Histor. de N. D. de lHermitage

15/Feb/2010

Son origine, ses progrès, son rayonnement, son état actuel

Dans la partie inférieure et moyenne de son cours, le Gier est comme une image de l'activité bruyante et fébrile du monde moderne. Ce n'est qu'après les avoir fatiguées sans relâche, une trentaine de kilomètres durant, à une multitude de travaux divers, dans une suite pour ainsi dire ininterrompue d'usines, fabriques et ateliers de toutes sortes, qu'il déverse, noires et troubles, dans les flots du Rhône les eaux vives et transparentes que lui envoient les pentes septentrionales du mont Pilat et le revers méridional des monts du Lyonnais. Mais au-delà de Saint-Chamond, à mesure qu'on remonte vers sa partie supérieure, il change rapidement d'aspect comme de direction. Sa vallée rétrécie se resserre entre deux chaînes de montagnes boisées; et ses eaux, devenues limpides, coulent dans un lit silencieux, au fond de vallons tranquilles on tout respire le recueillement, la calme et la paix.

Parmi ces vallons, il en est un, désigné vers 1823 sous le-nom de Gaux, qui avait de bonne heure attiré l'attention de l'abbé Champagnat, déjà en sollicitude, pour sa jeune communauté, d'un séjour un peu moins étroit que la maison de Lavalla. Bien des fois, au cours de ses fréquents voyages à Saint-Chamond, il l'avait contemplé avec des yeux de complaisance, en se disant a lui-même. « Une maison de noviciat serait là fort solitaire, parfaitement tranquille, très propre aux études. Si, Dieu nous bénit, il faudra que nous venions un jour nous y établir »

Mais c'est alors que ses détracteurs avaient soulevé contre son œuvre une tempête on elle eût infailliblement sombré sans une visible intervention de la Providence, et de plus pressantes préoccupations le forcèrent bientôt à reléguer dans un lointain qui paraissait indéfini la réalisation de ces rêves d'avenir.

Elle était cependant toute proche. En 1824, au moment on tout semblait perdu pour l'Institut naissant, et on le pieux Fondateur envisageait sérieusement le parti de lui chercher un refuge en Amérique, arriva â Lyon, comme administrateur du diocèse. Mgr Gaston de Pins, qui prit résolument sous sa protection le bon Père et son œuvre et ne craignit pas de lui dire, après d'autres paroles pleines d'encouragement: « Puisque votre maison est trop petite il faut en bâtir une autre; je vous promets quelques secours pour cela ».

A ces paroles, la pensée du vallon des Gaux dut venir tout naturellement à l'esprit du bon Père; mais lé prix, qui était d'environ 12.000 francs, constituait déjà une charge bien supérieure à ses ressources et la construction de la maison allait nécessiter une dépense au moins quadruple. Pouvait-il ajouter une si lourde responsabilité a toutes celles qui pesaient déjà sur lui?… Humainement, il y avait de quoi le tenir dans une bien terrible perplexité. Mais il avait conscience de n'avoir en vue en cela que le royaume de Dieu et sa justice et il croyait pouvoir compter que, selon la parole du divin Maître, le reste lui viendrait par surcroît. Faisant donc un acte de confiance héroïque en la divine Providence, il signa l'acte d'achat dans l'étude de Me Finaz, à Saint-Chamond, en février 1824, bien qu'il ne sût pas encore où il prendrait le premier sou pour payer1. Et peu de jours après, sous la direction des sieurs Roussier (maître-mâcon), Matricon (menuisier-charpentier) et Robert (maître-plâtrier), on entreprenait activement les travaux de la construction de la maison, dont M. Cholleton, vicaire général de S. G. Mgr de Pins, vint bénir la première pierre au mois de mai.

On sait, d'après la Vie du Serviteur de Dieu écrite par le Frère Jean-Baptiste, avec quel entrain, quelle ardeur et quelle piété édifiante l'ouvrage fut poussé, et comment, à maintes reprises, la visible protection de Marie préserva d'une mort certaine plusieurs des Frères et des ouvriers qui s'y trouvaient employés. Au mois d'octobre, le gros œuvre se trouvait déjà terminé, et pendant l'hiver on continua les travaux de l'intérieur, de sorte qu'au mois de mai de l'année suivante (1825) la communauté de Lavalla, avec le petit pensionnat annexe purent y transporter leur pauvre mobilier et venir s'y établir.

