Circulaires 125

Louis-Marie

1877-06-16

Vie mystique de Jésus-Christ dans nos âmes. - Réflexions préliminaires. - Ce qu'a  coûté à Jésus-Christ sa vie mys­tique dans les âmes. - A quel excès il l'a désirée. -Le Calvaire. - Moyens divins établis par Jésus-Christ pour conserver en nous la vie de la grâce. - L'Eucharistie. - Excellence et fruits merveilleux de la vie mystique de Jésus-Christ dans les âmes. - Autres considérations. - Le libre arbitre. - Le crucifiement. - Conclusions. - Epoques des Retraites. - Directeurs Provinciaux. - Visiteurs. - Maîtres des Novices. - Vœux. - Vacan­ces et sorties de Pâques. - Confession hebdomadaire des Frères. - Sorties et voyages. - Frères laissés seuls ou inoccupés. - Bon emploi du temps et bonnes études. - Avis divers. - Juvénats. - Vocations. - Défunts. - Un  mot sur les Frères : Marie, Louis-Régis, Léo­nard, Aristonique, Jean-Louis. - Nouvelles des Mis­sions. - Départ de six nouveaux Frères. - Lettre d'ap­pel envoyée à chacun d'eux. - Neuvaine et prières pré­paratoire

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51.02.01.1877.3  

1877/06/16

 Saint-Genis-Laval, le samedi 16 juin 1877.

Fête de Saint François-Régis.

            Mes Très Chers Frères,

 Les réflexions que j'ai à vous faire, en vous annonçant nos Retraites prochaines, me sont venues à l’occasion de la grande Fête de Pâques. Déjà, je les ai données dans quelques Maisons; mais elles me paraissent si propres à. nous affermir dans l'estime de notre saint état, à nous faire poursuivre avec ardeur le double but de tous nos efforts; notre sanctification personnelle et la sanctification de nos Enfants, que je me fais un bonheur et un devoir de vous les transmettre à tous. Plaise à Dieu qu'elles soient parfaitement comprises, fidèlement retenues et constamment appliquées ! Il s'agit de la vie mystique de Jésus-Christ dans nos âmes, par la grâce sanctifiante, et du soin extrême que nous devons apporter à la protéger et à la défendre et en nous-mêmes et dans nos Enfants. 

1. Réflexions préliminaires.

 Jésus-Christ, dit saint Paul, étant ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, et la mort n'a plus d'empire sur lui (Rom., VI, 9). C'est la grande consolation des Chrétiens de savoir que Jésus-Christ, sorti vivant et glorieux du tombeau, échappe à tous les coups des méchants, et qu'il est à jamais revêtu de gloire, d'honneur, d'impassibilité et d'immortalité. L'agneau qui a été mis à mort, dit saint Jean, est digne de recevoir la puissance, la divinité, la force, l'honneur, la gloire et la bénédiction. A celui qui est assis sur le trône, et à l'agneau, bénédiction honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles (Apoc., v, 12, 13).

 Mais il est pour Jésus-Christ, même pour Jésus-Christ ressuscité et triomphant, une vie mystique, fruit de ses souffrances et de sa mort, dont la conservation et le développement demeurent comme au pouvoir de l'homme, au pouvoir de son libre arbitre, aidé de la, grâce ; c'est la vie du divin Rédempteur dans les âmes des Justes ; c'est sa vie divine dans tous les cœurs par la, grâce sanctifiante et par la charité.

 De même, il est pour Jésus-Christ un règne certain, nécessaire, infaillible ; le règne que le Prophète-Roi célèbre au second de ses Psaumes : Vous êtes mon Fils, m'a dit le Seigneur. Demandez-moi, et je vous donnerai Us nations pour votre héritage, et toute l'étendue de la terre pour la posséder. Vous les conduirez avec une verge de fer. Vous les briserez comme un vase d'argile (Ps., II, 7, 8, 9). Donc, au Fils de l'Homme toute puissance et toute force pour régir les nations : où il aura leurs hommages libres et leurs humbles adorations, où il saura le dompter et les briser. Mais Jésus-Christ veut un règne plus doux, plus pacifique, plus glorieux pour sa miséricorde ; un règne très libre et librement accepté : le règne de l'amour et de l'obéissance, le règne de toutes les vertus par la destruction de tous les vices.

 Il veut que ses sujets le fassent régner eux-mêmes en eux-mêmes en suivant ses exemples, avec tout l'héroïsme du courage et du dévouement: s'élevant dans les Apôtres, au-dessus de tous les travaux et de tous les dangers; dans les Martyrs, au-dessus de tous les tourmente dans les Vierges, au-dessus de toutes les faiblesses et, de toutes les séductions ; dans les Justes, au-dessus des richesses, des honneurs, des plaisirs, au-dessus de tout. Il veut que, plutôt que de faillir au devoir, ses serviteurs s'écrient tous comme le grand Apôtre : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? sera-ce l'affliction? les angoisses? la faim? la nudité? Ifs périls? la persécution? le glaive? Non, dit-il, car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni aucune créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., VIII, 35 et suivants).

 C'est donc contre cette vie mystique de Jésus-Christ, c'est contre ce règne d'amour que recommence en réalité la lutte des puissances des ténèbres. Ce n'est plus contre son corps adorable, contre sa Personne divine: leur heure est passée, le jour plein et éternel du triomphe et de la gloire est levé; il ne sera jamais plus ni obscurci ni troublé ; mais la guerre, et la guerre la plus acharnée, est contre le corps mystique du Fils de Dieu, contre ses membres vivants, qui sont les Chrétiens fidèles ; contre tous les Enfants de Dieu répandus dans le monde et vivant en Jésus-Christ.

 Donc aussi, c'est cette vie mystique de la grâce dans les âmes, ce règne divin de Jésus-Christ dans les cœurs que nous sommes appelés à, défendre, et en nous-mêmes et dans tous ceux qui nous sont confiés. Et voilà à quel grand, à quel saint combat je voudrais vous exciter tous, vous encourager tout de nouveau par les considérations et réflexions qui suivent. 

II. Ce qu'a coûté à Jésus-Christ sa vie mystique dans tes âmes.

– A quel excès il l'a désirée. – Le Calvaire !

 La pensée du Calvaire est donnée la première, parce qu'en effet c'est sur le Calvaire qu'il faut monter et nous fixer pour comprendre à quel excès Jésus-Christ a désiré de vivre dans nos âmes, tout ce qu’il a fait et souf­fert pour nous faire arriver à la vie de la grâce. Non, dit saint Pierre, ce n'a point été par les choses corruptibles, comme l'or et l'argent, que vous avez été rachetés ; mais par le précieux sang de Jésus-Christ, comme de l'agneau sans tache et sans défaut (l Pierre, 1, 18, 19).

 C'est ce que l'Eglise chante et reconnaît elle-même dans l'Office du Samedi-Saint : «O effusion admirable « de la bonté de Dieu sur nous, s'écrie-t-elle, ô excès incompréhensible de sa charité ! pour racheter l'esclave, le Fils est sacrifié ! ô péché d'Adam, que l'on  peut dire avec vérité comme nécessaire, puisqu'il a été effacé par la mort de Jésus-Christ ! O heureuse faute, puisqu'elle a eu un si grand Réparateur et une si grande Réparation ! »

 Grand Réparateur ! Jésus-Christ, né du Père avant tous les siècles : Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, descendu des Cieux, pour nous autres hommes et pour notre salut. Dieu, dit saint Jean, a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que le monde soit sauvé par lui (Jean, III, 16, 17).

 Grande Réparation ! Trente-trois ans d'une vie divine qui n'a été qu'une Croix et qu'un martyre continuel, terminée par tous les supplices du Calvaire ! ! !

 Non, pour conquérir la vie de la grâce dans nos âmes et pour nous l'assurer, le Fils de Dieu n'a pas craint de sacrifier sa vie naturelle, quoique divine et d'une .valeur infinie. Il n'a pas craint de passer par toutes les angoisses et les douleurs de l'Agonie, par tous les tourments et les opprobres de la Flagellation ; par tous les déchirements et les ignominies du Couronnement d'épines.

 Il n'a pas craint d'être souffleté, couvert de crachats, moqué, insulté, rassasié d'opprobres, lié et garrotté comme Lin criminel, accablé de tortures par les Prêtres, par les Juifs et par les soldats.

 C'est avec ces préparatifs sanglants, après avoir été trahi par Judas, renié par saint Pierre, traité de fou par Hérode, mis au-dessous de Barrabas, après avoir subi tous les mauvais traitements dont la lâcheté de Pilate et la méchanceté des Juifs l'ont accablé, qu'il monte au Calvaire et arrive au redoutable supplice de la Croix.

 Trois fois, sur ce douloureux chemin, il succombe sous le poids des tourments qu'il a déjà endurés, sous le poids de nos péchés et du bois de son sacrifice. Il tombe, hélas ! avec des douleurs infinies pour sa tête sacrée, couronnée d'épines, et pour tout son corps déjà tout meurtri et tout déchiré. Nous voyant destitués de toute force, il nous tend à tous une main secourable au milieu de tous nos dangers; il tombe pour nous relever, il s'affaiblit lui-même pour nous fortifier, et veut, en expiant nos chutes et rechutes passées, nous en préserver à l'avenir.

 A peine arrivé au Calvaire, il subit de nouveau, dans un honteux. et cruel dépouillement, tous les tourments de la Flagellation ; et, véritable agneau de Dieu, agneau ,immolé, agneau écorché, agneau tout couvert de sang et de plaies, il s'étend lui-même sur la Croix et livre, sans résistance, ses pieds et ses mains pour être percés et cloués.

 O mon âme, considère ces clous affreux qu'on enfonce à grands coups de marteaux dans les mains et les pieds vivants du Fils de Dieu !… Contemple ton Seigneur et ton Dieu, attaché et cloué à la Croix, suspendu entre le ciel et la terre, ne portant que sur des plaies et sur des .clous ; et, dans cet excès de tourments et d'amour, dans cette mer de douleurs, traitant avec son Père de notre réconciliation et de notre salut, et donnant sa vie et son sang pour nous mériter la grâce et le pardon !

 O grâce sanctifiante, ô vie de Jésus dans nos âmes, que tu as coûté cher au Dieu Rédempteur ! ! ! … Et dire ici que tous ces tourments extérieurs de Jésus crucifié ne sont que la marque et comme le signe des tourments intérieurs de son âme ; qu'ils n'ont pu lui arracher ni une plainte, ni un soupir, tandis que, sur la Croix comme à l'Agonie, il éclate en gémissements sur les douleurs infinies de sa très sainte âme.

 A l'Agonie, devant les rebuts de son divin Père, devant les maux qui l'attendent, devant tous les crimes des hommes dont il se voit chargé, dans l'excès de sa douleur, de ses craintes et de son ennui, il s'écrie :Mon âme est triste jusqu'à la mort ! Sur la croix, devant les délaissements où il est abandonné, sous le coup de la malédiction à laquelle il s'est réduit lui-même, selon qu'il est écrit : Maudit est celui qui est pendu au, bois (Gal., III, 13), un cri de douleur s'échappe de nouveau de son Cœur déchiré : Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné?

 Ah ! c'est que le divin Maître a pris sur lui, dans toute la mesure compatible avec la dignité et la sainteté infinies de sa Personne adorable, la double peine due à nos péchés, la peine du sens et la peine du dam. La première, tout excessive qu'elle est, il la compte comme pour rien; parce qu'elle n'est que l’œuvre des puissances des ténèbres, l’œuvre de la rage des Juifs et de la fureur des démons, que la Sagesse divine fait servir à l'accomplissement de ses desseins; mais la seconde se mesure sur son amour qui est infini. Il ne peut supporter l'abandon de son Père, quoique passager et seulement extérieur – c'est la peine du dam, grande comme Dieu lui-même, c'est l'enfer des enfers. Toutes ses plaies, tout son sang, toutes ses meurtrissures : la Croix, les clous, les épines, la lance, tous les instruments de la Passion, ne sont là que comme DES CARACTÈRES SANGLANTS, comme UNE ÉCRITURE DIVINE, pour nous révéler l'excès d'angoisses et de désolation, l'excès de douleur et d'amertumes qui se concentrent et s'accumulent dans l'étendue infinie de son divin Cœur.

 O hommes ! ô Mes Très Chers Frères ! arrêtons-nous ici, arrêtons-nous devant ce livre toujours ouvert de Jésus en Croix ; devant ce livre vivant, écrit par dedans et par dehors (Apoc., VI, 1) : par dedans, par la Puissance, la Sagesse et l'Amour du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; par la justice, la sainteté et tous les attributs divins ; par dehors, sous le pouvoir de Dieu : Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, s'il ne vous avait été donné d'en haut (Jean, XIX, 11), par la malice et la cruauté des Juifs, de Pilate et des bourreaux, et entendons les leçons éternelles qu'il nous donne à tous, et qu'il donnera jusqu'à la fin des temps.

 1° Si grandes ont été les douleurs de Jésus que, s'il avait eu un million de mondes à sauver, il n'eût pas souffert, il n'eût pu souffrir davantage.

 2° Si précieux est le salut d'une seule âme, si magnifique est la récompense qui l'attend au Ciel, si épouvantable est le châtiment qui lui est réservé en enfer, que ce que Jésus-Christ a souffert pour tous, il l’eût également souffert pour un seul ; et, selon la pensée de saint Bernard, il l'eût souffert, sans interruption et sans adoucissement, jusqu'à la consommation des siècles : Je vis en la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi (Gal., II, 20).

 3° Si grande est la haine de Dieu pour le péché, si terrible est sa justice contre les pécheurs, que le Prophète s'écrie avec effroi : Qui connaît, Seigneur, la puissance de votre colère et qui la craint autant qu'elle est redoutable (PS., LXXXIX, 11) ? Le fils de Dieu lui-même, quoique saint et innocent, a dû la subir, pour nous et à notre place, dans une mesure absolument incompréhensible.

 Donc, concluons avec saint Paul que c'est une chose effroyable de tomber entre les mains du Dieu vivant (Héb., x, 31) ; répétons souvent la prière du Prophète : Percez ma chair de votre crainte, et que je sois saisi de frayeur à la vue de vos jugements (Ps. CXVIII, 120). Puis, ne perdons jamais de vue ce conseil ou cet ordre suprême de Jésus mourant : Ne pleurez point sur moi, mats pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants…, car il viendra un temps où l'on dira : Heureuses les entrailles qui n'ont point porté !… Montagnes, tombez sur nous !… Collines, couvrez-nous !… car si on traite ainsi le bois vert, comment le bois sec sera-t-il traité (Luc, XXII)?

