Circulaires 127

Louis-Marie

1878-01-17

: 4ièmeCirculaire sur l'Ecole de Pontmain ou Ecole de Simpli­cité. - Souhaits de bonne année. - Instruction sur la Simplicité. - I. Nature de la Simplicité, simple, sans pli, sans duplicité. - II. Excellence de la  Simplicité chrétienne. - III. Autres considérations ou la pra­tique de la Simplicité puisée dans la Sainte Trinité elle­ même. - IV. Pratique de la Simplicité étudiée en Jésus­-Christ, Dieu et homme; étudiée en Marie, dans les Apôtres et tous les Saints. - 1. Fruit de science, la science des Saints. - II. La Simplicité, source de la force et du  vrai courage. - III. La Simplicité, source de joie et de paix, gage et facilité incomparables du salut. - Autre pensée. - IV. La Simplicité, source de prospérités même temporelles, s'allie très bien avec le mérite et les talents. - V. La  Simplicité opposée à la duplicité. -VI. Conclusions. - 1. Simples d'esprit. - IL Simples de cœur. III. Simples de  caractère. - IV. Simples en tout. V. Simples surtout dans la piété. -Lettre du V. Père Champagnat et Commentaire Avis divers. - 1° Juvénats. - 2° Procure générale. - Procures provinciales. -3° Défunts. - Décès du Frère Hilarion. - 4° Vœux. - 5° Volume des Circulaires. -Encore quelques mots sur la Simplicité. - Décès de N. T. S. P. le Pape Pie IX.

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51.02.01.1878.1

 1878/01/17

V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval (Rhône), le 17 janvier 1878.

7° Anniversaire de l'Apparition de la Sainte Vierge à Pontmain.

       MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 En retour de vos souhaits de bonne année, et comme préambule à cette Instruction, je vous transmets à tous les vœux et les pensées que j'ai exprimés, au premier jour de la nouvelle année, à la Communauté de la Maison-Mère, au nom de tout le Régime, et que j'ai envoyés par écrit, le lendemain, à nos Maisons de Noviciat et à quelques autres.

     « Etendant nos vœux à toute l'Eglise, à toute la Congrégation, à toutes nos familles et à tous nos Enfants, nous avons conjuré le Seigneur de refouler Satan au fond des enfers, et de nous délivrer tous de ses embû­ches, et des embûches de la chair et du monde ; nous ayons supplié les bons Anges, dans cette année qui com­mence sous leurs auspices (un mardi),d'habiter parmi dans la paix ; enfin, nous avons de toute notre âme que la bénédiction du bon Dieu soit à jamais sur nous tous, sur nos œuvres et sur tous ceuxqui nous sont chers.

 « Une pensée sainte nous avait été donnée à la méditation du matin, je l'ai répétée à tous, comme le programme, le bouquet spirituel de toute cette nouvelle année : Renoncer, dit St. Paul, à l'impiété et aux passions du monde, pour vivre dans le siècle présent, avec sobriété, avec justice et avec piété, SOBRE, ET JUSTE, ET PIE (Tite, II, 12).

 «Avec sobriété, pour régler nos passions, nous mortifier et rester maîtres de nous-mêmes ;avec justice, pour rendre à nos Frères et au prochain, tous les devoirs de justice, de charité, de bon support et de dévouement que demande l'esprit chrétien ; avec piété, pour honorer Dieu, l'aimer, le servir et nous rendre très fidèles à nos prières de Règle et de dévotion.

 « La prière ! ah ! c'est le troisième Avis, c'est le cri de salut que je rappelle à tous, et qui doit retentir dans toutes nos Maisons et se répéter sans cesse, pendant toute cette année. Le Roi-Prophète nous l'a dit : Notre secours est dans le nom du Seigneur, et il n'est que là ; aujourd'hui, plus que jamais,tous les secours humains faisant défaut ; mais en Dieu il est infaillible, en Dieu qui a lait le ciel et la terre (Ps., CXXIII, 8).

 « Donc, empruntons au même Prophète ce cri, cette prière tant recommandée et si bien pratiquée par tous les Pères de la solitude :O Dieu, venez à mon aide ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir (Ps., IXIX, 1).

 « Nous l'avons sept fois le jour à l'Office de la Sainte Vierge ; mais ce n'est pas seulement sept fois qu'il faut la redire, c'est septante fois sept fois, c'est-à-dire, TOUJOURS, selon le mot de l'Evangile.

 « Nos bons Pères Aumôniers nous disaient à ce sujet : « Vous avez de nombreux Novices dans vos Noviciats, de nombreux Juvénistes, tous âmes simples et innocentes ; dont la prière est toute puissante auprès de Dieu » (Jacq., V, 16); vous avez dans vos Ecoles près de cent mille Enfants !… Quel beau concert de prières vous pouvez offrir à Dieu chaque jour ! Quel puissant secours à vos œuvres, à l'Eglise, au pays, à tous et à  tout ! »

 « Comprenons cette vérité, M. T. C. F., comprenons la surtout dans nos Maisons de Noviciat et même de Pensionnat ; et sachons, partout et tous les jours, nous servir de cette arme puissante que Dieu lui-même nous met entre les mains.

 « C'est la grande recommandation que j'ai faite à la Maison-Mère et que je vous refais ici à tous. Chaque matin, l'Acte de Demande de notre prière vocale nous la rappellera : Vous connaissez ma faiblesse et mes  besoins, ô mon Dieu; je n'ai rien de moi-même et je ne puis rien sans le secours de votre grâce ; aidez-moi et fortifiez-moi pour éviter le mal que vous défendez et pour pratiquer le bien que vous attendez de moi. »

  « Jamais la prière ne nous fut plus nécessaire ; il faut qu'elle soit notre sûreté, notre consolation, notre richesse spirituelle et même temporelle, tous les jours et à tous les instants de cette nouvelle année.

 « Recevez, Mon Cher Frère Directeur, pour vous et pour toute votre Communauté, avec ces vœux et ces avis, la nouvelle assurance, etc. »

 C'est à la suite de ce petit mot sur la prière que je place l'Instruction que je vous ai annoncée, le 6 juin 1874,sur la Simplicité chrétienne, et qui doit compléter et terminer les trois Circulaires que vous avez reçues sur la prière, à l'occasion de l'Apparition de la Sainte Vierge à Pontmain.

 Il faut le dire, l'année 1878 devant être, comme nousl'avons fait remarquer, une année d'humbles et ardentes prières, l'Instruction sur la Simplicité chrétienne ne saurait venir plus à propos ; car c'est une vérité certaine que Dieu ne sait rien refuser à l'âme simple et humble qui leprie. Sur qui jetterai-je les yeux, demande-t-il par Isaïe, sinon sur le pauvre, le tout petit pauvre (PAUPERCULUM), qui a le cœur brisé et humilié, et qui écoute mes paroles avec crainte et tremblement? (18., LXVI, 2). Et, ajoute le Roi-Prophète, le Seigneur exauce les désirs des pauvres, et il entend jusqu'à la préparation de leur cœur (Ps., X, 17).Telle une mère se plaît à tout accorder aux larmes et aux cris d'un enfant bien-aimé; telle, et infiniment mieux, la bonté de Dieu a comme un faible pour la prière de l'homme, quand elle part d'un cœur droit et d'un esprit humble, simple et soumis: La prière des humbles et des miséricordieux, dit le livre de Judith, vous a toujours été agréable, ô mon Dieu 1 (Jud., IX, 16). La prière de l'homme qui s'humilie pénétrera jusqu'au ciel (Eccl., XXXV, 21).

 C'est d'ailleurs et c'est évidemment, comme nous l'avons fait remarquer dans la Circulaire du 6 juin 1874, le caractère tout particulier que la divine Marie a voulu imprimer à la Croisade de prières qu'elle est venue nous demander, en se montrant aux enfants de Pontmain. Allons donc, tout de nouveau, et allons avec bonheur à sa céleste Ecole, pour étudier de notre mieux la belle vertu de Simplicité chrétienne. Il est certain que si Dieu nous éclaire sur l'excellence et sur le prix de cette admirable vertu, nous en serons ravis; nous ne pourrons manquer de la prendre tout particulièrement en estime et en affection, et de travailler, de toutes nos forces, à l'acquérir.

 Nous dirons d'abord quelques mots de sa nature nous en rechercherons ensuite l'excellence en Dieu lui-même, en Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait chair, en Marie et dans tous les Saints; puis, il nous sera facile de déduire de là les fruits merveilleux qu'elle produit dans les âmes. Prions Dieu de nous faire goûter et pénétrer ces différentes considérations; car, s'il est vrai de dire que les choses divines, pour être appréciées, n'ont besoin que d'être connues, il faut dire aussi que, parmi les choses divines, la Simplicité tient le premier rang: étant en Dieu, comme dans sa créature, dit le Père Grou de la Compagnie de Jésus, la source, le principe et le comble de toute perfection. 

1. – Nature de la Simplicité.

 SIMPLE, sans pli, sans duplicité.

 1° On appelle SIMPLE, dit saint Clément d'Alexandrie, celui qui agit sans ruse et sans fraude; qui est éloigné de toute dissimulation et dont l'esprit est juste et droit. La Simplicité n'admet pas de détour dans les pensées ni de perversité dans les affections. Toujours animée de bonnes intentions, elle est constante et uniforme dans sa conduite ; et, dit saint Thomas d'Aquin, telle elle est au dedans, telle elle se montre au dehors ; C'est, à l'intérieur, un esprit qui ne voit que Dieu, un cœur, une volonté qui ne veut que Dieu ; et c'est, à l'extérieur, un langage et une conduite toujours conformes à ces dispositions.

 2° L'Auteur de l'Imitation, au Chapitre IV du Il° Livre, nous fait connaître, en quelques mots, d'une manière très précise, la nature de la Simplicité chrétienne, essentiellement basée sur l'humilité et sur la pureté de cœur. « L'âme chrétienne, dit-il, a deux ailes pour s'élever de la terre, la Simplicité et la Pureté. La Simplicité doit être dans l'intention, et la Pureté dans  l'affection. La Simplicité tend et aspire à Dieu, la Pureté l'embrasse et le goûte. » Au III° Livre, Chapitre XL111, faisant parler l'Epoux céleste, il explique encore cette pensée : « C'est moi, dit Jésus-Christ, qui  apprends à l'âme simple et humble à fouler aux pieds  tout ce qui est dans la terre, à mépriser tout ce qui  est présent, à ne rechercher que les biens du Ciel, à « ne goûter que l'éternité ; à fuir les honneurs, à espérer en moi seul, à ne désirer rien hors de moi, à  m'aimer ardemment et plus que toutes choses. »

 Mais ce qu'il importe de remarquer ici, c'est que la Simplicité repose nécessairement sur l'humilité, c'est-à-dire : 1° sur la connaissance de soi-même, qui fait qu'on se méprise et qu'on se hait ; 2° sur la connaissance de Dieu, qui fait que, n'aimant, n'estimant, ne désirant que Dieu, ou pour Dieu et selon Dieu, on ramène toutes choses à l'unité, ou à l'humble Simplicité.

 Il faut de même que la Simplicité soit toujours revêtue d'innocence, toujours unie à la pureté de cœur; c'est-à-dire qu'elle exclue toute ruse, toute malice, toute méchanceté et perversité.

 De la Simplicité on peut dire, comme de la charité, qu'elle est patiente, qu'elle est douce et bienfaisante ; qu'elle n'est point envieuse, qu'elle ne s'enfle point d'orgueil ; qu'elle ne se pique et ne s'aigrit point, qu'elle ne pense point le mal. Comme la charité, elle se réjouit de la vérité, elle supporte tout, elle croit tout, elle espère tout, elle souffre tout (I Cor., XIII, 4,5, 6, 7).

 Aussi, si la Simplicité doit reposer et s'appuyer sur l'humilité, sur la pureté et sur toutes les vertus, comme sur son fondement propre, son fondement solide, il faut dire également que, pour arriver à leur perfection, toutes les vertus doivent être couronnées par l'humble et innocente Simplicité. Ainsi l'humilité elle-même ne saurait être parfaite, si elle n'est simple, modeste, franche, sincère. Et de même pour la charité, de même pour l'obéissance, de même pour la foi et pour toutes les autres vertus.

 Oh ! que ces trois mots : humble et innocente Simplicité disent de choses ! qu'ils sont riches en fruits de salut ! La suite de cette Instruction nous en convaincra.

 3° Puisque nous sommes à l'Ecole de Marie, pour mieux connaître la nature et la pratique de la belle vertu de Simplicité, profitons de la circonstance particulière que choisit la divine Mère pour nous donner ses leçons. C'est le mois de la sainte Enfance de Jésus; et, conséquemment, c'est auprès de sa Crèche que Marie nous convie comme à l'école la plus parfaite de l'humble et innocente Simplicité, de la sainte Enfance Chrétienne.

 Et, en effet, quelle Simplicité admirable dans l'Enfant-Dieu, qui descend, des hauteurs de sa gloire infinie, dans les profondeurs et les anéantissements de notre pauvre humanité !

 Plus tard, Jésus-Christ lui-même nous donnera la Simplicité comme la condition essentielle du salut, comme la source d'une très haute prédestination : Je vous le dis en vérité, si vous ne changez et si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez point dans le royaume du ciel (Math., XXII, 5). Voilà le salut et sa condition indispensable. La haute prédestination, l'élévation dans la gloire vient immédiatement après, et elle est au même prix ; car, ajoute le divin Maître, quiconque se rendra petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume du ciel (ibid. 5).

    Mais quel est ce petit enfant que Jésus appelle et qu'il met au milieu de ses disciples (ibid. 2); qui représente-t-il, sinon l'Enfant de Bethléem, le Verbe de Dieu fait chair? (Jean, 1, 14). Ah ! Ah ! c'est lui seul qui nous donne le modèle de la parfaite humilité et Simplicité à laquelle nous devons tendre ; lui, qui, de grand se fait petit ; de riche, pauvre ; d'éternel, enfant d'un jour ; de Dieu, homme faible et misérable ; lui, qui, dans ce mystère d'amour et d'anéantissement, ne veut en lui-même et autour de sa Personne divine, qu’Humilité, Simplicité, Modestie !

  Quelle humilité, quelle Simplicité, en Marie et en Joseph, les deux plus grands personnages qui soient sur terre, et qui acceptent, sans mot dire, les rebuts, les mépris de tous les habitants de Bethléem ! Quelle Simplicité dans le logement : une pauvre étable, délabrée, humide, ouverte à tous les vents ; un lieu abandonné et désert ! Quelle Simplicité dans les premiers adorateurs du Dieu naissant! d'humbles et de pauvres bergers, auxquels l'innocence et la Simplicité de leur état méritent la visite des Anges et la première manifestation du Dieu fait homme.

 Voici que je vous annonce une grande nouvelle, dit l'Ange ; c'est qu'aujourd'hui, il vous est né dans la ville de David un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur (Luc, II, 10, 11.). Et admirez l'étonnante Simplicité des signes auxquels ils doivent le reconnaître : Et voici à quoi vous le reconnaîtrez : Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche (Luc, II, 12).

 Mais, parce que les grandeurs célestes, les seules réelles, s'allient toujours à l'humble Simplicité, voyez aussitôt, à côté de ce prodigieux abaissement, les splendeurs divines qui viennent et le relever et le récompenser : Au même temps, une troupe nombreuse de l'armée céleste se joignit à l'Ange, et ils se mirent à  louer Dieu disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc, 11, 13, 14).

 Même leçon, quelques jours après, dans la Simplicité de la foi et de la piété des Rois Mages : Nous avons vu son étoile en Orient, disent-ils, et nous sommes venus pour l'adorer. Telle est la promptitude et la Simplicité de leur foi, que rien ne les rebute, rien ne les arrête : ni la disparition de l'étoile, ni l'insensibilité des Juifs, ni la fourberie d'Hérode. Ils voient la pauvreté de la Crèche, la pauvreté de l'étable, la pauvreté de Marie et de Joseph ; ils voient la pauvreté, le dénuement, l'abandon général, l'isolement absolu où est laissé l'Enfant-Dieu ; et leur foi, dans son admirable Simplicité, ne fait que grandir par les obstacles mêmes. Ils entrent dans la pauvre étable, ils oublient leurs titres de Rois et de Princes, ils tombent à genoux : Et, dit l'Evangile, étant entrés dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec Marie sa mère ; et, se prosternant, ils l'adorèrent (Math., II, 11).

 Combien ces souvenirs, ces vues si simples de foi et de piété nous saisissent fortement, dans cette grande nuit de Noël ! Avec quelle ardeur, en recevant l'Enfant-Dieu, à l'heure même de sa naissance si simple et si humble, on se sent porté à lui demander cet amour pur et droit qui détache de tout, pour ne nous attacher qu'à lui seul ; ce mépris des biens, des jouissances terrestres, des vains honneurs de ce monde, pour n'embrasser, à son exemple et à sa suite, que la pauvreté, les croix, les humiliations, l'humble et innocente Simplicité chrétienne ! C'est en ce saint jour et en ce saint temps, que, sur l'invitation de Marie notre Mère, nous devons revenir tous à l'esprit propre de la Congrégation, l'esprit du pieux Fondateur, l'esprit d'Humilité, de Simplicité et de. Modestie. Le vénéré Père Champagnat avait une dévotion particulière à l'Enfance de Jésus; il voulait que la grande fête de Noël fût célébrée avec toute la solennité possible ; c'est lui qui a établi dans la Communauté le pieux usage d'aller, deux à deux, adorer l'Enfant Jésus, dans la Crèche, au chant de l'Invitatoire ; et c’est vers l'Enfant de Bethléem qu'il invitait fréquemment tous ses Frères à aller étudier les vertus de leur état, surtout la belle et aimable vertu de Simplicité, si bien exprimée dans ce grand mystère de l'Enfant-Dieu, auprès duquel, selon le mot de la sainte Eglise, tout accès est fermé aux superbes, et ne sont admis que l'humble berger et le mage docile.

