Circulaires 128

Louis-Marie

1878-05-12

Instruction sur Saint Joseph. - Décret du S. P. le Pape Pie IX proclamant saint Joseph Patron de l'Église uni­verselle. - Lettre aux Frères de Sydney et donnée en­suite aux Directeurs Provinciaux. - Notice biographi­que sur le cher Frère Ignace. - Sa dévotion à saint Jo­seph. - Conclusion. - Avis divers. - Juvénats.  - Rap­ports avec les enfants. - Procure Générale. - Procures Provinciales. - Défunts.

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51.02.01.1878.2 

1878/05/12

 V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval (Rhône), le 12 mai 1878.

3e Dimanche après Pâques, Fête du Patronage de Saint Joseph.

                   MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 J'avais daté cette Circulaire ou Instruction sur Saint Joseph, du 31 mars dernier, parce que la pensée m'en est venue ce jour-là même, dans la clôture de ce mois béni.  Je m'engage, avons-nous dit dans notre consécration à Saint Joseph, à ne jamais vous oublier, à vous honorer et à répandre votre culte tous les jours de ma vie. » (Directoire de la Solide Piété. Dévotion à Saint Joseph.)

 En entendant cette parole, cet engagement pris et prononcé en présence du Saint-Sacrement, je me suis dit aussitôt : Il faut que je me hâte de le remplir, c'est un devoir de ma charge et j'en dois compte à toute la Congrégation.

 Puis, cette pensée m'a reporté à un souvenir, vieux déjà de plus de huit années : la bienheureuse mort de notre excellent Frère Ignace, décédé à Charlieu, le mercredi 9 mars 1870, jour et mois consacrés à Saint Joseph; et à la promesse qui vous fut faite alors à tous d'entretenir la Congrégation de ce bon Frère, de ce dévot serviteur de Saint Joseph, lorsque j'aurais reçu les notes et réflexions de ceux qui l'ont connu.

 Je datais encore cette Instruction de la clôture du mois de Saint Joseph, à cause de la grande faveur qu'il nous a faite, cette année même, dans son saint mois, en obtenant à tout l'Institut que Notre Très Saint-Père le Pape Léon XIII se rendît bénignement, dès les premiers jours de son Pontificat, à la prière que nous avions adressée, le 5 février dernier, à son immortel Prédécesseur, le Souverain Pontife Pie IX, et daignât nous donner, pour protecteur spécial auprès du Saint-Siège, Son Eminence le Révérendissime Cardinal Howard.

 Enfin, j'obéissais à l'exemple auguste que Sa Sainteté nous donne Elle-même dans sa première Allocution au Collège sacré des Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine son Pontificat sous le Patronage de Saint Joseph.

 Mais tous ces souvenirs reviennent également aujourd'hui, douzième jour du mois de Marie, quatrième Dimanche du  saint temps pascal et Fête solennelle du Patronage de Saint -Joseph.

 Pour exciter notre dévotion à ce saint Patriarche, le grand Patron de l'Eglise universelle, nous donnerons d'abord le précieux Décret adressé à la Ville éternelle et au monde par Sa Sainteté le Pape Pie IX, de si sainte mémoire, le 8 décembre 1870, proclamant Saint Joseph Patron de l'Eglise Catholique. Nous rappellerons en­ suite, en abrégé du moins, une excellente Instruction qui nous fut donnée, en 1875, sur la dévotion à Saint Joseph, le premier Dimanche de mars, Instruction que je retrouve dans une lettre adressée à nos bons Frères de Sydney; enfin, nous nous édifierons tous, sur ce conso­lant sujet, par l'exemple de notre bon Frère Ignace, dont nous rappellerons succinctement la pieuse vie.

 I

 DÉCRET DE NOTRE TRÈS SAINT PÈRE LE PAPE PIE IX, PROCLAMANT SAINT JOSEPH

PATRON DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

 « De même que Dieu avait constitué Joseph, fils du Patriarche Jacob, pour régir toute la terre d'Egypte, afin d'assurer des vivres à son peuple ; de même, lorsque la plénitude des temps étant accomplie, il allait envoyer sur la terre son FILS UNIQUE, Sauveur du monde, il choisit un autre Joseph, dont le premier était la figure et le constitua Maître et Prince de sa maison et de son domaine, gardien de ses principaux trésors.

  Aussi, il eut pour Epouse l'Immaculée Vierge Marie, de laquelle, par l'opération du Saint-Esprit, est né Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui daigna passer devant les hommes pour le Fils de Joseph et qui lui fut soumis.