 4° Puisque le péché est quelque chose de si horrible devant la sainteté infinie de Dieu, que cette seule vue a tenu l'âme de Jésus-Christ dans une Agonie perpétuelle, dont l’Agonie du jardin des Oliviers n'a été qu'une douloureuse manifestation ; puisque, sur la Croix, Jésus-Christ a plus souffert de l'abandon de son Père que de tous les autres tourments de sa Passion : concluons encore que ce n'est ni la mort, ni l'enfer que nous avons à craindre, mais le seul péché mortel et ce qui y conduit ; parce que, seul, il peut nous faire perdre Dieu, nous séparer de Dieu, et devenir ainsi pour nous l'enfer des enfers, la véritable peine du dam.

 5° Puisque Jésus-Christ nous a acquis la vie de la grâce à un si grand prix, qu'il n'est venu sur la terre que pour y mettre le leu de la charité, qu'il n'a d'autre désir que de le voir s'allumer partout, et que ce désir est si grand, que sa sainte âme a été constamment comme sous un pressoir jusqu'à ce qu'il s'accomplît (Luc, XII, 49,50) ; concluons enfin que, pour rien au monde, nous ne devons sacrifier cette grâce précieuse ; qu'au contraire, il faut nous animer d'un zèle toujours croissant, d'un zèle de feu pour la défendre en nous et dans nos Enfants. 

III. Moyens divins établis par Jésus-Christ pour con­server en nous

la vie de la grâce. – L'Eucharistie.

 L'excellence de la vie de la grâce se reconnaît donc là tout ce que Jésus-Christ a fait et souffert pour la conquérir ; mais elle ne se reconnaît pas moins à tous les moyens divins qu'il a établis pour la conserver, principalement l’Eucharistie.

 Je suis venu, dit-il, pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient abondamment (Jean, X, 10). Dans l'Eucharistie, en effet, tout est vie et surabondance de vie. C'est le pain vivant et vivifiant que chante l’Eglise ; le pain où les bons trouvent la vie, et les méchants la mort ; le pain de Dieu descendu du Ciel et qui donne la vie au monde; le pain vivant qui est l'aliment propre, l'aliment divin de la vie divine de Jésus-Christ dans nos âmes. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai c'est ma chair que je dois livrer à la mort pour la vie du monde.

 En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Mais celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (Jean, VI, 52 et suivants).

 Or, dit un pieux auteur, nous demeurons en Jésus-Christ quand nous sommes ses membres ; et Jésus-Christ demeure en nous, quand nous sommes ses temples. Mais c'est par la grâce sanctifiante que nous sommes les membres vivants de Jésus-Christ et que nous participons à l'esprit de sainteté, à l'esprit d'amour et de charité qui doit animer tous ceux qui composent son corps mystique.

 De même, c'est encore par la grâce sanctifiante que Jésus-Christ demeure en nous comme dans son temple ; et qu'il y reçoit nos prières, nos adorations et tous les sacrifices que demande de nous la pratique de la vertu.

 Et ce qui relève sans mesure cette vie de la grâce dans nos âmes, ce qui nous fait comprendre les accroissements merveilleux que nous apporte la divine Eucharistie, c'est le rapprochement admirable que nous donne -Jésus-Christ lui-même de sa vie divine dans le sein du .Père, avec notre vie divine dans le sein du Fils, par la communication qu'il nous fait. Comme mon Père qui m'a envoyé, dit-il, est vivant par lui-même, et que je vis par mon Père, de sa propre vie qu'il me communique ; de même celui qui me mange vivra aussi par moi, de ma propre vie que je lui communiquerai. O sublimité, Ô perfection comme infinie de la vie surnaturelle à laquelle nous élève la divine Eucharistie ! Ce que le Fils, procédant éternellement du Père, reçoit de lui, par nature -en sainteté, en bonté, en puissance, en sagesse, en perfection de toutes sortes, il le communique par grâce, il le transmet par amour à celui qui le reçoit dans la divine -Eucharistie. C'est ce qui a fait dire au grand Apôtre cette parole profonde, si souvent répétée : Je, vis, ou plutôt ce n’est pas moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Gal., II, 4). C'est aussi cette participation à la nature -divine que saint Pierre relève dans sa seconde épître : Par Jésus-Christ, dit-il, Dieu nous a donné les grandes et précieuses grâces qu'il nous avait promises, pour nous rendre, par ces mêmes grâces, participants de la nature divine (Il Pierre, I, 4).

 Or, dans le plan divin de la grâce, tout est coordonné, tout est disposé pour que cette grâce précieuse ne soit donnée, entretenue, fortifiée, réparée au besoin, que par des moyens tout divins: principe divin, dans le Baptême ; aliment tout divin, dans l'Eucharistie ; remède divin, dans la Pénitence ; perfectionnement divin, dans la Confirmation ; fécondité divine, par le Sacrement de l'Ordre ; enseignement divin, dans le saint Evangile; autorité divine, dans l'Eglise et son Chef infaillible; secours divins et perpétuels, qui nous arrivent intérieurement par la grâce et extérieurement par la prière et par les Sacrements.

 Chaque jour, à toute heure et en tous lieux, pour conserver en nous cette vie divine de la grâce, pour l'étendre à tous, Jésus-Christ s'offre, s'immole et meurt mystiquement sur nos autels.

 Chaque jour, il nous invite à nous nourrir de sa chair à nous abreuver de son sang, à perdre en nous et pour nous sa vie eucharistique, afin de vivre virtuellement lui-même dans nos âmes.

 Chaque jour et à toute heure, il s'offre à nous dans le divin Tabernacle, comme notre Compagnon, pour recevoir nos visites, agréer nos hommages et pourvoir à tous nos besoins. C'est de là surtout qu'il nous fait entendre cette douce parole : Venez tous à moi, vous qui êtes dans la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (Math., XI, 28). Je vous aiderai surtout à défendre votre âme du péché et de tout ce qui pourrait vous faire perdre ma grâce et mon amour.

 Il faut abréger, car c'est un abîme de merveilles et de sanctification qu'on ne peut que faire entrevoir : mais tous ces moyens divins s'ajoutant aux souffrances du Calvaire, on ne peut y voir que le désir ardent, le désir infini qu'a Jésus-Christ de vivre dans nos âmes, de s'y fixer pour l'éternité. Et ce qui doit nous toucher surtout, c'est qu'en cela Notre-Seigneur n'agit que par pur amour, dans notre seul intérêt et sans nul besoin pour lui-même. Mais, pour mieux comprendre encore la perfection de son amour, étudions de plus en plus toute l'excellence de cette vie mystique et ses fruits merveilleux, dans les âmes qui la possèdent et qui savent la conserver. 

IV. Excellence et fruits merveilleux de la vie mystique

de Jésus-Christ dans les âmes.

 Celui qui est uni à Dieu, dit saint Paul, devient un même esprit avec lui (I Cor., VI, 17). Ce passage seul suffit pour nous dire toutes les excellences de la vie mystique de Jésus-Christ en nos âmes ; car, comme Dieu est pur, sain et parfait, c'est-à-dire, la pureté, la sainteté et la perfection essentielles, il est impossible que l'âme qui lui est unie ne soit pas pure, sainte et parfaite. C'est la magnifique réflexion que font les Maîtres de la vie spirituelle sur ce mot du grand Apôtre. «L'âme, disent-ils, par cette union, devient belle et toute éclatante de lumière par les irradiations qu'elle reçoit de la divinité, comme une nuée transparente que le soleil dore de ses rayons ; ou, mieux encore, comme le fer naturellement froid, obscur, grossier, chargé de rouille, s'il est mis dans la fournaise, y perd toutes ses laideurs, se dépouille de tous ses défauts, et, en leur place, prend la chaleur, la clarté, la beauté et les autres propriétés du feu. » « Telle est l'âme, dit le pieux Louis de Blois, pour la vie divine de la grâce : de froide qu'elle était auparavant, elle devient ardente ; d'obscure, lumineuse ; de terrestre, céleste et toute teinte en couleurs divines. Son essence est environnée et pénétrée de.  celle de Dieu, avec qui elle devient un même esprit ; de même que l'or et le cuivre fondus ensemble ne font qu'une même masse de métal. »

 Oh 1 qui pourrait raconter la ravissante beauté et la gloire souveraine de l'âme en qui Jésus-Christ vit par la grâce 1 Son entendement est éclairé des plus pures lumières de la vérité ; son cœur est affermi dans les douleurs de la plus solide espérance, et sa volonté goûte la paix inaltérable que donne toujours la bonne conscience. Son union avec Dieu la met au-dessus de toutes les choses créées ; de telle sorte qu'elle passe par les choses temporelles, sans perdre de vue les éternelles, pratiquant à la lettre ce conseil de saint Bernard: « Voir les choses divines comme divines les choses humaines, comme humaines, et peser tout au poids du sanctuaire, dans les lumières de la grâce et de la foi. »

 L'extérieur même d'un homme qui est en grâce avec Dieu se ressent admirablement de la présence de Jésus-Christ dans son âme. Tout en lui est plein de pureté, de modestie, d'une douce et aimable gaieté ; tout est retenu, tranquille et d'une modération ravissante. Nous en avons la preuve dans tous ceux de nos Religieux qui sont réellement pieux, constamment fervents, constamment exemplaires: la grâce de Dieu brille sur leur front, éclate dans leurs paroles, se manifeste dans toute leur conduite. On est heureux de vivre en leur compagnie ; et s'ils se trouvent en nombre dans une Maison, cette Maison. devient alors la maison de Dieu et un vrai paradis sur la terre, selon ce mot de la Sainte Ecriture: Véritablement, le Seigneur est dans ce lieu. Ceci n'est autre chose que la maison de Dieu et la porte du ciel (Genèse, XXVIII, 16, 17).

 La même remarque se fait parmi nos Enfants quand la grâce de Dieu règne dans leurs âmes : quand Jésus-Christ, vivant dans leur cœur, ajoute aux grâces ordinaires de leur âge, les charmes de son divin amour. Ces Enfants font la joie de leurs Maîtres, captivent tous les cœurs et emportent l'estime et l'affection de tous leurs Condisciples.

 Voilà pourquoi le divin Maître a un si grand désir de s'unir à nous, de vivre et de régner en nous ; voilà pourquoi il a accompli tous ses mystères : Relever l'homme, le rendre bon et parfait sur la terre ; lui apporter, même ici-bas, toute la somme de bonheur compatible avec le temps d'épreuve de la vie présente, et le préparer au bonheur souverain de la vie future.

 Mais entrons plus avant dans les profondeurs ravissantes de ce mystère de grâce et de sanctification. Telle est l'excellence de la vie de Jésus-Christ en nous, que Dieu en a fait la condition essentielle de toute prédestination : Ceux que Dieu a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils (Rom., VIII, 29); pour vivre de sa vie divine, pour n'agir que dans ses intentions divines ; de telle sorte que dans le Chrétien fidèle, tout est divinisé : pensées, paroles et actions; tout est immortalisé, tout est marqué du sceau divin de l'éternité. J'ai dit : Vous êtes des dieux (Jean. X, 34).

 Et cette divine transformation, c'est la Divinité elle-même qui l'opère, selon cette parole de Jésus-Christ lui même :-Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (Jean, XIV, 23). Nous VIENDRONS, les trois Personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit : le Père, pour le soutenir par sa puissance ; le Fils, pour l'éclairer par sa sagesse; le Saint-Esprit, pour l'embraser et le sanctifier par son amour. Donnons ici et tâchons de faire comprendre de notre mieux deux pensées également glorieuses aux trois Personnes divines, et souverainement heureuses pour le pieux Fidèle qui en est l'objet.

 La première, c'est que Jésus-Christ, comme Dieu et comme homme, a tout reçu de son Père, la divinité et l'humanité comme Dieu, toutes ses perfections incréées; et, comme homme, toutes ses perfections créées. En conséquence, il a un désir infini de le louer, de l'aimer et de le glorifier ; et, bien qu'en lui-même et par lui-même, il accomplisse ce désir avec une perfection absolument infinie, il veut encore s'associer le plus d'âmes possible, afin de le louer, de l'aimer et de le glorifier en elles et par elles, dans toute la mesure dont elles sont capables : Le temps va venir, et il est même déjà venu, où les vrais adorateurs adoreront le Père tu esprit et en vérité ; car c'est de tels adorateurs que le Père demande. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 23, 24).

 Voilà pourquoi le Fils de Dieu répand en nous ses grâces, et veut nous prêter son Cœur, nous donner sa vie, nous communiquer son Esprit, l'Esprit-Saint, qui procède de lui comme du Père, afin que ce divin Esprit forme lui-même en nous ces louanges, ces glorifications, nous y excite sans cesse et les rende aussi parfaites que possible. O Mystère, tout de gloire pour Dieu ! O Mystère, tout de salut pour l'homme ! Qui ne voit à quel degré de perfection et de sainteté il peut élever l'âme fidèle et courageuse, qui se prête et correspond à ces opérations admirables des trois Personnes divines ! Comme elle est purifiée, en elle-même et dans son corps, dans ses facultés et ses sens ! Comme elle est rendue semblable à Jésus-Christ, déifiée en lui, par la grâce de l'Esprit-Saint et pour la gloire du Père ; préparée ainsi à entrer dans la famille même de Dieu, et à jouir de la Béatitude éternelle au sein de l'adorable Trinité !

 La seconde pensée est de même ; elle nous révèle un autre mystère de grâce et d'amour, auquel nous ne pouvons nous prêter avec trop d'ardeur : c'est que le Père a mis toutes ses complaisances en Jésus-Christ ; que Jésus-Christ est le seul objet de son amour; qu'il n'aime ne goûte, n'approuve que ce que fait son Fils ou ce qui est fait par lui.