 4°, La sainte Ecriture et les Saints ne tarissent pas dans les éloges qu'ils donnent à cette admirable vertu de Simplicité. Dieu lui-même en fait un si grand état que, voulant confondre l'orgueil de Satan par la vertu de son serviteur Job, il se contente de relever sa droiture et sa Simplicité. N'as-tu pas considéré mon serviteur Job, qui n'a point d'égal sur la terre, étant un homme simple et droit, qui craint Dieu et se retire dit mal (Job., I, 8) ; et plus loin, il ajoute : Qui se conserve dans l'innocence, malgré l'affliction dont je l'ai frappé? (Job, II, 2). C'est ce qui fait dire à saint Bernard qu'aucune vertu n'est plus nécessaire qu'une humble Simplicité ; et à saint Jérôme qu'aucune vertu ne plaît tant à Dieu que la Simplicité et l'innocence. Nous pourrions réunir ici une foule de passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, des saints Pères et des Maîtres de la vie spirituelle ; mais ils viendront en leur lieu, dans les Paragraphes suivants qui compléteront cette idée générale de la Simplicité chrétienne : vertu toute divine qui se sent beaucoup mieux qu'elle ne se définit. Nous continuerons à la faire connaître, en disant son excellence et les fruits merveilleux qu'elle produit. 

Il. – Excellence de la Simplicité chrétienne.

 Pour comprendre, à l'aide de la grâce, chacun selon nos moyens, l'excellence incomparable de cette belle vertu, considérons-la d'abord en Dieu lui-même, en qui elle est infinie et éternelle. Ici, je ne fais qu'abréger le Chapitre que le Père Grou de la Compagnie de Jésus donne sur la Simplicité, en le mettant, autant que possible, à notre portée.

 Si Dieu est infiniment parfait en tous genres de perfections, dit ce pieux Auteur, c'est qu'il est infiniment simple dans sa nature et dans son essence, quoique subsistant en trois Personnes.

 Son éternité est infinie, parce que, n'ayant aucune espèce de succession de moments, elle est indivisible et infiniment simple dans sa durée. Elle n'a ni commencement ni fin; elle est ce qu'elle est, et elle est tout ; car elle est Dieu, et, en Dieu, dit Bossuet, tout est Dieu. Il n'y a pour lui ni passé ni futur ; tout est actuel, tout est présent, éternellement et infiniment présent.

 Son immensité est infinie, parce qu'elle est infiniment simple. Dieu est partout et en tout ; et partout et en tout, il est avec toutes ses perfections, sans être borné ni renfermé nulle part.

 La science de Dieu est infinie, parce qu'elle est infiniment simple. Il n'y a en lui ni raisonnements, ni multiplicité d'idées, comme dans les intelligences créées. En Dieu, il n'y a qu'une seule idée, qui est la connaissance pleine et parfaite de lui-même et de toutes choses.

 Il en est ainsi de toutes les perfections divines : la Simplicité en est le caractère; elles ne sont infinies que parce qu'elles sont simples,infiniment simples. Au dehors les œuvres de Dieu sont variées et peuvent l'être à l'infini, si on les considère dans les créatures qui en sont le terme ; mais, considérées en Dieu, elles ne sont autre chose que son action infiniment simple : action qui, dans sa Simplicité, s'étend à tout et produit tout ce qui se produit.

 La fin que Dieu se propose dans tout ce qu'il fait, est d'une Simplicité infinie ; car elle n'a qu'un seul objet, qui est sa gloire.

 Ainsi, sous quelque aspect qu'on envisage Dieu, il est simple ; et la Simplicité est en lui la racine de l'infinité : grand et sublime mystère que la foi nous révèle, qu'il nous est permis de contempler ; mais que nous ne saurions ni approfondir ni comprendre, Dieu seul pouvant concevoir son infinie Simplicité.

 Toutefois, le peu que nous en saisissons, suffit pour nous mettre sur la voie à laquelle la perfection nous appelle ; c'est-à-dire, pour nous rendre participants de la Simplicité divine dans la mesure dont la créature est capable avec la grâce du Créateur.

 En effet, tout ce que Dieu opère dans une âme pour la rendre sainte, se réduit à la simplifier, et il ne lui demande, comme coopération à sa grâce, que de se laisser arracher toute espèce de multiplicité.

 

1° Dieu simplifie l'âme dans son fonds, en y mettant un principe d'amour surnaturel qui devient le mobile simple et unique de toute sa conduite. Elle agit pour Dieu seul, et non pour elle-même. Son amour est un simple et unique regard vers Dieu seul dans tout ce qu'elle fait ; du moins, elle tend toujours à se dépouiller de plus en plus d'elle-même, et à ne vivre qu'en Dieu et pour Dieu, objet unique de tout son amour.

 2° Dieu simplifie l'âme dans son intelligence. La multitude des pensées qui l'obsédaient tombe peu à peu; elle ne voit que Dieu, elle ne s'occupe que de Dieu, elle concentre en Dieu toutes ses pensées et toutes ses intentions.

 3° Dieu simplifie l'âme dans sa volonté, en la réduisant à un seul but, à un seul objet, à un seul désir, qui est l'accomplissement de la volonté divine.

 Elle aime tout ce qu'elle doit aimer : parents, amis, Confrères, Enfants ; mais elle ne les aime qu'en Dieu et du même amour dont elle aime Dieu.

 Ainsi, sa volonté simplifiée se concentre uniquement dans la volonté divine, dans laquelle seule elle trouve tout son repos.

 4° Dieu simplifie l'âme, en la détachant peu à peu d'elle-même et de tout regard sur son propre intérêt. Dans toutes ses actions et bonnes œuvres, elle n'envi­sage que le bon plaisir de Dieu ; elle ne désire même et ne demande son salut éternel que pour plaire à Dieu : elle voit tout en Dieu seul et lui rapporte toutes choses, comme venant de lui, lui appartenant, afin qu'il en dispose à son gré.

 5°, Dieu simplifie l'âme dans toute sa conduite exté­rieure : nul détour, nulle feinte, nulle dissimulation, nulle intrigue, nulle prétention, nulle affectation, nul respect humain. Elle va simplement comme Dieu la conduit ; elle dit, elle fait ce qui est de son devoir, de sa Règle, de son emploi, de l'obéissance, sans se mettre en peine de ce qu'on pensera, de ce qu'on dira.

 Ses discours sont simples, vrais, naturels, selon l'es­prit de Dieu. Elle pratique à la lettre ce commande­ment du divin Maître : Oui, cela est ; non, cela n'est pas, car elle comprend parfaitement que ce que l'on dit de plus vient d'un mauvais principe (Math., V, 37).

 Quand il s'agirait de son honneur, de ses biens, de sa vie même, elle ne voudrait pas dire un mot, ni faire une démarche qui s'écartât de la parfaite Simplicité chrétienne; c'est-à-dire qu'elle saurait être opposée au bon plaisir de Dieu. Elle laisse Dieu arranger toutes choses comme il lui plaît ; et elle ne veut que lui seul dans tout ce qui lui arrive de la part des créatures, soit d'heureux, soit de malheureux.

 Voilà un tableau raccourci de la Simplicité chrétienne, telle que nous la fait comprendre la Simplicité de Dieu même ; telle aussi que Dieu se plaît à l'établir en toute âme.

 Mais, quelle grande, quelle sublime vertu ! quel parfait dégagement ! quelle union incomparable avec Dieu ! Ne voir que Dieu seul en tout, n'aimer que Dieu seul, n'avoir d'autres intérêts que les intérêts de Dieu seul, ne vouloir que la loi de Dieu seul et l'accomplissement de son bon plaisir ! C'est vraiment là le commencement, le milieu et la fin de toute perfection. C'est l'âme devenue parfaitement simple ; élevée, par cette Simplicité, à une très haute sainteté ; et, néanmoins aspirant toujours et à plus de Simplicité et à plus de sainteté Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Math., V, 48). 

III. – Autres considérations, ou la pratique de la Simplicité chrétienne

puisée dans la sainte Trinité elle-même.

 Cette seconde considération est semblable à la première ; elle repose sur l'obligation où nous sommes tous d'imiter Dieu lui-même, pour remplir la fin de notre première création : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; et la fin de notre seconde création en Jésus-Christ : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ; obligation fondamentale que saint Paul rappelle en ces termes aux fidèles d'Ephèse : Soyez les imitateurs de Dieu comme ses enfants bien-aimés (Eph., V, 1). C'est de cette grande obligation que nous avons d'imiter Dieu, que nous pouvons tirer des leçons ou des conclusions très propres à nous éclairer de plus en plus sur l'excellence et la pratique de la Simplicité chrétienne.

 1° Entendons le Père éternel nous faire à tous, du haut de la nue, au jour de la Transfiguration, cette déclaration solennelle : C'est là mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances, écoutez-le (Math., XVII, 5).

 Donc, si nous voulons être les imitateurs de Dieu, selon le mot de saint Paul, nous devons, à l'exemple du Père éternel, n'avoir de complaisances qu'en Jésus-Christ, ne nous plaire qu'en Jésus-Christ, n'estimer que Jésus-Christ, n'aspirer que vers Jésus-Christ ; c'est-à-dire, avoir la parfaite Simplicité et Pureté d'intention qui ne tend et n'aspire qu'à Dieu seul.

 2° En Dieu le Père, la complaisance pour son Fils n'est point stérile ; au contraire, elle s'exprime et se réalise, avec une perfection infinie, par la communication éternelle qu'il lui fait de tout lui-même ; lui donnant son immensité, son éternité, sa toute-puissance ; tout son être, en un mot, avec toutes ses perfections.

 Tout l'Evangile de saint Jean est rempli de cette doctrine que tout ce qu'a le Père, le Fils l'a aussi ; que tout ce qu'est le Père, le Fils l'est aussi; que tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi. L'Apôtre bien-aimé, après nous avoir révélé que le Père et le Fils ne font qu'un, que le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, ajoute et explique que si nous connaissions le Fils nous connaîtrions aussi le Père ; que, comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, de même le Fils donne la vie à qui il lui plaît ; que, ne point honorer le Fils, c'est ne point honorer le Père qui l'a envoyé ; enfin, que, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jean, V et ailleurs).

 Donc encore, si nous voulons être parfaits comme notre Père céleste est parfait, nous devons tout donner à Jésus-Christ, le Verbe fait chair : notre intelligence avec toutes ses conceptions, notre cœur avec toutes ses affections, notre volonté avec tous ses mouvements ; notre âme, notre corps, notre être tout entier, avec tout ce qu'il a et tout ce qu'il est : de telle sorte que nous puissions dire, non pas à l'égal du Père éternel, mais à son imitation, que nous ne faisons qu'un avec Jésus-Christ, que nous vivons en lui et qu'il vit en nous ; ou plutôt, selon le mot de saint Paul, que nous ne vivons plus nous-mêmes, mais que c'est Jésus-Christ qui vit en nous. Je vis, dit l'Apôtre, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis ; mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Gal., II, 20).

 Voilà la Simplicité chrétienne dans toute son excellence, dans toute sa perfection, Simplicité admirable, qui détruit en nous tout ce qui est de la chair et du sang, qui exige et donne une incomparable pureté de pensées et d'affections, une incomparable UNITÉ de sentiment et de volonté, l'UNITÉ DIVINE elle-même.

 Simplicité sublime, qui est la fin de toute la Religion, et que vient consacrer et fortifier la divine Eucharistie, selon ces paroles adorables sorties de la bouche même de Jésus-Christ : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (Jean, VI, 57) ; et, ajoute le divin Maître, ô excellence, ô perfection incompréhensible à laquelle est appelée l'âme simple et pure ! Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra par moi (Jean, VI, 58).

 Demandons à Dieu de nous éclairer sur des enseignements si profonds ; de nous faire comprendre à quel degré d'excellence et de perfection nous devons porter, dans notre intérieur, l'humble et innocente Simplicité chrétienne, pour reproduire en nous la vie même de Jésus-Christ, et vivre par lui comme il vit lui-même par son Père. 

3° Une troisième Vérité que saint Jean nous révèle, c'est que Dieu le Père n'agit que dans son Verbe et par son Verbe :

Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui (Jean, 1, 3).

 Non, rien n'a été fait sans le Verbe. Dieu n'agit qu'avec sa Sagesse infinie, qui est son Fils ; et tout ce qu'il fait, il le fait pour son Fils. C'est à son Fils qu'il donne les nations en héritage, qu'il remet le gouvernement du inonde et qu'il soumet toute créature au ciel, sur la terre et dans les enfers. C'est son Fils qu'il établit le Juge suprême des vivants et des morts ; et ce n'est que par son Fils qu'il veut être lui-même loué, béni, adoré, glorifié et remercié dans tout l'univers, dans le temps et dans l'éternité.

 Troisième et adorable leçon que nous donne le Père éternel, de n'agir, à l'extérieur comme à l'intérieur, qu'en Jésus-Christ et pour Jésus-Christ ; de tout faire PAR LUI, sous son entière dépendance ; AVEC LUI, à Son imitation ; et EN LUI, par son esprit et dans une parfaite union à tous ses mérites. C'est à Jésus-Christ seul que nous devons rapporter nos paroles et nos actions, c'est en Jésus-Christ seul que nous devons voir toutes les créatures, les faisant toutes retourner à sa gloire et à son service, par la Simplicité et la Pureté de nos intentions. En un mot, pour nous former à l'image du Père éternel, il n'est rien, ni en nous, ni autour de nous, dont nous ne devions nous servir pour glorifier Jésus-Christ et croître sans cesse dans sa connaissance et son amour.

 Une quatrième Vérité, également pleine d'instruction pour nous, c'est que Dieu opère toutes ses œuvres, au dedans et au dehors, dans le Saint-Esprit.

 Au dedans, c'est-à-dire, dans le mystère adorable de la très sainte Trinité, c'est dans le Saint-Esprit que s'accomplit la communication infinie que le Père fait de lui-même à son Fils ; c'est avec un Amour absolument infini qu'il l'engendre de toute éternité : Amour vivant, Amour substantiel, qui n'est autre que le Saint-Esprit lui-même, la troisième Personne de la sainte Trinité.

 Au dehors, c'est avec ce même amour que s'accomplit l’œuvre de la Création, l’œuvre de la Rédemption, l’œuvre de la Glorification ; en un mot, tout ce que le Père fait en son Fils et par son Fils, il le fait dans le Saint-Esprit, c'est-à-dire, avec amour et par amour.

 Quatrième et adorable leçon que nous donne le Père éternel : tout donner à Jésus-Christ, et faire ce don avec un amour sans mesure. Oh ! heureux celui qui, se dépouillant ainsi de lui-même et de tout, ne veut avoir d'amour que pour Jésus seul, ne trouve de bonheur qu'à accomplir sa volonté, et s'efforce, chaque jour et à chaque instant, de remplir, le plus parfaitement possible, le premier et le plus grand des Commandements : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces. (Marc, XII, 30).

 Enfin, une cinquième Vérité nous amène à une cinquième et dernière conclusion, conclusion capitale pour la pratique de la belle vertu de Simplicité ; mais il sera nécessaire de la lire, de la méditer même, avec une grande attention, pour la bien saisir : elle se rapporte à l'essence même de l'adorable mystère de la sainte Trinité.

 Donc, c'est une vérité que, par le Fils, Dieu se connaît lui-même d'une connaissance absolument infinie, et que, par le Saint-Esprit, il s'aime d'un amour absolument infini : d'où il suit que c'est par la connaissance et par l'amour que Dieu se possède lui-même infiniment, qu'il jouit de lui-même infiniment, qu'il est en lui-même et par lui-même infiniment parfait ; et, par une conséquence nécessaire, qu'il est en lui-même et par lui-même infiniment heureux.

 Non, non, sans son Verbe, Dieu ne se connaîtrait pas sans son Esprit, il ne s'aimerait pas ; sans son Verbe et son Esprit, il ne se posséderait pas, il ne serait pas parfait, il ne serait pas heureux, il ne serait pas Dieu, il n'existerait pas.

 L'Etre, la Connaissance et l'Amour, éternels, substantiels, vivants, infinis, personnels, sont en Dieu une nécessité absolue, éternelle de son essence et de sa substance.

 Dans l'unité infinie, dans la Simplicité infinie de cet Etre, de cette Connaissance et de cet Amour, Dieu trouve la plénitude infinie de sa perfection, de son bonheur, sans qu'il soit besoin pour lui de jamais rien recevoir du dehors.

 C'est de cette cinquième Vérité que découle une cinquième et adorable leçon sur l'excellence incomparable et le fruit merveilleux de l'humble et innocente Simplicité chrétienne.

 En effet, si nous voulons connaître tout le prix et tous les avantages de la parfaite Simplicité d'intention qui ne tend qu'à Dieu seul, et de la parfaite Pureté d'affection et d'amour, qui ne goûte que Dieu seul, osons encore contempler dans la sainte Trinité elle-même, ce que produit l'infinie Simplicité et unité de nature des trois Personnes divines.

 1° Si le Père donne tout au Fils, il trouve tout aussi dans le Fils, car c'est par son Fils qu'il se voit et se contemple, comme dans un miroir vivant et infini ; c'est par son Fils qu'il se connaît d'une connaissance éternelle et éternellement égale à lui-même.

 2° Quand le Fils s'adressant à son Père lui dit lui-même : Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi (Jean, XVII, 10), il nous révèle, par ce seul mot, qu'il est la Beauté du Père, son Eclat, sa Splendeur, sa Sagesse, son Expression, sa Parole, son Epanouissement éternel et infini ; vérité adorable que l'Eglise, parlant du Fils, dans le Symbole de Nicée, exprime par ces mots : « Né du Père avant tous les siècles; Dieu de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, Lumière de Lumière, engendré et non fait, consubstantiel au  Père»; c'est-à-dire, connaissant le Père comme il en est connu, glorifiant le Père comme il en est glorifié ; se contemplant dans le Père qui est son Principe, comme le Père se contemple dans le Verbe qui est son Fils.

