous deux cent ans après avoir lancé ce projet ? Sil était parmi nous pendant cette Eucharistie et après sil partageait lapéritif, et sil faisait une bonne pause au déjeuner que nous aurions ensuite, quelle impression emporterait-il en rentrant chez lui ?

Le fondateur pourrait-il dire avoir découvert en chacun de nous ces vertus qui se reflétaient si clairement chez le vieux moine de lhistoire ? Ou au contraire devrait-il admettre avec tristesse que, bien que le groupe avec lequel il a passé la journée soit composé dhommes excellents qui soccupent avec persévérance dimportants travaux, il remarquerait aussi un certain manque de feu et de passion pour la Parole de Dieu quil espérait voir en eux ?

Dit dune manière simple, si Marcellin Champagnat passait notre journée avec nous et ensuite sil allait visiter les nombreuses Communautés et les ?uvres que nous avons dans le monde, retrouverait-il lInstitut quil avait fondé en 1817, ou lui viendrait-il le désir de le refonder ?

Il y a déjà quelques années que nous nous sommes engagés dans la tâche de la rénovation. Cest une tâche à laquelle nous nous sommes consacrés avec application et un admirable esprit de discipline et de dévouement. Mais comme le seigneur de la guerre de lhistoire nous nous sommes peut-être centrés tellement à favoriser nos méthodes propres, plans et idées sur la manière de mener à bien ce travail que nous avons oublié peut-être de prendre en considération ce que Dieu voulait. Certains semblent croire que les outils des sciences sociales, la planification corporative, les mots de cet expert par ici ou de cet un autre par là, ou bien le matériel que nous avons trouvé dans un atelier ou pendant une retraite, suffiront pour mener à bien une tâche que nous devons proprement définir comme une ?uvre du c?ur.

La rénovation authentique est seulement possible au moyen dune indifférence spirituelle. Et cette vertu sobtient en payant un prix, le prix du discernement authentique. Mais gardons avant tout ceci bien clairement : le discernement nest pas une tâche, ou quelque chose quon doit réaliser en une matinée, ou en un jour ou en un week-end. Ce nest pas non plus un processus. Il sagit plutôt dun style de vie dans lequel il doit y avoir du sacrifice, du jeûne et de la crainte de Dieu. Toutefois, jusquà ce que nous ayons acquis la vertu de lindifférence spirituelle, nous sentirons quil nous manque la confiance nécessaire pour assumer les risques que nous devons affronter au moment de renouveler la vie religieuse actuellement. Si à la fin nous devons admettre que nous navons pas été capables deffectuer ce rêve, ce sera le signal que la vertu dindifférence spirituelle nest pas encore suffisamment logée dans nos vies.

Le vieux moine de notre histoire a compris en quoi consistait lindifférence spirituelle. Il avait cette vertu en abondance. Comment, si non, aurait-il pu répondre au seigneur de la guerre de la manière quil le fit ? Marcellin Champagnat a aussi compris son importance. Nous savons bien quil sest consacré de toutes ses forces à la mission plus quà assurer le succès de son Institut. Il a parfaitement compris que nous ne sommes pas appelés à avoir du succès, mais à mener une vie de fidélité. Cest pourquoi il a librement mis dans les mains de Marie ses préoccupations quil aurait pu porter en solitaire, jusquà considérer notre tâche de rendre vivante la Parole de Dieu chez les enfants et les jeunes délaissés comme sa véritable ?uvre.

Quand nous évaluerons les efforts à faire aujourdhui au nom de la rénovation de lInstitut, avec tous ces programmes, livres et autres ressources, nous ferons bien de nous demander : Dieu nattendra-il pas de nous une réponse complètement différente ? Cest-à-dire, Dieu ne nous demandera-t-il pas dagir comme le moine, pour imiter Marcellin, pour adhérer seulement à ce qui est plus précieux dans notre style de vie, à lunique essentiel ? Au mieux il nous arrivera de dire : Quel manque de réalisme ! Avec si peu de choses, comment pourrions-nous vivre, agir et nous charger de nos responsabilités ?

Cest donc là précisément le défi : armés de ce faible ravitaillement nous naurions pas dautre choix que mettre toute notre confiance en Dieu, écouter sa Parole, faire nôtre ses chemins. Si nous le faisions de cette manière, nous pourrions arriver à cet état de sainte indifférence qui nous manque tant dans toute tâche de rénovation. Nous pourrions y compris commencer à agir comme le vieux moine de lhistoire. Sils les choses étaient ainsi, Marcellin prendrait congé de nous à la fin du jour hautement satisfait en voyant que ses Petits Frères de Marie continuent à faire ce quil avait toujours attendu deux, cest-à-dire, aimer Dieu, oui, aimer Dieu et le faire connaître et aimer par les enfants et les jeunes délaissés. Finalement, ne consiste-t-elle pas précisément en cela la vie dun frère ?

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