 Le Père veut donc avoir, avec son Verbe éternel et incréé, d'autres Verbes créés, qui lui ressemblent, et où il puisse prendre aussi ses complaisances, comme dans son image parfaite. Mais là encore, quelle source infinie de richesses spirituelles pour les cœurs fidèles, qui savent entrer généreusement dans ces intentions divines de l'adorable Trinité. Toute grâce excellente, dit saint Jacques, et tout don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières (Jacq., I, 17). La grâce excellente entre toutes, qui descend, qui procède du Père des lumières, c'est le Verbe éternel lui-même : Dieu de Dieu, lumière de lumière ; et cette grâce, cette lumière infinie, produit aussitôt le Saint-Esprit, l'amour vivant et substantiel du Père et d u Fils.

 C'est donc à l'imitation de cette génération éternelle du Verbe dans le sein de Dieu, de cette procession éternelle du Saint-Esprit, que nous viennent ces grâces excellentes, ces lumières divines qui nous forment à l'image du Fils et qui nous perfectionnent dans l'amour du Saint-Esprit ; qui nous font entrer encore plus dans la famille de Dieu, dans le sein même de l'auguste Trinité, selon la fin première et la règle souveraine de notre création : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; image et ressemblance tellement agrandies, tellement perfectionnées par l'Incarnation, que l'Eglise s'en réjouit chaque jour au divin Sacrifice : « 0 Dieu, qui, par un effet de votre puissance, avez créé  l'homme dans un haut degré d'excellence; et qui, par un miracle plus grand encore, l'avez rétabli dans sa dignité première, accordez-nous d'avoir part à la divinité de celui qui a daigné se revêtir de notre humanité, Jésus-Christ, votre Fils et Notre-Seigneur. »

 Qui peut dire avec quelle complaisance le Père éternel regarde une âme ainsi faite à l'image de son Fils ! avec quelle profusion il l'enrichit de ses grâces ! avec quelle infinie largesse il l'associera éternellement à l'héritage de ce Fils adorable!…

 Donc, à l'exemple du Père éternel, aimons Jésus-Christ de toutes les affections de nos cœurs, travaillons sans cesse à lui devenir semblables ; et, infailliblement, nous nous assurerons pour jamais la bienveillance infinie du Père: du Père, qui aime tellement le Fils que, pour marque de son amour, il a mis toutes choses entre ses mains (Jean, III, 35). De toute éternité, il lui confère sa propre nature et toutes ses perfections; dans le temps, il met tous ses attributs à la disposition de son humanité : sa puissance, pour faire des miracles ; sa sagesse pour enseigner les hommes ; sa miséricorde, pour pardonner les péchés ; sa justice, pour les juger, les récompenser ou les punir.

 Il faudrait des volumes pour dire l'excellence infinie de la vie de Jésus-Christ en nous, ses avantages et ses fruits i incomparables; nous les trouvons admirablement résumés dans la prière très riche et très profonde que -nous récitons chaque matin : 0 Jésus, vivant en Marie, venez et vivez dans vos serviteurs, etc. Nul doute que nous ne puissions dire de cette précieuse Vie ce que tous les Saints et tous les Docteurs ont dit de la présence de Dieu. Dieu apparaissant à Abraham lui dit : Je suis le Dieu tout puissant ; marchez devant moi et soyez partait (Gen., XVII, 1). Tous traduisent également : Marchez devant moi et vous serez parfait.

 De même, en demandant la vie de Jésus-Christ en nous, nous sommes certains que, si par la ferveur de nos prières, nous parvenons à l'obtenir, nous aurons amplement tous les fruits merveilleux que nous énumérons dans cette prière comme objet de nos demandes. Nous aussi, nous pourrons la traduire et l'énoncer avec la certitude complète d'être enrichis de toutes les grâces et de tous les dons qu'elle exprime. Oui, que Jésus vienne et vive en nous, etil nous communiquera infailliblement son esprit de sainteté avec la plénitude de sa force ; il nous conduira dans ses voies de perfection ; il nous fera pratiquer ses vertus ; il nous donnera une intime union avec lui-même dans la participation à ses divins mystères, et fera que, malgré toute puissance ennemie, son règne s'établira pleinement en nous, par la grâce de son Esprit-Saint et pour la gloire de son Père. »

 On le voit, cette courte prière nous vient, chaque matin, comme un très heureux mémorial de toutes nos réflexions. Tâchons d'y donner une très grande attention et de la faire avec beaucoup de ferveur, en nous aidant encore des considérations qui suivent. 

V. Autres considérations.

 La première nous est venue, à la clôture du mois de Marie, pendant que nous recueillions ces diverses pensées ; et elle tourne également à la gloire de Dieu et au de la vie mystique de Jésus-Christ dans nos âmes.

 Marie a donné naissance à l'Enfant-Jésus, elle l'a nourri de son lait, elle l'a élevé et elle l'a sauvé de tous les dangers qui entourent l'enfance. Or, le Verbe fait chair, qui a reçu sa vie naturelle par Marie et l'a confiée à ses soins, veut encore aujourd'hui que ses serviteurs reçoivent par Marie sa vie mystique, qu'ils la conservent et la fassent grandir par sa divine protection. « Comme la respiration, dit saint Germain, est non seulement un signe de vie, mais encore la cause de la vie; ainsi,  la fréquente invocation de Marie non seulement prouve  qu'on vit de la vie de la grâce, mais encore elle donne  cette vie et la conserve ». Quiconque donc tient à garder son âme dans la grâce de Dieu, quiconque vent assurer son salut, doit être un fervent serviteur de Marie; et nous, Religieux Instituteurs, qui avons à cœur de faire vivre Jésus-Christ dans les âmes de nos Enfants, nous ne devons jamais cesser de les porter de tout notre pouvoir à la dévotion à Marie, et de les y exercer par des pratiques constantes et journalières.

 Dans les mêmes vues, ayons à proportion la même pensée et faisons les mêmes réflexions à l'égard de saint Joseph, qui est toujours, lui aussi, le protecteur et le gardien de la vie de Jésus en nous; parce que, sur la terre, il a été associé à Marie pour protéger l'Enfant Dieu, pour le nourrir et le conserver, pour le sauver des mains d'Hérode.

 C'est sans doute à cette fin que Marie et Joseph sont tant exaltés, de notre temps, par le Vicaire de Jésus-Christ : Marie, comme la Vierge Immaculée; Joseph, comme le Patron de l'Eglise universelle. A cette heure si tourmentée, avec les épreuves nouvelles qui attendent les enfants de Dieu ; avec les dangers nouveaux et les tentations terribles qui les menacent, l'Esprit divin, qui assiste toujours la sainte Eglise, a voulu que, par ses décisions solennelles, par ses décrets souverains, la dévotion et la confiance des fidèles à Marie et à Joseph, deux Protecteurs tout puissants donnés à tous, grandissent partout en proportion des besoins.

 La seconde  considération nous est donnée par les grandes Fêtes du temps pascal et par la descente du Saint-Esprit, qui en est comme le complément.

 Jésus-Christ a accompli sa mission sur la terre, il nous a donné ses divins enseignements, il a jeté tous les fondements de son Eglise, il a institué les Sacrements, et il a établi un Sacerdoce perpétuel pour continuer son œuvre sur la terre. Tous les péchés sont expiés, la justice de Dieu est apaisée, et le trésor des mérites divins, aujourd'hui complet, est ouvert à la foi et à la piété de tous les Fidèles.

 Maintenant donc, il retourne à son Père et va prendre séance à sa droite, sur le trône éternel qui lui a été préparé. Mais qui va le remplacer ici-bas? qui va appliquer ses mérites aux hommes et les sanctifier? Jésus-Christ lui-même nous l'apprend, c'est l'Esprit-Saint, l'Esprit divin dont il disait à ses Apôtres : Il vous est utile que je m'en aille ; car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point en vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai (Jean, XI, 7). C'est le divin Consolateur que mon Père enverra en mon nom, qui vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit (Jean, XIV, 26). Le monde ne peut le recevoir, parce qu'il ne le connaît point ; mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera avec vous et qu'il sera en vous ; non, je ne vous laisserai point orphelins ; mais je viendrai à vous par mon esprit (Jean, XIV, 17, 18).

 Toutes ces promesses, qui nous révèlent les secrets du Cœur de Jésus, son amour infini pour les hommes, nous sont données et répétées par l'Evangéliste de la Charité, par saint Jean qui avait reposé sur le Cœur adorable du divin Maître. Elles se sont accomplies, dans leur plénitude, au grand jour de la Pentecôte, dans la. personne des Apôtres et des Disciples; elles ont éclaté, d'une manière admirable, dans toute la primitive Eglise, l'Esprit-Saint agissant alors et se manifestant sensiblement par des prodiges, par le don des langues et par toutes les autres merveilles qui ont marqué et assuré l'établissement du Christianisme. Mais l'action de l'Esprit-Saint, ses opérations dans les âmes, son action dans toute l'Eglise, ne sont point diminuées ; et, il faut le dire, tout le travail qu'il accomplit encore dans le monde chrétien, n'a d'autre fin que de conserver, de fortifier, de développer et de perfectionner la vie de la grâce dans les âmes, la vie mystique de Jésus-Christ dans tous les cœurs.

 L'Esprit-Saint lui-même, qui, dans le mystère de la Sainte Trinité, reçoit tout du Père et du Fils, et ne peut rien leur rendre, puisqu'il est le terme des opérations divines dans cet incompréhensible mystère, se dédommage, pour ainsi dire, dans la sanctification des âmes, en leur communiquant son amour, en les enflammant du désir de glorifier Dieu. Voilà pourquoi il a suscité tant d’œuvres dans l'Eglise : œuvres de zèle pour la conversion des âmes, œuvres de charité pour le soulagement des malheureux, œuvres de dévouement pour l'instruction de la jeunesse, œuvres de retraite et de sanctification dans les asiles sans nombre ouverts aux âmes d'élite qui veulent glorifier Dieu plus parfaitement.

 Enfin, qui pourrait dire tout ce que le Saint-Esprit a inspiré de force, de courage, d'énergie, d'héroïsme même, pour sauver la vie de Jésus-Christ dans les âmes, pour les protéger et la défendre en tout et partout? Il faudrait redire ici tous les supplices et tous les tourments des Martyrs, dont le seul récit nous glace encore de terreur. Ils ont été lapidés, dit saint Paul, ils ont été sciés, ils ont été mis aux plus rudes épreuves, ils sont morts par le tranchant de l'épée (Héb., XI, 37). L'histoire de l'Eglise n'est que comme un long récit du nombre, de la variété et de la violence des tortures exercées sur ces Héros de la foi, de tous les raffinements de cruauté et de barbarie qu'ils ont dû supporter pour ne pas perdre la grâce de Dieu.

 Il faudrait dire tout ce que les Apôtres, les Docteurs, les Prédicateurs, les Missionnaires, les Souverains Pontifes, les Evêques et les Prêtres du monde entier ont entrepris de travaux, de voyages, de prédications, d'écrits de toutes sortes, pour convertir les infidèles et les pécheurs, pour sanctifier les âmes, pour conserver en elles la vie mystique de Jésus-Christ.

 Il faudrait pénétrer encore dans les asiles de la piété et de la ferveur, du repentir et de la pénitence, et voir tout ce qu'ils ont inspiré aux âmes de courage et de force, pour pratiquer les plus difficiles vertus, pour vaincre les plus terribles tentations, afin de ne pas perdre la grâce : abandon absolu du monde, séparation absolue de la famille, clôture perpétuelle, macérations, jeûnes, prières, veilles : tout a été entrepris, pratiqué, courageusement continué jusqu'à la fin, par des personnes de tout âge, de tout sexe, de tout rang, depuis les plus hautes têtes couronnées jusqu'aux plus humbles et aux plus petits, pour abriter cette vie divine de Jésus-Christ dans leurs âmes, pour la conserver et la faire arriver, selon le mot de saint Paul, à la plénitude de l'âge parlait, c'est-à-dire, à la reproduction des plus hautes vertus et  plus grands sacrifices du Fils de Dieu fait homme.

 Nous ne donnons ici que des aperçus, des points de vue, pour réveiller le zèle de tous à étudier et à imiter les exemples des Saints, de tous les temps et de tous les lieux. Nous avons à le faire, tout particulièrement, pour proposer en exemple à nos Enfants ces Héros de la foi ; mais combien n'aurons-nous pas à en profiter pour nous-mêmes, si nous en faisons une étude constante et journalière ! En voyant à quel point tant de simples Chrétiens dans le monde, tant de bons Religieux dans les Communautés ont tenu à garder leurs âmes pures, à honorer et à glorifier Dieu dans leur corps, combien ne serons-nous pas excités à dire nous mêmes: Je veux conserver la grâce à quelque prix que ce soit ; coûte que coûte, je veux épargner Jésus-Christ en moi et je veux le sauver dans ceux qui me sont confiés. Il est nécessaire de fortifier ainsi nos âmes et d'affermir nos résolutions; car la vie de Jésus-Christ est continuellement menacée et en nous et autour de nous. 

VI. Le libre arbitre. – Le crucifiement.

 Voilà donc le mystère de l'amour de Jésus-Christ l'abîme de ses miséricordes, l’œuvre par excellence de sa tendresse ! Il n'a de joie et de bonheur qu'à vivre en nous et pour nous; il nous fait dire par son prophète que ses délices sont d'être avec les enfants des hommes (Prov., VIII, 31).

 Et s'il se plaît ainsi à habiter dans nos âmes, ce n'est que pour les embellir, les enrichir, les perfectionner, les déifier et les faire parvenir à la béatitude éternelle. Voilà pourquoi, à la grande solennité de Pâques, il veut que toute l'Eglise, qui est son corps mystique, ressuscite à la grâce, sorte, vivante et renouvelée, du tombeau du péché, en même temps qu'elle célèbre la grande merveille de son corps sacré, glorieusement ressuscité. Il se croit assez payé de toutes les souffrances et de tous les opprobres de sa Passion par cette vie nouvelle qu'il reprend dans les âmes.