 3°  Et, comme à cette Connaissance éternelle, infinie, que le Père a du Fils, et que le Fils a du Père, correspond un Amour également éternel et infini, le Saint-Esprit, par lequel le Père aime le Fils et le Fils aime le Père, l'adorable Trinité se complète elle-même et trouve, dans l'éternelle et parfaite Simplicité de son Etre, l'éternelle et parfaite plénitude de son essence et de sa substance, l'éternelle et parfaite plénitude de sa perfection et de son bonheur.

 Or, redisons-le, nous sommes faits à l'image de Dieu; la condition essentielle de notre première condition est de luiressembler : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Gen., I, 26).

 De même, la condition essentielle, le devoir fondamental de notre seconde création en Jésus-Christ, est de prendre Dieu lui-même pour notre modèle : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Math., V, 48).

 Donc, nous devons comme Dieu, concentrer en Dieu seul notre connaissance et notre amour ; rapporter à Dieu seul nos pensées et nos affections; en un mot, ne connaître et n'aimer que Dieu seul. Quiconque arrive à cette parfaite Pureté et Simplicité de connaissance et d'amour, ne peut manquer de participer à la lumière même de Dieu et à son amour infini, c'est-à-dire, à sa souveraine perfection et à son souverain bonheur.

 Dès ce monde même, en attendant la vie éternelle, il se fait dans les âmes simples et pures, comme un écoulement des perfections divines : de la force et de la puissance du Père, de la science et de la sagesse du Fils, de la bonté et de l'amour du Saint-Esprit : Si quelqu'un m'aime, dit Jésus-Christ, il gardera ma parole; et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure (Jean, XIV, 23).

 O sublime Simplicité qui ne dispose de notre corps et de tous ses sens, de notre âme et de toutes ses facultés que pour Une seule et même fin : la volonté de Dieu, la gloire de Dieu, le bon plaisir de Dieu !O Simplicité divine qui fait qu'on ne désire rien, qu'on n'estime rien, qu'on ne recherche rien, qu'on ne veut et qu'on ne redoute rien, en dehors de cette gloire, de cette volonté et de ce bon plaisir divin ! O Simplicité admirable, caractère essentiel de tout esprit droit, de tout cœur bon et docile, quelle perfection tu donnerais à toute notre vie. 

IV. – Pratique de la Simplicité étudiée en Jésus-Christ,

Dieu et homme; étudiée en Marie, dans les Apôtres et tous les Saints.

 Mais où chercher encore le modèle, l'exemplaire parfait de cette belle et riche vertu? Ah ! c'est en Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Maître, que nous le trouverons dans toute sa perfection ; en Jésus-Christ dans qui sont réunis, avec une parfaite unité de personne, le corps, l'âme et la Divinité ; en Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait chair. C'est en lui que s'opère cette grande merveille que l'Eglise nous rend ainsi, dans notre Office de Noël, à l'Antienne du Benedictus : « Un mystère ineffable se révèle en ce jour; un miracle nouveau éclate dans la nature : Dieu s'est fait homme ; il demeure ce  qu'il était et il devient ce qu'il n'était pas, sans permettre ni mélange ni division. »

 Il n'y a pas mélange, parce qu'en lui subsistent les deux natures, la nature divine et la nature humaine, sans confusion aucune; il n'y a pas division, parce que la nature humaine est tellement soumise à la nature divine qu'elle cesse d'agir personnellement. C'est le Verbe qui agit par elle, et qui opère divinement, alors même qu'il opère humainement. Si la nature humaine continue à avoir une volonté à elle, des désirs et des craintes à elle, des attraits et des répugnances à elle, elle les soumet si bien à la volonté divine du Verbe, que, toujours et en tout, elle dit et répète Non ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père non comme je le veux, mais comme vous le voulez ; non ma volonté, mais la vôtre : uniquementla vôtre, et la vôtre à quelque prix que ce soit.

 Aussi, c'est de sa nature humaine que se sert le Verbe, pour descendre à toutes les humiliations et passer par toutes les souffrances : humiliations de la Crèche, souffrances du Calvaire, abaissements infinis de la mort et du tombeau. La nature humaine ne se refuse à rien ; elle endure tout, sans résistance et sans interruption aucune, depuis la Crèche jusqu'à la Croix, pour accomplir les desseins du Verbe.

 Et c'est ainsi que nous trouvons, rendue sensible en Jésus-Christ, l'humble et innocente Simplicité chrétienne, qui soumet toujours la chair à l'esprit, la nature à la grâce, la créature au Créateur, l'homme à Dieu seul.

 Mais admirons aussitôt en Jésus-Christ, Dieu et homme, comme en Dieu lui-même, les fruits merveilleux de la Simplicité, la récompense et la gloire infinie, que le Verbe de Dieu accorde à son humanité, pour toutes ses souffrances et ses humiliations. A peine l’œuvre de la Rédemption est-elle accomplie, qu'il se hâte de relever et de glorifier sa nature humaine, de la ressusciter, de l'élever triomphante au Ciel, de la faire asseoir à la droite de Dieu le Père, de lui réserver le jugement du monde entier, et d'établir son règne éternel : Son règne n'aura point de fin (Luc, i, 33).

 C'est sur ce mystère adorable que Saint-Jure, dans son Traité de L'Homme Spirituel, s'écrie avec admiration : « Quelle perte d'une richesse inestimable fait ici la nature humaine ! Dans le mystère de l'Incarnation, elle est privée de sa personnalité, elle ne subsiste plus que dans la personne même du Verbe; mais avec quels avantages infinis, avec quelle gloire incomparable et pour elle-même et pour nous !

 « Pour elle-même, ses pensées deviennent divines ses affections, divines ; ses actions, divines : tout dans l'humanité, est divinisé ; tout acquiert un degré infini de gloire et de perfection. »

 Pour nous, le salut de nos âmes, qui serait impossible par Jésus-Christ lui-même, s'il n'était à la fois Dieu et homme en' une seule personne, la Personne du Verbe, se trouve parfaitement et surabondamment accompli ; car il est homme, pour s'humilier et souffrir, et il est Dieu, pour donner un mérite infini à ses humiliations et à ses souffrances.

 Gloire infinie de Jésus-Christ, qui nous est révélée en ces termes par le grand Apôtre : Il s'est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la Croix, c'est pourquoi Dieu l'a exalté, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ; afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père (Phil.,II, 8 et s.).

 De même, ajoute Saint-Jure, quand nous nous sommes dépouillés de notre propre volonté et de la disposition de nous-mêmes ; quand nous sommes arrivés à cette parfaite Simplicité et Pureté qui ne fait désirer et embrasser que Dieu seul, le Verbe incarné, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous gouverne et agit en nous, avec un profit incomparable d'honneur et de contentement, de mérites et de richesses spirituelles.

 Aussi, par une conséquence nécessaire, Jésus-Christ veut-il, pour ses disciples comme pour lui-même, qu'à des humiliations passagères succède une gloire éternelle ; à des souffrances d'un moment, des délices infinies ; à une pauvreté d'un jour, toutes les richesses de Dieu même, pendant les siècles des siècles. C'est une vérité très certaine que, si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui (Il Tim., II, 11, 12).

 Donc, en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, modèle parfait de la parfaite unité ; exemplaire parfait de la parfaite Simplicité; constance et courage tout divins dans la pratique de cette belle vertu ; puis, pour ses disciples comme pour lui, abondance de grâces et de mérites ici-bas, gloire et béatitude éternelles dans la vie future.

 En Marie, Mère de Jésus, modèle tout semblable, modèle qui se rapproche de plus en plus de chacun de nous ; car, si, dans Jésus-Christ, la perfection de la Simplicité et de l'unité de personne est due à la nature divine unie hypostatiquement à la nature humaine, en Marie, simple créature, la même perfection est le fruit de la grâce et d'une libre correspondance. Voici, dit-elle à l'Archange qui lui demande son libre consentement à la maternité divine et à toutes les douleurs qui en seront la suite, voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (Luc, I, 18). expression sublime d'humilité et de simplicité, d'obéissance parfaite, qui met le corps et l'âme de Marie, son esprit, son cœur, sa vie et son être tout entier, à la disposition de son Créateur ; de telle sorte que le Fils de Dieu, devenu le Fils de Marie, a pu, en effet, associer sa Mère à toutes ses humiliations et à toutes ses souffrances, avant de l'associer à sa gloire.

 Toute la vie de la Sainte Vierge n'a été qu'un long acte, une pratique continuelle de cette même Simplicité de volonté, de cette même obéissance, de ce même abandon plein et entier de tout elle-même au bon plaisir de Dieu.

 Aussi, en Marie, comme en Jésus-Christ, voyez quels en sont les fruits merveilleux, les effets admirables. C'est elle-même qui nous révèle, dans son sublime Cantique, que Dieu a regardé la bassesse de sa servante ; qu'il a fait en elle de grandes choses, et qu'elle sera appelée bienheureuse dans la suite de tous les siècles. Et voilà comment Jésus et Marie nous offrent, à la fois, et le modèle accompli de la plus parfaite Pureté et Simplicité, et le gage certain des biens infinis qui y sont attachés. Qui de nous pourrait se refuser à suivre ces grands modèles et à s'assurer la même récompense ?

 Mais continuons cette étude, en descendant à des degrés inférieurs et plus rapprochés de nous ; continuons-la dans les Apôtres et, à leur suite, dans tous les Saints. Tous se réunissent pour nous donner les mêmes exemples et les mêmes assurances.

 Voilà, disent les Apôtres, que nous avons tout quitté pour vous suivre, quelle sera notre récompense? (Math., XIX, 27) ; voilà Saul, à peine converti, sur le chemin de Damas, qui ne fait entendre que ce seul cri : Seigneur, que voulez-vous que je fasse? (Act., IX, 6) ; voilà, après eux, tous les Saints de tous les siècles, se dépouillant de tout et d'eux-mêmes, pour ne vouloir et ne faire simplement que le bon plaisir de Dieu, pour concentrer en lui seul toutes leurs pensées et toutes leurs affections. Entre tous, sainte Gertrude, au témoignage de saint Liguori, répétait trois cents fois, chaque jour, cette belle invocation : Mon Jésus, que votre volonté soit laite et non la mienne !

 Il faut ajouter que l'esprit chrétien, l'esprit de la véritable Eglise, la sainte Eglise Romaine, est toujours le même. De nos jours encore, n'avons-nous pas eu un modèle admirable de l'humble et parfaite Simplicité chrétienne, dans les sept cent cinquante Pères du Concile Œcuménique? Ces Pontifes illustres, la gloire du Sacerdoce chrétien, n'ont-ils pas reconnu et salué eux-mêmes, dans le Vieillard du Vatican, dans Pie IX, leur Père et leur Prince? N'ont-ils pas accepté, avec la soumission et la Simplicité d'enfants humbles et dociles, et l'infaillibilité de sa parole doctrinale, et la direction suprême de son autorité souveraine et universelle?

 Hélas ! que sont devenus les quelques égarés du Sanctuaire qui ont refusé cette soumission simple et filiale, qui ont osé opposer leur prétendue sagesse aux décisions dogmatiques de l'Eglise entière, réunie en Concile? La honte les accompagne partout, l'extravagance, le blasphème et la profanation marquent tous leurs pas.

 Oh ! après tant et de si grandes leçons, hâtons-nous d'entrer dans la voie sûre et bénie de l'humble Simplicité chrétienne. A la suite et sur la parole d'un illustre Prélat, l'Evêque de Laval, soyons heureux de nous joindre aux enfants et à la modeste population de Pontmain, pour recueillir les leçons que nous donne notre grande Institutrice et Patronne, la divine Marie. Rentrons de plus en plus, et rentrons tous, dans l'esprit d'humilité, de Simplicité et de Modestie qui fait, si heureusement, l'esprit propre de notre Congrégation.

 De l'ensemble de ces vérités, pour peu que nous les ayons saisies, il nous sera très facile de déduire les fruits et avantages merveilleux qui accompagnent toujours cette magnifique vertu: fruits et avantages qui, en relevant à nos yeux le prix de la Simplicité, serviront en même temps à nous la faire mieux comprendre et à nous en donner la pratique.

 Nous les énumérerons rapidement dans les Paragraphes qui suivent. 

1. – Fruit de science, la science des Saints.

 Dieu lui-même, nous dit l'Esprit-Saint dans le livre de la Sagesse, se laisse trouver à ceux qui le cherchent avec un cœur simple et droit et qui ne le tentent point ; il se fait connaître à tous ceux qui ont en lui une confiance filiale, qui n'ont point un cœur double et corrompu (Sag., I, 2). Le prophète David nous assure de même que la loi du Seigneur est parfaite et sans défaut, convertissant les âmes ; que le témoignage du Seigneur est fidèle, donnant la sagesse aux humbles et aux petits (Ps., XVIII, 8). Ailleurs, il nous répète que le Seigneur est la lumière du juste, et la joie de ceux qui ont le cœur droit (Ps., XCVI, 11).

 L'Auteur de l'Imitation nous dit que Dieu découvre ses secrets au cœur humble ; qu'il l'invite et l'attire doucement à lui. Tout le 3e Livre ne tend qu'à mettre l'âme simple et droite en communication avec Dieu, parce qu'il se fait lui-même son maître ; c'est avec elle qu'il a ces entretiens cœur à cœur dont parle le livre des Proverbes : Le Seigneur a en abomination tous les trompeurs, et ses communications intimes sont avec les simples (Prov., II, 32).

 C'est de ces âmes bénies que Jésus-Christ a dit, en tressaillant de joie, par un mouvement du Saint-Esprit : Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux savants, et que vous les avez révélées aux petits (Luc, X, 21). Et, en effet, c'est aux simples que Jésus-Christ se communique, comme fait un ami à son ami. Il les fait pénétrer très avant dans la Religion, et c'est à eux qu'il en découvre la beauté, l'excellence et l'absolue nécessité. « Soyez bon et pur au dedans de vous, soyez simple et droit, et vous n'aurez nulle peine à voir et à comprendre toutes choses ; car le cœur pur pénètre jusque  dans le ciel et dans les enfers (II lm., 2). »

 Sur les Sacrements, l'Eucharistie et la Pénitence surtout, sur la prière, sur le prix des âmes, sur le néant des choses de ce monde, sur la grandeur des récompenses et des châtiments à venir; en un mot, surtout l'ensemble et sur tout le détail des vérités chrétiennes, Jésus-Christ donne aux âmes simples et droites des lumières et des connaissances que ne soupçonnent pas même les esprits orgueilleux et suffisants, qui ne se complaisent que dans leur propre sagesse.

 De même que, dans les sciences et les arts, la beauté et le fini du talent et du génie échappent à ceux qui n'ont qu'une connaissance superficielle; de même, la beauté et les attraits tout puissants des vérités saintes sont inconnus de celui qui n'a pas le cœur humble et droit.

    Un voyageur se trouvait, à Rome, en présence de deux tableaux dont l'un était la copie de l'autre. La copie, récemment faite, brillait par des couleurs écla­tantes, fraîchement appliquées : et notre voyageur de s'extasier devant ce tableau, moins qu'ordinaire ; de l'admirer, de le donner à tous comme un chef-d'œuvre de nos grands Maîtres : jusqu'à ce qu'un connaisseur habile, fatigué de tant de sottises, se tourne vers notre ignorant, et lui dit avec émotion : « Monsieur, je ne suis pas riche ; mais, si je l'étais, je donnerais dix mille francs et plus du tableau qui n'attire pas même vos et regards, l'Espérance du Guide, et je ne donnerais pas cinquante centimes de celui que vous louez si fort. » L'un avait pénétré dans les secrets de la peinture, l'autre n'en avait pas l'a b c.

 Ainsi en est-il, pour les choses de la Religion, entre une âme simple, humble et pure, et un esprit double, un esprit orgueilleux. A la première, Dieu révèle les beautés admirables, les trésors secrets, les biens infinis cachés dans la Crèche, dans la Croix, dans l'Eucharistie et autres vérités ou mystères divins ; pour les seconds, ce n'est que folie. La première, pour avoir ces trésors, vend tout ce qu'elle a et se donne elle-même ; les seconds les dédaignent et prostituent leur estime et leur affection aux apparences vaines, aux illusions trompeuses, aux vanités et aux puérilités de ce misérable monde.

 C'est surtout sur le point capital de la Vocation religieuse qu'il importe que l'humble et innocente vertu de Simplicité agisse sur nos esprits et sur nos cœurs : sur nos esprits, pour nous faire pénétrer dans les secrets de la vie religieuse ; sur nos cœurs, pour nous en faire sentir et goûter les douceurs divines.

 Hélas ! parmi nos jeunes Frères, parmi ceux qui ne persévèrent pas dans leur saint état, combien en est-il qui n'ont vu, dans la Vocation, que le métier et non la mission?qui n'ont fait que la manœuvre, comme le mousse du navire, et l'ont trouvée trop dure? qui n'ont senti que la longueur et la peine des exercices, comme le jeune conscrit de la caserne? Par suite, ils se retirent, trop souvent, en dénigrant la vie religieuse, même en la calomniant, sans avoir rien compris, et précisément parce qu'ils n'ont rien compris, à ses douceurs, à ses sûretés, aux secrets divins cachés dans nos exercices de chaque jour : rien à l'Oraison, la sainte Messe, les prières, l'étude et l'enseignement de la Religion, du Catéchisme ; rien à nos Confessions hebdomadaires, gage comme infaillible d'une bonne mort ; rien à nos Communions fréquentes, deux ou trois et quatre fois la semaine ; rien aux vœux, aux richesses de la Pauvreté, au règne divin de l'Obéissance, à la puissance et aux mérites de la Chasteté ; rien, en un mot, au centuple que Jésus-Christ nous assure même pour ici-bas ; à la vie éternelle qu'il nous promet pour le monde à venir?

