Circulaires 104

Louis-Marie

1872-04-08

Première circulaire sur le F. Jean-Baptiste, à l'annonce de son décès.

104

51.02.01.1872.1

 1872/04/08

 Saint-Genis-Laval, le lundi de Quasimodo, 8 avril 1872,

Solennité de l'Annonciation de la B. V, Marie.

 FRÈRE JEAN-BAPTISTE ou LA VOCATION FERVENTE

                             Mes très chers Frères,

 Il y a deux mois que je vous ai annoncé la perte douloureuse que nous avons faite en la personne du très cher Frère Jean-Baptiste, notre Frère premier Assistant.

 Il vous tarde à tous, je n'en doute pas, de recevoir au moins un premier mot sur cet excellent Frère, qui a tant travaillé pour la gloire de Dieu, pour l'honneur de Marie et pour le bien de tout l'Institut. Hélas! cette parole de consolation et d'édification, je sens, plus que personne, le besoin de vous la donner ; mais les circonstances ne m'ont pas permis de le faire plus tôt.

 Toutefois, une pensée m'a rassuré sur ce retard obligé et m'a consolé en même temps, c'est l'assurance où je suis de l'empressement plein d'affection, de la piété pleine de reconnaissance, avec lesquels vous avez tous prié et fait prier pour notre saint défunt.

 Il faut continuer à le faire, et pour lui et pour tous les Frères qui lui sont adjoints sur la liste mortuaire. Tous doivent nous être extrêmement chers, tant pour les services qu'ils ont rendus à la Congrégation, que pour les bons exemples de leur vie et la consolante édification de leurs derniers moments.

 Non, non, redisons-le toujours, rien de plus propre, que la sainte mort de tous nos Frères, à nous exciter, à nous encourager au bon combat, dont parle saint Paul à Timothée; car, qui de nous n'ambitionnerait le bonheur de pouvoir répéter comme eux, à la dernière heure: J'ai bien combattu ; j'ai achevé ma course ; j'ai gardé la foi, j'ai été fidèle à mes promesses: il ne me reste qu'à recevoir la couronne de justice, promise à la persévérance (11 Tim., IV, 7, 8).

 Mais, si de tous nos défunts on peut dire, selon le langage de l'Ecriture, qu'étant morts, ils continuent à parler (Héb., XI, 4); il n'est personne, après le vénéré Fondateur, non, personne à qui ce glorieux témoignage puisse être rendu, avec plus de vérité, qu'à notre très cher et très regretté Frère JEAN-BAPTISTE. C'est à cette heure, en effet, que toutes ses leçons, tous ses enseignements, tous ses pieux écrits reçoivent comme leur dernière sanction : la sanction suprême de la mort, l'éloquence du tombeau s'ajoutant, désormais, à l'autorité de sa parole, et à la sainteté de ses exemples.

 Eh bien ! M. T. C. F., cette parole si dévouée et si aimée, cette parole maintenant si solennelle, écoutons-la ; interrogeons et écoutons toute la vie du bon Frère, sur un sujet des plus importants : la vocation fidèle, la VOCATION FERVENTE, la vocation telle que le cher défunt l'a honorée et portée pendant cinquante ans. il me semble que nous ne pouvons mieux nous rendre compte de sa vie, mieux grouper ses leçons et ses exemples, pour les rendre profitables à tous.

 Mais, pour donner à ce sujet toute son étendue, pour embrasser toute la vie religieuse de notre cher défunt, et être mieux compris, nous considérerons la vocation fervente sous quatre points de vue. Nous la prendrons et nous la suivrons : 1° dans ses conditions fondamentales; l'esprit sérieux et la pensée de l'éternité ; 2° dans ses accroissements ou ses aliments divins : la prière, la foi ou la parole de Dieu et l'Eucharistie ; 3° dans sa perfection ou son exercice : le zèle ardent et persévérant pour Dieu et pour les âmes ; 4° dans ses avantages et ses fruits : les consolations, les mérites et les assurances de la vie présente, les gloires, les richesses et les délices de la vie future.

 Il y a là les deux instructions que je vous ai promises, à la dernière Retraite, sur la vocation et sur la prière. Il y a, de plus, une pensée capitale qui est venue s'y ajouter, la pensée de l'éternité ; puis, une première étude sur la vie de notre cher défunt, qui m'a paru très propre à réunir et à fortifier puissamment toutes les réflexions et avis que j'avais résolu de vous donner.

 Je prie Dieu, par Marie et Joseph, de bénir ces instructions et de les faire tourner au plus grand bien de tous. J'avoue qu'elles m'ont entraîné beaucoup plus loin et m'ont pris beaucoup plus de temps que je ne pensais. C'est à ce travail, au voyage de Paris et à la douloureuse circonstance de la mort du cher Frère Assistant, qu'on doit attribuer le retard de la Circulaire, des visites promises et non faites, quelques lettres (j'en fais excuse) que, pour la première fois, je laisse sans réponse.

 Je ne toucherai, aujourd'hui, sur notre sujet principal, F. Jean-Baptiste, ou la Vocation fervente, que le point particulier de l'Esprit sérieux. Pour ce qui doit suivre, j'ai besoin d'être aidé de vos notes et de vos souvenirs, comme je vous le dis plus loin.

 Pour plus de clarté, je procéderai par chapitres, sections et paragraphes ; sauf, plus tard, à charger quelqu'un de reprendre ce travail, de le compléter et d'y donner la nouvelle distribution que peuvent nécessiter vos notes, nos propres réflexions et le besoin d'en faire un ouvrage à part.

 

CHAPITRE PREMIER

 Conditions fondamentales de la Vocation fervente

l'Esprit sérieux et la Pensée de l’Eternité.

 1ière Section. L'ESPRIT SÉRIEUX.

 

I. Première leçon du Défunt.  –  sa Photographie. 

–  Un Souvenir.

 –  Son  Régime spirituel.  –  Ses Fruits.

 La première leçon que je veux demander à notre cher défunt, et lui demander avant tous autres détails, c'est une leçon d'esprit sérieux, de cet esprit solide et réfléchi qui a été la base et la règle constante de sa vie; dont il a consigné, d'une manière admirable, les douze principaux caractères dans la Biographie du cher Frère Nivard, et que saint Augustin, saint Bernard et saint Thomas d'Aquin nous donnent comme le principe de tout bien comme la source de toute vertu, comme le soleil du monde spirituel. Sans le soleil, disent-ils, il n'y aurait dans le monde physique que ténèbres et que glace. Sans la réflexion, il ne peut y avoir, dans le monde des âmes, qu'erreurs et que mort, selon cette parole de Jérémie : La terre entière est dans une extrême désolation, parce qu'il n'y à personne qui réfléchisse dans son cœur (Jérémie, XII, 11).

 Oui, M. T. C. F., laissez-moi vous le dire, c'est cet esprit sérieux et réfléchi qui nous fait surtout défaut. Les avis et les instructions lie nous manquent pas ; ils nous sont prodigués, au contraire, et dans nos Circulaires et nos livres, et dans nos entretiens et nos lettres mais on n'y réfléchit pas assez ; on écoute ou on lit superficiellement ; on glisse sur les points essentiels ; on ne pénètre rien à fond. Et, de là, que résulte-t-il ? trois grands maux : le premier, c'est que les meilleures instructions, les plus solides lectures, le plus fortes méditations ou ne sont pas comprises, ou ne le sont que très imparfaitement ; le second, conséquence nécessaire du premier, c'est l'ignorance de nos devoirs, même en les lisant l'oubli des vérités du salut, même en les entendant et le troisième, suite fatale des deux premiers, c'est toute une vie qui s'écoule et se perd dans la négligence et la tiédeur, faute de réflexions, faute d'esprit sérieux.

 Aussi, avant que la tombe du cher Frère Assistant se referme entièrement, pendant que son souvenir est encore tout vivant parmi nous, ai-je voulu qu'il vînt, avec moi, vous exhorter à réfléchir; vous dire, à la lumière de l'éternité, de ne pas glisser trop facilement sur les choses de Dieu et du salut.

 Et en cela, ne croyez pas, M. T. C. F., que nous vous apportions une doctrine de sévérité, une cause de tristesse et de mélancolie. Oh ! loin de là. C'est, au contraire, un principe de vraie joie et de solide contentement, en même temps qu'un moyen, aussi efficace que nécessaire, de ferveur, de progrès dans les vertus de notre saint état.

 Expliquant les caractères de l'esprit sérieux, le cher Frère Assistant, pour en éloigner toute idée de tristesse, de rigidité, invoque les paroles et les exemples des saints ; il relève très heureusement la douceur, la sainte gaieté, les manières prévenantes dont ils savaient accompagner la vie la plus rigoureusement pénitente : « Témoins, dit-il, saint Antoine, saint Macaire d'Alexandrie, le grand saint Martin de Tours, et surtout l'aimable saint François d'Assise. »

Pour nous, M. T. C. F., nous n'avons pas besoin d'invoquer sur ce point d'autre exemple que celui du cher Frère Assistant lui-même. Certes ! qui, plus que Frère Jean-Baptiste, fut sérieux de pensées, de sentiments, de langage, de conduite, de caractère même, quand il s'agissait d'éviter les petitesses et les trivialités? Et qui, d'autre part, fut plus gai, plus épanoui plus attachant, plus captivant que lui ? « Votre Frère Jean-Baptiste est impayable, je passerais ma vie avec lui », me disait, en 1841, un Missionnaire Chartreux, qui était resté quelques semaines avec nous, au Séminaire des Missions Etrangères, à Paris.

 Jusque dans les bras de la mort, le bon Frère va nous enseigner, avec son amabilité ordinaire, l'esprit sérieux l'esprit de réflexion. En écrivant ces lignes, j'ai sous les yeux sa délicieuse photographie; c'est vraiment la photographie de la paix, du silence, de la réflexion pieuse, solide, tranquille, profondément religieuse. Pendant sa vie, on n'eût pu l'amener à se laisser fixer sur le papier ; mais la Providence, en servant sa modestie, nous servait nous-mêmes. Vivant on l'eût fait vivant ; peut-être lui eut-on demandé une de ces poses entraînantes qu'il savait si bien prendre, quand il voulait ou commander le respect, ou rendre le courage, ou imposer la persévérance, ou déjouer certaines ruses, ou obtenir quelque acte héroïque de tentation à vaincre ou de vertu à pratiquer ; mais, certainement, on l'eût fait moins doucement réfléchi. Photographié le lendemain de son décès, il nous reste en état de méditation, et il faut le dire, le calque est parfait.

 Evidemment, dans sa belle âme, il n'y avait rien pour la mort ; et même, dans son corps, dans ses traits, dans sa douce et tranquille figure, il y avait si peu, si peu, que la mort, on le voit, et on le sent, n'a passé par là que pour consacrer le sommeil de la réflexion.

 Oui, M. T. C. F., vous l'aurez, et nous l'aurons tous, paisiblement assis sur le modeste fauteuil sur lequel il est mort. Il pose là, sans contrainte ni effort, la tête légèrement inclinée, les yeux doucement fermés, le front découvert et faiblement ridé, les joues creusées par le travail et la prière, bien plus que par l'âge et la maladie ; la croix sur la poitrine, le chapelet à la main droite, cette couronne de la bonne Mère qu'il m'a dite souvent ne pouvoir réciter en moins de demi-heure dans l'attitude du recueillement plutôt que de la mort toujours bon, simple, gracieux ; le sourire encore sur les lèvres : tel que nous le voyons depuis trente ans, tel que je l'ai trouvé, hélas ! à mon arrivée de Paris, le mardi, 6 février, à neuf heures du matin. Il était mort, le lundi à 3 heures du soir, sans agonie aucune, assisté par le cher Frère Félicité et par les principaux Frères de la Maison.

 Surprenant tout le monde et surpris lui-même, il n'a pu recevoir l’Extrême-onction ; mais la veille, il avait été communié en Viatique ; et, depuis longtemps, il faisait chaque jour, sa préparation immédiate au grand passage du temps à l'éternité. Non, non, la douleur et l'inquiétude n'étaient plus pour lui ; elles furent pour toute la Communauté qu'il laissait en larmes ; elles furent pour moi, deux heures après !…. Un premier télégramme m'était arrivé : F. Jean-Baptiste baisse, venez, il vous demande. J'étais au départ : arrive un second télégramme ! … « Ah! dis-je au cher Frère Directeur, celui-ci, je n'ai pas besoin de l'ouvrir, je ne vois  que trop ce qu'il nous annonce !… Prions, le cher Frère  Jean-Baptiste est mort ! … »

 Peut-être ai-je tort de redire ici ce surcroît personnel d'affliction, de n'avoir pu échanger un dernier mot avec le cher Frère Assistant ; mais, aujourd'hui encore, je n'y trouve un adoucissement que dans l'impérieux besoin qui m'avait éloigné de la Maison-Mère, et dans les dispositions de la Providence qui n'a pas permis qu'on m'avertît à temps.

 Quant à la photographie du défunt, je vous devais les réflexions qui précèdent ; je les devais aussi, non à la raideur, il n'en a jamais eu, mais à la fermeté de principes du Frère Assistant. Je veux même, à ce propos, arriver à une pensée très sérieuse, par un souvenir, qui, en l'égayant, ne fera que la fortifier. Donc, malgré toutes mes réflexions, malgré le vœu du Chapitre général, je ne puis m'empêcher de me demander même à cette heure, ce que dirait de son Image le cher Frère Assistant, si sa main glacée, maintenant pendante immobile sur le bras de son fauteuil, pouvait se relever, si le grand doigt que vous savez, pouvait se redresser comme autrefois et accompagner encore sa parole ! … Ah ! ce qu'il dirait, et du geste et de la voix, je l'entends très clairement, et j'avoue que, si je n'avais pas à exécuter une décision capitulaire, je dirais comme lui « Enfants! grands enfants ! à quoi vous amusez-vous?  Est-ce que vous avez quelque autre photographie à faire que celle de Jésus-Christ ? Allons, allons, laissez-moi ces folies, et ne pensez qu'à imprimer dans votre âme l'image du divin Maître. »

 Oui, j'en suis sûr, vivant, Frère Jean-Baptiste nous tiendrait le langage que je lui prête ! Défunt, que n'y ajouterait-il pas !… Comme, des profondeurs de l'éternité, il ferait bonne justice de nos pauvretés de la terre ! comme il nous ferait comprendre que, dans le monde à venir, rien n'a cours, rien n'est de mise, rien n'a de valeur que ce qui est marqué au coin du Christ, frappé à son image, empreint de son esprit ! Ceux que Dieu a connus dans sa prescience, dit saint Paul, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils (Rom., VIII, 29).

 Du reste, j'espère bien que cette bonne réflexion ne sera pas perdue, et que personne ne songera à se prévaloir d'une mesure tout exceptionnelle, pour introduire parmi nous la manie des photographies. Ah! plutôt, revenons, à cette occasion, à notre grande photographie divine, l'imitation de Jésus-Christ, la reproduction fidèle du divin Maître et dans nos âmes et dans nos corps.

 C'est à cette doctrine profonde, essentiellement chrétienne, qu'il faut nous reporter, pour comprendre tout le besoin que nous avons de méditer et de réfléchir. C'est pour la méditer plus parfaitement, pour y réfléchir plus assidûment, que Frère Jean-Baptiste avait laissé tout voyage, toute visite, toute sortie, toute récréation, presque tout sommeil; qu'il s'était condamné, depuis vingt ans au moins, à une solitude comme absolue, n'ayant, dans sa chambre, avec les Frères, et, dans la Maison, avec le Supérieur et les autres Frères Assistants, que les rapports obligés, les rapports indispensables que demandaient le soin de sa province et l'administration générale de l'Institut.

 J'ai vécu et travaillé avec lui, pendant quarante ans. Nous avons fait connaissance à Lyon, en 1832 ; nous avons aidé le pieux Fondateur, en 1836-37, à préparer la première édition de la Règle ; et, depuis 1839, trente-trois ans bientôt, nous sommes à l’œuvre ensemble ou à l'Hermitage ou à Saint Genis. Or, je dois le déclarer ici, avant toute autre appréciation, ce qui, avec la grâce de Dieu, a fait le Frère Jean-Baptiste, c'est l'alliance, non interrompue, d'un cœur docile, pris à l'origine, embrasé ensuite et consumé à la fin de l'amour de Jésus-Christ, avec une haute raison, constamment nourrie des pensées sérieuses de la Foi, des maximes solides de la Piété, de toutes les grandes vérités de la Religion ; et non moins constamment, sevrée de toute étude profane, de toute lecture frivole.