 Mais pourquoi faut-il que, ne pouvant plus perdre la vie glorieuse qui lui est propre, il soit sans cesse exposé à perdre sa vie mystique qui lui a tant coûté? Oh! pouvoir redoutable du libre arbitre, qui permet à l'homme de résister à toutes les lumières et à toutes les avances de Dieu lui-même; de mépriser ses biens et de dédaigner ses promesses, d'une durée et d'une excellence infinies ; de braver Dieu, l'Etre infini, avec tous ses châtiments, d'une durée et d'une grandeur également infinies ! C'est un attentat, c'est une malice exécrable, c'est le comble de la démence et de la fureur ; mais c'est un excès qui reste toujours au pouvoir de l'homme ; car Dieu, dans sa sagesse infinie, voulant récompenser nos mérites et nos efforts, en même temps qu'il couronne ses dons, respecte toujours la loi du libre arbitre, qui est la condition essentielle de tout mérite. Et, telle est la puissance d’élection laissée à chacun, que l'homme peut à son gré, aidé de la grâce, sauver la vie mystique de Jésus-Christ en lui et se sauver lui-même par elle et avec elle ; ou, refusant la grâce, profaner et perdre cette vie divine, et en la perdant, se perdre lui-même pour l'éternité.

 Cieux, soyez dans l'étonnement sur cet horrible abus que l'homme peut faire de sa liberté !… Oui, c'est l'homme baptisé, régénéré, créé de nouveau en Jésus-Christ, vivant de sa vie, participant de sa nature, enrichi de ses grâces, appelé à sa gloire ; c'est cet homme qui, librement et volontairement, nouveau Judas, conçoit la pensée de se défaire de Jésus-Christ, arrête ce projet, en traite avec Satan : et, pire que le premier Judas, le consomme lui-même dans son propre cœur, faisant perdre au fils de Dieu la vie mystique qu'il a dans son âme, le crucifiant de nouveau autant qu'il est en lui, le couvrant d'opprobres (Héb., VI, 6) ; le foulant aux pieds, et traitant comme une chose vile et profane, le sang de l'alliance par lequel il a été sanctifié (Héb., X, 29).

 Et ce n'est pas un seul homme qui lait cet outrage à l'esprit de grâce, qui dresse en lui-même à son Sauveur ce nouveau Calvaire où sa vie mystique est horriblement sacrifiée à tout ce qu'il y a de plus abominable ; ce sont des multitudes d'hommes qui commettent cet attentat sacrilège, qui accomplissent tous les jours, à toute heure, de toutes les manières, cet affreux déicide monstrueux sans profit pour Dieu ni pour les âmes, pire par conséquent que le déicide des Juifs, qui fut le salut du monde ainsi que leur propre salut.

 Comment aimer Jésus-Christ et ne pas pleurer, gémir, verser des larmes de sang sur ces horreurs ! Comment aimer Jésus-Christ et ne pas prier, supplier, conjurer sans cesse la divine miséricorde d'avoir pitié de ces malheureux, de les amener à pénitence, afin que, par leurs larmes, leur repentir et les divins Sacrements, Jésus-Christ reprenne en eux la vie mystique qu'ils lui ont si criminellement ravie?

 Non, non, il n'est pas possible, Jésus-Christ étant notre tête, notre chef, et nous ses membres ; Jésus-Christ n'ayant, en quelque sorte, pour le défendre et le protéger contre la multitude effroyable des pécheurs, que nos larmes, nos supplications et nos gémissements : non, il n'est pas possible, si nous l'aimons, de ne pas passer nos jours et nos nuits à prier et à supplier, pour arrêter tant et de si cruels attentats commis contre sa personne adorable.

 Il n'est pas possible surtout, qu'aux prières les plus ardentes, nous n'ajoutions la vigilance la plus constante et la plus courageuse, pour protéger Jésus-Christ en nous-mêmes, contre nous-mêmes, pour ne jamais l'offenser mortellement,

 Il n'est pas possible, enfin, que nous n'ajoutions à toutes nos supplications la surveillance la plus attentive, les soins les plus assidus, les instructions et les exhortations les plus vives, tous les efforts réunis du zèle et de la foi, pour défendre la vie mystique de Jésus-Christ dans ceux qui nous approchent, qui dépendent de nous, dont nous sommes chargés.

 Oh! que ce motif bien compris serait puissant pour exciter notre zèle envers le prochain, pour soutenir notre courage dans nos propres combats, afin d'épargner Jésus-Christ en nous, selon la parole de saint Augustin, et de le défendre de toutes nos forces dans nos Enfants !

 Et ce qui doit plus encore exciter notre zèle et notre ardeur, c'est de voir avec quel acharnement, au travail divin du Saint-Esprit dans les âmes, pour y faire régner Jésus-Christ, Satan, le singe de Dieu, l'éternel ennemi du Verbe incarné, oppose son travail infernal. Menteur et homicide dès le commencement, rempli de rage contre Dieu et ses Saints, il ne s'occupe qu'à perdre, à égorger, à empoisonner, à souiller, à dégrader les âmes, à les sataniser, afin de les entraîner avec lui dans les abîmes de la damnation.

 Et le grand mal de l'heure présente, c'est qu'il fait partager sa rage et sa fureur à une multitude de malheureux qui s'acharnent comme lui à multiplier les centres de perversion, et à écarter de la jeunesse tout ce qui peut la rattacher à Jésus-Christ et à son Eglise.

 Qu'opposer à cette œuvre de destruction? L'enseignement chrétien, les pratiques chrétiennes. Apprendre à nos Enfants à préférer toujours la vertu au plaisir, l'esprit à la chair, la vie de la grâce à la vie de la  nature, le Ciel à la terre, Jésus-Christ et sa Croix au démon et à toutes ses séductions. Leur répéter souvent, avec l'auteur de l'Imitation, qu'être avec Jésus-Christ est un doux paradis, c'est-à-dire, la souveraine perfection et le souverain bonheur ; et qu'être sans Jésus-Christ est un cruel enfer, c'est-à-dire, la souveraine dégradation et le souverain malheur. 

VII. – CONCLUSIONS.

 Il est temps de tirer, pour nous-mêmes et pour nos Enfants, de bonnes et utiles conclusions de toutes les réflexions qui précèdent. 

Première conclusion.

 La première et la plus essentielle est dans ce mot du Prince des Apôtres : Soyez saints dans toute la conduite de votre vie, comme celui qui vous a appelés est saint, selon qu'il est écrit: Soyez saints, parce que je suis saint (IPierre 1, 15, 16) ; et y dans cet autre de saint Paul : C'est la volonté de Dieu que vous soyez saints, que vous vous absteniez de toutes sortes d'impuretés ; que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sanctification et dans l'honneur ; car Dieu ne nous a pas appelés pour l'impureté, mais pour la sanctification (I Thess., IV, 3,4,7). C'est la pureté intérieure et extérieure, la pureté de l'âme et du corps, que demande la vie de Jésus-Christ en nous.

 Donc, sachant que nous portons ce trésor infini dans des vases infiniment fragiles, gardons, sur toutes les facultés de notre âme et sur tous les sens de notre corps, une vigilance qui ne se démente jamais, ni le jour, ni la nuit, ni en publie, ni en particulier.

ÉVITER A TOUT PRIX LE PÉCHÉ MORTEL. 

Seconde conclusion.

 Nous savons que ceux qui se font les gardiens fidèles de la vie mystique de Jésus-Christ en eux-mêmes et dans les Enfants, s'assurent trois grandes grâces: 1° une excitation continuelle au bien, par une foi très vive, par une connaissance très savoureuse des vérités de la religion ; 2° une protection très spéciale de la grâce, qui les met à couvert de tout ce qui pourrait nuire à leur salut tant du côté du monde que du côté du démon; 3° une direction toute paternelle du bon Dieu, qui les conduit comme par la main dans le chemin du salut, adoucit les fatigues du voyage, éloigne les occasions de chute et multiplie les conseils et les lumières intérieures nécessaires pour le faire réussir.

 Donc, nous pénétrer de plus en plus de courage, de foi, de respect, de reconnaissance et d'amour, pour honorer, protéger, sauver la vie de Jésus-Christ en nous et dans les Enfants, étant assurés qu'il nous rendra infiniment plus, en grâces, en lumières, en ferveur, en bénédictions de toutes sortes; oui, infiniment plus que tout ce que nous aurons fait nous-mêmes pour lui. 

ÉVITER AVEC UN SOIN EXTRÊME LE PÉCHE VÉNIEL, SURTOUT LE PÉCHÉ VÉNIEL DE PROPOS DÉLIBÉRÉ. 

Troisième conclusion.

 Peut-être, hélas ! dans le passé, n'avons-nous pas défendu, comme nous le devions, la vie de Jésus-Christ ; peut-être, l'avons-nous tenu comme à l'étroit dans notre cœur ; peut-être même que nous l'avons plus ou moins blessé par des fautes légères ; si tant est que nous n'en soyons pas venus à le crucifier par des fautes mortelles ! …

 Donc, comme réparation, comme amende honorable pour toutes ces irrévérences, pour tous ces manquements envers cet Hôte divin de nos âmes, redoublons d'attention, de soins, de vigilance, d'efforts et de prières, pour qu'il soit en sûreté dans notre intérieur ; et, autant qu'il dépend de nous, dans tous ceux qui nous entourent. 

FAIRE UNE GUERRE CONTINUELLE AUX SIMPLES DEFAUTS, AUX SIMPLES IMPERFECTIONS. 

Quatrième conclusion.

 Le Prophète Jérémie nous assure de la part de Dieu que, si nous savons distinguer ce qui est précieux de ce qui est vil, nous serons comme sa bouche, c'est-à-dire que Dieu nous aimera comme sa bouche, qu'il nous donnera un baiser de sa bouche (Jér., XV, 19). Or, l'objet par excellence que nous devons savoir distinguer et séparer de tout le reste, c'est la vie mystique de Jésus-Christ dans nos âmes.

 Donc, compter tout le reste pour rien, comme le grand Apôtre et dire avec lui : Ces choses que je considérais comme des avantages m'ont paru, en regardant Jésus-Christ, des désavantages et des pertes. Je dis plus, tout me semble une perte, au prix de cette haute connaissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur, pour l'amour duquel je suis résolu à perdre toutes choses, les regardant comme des ordures, afin de gagner Jésus-Christ (Philip., III, 7, 8).

 Notre grand secret, pour écarter tout ce qui est vil, pour plaire à Jésus-Christ et le gagner, c'est d'OBSERVER PAR­ FAITEMENT NOTRE RÈGLE, AVEC GRAND ESPRIT DE FOI. 

Cinquième conclusion.

 Le caractère propre des Frères, l'objet tout particulier de leur mission, c'est, comme pour le grand saint Joseph, d'être les gardiens de Jésus-Christ, non de sa vie propre qu'il ne peut plus perdre, mais de sa vie mystique, de la vie de la grâce dans les âmes des Enfants: à cette heure -surtout où les impies de toutes sortes répètent plus que jamais ce cri affreux du peuple déicide: Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous (Luc, XIX,14). Nous ne voulons pas qu'on en parle, que son nom même soit prononcé.

 Donc, aujourd'hui, plus que jamais, entrer dans nos Classes, suivre nos récréations, être même au lieu de repos, comme sur un champ de bataille quotidien, où accourent les démons, où se rendent toutes les passions, où se coalisent toutes les faiblesses de l'âme avec toutes les séductions des sens, pour faire la guerre à Jésus-Christ, pour étouffer son règne dans les cœurs. Et alors, ne plaindre ni peines, ni travaux, ni forces, ni santé, ni temps, ni sacrifices, pour déjouer tant de complots pervers formés contre le divin Maître, et contre nos Enfants, dont il est seul la vie et le bonheur. 

ZÈLE ARDENT, ZÈLE TOUT NOUVEAU POUR L'ÉTUDE ET L'ENSEIGNEMENT DU CATÉCHISME. 

Sixième conclusion. – Conclusion finale.

 Toutes nos Ecoles sont en effet, comme des champs de bataille, où nos Religieux et leurs enfants se réunissent pour faire la guerre au démon et détruire son règne, pour glorifier Jésus-Christ et le faire triompher dans tous les cœurs ; mais, parmi ces Maisons ou écoles ordinaires, il en est de principales, où la Congrégation a accumulé et épuisé, bien au-delà, toutes ses ressources, ce sont nos Noviciats et nos Pensionnats.

 Après tant d'acquisitions et de constructions, après tant deréparations et d'agrandissements, ou achevés, oui commencés, ou projetés, que dire de toutes ces entreprises qui, en ce moment, surchargent de dettes toutes nos Provinces, et nous jettent nous-mêmes dans de très sérieuses inquiétudes? Une seule parole, et c'est une parole d'espérance et de confiance, savoir: que ces Noviciats et Pensionnats sont comme autant de forts avancés, créés par les sueurs et les travaux de tous, pour abriter la jeunesse, une jeunesse d'élite, et Jésus-Christ vivant en elle. Que faire donc pour mériter que Dieu bénisse toutes ces entreprises, qu'il les conserve, qu'il les développe et qu'il éteigne les dettes énormes qu'elles nous ont laissées?

 1° Faire chacun, pour soi-même et pour les Enfants, de cette grande vérité, que nous devons constamment protéger et défendre, la vie de Jésus-Christ, une pratique sérieuse, immédiate et constante.

 2° Comme conviction et comme sentiment, élever cette vérité au milieu de nous, au milieu de toutes nos Maisons, Noviciats, Ecoles et Pensionnats, à l'état de monument moral, de monument vivant et religieux, qui donne la vie à tous nos établissements, de telle sorte que, dans tous, il soit fait à la gloire de Jésus-Christ, à sa vie mystique dans les âmes, à son règne dans tous les cœurs, la part la plus large, la plus honorable et la plus sûre ; que cette vie divine, que ce règne sacré y soient défendus, y soient pratiqués, y soient honorés sans interruption et sans exception, avec un zèle et un dévouement qui ne reculent devant aucun sacrifice, devant aucune peine, qui aillent jusqu'à l'immolation complète de nous-mêmes jusqu'à l'épuisement de nos forces et de notre vie même.

 3° Dans cette noble et grande fin de nos Etablissements, trouver un motif de bonne et parfaite administration. Quel motif, en effet plus doux, plus saint, et par là même toujours paternel et toujours modéré, de bien administrer les deniers de l'Institut, de faire de justes et louables économies, et de favoriser ainsi le développement matériel de nos Maisons, si essentiellement lié au développement moral et religieux de nos enfants?

 4°Là encore se trouve un motif souverain, pour tout vrai Religieux, de désirer, de demander et de provoquer de bonnes Vocations ; de cultiver, de conserver et de perfectionner celles que Dieu nous envoie, afin de préparer des défenseurs à Jésus-Christ, de saints et zélés propagateurs de son règne dans les âmes.