  Et celui que tant de Rois et de Prophètes avaient désiré voir, ce Joseph, non seulement le vit ; mais, vivant et conversant avec lui, et l'entourant d'une affection toute paternelle, il reçut ses divins embrassements. Ce fut sa vigilante sollicitude qui pourvut à la nourriture de Celui que le peuple fidèle devait recevoir comme le pain venu du Ciel pour obtenir la vie éternelle.

  A cause de cette dignité sublime que Dieu a conférée à ce très fidèle serviteur, l'Eglise a toujours entouré de louanges et des plus grands honneurs, après la Vierge Mère de Dieu, son Epouse, le Bienheureux Joseph, et imploré son intervention dans ses épreuves et ses souffrances.

 Or, en ce temps de malheur, attaquée de tous côtés par ses ennemis, l’Eglise subit de telles calamités que les hommes impies croient voir enfin les portes de l'enfer prévaloir contre elle ; c'est pourquoi les Vénérables Prélats de tout l'univers catholique ont adressé au Souverain Pontife leurs prières et les prières des Fidèles du Christ confiés à leurs soins, lui demandant de proclamer Saint Joseph PATRON DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

 Ensuite, comme dans le saint Concile Œcuménique du Vatican, ils ont renouvelé plus ardemment encore ce vœu et cette demande, Notre Très Saint-Père le Pape Pie IX, ému de la situation lamentable qui résulte des événements les plus récents, a voulu remplir le vœu des Evêques et se mettre, Lui et tous les Fidèles, sous la très puissante protection du Saint Patriarche Joseph. C'est pourquoi il l'a proclamé solennellement PATRON DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE, ordonnant que sa Fête, qui tombe le 19 mars, sera dorénavant célébrée sous le rite double de première classe, sans Octave cependant à cause du Carême. Le Saint-Père a réglé en outre que cette déclaration prendrait force de loi par le présent Décret de la Sacrée Congrégation des Rites, en ce jour consacré à la Vierge Immaculée Mère de Dieu et Epouse du très chaste Joseph. »

  Ce 8 décembre 1870. »

Signé : E. Cardinal PATRIZI, Evêque d'Ostie et de Velletri, Préfet de la Congrégation des Rites sacrés.

Place du sceau.

Contresigné : D. BARTOLINI, Secrétaire de la même Congrégation.

 

Ce Décret est accompagné de la lettre suivante adressée aux Evêques :

    « RÉVÉRENDISSIMES SEIGNEURS,

 Notre Très Saint-Père le Pape Pie IX, se rendant aux désirs manifestés par presque tous les Evêques, même au sein du Concile Œcuménique du Vatican, a déclaré le Saint Patriarche Joseph, Epoux de la Vierge Mère de Dieu, PATRON DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE, afin que, en ce temps de cruelles angoisses, où tant de calamités l'accablent, cette protection éloigne d'elle toute adversité et détruise toute erreur, et qu'ainsi elle puisse servir Dieu en sécurité et pleine liberté. Cependant, quoique le Saint-Père ait ordonné que la Fête de Saint Joseph, qui tombe le 19 mars, soit désormais célébrée sous le rite double de première classe, il s'est abstenu de remettre en vigueur pour elle le double précepte des Fêtes d'obligation ; et il a voulu que, par la présente lettre de la Congrégation des Rites sacrés, les Ordinaires des lieux fussent prévenus qu'il se rendra de grand cœur à leurs vœux si eux-mêmes, tenant compte du temps et des lieux, ainsi que des dispositions de leurs gouvernements respectifs, ils jugent expédient dans le Seigneur d'adresser à ce Saint-Siège Apostolique la demande de la remise en vigueur du double précepte pour cette Fête.

 Je prie de cœur pour que Votre Grandeur se conserve longtemps en santé et prospérité.

 Au Secrétariat de la Congrégation des Rites sacrés, ce 8 décembre 1870. »

Signé : E. Cardinal PATRIZI, Evêque d'Ostie et de Velletri, Préfet de la Congrégation des Rites sacrés.

 Contresigné : Dominique BARTOLINI,

Secrétaire de la même congrégation.