 Inflexible pendant trente ans, dans la sévérité du régime alimentaire que lui avait imposé le délabrement de sa santé, il l'a été, pendant cinquante ans, dans la solidité de son régime spirituel. Pas plus qu'il n'eût consenti à donner à son estomac un aliment qu'il jugeait lui être contraire, rien n'y faisait, ni goût, ni sollicitations: pas plus, et infiniment moins, eut-il consenti à se prêter quelque lecture étrangère aux idées religieuses.

 « Leur Télémaque, me disait-il un jour, ils en font un chef-d’œuvre, je veux le croire tel ; mais, pour moi, il me serait impossible de le lire. Ne me parlez pas de fables, quand jJ'ai l'Evangile et les Pères. » C'est dans le même sens que saint Augustin parlait autrefois du nom de Jésus : « Seigneur, dit-il, par votre infinie miséricorde, j'ai sucé, avec le lait de ma mère, l'amour de votre nom, et je l'ai imprimé dans mon cœur. Si je ne le trouve, tout ce que je vois, tout ce que j'entends, tout ce que je lis, quelle qu'en soit la beauté, et même la vérité, ne peut me satisfaire. »

 Excellent goût, M. T. C. F., substantielle alimentation d'un esprit chrétien ! Parfait régime, quand, d'autre part, comme nous le dirons plus loin, le cœur est constamment nourri de prière et d'Eucharistie. C'est ce régime admirable qui a fait à notre cher Frère Assistant un tempérament spirituel si solide et si persévérant. Il a bien fallu, malgré la sévérité et les précautions, que le corps cédât un jour ou l'autre, et que notre rude travailleur (le jour même de sa mort, il corrigeait encore les épreuves de ses Méditations sur l'Incarnation), s'arrêtât enfin, comme s'arrête la flamme qui n'a plus d'aliment ; mais la flamme divine, allumée par lui et par la grâce, au foyer des saintes réflexions ; mais l'immortelle, l'inaltérable santé d'une âme constamment nourrie de foi et de piété, que peut y faire la mort, sinon les perfectionner et les consacrer à jamais? C'est, n'en doutons pas, ce qu'elle a fait pour notre cher défunt.

 Oh ! avec quels transports sa belle âme s'abîme maintenant dans ces merveilles et ces secrets de l'éternité, qu'il a désirés et poursuivis, chaque jour, avec tant d'ardeur et pendant tant d'années ! Comme il s'applaudit, à cette heure, de ses travaux, de ses veilles, de ses longues méditations, de toutes ses recherches ascétiques, si opiniâtres et si persévérantes !

 Imitons notre aîné, M. T. C. F., soyons sérieux comme lui ; et, que les saintes lectures, le catéchisme, toutes les choses de la Religion deviennent aussi notre élément : de telle sorte que, comme lui, ne prenant de tout le reste que ce qui nous est absolument indispensable, nous revenions toujours, nous revenions avec bonheur aux études religieuses, les seules qui nous intéressent véritablement.

 Et ajoutons, les seules qui intéressent véritablement l'Institut : car, quand les choses fondamentales, capitales, du salut ne dominent pas un Frère ; quand elles ne règlent pas ses pensées, son langage, ses études et toute sa vie, inutilement, a-t-il de la science et de l'habileté : il ne fera jamais un bien solide, il ne réussira même que très imparfaitement, et bientôt, il abandonnera tout.

 Sans esprit sérieux et profondément religieux, qui sait ce que fût devenu notre défunt lui-même, avec tous ses talents et toutes ses qualités d'esprit et de corps? probablement, un religieux infidèle, quelque mondain léger et frivole, pour ne rien dire de pire.

 Mais, non, dès ses premières années, il se tourne vers Dieu ; il prend sa vocation au sérieux ; et, jusqu'à la fin, il la nourrit, comme toute sa vie nous le montrera, de pensées et d’œuvres saintes, de foi et de piété. Et le résultat, vous le voyez, il éclate à tous les yeux. C'est qu'à cet esprit réfléchi, à cette solide alimentation spirituelle, le Vénéré Père Champagnat doit de s'être survécu à lui-même, de trente-deux ans, dans un Assistant qui a continué et perfectionné son Œuvre sans jamais donner dans une idée fausse ou un principe relâché. C'est qu'à ce même esprit solide et sérieux, une foule de Frères, dans toutes les provinces, doivent la conservation de leur vocation et de leur vertu. C'est que tout l'Institut lui doit et lui devra toujours, pour les Frères et pour les Enfants, tout un ensemble de règles de conduite, de principes d'éducation, de doctrine spirituelle, qui ne peuvent, s'ils sont suivis, que le rendre très fort et comme inébranlable.

 Prions donc Dieu, par Marie et Joseph, que notre cher Frère Jean-Baptiste se survive, lui aussi, dans ceux qui le suivront : n'est-il pas pour nous comme un second Fondateur? Désirant, sans doute, que dans toutes nos Maisons le régime alimentaire des Frères soit soigné selon la Règle, demandons avant tout et demandons, avec grande instance, que tous ceux qui les habitent et les habiteront à l'avenir, sachent et veuillent soigner leur régime spirituel comme l'a fait notre cher Frère Assistant. 

§ II. Raison fondamentale du besoin que nous avons de réfléchir.

– Méditations du Défunt. – Le Frère qui ne réfléchit pas.

 Ici, M. T. C. F., laissez-moi vous donner, comme raison fondamentale du besoin que nous avons de réfléchir, une pensée profonde, mais très juste. Il me semble qu'elle ne pourra que vous exciter puissamment à méditer de plus en plus les choses de Dieu, à l'exemple et à la suite du pieux Fondateur et de l'un de ses premiers disciples.

 Dieu, dit saint Thomas, n'a qu'une parole ; et cette parole, infinie comme lui, la seule qui réponde parfaitement à la plénitude de son Etre, est son Verbe, le Verbe éternel, dans lequel il se reproduit tel qu'il est, comme dans son image, son expression vivante, substantielle, éternelle, adéquate, selon le mot employé par la Théologie.

 Quand donc, explique Saint-Jure, Dieu parle et agit au dehors, en dehors de la génération éternelle du Verbe et de la production éternelle du Saint-Esprit, il n'a, pour ainsi dire, à son service, que des paroles amoindries, c'est-à-dire, des paroles créées, pour exprimer les perfections et les opérations infinies de l'Etre incréé.

 Dès lors, le langage humain reçoit, nécessairement, sous l'action divine, des sens merveilleux, des significations d'une portée immense et d'une profondeur sans limite. C'est l'infini sous l'écorce de la lettre, sous l'enveloppe des mots.

 Et, en effet, n'est-ce pas l'infini dans cette parole de saint Jean : Le Verbe s'est lait chair et il a habité parmi nous ? (J. 1, 14). infinité de grandeur ! infinité d'abaissement ! infinité d'amour ! N'y a-t-il pas l'infini dans ce seul cri de saint Thomas, confessant l'humanité et la divinité de Jésus-Christ :  Mon Seigneur et mon Dieu ! (J. XX., 28). Et quels abîmes infinis de douleurs, de patience, de miséricorde et d'amour, en Jésus-Christ ; d'injustice et de cruauté en nous, dans ces passages de la Passion, si admirables cependant de simplicité et de brièveté : Pilate fit prendre Jésus et le fit fouetter ! … Ô Dieu ! un homme faire fouetter un Dieu !. – Ils l’emmenèrent pour le crucifier !… – Ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, et Jésus au milieu !.. – Jésus, jetant un grand cri, expira !... – (Je. XIX., Matth. XXVII). Certes ! de telles paroles ont de quoi occuper et absorber l'esprit et le cœur, non seulement pendant la vie, mais pendant toute l'éternité !

 Or, ce que nous disons de ces passages, il faut le dire en général, de toute la Sainte Ecriture, de l'Evangile surtout, qui en est le résumé et le complément. Il faut le dire, à proportion, de la vie des Saints, qui est comme l'Evangile en pratique, et des livres pieux qui en sont le commentaire. Dans tous, il y a des secrets divins, des trésors cachés de lumière et de grâce.

 Mais, ces secrets, qui nous les révélera ? Ces trésors, qui nous les découvrira ? Evidemment, il n'y a que la méditation, la considération, la réflexion ; une étude religieuse approfondie, persévérante, surtout celle qui se fait, en Dieu et devant Dieu, dans le sanctuaire de l'oraison.

 C'est cette étude méditée et prolongée qui a révélé à notre cher défunt ses admirables Méditations sur la Passion, et les autres qui vous seront données plus tard. Toutes, il les a préparées dans la réflexion, dans les constantes recherches d'une étude constamment religieuse et sérieuse. Toutes encore, avant de les livrer à l'impression, nous l'avons vu, ici, son manuscrit à la main, les méditer lui-même devant le Saint-Sacrement, y donner une heure, chaque jour, aussi longtemps que ses forces le lui ont permis.

 Savez-vous ce que je me disais, les jours passés en entendant les Méditations 13, 14 et 15, sur les outrages faits à Jésus-Christ, dans la maison de Caïphe – On lui cracha au visage, on le frappa à coups de poings, et il y en eut qui lui donnèrent des soufflets ? (Matth., XXVI, 67). Je me disais ceci : « Voilà un passage de l'Evangile des plus frappants ; instinctivement, on est saisi d'horreur en lisant ces indignités, accomplies sur la personne adorable de Jésus-Christ. Eh bien ! lus à la légère, Ou médités superficiellement, que diront à un religieux dissipé et frivole, tous ces outrages faits au divin Maître ? Presque rien. – Iront-ils même à son cœur ? A peine. – Quel fruit en retirera-t-il ? Aucun… – Oh quel contraste, ajoutais-je ensuite, avec les bons sentiments, les saintes pensées, les courageuses résolutions qu'en a retirés le cher défunt, grâce à son esprit sérieux, solide, réfléchi, et surtout profondément religieux ! »

 Allons, M. T. C. F., soyons frappés de cette différence, et que cette première leçon que nous donne celui que nous pleurons, porte ses fruits et les porte en tous. Vous souvenant, dit saint Paul, de ceux qui vous ont prêché la parole de Dieu, et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi (Héb., XIII, 7) ; considérant à quelle haute vertu l'esprit de réflexion a conduit le plus illustre entre nos Frères aînés, sachons prendre, enfin, une bonne fois, au sérieux, notre salut, notre éternité, les choses de Dieu. C'est urgent, c'est indispensable – car il faut le dire, et c'était la grande peine du défunt, comme c'est encore la mienne, la principale cause, en plusieurs, de leur peu de fonds, de très peu de solidité en foi, en piété,en vertu, en vocation, en tout, c'est qu'ils ne pensent sérieusement à rien de sérieux.

 Le SPIRITUEL, le SURNATUREL, le DIVIN, L'ÉTERNEL, c'est-à-dire, tout ce qu'il y a d'essentiel, de capital, de souverainement important tout ce qui leur est à jamais propre, à jamais personnel ce qui les saisit, dans tout leur être, corps et âme, pour le présent et pour l'avenir tout ce qu'il y a au monde de plus certain, de plus pressant, de plus substantiel ; enfin, ce qu'ils ne sauraient ni changer, ni éviter, ni retarder ; ce qui, par conséquent devrait absorber toutes leurs pensées, voilà tout juste ce dont ils ne s'occupent jamais !… jamais sérieusement ! ! ! ….

 Hélas ! hélas ! leur sérieux, ils le gardent pour les bagatelles de la science profane ; pour les vaines préoccupations de quelque pauvre place sur cette pauvre terre ; pour le néant et les misères des choses présentes, et sensibles, c'est-à-dire : tout ce qui finit avec la vie, tout ce qui ne les touche qu'à la surface, et leur échappera, infailliblement, nécessairement, un jour ou l'autre, et pour toujours.

 Mon Dieu ! préservez-nous de cette folie !… délivrez-nous de cet aveuglement !… faites-nous imiter le bon Frère qui vient d'aller a vous, nous laissant à tous de si admirables exemples et de si riches fruits de l'esprit de réflexion.  

III. Nos livres ascétiques. Leur caractère sérieux. La raison y domine.

Excellente réflexion du Défunt à ce sujet. Reconnaissance et confiance.

 Il n'y a pas longtemps, qu'un Frère Directeur m'exprimait le plaisir qu'il avait à lire nos ouvrages ascétiques, surtout celui des Sentences et des Biographies. Il me témoignait, en même temps, toute la peine qu'il éprouvait à voir quelques Frères peu attentifs à cette lecture, l'écouter d'un air indifférent. « Pour moi, me  disait-il, ces livres me transportent, tant je les trouve faits pour nous et parfaitement appropriés à nos  besoins. Quand la lecture est finie, je ne puis m'empêcher de la reprendre, de relire encore ce qui a été  lu ; et, vraiment, je ne saurais dire combien je suis indigné, lorsque je vois qu'on n'y prête pas attention. »

 « Mon cher Frère, lui répondis-je, les sentiments que vous m'exprimez, je les partage. Les ouvrages du Cher Frère Assistant m'ont toujours fait et me font encore le même effet qu'à vous. Ces livres sont bien écrits, pleins de doctrines, très solides et extrêmement pratiques : nous ne pouvions avoir mieux.

 « Qui ne serait surpris, par exemple, au chapitre VIII des Sentences, Ce que c'est que le péché, de trouver réunies et condensées en si peu de pages, tant et de si  fortes pensées sur le mal terrible du péché et sur ses épouvantables suites? Qui peut lire le chapitre XIX,  La Grande Question, sans remercier Dieu d'avoir mis entre les mains de nos jeunes Frères et de tous, des réflexions si justes et si profondes sur le mauvais vice, que le Frère appelle le Sceau de Satan?

 « Je puis le dire, après avoir lu, pour la première fois ces Instructions, les dix chapitres sur la Charité, les sept chapitres sur l'Education, et tout le volume,  me reportant, d'ailleurs, et aux ouvrages précédents  et à ceux qui se préparaient encore, je ne pus m'empêcher de tomber à genoux et de m'écrier : Dieu soit béni ! Dieu soit béni ! Voilà de vrais trésors spirituels  offerts à toute la Congrégation. Un jour ou l'autre,  ces trésors d'enseignements religieux, ces principes de perfection et de salut, ces secrets de zèle et de sainteté, seront exploités par nos Frères, à la plus grande gloire de Dieu et au plus grand bien des âmes ! … »

 Ainsi furent passés en revue, et appréciés de même, avec ce bon Frère, tous les ouvrages du défunt : La Vie du Père Champagnat, le Directoire de la Solide Piété, les Principes de Perfection, le Bon Supérieur, le Cours de Méditations, les Biographies, les Leçons, Sentences et Avis ; puis, les trois Livres Capitulaires, auxquels il a eu une si grande part : Les Règles Communes, les Constitutions et le Guide des Ecoles : douze Volumes au moins, quand tout sera imprimé : douze volumes, je le répète, qui renferment des trésors de lumières, et qui seront pour nous, si nous le voulons, une source abondante et un aliment très substantiel de l'esprit sérieux.

 Chose remarquable, le Frère Assistant, qui, dans ses lettres et ses entretiens particuliers, laissait toujours percer la gaieté de son caractère, et trouvait le moyen de donner un tour piquant, un tour agréable, à ses moindres pensées, à ses moindres sentiments, même à ses remontrances et à ses refus, a voulu être constamment sérieux, constamment grave et solide dans tous ses écrits. Tout y est positif, tout y va à la pratique ; rien ou presque rien à l'imagination, rien à l'esprit pour l'esprit.