La maison ainsi construite en un an se composait d'un bâtiment de 30 mètres de long sur 8 de large, avec quatre étages en plus du rez-de-chaussée, qui faisait face au S.-E., et de deux ailes qui, prenant à ses deux extrémités, le prolongeaient dans une direction perpendiculaire vers le N.-O. Quoique les murs aient une épaisseur trop faible pour leur hauteur et que, par esprit d'économie, on eût beaucoup trop ménagé la chaux dans le mortier, ces trois constructions ont très bien résisté la violence des vents du midi et aux inondations du Gier, et, après bientôt un siècle, elles se tiennent encore debout, sans avoir nécessité aucune réparation importante; quelques-unes de leurs parties ont été seulement prolongées, exhaussées ou transformées, comme nous le verrons dans la suite.

Une chapelle provisoire fut d'abord installée dans une des salles de l'aile du N.-E.; mais elle ne servit que peu de temps,

Le 13 août 1825; elle faisait place à une autre que le bon Père avait construite ad hoc à. l'extrémité nord de l'aile du S.-E. En y comprenant la tribune réservée aux fidèles, qui avait été prise sur une entaille faite au rocher contre lequel était adossée cette partie de la maison, elle mesurait 20 m de long sur 7 de large. Elle fut solennellement bénite en ce jour par M. l'abbé Dervieux, curé de St-Pierre de St-Chamond, délégué à cet effet par Mgr l'Archevêque, qui, deux ans plus tard, devait venir en personne bénir toute la maison (13 juin 1827).

Comme on peut le penser, la construction de la maison de l'Hermitage fut un sujet de grande consolation pour la communauté, qui pouvait enfin se mouvoir â. l'aise, et pour tous les Frères des établissements, aux yeux desquels elle apparaissait comme la représentation matérielle de la Congrégation naissante; mais pour le Vénérable Fondateur, elle fut une source des plus amères tribulations.

A ceux qui ne voyaient les choses qu'avec les yeux de la prudence humaine, sa confiance héroïque en la divine Providence parut présomption et aveugle témérité. On le représenta a l'autorité ecclésiastique comme un maniaque obsédé par l'idée de bâtir et qui négligeait le soin de la discipline et la formation des jeunes Frères pour s'occuper uniquement de travaux manuels. Pour comble de malheur, il tomba dangereusement malade, et, dès qu'on le sut dans le public, l'alarme se répandit parmi les créanciers, qui voulurent être payés tous à, la fois, et menaçaient de faire vendre la maison si on ne pouvait les satisfaire. En même temps la communauté, aigrie par les rigueurs exagérées et les paroles imprudentes de M. Courveille, son remplaçant comme supérieur, se laissait aller à un déplorable découragement.

Heureusement la Très Sainte Vierge veillait sur l'œuvre de celui qui l'avait choisie pour avocate et patronne, et qui aimait à l'appeler sa Ressource ordinaire. Par une sorte de miracle obtenu par les prières des Frères et le dévouement du Frère Stanislas, le bon Père, dont l'état était désespéré, revint â la santé; la confiance perdue commença à renaître, et la maison, dont l'avenir avait paru si gravement compromis, reprit bientôt un air prospère. Les postulants y devenaient de jour en jour plus nombreux; la soutane, le rabat, le manteau et le chapeau tricorne s'y substituaient au costume bleu porté jusque là; le Frère François prenait la direction des classes du noviciat et leur imprimait une bonne marche; le Frère Stanislas, sacristain et infirmier, profitait de l'universelle sympathie que lui avaient acquises ses vertus et son dévouement pour enrichir la chapelle d'ornement précieux; dans la salle qui avait servi de chapelle provisoire, le dévoué Frère Jean-Joseph installait des métiers à tisser le drap et la toile; nonobstant quelques incidents regrettables, comme celui des bas de drap, le bon esprit régnait dans la maison, et chaque année les retraites s'y faisaient avec autant de ferveur que d'édification, sous la direction du bon Père qui y donnait les instructions si solides et si goûtées dont le Frère Jean-Baptiste nous a conservé la fleur dans les Avis, Leçons, Sentences. Les troubles dont s'accompagna la révolution de 1830 la mirent plus d'une fois en émoi, mais sans lui porter, grâce à Dieu, aucun préjudice.