 5°Quel motif, enfin, de profonde douleur, quand un Sujet vient à se rendre infidèle à sa Mission divine, à rendre inutiles pour lui-même, pour l'Eglise, pour les âmes, pour Jésus-Christ, tous les efforts et tous les sacrifices qu'a coûtés sa formation? Quelles précautions, par là même, on doit prendre pour prévenir ces lamentables défections !

 Finalement, disons et redisons que le règne de Jésus-Christ doit tout dominer dans la Congrégation : être la fin de tout, être la règle de tout, être le mobile de tout : études, sciences, arts, embellissements, commodités, enseignement, soins quelconques donnés à la jeunesse.

 Ce que le grand pape Sixte V a fait inscrire sur la colonne Vaticane, place Saint-Pierre, à Rome, il faudrait qu'on pût le dire en toute vérité de tous nos Etablissements, l'inscrire au frontispice de tous : LE CHRIST EST VAINQUEUR, LE CHRIST RÈGNE, LE CHRIST COMMANDE ; QUE LE CHRIST DEFENDE SON PEUPLE DE TOUT MAL !

 Oui, gardons en nous la vie de Jésus, défendons autour de nous la vie de Jésus ; honorons, respectons, glorifions en tous lieux et en tout temps, intérieurement et extérieurement par nos pensées, par nos paroles et par nos œuvres, la vie de Jésus dans les âmes, le règne de Jésus dans les cœurs ; et, sans nul doute, Jésus ne nous quittera point, lorsque tout le monde nous quittera ; Jésus nous ne nous laissera jamais périr; infailliblement Jésus nous défendra de tout mal, du mal souverain du péché et du mal éternel qui en est la suite, la réprobation.

 Que notre conclusion finale soit donc ce mot de l'Imitation: « Attachez-vousà Jésus dans la vie et dans la mort, et abandonnez-vous à cet ami fidèle qui peut seul vous assister, quand tous les autres vous manqueront. » 

I. – Epoques des Retraites pour 1877.

 1° Saint-Genis-Laval, Province de Notre-Dame de l'Hermitage, du dimanche 26 août au dimanche 2 septembre.

 2° Saint-Genis-Laval, Province de Saint-Genis-Laval, du dimanche 9 au dimanche 16 septembre.

 3° Beaucamps, du dimanche 2 au dimanche 9 septembre.

 4° La Bégude, du jeudi 13 au jeudi 20 septembre.

 5° Saint-Paul-Trois-Châteaux, du mardi 18 au mardi 25 septembre.

 6° Azerat, du dimanche 23 au dimanche 30 septembre.

 7°Dumfries (Ecosse), du jeudi 19 au jeudi 26 juillet.

 8°Les Frères du Cap de Bonne-Espérance font leur Retraite en juillet.

 9°, Les Frères des différentes Stations de l'Océanie font leur Retraite en juillet ou vers la Noël; c'est le cher Frère Directeur Provincial qui assigne à chaque Maison le jour de l'ouverture.

 10° La Retraite du Régime aura lieu du jeudi 25 octobre au jeudi 1iernovembre, fête de tous les Saints.

 11° Les Frères de la Province du Bourbonnais se partageront entre les deux Retraites de la Maison-Mère : la partie de la Province, distraite de la Province de Notre-Dame de l'Hermitage, avec ceux de cette Province ; et la partie, distraite de la Province de Saint-Genis-Laval, avec les Frères de cette même Province.

 12° Pour éviter l'encombrement de la Maison-Mère, il y aura une Retraite supplémentaire à Notre-Dame de l'Hermitage, du mercredi 8 au mercredi 15 août, fête de l'Assomption de la Sainte Vierge. On y appellera, par une Obédience particulière, quelques Frères des Postes.

 On doit être rendu la veille de la Retraite, arriver de jour, arriver ensemble, et se présenter ensemble aux Su­périeurs.

 Pour l'ordre des Maisons, comme pour l'ordre des Retraites, je vous renvoie aux dispositions énumérées dans la Circulaire du 29 juin 1876, et à celles des précé­dentes Circulaires qui y sont rappelées.

 Une note de la Procure de la Maison-Mère porte que, sous prétexte de commissions à faire à Lyon, un certain nombre de Frères s'y arrêtent et y laissent leurs effets. De là, viennent chaque année, surtout lorsque l'arrivée a lieu le samedi, ce qui est ordinaire, beaucoup d'em­barras et des frais considérables pour aller chercher ces effets.

 Il faut donc que les Frères qui se rendent par le chemin de fer, aient soin de faire arriver tous leurs bagages à la gare d'Oullins.

 Du reste, dit la Note, il y aurait économie de temps et d'argent, si les Frères de chaque Province avaient soin de faire enregistrer, pour la gare d'arrivée de leur Maison Provinciale respective, comme Oullins pour Saint Genis-Laval, tous les colis qu'ils ont à y envoyer.

 La Note ajoute encore qu'il n'est pas rare, pendant l'année, de trouver des Frères, forts et robustes, qui, revenant de leur poste, descendent à Perrache, et y lais­sent leur paquet, pour s'éviter la peine de le porter eux-mêmes, ou au moins de le faire porter jusqu'à l'omnibus.

 Nouveau motif de supprimer selon les décisions capitulaires, les malles, trop difficiles à porter ; et de n'avoir que des sacs, dont on peut se charger sans inconvénient, quand ils ne sont pas trop lourds.

 En général, efforçons-nous tous de diminuer le plus possible toutes les petites dépenses, comme frais d'emmagasinage et autres, qui ne profitent à personne. 

Il. – Directeurs Provinciaux. – Visiteurs.

Maîtres des Novices.

 Conformément aux dispositions arrêtées dans le dernier Chapitre Général et rappelées dans notre Circulaire du 28 octobre 1876, de l'avis des Membres du Régime, les Frères ci-après désignés sont appelés à remplir ces f onctions.

 Province de Saint-Genis-Laval : C. F. Epaphras, Directeur Provincial ; C. F. Citinus, Visiteur ; C. F. Abel, Maître des Novices.

 Province de Notre-Dame de l'Hermitage; C. F. Amphien, Directeur Provincial ; C. F. Marie-Junien, Visiteur ; C. F. Azarias, Maître des Novices.

 Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux: C. F. Ladislas Directeur Provincial ; C. F. Christophe, Visiteur C. F. Xénophon, Maître des Novices.

 Province du Nord. – District de Beaucamps, C. F. Aidant, Directeur Provincial; C. F. Placide, Visiteur; C. F. Gérald, Maître des Novices.

 District de l’Ouest: C. F. Clovis, Directeur Provincial et Maître des Novices; C. F. Placide, Visiteur.

 Province du Bourbonnais : Ç. F. Ethelbert, Visiteur, Le Noviciat étant encore à la Maison-Mère, le Frère Directeur Provincial spécial et le Maître des Novices seront nommés plus tard.

 Province des Iles. – District des Iles Britanniques et de l'Afrique -. C. F. Alphonsis, Directeur Provincial et Visiteur ; C. F. Ludovic, Maître des Novices.

 Prions tous le bon Dieu, par Marie notre bonne Mère, de bénir les nouvelles dispositions, afin qu'elles tournent à la plus grande gloire de Dieu et au plus grand bien de notre  Œuvre. Nous avons tout lieu de l'espérer, par sa bonté infinie, du bon choix des Frères nommés, et parce que ces dispositions répondent aux désirs du Saint-Siège. 

III. – Vœux.

 Selon qu'il a été réglé par le Chapitre Général, les demandes pour les Vœux nous sont arrivées avec l'avis du Frère Directeur local, et, pour la plupart, avec l'avis du Frère Directeur Provincial. C'est sur ces demandes, ainsi préparées, que tous les Frères profès de l'Institut auront à nous donner eux-mêmes leur avis, comme il est dit dans les Constitutions. L'organisation définitive des Provinces permettra de compléter ces notes, selon les prescriptions du Chapitre Général.

 Comme l'examen des Aspirants aux Vœux doit se faire avant la Retraite, les Frères qui les ont demandés, se rendront dans leur Maison Provinciale respective, trois jours avant le jour fixé pour l'ouverture de chaque Retraite : le jeudi 23 août, par exemple, pour la première Retraite de la Maison-Mère, s'ouvrant le dimanche 26; et de même pour les autres, selon le jour d'ouverture fixé. 

IV. – Vacances et sorties de Pâques.

 Les vacances de Pâques et la manière d'occuper les enfants pendant la Semaine-Sainte ontété réglées par la Circulaire du 8 avril 1870, et par celle du 8 avril 1784 s'en tenir exactement à ce qui a été prescrit tant pour les Externats que pour les Pensionnats.

 Il faut en particulier qu'on tienne absolument partout à ne faire partir les Pensionnaires que le lundi de Pâques. Les renvoyer le Samedi-Saint, c'est les exposer à offenser Dieu, ce jour même, par la violation de l'abstinence, et à passer le saint jour de Pâques, la plus grande Fête de l'année, dans la dissipation, dans des courses et des réunions toutes mondaines ; peut-être à manquer les Offices, quelquefois même la Sainte Messe. D'où il résulte trop souvent que les instructions de la Sainte Quarantaine, les fruits de la Communion pascale du Jeudi-Saint et tous les pieux exercices de la Semaine-Sainte, sont comme perdus et anéantis, en un seul jour.

 Un fervent Ecclésiastique, chargé du service religieux dans un de nos Pensionnats, combattait très fortement ce renvoi des élèves le Samedi-Saint, il en exprimait toute sa peine et témoignait les plus vives inquiétudes ; mais la coutume était là, on se crut obligé de la suivre. « Hélas ! s'écria alors le bon Prêtre,  combien il me faudra d'absolutions pour réparer tout le mal qui va se faire ! … »

 Je dois dire que ce qui a donné lieu à nos réflexions sur la vie mystique de Jésus-Christ, ce sont précisément les craintes et les inquiétudes qui nous sont venues de cette sortie du Samedi-Saint, des tristes suites qu'elle peut avoir. J'en entretenais le Régime. – On me dit de rappeler fortement les prescriptions déjà données dans différentes Circulaires.- Mais, dis-je, le rappel des prescriptions aura-t-il plus d'effet que les prescriptions mêmes ?­ Quelqu'un ajouta « Il faudrait faire appel à la conscience des Frères si la conscience parlait, ils regarderaient à deux fois, avant d'exposer leurs Enfants à offenser Dieu, et d'en prendre plus ou moins  sur eux la responsabilité.  C’est en réfléchissant à cette pensée que j'ai été amené peu à peu à vous faire les diverses considérations qui précèdent, tant en vue de ce point particulier, que pour tout l'ensemble de nos devoirs, et comme Religieux, et comme Instituteurs, la fidélité à ces devoirs n'étant possible et assurée que par la conscience et l'esprit de charité.

 Car, je me suis dit : Quand même nos Frères Directeurs réussiraient à former leur conscience sur les suites d'un acte qui, en soi, n'est pas absolument mauvais ; quand même, en invoquant une raison ou l'autre, ils se croiraient autorisés à poser cet acte, en déclinant pour eux-mêmes l'abus, parfaitement libre, qui en serait fait contre leur gré; oui, quand même ils réussiraient à abriter leur conscience sous ces règles plus ou moins sûres d'une coopération matérielle aux fautes du prochain, la charité qu'ils ont pour leurs enfants, le désir qu'ils ont de leur salut ne leur permettra jamais de les exposer ainsi, au moins un certain nombre à perdre la grâce de Dieu, par le seul motif de céder à la coutume et de contenter quelques parents. Ils comprendront les égards infinis que nous impose l'esprit de foi et de piété pour la vie mystique de Jésus-Christ dans les âmes; les précautions infinies que les délicatesses du parfait amour exigent de chacun de nous, pour la mettre en sûreté, en nous-mêmes et dans nos enfants, par tous les moyens en notre pouvoir.

 Il est certain qu'en ce point un Frère Directeur prudent et ferme pourra tout ce qu'il voudra, en prévenant à temps les Parents et les enfants, et en se faisant un devoir de conscience et de charité de ne point accorder d'exception.

 Dans l'un de nos plus nombreux Pensionnats, la sortie générale était accordée et même annoncée pour le Samedi-Saint. Sur un ordre général aussi, venu de la Maison-Mère, elle est immédiatement contremandée. Cependant, un père de famille arrive, et veut absolument avoir son enfant. – Le Frère Directeur allègue l'ordre qu'il a reçu et refuse. – Le père insiste. – Le Frère Directeur, qui ne connaît que l'obéissance refuse encore. – Alors, le père se dit le maître de son Enfant et l'emmène. – On le laisse faire. – Mais, arrivé au seuil de la porte, voyant qu'on le laisse partir, il se ravise, et, faisant rappeler le Frère Directeur : « Monsieur, lui dit-il,  puisque vous savez ainsi obéir, vous saurez élever mon Enfant, je vous le laisse.» Et il fit remonter aussitôt sa malle et remettre sa literie ; car, dans son moment d'humeur il avait tout fait enlever. 

V. ~ Confession hebdomadaire des Frères. –

Sorties et voyages. – Frères laissés seuls ou inoccupés. –

 Bon emploi du temps et bonnes études.

 L'insistance que nous mettons à propos de la sortie des Pensionnaires, sur le point capital des précautions dont nous devons entourer tous ceux dont nous sommes chargés, vise également et vise peut-être plus encore nos Frères eux-mêmes.

 Par exemple la Confession hebdomadaire de tous doit attirer notre plus sérieuse attention ; car sans elle arrivent trop souvent les Communions douteuses, les Communions embarrassées, même les Communions sacrilèges.

 Un Frère Directeur zélé et charitable, put-il attendre, sans difficulté pour lui-même, la Confession de la quinzaine, craindra toujours et craindra souverainement de l'imposer, pour ainsi dire, à ses Seconds, par son exemple  lorsque, par leur âge, par leur tempérament, par leur trempe d'esprit et de caractère, par leur degré de vertu et par tout l'ensemble de leur conduite, il voit parfaitement qu'ils ont besoin de se confesser tous les huit jours, selon la Règle. Au contraire, il fera si bien auprès d'eux, si bien auprès de M. le Curé, que la confession hebdomadaire se fera très régulièrement pour tous, à jour et heure fixes, lui-même commençant toujours le premier. On sait très bien, que, lorsque les Frères sont très exacts à se présenter, lorsqu'ils ont soin de prendre et de suivre fidèlement le jour et l'heure donnés pour la Confession, MM. les curés ont la bonté de les recevoir.