 S'il attache, et il attachera toujours, c'est par la force et la solidité de ses pensées, par la variété et l'à-propos de ses comparaisons, par la justesse et le but essentiellement pratique de toutes ses réflexions ; c'est surtout pour les Frères, que, dans tous ses Ouvrages, il est tout entier à eux ; il n'écrit que pour eux, et il écrit avec une connaissance parfaite et une expérience consommée de nos emplois, de nos positions, de nos difficultés de nos moyens et de tous nos besoins.

 Rien ne lui échappe ni comme principes ni comme application. L'application, il la donne, admirablement, dans la Vie du Fondateur et dans les Biographies des principaux Frères; les principes, il les expose, avec une clarté parfaite, dans tous ses autres Ecrits. Toutefois, pour le bien suivre et le bien comprendre, il est essentiel de remarquer que l'application est toujours accompagnée de théorie, et la théorie accompagnée de pratique.

 Ainsi, dans la Biographie du Frère Louis, donné comme modèle de l'amour de Jésus, vient une magnifique instruction sur les conditions de cet amour : « Aimer Jésus de tout son cœur, l'aimer avec sa conscience,  avec son esprit, avec sa volonté, de toutes ses forces,  avec sa langue, dans la sainte joie, dans les pieuses larmes, dans l'exercice d'un zèle ardent.

 Frère Chrysostome, ou la solide vertu, nous enseignera clairement et la pratique et la théorie des solides vertus, de la vertu solide et du solide de la vertu. Frère Ribier, ou la vie intérieure, nous exposera parfaitement la pratique et la théorie de la vie intérieure, et surtout le grand secret de cette vie, la science des Saints. Ainsi en est-il des autres Biographies, et plus encore de toute la vie du Fondateur. Vous le reconnaîtrez vous-mêmes, les suivant à ce point de vue.

 De même, si l'on prend les Méditations, les Principes de perfection, le Livre des Sentences et autres, à côté de la théorie, de l'enseignement, on trouve l'application la plus heureuse à la Vie des Frères ; une application facile, actuelle, nécessaire ; application toujours parfaitement motivée et très clairement formulée. Je dois dire qu'on ce moment même, en continuant à corriger les épreuves des Méditations sur l'Incarnation je suis de plus en plus frappé de ce caractère essentiellement théorique et pratique que le Frère Assistant a su donner à tous ses ouvrages.

 Puissiez-vous le saisir de même et bien vous rendre compte de tous : vous en profiterez d'autant plus, que vous les comprendrez plus parfaitement. C'est dans ce but que je vous recommande encore l'importante observation qui suit. Elle est de nature à vous faire entrer très avant dans les principes et la méthode, et comme dans le régime spirituel, aussi sérieux que solide, du cher Frère Assistant.

 On peut le dire, dans Frère Jean-Baptiste, c'est la raison, l'intelligence, le bon sens qui dominent ; le cœur ne vient jamais qu'en seconde ligne. « Il faut aimer avec la tête, disait-il, beaucoup plus qu'avec le cœur ;  aimer chrétiennement, religieusement, et non par  sympathie de caractère, par entraînement. » Ainsi aimait-il lui-même : Notre Seigneur d'abord, l'étudiant sans cesse, afin de croître sans cesse dans cet amour de choix et de préférence, qui ne fait que rendre les affections plus ardentes et plus pures ; puis, les Frères et les enfants, se pénétrant toujours davantage du prix des âmes, de tout ce qu'elles ont coûté à Jésus-Christ et s'excitant par là même, à travailler avec plus d'ardeur à les sauver. Tous ses écrits sont dans cet esprit ; il cherche à instruire plus qu'à toucher, à convaincre plus qu'à persuader.

 Il me l'a dit souvent, et cette réflexion me parait excellente, je désire qu'on la comprenne parfaitement.  Je veux me disait-il, que les Frères connaissent  Notre-Seigneur. Mes Méditations sur ses Mystères et, en général, sur toutes les vérités, sont longues, je le sais ; mais elles sont instructives et solides. Je  suis sûr qu'on s'en servira très utilement, dans les Noviciats, , pour les instructions; et, dans les écoles,  pour les catéchismes.Elles sont tirées des meilleurs auteurs, et je puis assurer que, pour la plupart, elles résument, sur chaque vérité, tout ce qui a été dit de plus substantiel et de plus pratique. Je n'ai jamais couru après les brûlantes affections, après les ah ! et les oh ! j'ai tenu à aller au fond des questions. « Quand les Frères auront fait ces Méditations, pendant cinquante ans, comme moi, ils auront une doctrine,  ils connaîtront Jésus-Christ, ils l'aimeront solidement, et ni le monde ni l'enfer ne pourront le leur arracher. »

 Belle et forte pensée, M. T. C. F., d'autant plus belle qu'elle est appuyée d'un exemple également beau, également frappant, l'exemple même de celui qui l'exprime, Frère Jean-Baptiste, en effet, connaissant Jésus-Christ comme il le connaissait, l'aimant comme il l'aimait pouvait défier le monde et l'enfer de le séparer du divin Maître. Il pouvait redire comme saint Paul, sinon avec la certitude absolue que, seule, peut donner une révélation d'en Haut ; du moins, avec cette certitude morale qu'inspirent toujours une connaissance approfondie de Jésus-Christ, la confiance en sa bonté et l'inébranlable détermination d'être à lui : Je suis assuré, moralement assuré, que ni la mort, ni la vie ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom. VIII, 38, 29).

 Oui, M. T. C. F., cette heureuse disposition le cher Frère Assistant la sentait en son esprit, en son cœur, en sa volonté, grâce à ses longues méditations ; grâce aux vives lumières, aux puissantes considérations qu'elles lui avaient apportées. Voilà pourquoi, désirant nous amener tous à la même fermeté de principes, à la même solidité de vertu, il s’étudie constamment à parler à l'intelligence et à la raison, à former en tous des convictions fortes et profondes, plutôt que des affections et des sentiments.

 La piété même, qui semble plus particulièrement l'affaire du cœur, il veut qu'elle soit, avant tout, solide et éclairée, et qu'elle repose sur la conscience, sur les principes de la foi. C'est le but des fortes instructions qui précèdent chaque dévotion dans notre Livre de prières, Livre précieux dont le titre seul donne, tout de suite, tout le caractère : Le Directoire de la Solide piété.

 Du reste, tout est coordonné dans ce sens par le cher Frère Assistant : instruction et éducation, règles et méthodes, qualités et devoirs des Supérieurs à tous les degrés, temporel et spirituel, direction personnelle, direction générale. Partout, toujours et en tout, il fait appel au bon sens, à la raison ; mais appel à la raison, par la foi et la piété, afin d'écarter tout orgueil, et toute suffisance ; puis appel à la foi et à la piété, par la raison, le bon sens, la conviction, afin de prévenir plus sûrement toute légèreté et toute inconstance. C'est dans ce triple accord de la raison, de la foi et de la piété que le cher défunt place : en classe, son grand secret de discipline pour les enfants; en communauté, en perfection et sanctification personnelle, son grand espoir de persévérance et de progrès.

 Heureux accord et fort régime ! Le Frère Assistant n'en a pas pris d'autre pour lui-même ; il n'en a pas donné d'autre aux Frères dont il a eu la direction, ils le savent tous, et aucun d'eux ne me démentira. Aujourd'hui encore, à la suite du pieux Fondateur et en son nom, c'est cet accord persévérant de la raison, de la foi et de la piété qu'il laisse à la Congrégation comme le sceau et le secret de son gouvernement et de tout le bien qu'elle doit faire. Ne refusons pas, je vous prie, un régime si solide et si solidement éprouvé. Je me joins de toute mon âme, au cher défunt, et tous les Frères Assistants se joignent avec moi, pour vous le conseiller et vous le recommander. Un mot encore, afin de mieux vous le faire apprécier.

 Nous disons le sceau et le secret de notre gouvernement. En effet, sur le gouvernement de l'Institut, le livre qui résume toutes, les pensées du Défunt, c'est le Bon Supérieur. Or, le Bon Supérieur n'est, du commencement à la fin, que le Code de la raison et du bon sens, religieusement appliqués à la direction des Frères.

 Il demande dix qualités de tout Frère Directeur; mais la première de toutes, c'est qu'il ait un bon jugement, qu'il soit RAISONNABLE. Le tiers du volume est consacré à expliquer cette qualité fondamentale ; elle est développée en vingt-quatre paragraphes ; et, tel est le bon sens pratique qui les a dictés, qu'on ne peut lire simplement les titres, à la table du livre, sans demeurer tout surpris et de la sagesse et de l'à-propos de tous ces conseils. On dirait même que toutes les autres qualités du bon Directeur : la piété, la régularité, l'humilité et la douceur, la charité, le bon caractère, la solide vertu, la fermeté, la vigilance, la science suffisante ; que toutes ces qualités, dis-je, ne viennent que pour corroborer la raison, le bon jugement, qui doit toujours les accompagner et les faire accepter.

 Je ne dis rien du style, de la diction, des ouvrages  du cher Frère Assistant, sinon qu'ils réalisent le mot du poète :

                              Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement

                              Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.

 C'est la pensée qui domine tout, qui donne l'expression juste, le style correct, les phrases bien coupées toutes choses dites en bons termes et avec une parfaite clarté. C'est à peine si, dans les douze volumes, il se trouve quelques courts passages qui puissent faire deviner que l'auteur applique les règles d'une bonne composition, sans les avoir étudiées : nouvelle preuve de sa mission toute providentielle, et des qualités, toutes particulières dont Dieu l'avait accompagnée.

 Allons, M. T. C. F., que cet aperçu, que ces réflexions, générales sur les ouvrages de notre cher défunt, vous y affectionnent de plus en plus ; qu'elles vous portent à les lire et à les relire, avec une nouvelle attention ; à les étudier sérieusement, afin d'en bien saisir et le sens et l'esprit, et toute la portée. Vous participerez ainsi à toute la solidité de jugement, à toute la fermeté de principes, à toute la lucidité d'esprit, à la perspicacité et à la pénétration dont Dieu l'avait favorisé. Vous participerez, de plus, et à sa longue expérience et à ses laborieuses recherches.

 Ses recherches ! qui nous dira ce qu'elles lui ont coûté de soins et d'efforts, pour les faire; d'application et de veilles, pour les coordonner Il a mis trente ans pleins à recueillir, çà et là, dans les meilleurs Auteurs, et les saintes pensées, et les admirables sentences, et les solides maximes qu'il nous laisse aujourd'hui. Il a mis vingt ans pleins à les rédiger, à les réunir, soit dans les manuscrits déjà livrés à l'impression, soit dans ceux qui nous restent encore. Et ce travail, il l'a continué, sans désemparer, sans s'en distraire autrement que par la classe d'abord,  et ensuite par les lourdes fonctions d'Assistant : dix-huit années, non interrompues, d'enseignement dans les écoles de Neuville-sur-Saône, de Bourg-Argental, de Millery, de Feurs, de Saint-Symphorien d'Ozon, de l'Hermitage  et de Saint-Pol- sur-Ternoise ; trente-deux années d'assistance provinciale, ou dans le Midi ou dans le Centre.

 Cinquante.. ans, par conséquent, d'un travail doublement énorme et doublement soutenu ! Quelle vie! quelle persévérance ! ou, selon le mot de l'un de vous, quel formidable dévouement ! Qui de nous n'en serait reconnaissant? Qui de nous voudrait rendre inutiles ces longs et effrayants travaux ? Qui de nous encore ne prendrait confiance en une œuvre que Dieu bénit si visiblement ?

 Le Révérend Père Epalle, Assistant de la Société de Marie, dans son rapport sur les Biographies, s'exprimait ainsi: « En lisant ces Vies aussi admirables qu'édifiantes, les Petits Frères de Marie s'estimeront heureux d'être Maristes, et ils remercieront Dieu de les avoir appelés dans une Société qui, en moins d'un demi-siècle, a formé un si grand nombre de zélés  instituteurs et de parfaits religieux. »

 Combien pouvons-nous, aujourd'hui, répéter avec plus de raison ces consolantes paroles, en relisant la Vie et les Vertus, en repassant les pieux ouvrages de celui qui, non seulement a écrit ces intéressantes Biographies ; mais encore a été, entre les mains de Dieu, le principal instrument dont sa miséricorde s'est servie pour former ces religieux, pour les conduire à cette haute perfection qui a permis de les présenter à notre imitation. Non, non ! ne craignons pas de le dire, Frère Jean-Baptiste a réuni et les talents et les vertus, et les mérites et les œuvres de plusieurs. C'est la vocation fidèle, la Vocation fervente, dans toute l'étendue du mot. Il faut en remercier Dieu de tout notre cœur, et ne rien négliger pour mettre à profit ces nouvelles grâces. Aucune Biographie, jusqu'à ce jour, ne saurait être ni plus intéressante ni plus utile ; vous y prêterez tous, j'en suis sûr, le concours le plus empressé et le plus dévoué. Nous le devons à la gloire de Dieu, qui éclatera dans son fervent serviteur ; à l'honneur de Marie, dont il fut toujours l'enfant le plus affectionné et le plus fidèle ; à nous-mêmes et à l'Institut, qu'il doit continuer à instruire et à édifier. 

IV. Portrait du Frère Jean-Baptiste. Son caractère. Sa dévotion à Marie. Son amour pour Jésus-Christ.

Sa correspondance. Ses instructions. Ses visites.

La forte direction qu'il donnait aux Frères, aux Ecoles, aux Maisons.

A quel point il avait au gagner l'estime, l'affection et la confiance de tous.

Faite particuliers de piété, de zèle, de dévouement.- Tout en lui a un fonde solide et un but sérieux.

Quelques citations.

 Je réunis dans ce paragraphe les points principaux sur lesquels je réclame vos notes et j'invoque tous vos souvenirs; sur lesquels même je demande vos études et vos appréciations personnelles, avant de les traiter moi-même en détail.

 Je compte que les anciens, les Visiteurs, les Provinciaux, les Directeurs, surtout dans le Centre et le Midi, me feront, chacun, un bon travail sur le Frère Assistant.

 On aura jusqu'à la Retraite prochaine, pour le rédi­ger, et me le remettre à moi-même, ou au Frère Assistant de la province.

 Faites en sorte, je vous prie, que vos notes soient écrites d'une manière très lisible, bien divisées par alinéas, espacées convenablement, et avec une bonne marge à chaque page.

 Pour les notes à fournir, on se reportera encore à la Circulaire du 19 juillet 1867, concernant le cher Frère Pascal. Je vous fais les mêmes recommandations et les mêmes demandes pour le cher Frère Jean-Baptiste

 1° Les lettres mêmes, ou la copie de toutes les lettres que vous avez conservées de lui, moins les passages qui vous seraient trop personnels.

 2° Un résumé de ses avis et de ses instructions, principalement sur la Règle, l'esprit religieux et l'éducation.

 3° Ce qui s'est passé d'édifiant, soit pour les Frères, soit pour les enfants, dans les visites qu'il a rendues aux différentes Maisons du Nord, du Midi et du Centre, pendant les trente-deux ans qu'il a été Assistant.

 4° Enfin, tous les faits qui sont à votre connaissance, et qui peuvent aider à sa Biographie.

  Je, désire que chacun donne, en toute liberté, ses impressions et ses appréciations; même, autant que possible, ses motifs personnels d'estime, d'affection et de confiance pour le cher Frère défunt.

 Il y a tout intérêt, pour le présent et pour l'avenir, à ce que rien ne se perde d'une vie si belle et si parfaitement remplie. Bien étudiée et bien rendue, elle donnera le type d'un véritable Petit Frère de Marie, dans toutes les positions : car Frère Jean-Baptiste les a toutes, ou occupées ou étudiées; sur toutes, il a donné une très forte et très sage direction à ceux qui les remplissaient.

 Donc, sur les points indiqués dans ce paragraphe,je vous laisse tous à vos propres recherches et à vos propres réflexions ; mais ce que je désire principalement, c'est qu'on arrive à recueillir le plus grand nombre possible des lettres du cher Frère défunt. C'est bien de lui qu'on peut dire qu'il laisse une volumineuse correspondance, ayant eu à répondre, pendant plus de seize ans, à tous les Frères des deux provinces du Midi; pendant douze ans, à ceux de la province de Saint-Genis-Laval; et, de plus, à beaucoup de Frères qui s'adressaient à lui des provinces qu'il avait quittées ou des autres.