*

* *

En 1835, maison et chapelle étaient devenues trop petites pour suffire aux besoins d'une si nombreuse communauté, et le P. Champagnat dut songer à les agrandir.

Au N.O. de la maison, se trouvait un rocher qui servait de clôture à la cour intérieure et appartenait à Mr Monteiller.

Le pieux Fondateur l'acheta; avec l'aide des plus forts parmi les Frères, il le brisa, non sans une grande dépense de temps et de fatigues, et à la place, il fit construire un nouveau corps de bâtiment, qui faisait face à celui du S.-E. En même temps, les deux ailes étaient prolongées et subissaient d'autres transformations importantes. Le rez-de-chaussée du nouveau bâtiment donna place pour les parloirs, pour un ouvroir destiné à l'entretien du linge, et pour l'entrée de la cour intérieure ; la partie supérieure devint un grand galetas qui servait d'étendage pendant l'année et de dortoir pendant les retraites; et l'espace intermédiaire fut transformé en une chapelle fort convenable, dont le R. Frère François a laissé la description suivante:

« Elle a 20 mètres de long, 10 de large et 11 de hauteur. M. Ravéry, peintre de Saint-Chamond a fait les peintures dont elle est ornée.

Douze colonnes corinthiennes à fresque, avec corniche en saillie au dessus, embellissent le sanctuaire; entre les colonnes se trouvent peints, également à fresque, des médaillons avec quelques invocations des litanies de la Sainte Vierge représentées sous des formes symboliques.

La partie qui compose la nef est décorée de quinze colonnes ioniques, au dessus des quelles règne une corniche du même ordre. Entre les colonnes sont placées les stations du chemin de la croix, et au dessus de la corniche, de deux côtés et au fond, court une guirlande de roses.

Le plafond est en plâtre, en forme de voûte et soutenu par de grands cintres de bois. Au dessus de l'autel, le Saint-Esprit est peint en forme de colombe, sur un fond bleu entouré d'un grand cercle de gloire »

 

 

 

Le 3 octobre 1836, Mgr Pompallier, évêque de Maronée vicaire apostolique de l'Océanie Occidentale, la bénit solennellement et y donna le sacrement de Confirmation à 15 postulants ou jeunes Frères2.

Vers le même temps, le bon Père acquérait de divers possesseurs plusieurs morceaux de terrain destinés à, assurer la commodité de divers services de la maison, et trois ans plus tard, dans le même but, il achetait aux époux Pathouillard, pour la somme de 39.000 francs, un immeuble contigu à celui de l'Hermitage et composé, entre autres choses, d’un terrain assez vaste, situé sur la rive gauche du Gier, d’une maison d'habitation, de granges, d'un foulon et d'une prise d'eau sur la rivière.

Dans une visite qu'il avait faite à la maison en 1827, M. de Chaulieu, préfet de la Loire, avait autorisé la création d'un cimetière pour la sépulture des membres de la Communauté, et en effet on en avait établi un de 5 mètres de côté ; mais en 1834, il servait déjà de champ de repos, en attendant la résurrection générale, à 14 Frères ou postulants. Il fallut en établir un autre, qui fut placé près du premier, mais un peu plus haut. Également de forme carrée, il mesurait environ 8 mètres de côté. Les murs en furent bâtis, avec l'aide de quelques Frères, par le bon Père, qui, dans les desseins de la Providence, devait y être inhumé 6 ans plus tard et y reposer jusqu'en 18893.

* *

Pendant les 33 ans qu'elle demeura le centre de l'Institut, la maison de l’Hermitage offrit beaucoup d'analogie, en ce qui regarde la physionomie générale et le train de vie, avec nos maisons provinciales d'aujourd'hui. En plus des premiers supérieurs, d'abord réduits au Vénérable, mais dont le nombre s'accrut graduellement avec les nécessités de l'administration, la communauté comprenait le noviciat, le scolasticat ou école spéciale pour la préparation au brevet de capacité, et les divers services que requièrent les besoins d'une agglomération de religieux qui doit, autant que possible, se suffire à. elle-même: cuisine, culture, boulangerie, infirmerie, taillerie, cordonnerie, tissage, forge, etc. … Vers la fin de la vie du pieux Fondateur, le noviciat avait à sa tête le Frère Bonaventure, le scolasticat le Frère Sylvestre, l'infirmerie le Frère Damien, la taillerie le Frère Hippolyte, la cordonnerie le Frère Pacôme, et le tissage le Frère Jean-Joseph; le Frère Stanislas était sacristain et quêteur, le Frère Louis libraire, le Frère Jérôme voiturier, etc. … Ils étaient pour la plupart non seulement de bons religieux, mais de vrais saints, comme on peut le voir dans leurs biographies, écrites par le Frère Jean-Baptiste.