 Non, les merveilles de la vie intérieure, de l'amour de Jésus, de la confiance en Jésus, de la reconnaissance pour Jésus, du service de Jésus, ne peuvent être connues que des âmes pures et innocentes, qui viennent en Religion, qui n'y restent du moins, qu'avec la Simplicité de la foi, et dans la seule vue du salut éternel: et de même pour l'amour de Marie, la confiance en Marie, la dévotion à cette bonne Mère ; de même encore pour l'éducation chrétienne, le soin et la surveillance des Enfants, le prix des âmes, la sainteté de tous nos emplois, l'esprit de famille et la parfaite union de tous les Membres de l'Institut.

 O mes Frères, Mes Très Chers Frères, soyons simples et bons, ayons la droiture d'esprit et la pureté de cœur et nous estimerons notre état, nous goûterons la prière et la piété, nous estimerons nos Règles, nous nous attacherons à nos Supérieurs et à nos Confrères, à nos Classes et à nos Enfants, à notre Institut. Nous craindrons le péché, nous garderons la délicatesse de la conscience, nous ne nous laisserons jamais ébranler sur le point si difficile et si capital, et néanmoins si consolant et si heureux, de la sainte persévérance. Où est l'humilité, dit l'Esprit-Saint, là, est la sagesse (Prov., XI, 2) ; et la Simplicité n'est que la perfection et le couronnement de l'humilité. Donc, faisons-nous bien humbles, bien simples, bien petits, tout semblables à l'Enfant de Bethléem, et nous arriverons à la science de Dieu, à la science des Saints, à la vraie science du salut. 

Il. – La Simplicité source de la force et du vrai courage.

 La Simplicité dans l'intention et la Pureté dans l'affection conduisent évidemment à L'UNITÉ, à l'unité dans la fin, qui est Dieu seul.

 Or, l'unité dans la fin est la plus puissante des causes car, en général, c'est la fin qui détermine l'emploi des moyens. Quiconque veut arriver à un but, à une fin, même ordinaire, même temporelle, ne recule devant rien pour y atteindre.

 Et, quand cette fin est infinie, infiniment noble, infiniment heureuse, infiniment grande, comme de gagner Dieu ; infiniment redoutable, comme d'éviter l'enfer, la damnation : oh 1 alors, pour quiconque a la foi et la raison, il y a dans l'unité d'une si grande fin, d'un si grand objet, une force sans mesure qui entraîne tout, qui fait renoncer à tous les biens : honneurs, plaisirs, richesses ; qui fait affronter tous les maux : humiliations, souffrances, privations, martyre même.

 C'est ce qui a fait la force des Apôtres et des premiers Fidèles dans l'établissement de l'Eglise. Tout le livre des Actes n'est que le magnifique récit, un long et éclatant témoignage de la hardiesse, du courage et de la constance dont ils ont fait preuve. C'est au nom de Jésus-Christ, s'écrie Pierre devant l'assemblée des Juifs, que cet homme a été guéri ; au nom de Jésus-Christ que vous avez crucifié ; et il n'y a point de salut par aucun autre, car nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés (Act., IV, 10, 12).

 Les Magistrats, les Sénateurs, les Docteurs de la loi restent stupéfaits de la fermeté de Pierre et de Jean, sachant d'ailleurs que c'étaient des hommes sans lettres et du petit peuple ; mais, comme le miracle était évident et qu'ils ne pouvaient le nier ni poursuivre ses auteurs, ils leur défendirent avec menaces de parler, d'enseigner au nom de Jésus.

    Les insensés, ils veulent lutter contre Dieu et ses ser­viteurs ! ils ignorent la force et la Simplicité de leur foi : Jugez vous-mêmes, répondirent Pierre et Jean, s'il est juste devant Dieu de vous obéir  plutôt qu'à Dieu (Act., IV, 19). Ah ! c'est que les Apôtres, comme tous les Saints à leur suite, ne connaissent que Jésus-Christ, ne voient que Jésus-Christ : ont, au plus haut degré, la Pureté et la Simplicité de la foi ; ne poursuivent qu'un seul but, une fin unique : glorifier Jésus-Christ, établir et soutenir, à tout prix, en eux-mêmes et dans le monde entier, son règne divin, la grandeur et la puissance de son nom.

 Là encore, vient une autre pensée, un principe qui n'appartient, en réalité, qu'à l'Eglise catholique elle-même et à ses véritables enfants, les âmes simples et droites : principe de force et de puissance que' la Simplicité chrétienne peut seule inspirer et soutenir. C'est que, dans l'Eglise catholique, comme dans les individus, ses membres vivants, la puissance du nombre s'ajoute à la puissance de l'unité.

 Seule d'abord, l'Eglise catholique, avec sa magnifique unité et sa puissante universalité, réunit en effet et nous donne cette force incomparable de deux cents millions d'hommes, ayant la même foi, la même espérance, le même amour; professant le même Symbole ; reconnaissant et gardant le même code de lois, les commandements de Dieu et de l'Eglise ; adorant le même Chef invisible, Jésus-Christ ; se soumettant au même Chef visible le Pape. Le Pape ! la plus haute expression de Dieu sur la terre, revêtu, qu'il est, comme Pontife Suprême, d'une souveraine autorité et d'une souveraine infaillibilité. Oui, voilà la force et la puissance de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine; voilà la cause et la raison de sa perpétuité, de sa stabilité, qui défie les siècles, qui défie toutes les persécutions et toutes les erreurs. Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle (Math. XVI, 18).

 La même force et fermeté éclatent dans l'individu lui-même, quand il ne cherche que Dieu; parce qu'alors toutes les facultés de l'âme et tous les sens du corps s'unissent et se mettent au service de la volonté, pour atteindre ce but suprême et unique, Dieu seul.

 Au contraire, sans cette unité et Simplicité de but, les individus, les familles, les sociétés s'affaiblissent, parce que, l'unité manquant, le nombre ne sert qu'à produire la division, la lutte, le dépérissement, la mort qui s'accélère en proportion même du nombre.

 Et, comme l'unité complète possible ne s'établit qu'en Dieu, dans la loi et dans la foi, deux choses nous incombent, à nous Religieux : 1° pratiquer cette unité dans toutes nos Maisons, par une parfaite, universelle et constante soumission à Dieu, aux Supérieurs qui le représentent, à la Règle qui est l'expression de sa volonté : toute la force de nos Maisons et toute la force de la Congrégation est là et n'est que là ; 2° nous unir dans une prière ardente et persévérante, en dehors de toute forme ou système politique, pour demander que l'unité divine se fasse parmi nous ; qu'elle vienne tout dominer, tout conduire, tout conserver, tout perfectionner, en réglant et déterminant toutes choses sur le principe éternel et souverain de Dieu à glorifier et des âmes à sauver.

 Donc nous pouvons le dire, de même que la science de Dieu devient comme le partage de quiconque va à lui avec Simplicité et droiture ; de même sa force et sa puissance : ils changeront de force, dit Isaïe, parlant des cœurs humbles et droits, qui mettent toute leur espérance au Seigneur ; ils deviendront forts de la force même de Dieu, puissants de sa puissance ; ils prendront des ailes comme l'aigle ; ils courront et ne se fatigueront point, ils marcheront et ne se lasseront point (Isaïe, XL, 31). C'est dans le même sens que le Roi-Prophète demande : Qui montera sur la montagne du Seigneur, ou qui prendra séance dans son lieu saint? Et il répond : Celuiqui a les mains innocentes et le cœur pur ; celui qui n'a point reçu son âme en vain, qui n'a jamais usé de ruse avec ses frères : Voilà celui qui recevra les bénédictions du Seigneur et la miséricorde de Dieu son Sauveur (Ps., XXIII, 3, 4, 5).

 Jésus-Christ nous révèle bien plus énergiquement encore et la puissance et la nécessité de cette grande vertu de la Simplicité, lorsqu'il nous la donne comme le moyen sûr et le moyen unique de gagner le royaume des cieux.

 Sur la terre, on appelle grand, puissant et fort, un conquérant heureux qui parvient à s'emparer d'un grand empire et à s'asseoir sur un trône illustre. Image bien imparfaite de la grandeur, de la puissance et de la force de l'âme humble et simple, qui arrive à conquérir le Ciel. Si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ; mais, si vous avez l'Humilité, la Simplicité et l'Innocence de l'enfance chrétienne, vous le possédez déjà, selon le mot du divin Maître : Bienheureux les pauvres d'esprit, c'est-à-dire, bienheureux les humbles, les simples, parce que le royaume du ciel est à eux (Math., V, 3).

 C'est encore ce qui fait l'étonnement du Roi-Prophète : qui est semblable, dit-il, au Seigneur noire Dieu, dont les regards s'abaissent sur ce qu'il y a de plus humble et de plus petit dans le ciel et sur la terre, relevant l'indigent de la poussière et le pauvre de son fumier, pour le placer avec les princes, avec les princes de son peuple? (Ps., CXII, 5, 6, 7).

 Terminons ce paragraphe par l'admirable leçon que Marie nous donne, dans son Cantique, sur le pouvoir de l'humilité et de la Simplicité. C'est pendant qu'on le chantait à Pontmain, qu'elle traça de sa main maternelle, ces mots consolants : MAIS PRIEZ, MES ENFANTS.

 Or, dans ce sublime Cantique, l'extase de sa reconnaissance et de son humilité, elle nous apprend que Dieu a regardé la bassesse de sa servante, qu'il a fait en elle de grandes choses, que sa miséricorde se répand d'âge en âge sur ceux qui le craignent, qu'il a déployé la force de son bras, qu'il a dispersé les superbes et qu'il a élevé les humbles (Luc, i). Aussi, est-ce à ce même esprit d'humilité et de Simplicité qu'elle nous convie tous ; car, mieux qu'aucun des Anges, mieux qu'aucun des hommes, elle sait que nous trouverons là notre force et notre salut.

 Marie aime son peuple, aime la France, et voilà pourquoi elle veut nous rendre à tous ce que le Verbe éternel nous a apporté en se faisant chair : le pouvoir de devenir, de redevenir enfants de Dieu, et de participer de nouveau, et comme individus, et comme familles, et comme nation, à la puissance du Père, à la sagesse du Fils, à l'amour et à la bonté du Saint-Esprit. Ah 1 l'Enfance chrétienne, il faut la perfectionner, la rendre toujours plus humble, plus innocente, plus simple ; mais en sortir, jamais!… Devant Dieu, l'homme est toujours, au spirituel et même au temporel, ce que l'enfant est devant sa mère.

 Voyez cet enfant : il est ignorant, il ne sait rien ; il est impuissant, il ne peut rien ; mais ce qu'il a de bon et d'heureux, c'est le sentiment de sa faiblesse et de son ignorance, qui lui donne d'abord l'instinct, puis la volonté de la prière. A peine est-il né, qu'il crie déjà vers sa mère et qu'il la cherche sans la connaître. Tout en lui prie et demande : ses cris, ses larmes, son regard, ses mains, tout son être. Mais bientôt à ces supplications que commande le besoin, succède une prière où éclate le sentiment filial ; il veut sa mère, il faut qu'il la voie, qu'il l'entende, qu'il se colle à ses lèvres et à son cœur : il ne peut s'en séparer. Mais, quel est l'effet de cette prière simple, ardente, pleine de confiance et d'amour de l'enfant à sa mère? c'est qu'il devient fort de toute la force de l'amour maternel, puissant de toute sa puissance, sage de toute sa sagesse. Sa faiblesse même fait sa sûreté ; car, pour le protéger et le défendre, la mère saura tout entreprendre, tout oser, arrêter même la fureur des lions.

 Ainsi en est-il de l'âme humble et simple avec Dieu elle trouve dans sa bonté et sa miséricorde une force qui la fait triompher de tous les obstacles, qui l'élève au-dessus de toutes ses faiblesses, qui la rend victorieuse de tous les assauts de l'enfer, supérieure à toutes les illusions du monde, invincible à tous les attraits des passions. Gardons-nous donc, gardons-nous à jamais de ce sot orgueil qui voudrait nous faire sortir de la sainte Enfance chrétienne, nous affranchir de Dieu ; car, s'affranchir de Dieu, s'émanciper de Dieu, à quelque âge et dans quelque condition que ce soit, c'est se soustraire à la seule puissance qui soutient, à la seule sagesse qui éclaire, au seul amour qui vivifie ; c'est aller à la faiblesse, à l'ignorance et à la mort. 

III. La Simplicité, source de joie et de paix,

gage et facilité incomparables de salut.

 1° La Simplicité est une source abondante de paix et de joie spirituelles, parce qu'elle est, à la fois, et un moyen puissant et un gage assuré de salut. Après le bonheur du Ciel, qui est complètement ineffable, il n'en est pas de plus grand, de plus réel que celui de l'espérance qui nous fait attendre cette souveraine félicité ; et plus cette espérance est grande, plus le gage de salut et de prédestination éclate dans une âme, plus aussi sa joie se redouble, devient solide et profonde. Or, l'humble Simplicité chrétienne apporte à l'âme, dans une mesure qui n'appartient qu'à elle, cette immense consolation. Elle résume, à elle seule, tous les caractères de la prédestination ; c'est le sceau propre et particulier des brebis du Seigneur, c'est-à-dire des Elus. Je connais mes brebis, dit Jésus-Christ, et mes brebis me connaissent (Jean, X, 14). Je connais mes brebis, mes ELUS, à l'innocence qui les distingue, à la douceur qui les accompagne, à la docilité qui règle toute leur conduite : trois caractères distinctifs des brebis de Jésus-Christ, et qui se résument parfaitement dans l'humble et innocente Simplicité.

 Mes brebis me connaissent, elles entendent ma voix, elles s'attachent à moi comme à leur Pasteur ; et si elles s'égarent un instant, elles reviennent aussitôt que je les rappelle. Union admirable entre Jésus, le souverain Pasteur des âmes, et tous ceux qu'il a choisis pour entrer dans son divin bercail; union parfaite que donne et que soutient infailliblement la Simplicité chrétienne.

    2° Maintenant, Seigneur, dit Salomon, au Chapitre III du troisième Livre des Rois, vous m'avez fait régner à la place de David mon Père ; mais je ne suis encore qu'un jeune enfant qui ne sait de quelle manière se conduire. Vous donnerez donc à votre serviteur un cœur docile afin qu'il puisse juger votre peuple et discerner entre le bien et le mal. Or, le Seigneur, agréant cette parole, dit à Salomon : Parce que tu m'as fait cette demande, ne désirant ni de longs jours, ni de grandes richesses, ni la vie de tes ennemis, mais que tu m'as demandé la sa­ gesse, j'ai lait selon tes désirs : je t'ai donné un cœur si sage et si intelligent, que nul avant toi ne l'a égalé, et nul après toi ne t'égalera : et ce que tu n'as pas sollicité, les richesses et la gloire, tu les auras plus qu'aucun roi dans les siècles passés (III L.des Rois, III).

 Ainsi fait l'humble Simplicité chrétienne dans les âmes ; elle fait tout mépriser, tout dédaigner pour Dieu seul ; elle donne une docilité entière à ses moindre désirs, à ses moindres volontés; et voilà pourquoi Dieu lui-même entend, nous l'avons déjà rappelé, jusqu'à la préparation de son cœur, la comble de consolations, et souvent multiplie les miracles pour exaucer ses moindres demandes.

 Rien ne résistait à la Simplicité de la foi de l'humble saint Joseph de Cupertin ; les maladies et la santé, les animaux et les plantes, tous les éléments étaient comme à sa disposition.

 « Ne vous éloignez pas de l'église, cria-t-il un jour à deux lièvres, poursuivis par des chasseurs, de peur que vous ne tombiez sous leurs coups » : ils obéirent à l'instant et furent sauvés.

 « Brebis de Dieu, cria-t-il une autre fois, ne trouvant personne à la Chapelle de la Madone, venez ici, venez honorer la Mère de mon Dieu qui est aussi la vôtre. » A l'instant, tous ces animaux se précipitent vers le Sanctuaire, malgré les efforts répétés de leurs bergers.

 Dans une sécheresse extrême, voulant consoler ses compatriotes : « Ayons foi en Dieu, leur dit-il, faisons une Procession à la Madone ; et, avant qu'elle soit finie, nous aurons de l'eau. » Ce qui arriva en effet.

 Saint François de Paule portait, dans le pan de sa tunique, des charbons ardents, sans qu'elle en gardât la plus légère trace.

 En frappant une pierre de son bâton, nouveau Moïse, il en lit jaillir une source qui se voit encore aujourd'hui et ne tarit jamais.

 D'un Signe de Croix, il fait revivre son poisson chéri, qu'un étranger avait emporté et déjà mis en morceaux pour s'en nourrir.

 Un jeune homme, sur son commandement, emporte une colonne de marbre blanc, haute de trois mètres et large d'autant, sans sentir le poids.

 On voit encore, suspendue en l'air, près de Paola, une roche énorme qu'il arrêta dans sa chute par cette simple parole : « Par pitié, ma sœur, arrêtez-vous. » On reste stupéfait en voyant ce rocher toujours près de tomber et qui, depuis bientôt quatre siècles, n'a point changé de place.

 O puissance de la foi, quand elle s'unit à la Simplicité de la piété et de l'amour ! tout est possible à celui qui croit (Marc, IX, 22). Oh ! que le Dieu d’Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit ! (Ps. LXXII, 1). Trois Evangélistes s'attachent à rapporter, dans les mêmes termes, les prédilections admirables de Jésus pour les Enfants : Saint Matthieu, chap. XIX, v. 14 ; saint Marc, chap. x, v. 14 ; mais saint Luc est le plus explicite des trois : Laissez, dit-il, laissez venir à moi les enfants, et ne les empêchez point ; car le royaume de Dieu, le royaume de la grâce et le royaume de la gloire, est pour ceux qui leur ressemblent (Luc, XVIII, 16, 17).

 3° Ajoutons que toute la paix, toute la joie, tout le contentement divin, qui sont le fruit des plus belles vertus, appartiennent à la Simplicité chrétienne, quand elle est vraie et sincère ; car comme nous l'avons dit plus haut, elle repose elle-même sur ces vertus et dans l'ensemble et dans le détail. Il n'y a pas de Simplicité véritable sans humilité sincère, sans innocence, sans abnégation continuelle et complète de soi-même.