 Plaise à Dieu qu'on puisse réunir ces lettres, en nombre suffisant, pour ajouter un volume de plus à ceux que nous devons déjà à notre cher défunt ! Je suis convaincu qu'il serait, de tous, le plus utile et le plus intéressant : tant ces lettres ont répondu à une foule de besoins, tant elles ont revêtu de formes différentes, pour aller à tous les cœurs; tant il a su, dans toutes, adroitement. et heureusement, deviner le fort et le faible de chacun ; frapper sur tous les défauts, les signaler sans blesser, les corriger sans aigrir; briser l'orgueil de l'un, adoucir la mauvaise humeur de l'autre ; stimuler la lenteur de celui-ci, contenir et diriger la fougue de celui-là ; faire concorder tous les caractères; éclaircir les doutes, résoudre les questions; fortifier et conserver les vocations; prémunir contre les dangers, tirer des difficultés, dissiper les tentations, relever et soutenir les courages, réveiller et enflammer le zèle ; porter aux plus solides vertus, inspirer surtout l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le désir de la sainte Communion, qui a été son grand moyen de formation et de réformation ; enfin, se faire tout à tous, pour les gagner tous à Jésus-Christ (l Cor., IX, 22), tous à Marie, tous au salut de l'enfance et de la jeunesse.

 C'est vous, M. T. C. F., qui avez ces lettres, qui les avez lues et relues, et qui savez, mieux que personne, par le bien qu'elles vous, ont fait, tout le bien qu'elles peuvent faire encore. C'est donc à vous à les rechercher, et à les produire, pour le plus grand avantage de tous ; à les donner au moins de mémoire et par extrait, si vous les avez détruites.

  Je l'ai déjà dit, les lettres, comme les entretiens et les conférences spirituelles du Frère Assistant, mais ses lettres surtout, nous le donneront tout entier, avec sa lucidité de pensées, sa pénétration et sa perspicacité de jugement, sa gaieté de caractère, toutes ses qualités d'esprit et de cœur.

 C'est chose étonnante, en effet, comme, dans l'ardeur de son zèle et les inépuisables ressources de son talent, il a pu trouver le moyen de varier tant de lettres, de donner à chacune un cachet spécial de convenance .et d'à-propos, et d'y imprimer un tour nouveau qui les rendait toujours plus agréables et les faisait mieux accepter.

 Fines allusions, traits saillants, textes et passages de l'Ecriture et des Pères, comparaisons frappantes, questions adroites, énigmes ingénieuses, rapprochements inattendus, oppositions subites, douces insinuations, promesses et menaces, craintes et espérances, amitié et autorité, force de pensées, solidité de principes, dogme et morale, vérité et piété, bons mots et sages plaisanteries, honneur et intérêt, encouragements et avertissements, présent et avenir, biens et maux, temps et éternité, Ciel et enfer : tout, absolument tout, le bon Frère l'a employé, l'a essayé, l'a tourné et retourné, l'a épuisé, pour être utile à ses Frères, pour les éclairer, les tenir dans le devoir, les attacher à leur état, les porter, au bien, les perfectionner ; en un mot, les sauver, et, par eux, sauver le plus d'enfants possible. Toutes ses lettres, j'en suis sûr, comme les Frères qu'il a dirigés, témoigneront de l'exactitude de ces affirmations.

 Pour moi, M. T. C. F., je ne puis que passer rapidement ces divers points, puisque j'attends, pour les traiter, vos renseignements et vos communications; mais, pourtant, je ne puis m'empêcher de vous faire quelques citations, qui témoignent encore de l'esprit éminemment solide et sérieux du défunt. C'est d'ailleurs l'objet particulier de cette première Circulaire, et j'ai à cœur de vous montrer qu'en tout et toujours il a su donner à ses actes un but très sérieux.

 Certes ! avec ses talents, avec sa facilité de langage et de composition, avec sa prodigieuse mémoire, avec toutes ses manières avenantes et pleines d'agréments, qu'il lui eût été facile de n'être qu'aimable, de n'être que gracieux, de plaire, de plaire encore, de plaire toujours ! Mais non, il n'a jamais cherché à plaire pour plaire. Toutes les qualités que nous, rappelons ici, il ne ,les a fait servir qu'au bien, au bien seul. Dans ses lettres, pas une plaisanterie, pas un trait d'esprit, pas un mot qui n'aille à l'utile, au religieux, au surnaturel. De même dans ses conversations, de même dans ses instructions, de même partout et toujours.

 Voyez quelle solide et gracieuse lettre il m'écrivait à l'Hermitage (Frère François et Frère Pascal s'y trouvaient), la veille de Noël 1860.

 Après les questions d'affaires, il ajoute : « Un jour, dans une instruction familière du Vénéré Père Champagnat, un Frère très difficile à traiter, et qui aimait beaucoup les douceurs, à peu près comme Frère Pascal, dit au Père qu'il s'étonnait de l'ambition de la mère des fils de Zébédée; mais que, dans le  fait la première place était bien digne d'envie, quand il s'agissait du Paradis. »

  Le Vénéré Père répondit à ce Frère douillet et à  tous les autres qui l'écoutaient :  « Mon Frère, moi je suis beaucoup plus ambitieux que la mère des fils de Zébédée : elle ne voulait qu'une première place,  tandis que j'en désire et en demande, tous les jours  trois pour vous tous. Savez-vous quelle sont ces trois premières places? La première dans l'étable de Bethléem, la première sur le Calvaire, la première  dans le Cénacle ou près de l'autel. Je désire que les  Petits Frères de Marie soient les assidus de Jésus à  sa crèche, autour de sa croix, autour de ses autels.

  La monnaie avec laquelle on paie la première place  à la crèche, c'est l'humilité et l'amour de la vie cachée; la monnaie qui paie la première place sur le  Calvaire, c'est l'amour de la croix, la mortification, etc. …;  la monnaie qui donne droit à la première place près  de l'autel, s'appelle amour brûlant, ferveur, piété  angélique.

 Voilà de quoi contenter les goûts et l'ambition du  Frère Pascal. Là, au moins, il y a du noble : cette  page est pour lui.

  Mes respects, s'il vous plaît, au Révérend Général,  qui, lui aussi, est un peu traité à la douillette, ayant  la première place au tombeau du Vénéré Père. Je  vous prie tous de prier pour ma conversion, et d'agréer mes sentiments les plus humbles et les plus  affectueux. »

 Dans toute cette lettre, quel à-propos, quel désir du bien, quel tact parfait ! Les réflexions du défunt pouvaient-elles être plus essentiellement chrétiennes, plus véritablement religieuses, mieux faites pour la grande circonstance de la fête de Noël ? Et cette instruction, à la fois si courte et si substantielle, pouvait-elle être donnée avec plus de délicatesse ? Ce n'est pas lui, c'est le Père Champagnat qui appelle à la crèche, à la croix et à l'autel, c'est-à-dire, à l'humilité, à l'abnégation et à l'amour, ses deux Successeurs; et encore le défunt a-t-il soin de dire que la page est pour le Frère Pascal : le bon Frère Pascal qui, sans s'en douter alors, devait aller, le premier, prendre place au Ciel avec le pieux Fondateur.

 Ici, se présente un contraste, tout de circonstance je le note, en passant, pour notre commune instruction.

 En achevant de transcrire la lettre du défunt, j'en reçois une, où ne se trouve ni un signe ni une parole de piété, pas même les initiales V. J. M. J. Mais, par contre, on n'oublie pas, pour conclusion, la formule du moment : Adieu, je vous serre la main. Avec cela, cependant, je lis, à la signature, le nom d'un bon Frère Profès, sincèrement pieux, et surtout très dévoué. Trop dévoué peut-être : car, tout à l'objet de sa lettre, sérieuse et bonne d'ailleurs, il ne prend pas même le temps de réfléchir et de laisser échapper, pour l'édification de son Confrère, quelques-uns des bons sentiments qui l'animent lui-même.

 C'est, un oubli, sans doute, un simple oubli ; mais qui montre trop la différence, d'homme à homme, de tendance à tendance, de lettre à lettre. Dieu l'a permis, je l'espère, pour la circonstance, afin qu'il servit de leçon à tous : tâchons de nous en souvenir, et de donner toujours un cachet religieux à tout ce que nous faisons.

 Je viens de citer une lettre du Frère Assistant, où il met très adroitement à profit un trait saillant du Père Champagnat ; en voici une autre, où, dans un style très serré, il emploie, le plus fortement possible, la crainte et les menaces, pour arrêter un Profès qui, sans raison, s'obstinait à vouloir se retirer.

 « J'ai le regret, mon cher Frère, de vous dire que  je ne puis faire ce que vous me demandez ; parce  que je veux pouvoir paraître, les mains pures de votre sang, au jugement de Dieu, et lui dire que je  n'ai contribué en rien à votre apostasie. Pour mon  propre salut, j'ai besoin de ne pas servir à l'iniquité  des autres.

 « En agissant ainsi, j'ai sauvegardé ma conscience  mais il me reste l'accablante douleur d'être obligé  de témoigner, un jour, au jugement de Dieu, que  vous aviez vocation, et que vous l'avez perdue par  votre infidélité à la grâce. Vous avez aimé le corps  plus que l'âme, plus le temps que l'éternité. Comme  Judas et tous les autres réprouvés, vous périssez « par le découragement et le défaut de générosité.

 « Vous fuyez un petit mal, pour vous jeter dans un  qui est extrême. Je vous le prédis, sans être prophète :  Vous ne trouverez pas dans le monde ce que vous y allez chercher. La peine, l'angoisse, l'amertume, l'affliction seront votre partage et votre lot sur la terre.  Eh ! mon Dieu ! quelle sera votre éternité ! Que vous avez à craindre, si vous méditez bien cet oracle du  Fils de Dieu : Celui qui met la main à la charrue et  qui regarde derrière soi, n'est pas propre au royaume  des cieux ! »

 « Sur ce, mon cher Frère, il ne me reste qu'à prier pour vous et à craindre. Adieu. »

 Quoi de plus fort, quoi de plus énergique, quoi de plus douloureusement affectueux que tout le fond et toute la forme de cette lettre !

 Il n'était pas rare, surtout dans le Midi, où un ascendant absolu sur tous les Frères lui permettait tout son franc-parler, il n'était pas rare, dis-je, qu'en donnant les avis, même les plus sérieux, il les accompagnât, pour les faire mieux saisir, de quelques bonnes et sages plaisanteries. Je lis la suivante dans les notes d'un Frère Directeur.

 Un jour qu'il voulait recommander aux Frères de Saint-Paul, une parfaite ouverture de cœur, il s'y prit ainsi :

 « Il faut bien, mes chers Frères, que je vous confesse d'abord que j'aime beaucoup à chercher les nids… Voyez-vous, quand j'étais enfant, j'avais une passion pour les nids, dont ma bonne mère et les pauvres culottes ont souffert plus d'une fois (rire). Je n'étais pas content que je n'en susse une centaine au moins. Aussi, quand j'arrivais à la maison, la pauvre mère de se fâcher et de gronder : Ah ! le voilà encore mon dépendu (rire) avec ses habits tout déchirés (rire), etc., etc.  

« Bref, je n'ai pas à vous redire toutes ces histoires ni toutes les suites, quand besoin était (rire) ; mais ce que je dois vous faire remarquer en ce moment, c'est que l'homme fait, ordinairement, étant grand, ce qu'il faisait étant enfant. Cela m'arrive pour les nids, mon affaire est encore d'en chercher ; et je ne suis pas content que je n'aie fouillé, par ci par là, dans toute la maison, plus que cela, un peu dans toutes les consciences, pour voir si je n'y trouverai pas quelques nids cachés.

  Puis, sachez-le bien, même aujourd'hui, même pour ces nids de nouvelle espèce, je retrouve mon  adresse d'autrefois. Rarement je me trompe : en  examinant ce que j'ai été, en réfléchissant à ce que  j'ai vu, en vous voyant, en vous entendant, en rapprochant tout ce que je sais, je finis bientôt par vous  connaître mieux que vous ne vous connaissez vous­-mêmes. Quand j'étais Visiteur, j'allais, je venais, je  furetais si bien, qu'au bout de cinq minutes, je connaissais tous les nids de la Maison.

 « Allons, allons, mes Petits Frères, et mes Grands Frères aussi, pas de nids cachés, pas de nids de serpents surtout. Levez, levez la pierre, et faisons fuir les  bêtes qui piquent et qui tuent. Elles fuient toutes  à la lumière d'une bonne et humble ouverture de cœur. J'aime les Petits Frères, je vous aime tous et  beaucoup ; je ne veux pas vous laisser mordre : donc  entendez-le bien, pas de serpents, pas de serpents  cachés. »

 Et ainsi, avec un entrain admirable, par quelques bonnes plaisanteries où perçaient tout son zèle et tout son cœur, il s'emparait de ses Frères, il les pénétrait de ses pensées, il en avait tous les secrets, et il les sauvait, malgré tous les efforts réunis de la chair, du monde et du démon. Oh ! que de bien il a fait de cette manière !

 Quel bien feront, à leur tour, nos bons Frères du Midi, s'ils peuvent refaire, avec leur physionomie propre, quelques-unes de ces bonnes instructions; les refaire au moins en partie ! C'est à eux qu'incombe cette pieuse tâche : car eux seuls ont eu le Frère Assistant dans toute sa force. Plus tard, le zèle était le même, mais la santé faisait défaut. Pendant les Retraites, surtout, les conférences générales lui étaient impossibles.

 Donc, M. T. C. F., lettres, conférences, avis publics, avis particuliers, bonnes pensées, bonnes maximes, bons mots, tout ce que vous aurez du cher Frère Assistant, notez-le, notez-le avec soin, lors même qu'il vous semblerait minime. Un jour, on en tirera bon parti, pour le bien de tous.

 Encore quelques-unes des premières notes qui m'ont été remises :

 « Ah ! çà, mon petit Frère, jusqu'ici je ne vous ai  nourri qu'avec du lait ; je n'ai fait que ce que font  les nourrices à l'égard de leurs nourrissons. Comme  elles, c'est à peine si, de temps à autre, j'y ai ajouté de la mie de pain bien mâchée ; mais, à partir d'aujourd'hui, je vous en préviens, je vous sèvre ; je ne vous donnerai plus pour nourriture que celle qu'on donne aux jeunes gens de vingt ans (le Frère y arrivait), dont on veut faire des soldats propres à résister à toutes les fatigues et à faire bonne contenance devant l'ennemi. Si donc vous la trouvez quelquefois un peu amère, ne vous en fâchez pas, ce sera dans  votre intérêt. »

 C'est par ces franches et énergiques allusions qu'il préparait ce Frère à un changement de poste, à une classe plus difficile et à d'autres sacrifices qu'il lui ménageait.

 « Savez-vous pourquoi, disait-il dans une conférence de Retraite, quand je vous écris, je commence toujours par vous représenter vos bonnes qualités, et que je ne viens à vos défauts qu'en seconde ligne?  C'est parce que vous avez assez de diables pour vous  décourager et vous abattre. Ma mission à moi est de relever, de relever toujours. Au démon d'écraser, de  décourager : je ne le ferai jamais. »

 Excellente réflexion : je l'inscris, avec d'autant plus de plaisir, que la première instruction écrite que j'ai eue du Frère Jean-Baptiste, était sur la tentation de découragement. Elle me frappa tellement que je ne l'ai jamais oubliée depuis; en maintes traverses et difficultés, elle m'a bien servi, et pour moi-même et pour les autres.

 Remarquez, dans la lettre qui suit, comme il rappelle heureusement quelques passages de l'Evangile, à un Frère Directeur trop impatient de faire changer son second.

 « Voyons, mon cher Frère Directeur, avez-vous repris et pardonné ce Frère septante fois sept fois, selon  le précepte de l'Evangile ? Avez-vous beaucoup prié  pour lui ? Avez-vous pris patience et supporté assez  longtemps ce que vous n'avez pu corriger en lui ? Vous savez que le bon jardinier prit soin de cultiver  et d'arroser son arbre pendant trois ans, et qu'il lui  fut dit de faire de même pendant encore une année…  Ne craignez-vous pas, en vous débarrassant de ce  Frère, d'aller trop vite, de manquer de charité, de  laisser quelque chose à dire et à faire de ce que Dieu  vous demandait, pour le former et donner un Instituteur Religieux de plus à la jeunesse?