'est sans doute à leurs mérites et à leurs prières, joints aux mérites et aux prières du Vénérable Fondateur et du vénéré Frère François, que la maison et l'institut dont elle était le cœur furent redevables pour une grande part des bénédictions vraiment extraordinaires dont le bon Dieu les favorisa. Dans cet espace relativement si court (1825-1858), la Congrégation avait passé de 40 membres à plus de 1900, avec 366 établissements, où 1425 d'entre eux donnaient l'éducation chrétienne a 35.000 enfants (Vedi le tableau de la page 712).

 

NB. — Dans ce tableau, il n'a été tenu compte que des prises d'habit, des professions et des décès qui eurent lieu à l'Hermitage. Il y en eut aussi, et en assez grand nombre, dans les quatre autres noviciats de l'Institut: S. Paul, la Bégude, Beaucamps et Hautefort.

Mais cette rapide extension de l'Institut avait naturellement fait naitre le besoin de relations fréquentes entre les divers établissements et la maison-mère, ce qui rendait très désirable que celle-ci fût à proximité de quelque grand centre de communications. Or la situation de l'Hermitage, si avantageuse â d'autres points de vue, était vraiment peu favorable à cet égard. La maison, d'autre part, était devenue insuffisante pour le nombreux personnel qui s'y pressait et elle se prêtait mal à des agrandissements. Pour ces deux raisons les Supérieurs se décidèrent, en 1855, à faire bâtir la maison de Saint-Genis-Laval sur un terrain qu'on avait acquis deux ans auparavant, et en 1858 le Régime s'y transporta avec le noviciat et tous les services généraux.

Ce ne fut pas seulement pour l'Hermitage une déchéance, mais un délaissement quasi complet. Avec la presque totalité de son personnel, tout son mobilier, y compris celui de la chapelle, lui fut enlevé, et, pendant une dizaine d'années il n'y eut plus guère que le scolasticat, qui s'y trouvait largement mais très peu confortablement logé. D'aucuns même, dit-on, opinaient pour vendre l'immeuble à. un acquéreur qui en offrait 100.000 francs. Heureusement, quoi que la proposition pût avoir de séduisant à une époque on l'on se trouvait dans un grand embarras financier par suite des grandes dépenses qu'avait occasionnées la construction de Saint-Genis, elle ne trouva pas d'écho. On aurait cru, non sans raison, commettre une sorte de sacrilège en abandonnant à des mains profanes ce pieux sanctuaire où tout rappelait si éloquemment le souvenir du vénéré Fondateur, et se rendre coupable d'ingratitude envers les bienfaiteurs de la région, qui avaient si largement contribué à le soutenir dans son œuvre.

De 1860 à 1881, l'Hermitage était redevenu le séjour du R. Frère François, qui l'avait choisi pour lieu de sa retraite après avoir remis le gouvernement de la Congrégation au Révérend F. Louis-Marie, et qui ne cessa de l'édifier par la bonne odeur de ses vertus, en même qu'il s'efforçait d'y maintenir dans toute sa ferveur et sa pureté l'esprit du Vénérable Fondateur. Il eut la consolation de voir la maison reprendre en grande partie dans cet intervalle sa vie et son mouvement d'autrefois. En 1868, elle reçut une colonie des plus jeunes postulants et jeunes Frères du noviciat de Saint-Genis-Laval, qui y constitua, sous la direction du Frère Callinique, un premier essai des noviciats préparatoires, destinés à prendre bientôt sous le nom de juvénats un si grand développement dans l'Institut. La terrible guerre de 1870 obligea d'envoyer ces enfants dans leurs familles; mais ils furent remplacés par le noviciat ale Saint-Genis qui vint chercher un refuge à l'Hermitage pendant que la maison-mère était occupée par les soldats. Ce noviciat était commun aux deux provinces de l'Hermitage et de Saint-Genis, et cela n'allait pas sans quelque inconvénient. On jugea donc qu'il y aurait avantage à le scinder; c'est pourquoi, au mois de septembre 1871, lorsque les novices de Saint-Genis-Laval retournèrent à la maison-mère redevenue libre, ceux de l'Hermitage restèrent pour former un noviciat indépendant, qui ne tarda pas à devenir nombreux.