 4° La paix que les Anges proclament du haut du Ciel, à la naissance de Jésus-Christ, cette paix divine qu'ils promettent, sur la terre, à tout homme de bonne volonté, n'est véritablement le partage que de la Simplicité chrétienne, qui n'est elle-même que la perfection de la bonne volonté, parce qu'elle se renferme et se concentre exclusivement dans la seule volonté de Dieu. C'est ici surtout que s'accumulent sans nombre les passages de la Sainte Ecriture qui témoignent de cette vérité : La lumière s'est levée pour le juste, dit le Prophète, et la joie abonde dans ceux qui ont le cœur droit. Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur et rendez gloire à sa sainteté (Ps. CVI, 11).Au psaume CXI, verset 2, il nous déclare que la race de ceux qui ont le cœur droit sera comblée de bénédictions. Ailleurs, il s'écrie de nouveau: Réjouissez vous dans le Seigneur, et tressaillez d'allégresse, vous qui êtes justes, et glorifiez-vous en lui, vous tous qui avez le cœur droit (Ps. XXXI, 11).

 Dans tous les Psaumes, le saint Roi revient à cette pensée et la répète sous toutes les formes: Le juste mettra dans le Seigneur sa joie et son espérance, et tous ceux qui ont le cœur droit se glorifieront en lui (Ps. LIII, 11). Le Seigneur garde les petits ; je me suis humilié et il m'a délivré (Ps., CXIV, 6).Les justes loueront votre nom, Seigneur : et ceux qui ont le cœur droit, jouiront en votre présence d'un repos éternel (Ps. CXXXIX, 14).

 5° Disons encore, au point de vue de la paix intérieure, qu'elle est inséparable de la vraie Simplicité; et que la Simplicité seule fait notre sûreté dans la grande affaire de notre salut et le rend extrêmement facile.

 Oui, faîtes tout avec Simplicité, avec bonne volonté, sans perdre le temps, et tenez-vous tranquille sur ce que vous voudriez faire et ne faites pas. Aller en tout avec droiture et Simplicité, garder ses Règles et ses Vœux avec Simplicité, instruire et surveiller les Enfants avec Simplicité; se confesser et communier avec Simplicité ; agir partout et toujours, avec soi-même et avec les autres, en toute Simplicité et humilité, c'est le moyen d'être en sûreté et de se conserver en paix.

 Une chose, en soi dangereuse, mais non mauvaise, devient-elle nécessaire : la faire avec Simplicité, la faire sans hésiter, en s'humiliant et se recommandant à Dieu. La Simplicité ne perd jamais, parce que l'âme simple ne pèche pas.

 « Voulez-vous donc vous damner, disait à son pénitent un Confesseur aussi instruit qu'expérimenté, en vous faisant scrupule de choses qui n'ont de mal quecelui que vous y prenez?  Allez, allez plus simplement, autrement, vous serez dans des perplexités continuelles. Quand la bonne volonté y est, s'agiter, s'inquiéter outre mesure, ou parce qu'on ne fait pas assez, ou parce qu'on ne fait pas assez bien, c'est amour-propre; ce n'est pas l'humble et innocente Simplicité de l'enfance chrétienne.

 O Simplicité, que tu rends le salut facile ! que tu enlèves de dangers de pécher ! que tu mets à l'aise celui qui va droit, qui ne veut que Dieu et son bon plaisir !

 Sur ce point capital, une dernière réflexion. Avec un Dieu qui voit tout, qui doit tout juger, tout récompenser ou punir, qui ne peut être trompé sur rien, ni au dedans, ni au dehors, qui sonde les cœurs et les reins (Ps. VII, 10), qui connaît et pèse les plus secrètes intentions, qui analyse, avec une perfection infinie, le degré de bonté et de malice et tout le détaille plus intime de nos pensées, de nos affections et de nos moindres actions : avec ce grand Dieu, si puissant et si clairvoyant, où se réfugier ailleurs que dans la plus entière Simplicité, dans la plus parfaite droiture? Quelle autre liberté se donner que celle qu'inspirent et que permettent l'amour sincère, la soumission absolue, la Simplicité et l'Humilité vraies !

 Avec les hommes, on petit essayer de se cacher, dissimuler, sauver les apparences, au moins pendant quelque temps ; mais, avec Dieu, impossible: il n’y a, dit le Livre des Proverbes, ni sagesse, ni prudence, ni conseil contre le Seigneur (Prov., XXI,30). Tout est vu, apprécié, jugé, absous ou condamné, avec une science infinie à qui rien n'échappe, avec une justice infinie que rien n'arrête, avec une sainteté infinie que rien ne peut altérer. Donc, pour avoir quelque joie véritable, quelque paix solide, quelque contentement réel, point d'autre voie que celle de l'Humilité, de la Simplicité, de la Droiture, à l'intérieur comme à l'extérieur. « S'il y a quelque joie  dans le monde, dit l'Auteur de l'Imitation, avec saint  Paul, elle est pour celui qui a le cœur pur ; et s'il y a « quelque affliction et quelque misère, elle est le partage des hommes sans conscience. »

 Autre pensée.

 Je détache la pensée qui suit, parce qu'elle m'est venue, après coup, en faisant à un jeune Frère, au moment de son départ, mes recommandations ordinaires sur les quatre points : Piété, Docilité, Travail, CONTENTEMENT. C'est ce dernier mot qui m'a reporté à un principe ou condition indispensable de joie et de contentement, surtout en Communauté.

 La Sainte Ecriture nous dit que l'homme mangera son pain à la sueur de son front (Gen., III, 19). Ce travail, rigoureusement exigé pour le pain matériel, qui est la vie du corps, ne l'est pas moins pour la nourriture du cœur, la vertu ; pour la nourriture de l'esprit, la science ; mais il l'est surtout pour le pain de l'âme, le pain de l'esprit et du cœur, la joie, le contentement. il est certain, et c'est d'expérience, qu'en Religion principalement, on ne peut avoir la paix, et le contentement qu'à la sueur de son front, c'est-à-dire, en l'achetant et le payant par beaucoup de sacrifices et une continuelle abnégation de soi-même.

 L'Auteur de l'Imitation, qui en a calculé le prix et en donne les moyens, nous demande quatre choses, aussi coûteuses que nécessaires : « Mon fils, dit le céleste « Epoux de l'âme, je veux vous apprendre maintenant  la voie de la paix et de la véritable liberté. » L'âme prie son Seigneur de lui faire cette grâce, et le Seigneur ajoute : « Mon fils :

 « 1° Ayez soin de faire toujours plutôt ce que les autres veulent que ce que vous voulez ;

 « 2° Contentez-vous de peu, et aimez à avoir toujours moins que les autres ;

 « 3° Recherchez toujours le dernier lieu, et prenez  plaisir à être au-dessous de tous ;

  « 4° Souhaitez et priez toujours que la volonté de  Dieu s'accomplisse pleinement en vous.

  Celui, conclut le Seigneur, qui se conduira de la  sorte, entrera indubitablement dans la paix et e  repos. » (III Imit., 23).

 C'est sur ces principes et dans cette doctrine que je dis et redis à nos jeunes Frères, et je le répète ici pour tous et pour tous les emplois : Si vous voulez être contents vous-mêmes, appliquez-vous à contenter parfaitement les autres. Qu'on soit content de votre travail, que tout se fasse à l'heure et se fasse bien, Qu'on soit content de votre piété, de votre docilité, de toute votre conduite. Ne plaignez ni peines, ni temps, ni soins, pour faire toutes choses de votre mieux.

 Gardez-vous surtout de dire : « Je n'ai que faire de cela. – Je ne suis point à gages. – Je veux me donner du large. – Tant pis si l'on n'est pas content ! etc. … »

 Vous vous tromperiez, mon cher Frère, vous vous tromperiez ; avec ce langage et cette conduite, il n'y aura autour de vous que dépit et malaise, que plaintes et murmures. Vous entraverez tout, vous ferez tout souffrir ; et ce mal vous reviendra, à vous tout le premier, et vous reviendra tout entier. Le mécontentement général dont vous serez la cause, pour vouloir contenter la négligence et l'amour-propre, vous ôtera toute paix et tout repos, vous rendra toute vertu comme impossible, et compromettra infailliblement votre persévérance.

 Aussi, faut-il faire tout le contraire, c'est-à-dire, redoubler d'attention et d'efforts pour remplir parfaitement votre emploi ; y consacrer tout votre temps et tout votre savoir, et ne jamais craindre de demander conseil et direction. Peut-être que la fatigue s'ensuivra, que vous aurez à éprouver la gêne et la contrainte, à suer, selon le mot de la Sainte Ecriture ; mais, par cette sueur et cette gêne, votre emploi sera fidèlement rempli, tout se fera et se fera bien. Autour de vous, on sera à l'aise, on sera satisfait; l'on sentira et l'on verra l'ordre, la convenance, la propreté, l'exactitude, le bon vouloir. C'est un bien-être général, dont le premier fruit sera pour vous-même.

 Heureux résultat, effetcertain, effet délicieux de la belle vertu de Simplicité. Le cœur simple et droit, qui s'oublie constamment lui-même, pour ne penser qu'aux autres, arrive infailliblement à contenter, dans quelque poste et emploi qu'il se trouve ; et, par une conséquence nécessaire, il s'adoucit à lui-même toute sa peine et il y trouve son vrai contentement. 0 aimable vertu ! ô droiture de l'esprit et du cœur ! ô héroïque Simplicité ! Quelle paix, quelle joie, quelle parfaite union tu ferais naître et tu entretiendrais dans toutes nos Maisons !

 IV. – La Simplicité, source de prospérités même temporelles, s'allie très bien avec le mérite et les talents.

 La véritable prudence, le bon jugement, la conduite constamment sage, le succès même temporel, vraiment solide et durable, n'appartient, en réalité, qu'aux âmes simples et droites qui ne cherchent que Dieu seul et qui le cherchent en tout, ne séparant jamais le spirituel du temporel, l'âme du corps, l'éternité du temps, Dieu de la créature.

 « Je ne dépose jamais mon bulletin devote dans  l'urne », me disait, un jour, à Versailles, un de nos Députés, aussi éminent par le talent et l'influence, que par son nom et sa fortune, « non, assurait-il, je ne dépose jamais mon vote que je ne m'adresse à moi-même cette question: Quid hoc ad aeternitatem? Qu'est-ce que cela pour l'éternité? Quel résultat aura ce vote,  sans doute, pour le bien temporel de mon pays; mais  aussi et avant tout, pour le bien des âmes? pour mon  éternité et pour celle des autres? »

 Oh ! quels votes heureux et salutaires nous aurions, à tous les points de vue, si tous se faisaient sous la même inspiration et dans le même esprit? Quelle force et quelle sagesse seraient imprimées à nos lois ! quelle puissance et quelle solidité se développeraient dans la nation entière ! Cherchez avant tout le royaume et la justice de Dieu, et tout le reste vous arrivera comme par surcroît (Math., V, 33). On peut le dire, tout le bien temporel possible arriverait à la société, arriverait aux familles, arriverait aux individus, qui subordonneraient aux intérêts de Dieu tous les autres intérêts ; qui n'auraient, même dans le commerce ordinaire de la vie, que cette vue simple, unique et constante du règne de Dieu.

 Récemment, il m'a été donné de contempler, dans un des plus riches industriels d'un pays voisin, cet accord merveilleux d'une prospérité temporelle inouïe avec l'admirable Simplicité de la foi chrétienne, ne cherchant que Dieu seul.

 Il avait, sous la main, près de huit mille ouvriers, occupés à l'exploitation de quarante-trois fosses de charbon.

 Heureux industriel, il exerçait toute autorité sur ses nombreux ouvriers ; il en était considéré et aimé comme un père ; et, pendant qu'une foule d'autres industriels manquaient de bras, lui n'avait qu'à choisir parmi la multitude de ceux qui demandaient à travailler sous sa dépendance.

 Or, lorsque, surpris de tant de prospérités, ses Collègues lui en demandent le secret, il ne craint pas de l'avouer à tous, même à ceux qui partagent le moins sa foi profondément religieuse. « Moi, dit-il, je réussis,  parce que je suis Clérical, et CLÉRICAL dans toute la  force du mot. Je me confesse, je vais à la Messe, je communie et je prie. En suivant mes fosses, l'une après l'autre, en visitant mes chantiers et mes ouvriers, je me fais un bonheur de dire mon Chapelet.

 « Je ne suis pas CLÉRICAL, pour faire aller mon commerce, c'est Dieu que je cherche avant tout ; mais mon commerce va et s'agrandit au delà même de mes  désirs, parce que je suis clérical, chrétien pratiquant,  et que je me fais un devoir de mettre toujours en  avant et mon propre salut et le salut de mes ouvriers.  A tout prix, je veux que la moralité soit parmi eux,  qu'il n'y ait pas de mélange de sexe dangereux, que  le nom et les choses de Dieu y soient respectés.

  « Messieurs, soyez cléricaux comme moi, et vous  réussirez de même. Je dois même ajouter que, n'étant  qu'un simple charbonnier, mon cléricalisme me fait  passer pour un Orateur ; iln'est pas de réunion, de  cercle, de comité quelconque, où l'on ne me force de  prendre la parole, et presque toujours devant les sommités de la science et du pouvoir, dans l'ecclésiastique comme dans le civil. »

 O règne de Dieu ! ô sublime Simplicité de la foi ! ô puissance de l'unité chrétienne ! comme tu fais l'homme grand ! comme tu le fais disert ! comme tu le rends puissant et influent ! Qui ne sent toute la force, toute la solidité que donneraient de tels chefs et aux Etats et aux familles ! Si, par contre, et dans les Etats et dans les familles, il y a tant d'affaiblissements, tant de bouleversements, tant de ruines accumulées, c'est que Dieu ne fonde, ni n'élève, ni ne couronne l’édifice. On veut se passer de lui, on veut séparer l'âme du corps, le spirituel du temporel, afin d'opérer plus librement; mais on opère sur la matière inerte et sans vie, on n'arrive qu'à des œuvres de destruction et de mort.

 Les notes ci-dessus sont d'il y a cinq ou six ans. Je les donne ici sans y rien changer, ne pouvant m'empêcher de toucher, incidemment, ces questions générales que Marie semble avoir spécialement en vue, depuis quarante ans, dans toutes ses Apparitions. Elle prend compassion des maux qui nous désolent, elle veut y apporter un remède souverain et universel, et voilà pourquoi elle se montre, constamment à nous, avec tous les accompagnements de la Simplicité et de l'Humilité, se servant de jeunes enfants, d'enfants simples et grossiers, pour nous donner, à la Salette, ses avertissements, nous faire entendre les menaces de la justice divine ; pour nous appeler, à Lourdes, à la pénitence et à la componction ; et, finalement, à Pontmain, pour nous convoquer tous à la Simplicité d'une prière humble et fervente. Mais priez, mes Enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher.

 Hâtons-nous, cependant, de nous renfermer dans notre modeste sphère, et d'apprendre nous-mêmes à nous humilier, selon l'esprit de notre sainte Vocation. Parmi nous surtout, il est vrai de dire qu'il n'y a aucun succès possible, aucun bien possible, aucune persévérance possible, si ce n'est par la parfaite humilité et la véritable Simplicité : ni talents, ni science, ni ancienneté, ni titres quelconques ne sauraient les remplacer.

 On s'étonne quelquefois de certaines capacités qui semblent n'être pas suffisamment employées ; on en demande la raison, on va même la chercher dans de prétendues défiances, dans des préventions supposées qui excitent le mécontentement et le murmure ; tandis que dans le fond, ce n'est que l'amour-propre qui paralyse à la foi, et les talents de l'Inférieur et le bon vouloir des Supérieurs.

 Pour ceux qui ont le bon esprit, un sens droit, tout s'explique par ce trait d'un Père du désert. On lui reprochait ses préférences pour son disciple Marc : on criait à la faveur, à la partialité. Le Supérieur ne répond pas ; il prend avec lui les accusateurs, et va, avec eux, de cellule en cellule. Il appelle, l'un après l'autre, chacun de ses Religieux ; et, partout, c'est une lenteur, une indifférence, qui dénote la résistance et s'accentue plus ou moins, jusqu'à la cellule de Marc, âme simple et docile. Là, le moindre signe du Supérieur suffit, il vole à sa parole ; et, pour mieux obéir, il laisse à demi formée une lettre que son Ange achèvera en traits d'or.

 O droiture, ô promptitude, ô perfection, ô Simplicité de l'Obéissance, que ne viens-tu t'ajouter à tous nos talents, à toutes nos capacités ! Oh ! comme tu les centuplerais et en rendrais l'application et l'emploi faciles !

 La grandeur elle-même a besoin de la Simplicité, c'est son plus bel apanage : la suffisance, l'arrogance la tue. C'est au point que, plus on est élevé, riche, puissant, éloquent même, plus on inspire de mépris, plus on excite de pitié au moins, lorsque la Simplicité fait défaut.

 Et l'apparence de la Simplicité ne suffit pas ; il faut la Simplicité, la franchise, la droiture réelle, l'oubli de soi-même réel, la docilité, l'humilité réelle. Sans cela, point d'esprit, de jugement, de volonté, d'homme complet, d'homme qui puisse être employé avec avantage au bien général de l'Institut.

 C'est donc à cette droiture et à cette Simplicité que nous devons viser tous ; et que doivent viser surtout ceux qui ont ou qui se croient des talents. Quand la Simplicité n'y est pas, quand la parfaite docilité fait défaut, plus il y a de talents, plus ils sont accompagnés de succès, de certaine régularité, de certaines vertus extérieures, plus il y a de dangers pour les esprits légers qui ne se paient que des dehors et des apparences. 