  Puis, autre chose, ne craignez-vous pas de perdre  le ciseau avec lequel le bon Dieu vous travaille et  vous polit ? Qui exercera votre vertu quand vous  n'aurez plus ce Frère ? Figurez-vous que le bon Dieu lui laisse ses défauts à cause de vous et pour votre  bien.

  Si vous êtes intelligent, vous méditerez cela, vous  prierez, vous patienterez encore quelques mois ; puis  le jugement de Dieu se fera, et sur vous et sur ce  Frère, et j'ai tout lieu de croire que ce jugement sera  miséricordieux. Pour moi, je vais prier ardemment, pour qu'il en soit ainsi, par le tendre intérêt que je  vous porte. »

 Voilà comment, dans toutes ses lettres et dans tout ce qui nous reste de ce bon Frère, on retrouve et on sent toujours la foi, la raison, la solide vertu.

    Voilà comment il a su se servir, pour Dieu et pour les âmes, de ses dons naturels, de toutes ses qualités d'esprit et de cœur. Le monde les eût appelées brillantes; mais, employées pour le monde et selon le monde qu'en resterait-il aujourd'hui ? Hélas !  ce qui en reste pour tant d'autres, aussi bien partagés que lui : rien, absolument rien.

 En lui, au contraire, tous les dons et tous les travaux survivent, grandissent par la mort, ne commencent même qu'à cette heure à jeter leur éclat : d'où vient cela ? Ah ! c'est uniquement parce qu'il les a tournés au bien, parce qu'ils n'ont reposé que sur le solide : la solide raison d'abord, le solide esprit chrétien ensuite, et enfin, et toujours, le solide esprit religieux.

 Grande leçon pour vous tous, jeunes Frères, pour vous surtout que Dieu a favorisés de quelques talents : de ne vous attacher, dans l'édifice de votre vocation et de votre persévérance, qu'au solide, au sérieux, c'est-à-dire, au triple et constant accord de la foi, de la raison et de la piété, accord admirable, qui a été si parfait dans notre cher défunt. 

V. Mot très caractéristique sur le Frère Jean-Baptiste. Vraie humilité.

Sa mission spéciale – La Vie commune.

 .Pendant que j'étais à Rome, en 1863, l'état maladif du Frère Assistant s'aggrava assez pour l'obliger à garder le lit, près d'un mois, et à recevoir les soins du médecin de la maison : double circonstance qui inquiéta peut-être plus les Frères, que la maladie elle-même, tant on savait le malade ennemi, non des médecins, mais du lit et des remèdes.

 Donc, le docteur Bonnefoy, excellent chrétien, praticien habile et observateur judicieux, le voyait tous les jours ; et, chaque fois, il était plus frappé de l'énergie de son caractère, de la justesse et de la fermeté de ses appréciations, de son inébranlable constance en tout. Ce fut au point que le bon docteur finit par lui dire, un jour, avec cette énergie d'expression qui lui était propre à lui-même : « Frère Jean-Baptiste, je mourrai  avant vous, vu mon âge, cela doit être ; mais, s'il en  est autrement, et que je sois chargé de votre épitaphe,  je ne serai pas embarrassé pour la faire. » – « Quoi donc ! » dit le Frère Assistant, excité par cette réflexion singulière. – « D'abord, répond le docteur, j'aurai la  phrase obligée : Ici repose, etc. ; plus bas : Un moule  brisé, et au-dessous: On n'en fait plus comme celui-là ! »

 Je ne sais ni quel geste ni quelle réponse provoqua cette saillie si flatteuse et si peu attendue; mais Frère Jean-Baptiste était homme à n'en prendre aucune vanité. Son esprit sérieux et solide, aidé par la foi et par la grâce, l'avait élevé à ce degré de vraie humilité qui fait qu'en reconnaissant les dons de Dieu, on sait l'en remercier avec amour, lui en laisser toute la gloire, et ne garder pour soi que le sentiment de la responsabilité. Si le Frère Assistant était sensible aux témoignages d'estime et d'affection, ce n'était pas pour lui-même, c'était pour le bien qu'il en espérait.

 A la dernière Retraite, au sortir d'une longue et chaude conférence, le trouvant en réunion avec les autres Assistants et les Visiteurs, je lui dis encore tout ému : « Ah ! çà, Frère Assistant, votre humilité s'en  arrangera comme elle pourra ; mais je viens de porter aux nues votre Bon Supérieur, et il m'a été facile ;  je n'avais qu'à redire les éloges et l'admiration du Père Prédicateur, l'excellent Père Reculon. »  Là-dessus, mon Révérend, répondit-il, soyez tout à fait à votre aise ; et, pour ce qui me concerne, n'ayez  nulle inquiétude, je vous en dispense ; je sais parfaitement à quoi m'en tenir : car, je sais ce qui est de Dieu dans nos livres et ce qui est de moi. » Belle réponse, qui prouve bien que le bon Frère a travaillé, devant Dieu et en Dieu, tous les ouvrages qu'il nous laisse.

 Quelques jours plus tôt, une réponse semblable avait été faite au bon curé de Marcigny, qui plaidait, auprès de lui, pour quelques modifications à faire dans la spécialité de son école.

 « Comment, Frère Jean-Baptiste, lui disait le bon  Curé, vous me refuseriez, à moi qui ai passé cette  nuit à vous lire, ne pouvant me lasser d'admirer vos  magnifiques Méditations sur la Passion ! Je vous vénère comme un saint et un savant, et il faudrait nous séparer brouillés ! » — « Brouillés, Monsieur le Curé,  oh ! non; je vous ferai hommage de mon livre, et  nous resterons bons amis, même en discutant notre  affaire pour le mieux de tous.» Avec cela, un gracieux sourire, mais de concession point : la louange n'avait pas prise sur lui. Il était de ces âmes d'élite que Dieu, dit le prophète, chérit comme sa bouche, parce qu'elles savent séparer ce qui est précieux d'avec ce qui est vil, c'est-à-dire, prendre pour elles ce qui leur appartient, le néant et le péché ; et rendre à Dieu ce qui n'est qu'à lui, l'honneur et la gloire. (Jér. XV, 19).

 Première réflexion que m'a suggéré le mot du docteur. La seconde, qui y répond mieux encore, c'est qu'en effet Frère Jean-Baptiste a eu une mission toute spéciale dans l'Institut, celle de le constituer et de le compléter ; et qu'il a reçu, pour la remplir, des qualités et des dispositions tout exceptionnelles: une sûreté et une étendue de mémoire prodigieuses; une activité et une pénétration d'esprit extraordinaires; une application et un talent uniques, pour recueillir, avec nos traditions primitives, les instructions, les écrits et jusqu'aux moindres paroles du Fondateur ; et, de plus, un caractère et un état de santé qui l'ont comme forcé à prendre un genre et une façon d'agir, indispensables à son travail, mais qui ne peuvent appartenir qu'a lui.

 Non, non, à nul autre il ne sera donné, ni même permis, de faire un travail si démesuré, de suivre un régime si sévère, de vivre dans un isolement si complet ; parce, qu'à nul autre il ne sera donné, ni possible de pénétrer comme il pouvait le faire, dans la pensée intime et première du Père Champagnat; de remonter, avec la même connaissance des personnes et des choses, à l'origine de l'Institut ; d'en rechercher, avec la même sûreté, et d'en déterminer, avec la même autorité, l'esprit, le but, les règles, de concert avec le Régime et le Chapitre Général.

 Voilà des faits certains, évidents, et qui doivent exciter toute notre reconnaissance et toute notre confiance : notre reconnaissance envers Dieu, pour cette action si visible de sa Providence sur l'Institut ; notre confiance en nos Règles, méthodes et direction, par la certitude où nous sommes d'être toujours, en les suivant, dans l'esprit de notre Fondateur et de ses premiers disciples.

 Cependant, M. T. C. F., voyez ce que l'esprit sérieux et profondément religieux du Frère Assistant m'oblige à ajouter ici, à l'avantage de la vie commune, et pour la plus grande édification de tous. C'est que, ni l'évidence de sa mission providentielle, ni l'héroïsme de si longs et si rudes travaux, unis à de si longues et si continuelles souffrances, ni tout l'ensemble et toute la nécessité des ouvrages qui en ont été le fruit, n'ont pu le consoler de ne pas vivre de la vie commune, n'ont pu même le tranquilliser sur la nécessité, toujours écrasante poux lui, de se trouver comme en dehors de la communauté, surtout pour les repas.

 Voici ce qu'il m'en a écrit, de l'Hermitage, le 2 janvier 1871. Répondant à une réflexion que je lui avais faite sur les tendances de quelques-unes de nos Maisons à la vie bourgeoise : « Il est très vrai, dit-il, que  la plaie de la vie bourgeoise nous envahit, et que quelques-uns de nos Frères s'y jettent à corps perdu.  C'est là un grand mal qui menace de compromettre tout l'avenir de la Congrégation.

  Je ne vous cacherai pas que je me suis fait fréquemment, et je puis dire journellement, de grands  reproches sur ce point capital. Mes infirmités m'ont forcé à prendre un régime qui, tout triste et tout dur qu'il est pour moi, n'est pas de bonne édification pour  les autres.»

 J'interromps ici sa lettre, pour vous dire un peu plus au long et ses inquiétudes et son régime : car, souvent, très souvent, nous avons dû, Frère François et moi, combattre cette même pensée, qu'il nous exprimait de vive voix, et lui répéter qu'il y avait obligation pour lui de s'astreindre, et pour nous de l'obliger, au seul régime qui lui permît de vivre et de faire un travail indispensable à l'Institut: travail que lui seul, lui seul pouvait faire.

 Puis, quel régime, en vérité le matin, un peu de chocolat sans pain, et rien autre pendant le jour, quelques bouillons d'herbes, encore sans pain ; et, le soir à quatre heures et demie, un semblant de dîner, où quoi que ce soit qu'on lui servît, il prenait à peine la moitié, et, les dernières années, le quart du repas ordinaire d'un Frère quelconque. Voilà le genre de vie qui lui pesait sur la conscience, dont il ne pouvait se consoler, sur lequel il n'a jamais pu se tranquilliser. Et moi je dis : Voilà le cachet de la VOCATION FERVENTE, qui ne passe rien, qui va jusqu'à l'impossible pour remplir les devoirs communs; et qui, ne le pouvant, à défaut de forces et de temps, rachète son impuissance par un surcroît de travail, ajouté à un surcroît de souffrances physiques et morales.

 Au surplus, Frère Jean-Baptiste convenait de nos réponses; il ne savait qu'y opposer ; mais ses inquiétudes n'en continuaient pas moins. « Vous voyez mon  état, vous autres, disait-il, vous le comprenez ; mais les Frères le voient-ils ? le comprennent-ils ? Ne l'invoqueront-ils pas, ne l'invoquent-ils pas déjà, pour  s'autoriser à sortir de la Règle, au moindre prétexte ?  – Non, non, répondions-nous, personne n'a une telle pensée ; tous, au contraire, comprennent si bien votre état, que beaucoup nous font un crime de ne pas mieux vous soigner, ne sachant pas que seul vous connaissez ce qu'il vous faut, et qu'on perd son temps  à vouloir y changer ou y ajouter. D'ailleurs, mon cher Frère, vous avez, dans vos traits amaigris et  dans tout votre corps desséché, un brevet de malade  et de maladie que personne ne met en doute. Faites donc pour vous-même ce que vous feriez pour les autres, et tenez-vous tranquille. »

 N'importe, les tortures morales du Frère Assistant n'en étaient nullement diminuées : car Dieu qui sait travailler merveilleusement ses saints et les tenir sur la croix avec Jésus, Dieu qui lui donnait tant de lumières pour les autres, le laissait lui-même dans cette accablante obscurité. Sa raison et sa conscience lui disaient au fond, qu'il ne pouvait ni ne devait faire autrement ; et il n'en prenait pas moins comme à sa charge la suite de sa lettre vous le dit, tous les écarts de la vie commune, qu'il voyait, qu'il apprenait, ou qu'il appréhendait.

 « Selon le bon désir que j'en ai ou souvent, j'aurais  dû donner ma démission, et me condamner à l'infirmerie, il y a vingt-cinq ans. Je porterai jusqu'à la  mort le regret de ne l'avoir pas fait. Cela était plus  à propos et eût mieux valu que le prétendu bien que  je puis avoir fait en faisant autrement. Mon exemple  peut avoir grandement contribué à l'envahissement  de cet esprit bourgeois qu'il faut arrêter et ruiner à  tout prix, si nous ne voulons pas qu'il nous tue. Certains Frères, je le répète, donnent là à plein collier, et sans se douter, peut-être, des suites que cet abus  ne peut manquer d'amener. Vous avez à les régler  sur ce point, et je vous prie d'y mettre une main solide ; soyez sobre, très sobre de dispenses ».

 « La vie commune, voilà ce qu'il faut à tout le monde,  à ceux surtout qui conduisent les autres, parce qu'ils  doivent le bon exemple; et que SANS CET EXEMPLE RIEN NE TIENT. La fréquentation de la salle à manger  là où il y a des aumôniers nourris par la communauté,  noviciats ou pensionnats, est un véritable abus; il faut que chacun reste chez soi. »

  Pour ce qui me concerne, je suis résolu de faire  toute espèce de sacrifices, pour réparer le mauvais  exemple que j'ai donné. Cela est d'autant plus nécessaire que je suis à bout, et que l'asthme qui m'a  tant fait souffrir, est complètement maître de sa victime, et me jettera très prochainement dans l'éternité. Déjà, il a épuisé toutes mes forces. Hélas que  ne m'a-t-il ouvert le Ciel, il y a vingt-cinq ans J'ai horriblement souffert, j'ai passé une triste vie, je  me suis cru autorisé à faire comme j'ai fait, vu le peu d'hommes que nous avions pour conduire les  affaires, et j'ai le regret de voir que je me suis trompé.  C'est pourquoi je tiens bien à ce que vous le sachiez et tous les autres, si vous le jugez utile. »

 Oui, M. T. C. F., j'ai jugé bon de vous révéler ces mystérieuses souffrances du Frère Assistant, sans cela il ne serait pas connu ; c'est ici, on peut le dire, le côté le plus beau et le plus méritoire de sa vie ; c'est celui qui doit le plus nous toucher et nous édifier :

 Nous toucher, parce que nous voyons dans quelles angoisses et au milieu de quelles épreuves est née et s'est développée notre Œuvre ;

 Nous édifier, parce que c'est certainement la plus forte recommandation de la vie commune qu'il me soit possible de vous donner.

 Certes ! on ne dira pas que le Frère Jean-Baptiste était un scrupuleux : jamais conscience fut-elle plus éclairée, plus droite, plus éloignée de toute rigidité ?

 On ne dira pas non plus que c'était un esprit étroit, une tête faible, un homme sans caractère, s'effrayant de tout : aura-t-on jamais une raison plus haute, un esprit plus, solide, un caractère plus énergique ?

 Qu'ils apprennent donc à craindre, à craindre à temps et à craindre sérieusement,tous ceux qui donnent naissance aux abus ou les propagent. La triste nécessité que subissait le Frère Assistant, il l'a compensée par d'immenses travaux et par d'incroyables souffrances et encore, à la fin, voyez ses regrets, voyez ses inquiétudes, entendez ce souhait déchirant : Que la mort ne m'a-t-elle enlevé, il y a vingt-cinq ans !…

 S'il en est ainsi, que dire, je le répète, de ceux qui, sans raison, sans permission, par caprices, par fantaisies, par pure tiédeur et négligence, se donnent tant de libertés, tant de licences, du côté de l'obéissance, de la pauvreté, de la belle vertu peut-être? qui font si facilement des achats, des voyages irréguliers, des extra[1]dans les réunions? qui ne veulent se gêner sur rien? qui pour le moindre prétexte, manquent au lever, retardent ou abrègent les exercices, mettent de côté le silence, l'étude, la clôture, toute ponctualité?