 

Rien de plus propre que ces documents solennels, émanés du Saint-Siège, à réveiller notre dévotion envers Saint Joseph, à nous faire comprendre combien profondément elle entre dans l'esprit de l’Eglise, combien vivement elle pénétrait le cœur si saint et si pur du grand Pontife défunt. Qui de nous, en relisant ce précieux Décret, en revoyant ce désir si solennellement exprimé, par la sainte Congrégation des Rites, à tous les Evêques du monde, de recevoir d'eux et de tous leurs Fidèles, des prières et des supplications qui permettent au Saint-Siège, après avoir élevé la Fête de Saint Joseph au rang des plus grandes solennités, de la rendre obligatoire dans toute l'étendue de l'univers catholique ; qui de nous, dis-je, ne serait pas entraîné, par de si saintes paroles et par de si puissants exemples, à aimer et honorer Saint Joseph, à le faire aimer et honorer de tout son pouvoir, et à prendre une confiance sans mesure en son tout puissant Patronage? La lettre suivante et l'Instruction qu'elle rappelle ne pourront que nous affermir dans cette sainte et salutaire résolution. 

II

 LETTRE ADRESSÉE A NOS CHERS FRÈRES DE SYDNEY, LE 20 MARS 1875, ET DONNÉE ENSUITE A NOS DIRECTEURS PROVINCIAUX.

                  « MON CHER FRÈRE DIRECTEUR,

 J'ai résumé dans une lettre à nos Chers Frères de Sydney une bonne Instruction qui nous a été faite sur Saint Joseph, le premier Dimanche de mars, son mois béni. Hier, jour de sa Fête, la pensée m'est venue de donner copie de cette lettre à nos Maisons de  Noviciat, espérant que ce petit travail sera agréable à notre saint Patron et qu'il contribuera à augmenter sa dévotion parmi nous. Vous pourrez encore, avant la fin du mois, vous servir de ces réflexions et les commenter à votre Communauté. »

 Je transcris ici ce préambule comme un bon avis à tous nos Frères Directeurs de faire le même Commentaire, chacun à sa Communauté particulière ; et à tous nos Frères de Classe, de se servir aussi des mêmes réflexions pour faire un bon catéchisme à leurs enfants sur la dévotion à Saint Joseph.

 « Donc, écrivant au Cher Frère Ludovic, Directeur à Sydney, voulant répondre à son désir et à celui de tous ses Frères, d'avoir des nouvelles de l'Institut (c'est un véritable besoin pour eux), je lui disais :

 « Comme pieuses nouvelles, je suis heureux de vous apprendre, à vous et à tous vos Frères, Novices et Postulants, qu'on s'applique de mieux en mieux, dans toutes les maisons de l'Institut, à bien faire le mois de Saint Joseph.

 « Or, Dimanche dernier, premier de mars, nous avons été puissamment excités à cette dévotion par notre bon Aumônier, le R. P. Dominget. Il s'est appliqué à nous rappeler et à relever les trois grands motifs de la confiance que nous devons avoir au glorieux Saint Joseph.

 I.– « Saint Joseph est l'homme juste par excellence. C'est l'Evangile lui-même qui lui donne ce titre : Joseph, l'Epoux de Marie, était un homme juste (Matth. 1, 19) ; c'est-à-dire, l'homme béni de Dieu, possédant, à un degré éminent, la justice complète, l'ensemble de toutes les vertus ; l'homme, par conséquent, dont les prières sont toujours exaucées, selon cette autre parole de l'Esprit-Saint : La prière persévérante du Juste est toute-puissante auprès de Dieu (Jacq., v, 16).

 « Du reste, Dieu qui fait parfaitement tout ce qu'il fait, a voulu, par cette justice complète donnée à Saint Joseph, le préparer à sa grande Mission de PATRON  UNIVERSEL de l’Eglise : Mission qui demandait que Joseph fût particulièrement agréable à Dieu, pour plaider avec fruit nos intérêts auprès de lui ; et particulièrement, touché de nos maux, pour nous assister et nous secourir avec bonté dans tous nos besoins.

 II. – «Saint Joseph est l'Epoux et le Gardien de Marie : le protecteur, par conséquent, de la plus pure des Vierges, de la plus sainte et de la plus grande de toutes les pures créatures. De là, cette triple conséquence, toute à la gloire de Saint Joseph : 1° grâce et sainteté en rapport avec sa Mission céleste auprès de la Vierge Marie, Mère de Dieu ; 2° progrès et perfection dans cette voie de grâce et de sainteté, en rapport avec les trente années qu'il a passées en la compagnie de cette Vierge immaculée ; 3° puissance de crédit et d'intercession auprès de cette bonne Mère, dépositaire elle-même de tous les trésors célestes, en rapport avec les services qu'il lui a rendus, et la part admirable qu'il a prise et à ses privilèges et à ses vertus. »

 On le voit, ces pensées ne sont que des principes de grâce, de sainteté dont la méditation et le développement ne peuvent qu'exciter le respect, l'admiration et la confiance pour le grand Saint Joseph.