V. – La Simplicité opposée à la duplicité.

 Pour mieux connaître l'excellence de la Simplicité chrétienne, nous l'opposerons, dans ce Paragraphe, au vice contraire, au vice affreux de la duplicité. Autant la Sainte Ecriture et les Pères louent et exaltent la belle vertu de Simplicité, autant ils flétrissent et anathématisent le vice odieux de la duplicité. Dieu, dit l'Esprit-Saint, qui communique ses secrets aux simples, a en abomination l'homme double (Prov., III, 22). Malheur au cœur double, dit-il encore dans l'Ecclésiastique, aux mains souillées de crimes, et au pécheur qui marche sur la terre par deux voies (Eccl., II, 14); car, en assurant dans les Proverbes que celui qui marche simplement sera sauvé, il assure de même que celui qui va par des voies obliques, qui use de détours et d'artifices, tombera sans ressource (Prov., XXVIII, 18). Aussi, avait-il dit plus haut au même Chapitre: Mieux vaut le pauvre qui marche dans sa simplicité, que le riche qui s'enfonce dans les chemins tortueux (ibid., 6).

 Saint Grégoire le Grand fait ressortir, à la fois, et les caractères odieux de la duplicité et les caractères tout opposés de la Simplicité. La vraie Simplicité de cœur, dit-il, ne connaît ni l'obscurcissement de la fraude, ni les ténèbres du mensonge, ni les noirceurs de l'envie, ni les tromperies de la ruse; elle ne suit que la lumière de la vérité. Oh ! que la Simplicité du cœur humain est d'une grande valeur auprès de la nature simple du Dieu tout-puissant ! J'ai toujours de la vénération, s'écrie saint Jérôme, pour la sainte Simplicité ; rien ne plaît tant à Dieu que cette vertu unie à l'innocence. Au témoignage de saint Pierre Damien, celui qui marche avec Simplicité, est du pain azyme, il revêt l'homme nouveau ; celui qui est à double face est du levain, et il persévère dans la vétusté de l'erreur. Gardez-vous de toute duplicité dans l'âme, nous dit saint Jean Chrysostome ; parce que ce vice transforme la brebis la plus innocente, et lui met dans les entrailles la méchanceté du loup.

 Mais, c'est surtout au jugement dernier que nous reconnaîtrons et le prix inestimable de l'humble Simplicité, et le malheur effroyable de l'orgueil et de la duplicité. « Alors, dit l'Auteur de l'Imitation, l'humble et  le pauvre seront dans une confiance ferme et assurée;  et le superbe, au contraire, sera pénétré de frayeur et  de désespoir. Alors, les habits pauvres auront de l'éclat et les plus magnifiques perdront leur lustre. Alors, les maisons de chaume et de boue seront plus estimées que les palais d'or et d'azur. Alors, la Simplicité des âmes obéissantes l'emportera sur toute  l'adresse et l'habileté des sages du monde. »

 Toutefois, pour entrer plus à fond dans cette matière, disons que la définition même de la duplicité, donnée par saint Thomas, nous en révèle toute la malice. C'est un vice, dit-il, par lequel l'homme poursuit une chose au dedans, et s'efforce d'en montrer une autre au dehors; c'est l'opposé de la vraie Simplicité, qui exclut toute intention double et perverse.

 Le mal du cœur double est de manquer de Simplicité, de franchise et de sincérité ; d'avoir toujours sur les lèvres ses paroles en désaccord avec ses pensées, ce qui le jette dans une versatilité perpétuelle. Saint Augustin donne, en un mot, et la raison et la méchanceté de ce vice odieux : Votre cœur n'est pas droit, dit-il; pourquoi? parce que vous ne voulez pas régler votre conduite sur la volonté de Dieu, qui est toujours la même et toujours sainte ; mais vous voudriez faire fléchir la volonté de Dieu à la vôtre, qui n'est que perversité et inconstance.

 Aussi, depuis l'origine des temps, Dieu n'a-t-il cessé d'accorder la gloire et le succès à la Simplicité, et de couvrir de confusion, d'accabler de maux la duplicité.

 Tous les siècles ont admiré la Simplicité de Noé qui, se soumettant aux ordres de Dieu, met un siècle à bâtir l'arche, et trouve dans ce travail son salut et le salut de sa famille ; pendant que le monde entier, perdu dans son orgueil et sa corruption, est abîmé sous les eaux du déluge. Naaman fût resté, sa vie entière, livré à la honte de sa lèpre, si sur les représentations de ses serviteurs, il ne se fût rendu, avec Simplicité, aux prescriptions du Prophète Elisée.

 Abel plaît à Dieu par sa droiture et sa Simplicité Caïn lui est en abomination par sa dissimulation et son hypocrisie. La Simplicité et la droiture de cœur triom­phent, dans Mardochée, de tout l'orgueil et de toute la cruauté d'Aman. Dévoré par les douleurs et les cha­grins, comme tous les cœurs pervers, cet ambitieux va expier, sur la potence même qu'il avait fait dresser pour le juste Mardochée, les crimes et les forfaits où son orgueil et sa duplicité l'avaient entraîné. O vice affreux de la duplicité, qui a l'amour sur les lèvres et la haine dans le cœur, que tu es mauvais! O cœurs doubles, dont toutes les paroles démentent les sentiments, vous n'avez d'autre chef que le traître Judas, qui, disait hypocritement : Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, qu'on aurait donnés aux pauvres? (Jean, XII, 5). Et l’Evangéliste ajoute aussitôt: Il disait ceci, non qu'il se mit en peine des pauvres ; mais parce que c'était un larron, et, qu'ayant la bourse, il portait l'argent qu'on y mettait (ibid., 6).

 Le modèle des cœurs doubles est dans Simon le Ma­gicien, que saint Pierre menace de la colère de Dieu, en lui reprochant sa dissimulation: Que ton argent périsse avec toi… Ton cœur n'est pas droit devant Dieu… Je vois que tu es plein d'un fiel amer, et engagé dans les liens de l'iniquité (Act., VIII, 20, 21, 25). Leur langage est celui des Pharisiens, qui donnaient de bonnes paroles au Fils de Dieu, pendant que, dans le fond, ilsne cherchaient qu'à le surprendre et à le mettre en défaut. Déjà, plus haut, nous avons vu la fourberie d'Hérode, opposée à la Simplicité des Mages, déjouée par la révélation de l'Ange ; et la fin, c'est que les Mages deviennent des Apôtres de Jésus-Christ, des Saints ; et que la fourberie d'Hérode n'aboutit qu'à inonder de sang toute la Judée, à le rendre l'horreur du monde et l'exécration des siècles. Il finit misérablement, maudit de Dieu et des hommes, ordonnant, pour consommer ses crimes et sa honte, pour avoir à sa mort des larmes forcées, de massacrer aussitôt tous les principaux des Juifs.

 Hélas ! l'histoire des duplicités humaines serait horrible, et il faudrait des volumes pour rapporter tout ce que la Sainte Ecriture et les Pères en ont dit d'affreux.

 Contentons-nous d'ajouter que, même parmi nous, les cœurs doubles, les âmes dissimulées, les esprits susceptibles, n'ont ni paix, ni contentement, ni persévérance assurée. Ils sont toujours dans l'appréhension sur tel emploi qui ne leur irait pas, sur tel poste qui ne leur conviendrait pas, sur tel Directeur auquel ils ne voudraient pas être soumis, sur tels inférieurs qu'ils ne sauraient accepter. Tout leur fait ombrage, tout les inquiète, ils ne marchent que sur les épines. Et plaise à Dieu que la duplicité ne conduise jamais personne de nous à trahir ses Vœux, à trafiquer des âmes, à profaner les Sacrements et à perdre sa Vocation. Pour cela, dit saint Augustin, qu'une humilité profonde foule aux pieds l'orgueil; car l'humilité rend l'homme semblable aux Anges, tandis que l'orgueil a fait des Anges, des démons. 

VI. – Conclusion.

 Je donne d'abord, comme Conclusion, quelques aperçus de détail qui m'ont été fournis sur la pratique de la Simplicité, tâchant de les mettre en évidence et de les rendre aussi clairs que possible.

 « Entre toutes les vertus, choisissez et aimez de préférence la Simplicité des enfants, à laquelle est promis le royaume des Cieux. Elle sera pour vous l'abrégé de la perfection et la science du salut. Appliquez-vous à être simples en tout et de toute manière. »

 I. « SIMPLES D'ESPRIT, comme de petits enfants, sans comparaison, sans vous prévaloir d'aucun avantage, sans penser même que vous en avez, sans autre usage de cette faculté naturelle, L'ESPRIT, que de montrer une raison plus sage et plus modeste. » 

Il. « SIMPLES DE COEUR :

 « 1° Envers Dieu: crainte filiale, sans trouble ni inquiétude ; confiance amoureuse, sans présomption ; fidélité exacte, sans raffinement ni subtilité ; désir de lui plaire et de faire en tout sa sainte volonté, comme fait un enfant avec sa mère qu'il aime tendrement et, dont il sent qu'il est aimé. »

 « 2° Envers le prochain : affection sincère et cordiale toujours selon Dieu ; ouverture et franchise, sans indiscrétion ; jugement droit, unissant la Simplicité de la colombe à la prudence du serpent ; charité douce, patiente, prévenante, compatissante, vous oubliant vous-mêmes pour être tout aux autres ; ne faire avec tous qu'un cœur et qu'une âme dans la paix et l'union. »

 « 3°Envers soi-même : esprit d'ordre et de paix ; patience avec soi comme avec les autres ; supporter ses misères et ses propres défauts, comme ceux d'autrui, sans s'abattre et sans se flatter ; ne se faire ni pire, ni meilleur qu'on n'est; ne se laisser dominer ni par le travail et les écarts de l'imagination, ni par les illusions de l'amour-propre. »

 III. « SIMPLES DE CARACTÈRE : évitant également et l'humeur et le caprice, et l'empressement et l'indifférence ; céder facilement, sans laisser voir que l'on cède ; sacrifier son sentiment et sa volonté, sans qu'il y paraisse ni effort ni contrainte ; s'accommoder de tout sans s'en faire un mérite, comme un petit enfant, sous les yeux de sa mère, s'occupe d'elle et de ce qu'elle désire, sans que rien, dans l'univers, puisse ou l'arrêter ou le distraire. »

 IV. « SIMPLES EN TOUT : Dans l'habillement, qui doit être convenable, sans être recherché ni négligé ; dans les manières, qui doivent être naturelles et honnêtes, sans apprêt; dans le marcher, sans autre prétention que d'aller à son but ; dans le manger, qui doit être réglé par le besoin et la raison, modéré et sanctifié par la Religion ; dans le maintien, composé sans art; dans le parler, sans malice ni finesse ; enfin, dans toute la conduite extérieure fuyant l'affectation jusque dans la Simplicité même ; sans recherche de soi, sans retour d'amour-propre, sans songer à être remarqué, comme un petit enfant, qui ne pense nullement au jugement et à l'estime des hommes. »

 V. « SIMPLES SURTOUT DANS LA PIÉTÉ, évitant également et la singularité qui la déshonore, et les petitesses serviles du scrupule, contraires à la loi d'amour, et les illusions de la routine ; fuyant le découragement de la pusillanimité et les élans de  la présomption, qui font également injure à l'esprit de grâce et à la bonté de Dieu se défiant de l'ardeur d'un zèle impétueux, qui aspire d'abord à ce qu'il y a de plus élevé, qui prend l’enthousiasme de l'imagination pour inspiration, et qui ruine l'édifice par les fondements, en mettant la nature et l'amour-propre à la place de la grâce et de l'humilité, principe de tout bien. »

 Il ne serait pas possible de résumer, avec plus de précision et plus de clarté, tout ce qui a été dit, dans cette Instruction, sur l'admirable vertu de Simplicité ; mais, après ces détails et sur son excellence, et sur sa pratique, comment ne pas nous écrier avec les Saints: Oh ! heureux le Chrétien, heureux le Religieux, heureux, ajouterons-nous, tout Petit Frère de Marie, qui se remettra simplement entre les mains de Dieu, pour faire librement et volontairement, tout ce qui lui plaira ! Sa vie, peut-être, comme celle de Jésus, comme celle de Marie, comme celle des Apôtres, ne sera qu'une vie de travail et d'humiliations, d'épreuves et de croix; mais aussi, dès ici-bas, quel bien accompli ! quelles vertus pratiquées ! quels mérites acquis ! quels trésors accumulés ! et, dans l'éternité, quelle gloire ! quels ineffables délices ! quelles richesses ! quelles récompenses ! Non, en présence de ce grand bien de l'humble Simplicité chrétienne, rien ne doit paraître ni trop grand, ni trop difficile, ni trop coûteux, même à notre pauvre faiblesse, la grâce lui venant en aide.

 Disons de même : Heureuses les familles, heureuses les Communautés, heureuses les sociétés qui entrent résolument dans cette voie de Simplicité, de droiture et d'obéissance; qui s'emploient, avant tout, à procurer le règne de Dieu, et l'accomplissement de sa volonté! On le sait, les familles, les Communautés, les sociétés, comme telles, n'ont d'existence qu'ici-bas. Ici-bas donc, elles doivent recevoir leur récompense, et la recevoir comme corps, comme congrégation; c'est-à-dire qu'elles seront bénies de Dieu de bénédictions toutes spéciales ; qu'elles seront soutenues, protégées, développées et perpétuées d'une manière extraordinaire.

 Que cette pensée, M. T. C. F., nous touche et nous pénètre tous ! qu'elle nous porte, si nous aimons notre Institut, si nous voulons qu'il se conserve et qu'il prospère, à y entretenir, avant tout, le zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes ; à y perpétuer l'esprit du Fondateur, l'esprit de Simplicité, d'Humilité et de Modestie. C'est là et ce n'est que là que nous devons chercher et que nous pouvons espérer de trouver la force, la sûreté, la réputation et le succès.

 Ainsi, M. T. C. F., pour nous résumer rapidement, redisons-le, c'est en Dieu même, c'est dans le mystère adorable de la Sainte Trinité, que nous avons le modèle premier, la pratique première de cette sublime vertu de la Simplicité qui nous est tant recommandée. C'est en Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait Chair, c'est en Marie, c'est dans les Apôtres et dans tous les Saints, que nous descendons, par degré, et que nous arrivons à la pratique plus ordinaire et plus détaillée, de cette belle vertu.

 Et, pour lui assurer de plus en plus toute notre estime et tout notre amour, rappelons-en, de même, succinctement, et les fruits merveilleux et les effets tout divins.

 Oui, à l'admirable Simplicité, la vraie lumière, la sagesse surnaturelle, la science des Saints, la vérité pure sans mélange d'erreurs.

 A l'humble et innocente Simplicité chrétienne, la force, la grandeur, le courage, la constance ; à elle seule l'héroïsme de ces vertus.

 A l’Enfance chrétienne, à l'incomparable Simplicité, la gloire véritable, la joie solide, le bonheur et le vrai contentement – à elle, le salut, la vie, le caractère propre des élus.

 O sainte et aimable Vertu ! nous t'aimerons, nous te chérirons, par l'horreur même du vice contraire ; car nous le savons, au cœur double, à l'esprit faux et dissimulé, à l'affreuse duplicité, l'ignorance et l'illusion, la faiblesse et l'impuissance, les peines et les tourments de toutes sortes, les fautes et les crimes, le caractère propre de la réprobation.

 Cependant, M. T. C. F., après toutes ces réflexions, je veux encore faire appel à un bien doux souvenir, au sentiment et à la pensée même du Fondateur, pour les résumer et les préciser toujours davantage.

 J'ai parlé, en commençant, de programme, de bouquet spirituel, pour la nouvelle année. Or, le programme, le bouquet spirituel, qui doit nous rester à tous, qui doit nous rester toujours, qui doit être le salut de la Congrégation et de tous ses Membres, je le trouve dans un mot du Vénéré Père Champagnat. Il l'a écrit de sa propre main, le 29 août 1831; et il l'a écrit, dans sa lettre d'admission, à celui-là même qui vous fait toutes ces réflexions. Le bon Père ne pensait pas alors que, quarante-sept ans après, cette bonne parole serait recueillie par son second successeur, au moment même où, à son tour, approchant de la fin de sa course, il serait heureux de la laisser, comme un pieux et bon souvenir, à toute la Congrégation, devenue soixante fois plus nombreuse.

 Voici donc cette bonne lettre, qui résume, en effet en deux mots, tout ce que nous avons dit de la Simplicité. Je n'y change rien :

 « Vivent Jésus, M., st J.

      Mon cher Monsieur,

  La grande, et je puis dire, l'unique condition qu'il faut, pour entrer dans notre Maison, avec la santé, C'EST UNE BONNE VOLONTÉ ET UN SINCÈRE DÉSIR  DE PLAIRE A DIEU. Venez avec cette disposition, vous  serez reçu à bras ouverts. Vous ferez le bien dans  notre Maison. Marie, notre bonne Mère, vous protégera ; et après l'avoir eue pour première Supérieure, « vous l'aurez pour Reine dans le Ciel.

 Suit un mot sur les conditions matérielles du Noviciat puis, il termine en disant :

 Je vous laisse dans les sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. J'ai l'honneur d'être,  Votre tout dévoué serviteur,

 Signé : CHAMPAGNAT,

   Sup. des P. F. M.

 

Notre-Dame de l'Hermitage, le 29 août 1831 ».

 Vous le voyez, M. T. C. F., ce que le Fondateur nous demande, c'est la bonne volonté, accompagnée d'un sincère désir de plaire à Dieu, et ce n'est autre chose que la parfaite Simplicité. Là, où est le seul, dit saint Jean Chrysostome, là est la Simplicité; car la Simplicité n'admet pas de mélange et ne se trouve que dans ce qui est seul. Donc, la volonté de Dieu, la seule volonté de Dieu, la seule volonté essentiellement bonne, voilà la Simplicité, et voilà ce que nous demande le pieux Fondateur. Mais ici, pour donner la Simplicité à ses différents degrés, rappelons ce qui a été dit aux dernières Retraites, sur la bonne volonté :

 La bonne volonté a trois degrés: 1°La bonne volonté ordinaire, celle des bergers, qui s'empressent de venir adorer l’Enfant Jésus; c'est celle de tous les Justes, qui se sauvent en pratiquant les Commandements; 2° la forte volonté, celle qui fait les Apôtres, qui fait les Martyrs, qui fait les Religieux, qui fait tous les Saints ; 3° la parfaite volonté, la divine volonté, qui fait les grands Saints qui a fait Marie : Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole.