 Je laisse les points qui suivent à toutes les réflexions de nos Chers Frères Directeurs. La charité pour leurs Frères, le zèle de leur propre salut et leur amour pour Jésus-Christ leur feront comprendre sans peine avec quel soin ils doivent éviter de faire des sorties et des voyages dangereux ; de laisser un Frère seul, en proie à l'ennui, désœuvré, exposé aux mauvaises rencontres et aux plus funestes tentations ; avec quel soin ils doivent couper court pour eux-mêmes et pour leurs Frères, à tous les assauts de l'enfer, par un bon et parfait emploi du temps ; par de bonnes. fortes, sérieuses et constantes études. Qu'il me suffise de dire ici, après quarante-six ans d'expérience, que, partout et toujours, LES FRÈRES LES PLUS STUDIEUX, je les ai vus et les vois encore, sont LES FRÈRES LES PLUS PIEUX. 

VI. – Avis divers.

 1° On aura jusqu'à la fin de décembre 1877, pour achever le travail qui a été donné, dans les différentes Provinces pour la bonne préparation de nos trois cours d'arithmétique; mais il faut que les Frères qui en sont chargés, prennent occasion de ce délai pour compléter leurs recherches, pour avoir un plus grand nombre de problèmes bien choisis, et pour rédiger plus parfaitement la partie ou les parties du Cours qui leur sont confiées. C'est afin d'avoir un ouvrage plus complet et mieux approprié à tous nos besoins, que nous prenons une année de plus. Par les travaux déjà reçus, nous avons tout lieu de croire que cette prolongation de temps sera parfaitement mise à profit. Les Frères qui ont déposé leur travail, peuvent très bien le redemander, s'ils désirent encore le retoucher et le perfectionner.

 2° J'aime à croire que, depuis la réception du Calendrier Religieux, on a soin, dans tous les Etablissements, comme dans les Noviciats, de redoubler les Antiennes de l'Office, selon que le prescrivent les Rubriques de l'Eglise. A l'avenir, nous ferons en sorte d'avoir un petit carton, du format de l’Office, pour indiquer d'une manière très abrégée, ces redoublements d'Antiennes ; mais le Calendrier Religieux n'en sera pas moins continué. Nous désirons même le perfectionner d'année en année, comme il est dit dans l'Avertissement. C'est à cette fin que je vous invite à nous donner les observations et renseignements qui vous paraîtront utiles.

 3° A l'avantage de la confession hebdomadaire, nous croyons utile de rappeler, que nous avons une indulgence de sept ans et de sept quarantaines, accordée par Sa Sainteté Pie IX, à tous les Frères qui, se confessant chaque semaine, communieront dévotement le samedi et prieront aux intentions du Souverain Pontife ; et de plus, aux mêmes Frères, une indulgence plénière, le premier samedi de chaque mois.

 4° Il ne faut pas oublier que, selon le vœu et les décisions du Chapitre Général, l’œuvre du Denier de Saint Pierre doit être établie dans tous nos Pensionnats, et même autant que la prudence le permettra, dans les écoles libres et dans les écoles communales.

 Qu'on ne néglige point cette Œuvre admirable de foi, de piété et de dévouement envers le Saint-Siège Apostolique, dont la douloureuse position reste toujours la même et dont, par suite, les besoins vont en grandissant.

 A la Retraite prochaine, on remettra au Frère Procureur de chaque Maison Provinciale les sommes recueillies à cette fin ; puis elles seront centralisées par le Frère Procureur Général pour être envoyées, au plus tôt, à Notre Très Saint-Père le Pape. Nous serions tous très heureux d'avoir une bonne offrande à présenter à Sa Sainteté dans cette année bénie du cinquantième Anniversaire de sa consécration épiscopale.

 5° En se rendant à la Retraite, les Frères Directeurs apporteront le Registre dans lequel, selon un arrêté du dernier Chapitre Général, ils ont du inscrire les visites reçues pendant l'année': nom des Frères en visite, motif de la visite, s'est-elle faite avec ou sans obédience. C'est une mesure d'ordre et de discipline générale qu'il importe de mettre en vigueur. Il est nécessaire que le Régime s'assure si elle a été observée dès cette première année.

 6° Nous sommes en pourparlers avec une des plus grandes maisons de Paris pour éditer une Nouvelle Méthode d'Ecritures ; mais pour faire un Traité sérieux, nous avons besoin de connaître le plus exactement possible, et dans le plus bref délai, le nombre de cahiers que chaque maison peut écouler annuellement.

 Chaque Frère Directeur est donc prié de noter, sur le Tableau qui lui est adressé, en regard de chacun des numéros de la Méthode, dans la colonne destinée à cet effet, le nombre de cahiers portant ce numéro qu'il croira après examen fait, pouvoir écouler pendant l'année scolaire.

 Il est urgent dans l'intérêt du Traité, de ne pas apporter de retard à ce travail, et de nous expédier la feuille remplie par retour du courrier, si faire se peut.

 Inutile d'ajouter que cette Nouvelle Méthode d'Ecriture, qui ne cédera en rien, croyons-nous, soit comme gradation et disposition, soit comme gravure et qualité de papier, à celles qui ont paru jusqu'à ce jour, sera obligatoire pour toutes nos Maisons.

 N. B. – Les chiffres écrits à la main dans la colonne du cadre ci-joint, non plus que le nom de l'Etablissement écrit en tête, n'empêchent pas que cette feuille ne puisse circuler avec un timbre de deux centimes. 

VII. – Juvénats. — Vocations.

 Les trois Juvénats votés par le dernier Chapitre Général sont ouverts : le premier, à la Maison-Mère, pour les Provinces de Saint-Genis-Laval, de Notre-Dame de l’Hermitage et du Bourbonnais ; le second, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, pour la Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux et pour celle d'Aubenas ; le troisième, à Beaucamps, pour la Province du Nord et de l'Ouest.

 Les Aspirants au Juvénat pourront être reçus à douze ans accomplis, pourvu qu'ils soient en état de payer une petite pension de 250 à 300 francs pour l'année, de fournir un trousseau convenable et de l'entretenir, et qu'ils donnent de bonnes espérances comme conscience, piété et intelligence.

 A quatorze ans accomplis ou à quinze ans commencés, si la taille et l'état de santé des Aspirants, si surtout leurs dispositions morales et intellectuelles le permettent, ils seront reçus au Noviciat.

 C'est le besoin des Vocations, comme déjà nous le disions dans notre Circulaire du 16 juillet 1868, à propos d'un essai de Juvénat à l'Hermitage, qui nous fait recourir à ce moyen de recrutement, bien que l'état financier de l'Institut nous le rende extrêmement difficile en ce moment. Nous le recommandons donc à tout le zèle des Frères Directeurs et de tous les Frères, tant pour le nombre et les qualités des sujets que pour la petite pension à obtenir.

 Vous savez que les autres Congrégations enseignantes, celle des Frères des Ecoles chrétiennes entre autres, ont déjà réalisé cette Œuvre sur une grande échelle ; et que des Comités de secours ont été créés dans la plupart des Diocèses, avec l'agrément et l'appui des Ordinaires, pour la soutenir. J'ai chargé notre cher Frère Euthyme Assistant du Contentieux, d'organiser quelque chose de semblable pour nous, au moins dans les Diocèses où l'Institut compte un certain nombre de Maisons. Les Frères Directeurs voudront bien nous seconder de leur mieux dans ce travail, en nous donnant tous les renseignements qui peuvent y aider et en nous désignant les personnes aisées et bienfaisantes qu'on pourrait intéresser. 

VIII.  Défunts.

 Voici la liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 28 octobre 1876.

 

1° Frère METELLUS, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 15 novembre 1876.

2° Frère ARISTONIQUE, Obéissant, décédé à Romanèche (Saône-et-Loire), le 23 novembre 1876.

3° Frère ABONDE, Profès, décédé à la Bégude (Ardèche), le 2 décembre 1876.

 4° Frère MARIE, Stable, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 6 décembre 1876.

5° Frère FÉLIX, Profès, décédé à La Bégude (Ardèche), le 10 décembre 1876.

6° Frère LOUIS-ABEL, Profès, décédé à Sury-le-Comtal (Loire), le 18 décembre 1875.

7° Frère MARIE-GONZAGUE, Obéissant, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 17 décembre 1876.

8° Frère EUSÈBE, Profès, décédé à Firminy (Loire), le 25 décembre 1876.

9° Frère LEONARD, Novice, décédé à Viviers (Ardèche), le 20 janvier 1877.

10° Frère FOULQUES, Profès, décédé à Bougé-Chambalud (Isère), le 20 janvier 1877.

11° Frère PROSPER, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 25 janvier 1877.

12° Frère DANIEL-ERNEST, Novice, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 12 février 1877.

13° Frère GÉRONTIUS, Novice, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 20 février 1877.

14° Frère FERNANDEZ, Profès, décédé à Paris-Plaisance, le 25 février 1877.

15° Frère LOUIS-REGIS, Stable, décédé à Bessèges (Gard), le 27 février 1.877.

16o Frère GALDRY, Novice, décédé à Eyrargues (Bouches-du-Rhône), le 18 mars 1877.

17° Frère CASSIODORE, Novice, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 23 mars 1877.

18° Frère MARIE-FLORIBERT, Obéissant, décédé dans sa famille, à Saint-Bauzille-de-Putois (Hérault), le 28 mars 1877.

19° Frère HENRI-SUZON, Novice, décédé à La Bégude (Ardèche), le 28 mars 1877.

20° Frère MARIE-PHILOTÈRE, Novice, décédé à Notre-Dame-de-l'Hermitage-sur-Saint-Chamond (Loire), le 19 avril 1877.

21° Frère JOB, Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 13 mai 1877.

22° Frère MOISE, Profès, décédé à Collobrières (Var), le 14 mai 1877.

23° Frère AGRICOLA, Profès, décédé à Saint-Didier-sur-Rochefort (Loire), le 14 mai 1877.

24° Frère JEAN-LOUIS, Profès, décédé à Vernet-la-Varenne (Puy-de-Dôme), le 22 mai 1877.

25° Frère NÉMÈSE, Profès, décédé à Notre-Dame-de-l'Hermitage-sur-Saint-Chamond (Loire), le 30 mai 1877.

26° Frère MARIE-SABEL, Obéissant, décédé dans sa famille à Saint-Georges-l'Agricol (Haute-Loire), le 5 juin 1877.

27° Frère EVENCE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 13 juin 1877.

 

Parmi ces nombreux défunts nous avons deux Frères des quatre Vœux.

 Le bon Frère Marie, Membre de nos anciens Chapitres Généraux, est l'un des plus anciens Frères de la Province du Centre. La piété, la solide vertu et le constant dévouement de cet excellent Frère sont connus de tous les Frères de la Province. Déjà, il avait fait, pendant plusieurs années, la consolation du T. R. Père Colin, de si sainte et si heureuse mémoire, et l'admiration des bons Pères de Belley, où il avait débuté. Il les a portés ensuite, à un degré toujours croissant, dans les différentes Maisons de l'Institut des Petits Frères de Marie, principalement dans l'école et le pensionnat de Millery, dont il a eu la direction jusqu'en 1863.

 Les dernières années de sa vie il les a passées à la Maison-Mère, édifiant tout le monde par son assiduité aux exercices de piété, par son attention à les bien faire, et son courage persévérant à garder la vie commune aussi longtemps que ses forces ont pu le lui permettre. Sa dévotion au Chemin de la Croix a été surtout remarquable : « Point de doute, nous écrit un bon Frère d'Océanie, en apprenant sa mort, que les nombreux et fervents Chemins de Croix du bon Frère Marie ne lui aient ouvert aussitôt la porte du Paradis. »

 Nous ne dirons qu'un mot de l'excellent Frère Louis-Régis, un des anciens Frères de Viviers, décédé à cinquante-huit ans, après quarante-quatre ans de communauté. Et ce mot est celui-là même que demande le grand Pape Benoît XIV pour la canonisation d'un religieux: le C. F. LOUIS-REGIS A ÉTÉ PARTOUT ET TOUJOURS UN PARFAIT OBSERVATEUR DE LA RÈGLE. C'est le témoignage que lui rendent tous les Frères qui ont passé sous lui dans la nombreuse Maison de Bessèges, qu'il a dirigée pendant treize ans et où il est mort. Si l'on remonte dans le passé, on le retrouve également homme de Règle, Religieux exemplaire. Directeur et instituteur plein de zèle, et de dévouement : à Largentière, pendant quatorze ans ; au Cheylard, à Saint-Remèze, à Saint-Désirat pendant douze ans; et, plus tôt, à Viviers et au Noviciat de Notre-Dame-de-Bon-Secours, où il est entré en 1833.

 Dans nos Chapitres Généraux, dont il a fait constamment partie, il s'est montré également un Religieux des plus dévoués à la Règle, aux bonnes traditions de la Communauté et à tout ce qui pouvait contribuer à fortifier et à conserver parmi nous l'esprit primitif, l'esprit de simplicité, d'humilité et de modestie. Plaise à Dieu que tous nos Frères Stables, appelés, par leur quatrième Vœu, à maintenir, selon leur pouvoir, l'esprit, le but et les Constitutions de l'Institut, soient constamment fidèles à garder cet engagement sacré, comme l'ont été ces deux excellents défunts !

 Nous aurions les plus consolants témoignages à rendre de tous, même des plus jeunes, comme le bon Frère Léonard, décédé à Viviers (Ardèche), dans des sentiments si admirables de piété et de ferveur que le Chapitre et tous les habitants en ont été ravis. En le voyant expirer si saintement, son médecin lui-même tomba à genoux en s'écriant : Est-il possible de trouver tant de vertu dans un enfant de seize ans ! Mgr Bonnet, le nouvel évêque de Viviers, a bien voulu le visiter lui-même deux fois pendant sa maladie, assister à ses funérailles, et lui faire rendre tous les honneurs qu'on n'accorde qu'aux Membres du Chapitre.

 Nous devons même ajouter, en témoignage de la sainte mort dont Dieu favorise tous nos Religieux, qu'à ce point de vue, il a pour ainsi dire pris au mot le jeune Frère Aristonique, décédé à Romanéche (Saône-et-Loire).