 III.– « Saint Joseph est le Père nourricier de Jésus, le Tuteur de l'Enfant-Dieu, le Chef de la Famille de Nazareth, le Représentant par conséquent du Père Eternel auprès du Verbe fait chair; associé par là même à la puissance du Père, associé à sa sainteté, associé à son amour, pouvant dire comme lui, dans le sens qui convient, pouvant dire de Jésus :  C'est là mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances, tout mon amour. La Sainte Vierge elle-même a proclamé en Joseph la qualité de Père, et par là même en Jésus, la qualité de Fils: Voilà, dit-elle, après avoir retrouvé Jésus dans le temple, voilà que nous vous cherchions votre Père et moi tort affligés (Luc,11, 48). Ô puissance ! ô sainteté ! ô amour de Joseph !

 « Il y a là un mystère de grâce, de perfection, d'élévation divine, qui dépasse toute conception, et qui sera l'objet éternel de l'admiration des Anges et des Saints.

 « Pour en avoir quelque idée, rappelons les effets prodigieux qu'a produits sur quelques âmes l'action directe, quoique passagère, du Verbe fait chair, Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 « Saint Siméon, élevé tout à coup, pour avoir eu Jésus dans ses bras pendant quelques instants, à un tel degré d'amour, qu'il ne demande plus que la mort et compte pour rien le monde entier : Maintenant, Seigneur, s'écrie-t-il, vous laisserez mourir en paix votre  serviteur, puisque mes yeux ont vu le Seigneur que vous nous donnez (Luc,11, 29, 30).

 « Saint Jean, pour avoir reposé, quelques instants aussi, sur le Cœur de Jésus, devient l'Apôtre de l'amour, le grand Evangéliste de la Divinité de Jésus-Christ, un prodige de grâces, de lumière et de sainteté.

 « Tous les Apôtres, pour avoir vécu trois ans avec Jésus-Christ, montent à un si haut degré de sainteté, que ce serait un péché de présomption de prétendre les égaler.

  « Les deux Disciples d'Emmaüs conversent une seule fois sur le chemin avec Jésus ressuscité !… et, aussitôt, leurs cœurs débordent d'amour; ils s'écrient simultanément, par une grâce qui leur est commune: N'est-il pas vrai que nous avions le cœur embrasé, lorsqu'il  nous parlait en chemin, et qu'il nous expliquait les Ecritures? (Luc, XXIV, 32).

 « Donc, quelle ne doit pas être l'excellence, la perfection, la sainteté suréminente de Joseph qui a vécu trente ans dans l'intimité de Jésus ! Quelles ardeurs ont dû allumer en son âme ses longs et journaliers entretiens, avec l'Homme-Dieu !

 « Et ici, rappelons encore, pour en avoir une plus juste idée, que Joseph se trouvait seul avec Marie, son Epouse, dans la compagnie de Jésus…. de Jésus qui, brûlant du désir de sauver les âmes, et ne pouvant y travailler, retenu qu'il était par un Décret de son Père Eternel, se dédommageait et contentait son amour infini, en sanctifiant et perfectionnant,  d'heure en heure, d'instant en instant, sa divine Mère et son saint Père nourricier !… Oui, oui, redisons-le, il y a là un mystère de sainteté, en Joseph comme en Marie, complètement incompréhensible.

 « Mais s'il est vrai de dire, comme l'assurent tous les Docteurs, que la puissance d'intercession des Saints dans le Ciel, c'est-à-dire, leur pouvoir auprès de Dieu et leur amour pour les hommes, est en proportion avec le de­gré de leur sainteté, quelle puissance n'aura pas le glorieux Saint Joseph, lui dont la sainteté, bien qu'inférieure de beaucoup à celle de Marie, son Epouse, laisse cependant bien au-dessous la sainteté réunie de tous les autres saints !

 « Donc, à Joseph comme à Marie, confiance sans borne confiance sans mesure, confiance absolue !