 C'est sur ces trois sortes de volontés, bonnes et saintes que repose la Simplicité chrétienne, à ses différents degrés: Simplicité admirable qui, à tous les degrés, nous fait ne vouloir que ce que Dieu veut, le vouloir sincèrement le vouloir uniquement, le vouloir constamment, sans nous rechercher nous-mêmes, sans ruse ni artifice, en toute droiture, humilité et Simplicité de cœur.

 Mais, il faut le dire, à la Simplicité chrétienne, qui s'appuie sur cette triple bonne volonté, vient s'opposer la duplicité, engendrée elle-même par une triple perverse volonté : 1° la mauvaise volonté, celle des Pharisiens qui tourne tout en mal et n'est qu'hypocrisie ; 2°la demi-volonté, celle de Pilate, qui ne veut le bien qu'à moitié, n'aboutit qu'au mal et peuple l'enfer; 3° la volonté satanique, celle de Judas, qui ourdit le crime dans l'ombre et nourrit les plus tristes passions. C'est à cette triple perversité de volonté que s'attachent, à divers degrés, les cœurs doubles, les esprits partagés, (Jacq., I, 8), tous ceux qui prétendent et veulent servir deux Maîtres (Math., VI, 24).

 Donc, de nouveau, repoussons toutes ces mauvaises volontés, toute la duplicité dont elles sont le principe ; et apportons à notre saint état la bonne volonté, le sincère désir de plaire à Dieu, que nous demande notre pieux Fondateur.

 Voyez, dans la suite de sa lettre, quelles faveurs il nous promet : 1° faire beaucoup de bien dans notre Vocation; 2°avoir Marie pour Mère; 3° être constamment protégés par elle ; 4° être conduits en tout par ses soins et par ses ordres, comme notre première Supérieure ; 5°  porter son nom, son habit et former sa famille; 6° dans l'éternité, au soin même de Dieu, avoir à jamais Marie comme notre Reine, notre Souveraine immortelle.

 Voilà, M. T. C. F., comment le pieux Fondateur nous arrive, à la fin de cette Instruction sur la Simplicité chrétienne, pour la résumer, pour la compléter et la préciser. Ah ! après tant de réflexions et avec tant de lumières sur cette belle vertu, laissez-moi, je vous prie, vous la souhaiter à tous et la demander de nouveau pour moi-même.

 Il ne m'est pas possible de former un vœu qui résume mieux tous les autres vœux ; un vœu qui réponde mieux à la pensée du vénéré Père Champagnat; un vœu qui imprime et conserve mieux à toute son Œuvre le cachet particulier qu'elle doit avoir; un vœu, enfin, qui vous traduise mieux ma propre pensée, qui vous dise plus fidèlement l'ardente affection que je vous porte à tous et le désir profond que j'ai de servir la Congrégation et d'en assurer l'avenir, en nous établissant tous et pour toujours, dans l'estime, dans l'amour et dans la pratique de L'HUMBLE ET INNOCENTE SIMPLICITÉ CHRÉTIENNE.

 La présente Circulaire sera lue, en Communauté, à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle ; et, de plus, au réfectoire, dans les Maisons de Noviciat.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph, Mes Très Chers Frères,

 Votre très humble et très dévoué Frère et serviteur,

 F. Louis-Marie.

 

AVIS DIVERS 

1° Juvénats.

 Tous les Frères Directeurs sont instamment priés de prendre à cœur l'organisation immédiate de l’Œuvre des Juvénats. Sous aucun prétexte, il ne faut l'ajourner. Nous avons besoin de ressources pour entretenir les nombreux Juvénistes déjà reçus et bon nombre vont encore nous arriver.

 A cet effet, tous les Frères Directeurs de chaque District se réuniront au Chef-lieu, le 36 jeudi de février; et là, sous la présidence du Frère Directeur de District, ils se concerteront sur les meilleurs moyens à employer pour organiser l’Œuvre.

 Pour éviter des frais de poste, le Frère Directeur de District prendra note des Prospectus, Portraits et autres pièces dont on aurait besoin ; il nous transmettra cette note et nous expédierons à chaque Frère Directeur ce qu'il aura demandé.

 Nous croyons qu'un excellent moyen de propager I'Œuvre est de se servir des Elèves les plus grands et les plus intelligents. On peut les réunir à part pour leur expliquer et leur faire comprendre le but, les avantages et l'organisation de l’Œuvre. Ces Enfants, ainsi instruits, pourront organiser eux-mêmes des Dizaines, soit dans les Classes, soit dans la Paroisse, et trouver des Zélateurs et des Souscripteurs. Qui pourrait refuser de prendre part à une Œuvre propagée par de pieux Enfants et ayant pour but le salut de l'enfance !

On trouvera de même, à peu près partout, d'anciens Elèves qui seront heureux de prêter leur concours.

 Oui, nous en avons la confiance, cette Œuvre réussira infailliblement, si tous vous prenez à cœur de l'établir et de la propager. Nous avons déjà reçu de la plupart de Nosseigneurs les Evêques, à qui nous en avons fait part, des bénédictions et des encouragements. Tous font les meilleurs souhaits pour la réussite des Juvénats.

 Vous avez dû recevoir les pièces suivantes

 1° Une lettre explicative ;

 2° Les deux Prospectus de l’Œuvre;

 3° Des feuilles de Dizaine ;

 4° Quelques portraits seulement du V. P. Champagnat pour Bulletin d'Inscription. L'Imprimeur ne nous les livre que lentement. Dans quelques jours, nous en aurons à votre disposition, vous n'aurez qu'à nous faire la demande du nombre qui vous sera nécessaire. Vous nous demanderez de même les autres pièces dont vous aurez besoin.

 Le Carnet de Souscriptions, qui vous arrive avec cette Circulaire, est destiné à inscrire les noms des Bienfaiteurs autres que les Membres de Dizaine. On fera en sorte d'obtenir que la personne qui donne ou promet de donner, écrive elle-même son nom, surtout si la souscription est annuelle.

 Vous tâcherez de placer le plus grand nombre possible de ces Carnets, ayant soin, toutefois, de ne les confier qu'à des personnes honorables et dignes de confiance. Les Chefs de Dizaine peuvent en avoir un pour inscrire les dons autres que la Cotisation des Membres de la Dizaine, dont ils sont chargés.

 Inutile de répéter ici que ces Carnets sont surtout destinés aux Dames Patronnesses de l’Œuvre.

 Les Frères des Ecoles Chrétiennes qui, vous le savez, ont organisé partout cette Œuvre des Juvénats, et qui comptent déjà leurs recettes annuelles par centaines de mille francs, tirent le meilleur parti de ces petits Carnets de Souscriptions.

 J'espère qu'ils nous réussiront de -même, d'une manière plus modeste il est vrai, mais non moins efficace, en raison de nos besoins.

 Si les ressources financières nous sont indispensables, les bonnes Vocations, je le répète, le sont bien davantage. Je vous recommande donc de favoriser, cultiver et développer les Vocations et de diriger les Enfants Aspirants vers nos Juvénats, dès qu'ils ont l'âge requis; on ne saurait les éloigner trop tôt des dangers de la corruption du monde. A 14 et 15 ans, le mal a souvent fait d'affreux ravages dans ces jeunes âmes.

 Prions beaucoup la bonne Mère de bénir nos efforts qui, sans sa maternelle protection, seraient stériles pour le bien. 

Procure Générale. – Procures Provinciales.

 L'organisation récente de nos Provinces pour la composition du personnel et pour la séparation des Novices d'avec les Anciens, nous amène à organiser aussi, conformément aux Constitutions, la Procure Générale de tout l'Institut et la Procure Provinciale de chaque Province, afin de mettre toutes les parties de la Congrégation en parfaite harmonie, d'établir convenablement la Comptabilité de la Procure Générale et celle des Maisons Provinciales.

 Du reste, en cela, nous n'avons rien à changer ni à innover; nous n'avons qu'à appliquer régulièrement partout, à la Maison-Mère comme dans les autres Maisons Provinciales, toutes les dispositions arrêtées dans les trois Sections du Chapitre XI des Constitutions 1ière Partie, de l'Administration du temporel.

 Donc, à l'avenir :

 I. Chaque Maison Provinciale fera, comme par le passé, les recettes de tous les Etablissements de la Province et la recette des pensions de Noviciat.

 Il. Le budget de chaque Province se composera :

 1° des pensions du Noviciat ; 2° des bénéfices de la Librairie; 3° d'une somme de 150 francs par an, pour chaque Frère employé dans les Etablissements de la Province.

 C'est sur ce budget que se feront toutes les dépenses courantes de la Province, comme elles se font aujourd'hui.

 III. Le surplus des versements faits par chaque Etablissement, soit Pensionnat, soit Externat, dans toutes les Provinces, reviendra à la Procure Générale, et formera le fonds général de tout l'Institut.

 IV. La Procure Générale aura, de plus, un droit d'auteur sur tous les livres appartenant à la Congrégation; et un droit de propriété, jusqu'aux deux tiers des bénéfices nets, sur tous les produits particuliers exploités dans les différentes Provinces : liqueur, arquebuse, biphosphate, eaux minérales, etc.

 V. Sur ces fonds :

 1° Seront pris les frais généraux de la Congrégation correspondances et voyages des Membres du Régime, organisation et entretien de la Procure Générale et du Secrétariat Général, etc.

 2° Sur avis conforme du Régime, seront faites les acquisitions, constructions et grosses réparations, dans toutes les Provinces.

 3° Seront acquittées, dans toutes les Provinces, au fur et à mesure des ressources, toutes les dettes passives non courantes, qui pèsent sur la Congrégation, tant les capitaux que les intérêts.

 VI. La Procure Générale, ainsi complètement distincte de chaque Procure Provinciale, contrôlée et constamment suivie par le Régime de l'Institut, contrôle à son tour, et suit toutes les Procures Provinciales; comme celles-ci contrôlent et suivent l'Administration temporelle de tous les Etablissements de la Province tant des Pensionnats que des Externats.

 VII. La Procure Générale rend ses comptes au Régime ; puis, au Chapitre Général, toutes les fois qu'il se réunit.

 VIII. Les Procures Provinciales rendent leurs comptes à la Procure Générale ; et, chaque année, à la suite de la Retraite du Régime, la clôture ou balance en est faite, à la Maison-Mère. Le budget de l'année suivante est arrêté et ouvert avec des fonds suffisants pour que les affaires puissent être faites au comptant ; le surplus rentre dans la Caisse de la Procure Générale.

 IX. Les Etablissements particuliers rendent leurs comptes aux Procures Provinciales, et une somme convenable reste affectée au retour et aux premiers frais de l'année.

 X. C'est par les Procures Provinciales, que les comptes des Etablissements arrivent, au moins comme Balance ou Relevé, à la Procure Générale, sans préjudice cependant des droits de visite et d'inspection que les Constitutions accordent au Régime, au Frère Procureur Général et aux Visiteurs : le tout, tant à la Procure Générale et dans les Procures Provinciales que dans les Etablissements, devant être fait, géré et administré conformément aux Constitutions de l'Institut, aux Arrêtés subséquents émanés des Chapitres Généraux, et aux Dispositions et Règlements divers pris par le Régime et publiés dans nos Circulaires.

 XI. C'est un principe constant et parfaitement établi dans tout l'Institut, qu'aucun emprunt ne peut être contracté, par qui que ce soit et pour quelque cause que ce soit, en dehors de la Procure Générale.

 Si un emprunt est jugé nécessaire et s'il est approuvé par le Régime, il ne pourra se faire que par le Frère Procureur Général lui-même, ou par celui qui y serait autorisé par une procuration spéciale du Frère Supérieur Général passée devant un Notaire.

 XII. Il y a d'autres dispositions de détail qui s'étudieront dans le Régime, et qui se régleront d'après les besoins et les circonstances; mais toujours dans l'esprit et selon la teneur des Constitutions de l'Institut. 

Défunts.

 Depuis la Circulaire du 21 novembre 1877, nous avons eu la douleur de perdre le bon Frère Hilarion, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage, le 7 décembre 1877 à 56 ans de Communauté, 72 ans d'âge, entré au Noviciat, le 22 avril 1822, Profès, le 2 octobre 1828.

 C'était un des premiers Disciples du Père Champagnat. Il avait pris sa retraite à Notre-Dame de l'Hermitage, et il s'y préparait de son mieux, dans le travail et la prière, à aller paraître devant le bon Dieu. Il a fait une mort très édifiante et a reçu les derniers sacrements avec beaucoup de piété. Ce bon Frère s'est toujours fait remarquer par une grande charité pour ses Frères, évitant avec un soin extrême toute parole qui aurait pu nuire au prochain et s'efforçant de s'assurer à lui-même l'indulgence et la miséricorde que Notre-Seigneur promet à ceux qui savent tout pardonner et ne jamais mal juger ni mal interpréter. Nous le comprendrons d'une manière particulière, dans les pieux suffrages de la Communauté, et nous continuerons à prier, avec une grande dévotion pour les âmes du Purgatoire et pour tous nos Défunts.

 Nous devons ajouter le cher Frère Louis-Dimas, décédé à Saint-Genis-Laval, aujourd'hui même 11 février. Ancien élève du Pensionnat de Valbenoîte, ce jeune Frère promettait beaucoup. Le bon Dieu l'a enlevé avant que le mal eût gâté son cœur. Il est mort dans d'excellentes dispositions, très heureux de persévérer ainsi dans sa vocation de Petit Frère de Marie. 

Vœux.

 Avoir soin de faire la demande pour les Vœux en mars prochain, ou, au plus tard, en mai. La faire sur une feuille à part, et se conformer exactement aux prescriptions de la Circulaire du 23 octobre 1876, page 204, Art. 3. 

Encore quelques mots sur la Simplicité.

 I. Gardons-nous de prendre la Simplicité pour l'ignorance et la sottise, comme on le fait quelquefois. Au contraire, la Simplicité est la perfection de la raison et du bon sens ; elle est tout ce qu'il y a de plus délicat et de plus élevé dans la science. C'est, dit un savant, la fine pointe de la vraie philosophie ou de la sagesse ; car, en définitive, la Simplicité, dans son plus haut degré, c'est Dieu lui-même, avec l'Unité infinie de son essence dans la Trinité de ses Personnes.

 Aussi, ce que préfèrent les hommes de génie, c'est la Simplicité : les moyens très simples et très faciles, les méthodes les plus simples et les plus sûres; ce qui plaît à un homme de sens et de goût, c'est la Simplicité unie à la commodité, sans faste, sans ornements superflus sans affectation.

 Dans l'industrie, les machines les plus simples sont les meilleures ; dans les sciences naturelles, c'est aux simples qu'on s'attache ; on préfère le travail de la nature, la fleur simple, au travail de l'art, la fleur double, qui ne s'obtient que par les efforts de la culture. Ainsi de tout.

 Il. Les Saints eux-mêmes nous avertissent de prendre garde, dans la Simplicité, à l'ignorance ; comme dans la prudence, à la méchanceté. Cette pensée est de saint Jean Chrysostome, qui, sur ce mot du divin Maître : Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes (Math., X, 16), explique que la Simplicité n'ôte pas la prudence, la discrétion; mais que, jamais, cette prudence ne va jusqu'à la lâcheté. Au contraire dit-il, comme dans un danger extrême, la prudence du serpent le porte à livrer son corps aux COUPS, pour sauver sa tête en la cachant ; ainsi, le vrai Chrétien, le Simple de cœur, se livre lui-même pour défendre sa Foi, pour sauver sa tête, qui est Jésus-Christ.

 L'humble brebis, le simple de cœur est avec les loups, c'est-à-dire, avec ceux qui combattent l'Evangile, sans jamais partager leurs sentiments, sans jamais cesser d'être brebis. Bien plus, et c'est là le triomphe de l'humble et courageuse Simplicité, restant brebis parmi la multitude des loups, gardant l'Innocence et la Simplicité de la colombe, il subjugue ces animaux dévorants, non en les écrasant, mais en les convertissant : de pervers et de pécheurs qu'ils sont, il en fait des Justes; de loups carnassiers, il en fait d'humbles et innocentes brebis. 0 puissance ! ô gloire sans pareille de l'humble et prudente Simplicité !

 Pour nous, Petits Frères de Marie, n'oublions jamais que le GENRE MARISTE est la SIMPLICITÉ ; que tout, dans l'Institut, doit être marqué de son sceau, doit être simple, humble, modeste. De là, les conclusions pratiques qui suivent :

 1° Par esprit de Simplicité, sans refuser à nos Maisons d'Ecole, de Noviciat et de Pensionnat, la solidité, la régularité et l'étendue que demandent la nature et les convenances rigoureuses de ces Etablissements, sans leur mesurer l'air et la lumière nécessaires, avoir soin de les laisser toujours simples, toujours d'une construction sévère, sans décorations ni ornements superflus, sans aucun luxe d'ameublement.

 2° Par esprit de simplicité, prendre à cœur, dans nos Règles et Constitutions, tout ce qui a rapport à cette belle vertu, à la Pauvreté, à l'Humilité et à la Modestie; y tenir essentiellement, y tenir toujours et partout. C'est le devoir capital du Régime de l'Institut, des Membres de l'Administration, des Frères Directeurs, et de tous les Profès, spécialement des Profès des quatre Vœux.

 3° Par esprit de Simplicité, épargner à nos Frères de nous servir, en tout ce qui n'est pas d'un service général. A chacun le soin de sa chaussure, de ses habillements, de sa cellule, de son lit, de son feu, et tous les autres soins personnels. Le T. R. Père Epalle, Assistant, prêchant la Retraite du Régime, il y a trois ans, nous déclina le nom d'un grand Cardinal romain qui n'en laissait jamais aucun, même des plus bas, à ses domestiques.