 Quelle différence, grand Dieu ! avec notre cher défunt, lui si constamment, si héroïquement dévoué, et cependant, toujours peiné, toujours tourmenté de ne pouvoir faire comme la communauté !

 Je le sens, M. T. C. F., toutes ces réflexions sont très graves, très sérieuses; mais aussi, n'est-il pas très nécessaire de prendre au sérieux la grande affaire de notre éternité? Si le juste même, si le fervent, se sauve à peine, au témoignage du Prince des Apôtres, que ne doivent pas craindre le pécheur et le relâché ? Puis finalement, que craindrons-nous, si nous ne craignons pas de nous damner ?

 

VI. Confiance du Frère Assistant. Son Testament spirituel. Assurance de son salut.

Mon entretiens sur l'Esprit sérieux et ses principaux motifs.

 Les peines morales dont nous venons de parler, n'ôtaient rien au Frère Assistant de sa pleine et parfaite confiance en Dieu. Elles tenaient uniquement à son ardent amour pour l'Institut et à la crainte extrême qu'il avait d'y voir entrer le relâchement car, même pour lui, la prétendue erreur qui les excitait, était purement matérielle. Sa conscience lui disait, avec une parfaite assurance, qu'en agissant comme il avait fait, il n'avait cherché que le plus grand bien ; comme l'évidence nous dit, à tous, que l'erreur eût été de faire autrement ; que, dans ce régime et les travaux qu'il permettait, et là uniquement, se trouvaient et le plus grand bien de l'Institut, en général, et le plus grand profit spirituel de ses membres.

 Depuis longtemps, le Frère Assistant sentait ses forces s'affaiblir de jour en jour, et il ne se faisait aucune illusion sur sa fin prochaine ; mais il l'envisageait avec toute la tranquillité et toutes les espérances que donnent toujours la confiance en Dieu et la sainte vie.

 En novembre 1871, répondant à un Frère du Midi qui demandait à lui faire une visite, il lui disait : « Si  vous tenez à me voir, vous n'avez pas de temps à  perdre ; je sens que la mort est proche la terre et  les hommes ne peuvent plus me suffire il me faut  Dieu. Venez le plus tôt que vous pourrez ; je vous  entretiendrai encore une fois de vos intérêts spirituels ; puis, j'irai là-haut prendre ma place à côté du Père Champagnat et préparer la vôtre. »

  En attendant, ajoutait-il, comme c'est probablement la dernière fois que je vous écris, je tiens à  vous laisser un dernier mot que je vous engage à  méditer :

  « L'HOMME N'A QU'UNE SEULE CHOSE A FAIRE SUR LA TERRE, C'EST SON SALUT; TOUT LE RESTE N'EST QU'ILLUSION ET  FOLIE, NE L'OUBLIEZ JAMAIS. »

 Ce mot salutaire, M. T. C. F., je le fais imprimer en gros caractères, comme le TESTAMENT SPIRITUEL du Frère Assistant, comme le résumé énergique et succinct de toutes les saintes et solides pensées qui ont occupé son esprit sérieux; et je dis, comme lui, pour vous et pour moi, pour tous : NE L'OUBLIONS JAMAIS.

 En aucun temps, Frère Jean-Baptiste ne l'a oublié pour lui-même. Ce qu'il a tant recommandé aux autres, la bonne conscience, la chasse à tous les points noirs, il l'a pratiqué tout le premier, avec une continuelle et très grande attention. Malgré son extrême réserve à parler de lui-même, je l'ai entendu, dans l'intimité, se louer beaucoup d'une confession générale, qui l'avait laissé dans une paix parfaite ; paix si grande qu'il ne pouvait s'empêcher de m'en entretenir et d'en exprimer tout son contentement.

 Il a fort peu parlé les derniers mois de sa vie ; il semblait qu'il évitât toute parole et tout entretien qui auraient pu faire sensation; mais l'espérance, ou plutôt l'assurance de son salut éternel, il l'a exprimée souvent.

 Si l'on causait quelquefois des appréhensions de l'avenir, des bouleversements qui pouvaient survenir encore : « Vous autres, disait-il, vous vous en défendrez comme vous pourrez; mais, pour moi, je ne  les verrai pas; je serai en paix là-haut auprès de la bonne Mère. On quitte la vie sans peine, quand on  voit sur la terre tant de choses lamentables.

 Un jour qu'il s'entretenait avec un Frère Assistant, sur le ton d'un simple et familier abandon, il traduisait ainsi ces mêmes espérances : « Oui, Mon cher Frère,  j'irai en Paradis. Croyez bien que j'irai en Paradis  et bientôt. » Puis, sans attendre de réponse, et comme s'il eût voulu prévenir quelque objection : « Moi, je vous dis que j'irai en Paradis ! Comment ! je n'irais  pas en Paradis après tant de bons avis que j'ai donnés aux Frères ! tant de lettres pour les encourager !  tant d'Instructions! tant de catéchismes !… Et tous  mes livres, pensez-vous que le bon Dieu ne m'en tiendra pas compte ? Lui seul sait tout ce qu'ils m'ont  coûté. » Et il parla ainsi, pendant près d'un quart d'heure, son confrère ne pouvant placer que quelques mots, par intervalles, et lui-même paraissant tout enflammé d'amour, plein d'espérance et tout heureux de son immense travail.

 Oui, la confiance était la disposition habituelle du défunt ; il l'avait sans mesure : ayons-la de même. Quoique, dans ses Méditations, il ait traité les grandes vérités d'une manière très forte, on sont que, toujours c'est la confiance et l'amour qui dominent : « Est-ce qu'un père , ajoutait-il au même Frère Assistant dans l'entretien que nous venons de rappeler, maltraite ses enfants, quand ils ont fait leur possible  pour le bien servir ? Allez, allez, c'est à la mort qu'ils  verront surtout la vérité du mot de saint Augustin : "Personne n'est aussi père que Dieu.» Il est vrai qu'on  l'offense quelquefois; mais, on répare cela par une  bonne confession, et puis c'est fait. »

 Donc, la confiance en Dieu a été une de ses principales vertus et le grand objet de ses recommandations. Il y portait constamment tous ceux qu'il avait à diriger quelles que fussent leurs misères et leurs difficultés. Cette disposition tenait en lui à une foi très grande, à la bonté de Dieu et à l'infinie surabondance des mérites de Jésus-Christ.

 Mais, là encore, le sérieux, le solide arrivait toujours. Pourquoi sa foi et sa confiance étaient-elles si fortes, si fermes, si vives ? Parce que, toujours, il traitait sérieusement avec Dieu, sérieusement avec son salut, sérieusement avec les obstacles, les moyens et toutes les conséquences du salut, pour le présent et pour l'avenir.

 Je puis le dire, l'esprit sérieux a été la matière ordinaire de nos entretiens les plus intimes.

 Et la raison, c'est que nos conversations particulières n'ont jamais roulé que sur ce qui intéressait ou l'Institut, en général, ou certains sujets, ou certaines Maisons ; ou encore, le bien de l'Eglise, le bien de la religion, le bien et les besoins de la Société ; en résumé, le principe, les progrès, la fin et les suites de chaque chose en bien ou en mal, au point de vue de la persévérance et du salut.

 Or, comme explication, comme conclusion, comme raison finale de tout, nous aboutissions toujours à l'esprit sérieux, ou en possession ou en défaut.

 Oh ! que de fois, entre nous, ont été dits et redits notre besoin et notre désir d'hommes sérieux, d'hommes solides et réfléchis ! puis, hélas ! le malheur et le regret d'en manquer trop souvent ! …

 Aussi ne vous lassez pas, je vous prie ; prenez votre temps pour lire ces choses, les lire avec attention, de manière à vous en pénétrer, à en avoir toute la suite car, malgré la longueur de cette Circulaire, je ne veux pas la terminer sans. vous résumer encore nos communes pensées sur le point capital de l'esprit sérieux. Je veux vous en énumérer les vingt principaux motifs comme le défunt vous en a donné lui-même les douze principaux caractères. Je n'insisterai cependant que sur les trois premiers : DIEU, JÉSUS-CHRIST SON FILS, et le SALUT; les autres, je les énoncerai seulement.

 Premier motif de l'Esprit sérieux : DIEU LUI-MÊME.

 Dieu, l'Etre infini, le Roi immortel de tous les siècles, le Maître absolu des Anges et des hommes : peut-il y avoir rien de plus grand, rien de plus noble, rien qui demande plus de soins, plus d'esprit sérieux que le service de cette Majesté suprême?

 Si, craindre Dieu, au témoignage de Salomon, est la plénitude de la Sagesse (Prov., 11, 20), l'offenser ne peut être, évidemment, que la plénitude de la folie… et pire encore : car, sciemment et volontairement, se donner pour adversaire le Dieu vivant et éternel ; compter pour rien le Ciel, pour rien l'Enfer : perdre l'un et braver l'autre, à la seule fin de se procurer quelque courte et honteuse satisfaction, ce n'est pas seulement de la folie, de la démence, c'est de la fureur ; c'est une haine infernale et comme infinie.

 Telle fut la haine, si jamais elle a existé, de ce Juif qui, voulant se venger d'un chrétien, le tint, avec une foi et une rage de démon, sous la pointe de son poignard, jusqu'à ce qu'il eût renoncé à Jésus-Christ; puis, l'apostasie consommée, le perça à l'instant même afin de le précipiter, du même coup, dans deux morts à la fois, celle du temps et celle de l'éternité !… Quelle haine ! grand Dieu ! quelle horrible vengeance !

 Pécheurs malheureux, notre malice n'est pas aussi réfléchie, aussi diaboliquement calculée ; mais, au résultat, n'est-elle pas la même ? N'est-ce pas une haine égale que nous nous vouons à nous-mêmes, toutes les fois que nous consentons au péché mortel ?…

 A quoi tient-il que, le péché consommé, nous ne tombions à l'instant même dans le feu de l'enfer ? – A nous ? – Non, non, infiniment non – car, par le péché, nous faisons infiniment de quoi mériter l'enfer. – A quoi donc ? – A un souffle de vie, et ce souffle de vie nous le savons, c'est de foi, est au pouvoir du Dieu tout puissant, outragé par nos crimes.

 Oui, en péchant, je veux et j'accepte l'enfer ; et autant de secondes je passe dans mon péché, autant de fois, et bien davantage, je le veux et je l'accepte encore… La foi, la raison, et l'expérience me le disent je puis mourir un million de fois en un jour; et, le calcul me le dit aussi, en un jour il n'y a pas cent mille secondes !

 Ainsi donc, pécheurs sensuels, ou pécheurs orgueilleux, souvent les deux, voilà que, pour contenter un abominable corps, ou satisfaire un misérable amour propre, nous nous haïssons, en réalité, corps et âme jusqu'au point de consentir à être à jamais dans les tortures, sous les pieds de Satan; à jamais dans ce bagne universel et éternel où Dieu doit rassembler les démons et tous les réprouvés… Quelle horreur ! quelle frénésie !

 Je le sais, je le crois : le feu de l'enfer ne consumera autre chose que mes péchés; et, ces péchés, je les multiplie, j'en pénètre ma chair, j'en pénètre mes os ; j'ose me pénétrer tout entier, corps et âme, de ce pétrole infernal !,.. O Dieu !… Et si la mort me saisit, si l'éternité s'ouvre devant moi… à l'instant même, voilà l'incendie qui s'allume et qui m'enveloppe d'un océan de feu dont je ne sortirai jamais, jamais… « Le ver qui ronge ceux qui y sont ne meurt point, le feu qui les dévore ne s'éteint point »  (Marc, IX, 42 à 48).

 Non, non, point de haine qui approche de cette haine : pointde vengeance qui approche de cette vengeance ! Impossible de trouver rien de plus humiliant, rien de plus effrayant que cet horrible abus de notre libre arbitre : abus hélas toujours possible à notre faiblesse et à notre malice abus affreux, contre lequel nous n'avons d'assurance que dans une très profonde humilité, par la vigilance et la prière, par la réflexion et l'oraison, par un esprit très sérieux et très religieux.

 Voyez avec quelle insistance, avec quel amour tendre et inquiet, Notre-Seigneur prémunit les siens, nous prémunit tous contre cette monstruosité : Je vous le dis à vous qui êtes mes amis, ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus mais je vais vous apprendre qui vous devez craindre Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter eu enfer : OUI, JE VOUS LE DIS; CRAIGNEZ CELUI-LA (Luc, XII, 5, 6).

 Remarquez : quatre fois, dans cette courte phrase le verbe craindre : deux fois l'affirmation je vous le dis; et la seconde fois, avec la sur-affirmation : Oui, je vous le dis…

 Je vous le dis, moi, la Vérité même, moi votre Sauveur, je vous le dis, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas… comptez pour rien… tous les maux, toutes les souffrances de ce monde, même la mort, même la mort la plus violente : ceux qui tuent le corps ; mais apprenez à craindre, craignez celui qui a le pouvoir de jeter en enfer ; craignez-le uniquement,ne craignez que celui-là.

 Oh! M. T. C. F., après ces divines et pressantes recommandations, pourrions-nous ne pas traiter sérieusement avec Dieu ? pourrions-nous encore agir à la légère avec lui ? nous exposer à l'avoir pour partie adverse? « nous qui tremblons quelquefois devant le visage d'un homme en colère? »

 Ah ! ce n'est possible ni à la foi ni à la raison. Redisons ici, c'est le cas, le mot d'un trop fameux Romain, Sylla : Jamais homme ne fit autant de bien à ses amis, et autant de mal à ses ennemis.

 Cette parole, reprend Saint-Jure, ne convient bien qu'à Dieu : car, pas d'ami plus tendre ni de protecteur plus assuré que Dieu, pour les humbles qui le craignent et pas d'ennemi plus redoutable et plus dangereux pour les orgueilleux qui l'offensent. C'est une chose effroyable que de tomber entre les mains du Dieu vivant (Héb., x, 31).

 Deuxième motif de l'Esprit sérieux : JESUS-CHRIST.

 Ce second motif est d'une puissance infinie comme le premier, puisqu'il est tiré de la personne adorable de Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Dieu comme le Père et le Saint-Esprit. Tâchons de bien le comprendre, nous souvenant de cette parole de Notre-Seigneur lui-même à son Père : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (J., XVII, 2).

 1. Besoin que nous avons de Jésus-Christ, besoin absolu, immense, universel.

 Point de salut par aucun autre, dit saint Pierre : car nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes par lequel nous devons être sauvés (Act., IV, 12); point d'autre Médiateur que Jésus-Christ, dit saint Paul (Héb. XII, 24); point d'autre Avocat auprès du Père, dit saint Jean (I. J., 11, 1). En Jésus-Christ seul est notre Sagesse, notre Justice, notre Sanctification, notre Rédemption (I Cor., 1, 30) ; en Jésus-Christ seul se trouve l'Armure de Dieu notre armure, contre le démon (Eph., VI, 10).

 Jésus-Christ est la VOIE, la VÉRITÉ et la VIE  (J., XIV, 6) : sans lui, qu'avons-nous? Rien, absolument rien, sinon la mort. Sans lui, que pouvons-nous? Rien encore, absolument rien.

 Sans moi, dit-il lui-même, vous ne pouvez rien faire (J., XV, 5). Ici, qui dit rien, comprend tout, tout absolument, excepté : nous égarer, nous tromper, pécher et nous damner. Voilà les quatre savoirs et les quatre pouvoirs qui nous restent en dehors de Jésus-Christ. Oh ! quel immense besoin nous avons donc de lui !… quel intérêt suprême nous oblige de lui être constamment unis !.. Mais continuons,

 Jésus-Christ est le cep de la vigne et nous en sommes les branches (J., XV, 5). Or, de même que la branche de la vigne, séparée du cep, est tout ce qu'il y a au monde de plus stérile, de plus inutile: on ne peut, dit Ezéchiel, ni la mettre en œuvre, ni même s'en servir pour pendre un vase à la muraille (Ezéch., XV); de même, l'homme, le chrétien, le religieux surtout, séparé de Jésus-Christ, n'est plus qu'un sarment inutile ; il n'est bon qu'à être jeté dehors, à sécher ; et, dit Jésus-Christ, on le ramassera pour le jeter au leu, et il brûlera (J., XV. 6).