  « Donc, à Dieu amour et reconnaissance éternelle, de nous avoir donné, avec une Mère si puissante et si bonne, MARIE ! un Protecteur si puissant et si bon, JOSEPH ! d'avoir mis entre les mains de Marie et de Joseph, et par eux, dans le Cœur de Jésus, le grand  procès de notre salut éternel ! »

 Donc aussi, redisons-le pour tous, comme je l'ai écrit dans le temps à nos bons Frères de Sydney, nous attacher de plus en plus à aimer et à faire aimer Saint Joseph, à le prier et à le faire prier. C'est lui qui nous conservera, qui nous multipliera, qui nous sanctifiera par sa toute puissante et toute clémente intercession. C'est lui qui nous rendra pieux, humbles, chastes et fervents ; qui fera de nous tous de bons Petits Frères de Marie, des Prédestinés, des Saints, comme il a fait pour notre bon Frère Ignace, dont il me reste à vous entretenir. 

III

NOTICE SUR LE CHER FRÈRE IGNACE. – SA DEVOTION A SAINT JOSEPH

 C'est le Cher Frère Andronic, cousin du cher Défunt, décédé lui-même dans d'admirables dispositions, comme nous l'avons dit dans notre Circulaire du 21 novembre 1877, qui nous donne quelques détails sur l'enfance et les premières années du cher Frère Ignace.

 Frère Ignace, JEURY JOSEPH, est né à Pélussin (Loire), le 8 décembre 1811, le jour même de la Fête de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge.

 Dès son enfance, il eut un attrait marqué pour la vertu, aimant la prière et tous les exercices de piété. Malgré son éloignement de l'église, il s'y rendait des premiers, les jours de Dimanches et de Fêtes, pour satisfaire sa dévotion. Ces jours-là, l'église faisait, pour ainsi dire, sa demeure ordinaire ; ses délices étaient d'y rester en adoration devant le Très Saint-Sacrement. Après avoir assisté à une ou plusieurs Messes et aux Vêpres, il se trouvait encore assidûment à tous les exercices de dévotion que le zèle des Pasteurs et la piété des Fidèles y ajoutaient : Chapelet, Chemin de la Croix et autres. Il s'approchait souvent des Sacrements, et toujours avec la piété et le recueillement les plus édifiants. Son attrait pour la retraite et le silence le portait à se séparer des jeunes gens de son âge ; et, s'il en voyait quelques-uns, ce n'étaient que les plus pieux.

 D'ailleurs, il était, par caractère, d'une modestie et d'une simplicité rares, d'une franchise qui écartait toute idée de dissimulation, et d'un excellent cœur.

 Une de ses parentes le voyant si pieux, si édifiant, lui inspira le goût de la vie religieuse et lui donna de l'attrait pour l'instruction chrétienne de la jeunesse. Après deux années d'épreuves qu'il passa avec un redoublement de ferveur, il se décida à entrer au Noviciat de l'Hermitage, le 19 janvier 1834, et à se mettre sous la conduite du R. Père Champagnat, le pieux Fondateur de l'Institut des Petits Frères de Marie. La suite du récit du bon Frère Andronic se rattache à l'ensemble des vertus et des actions du saint Défunt ; nous le ferons entrer, en son lieu, dans cette petite Notice.

 Il n'est pas besoin de dire ici que le jeune Postulant fit son Noviciat avec une ferveur remarquable, et qu'elle ne fit que grandir, d'année en année, dans les divers Postes où, plus tard, il fut employé. Revêtu de l'Habit religieux, au mois de juillet 1834, il fit Profession au mois d'octobre 1836, et fut admis à la Stabilité le 3 septembre 1856.

 Employé comme Adjoint à Ampuis (Rhône) et à Genas (Isère), pendant les deux premières années après le Noviciat, il dirigea l'établissement de Saint-Symphorien-le-Château (Rhône), jusqu'au mois de mai 1844, c'est-à-dire pendant huit ans. De là, il fut envoyé à Char­lieu (Loire), et c'est là surtout qu'il a exercé tout son zèle et qu'il a consommé sa carrière, comme Directeur pendant vingt ans, et comme Econome pendant les six dernières années.

 Nous plaçons ici, dans toute son étendue, le récit qui nous est fait des huit années que le bon Frère Ignace a passées à Saint-Symphorien-le-Château, bien qu'il se rapporte plutôt aux heureux effets qu'à l'exercice même de son zèle.