 Aux vacances dernières, sa sortie de l'Institut était comme décidée, tellement que son Assistant ne voulut pas lui permettre d'aller dans sa famille avec l'habit religieux, attendu qu'il devait le quitter quelques jours après. La miséricorde de Dieu l'attendait là : ce refus le fait réfléchir, il demande un jour pour se déterminer; et, le lendemain, il vient dire à son Assistant : «Mon parti est pris, je suis Frère, je veux mourir Frère ; ne me parlez plus, je vous prie, d'habit séculier. »

 C'est sur cette bonne parole que Dieu l'a pris un mois plus tard, le vendredi 24 novembre ; car voici ce que m'écrit son Frère Directeur – « Vous dire, mon Révérend, combien la fin du bon Frère Aristonique a été douce et  consolante, c'est chose impossible. D'abord, il a reçu  les derniers Sacrements en pleine connaissance et avec  beaucoup de piété. Quelque temps après, le délire s'est emparé de lui et l'a tenu pendant deux heures ; mais  le calme et la connaissance lui étant ensuite complète« ment rendus, il n'a cessé de nous édifier tous par sa ferveur à répéter les actes de contrition, d'amour de Dieu  et diverses prières. A la fin, il nous a priés de réciter le  chapelet, auquel il a répondu avec une piété admirable. « A la cinquième dizaine, il nous pria de suspendre, pour dire le Souvenez-vous, faire l'acte de contrition et l'acte d'amour de Dieu. Puis, « hâtez-vous, s'écria-t-il, presque aussitôt, commencez vite les prières des agonisants, je sens que je m'en vais». Et c'est en répondant à une invocation des Litanies de Marie immaculée : PRIEZ POUR MOI ET RECEVEZ-MOI, qu'il s'est éteint douce« ment et sans efforts. — « Ah !  s'écrie ici le cher Frère Directeur,  daigne le Seigneur avoir reçu son  âme et me donner à moi-même une si sainte mort ! »

 Formons tous ce même vœu, méritons par nos bonnes œuvres et notre persévérance que Dieu l'exauce, et continuons à prier avec ferveur pour nos chers défunts, selon les prescriptions de la Règle.

 Nous avons cependant deux grandes leçons à retirer de l'accident terrible qui nous a enlevé subitement le bon Frère Jean-Louis, jeune Profès de la dernière Retraite. Il venait d'être envoyé à Vernet-la-Varenne (Puy-de-Dôme), après avoir passé quelque temps à la Maison-Mère pour refaire sa santé toujours chancelante. Je dois rendre témoignage ici à la bonne vertu de ce Frère, à son attachement à sa vocation et à ses Supérieurs, à sa conduite simple et régulière.

 Un ouvrier était à extraire de la pierre au compte et tout près de la Maison ; le Frère, sans réfléchir à rien, s'approche de lui et veut lui aider à charger un coup de mine… 0 décrets impénétrables de la divine Providence ! 0 incertitude absolue de l'heure de notre mort ! C'est là que Dieu avait fixé de toute éternité l'heure finale de ce bon Frère en ce monde !… Le coup part, traverse la main de l'ouvrier, atteint le Frère à la tête, et le laisse immédiatement sans connaissance. Pendant la demi-heure qu'il a respiré encore, il a pu recevoir l'absolution du prêtre et le sacrement de l’Extrême-onction ; mais rien n'a témoigné qu'il eût connaissance de ce qui se passait.

 Heureusement, et c'est la première leçon à recueillir, le bon Frère était prêt, il s'était confessé le samedi auparavant et avait communié le Dimanche…

 La seconde leçon qui doit également profiter à tous, c'est que nous n'avons pas à jouer avec la poudre ni à le permettre à nos enfants. On se croit habile, on donne comme sûr que toutes les précautions sont prises ; et au moment même où l'on craint le moins, ou pour soi-même ou pour les enfants, il se produit un accident affreux qui en atteint et blesse plusieurs, qui emporte quelque membre et quelquefois la vie. 

IX. – Nouvelles des Missions.

 Nous avons la consolation de vous annoncer que les chers Frères Antonio, Audry et Antonino, partis sur le Navarin, le 1ieraoût 1876, pour la Nouvelle-Calédonie, sont heureusement arrivés à Nouméa, le 6 janvier 1877, après une longue traversée de cinq mois et six jours, très bonne d'abord, et souverainement périlleuse à la fin. Le cher Frère Antonio, par une première lettre, nous en a donné le récit jour par jour jusqu'au 20 novembre 1876, jour auquel ils ont été forcés par les avaries qu'avait subies le bâtiment de relâcher à Fremantle, petite ville de trois mille âmes, à l'embouchure du fleuve des Cygnes, en Nouvelle-Australie.

 Il ne m'est pas possible de vous transcrire ici le journal très intéressant que nous a adressé le bon Frère ; il est déjà, à cette époque, de plus de 120 pages, et la relation doit aller jusqu'au 6 janvier 1877.

 Ce récit, quoique très long et très détaillé, est marqué de tant d'incidents divers, d'aperçus variés, qu'il a intéressé toute la Communauté, pendant les trois ou quatre jours qu'on a mis à le lire au réfectoire. Chaque jour, le bon Frère donne la latitude et la longitude des mers parcourues, le nombre des lieues maritimes fournies, et le degré de chaleur: longitude Ouest tout le temps, latitude Nord jusqu'au 10 septembre, et latitude Sud à partir de ce jour, où ils ont passé l'Equateur.

 Généralement, ils ont eu la sainte Messe chaque jour et, les dimanches et fêtes, elle est célébrée sur le pont pour l'équipage et pour les passagers, en tout, près de 120 personnes.

 Le temps est très beau et la santé des Frères, à part quelques jours de mal de mer pour le cher Frère Audry, a été constamment bonne.

 Avec notre Circulaire du 26 juin 1876, les bons Frères ont suivi, jour par jour, nos différentes retraites, et nous font à ce sujet les plus heureuses réflexions. Ce que nous disions dans cette Circulaire, ils l'ont réalisé à la lettre. Pendant que, tranquilles dans nos Maisons de Noviciat, nous suivions avec bonheur les exercices de la retraite, les trois Missionnaires, qui nous ont fait leurs derniers adieux le 29 juin, étaient ballottés sur l'Océan et ne manquaient pas d'unir, à l'intention de tous, leurs plus ferventes prières à tous leurs sacrifices. Qui peut douter qu'une si ardente charité et un si religieux dévouement ne soient pour beaucoup dans le succès de nos saints exercices ?

 C'est vers le 8 octobre qu'ils ont doublé le cap de Bonne-Espérance, en envoyant de cœur un salut très affectueux à leurs Confrères de la ville du Cap, qui ne se doutent probablement pas, dit le cher Frère Antonio, d'avoir à cette heure, sous leur longitude, à 140 lieues de distance, des Confrères tournoyant sur eux-mêmes toute la journée ; car, ajoute-t-il, le Cap des tempêtes est pour nous celui des calmes. Quel plaisir si, au lieu d'avoir fait notre halte à Ténériffe, on l'avait faite ici.

 Parmi les incidents qui marquent le récit du cher Frère, se trouve le trait suivant, qui témoigne admirablement de la puissance d'une âme pure sur le cœur de Dieu et de la Providence paternelle dont elle est environnée. « Un officier, dit-il, qui a fait plusieurs voyages sur mer, m'a raconté que, se trouvant dans des parages difficiles, l'officier de quart indiqua aux timoniers la route à suivre pendant une heure et s'endormit. Vers minuit, un petit enfant que les matelots aimaient beaucoup se mit à crier; et, comme il ne voulait pas se taire, sa mère ordonne à la bonne d'aller lui faire prendre l'air sur le pont. Le petit bonhomme se console, sa gouvernante le tient sur les bastingages, les matelots lui font des caresses ; mais lui est occupé de tout autre chose. Il répète sans cesse : Noir ! Noir ! là-bas ! Noir ! …

 Les matelots finissent par regarder et découvrent un rocher contre lequel ils vont droit se briser. Ils ont juste le temps de se détourner assez pour que le bâtiment passe en effleurant le terrible écueil.

 Je ne me suis pas hasardé, ajoute le bon Frère, à faire remarquer à mon raconteur athée ce qu'il y avait en cela d'évidemment providentiel ; mais on ne peut s'empêcher de croire au salut de l'équipage par le petit ange terrestre que portait le navire.

 Grande leçon pour nous tous de ménager l'innocence de nos enfants, et de n'avoir dans nos Maisons que des âmes pures et en grâce avec Dieu. Saint Ignace n'aurait pas voulu coucher dans une maison où il aurait su que se trouvait une âme en péché mortel.

 Ici, dit le Frère, le soleil passe au Nord, et l'ombre tourne au Midi ; en franchit la ligne, et c'est à peine si l'on entrevoit l'étoile polaire rasant l'horizon. « Adieu, disent les Frères, adieu constellation de la patrie, adieu ! nous ne te reverrons peut-être jamais plus ! Nous voilà sous d'autres cieux. »

 C'était le 8 septembre, Fête de la Nativité de Marie touchantes et pieuses réflexions sur la naissance de la bonne Mère, sur l'espoir qu'elle apporte au monde et sur la nécessité pour les Petits Frères de Marie de reproduire ses vertus et surtout son humilité.

 Le 13, décès subit d'un quartier-maître de l'équipage, hélas ! sans secours religieux. L'enterrement est bientôt fait. Toutes les Autorités du bord s'y trouvent, même les officiers de passage. Le cadavre, cousu dans un linge, est étendu sur une planche. Les cérémonies et les prières de l'Eglise terminées, la planche est présentée au sabord et le cadavre glisse à la mer, avec tous les projets d'établissement du pauvre défunt. Il s'était ramassé une vingtaine de mille francs.

 Ici, le Frère nous donne la navigation sur l'Océan Atlantique comme un voyage de plaisir, comparée à celle des mers australes, avec leurs grosses lames et leurs mouvements saccadés de roulis et de tangage. Là, dit-il, il y a toute une étude nouvelle à faire pour se tenir en place et garder quelque convenance dans les repas ; et encore, très souvent sur les tables où dominent les passagers non habitués à la grosse mer, on a le spectacle du vin, du bouillon, des sauces, du café, du thé, de toute la vaisselle et de tous les aliments roulant pêle-mêle à travers les jambes des convives qui maugréent contre la mer.

 Le 16 octobre, ils sont au 439 degré de latitude sud, là où commencent les montagnes mouvantes de glace, qui viennent ajouter aux dangers de la mer leurs masses énormes, à travers lesquelles il faut comme se glisser.

 Le 25 et le 26 octobre, tempête affreuse. Le bruit est tel qu'on ne s'entend plus parler, et ceux qui ont voulu braver le terrible élément et séjourner sur le pont, en sont demeurés sourds pendant plusieurs jours. Le ciel est couleur de plomb ; la lune à demi voilée, laisse entrevoir de légers nuages défilant devant elle avec une effrayante rapidité. La mer se soulève en montagnes ; un moment, nous sommes lancés sur des hauteurs démesurées, et, un instant après, nous descendons au fond des plus profondes vallées : il semble que c'en est fait de nous et de notre énorme bâtiment, frêle esquif, hélas 1 comparé aux masses énormes qui nous environnent. Nous surnageons pourtant, grâce à d'habiles manœuvres, ou plutôt à la Providence qui les seconde ; mais quels balancements affreux ! Officiers, matelots, passagers, tout le monde roule, personne ne peut se tenir debout. Dans un tel désordre, il n'y a plus de pied marin possible, selon le mot des matelots; enfin la nuit a été simplement affreuse.

 Mais, au matin, mauvaise, très mauvaise nouvelle. La tempête nous a fait la plus terrible avarie qu'on puisse imaginer. Nous n'avons plus de gouvernail, ils'est brisé vers les dix heures du soir. Notre bon aumônier vient, de grand matin, nous annoncer ce triste événement.

 Où allons-nous ? Je n'en sais rien. Nous ne sommes plus les maîtres du vaisseau, c'est lui qui gouverne, ou plutôt la Providence qui veille sur nous.

 Pendant plusieurs semaines, ces temps affreux, ces vents épouvantables sont à peine mêlés de quelques beaux jours. Il faut des efforts surhumains pour débarrasser le vaisseau des battements insensés du gouvernail brisé, donnant sur ses flancs avec un poids de plus de dix mille kilos, accrus encore de toute la furie de la tempête. Le danger était si grand que le commandant en chef ne quittait plus le pont. Il est demeuré vingt-quatre heures sans rien prendre ; et, quand sur les instances de tous, il put rentrer dans ses appartements, on le vit pleurer, ainsi que son second : mauvais signe, signe très grave, lorsque ces rudes vieillards, qui ont passé leur vie sur la mer, en viennent là.

 Cependant, à l'aide d'un gouvernail de fortune ou radeau dirigeant, qu'on est parvenu à construire, on se hâte de remonter vers l'Equateur, afin d'y trouver du calme et d'échapper à la fureur des mers australes, où il n'y a que pluies, neiges et coups de vent perpétuels.

 C'est à la prière, à leurs neuvaines répétées à sainte Anne, sur l'invitation de leur bon Aumônier Breton, et à Notre-Dame de Lourdes, que les Frères se reconnaissent redevables de leur salut.

 La nuit des Morts, nouvelle agitation de la mer, vagues affreuses se brisant contre le vaisseau avec le fracas du tonnerre. M. l'Aumônier propose des exercices pour le soulagement des défunts; ce jour même, l'Office des morts, les sept Psaumes de la Pénitence et le Rosaire; puis, tous les jours du mois, les Vêpres des Morts et le Rosaire.

 A cette protection visible de la Reine des Saints du Ciel et des âmes du Purgatoire, s'ajoute l’allégement considérable du navire, par suite de l'énorme consommation de vivres faite, pendant cent jours de mer, par près de douze cents personnes. C'est plus de 250.000 kilos, y compris le poids du gouvernail, ce qui facilite d'autant la marche du navire, malgré l'insuffisance du nouvel appareil dirigeant.