 O Jésus ! vous m'êtes donc absolument nécessaire: plus nécessaire que l'air que je respire, que la terre qui me porte, que les vêtements qui me couvrent, que les aliments qui me soutiennent, nécessaire en tout, nécessaire toujours. Ah! ne permettez pas que je me sépare jamais de vous, jamais de votre sainte et divine amitié.

 Il. Titres qu'a Jésus-Christ à notre confiance et à notre amour.

 A Jésus-Christ seul appartiennent tous les noms et tous les titres les plus propres à inspirer la confiance et l'amour : les titres et les noms, infiniment mérités de Père, de Roi, de Pasteur, de Prêtre, de Frère, d'Ami, de Médecin, de Paix, de Lumière, de Joie, de Sauveur, et une foule d'autres. Voilà, dit l'Ange aux pasteurs, que je vous annonce une grande joie, qui sera pour tout le peuple, c'est qu'aujourd'hui il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur (Luc, II, 10, 11).

 En Jésus-Christ sont toutes les miséricordes, il est lui-même la grande miséricorde de Dieu. C'est, dit saint Bernard, le nom propre que lui donne le grand Apôtre, dans sa seconde Epître aux Corinthiens : Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (l I Cor., 1, 3). L'Apôtre affirme que Jésus-Christ renferme toutes les miséricordes, qu'il est toutes les consolations.

 C'est dans le même sens que saint Ambroise entend ces prières du Roi-Prophète: Seigneur, montrez-nous votre miséricorde, et donnez-nous votre salut, c'est-à-dire, Jésus-Christ (Ps. LXXXIV, 7); et ailleurs: Ayez pitié de nous selon votre grande miséricorde, qui est Jésus-Christ ; selon la multitude de vos miséricordes (Ps. L, 1, 2), qui sont Jésus-Christ ; Jésus-Christ tout entier, avec la multitude de ses satisfactions et de ses mérites.

 Ajoutons que Jésus-Christ seul est encore notre modèle par ses exemples, notre maître par sa doctrine, notre victime à l'autel, notre nourriture dans l’Eucharistie, notre compagnon au saint Tabernacle, notre soutien pendant la vie, notre espérance à la mort, la souveraine béatitude de nos âmes et de nos corps ; en un mot, notre tout en toutes choses, dans le temps et dans l'éternité.

 Dès lors, comment ne pas nous attacher irrévocablement à Jésus-Christ? Comment chercher à plaire à d'autres qu'à Jésus-Christ ? Peut-on sérieusement, peut-on ? avec réflexion, s'exposer à éloigner et à perdre Celui dont la seule présence est « un délicieux Paradis »

 Celui dont l'absence est « un dur enfer » ; Celui dont l'amitié est un si grand bien, que, « quiconque n'aime pas Jésus-Christ, dit l'auteur de l'Imitation, est à lui-même un plus cruel ennemi que ne pourraient être ceux qui le haïssent le plus, que ne pourrait être  tout le monde ensemble ? »

 III. Grandeur infinie de Jésus-Christ. – Jésus-Christ, ou notre perte, ou notre salut.

 Ne nous lassons pas, M. T. C. F., d'insister sur ce grand motif de l'esprit sérieux, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le point que nous touchons ici, est de tous, le plus important, le plus propre à nous faire réfléchir.

 « Jésus-Christ, disent les Saintes Ecritures, est le  Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles;  Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non fait, consubstantiel au Père, la Splendeur de sa Gloire, l'Eclat de la Lumière éternelle ; le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait ; le  Verbe éternel, descendu des Cieux pour nous sauver; le Verbe fait chair dans le sein de la B. V. Marie : Dieu parfait, homme parfait ; en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science (Col., 11, 3) ; le seul Saint, le seul Seigneur le seul Très-Haut, avec le Père et le Saint-Esprit. »

 Quelle vive foi, quelles profondes adorations, quel respect sans borne ne doit pas nous inspirer cette grandeur infinie de la personne suradorable de Jésus-Christ !

 Mais, d'autre part, quelle crainte salutaire ne doit pas exciter en nous, la révélation que le saint vieillard Siméon fit à Marie et à Joseph, au jour de la Présentation : Cet Enfant que voici est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël (Luc, 11, 34) : ruine et condamnation épouvantables pour les malheureux qui refusent la grâce de la Rédemption ; résurrection et gloire infinie pour tous ceux qui la reçoivent et en profitent !

 Deux vérités également capitales, deux mystères également profonds, qui mériteraient, de notre part, une attention comme infinie ; qui doivent, au moins, pour peu que nous voulions être sérieux, faire l'objet dominant de toutes nos pensées.

 Vérités et mystères, d'autant plus importants, d'autant plus saisissants, que la redoutable question ne peut se trancher qu'en cette vie, et qu'elle ne se tranche qu'une fois. En ce monde, elle se résout dans le secret de la conscience ; mais dans l'autre, elle éclatera, selon notre libre choix, ou dans les splendeurs éternelles du Ciel, ou dans les horreurs éternelles de l'enfer : quoi de plus grave ! quoi de plus capital ! quoi de plus sérieux !

 Déjà même, le mystère de la ruine apparaît, en quelque sorte, dès à présent : car, aux outrages que reçoit le divin Maître, on sent que, déjà, sa grandeur infinie s'impose aux impies qui la méconnaissent, et qu'elle pèse d'un poids affreux sur ceux qui l'insultent.

 Si, dans un si grand nombre, elle excite une sorte de rage contre tout ce qui est religieux, c'est qu'ils ne peuvent se défendre de la terreur qu'elle leur inspire, ni calmer le trouble qu'elle apporte à leurs coupables jouissances. Ils sentent partout une main qui les menace, la colère divine qui les poursuit, des malheurs qui les attendent. C'est là le secret de ces préoccupations étranges, de ces défiances extrêmes que leur inspirent les choses divines, et qui leur rendent comme insupportable tout ce qui en rappelle le souvenir : prêtre, religieux, signes extérieurs de la foi, pratiques extérieures de la piété.

 Oh ! M. T. C. F., quelle reconnaissance nous devons à Dieu, pour la miséricorde infinie qu'il lui a plu de nous faire,en nous donnant, à nous, l'amour et l'estime de la religion ; en nous faisant trouver notre bonheur et notre joie dans les choses du salut, là même, où une foule de mondains ne trouvent que dégoût et ennui !

 Un excellent Père Mariste me disait, il y a peu de jours: « On tombe à genoux, on joint les mains de reconnaissance, dans la vie religieuse, quand on se voit si favorisé et à l'abri de tant d'erreurs ! … »

 C'est, du reste, ce que faisait Notre-Seigneur lui-même, pour ses Apôtres et pour tous ses fidèles Disciples : Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux savants, et que vous les avez révélées aux simples (Math., XI, 25).

 Oui, oui, M. T. C. F., réjouissons-nous de connaître Jésus-Christ et de pouvoir l'aimer : car, sachons-le tous, et sachons-le bien, Il est le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts, et le prince des rois de la terre. –  A lui est la gloire et l'empire dans les siècles des siècles.

 Sachons-le encore, et pensons-y à temps : car, Le voici, dit saint Jean, qui vient sur les nuées : tout œil le verra, et ceux mêmes qui l'ont percé ; et tous les peuples de la terre se frapperont la poitrine en le voyant. C'est une chose assurée.

 Le Seigneur Dieu le dit lui-même : Je suis l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin, le Tout-Puissant, qui est, qui était et qui sera (Apoc., I, 3).

 C'est donc en face de cette redoutable vérité que se trouve placé notre libre arbitre : ou Jésus-Christ POUR RUINE, ou Jésus-Christ POUR RÉSURRECTION, selon que nous le prendrons, ou que nous ne le prendrons pas, pour MAITRE et pour MODÈLE.

 A nous de réfléchir, de peser toutes les conséquences de notre choix, afin de le faire, au moins, avec la prudence, avec le sérieux qu'on apporte aux choses graves de la vie.

 Dans le monde, quand un homme en place heurte fréquemment les convenances et le bon sens, ou par ses paroles, ou par ses actes, on dit : Cet homme-là n'est pas sérieux ; ce qu'il avance n'est pas sérieux ; ce qu'il fait n'est pas sérieux. Finalement, on le traite de sauteur, pour mieux traduire sa légèreté et l'inconséquence de sa conduite.

 Mais alors, M. T. C. F., après toutes les réflexions qui précèdent et les autres, bien plus étendues, que nous fournit notre Foi, comment faudrait-il traduire notre propre conduite, à nous religieux, à nous qui croyons et qui enseignons; comment faudrait-il traduire cette effroyable inconséquence de nos actes avec notre croyance et nos paroles, si nous balancions un instant à nous donner à Jésus-Christ, à le prendre pour modèle, et à le suivre invariablement, à quelque prix que ce soit ?

 Non, non, personne ne balancera. Alors, que faut-il faire?

 L'auteur de l'Imitation nous dit : « C'est un grand art que de savoir vivre avec Jésus; c'est une merveilleuse prudence que de savoir le retenir en soi »  (Il Imit., VIII).

 Or, cet art si grand, cette prudence si merveilleuse qui nous les donnera ? – La Règle, M. T. C. F., simplement, la Règle. Oui, la fidélité à notre vocation et la Règle nous donneront, toute notre vie, l'humilité, l'amour de la paix, la ferveur, l'esprit intérieur, que demande l'autour de l'Imitation, dans la suite du chapitre, pour que « Jésus soit avec nous et demeure avec nous ». Elles nous donneront, de plus, l'esprit sérieux, l'esprit solide et profondément religieux que je vous recommande.

 IV. Quelques conclusions pratiques.

 1° Profonde compassion pour ceux qui ont l'immense malheur de vouloir se passer de Jésus-Christ ; pour les sociétés, les familles, les individus, qui veulent marcher sans Celui qui est toute Voie ; qui veulent se conduire sans Celui qui est toute Vérité ; qui veulent vivre sans Celui qui est toute Vie.

 2° Union et renouvellement de prières, de supplications, pour demander qu'on reconnaisse enfin le besoin de revenir à Jésus-Christ ; de relever son règne, afin qu'il relève lui-même toutes choses parmi nous.

 3° Zèle tout nouveau, zèle plus ardent que jamais, pour faire connaître Jésus-Christ, pour lui gagner les esprits et les cœurs.

 Qui voudrait déserter la cause de Jésus-Christ, à cette heure où elle subit toutes les attaques de l'enfer et de ses suppôts ?

 4° Que l'amour de Jésus-Christ, s'emparant de nos esprits et de nos cœurs, y consume nos légèretés et nos dissipations, nos fausses joies et nos vaines espérances, nos vains ennuis et nos vaines craintes, nos pauvres susceptibilités; tous nos pauvres et secrets dépits.

 Rien ne manque à celui qui a Jésus-Christ ; rien. ne peut suffire à celui qui veut autre chose que Jésus-Christ.

 5° Que notre amour pour Jésus-Christ, dans l'Eucharistie, pour la messe, la visite, la communion, se réveille tout entier. C'est ce qui a fait la force et le salut de notre cher défunt; et c'est, je le répète, pour entrer dans sa pensée, dans tout le plan de ses études et de sa vie, que j'ai insisté sur ce second motif de l'esprit sérieux, JÉSUS-CHRIST.

 « Si j'ai fait quelque bien aux Frères, m'a-t-il dit  souvent, c'est uniquement en les portant à aimer  Jésus-Christ, à s'attacher à Jésus-Christ, à communier fréquemment, le plus fréquemment possible. »

 Et moi j'ajoute, comme bon exemple, comme encouragement pour tous, comme fruit du zèle et des travaux du défunt et de ses successeurs, que, si nos provinces du Midi restent toujours exemplaires, toujours ferventes, c'est uniquement parce que les communions s'y font bien, s'y font toutes, s'y conservent.

 Terminons ces réflexions par la réponse admirable que fit au grand Thaulère le mendiant, envoyé de Dieu pour lui apprendre le secret de la perfection. « Que diriez-vous, avec votre résignation, lui demande le  théologien, si Dieu voulait vous damner? » – « Me damner ! reprend le mendiant ; si Dieu en voulait  venir là, j'ai deux bras avec lesquels je l'embrasserais étroitement : le gauche, qui est la vraie humilité par laquelle je suis uni à sa très sainte Humanité ; le  droit, ou l'amour ardent qui m’unit à sa Divinité. Avec ces deux bras, je le tiendrais si serré, que s'il  voulait me précipiter dans les flammes, il faudrait  qu'il y vint avec moi. Or, ce serait une chose incomparablement plus douce pour moi d'être en enfer avec Jésus-Christ, que de posséder sans lui tous les contentements du Ciel. »

 Les autres vérités que nous aurions à parcourir, au point de vue de la raison et de la Foi réunies, comme motifs de l'esprit sérieux, seraient :

 3e motifs LE SALUT . Sa nécessité. – Son importance. – Son excellence. – Sa triple personnalité : pour le travail, pour le mérite ou la perfection, et pour la récompense.

 4e, 5e, 6e motif, NOS ENNEMIS SPIRITUELS, ou les obstacles au salut : le démon, le monde et la chair.

 7e, Se, 9e Motif, LES MOYENS DU SALUT : la prière, les sacrements et la grâce.

 10e, 11°, 12°, 13e 14e motif, NOS DEVOIRS D'ÉTAT : les vœux, les règles, la direction des Frères, le soin des enfants, la tendance à la perfection.

 15e Motif : LES AVERTISSEMENTS DE LA PROVIDENCE.

 16e, 17e, 18e Motif, LE BIEN GÉNÉRAL : la bonne éducation des enfants, l'édification publique, la prospérité de l'Institut.

 19e, 20e Motif, LE BIEN PERSONNEL : le contentement et la vocation fervente.

 Il faut renoncer à suivre en détail tous ces points, nous ferions un volume ; mais le simple énoncé de ces vérités vous sera déjà, je l'espère, une bonne exhortation et une solide confirmation de tout ce qui a été dit de l'esprit sérieux. Plus tard, nous donnerons quelques développements sur le grand motif du Salut.

 Ajoutons seulement, d'une manière générale, qu'à toutes ces vérités ou motifs, et à toutes leurs conséquences, s 'applique toujours, d'une manière ou de l'autre le sceau de l'éternité.

 Dès qu'un homme a reçu l'existence, tout en lui, tout, dans ses actes, est saisi par l'éternité. Le mal devient éternel, s'il n'est pas réparé ; le bien devient éternel, s'il n'est pas révoqué ; et ce qui n'est ni bien ni mal, est toujours d'une nullité éternelle absolue : car, jamais la réparation, même la plus parfaite, ne pourra ramener le temps une fois perdu.

 C'est dans cette pensée d'une perte, absolument éternelle, et par là-même infinie, s'attachant à tout acte quelconque qui n'est pas méritoire du Ciel, que les saints étaient tout ardeur, tout attention,pour ne pas laisser inutile la moindre parcelle du temps ; pour surnaturaliser et sanctifier jusqu'à la plus petite de leurs actions.

 Oh ! que cette pensée est sérieuse ! qu'elle serait puissante pour le bien, si elle était parfaitement comprise ! qu'elle relèverait admirablement nos prières, nos classes, nos emplois, et tout ce que nous avons à faire chaque jour! Nous y reviendrons dans l'Instruction sur l'Eternité.

 

§  VII Les derniers moments du Cher Frère Assistant. – Ses Funérailles. – Conclusion. –

 Nouvelles et Avis divers.

 Un dernier mot sur les derniers moments du cher Frère Assistant. C'est le 5 février 1872, fête de sainte Agathe, vierge et martyre. Il est dans la situation que je vous ai donnée en commençant. Il a conservé jusqu'à la fin le plein usage de ses sens et de ses facultés. A peine s'écoule-t-il un quart d'heure, pendant lequel, immobile sur son fauteuil, il ne donne plus signe de connaissance. Les Frères, à genoux autour de lui, le considèrent tout émus, et prient avec une grande affection.