En 1875, la chapelle que le Père Champagnat avait bâtie en 1835 et où il avait célébré le saint sacrifice avec tant de ferveur, était devenue trop petite, et de plus elle menaçait ruine; des hommes compétents déclarèrent qu'il y avait danger à s'y réunir, et il fallait absolument la consolider ou la reconstruire. Comme elle était le ° grand reliquaire du Vénérable Fondateur n, selon l'expression du Frère François, on hésita longtemps à se ranger à ce dernier parti, bien qu'en réalité il fut le seul pratique; mais on dut enfin s'y résoudre. A la grande joie de toute la communauté la première pierre du nouveau sanctuaire fut bénite et posée, le 27 mai 1876, et le 15 août de l'année suivante l'œuvre était assez avancée pour qu'on pût procéder à la bénédiction solennelle. Grâce au zèle du Frère Directeur et du Frère sacristain, joint aux libéralités de généreux bienfaiteurs, elle ne devait pas tarder à être décorée avec goût, commodément meublée, et pourvue, pour les jours de fête, de riches ornements qui la transformaient en un véritable bijou.

Un orgue de 6 jeux, d'une valeur d'environ 4.000 fr., offert à moitié prix par un nominé Brun de Saint-Chamond, fut accepte et placé en tête des stalles, près du chœur, du côté de l'épitre, où il contribua puissamment à. rehausser l'éclat des cérémonies.

a loi de 1881, en rendant le brevet obligatoire pour tous, les titulaires de classe, eut pour effet de donner au scolasticat une importance et une activité qu'il n'avait pas eue jusque là. Pendant une vingtaine d'années, on le vit constamment rempli d'une nombreuse jeunesse, qui, sous la conduite d'habiles professeurs, se préparait ardemment à la conquête de ce titre devenu une nécessité, et elle y réussit si bien qu'en peu de temps les Supérieurs de la province, d'abord pris au dépourvu comme- partout ailleurs, se trouvèrent à même, et au-delà, de satisfaire aux exigences de la loi pour toutes les classes. L'ardeur pour l'étude, sous une vigoureuse impulsion qui venait d'en haut avait également gagné le noviciat, de manière que l'Hermitage devint un des foyers de labeur intellectuel les plus actifs qu'il y eu dans l'institut.

En même temps que la chapelle, on avait reconstruit la boulangerie et édifié la maison des Sœurs qui soignent le linge ; en 1897, afin de mettre le scolasticat plus à l'aise, on construisit pour lui un bâtiment exprès dans le prolongement de l'aile du N.-E.

La maison n'était plus le centre de la Congrégation, mais, elle était devenue celui d'une de ses divisions les plus importantes. Séparée de celle de Saint-Genis par le chapitre de 1860, la province de l'Hermitage fut successivement gouvernée pendant 16 ans par les CC. FF. Philogone (1860-1863), Pascal (1863- 1867) et Euthyme (1867-1876); puis, pendant 33 ans, par les. CC. FF. Théophane (1876-1883) et Stratonique (1883-1903), que la Providence destinait à. se succéder plus tard dans le Généralat de l'Institut.

Elle eut des les premiers temps 89 maisons, situées, pour la plupart, dans la Loire, Saône-et-Loire et le nord de l'Ardèche, avec 325 Frères employés à les desservir, et elle progressa rapidement comment l'indiquent les chiffres ci après:

Année 1860 nombre de maisons 89; nombre de Frères employés 325

„ 1864 „ 93 „ „ 351

„ 1868 „ 93 „ „ 408

„ 1872 „ 104 „ „ 460

„ 1876 „ 121 „ „ 528

En 1876, la formation de la province du Bourbonnais, dans laquelle furent comprises toutes les maisons situées dans lest départements de Saône-et-Loire, de l'Allier, du Puy-de-Dôme, de la Nièvre, du Cher et de la Creuse, lui prit 37 maisons avec 116 Frères; mais bientôt, après un léger fléchissement amené par les laïcisations et par une diminution du nombre des vocations qui s'était fait sentir à cette époque dans toutes les provinces, elle reprend sa marche ascendante. De 1888 à 1903, nous remarquons la progression ci-après:

Année 1888: nombre de maisons 84; nombre de Frères employés 380

„ 1892 „ 92 433

„ 1896 „ 97 479

„ 1900 „ 101 481

„ 1903 „ 102 482

Et cette progression est bien inférieure à la progression réelle de la province, puisque, pendant ce même temps, elle avait fondé de toutes pièces, au Canada et aux Etats-Unis, une autre province prospère, qui lui avait pris près de deux cents sujets. En 1902, en y comprenant le district du Canada et des Etats-Unis, qui en dépendait encore, elle comptait 43 Frères stables, 534 Frères profès des vœux perpétuels, 336 Frères profès des vœux temporaires, 152 novices ou postulants, et 187 juvénistes, soit en tout 1.252 membres, avec 134 établissements peuplés de 15.750 élèves.

 

* *

C'était pour l'Hermitage un magnifique rayonnement; mais, précisément à cause de cela, les ennemis de Dieu, depuis longtemps déjà, complotaient sa ruine comme celle de tant d'autres centres analogues, qui florissaient sur le sol français, et Dieu, dont les desseins sont souvent mystérieux, quoique toujours pleins de sagesse, leur permit de parvenir à la réalisation de leur plan impie. En 1901 — on sait au moyen de quels mensonges — le gouvernement, sous la pression de la franc-maçonnerie, fit voter la loi sur les associations, qui prononçait la dissolution des congrégations non autorisées; le Conseil d'Etat, qui, depuis 50 ans, par tout un nombre de décisions, avait reconnu celle des Petits Frères de Marie comme légalement autorisée, s'avisa de trouver qu'elle ne l'était pas; à la réquisition du ministère Combes, la chambre des députés, le 18 mars 1903, rejeta sans examen la demande d'autorisation présentée par les Supérieurs, et presqu'aussitôt après, commencèrent à pleuvoir dru comme grêle, sur nos six cents communautés de France, les sommations d'abandonner chacune le local occupé par elle et de se disperser.

La maison de l'Hermitage fut une des premières atteintes. La sommation lui arriva le 18 avril. Il ne lui était laissé qu'un délai d'un mois, et elle était pleine de monde! Le préfet de la Loire sembla lui faire une faveur, à la suite de maintes démarches, en accordant un sursis de deux mois aux vieillards et infirmes. C'étaient eux seuls qui restaient, le 19 mai, lorsque le Commissaire de police vint constater si l'on avait obéi à son injonction. Dans l'intervalle, toute la jeunesse dont elle était remplie l'avait quittée par petits groupes — on s'imagine avec quel serrement de cœur — pour venir se réfugier, près de Turin, à l'Hermitage Sainte Marie, où la sollicitude des Supérieurs lui avait ménagé un asile. En même temps, tout son mobilier avait pris des routes diverses, soit pour servir aux fugitifs, soit pour attendre sous des toits amis des jours moins malheureux.

Forts de leur droit, les vieillards et infirmes qui demeuraient étaient bien résolus à ne sortir que par la force; mais le Gouvernement recula sans doute devant l'odieux d'une pareille mesure, et il les toléra, comme du reste ceux qui se trouvaient dans la même situation dans des maisons similaires.

En 1905 la maison fut vendue par le liquidateur ; mais elle fut acquise par une société adjudicataire, qui a consenti à laisser ces bons anciens finir ce que le bon Dieu daignera leur laisser des jours dans cet asile aimé où s’était formée leur jeunesse religieuse, que, toute leur vie, ils avaient envisagé de loin comme le lieu futur de leur dernier repos, et dont par conséquent il leur eût été si dur de se voir exilés.