 4° Par esprit de Simplicité, accepter sans murmurer, sans récriminer, sans s'excuser, toutes les réprimandes et avertissements qui nous viennent des Supérieurs. On gagne plus, dit sainte Thérèse, à recevoir une réprimande sans excuse, qu'à entendre vingt sermons.

 5° Par esprit de Simplicité, ne pas raisonner sur l'Obéissance, ni sur les commandements donnés, ni sur les dispositions prises par les Supérieurs. Obéir simplement, promptement, sans écouter une raison orgueilleuse qui veut voir plus clair que ses Chefs, qui se récrie contre des mesures dont elle ne comprend ni la nécessité, ni l'utilité.

 C'est un défaut auquel se laissent aller quelques Directeurs qui, disent-ils, se soumettent bien comme Religieux ; mais, comme Directeurs, se croient obligés, non seulement de réclamer convenablement, ce qui est permis; mais de protester de toute la force de leur raison, contre telles et telles dispositions qui les brisent et compromettent les intérêts de l'Etablissement comme si les Premiers Supérieurs n'en répondaient pas tout d'abord.

 D'autres encore, en accordant une obéissance toute matérielle, s'imaginent qu'ils peuvent ensuite en discuter les motifs, invoquer je ne sais quels droits ou services méconnus, et restent ainsi, dans le fond, en complet désaccord avec l'esprit, et même avec la lettre et les obligations de leur Vœu.

 L'humble et innocente Simplicité chrétienne et religieuse réprouve essentiellement et ces calculs et ces prétentions.

 6° Par esprit de Simplicité, nous laisser conduire en tout, surtout les Jeunes Frères, avec une Simplicité et une docilité d'enfants : aimant et honorant nos Directeurs comme nos Pères, nous empressant de leur faire plaisir, de leur rendre service en toute occasion, de prévenir même leurs désirs et leurs volontés, selon l'esprit de la Règle et de nos Vœux. Oh ! combien de fois le malaise et la souffrance se trouvent dans nos Maisons parce que cette humble et docile Simplicité fait défaut !

 7° Par esprit de Simplicité, nous faire à la vie commune, au régime commun, à toutes les Règles et usages reçus dans la Communauté. Nous défendre par Là d'une foule de besoins et de préoccupations, de goûts et de dégoûts, d'attraits et de répugnances, de désirs et de craintes, qui inquiètent et fatiguent bien plus, qui éprouvent et compromettent bien davantage la santé, que ne pourraient le faire tous les sacrifices et toutes les privations de la vie commune, même la plus constamment et la plus parfaitement gardée.

 8° Enfin, par esprit de Simplicité, arriver à cette parfaite docilité, à cette obéissance simple et facile, qui est aussi douce au bon Religieux lui-même qu'agréable à tous ceux qui l'entourent : écartant le genre raide et dur, qui fait obéir avec lenteur et de mauvaise grâce ; le genre critique et frondeur, qui trouve à redire à tout et que rien ne saurait contenter;le genre aigre et amer, qui rend comme impossible une parole d'affection à ses Supérieurs; une parole d'amitié à ses Confrères, si ce n'est à quelques amis; une parole de sympathie aux Enfants, si ce n'est à certains choyés. Ah ! plutôt que l'humble Simplicité nous rende bons, faciles, prompts à faire plaisir, reconnaissants des moindres services, indulgents et miséricordieux pour tous, toujours gais et affables, toujours accommodants, toujours complaisants; nous oublier nous-mêmes, en un mot, pour nous faire tout à tous, et aux Confrères et aux Enfants, et les gagner tous à Jésus-Christ (ICorinth., IX, 22).

 Et tous ces sacrifices, M. T. C. F., la Simplicité nous les rendra très doux et très faciles, si nous les entreprenons courageusement, et si, dès le début nous savons nous vaincre, et dire avec l'Apôtre : Je puis tout en celui qui me fortifie (Phil., IV, 13), et avec le Prophète : Je n'attends mon secours que du Seigneur, qui sauve ceux qui ont le cœur droit, ceux qui sont humbles et simples de cœur (Ps., VII, 11).

 De nouveau, M. T. C. F., tout à vous tous, en Jésus, Marie, Joseph.

 F. Louis-Marie. 

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 La Circulaire étant sous presse, je la retire, non pour .vous annoncer la douloureuse nouvelle de la mort du Souverain Pontife Pie IX, elle est aujourd'hui connue dans tout l'univers, auquel elle apporte une immense douleur; mais pour remplir un devoir d'amour et de reconnaissance, de piété et d'affection filiale envers le Saint-Père défunt, en prescrivant à la Communauté, de l'avis du Régime, des suffrages particuliers, conformément à l'Article 9 du Chapitre VIII des Règles Communes.

 D'abord, M. T. C. F., nous nous associerons, dans chaque Diocèse, aux Offices, prières et suffrages qui seront ordonnés par les Ordinaires, pour honorer la mémoire de ce grand Pontife ; et, soit pour nous-mêmes soit pour nos Enfants, nous nous prêterons de notre mieux à rehausser l'éclat de ces Offices solennels.

 Il ne nous appartient pas de donner le récit ni de faire l'éloge d'un si grand Pontificat, de redire les vertus admirables de ce Pape incomparable, les merveilles de son' règne, ses longues épreuves, sa constance héroïque, son invincible courage, et tout ce qu'il a fait pour la gloire de Dieu, pour l'exaltation de la Sainte Eglise et pour le salut des âmes. Vous aurez ces récits édifiants ces éloges si bien mérités, dans les Mandements de Nosseigneurs les Evêques, et vous vous ferez un bonheur et un devoir de les répéter entre vous et à vos Enfants.

 Ce qui nous appartient à nous, Petits Frères de Marie, c'est de reconnaître et d'honorer, dans le Saint Pape Pie IX, un Bienfaiteur insigne de notre Congrégation et comme un second Fondateur de notre Œuvre. Nos Livres Capitulaires et toutes nos Circulaires sont remplis des faveurs spirituelles, des encouragements précieux et des Bénédictions Apostoliques dont Sa Sainteté n'a cessé de nous combler, depuis que nous lui avons présenté nos Règles et que nous avons sollicité son Approbation suprême, le 1iermars 1858, le premier du mois de Saint Joseph.

 C'est le jour heureux où, Assistant du Très Révérend Frère François, alors Supérieur Général, nous eûmes le bonheur d'être reçus par Sa Sainteté, de déposer entre ses mains notre humble demande et de recevoir, pour nous-mêmes et pour vous tous, sa première Bénédiction. Oui, nous dit le Saint-Père, lorsque, prosterné à ses pieds le Très Révérend Frère Supérieur Général le supplia de bénir -tous les Membres de l'Institut, OUI, JE LES BÉNIS TRÈS VOLONTIERS, ET JE PRIE DIEU QU'IL LES REMPLISSE TOUS DE SON ESPRIT, AFIN QU'ILS S'ÉDIFIENT LES UNS LES AUTRES, QU'ILS SE SANCTIFIENT ET QU'ILS PASSENT BEAUCOUP DE BIEN PARMI LES ENFANTS QUI LEUR SONT CONFIÉS.

 C'est moi-même, alors, qui vous ai invités, en l'absence du Très Révérend Frère François, demeuré à Rome pour poursuivre notre demande, à recueillir, avec foi et respect, cette Bénédiction du Saint-Père et les paroles toutes divines dont il l'a accompagnée. (Circulaire dit 2 juillet 1858.)

 Le Saint-Siège a mis cinq ans pour étudier nos Règles, nos Constitutions et tous les Livres Réguliers de l'Institut ; et c'est, après cette étude et sur les observations du Chapitre Général de 1862, que, le 9 janvier 1863, le Souverain Pontife, s'étant réjoui, dans la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, des accroissements rapides qu'avait pris l'Institut des Petits Frères de Marie, ayant parlé avec beaucoup d'éloges de tout le bien qu'il fait, a daigné le reconnaître et l'approuver définitivement par un Décret spécial, comme Congrégation de vœux simples, sous le titre de Frères Maristes des Ecoles, sous le Gouvernement d'un Supérieur Général, et sauf la juridiction des Ordinaires, selon les prescriptions des Sacrés Canons et des Constitutions Apostoliques.

 De plus, par le même Décret, ont été confirmées, pour cinq ans, par manière d'essai, les Constitutions de l'Institut, contenues dans l'exemplaire annexé audit Décret. Ce sont ces Constitutions qui s'élaborent depuis quinze ans, et que le Saint-Siège, toujours si sage dans ses divines lenteurs, continue, pour plus d'expérience, à nous laisser à titre d'essai. Vous savez que le dernier Chapitre Général les a suivies avec un soin extrême ; et, qu'en se réservant de soumettre ses observations sur quelques points, il a voulu qu'elles fussent appliquées et pratiquées, pour tous les autres, dans toute la Congrégation.

 Voilà la grande faveur que je vous ai annoncée par notre Circulaire du 29 juin 1863, en prescrivant à tous les prières et témoignages de reconnaissance qu'elle demandait.

 Au mois de juin 1869, en présentant au Saint-Père, selon ses désirs, la Statistique de la Congrégation, nous avons voulu y joindre une pieuse offrande, tant en notre nom, qu'au nom de nos Enfants et de leurs familles, et nous avons demandé au Sacré Cœur de Jésus que notre démarche fût agréée de Sa Sainteté, qu'elle apportât quelque consolation à son Cœur, et qu'elle nous obtint à nous, à nos Enfants, à leurs familles et aux nôtres, les plus amples Bénédictions.

 La Circulaire du 5 août suivant est consacrée tout entière à redire à la Congrégation combien nos vœux et nos espérances furent dépassés ; avec quelle bonté incomparable le Saint-Père nous accueillit et quelles délicieuses paroles Sa Sainteté nous fit entendre. Je ne puis toutes les redire ici; mais qu'il me soit permis de rappeler en particulier avec quel intérêt il accueillit le Volume de 80 pages, écrit et disposé avec beaucoup de soin, relié aux armes de Sa Sainteté, et portant les noms de tous les Frères de l'Institut. En lisant le frontispice, où nous rappelions les NOCES D'OR DU PAPE de Cinquantième Anniversaire de son Episcopal) : « Oui, oui, dit-il très gracieusement, LES NOCES D'OR DU PAPE ! ET PUIS (montrant notre offrande, 12.000 fr. en pièces d'or), VOILA LES DRAGÉES ! BONNES DRAGÉES ! MES ENFANTS ! BONNES DRAGÉES ! MAISIL Y EN A TROP, VOUS VOUS GÊNEZ POUR MOI !… » – Oh ! Très Saint-Père, pour Votre Sainteté, que ne pouvons-nous faire mille fois plus !….. VA BENE ! VA BENE ! JE SUIS TRÈS HEUREUX DE VOIR QUE VOUS AIMEZ TANTLE PAPE ! » Deux fois, Sa Sainteté nous a adressé ces douces paroles.

 Vint ensuite l'Indulgence Plénière à perpétuité, accordée à tous les Frères, au jour de l'émission et de la rénovation des Vœux.

 Vint l'admirable sentence écrite de la main même duSaint-Père, au bas de son portrait: Le jeune homme suivra sa voie, et même dans sa vieillesse, il ne s'en écartera pas; puis, l'exhortation ou l'Apostolat du Saint-Père. JEUNES GENS, SOYEZ DONC SAGES MAINTENANT, AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER JUSQU'A LA MORT DANS LA SAGESSE DE JESUS-CHRIST : Sentence et Apostolat gravés au des du portrait de Pie IX, tiré à cent mille exemplaires et distribué à tous nos Frères et Enfants.

  Enfin, au terme de notre Audience, cet encouragement si paternel : « COURAGE, MES FRÈRES ; LES EMBARRAS ET LES DIFFICULTÉS SONT LE CACHET DES OEUVRES DE DIEU C'EST PAR LA QUE VOUS ÊTES ASSOCIÉS AUX ÉPREUVES TOUJOURS RENOUVELÉES DE L'EGLISE CATHOLIQUE. »

 Et, comme couronnement de toutes ces faveurs, le BREF admirable que Sa Sainteté daigna nous accorder le 10juillet, quatre jours après celui de notre Audience. Vousavez ce BREF, en français et en latin, à la fin de la même Circulaire.

 Notre dernier voyage à Rome est du mois de juillet 1875. Vous en avez le récit dans la Circulaire du 21novembre suivant : Présentation de la Statistique de la Congrégation, nouvelle Offrande de 13,000 fr. recueillis dans les différentes Provinces de l'Institut. Même accueil de la part du Très Saint-Père, quoique déjà bien vieilli, mêmes encouragements, mêmes Bénédictions; et, en nous congédiant, cette toute paternelle exhortation « MES FRÈRES, FAITES TOUT LE BIEN POSSIBLE A VOS NOMBREUX ENFANTS ; ENSEIGNEZ A TOUS, AVEC BEAUCOUP DE ZÈLE, LA VÉRITÉ CATHOLIQUE. » Deux fois Sa Sainteté nous a répété: LA VÉRITÉ CATHOLIQUE ! LA VÉRITÉ CATHOLIQUE ! Non point des vérités amoindries des vérités adoucies, telles que les donne un faux libéralisme catholique. Ce que Sa Sainteté veut de nous et de nous tous, c'est la pure vérité, celle que Jésus-Christ nous a révélée, et celle que nous propose, avec une souveraine et infaillible Autorité, la Sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.

 De cette heureuse Audience nous sont venues toutes les réponses ou faveurs qui ont retardé, il est vrai, la deuxième Session du Chapitre Général de 1873 ; mais qui, ensuite, réalisant tous nos désirs et tous nos vœux ont permis au Chapitre Général de terminer si heureusement tous ses travaux:

 1° Confirmation d'un 6° Frère Assistant.

 2° Election d'un 7° Frère Assistant pour la Province du Centre, avec toutes les attributions et fonctions que nos Constitutions Capitulaires donnent à nos Frères Assistants.

 3° Election, dans les mêmes conditions, d'un 8e Frère Assistant pour le contentieux de l'Institut.

 4° Prorogation, pour 5 ans, des Constitutions provisoires de la Congrégation.

 5° Confirmation et Approbation du Noviciat de Dumfries (Ecosse).

 6°  Confirmation et Approbation du Noviciat de Sydney (Australie).

 7° Bref pour la Mémoire de saint Joseph à l'Office de la Sainte Vierge, et autres faveurs rapportées dans notre Circulaire du 23 octobre 1876, avec tous les Vœux, Avis, Décisions, Règlements et Arrêtés du Chapitre Général, si religieusement célébré en deux Sessions, et si heureusement terminé le 25 août 1876.

 Que ce court et rapide récit, Mes Très Chers Frères, réveille tout notre amour et toute notre reconnaissance pour le Saint Pontife Pie IX; qu'il excite toute notre foi et toute notre piété, pour offrir à son intention, nos Prières, nos Communions et tous nos pieux Suffrages.

 Certes ! ce n'est pas que la pensée vienne à aucun de nous qu'une âme si sainte, enrichie de tant de mérites, ait besoin de nos prières. Tous, au contraire, nous nous sentons plus portés à l'honorer et à l'invoquer qu'à prier pour lui ; mais nous entrons dans l'esprit de la Sainte Eglise ; et, en offrant pour le Saint-Père, nos prières, nos suffrages, en les unissant à ceux de toute la Chrétienté, nous laissons au bon Dieu de les faire tourner à la gloire du Pontife Défunt, et d'en appliquer lui-même les mérites, selon qu'il lui plaira.

 Donc

 1° Assister partout, Frères et Enfants, avec foi et piété, aux prières et Offices qui seront célébrés, dans les Paroisses, à l'intention du Souverain Pontife défunt.

 2° Mêmes prières et mêmes Offices solennels dans nos Maisons de Noviciat et de Pensionnat, où il y a Chapelle et Aumônier.

 3° Dans toutes nos Ecoles, pendant neuf jours consécutifs, le Chapelet et le De profundis, avec l'Oraison : Deus, qui, inter Apostolicos sacerdotes, famulum tuum Pium Pontificali fecisti dignitate vigere ; proesta, quoesumus, ut eorurn quoque perpetuo aggregetur consortio. Qui vivis et regnas in saecula soeculoruin. Amen.

 Pendant cette Neuvaine, conduire les Enfants à la Sainte Messe, au moins trois fois.

 4° En communauté, le premier Samedi après la réception de cette Circulaire, et pendant neuf jours, à la suite de la Sainte Messe ou de la Méditation, les 6 Pater, 6 Ave et 6 Gloria du Scapulaire de l'Immaculée Conception, enrichis de si nombreuses Indulgences toutes applicables aux âmes des défunts : applicables, par conséquent, à l'âme bienheureuse de notre si regretté et si aimé Pontife et Père.

 Communions de la Neuvaine à la même fin; et le De profundis comme ci-dessus, après le dîner.

 Enfin, M. T. C. F., souvenons-nous que si le Pontife meurt, le Pontificat Suprême ne meurt point. Donc unissons aussi toutes nos prières à celles de l'Eglise pour l'élection du nouveau Souverain Pontife; et, parce qu'à cette heure la barque de Pierre est violemment agitée par les ennemis du bien, adressons-nous à la grande Etoile des Mers, à la Vierge Immaculée, pour qu'elle vienne au secours de l'Eglise et qu'elle donne un digne Successeur à Celui qui l'a tant exaltée.

 A cette fin, jusqu'à l'élection, et, pour qu'elle soit de plus en plus bénie, un mois après:

 1° Veni Creator à la place du Veni Sancte Spiritus, avant l'Oraison du matin.

 2° Dans les Noviciats, Ave Maris Stella, à la Visite de 11 heures ½.

 3° Le soir, avant le Miserere, un Pater et un Ave de plus.

 Plaise à Dieu que cette mort bénie de Notre Très Saint Père le Pape Pie IX, et l'heureuse élection de son Successeur nous attachent, de plus en plus, à la Sainte Eglise Romaine et aux enseignements infaillibles de son Chef Suprême !

 Je vous renouvelle encore, M. T. C. F., tous mes meilleurs sentiments en J. M. J.

                    F. Louis-Marie.

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