 Vers trois heures, sa respiration se ralentit ; puis s'arrête, puis reprend encore ; puis s'arrête de nouveau..; et, pour lui, tout est fini dans le temps… Les portes de l'éternité sont ouvertes à sa belle âme !

 Mon Dieu ! qui nous dira ce qui se passe à cet instant solennel ? Ah ! M. T. C. F., c'est la vie entière qui le dit : car la mort n'est que l'écho de la vie. Vie sainte, vie fervente, vie pleine, comme celle de notre cher défunt, et l'on est sûr d'avoir, dès cette première seconde de l'éternité, tous ses travaux, toutes ses souffrances, tous ses sacrifices, pleinement reconnus, pleinement récompensés, parfaitement payés.

 A la Retraite dernière, nous disions : Un milliard de fois ; mais ce n'est pas un milliard de fois qu'il faut dire, c'est infiniment, c'est sans mesure, c'est sans fin car, à chaque instant de l'éternité, l'Elu goûte un bien infini, qui est Dieu, et il le goûte avec l'ineffable assurance d'en jouir toujours.

 Oh ! quelle surprise ! quelle joie ! quelle félicité ! que cette entrée bénie de l'âme dans la bienheureuse éternité !

 Ame mille fois heureuse, elle ne croit plus, elle voit elle n'espère plus, elle possède !… Sa vie désormais est de s'abîmer, dans la plénitude de la lumière et de l'amour, en Dieu le Père, en Dieu le Fils, en Dieu, le Saint-Esprit. Sa vie est avec la sainte humanité de Jésus, avec Marie et Joseph, avec la multitude des Anges et des Saints. Quelles promesses ! quelles espérances ! Ne les perdons pas de vue, je vous prie. Que toute peine nous soit douce, tout sacrifice léger, toute persévérance facile, pour conquérir cette ineffable gloire.

 Notre Frère en jouit, n'en doutons pas; au moins, en a-t-il la pleine et éternelle assurance ; et, si grande est la joie qu'elle donne, que, même au milieu des flammes du Purgatoire, les saintes âmes jouissent déjà en expiant.

 Toutefois, la redoutable justice de Dieu n'a pas moins le secret d'accroître leurs douleurs, comme celles de Jésus sur la Croix, par l'amour même qui les dévore. Il faut donc prier, et prier beaucoup, et prier longtemps pour notre cher défunt. Hélas ! qui sait tout ce que peut attirer de purgatoire, au Supérieur même le plus fervent, l'épouvantable responsabilité qui pèse sur lui ?

 Les funérailles eurent lieu le jeudi, 8, avec toute la solennité possible. Vingt-six prêtres, et une centaine de Frères, venus des postes, étaient présents à la cérémonie. Le défunt avait conservé une parfaite souplesse dans tous ses membres. Le soir même de l'enterrement, les Frères ayant ouvert le cercueil, pour y mettre une inscription, le trouvèrent encore dans le même état de souplesse et de conservation. La Providence n'a pas voulu que ce corps qui avait tant travaillé, que ces mains surtout qui avaient tant écrit, pour Dieu et pour les âmes fussent raidis par la mort.

 J'avoue qu'aussi longtemps nous avons eu les restes mortels du bon Frère, aussi longtemps j'aimais à soulever ses bras, à prendre ses mains, à le contempler. On sentait là l'immortalité, on sentait que, dans ce corps amaigri, usé, desséché par le travail, la prière, la maladie et les veilles ; que, dans cette chair et dans ces membres imprégnés de l'Eucharistie, tout était préparé pour la Résurrection glorieuse. Celui, dit Jésus-Christ, qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour (J., VI, 55)..

 C'est donc sur la tombe entrouverte du Frère Assistant, et de concert avec lui, que je vous ai tous appelés, M. T. C. F., à l'esprit solide et sérieux : ne quittons pas ce cher défunt sans tirer, de cette bonne leçon, un profit immédiat.

 Que cette première étude de sa vie et de ses ouvrages nous donne une très haute estime et un ardent désir de l'esprit sérieux ; et que sa bienheureuse mort nous y attache irrévocablement, puisqu'elle en est évidemment et le fruit et la récompense.

 Qu'en conséquence, il n'y ait plus parmi nous de religieux frivoles, dissipés, superficiels, tout mondains.

 Plus de religieux qui traitent à la légère avec Dieu, avec Jésus-Christ, avec la prière et les sacrements, avec leur conscience, leur Règle, leurs Frères, leurs enfants, leur salut éternel.

 Que dorénavant, dans tous nos Etablissements, les vertus religieuses soient solidement étudiées et solidement pratiquées ; que les vocations soient divinement appréciées et fidèlement cultivées; que les devoirs d'état et les vœux, compris enfin, non comme des conseils de perfection, mais comme de véritables et rigoureux préceptes, soient religieusement gardés.

 Seigneur Jésus, faites nous cette grâce insigne, pour votre gloire, pour l'honneur de votre Mère, pour notre salut et le salut d'une foule d'âmes.

 Alors, nous aurons de vrais religieux et de vrais Instituteurs de la jeunesse ; un bien immense se fera parmi nous et parmi les enfants.

 Alors, la paix, l'union, la Règle, le zèle, le parfait esprit religieux feront la gloire, le bonheur et la sûreté de toutes nos maisons.

 Alors, le temporel et le spirituel seront bénis; les bonnes vocations nous viendront, et chacun de nous aura droit, dès à présent, au centuple, et, dans le siècle à venir, à la vie éternelle que Notre-Seigneur promet à quiconque quittera tout pour lui et pour l’Evangile (Marc, X, 29,30).

 

Voici la liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 2 juillet 1871

 

F. STÉPHANIE, Profès, décédé à Santenay (Côte-dOr), le 15 juillet 1871.

F. JONATHAS, Profès, décédé à Salindres (Gard), le 27 juillet 1871.

F. ADRIAS, Profès, décédé dans sa famille, à Saint-Arcons (Haute-Loire), le 24 juillet 1871.

   GARDE (Eugène), Postulant, décédé à N.-D. de l'Hermitage (Loire), le 10 septembre 1871.

F. GASPARD, Profès, décédé à N.-D. de l'Hermitage (Loire), le 16 septembre 1871.

F. ANECTUS, Obéissant, décédé à N.-D. de l'Hermitage (Loire), le 25 septembre 1871.

F. MACÉDONIUS, Profès, décédé dans sa famille, à Chaumont (Puy-de-Dôme), le 29 septembre 1871.

F. JONAS, Profès, décédé à Hautefort (Dordogne), le 4 octobre 1871.

F. ODÉRIC, Profès, décédé à Ribiers (Hautes-Alpes), le 15 octobre 1871.

F. ILLUMINÉ, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 27 octobre 1871.

F. TÉRENTIEN, Obéissant, décédé à la Bégude (Ardèche), le 6 novembre 1871.

F. GIRARD, Profès, décédé dans sa famille, à Retournac (Haute-Loire), le 13 novembre 1871.

F. FLORENTIUS, Obéissant, décédé à Preaux (Ardèche), le 18 novembre 1871.

F. SATURNIN, Profès, décédé à Tarentaise (Loire), le 24 novembre 1871.

F. DIODORUS, Obéissant, décédé à Langon (Gironde), le 6 décembre 1871.

F. ISAÏE, Profès, décédé à Vion (Ardèche), le 20 décembre 1871.

F. SYMPHORIEN, Stable, décédé à Ghazir (Syrie), le 1ier janvier 1872.

F. JEAN-BAPTISTE, Stable, Assistant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 5 février 1872.

F. ANSOVIN, Novice, décédé à Saint-Martin-en-Coailleux (Loire), le 23 février 1872.

F. M.-GONZAGUE, Obéissant, décédé dans sa famille, à Arfeuilles (Allier), le 30 mars 1872.

F. SIXTUS, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 27 avril 1872.

 

Je recommande tous ces défunts à vos pieux suffrages, selon la Règle. Il y aurait des choses très édifiantes à dire sur tous; niais ce n'est pas possible dans cette Circulaire. J'aurai occasion de le faire plus tard particulièrement pour le cher Frère Illuminé, le cher Frère Symphorien et le cher Frère Isaïe.

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 La liste d'admissibilité aux vœux sera envoyée, avec la seconde Circulaire déterminant l'époque des Retraites. Par exception, à cause du retard de la première Circulaire, les demandes seront reçues, cette année, jusqu'au 31 juillet prochain.

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 Nous aurons une mesure à prendre pour le partage proportionnel des Postulants entre la Maison-Mère et la Maison de Notre-Dame de l'Hermitage.

 Les centres de vocations se trouvant tous dans la province de l'Hermitage, ce partage devient nécessaire, pour la bonne harmonie et pour les besoins particuliers du service, dans ces deux provinces, qui n'en ont fait, qu'une si longtemps, et qui se croisent sur tous les points.

 Une juste proportion sera donc établie entre les deux, et elle pourra se réaliser par les sujets, venant de l'Ardèche et de la Haute-Loire, selon le mode arrêté en Conseil du Régime.

 Qu'on se renouvelle partout dans le zèle pour les vocations; les sujets font toujours défaut, et même plus que jamais, à cause des événements qui ont arrêté les admissions, presque toute une année.

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 Je n'ose renouveler ici nos recommandations précédentes sur les rapports avec les enfants tant il me paraît impossible, et tant il serait monstrueux, que, dans les temps si difficiles et si tourmentés que nous traversons, on pût s'oublier sur ce point capital, où sont si gravement engagés, avec la conscience, l'honneur et la liberté personnels, le bien de la religion, le bien des âmes, le bien de nos maisons et de tout l'Institut .

 Veillons et prions tous, que les Frères Directeurs surtout veillent et prient, avec un soin extrême, afin de prévenir tout scandale ; d'arrêter, dès le principe, tout rapport quelconque, qui s'écarterait des prescriptions de la Règle même d'une manière éloignée.

 Comprenez, je vous en supplie, M. T. C. F., toute l'urgence et toute la gravité de cette recommandation. Les derniers malheurs, vous le savez, tomberaient nécessairement et sur les maisons et sur les sujets qui la négligeraient, même légèrement.

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 Dans l'intérêt généralde l'Institut comme dans l'intérêt particulier de chaque maison, les Frères Directeurs tiendront fortement aux prescriptions suivantes:

 1° Se conformer très exactement à ce qui a été réglé, par notre Circulaire du 8 avril 1870 pour les offices et les classes de la Semaine Sainte et pour le congé à prendre du lundi de Pâques inclusivement, au vendredi de Pâques exclusivement, les classes devant recommencer partout ce jour-là.

 2° Pendant la semaine de Pâques, aucun Frère, sous aucun prétexte, ne pourra faire des voyages sans une permission écrite des Supérieurs. Les voyages aux maisons de Noviciats ne sont pas exceptés. Un certain nombre se sont oubliés cette année, sur ce point.

 3° Les Frères n'iront pas aux Providences de Lyon, sans une permission nominale et par écrit. Les Frères des postes qui ont cette permission, doivent payer leurs dépenses, selon les tarifs convenus.

 4° Ne rien changer dans les écoles, pour le règlement, pour les classiques, ni pour les méthodes. Les observations contraires que l'on pourrait recevoir, nous seront transmises, et nous y répondrons nous-mêmes.

 5° Dans les pensionnats, la sortie de Pâques, si elle a lieu, doit être du lundi de Pâques au lundi de Quasimodo. Il ne faut pas exposer les élèves à manquer la messe le saint jour de Pâques.

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 Nos chers Frères, Ludovic, de la province de l'Hermitage, Jarlath, Augustinus et Peter, de la province de Beaucamps, se sont embarqués à Londres, le 30 novembre dernier, fête de saint André, apôtre, pour Sydney en Australie.

 Ils sont partis, en compagnie de trois Pères Maristes et de cinq religieuses, pour aller fonder une école à Saint  Patrick, paroisse de Sydney, confiée à la Société de Marie.

 Nous venons d'apprendre qu'après trois mois d'une heureuse traversée, ils sont arrivés à leur destination en bonne santé, et qu'ils vont commencer leur école, à la grande satisfaction des Révérends Pères Maristes et de toute la population.

 Par le même courrier, nous avons reçu d'excellentes nouvelles de nos chers Frères Ulbert et Landry, établis à Apia, presqu'île de Samoa, sous la juridiction de Monseigneur Elloy.

 Ces bons Frères se portent bien, sont toujours très contents, et se montrent animés d'excellentes dispositions. Leurs lettres, que j'ai fait lire à la Communauté, nous ont tous beaucoup édifiés et vivement intéressés.

 Ils ont vingt-cinq élèves pensionnaires, et les externes que comporte le pays ; il leur manque un Frère sachant l'anglais, pour les enfants anglais de la colonie. Nous nous occupons de le leur envoyer.

 Leurs enfants leur donnent beaucoup de satisfaction ils sont pieux, dociles, communient régulièrement tous les mois, et sont pleins de moyens. Ils lisent tous couramment, écrivent et calculent bien, et surtout chantent admirablement. Tout récemment, ils ont chanté la messe de Dumont, de manière à ravir tout le monde, particulièrement le Consul de Fidji qui s'y trouvait.

 Je recommande tout particulièrement à vos prières ces écoles naissantes et les bons Frères qui en sont chargés. J'ai la confiance que le bon Dieu les bénira, parce qu'elles rentrent tout à faitdans le plan de notre œuvre et qu'elles répondent à la pensée et aux désirs de notre Fondateur. C'est lui qui, le premier, a donné de ses Frères pour les missions de l'Océanie, en 1836.

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 La photographie du cher Frère Jean-Baptiste doit se prendre à la Maison-Mère, nulle part ailleurs.

  On ne devra pas la faire reproduire, non plus que toute autre photographie.

 Le Régime, seul, reste chargé de faire exécuter ce qui a été réglé par le Chapitre Général sur ce point.

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 Au souvenir de tous nos saints défunts, du pieux Fondateur surtout, et de nos deux Frères Assistants, je termine cette Circulaire par cette belle exhortation du grand Apôtre : Puis donc que nous sommes environnés d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui nous appesantit, et des liens du péché qui nous serrent, et courons, par la patience dans cette carrière qui nous est ouverte ;

 Jetant les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de la foi, qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la croix, en méprisant la honte et l'ignominie, et est assis à la droite du trône de Dieu (Héb., XII, 1, 2).

 Cette course rapide dans la carrière du zèle et de la Croix, c'est celle qu'ont fournie, avec un courage et une constance héroïques, et notre Père et nos Frères ; fournissons-la de même, nous avons les mêmes devoirs et les mêmes espérances.

 Le grand Apôtre était tout plein de ces pensées de course, de combat, de lutte, par conséquent, d'énergie, dans la conquête du Ciel. Voyez ce qu'il écrit encore aux fidèles de Corinthe :

 Ne savez-vous pas que, quand on court dans la lice, tous courent, mais qu'un seul remporte le prix? Courez de telle sorte que vous le remportiez.

 Or, tous les athlètes gardent en toutes choses une exacte tempérance : cependant ce n'est que pour gagner une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible.

 Pour moi, Je cours, et je ne cours pas au hasard : je combats, et je ne donne pas des coups en l'air ;

 Mais je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même (1 Cor., IX, 24, 25, 26, 27).

 Certes ! M. T. C. F., ce n'est pas seulement pour la perfection que saint Paul s'excite ainsi et pratique de si rudes mortifications; c'est pour n'être pas réprouvé lui-même, lui confirmé en grâce, lui revenu des visions du troisième Ciel.

 Grande et finale raison pour nous tous, de prendre au sérieux la capitale affaire de notre salut, et de ne rien épargner, de ne compter ni peines ni sacrifices, pour la faire réussir.

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 La présente Circulaire sera lue en Communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture spirituelle.

 On la lira, une seconde fois, au réfectoire, dans les maisons de Noviciat.

 Qu'on se souvienne partout de faire cette lecture avec beaucoup de soin, afin de bien saisir les avis et les instructions qui sont donnés. C'est le premier pas à faire vers l'esprit sérieux, dont nous avons un si grand besoin.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph,

 Mes Très Chers Frères,

 Votre très humble et très obéissant serviteur,

       F. Louis-Marie.

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[1]Le texte porte : extras, mais ce mot est invariable au pluriel. NDLR.

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