Un bon nombre d'entre eux en sont déjà partis pour une vie meilleure et dorment leur dernier sommeil tout près du lieu où ont reposé pendant 49 ans les restes du Vénérable Champagnat. Les autres — une quarantaine encore — attendent en paix qu'arrive pour eux l'heure marquée par Dieu. Entre temps, ils continuent à embellir, par la pratique journalière de la prière, du dévouement et de toutes les vertus religieuses, la couronne de justice qui les attend, et, nouveaux Moïses, ils lèvent les bras sur la montagne pour attirer les bénédictions du ciel sur leurs frères plus jeunes qui dans la plaine combattent le bon combat-

Sera-t-il donné à quelques-uns de vivre assez pour voir la maison, rendue à sa destination première, fleurir de nouveau comme en ses beaux jours d'autrefois et redevenir, sous la bénédiction de Marie, un pieux foyer de vie et de formation religieuse? Pourquoi ne pas l'espérer? Dans l'histoire de l'Eglise, nous voyons que la Providence a souvent donné aux événements de pareils retours, et son bras n'est point raccourci. Il n'y a qu’à se confier en elle et à vivre d'espoir. Son heure n'est pas connue; mais quand elle arrive, il n'est pas d'obstacle qui puisse empêcher l'accomplissement de ses miséricordieux desseins.

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1 (1) A ce propos, on rapporte un fait extraordinaire, sur lequel le Tribunal diocésain de Lyon a fait une enquête dont la relation fut jointe aux, actes du procès apostolique pour la béatification du Vénérable Père.

Un vieillard octogénaire d'Izieux fut l'instrument dont Dieu se servit pour en raviver le souvenir.

Se promenant un jour dans le chemin qui de l'Hermitage donne accès à la route de Lavalla, ce vieillard rencontra le bon Frère Tibère jardinier de la maison, qui lui-même avait plus de 70 ans; et, comme, il est assez naturel entre personnes de cet âge, la conversation s'engagea sur les choses du temps passé.

« Je sais des choses merveilleuses sur les commencements de votre couvent, dit l'octogénaire à son interlocuteur. Quand j'étais jeune, tout le monde en parlait dans le pays »

Et entre autres choses, il se mit à raconter ce qui suit :

« Monsieur l'Abbé Champagnat, en recherche de l'endroit où il pourrait placer la maison principale de son Institut, examinait avec attention la place où se trouve aujourd'hui l'Hermitage.

Tout à coup il aperçoit, à un endroit assez élevé, dans une anfractuosité du rocher, une petite statue de la Sainte Vierge. Comme cet endroit était de difficile accès, il va trouver un forgeron fabricant de pelles, qui avait son petit atelier de l'autre côté du Gier, et le prie de lui aider à atteindre la statue. Le bon artisan acquiesce volontiers à la demande; la statue est retirée de sa niche rustique et Monsieur Champagnat l'emporte à Lavalla.

Or quelques jours après, repassant par là, quel ne fut pas son étonnement de revoir la statue â la place où il l'avait d'abord trouvée. Après une minutieuse enquête, Monsieur l'Abbé Champagnat acquit la conviction que personne n'avait rapporté la statue. Il en conclut qu'elle y était revenue d'elle-même pour lui indiquer que c'était bien là qu'il fallait construire la maison projetée.

Cela explique sa ténacité à poursuivre l'exécution de son projet malgré les oppositions de toute sorte qu'il rencontra ».

Interrogée à ce sujet une vénérable religieuse, la Révérende Mère Saint-Marcel, Supérieure Générale des &élus de la Sainte Famille, confirma pleinement le récit du vieillard d'Izieux.

Etant jeune religieuse, employée à l'Institution des Chartreux, Lyon, elle avait souvent entendu raconter le fait par la vénérée Mère de l'Assomption, leur Supérieure Générale d'alors, qui résidait a Laya, hameau situé tout près de l'Hermitage.

La vénérée Mère Saint-Marcel témoigna un très grand étonnement de ce que ce fait, qu'elle considérait elle-même comme miraculeux, ne fût pas universellement connu parmi les Petits Frères de Marie.

Dans la région voisine de l'Hermitage, disait cette bonne religieuse, tout le monde en parlait comme d'un fait bien avéré.

2 C'est en souvenir de cette cérémonie que le pieux Fondateur lui écrivait, deux ans après : « Nous avons terminé notre chapelle, qui est très jolie; elle nous est infiniment chère, ayant été bénite par le premier évêque de notre Société » (Cf. Bulletin de l'Institut. t. II. p. 483).

3 Ce cimetière est celui qui existe encore; mais il a été notablement agrandi en 1882.

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