 Mais tempête encore et tempête affreuse, vers le 12 novembre. Combien, dit le Frère, nous payons cher les beaux jours que nous avons coulés sur l'océan Atlantique ! Bien des passagers, qui ne croyaient à l'existence de pareils temps que dans les livres, avouent maintenant qu'ils n'avaient jamais pensé arriver en Calédonie par des mers aussi épouvantables. La tempête continue le 13. Où en sommes-nous, dit le Frère ? Quels dangers courons-nous ? Le commandant seul le sait. Ce que nous connaissons bien, c'est que nous allons où le vent nous pousse, tour à tour dans toutes les directions ; ce que nous entendons avec horreur, c'est le sifflement sinistre de l'ouragan dans les cordages ; ce que nous voyons partout, c'est qu'on ne peut se tenir droit. Tout le long du navire est tendue une forte corde où se cramponnent les matelots pour aller où les appelle le service. Quoi qu'on puisse vous dire d'une tempête en mer, vous n'en aurez jamais l'idée sans l'avoir éprouvée.

 Midi. La tempête continue, il semble que nous soyons livrés à quelque mauvais génie se plaisant à nous secouer cruellement. Quatre heures du soir, pas de changement. On voudrait diriger la marche du navire vers l'Australie, mais inutile, notre gouvernail est trop faible, l'orage nous a vite fait sentir qu'il est maître de nous.

 Un mot du commandant rend la situation : « Notre vaisseau est en république. » Il faut lui faire des concessions; il fait un peu ce qu'il veut. Il va souvent à l'ouest lorsqu'on veut le faire aller à l'est: image trop réelle de certains Etats où tous veulent être maîtres. Mais que c'est triste, dans les solitudes de l'Océan, de ne pas savoir où l'on va !

 Enfin, après avoir erré plus ou moins de temps à l'aventure, ils arrivent, comme nous l'avons déjà dit, le samedi 18 novembre, à Fremantle, où se trouve une église catholique très propre, un excellent curé et, depuis vingt ans, un couvent de Sœurs françaises, faisant la classe à de nombreuses enfants, parfaitement tenues.

 loi, pour ne pas allonger outre mesure cette lettre, je passe sur les incidents du voyage de Fremantle à Nouméa ; ils n'ont rien, d'ailleurs, de trop particulier.

 La Providence, la bonne Mère aidant, a voulu que nos trois Frères Missionnaires arrivassent dans la colonie et missent pied à terre le samedi 6 janvier, fête de l'Epiphanie. Le cher Frère Antonio raconte avec bonheur l'excellent accueil, l'accueil tout cordial qui leur est fait par leurs Confrères, son voyage autour de l'île, sa nomination comme Directeur, avec le cher Frère Audry pour second, au nouveau poste de Canala, station qui possède déjà une fort belle maison d’école, et une jolie petite église. C'est à des enfants noirs, dont la plupart sont encore païens, qu'ils vont avoir affaire ; mais nous avons su, par de nouvelles lettres, qu'ils en sont fort contents. Le cher Frère Antonino est resté à Nouméa, pour la quatrième classe. 

Départ de six nouveaux Frères.

 D'abord, je transcris ici la lettre d'appel envoyée à chacun d'eux. Elle vous donnera à tous les heureuses nouvelles qu'elle portait à nos nouveaux Missionnaires, et nous dirons ensuite avec quelsaint courage ils ont accepté, sur notre simple invitation.

 Saint-Genis-Laval (Rhône), le 1ierfévrier 1877.

        MON CHER FRÈRE,

 « Je viens vous faire part du choix qui a été fait de vous, par la volonté de Dieu et pour sa plus grande gloire, en Conseil du Régime, pour faire partie du prochain départ pour la Mission de la Nouvelle-Calédonie.

 « Le bon Dieu continue à bénir cette Mission et les autres, d'une manière extraordinaire. La santé, le courage et le contentement des Frères se soutiennent, malgré leurs travaux et toute la chaleur du climat. Leurs écoles s'augmentent et se multiplient, et les locaux se poursuivent et s'achèvent dans de bonnes conditions. Les Autorités coloniales, M. le Gouverneur principalement, leur sont généralement très favorables. Tout récemment M. le Gouverneur a exigé, comme d'autorité, qu'on lui donnât deux nouveaux Frères pour Canala; et c'est sur sa demande expresse que S. E. Monsieur le Ministre de la Marine, par sa lettre du 25 janvier, nie prie encore de mettre quatre nouveaux Frères à sa disposition pour la fin de ce mois. Ils doivent s'embarquer à Bordeaux avec 12 Pères et Frères Trappistes, 2 autres Frères Maristes, déjà retenus par MgrVitte, et 2 Religieuses, sur Le Bossuet, navire de la maison Tandonnet.

 « D'autre part, la protection de MgrVitte et ses bontés paternelles sont de plus en plus acquises à tous nos Frères, et il en est de même de tous nos bons Pères employés dans la Mission. C'est par suite de cette bienveillance toute paternelle que Sa Grandeur a voulu avoir un certain nombre de Frères, entièrement au compte de la Mission, indépendamment de ceux qui sont demandés et entretenus par le Gouvernement Colonial.

 « Enfin, Dieu veut encore que nos Missions d'Australie et de Nouvelle-Zélande se développent très heureusement et très rapidement. Voilà quatre Ecoles ouvertes à Sydney, deux propriétés achetées et payées par la Province Océanienne et une Maison de Procure, de Retraite, de Noviciat et peut-être de Pensionnat, en construction, tout près de Villa-Maria, Procure générale des Pères de la Société de Marie. De plus, grâce à Dieu, nous venons d'apprendre l'heureuse arrivée des bons Frères Antonio, Audry et Antonino, malgré d'affreuses tempêtes et la perte même du gouvernail de leur bâtiment.

 « C'est donc, mon cher Frère, à ces Missions lointaines, si évidemment bénies de Dieu que, selon votre désir tant de fois et si ardemment exprimé, vous êtes appelé à apporter votre concours. C'est là que Dieu vous invite à user le reste de vos forces et de votre vie pour sa plus grande gloire et pour le salut des âmes.

 « Toutefois, je ne puis, malgré toutes ces bénédictions et protections, si visibles de la divine Providence, vous dissimuler les peines, les sacrifices, les croix et les épreuves de toutes sortes qui vous attendent : abandon du pays et des parents, séparation des Confrères d'Europe et des Supérieurs, longueur et dangers d'une pénible traversée, nouveauté et chaleur excessive du climat, incertitude et difficulté des positions et des emplois; ignorance, grossièreté, et souvent vice et désordre presque publics de populations ou hérétiques ou païennes, ou à demi chrétiennes ; scandales et dangers plus ou moins prochains, contre lesquels on n'a pour garantie qu'une prière continuelle, une ferveur soutenue, un courage et une vigilance qui ne se démentent jamais.

 Enfin, un Frère Missionnaire doit s'attendre à tout comme épreuves ; de même que, s'il est fidèle, il peut et doit compter sur des grâces et une Providence si spéciales, que rien ne saurait lui nuire ni le perdre.

 « Cela étant, et tout examen fait devant le bon Dieu, dites-moi, par le retour du courrier autant que possible, si je puis compter sur vous pour ce départ. Il faut que le cher Frère Assistant vous remplace immédiatement, et que vous vous rendiez au plus tôt à la Maison-Mère pour les habits particuliers qu'on doit vous faire, et pour les autres préparatifs. Je sais que vous serez heureux de me dire OUI. Je vous dis donc aussi : Au revoir et bon courage. »

 La bonne parole que je demandais, ce OUI généreux sur lequel je comptais, ne s'est point fait attendre. Les six Frères ont répondu, par le retour du courrier, et ont accepté, sans la moindre hésitation, l'appel, parfaitement libre néanmoins, des Supérieurs. Ils l'ont accepté d'abord, puis ils l'ont accompli, après avoir lu en détail le long récit du bon Frère Antonio sur les affreux dangers qu'avaient courus leurs trois devanciers. Ce courage ce dévouement héroïque nous a tous profondément consolés et édifiés, et j'espère qu'il sera d'un très bon exemple pour tous ceux qui aspirent à marcher sur les traces de ces bons Frères.

 La cérémonie des adieux s'est faite à la Maison-Mère le 27 février. Elle s'est renouvelée, le surlendemain, 22 mars, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, où j'ai accompagné nos chers Missionnaires. Mais les bons Frères de cette Maison, qui la voyaient pour la première fois, ont voulu y donner un éclat extraordinaire. Réception solennelle à la cour d'entrée, au chant du Salve Regina et de l'Ave Maris Stella ; défilé au milieu d'arcs de triomphe et par les corridors tout enguirlandés. Le lendemain, grande Fête à la Chapelle et même au réfectoire ; cordial embrassement et Salut magnifique.

 Voici les noms de ces six Frères et leur organisation religieuse pendant la traversée :

 1° F. Constancien, né Imbert Henri Paul, à Saint-Sernin, diocèse de Viviers, 39 ans d'âge, 24 ans de Communauté, Directeur.

 2° F. Cérin, né Rebaud Jacques, à Saint-Just-Malmont, diocèse du Puy, 35 ans d'âge et 19 ans de Communauté, Sous-Directeur.

 3° F. Bellinus, né Bouillier Jean-Baptiste, à Roche, diocèse de Grenoble, 42 ans d'âge et 25 ans de Communauté, Econome.

 4° F. Adolémus, né Bruyat Michel, à Coublevie, diocèse de Grenoble, 37 ans d'âge et 19 ans de Communauté.

 5° F. Ingène, né Serret, à Saint-Etienne-de-Fontbellon, diocèse de Viviers, 30 ans d'âge et 10 ans de Communauté.

 6° F. Victrice, né Duvergier François, à Saint-Nicolas-des-Biefs, diocèse de Moulins, 37 ans d'âge et 15 ans de Communauté, chargé, sur sa demande, du soin du temporel.

 Ces bons Frères, sous la conduite du cher Frère Norbert, Assistant, se sont embarqués à Bordeaux, le 16 mars dernier, occupant ensemble deux cabines, en première classe, au compte du Gouvernement, après avoir fait ensemble un pèlerinage à Notre-Dame-de-Lourdes, et avoir recommandé à Marie Immaculée, avec tous les besoins de l'Institut, leur longue traversée et leurs travaux dans la Mission.

 Nous avons eu de leurs nouvelles par une lettre qu'ils nous ont adressée de Ténériffe, où ils ont touché quelques heures. Ils allaient bien à ce moment, sauf le cher Frère Constancien, qui se trouvait pris de douleurs rhumatismales. Tous aussi, le malade surtout, étaient l'objet des soins les plus attentifs de M. le Commandant; et on donnait l'assurance au malade qu'en avançant vers la Ligne, il serait infailliblement délivré de ses douleurs.

 Ces jours-ci, le cher Frère Séverin, Directeur à Saint-Benin-d'Azy (Nièvre), et ancien Directeur du cher Frère Victrice, nous a fait part du bruit qui courait dans le pays, que le Bossuet avait fait naufrage. M. Tandonnet, de Bordeaux, auquel nous avons télégraphié immédiatement, nous a répondu par le télégraphe : « Fausse nouvelle. Le Bossuet marche très bien. »

 Continuons donc tous à prier pour ces bons Frères surtout dans les Maisons du Noviciat, où l'Ave Maris Stella se dit, tous les jours, à leur intention, à la visite de onze heures et demie, et se continuera jusqu'à la fin du mois d'août prochain. 

XI. – Neuvaine et prières préparatoires.

 Après l'instruction sur la vie de Notre-Seigneur dans les âmes, et sur le soin que nous devons apporter tous à la protéger en nous et dans nos Enfants, rien de mieux que de nous appliquer de toutes nos forces et d'employer nos Retraites prochaines à demander un grand ESPRIT DE Foi. C'est l'esprit de foi qui nous fera comprendre et réaliser courageusement et constamment toutes les conclusions pratiques que nous avons tirées de cette grande vérité. C'est l'esprit de foi qui nous faisant entrer dans la pensée du Prophète Jérémie, nous apprendra à séparer ce qui est vil de ce qui est précieux; c'est-à-dire, à tout sacrifier et à tout endurer plutôt que de nous exposer à blesser la vie mystique du divin Maître dans nos cœurs, ou à souffrir qu'elle soit profanée ou même en danger, par notre faute et notre négligence, dans nos Maisons.

 L'esprit de foi, si nous l'avons à un degré même ordinaire, nous fera surtout éviter, et éviter à jamais, l'épouvantable condamnation dont le grand Apôtre menace tous ceux qui ne savent pas faire le discernement du corps de Jésus-Christ et le reçoivent indignement.

 Nous ferons donc, dans cette vue, avec toute la ferveur possible, nos prochaines Retraites. Dès ce moment même, nous nous attacherons à demander l'esprit de foi comme le premier moyen pour les bien faire, et nous nous adresserons tout particulièrement à notre puissante Protectrice, la divine Marie, à l'occasion de notre Fête patronale, la grande Fête de l'Assomption. La Neuvaine préparatoire sera à cette même intention.

 1° Trois Ave Maria, après le Salve Regina du matin.

 2° Après la prière du soir, avant le Sub tuum, nous réciterons, de notre mieux, la belle Oraison, pour invoquer en nous la vie de Jésus : 0 Jésus vivant en Marie, venez, etc.

 3° S’offrir souvent, pendant la Neuvaine et tous les jours, chacun en particulier, au Verbe éternel, pour être l'adorateur en esprit et en vérité de son divin Père, selon que nous l'avons expliqué dans l'instruction. Se servir, à cette fin, des dernières et magnifiques paroles du Canon de la Messe: «Que par Jésus-Christ, notre souverain Médiateur, et avec Jésus-Christ notre parfait Modèle, et en Jésus-Christ, notre adorable Chef, tout honneur et toute gloire vous soient rendus, ô Dieu, Père Tout-Puissant, en l'unité du Saint-Esprit: dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »

 S'offrir de même au Père Tout-Puissant, pour être l'image fidèle, la copie vivante de son Verbe éternel fait chair, et lui en demander la grâce par quelques courtes et ferventes invocations.

 Pendant l'Octave, on récitera, le soir, avant la prière, le Veni Creator et trois Ave Maria, à la place du Veni Sancte Spiritus, pour demander la grâce de bien faire la Retraite.

 La présente Circulaire sera lue, en Communauté, à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle, et une fois de plus, au réfectoire, dans les Maisons de Noviciat.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph,  Mes très chers Frères,  Votre très humble  et très dévoué Frère et serviteur,

                            Frère Louis-Marie.

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