 Lorsqu'en 1844, il fut question de le remplacer, pour le préparer au brevet, ce fut une réclamation générale : Autorités, Parents, Enfants, tout le monde s'y mit pour le retenir. Le bon Vicaire s'étant rendu à l'Hermitage à cet effet, tant de la part de M. le Curé et de l'Autorité civile, qu'au nom de toute la population, les Supérieurs dirent nettement que Frère Ignace n'avait pas de brevet, qu'on le retirait pour le faire étudier et le préparer aux examens ; que le changement n'était pas définitif et qu'une fois breveté le Frère pourrait reprendre son Poste.

 « Nous n'avons pas besoin de brevet, répondit-on unanimement ; Frère Ignace nous suffit tel qu'il est ; il a très bien fait jusque-là, il fera bien encore. Nous le voulons à tout prix et pas d'autre, fut-il docteur. »

 Toutefois, Frère Ignace, après être resté quelques jours pour mettre son successeur au courant de tout, fut rappelé à l'Hermitage, au grand regret de toute la population qui a toujours conservé une profonde vénération pour la vertu de leur Frère.

 Les anciens Elèves ayant appris la mort de cet excellent Maître, se réunirent et se cotisèrent aussitôt pour, lui faire célébrer un Service solennel, en reconnaissance de tout le dévouement qu'il avait mis à les instruire. Ils ont voulu chanter eux-mêmes la Messe. C'était beau et touchant d'entendre ces hommes de cœur et de foi mêler leurs voix aux voix de leurs Enfants, pour rendre un public et dernier hommage à l'Instituteur chéri de leur première enfance.

 M. le Curé fut tellement frappé de cet exemple admirable de piété et de reconnaissance donné à leurs Enfants et à toute la Paroisse par ces bons Chrétiens, qu'il en fit l'éloge du haut de la chaire, en annonçant le Service. Voici ses propres paroles : « Mardi prochain, 10 mai 1870, à huit heures, Service solennel pour le bon Frère Ignace, qui a demeuré de longues années à Saint-Symphorien ; où, faisant le bien en bon Religieux, il a laissé les plus précieux souvenirs.

 « Ce Service est demandé, comme preuve de reconnaissance, par les anciens Elèves du Frère, tous main tenant pères de famille, et cette demande est à leur louange autant qu'à celle du Maître. Il est consolant, dans un temps où les mauvaises doctrines flétrissent  et empoisonnent les cœurs, où ceux qui se sont inoculé leur poison, non seulement affichent pour leurs Maîtres l'ingratitude la plus noire, mais vomissent contre eux l'outrage et la calomnie, les journaux en font foi : il est consolant, dis-je, de trouver des cœurs reconnaissants. C'est qu'en restant chrétien, on ne peut que conserver les nobles et bons sentiments qui honorent tout homme droit et bien élevé. »

 Le bon Frère a laissé, en effet, dans le cœur de ses Elèves de Saint-Symphorien des traits ineffaçables de bonté, de droiture et de vertu. Ces hommes sont ce qu'il y a de mieux dans le pays, les plus réguliers aux Offices et aux pratiques de la Religion. Frère Ignace a si bien su les leur faire aimer par ses bonnes instructions et ses bons Catéchismes, et plus encore par ses saints exemples et ses ferventes prières, qu'ils ne s'en sont jamais départis.

 Et il faut le dire, ce bien porte ses fruits ; car ces bons pères de famille transmettent encore à leurs Enfants les principes de vertu qu'ils ont reçus du bon Frère Ignace ; et si la population a conservé pour les Frères un attachement qui ne s'est jamais démenti, c'est, à n'en pas douter, grâce aux prières, au dévouement et au savoir-faire de notre bon Frère Ignace.

 « Après plus de vingt-cinq ans, dit le Frère qui l'a remplacé à Salnt-Symphorien, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de voir les gens du pays que j'avais quitté moi-même depuis vingt ans; chaque fois, on m'a parlé du Frère Ignace, et toujours avec les plus grands  éloges. On ne se souvient plus des Frères qui l'ont précédé et aucun de ceux qui l'ont suivi n'a pu le faire oublier lui-même. »

 Déjà, dans ce Poste, le bon Frère Ignace, cédant à son attrait particulier pour la dévotion à Saint Joseph, avait introduit dans sa Classe différentes pratiques en son honneur; et le Frère, qui en rend témoignage, se plaît à reconnaître, comme tous les autres, que c'est à cette tendre dévotion qu'il a dû et sa sainte vie et sa sainte mort.

 Nous le verrons mieux encore, en suivant le bon Frère dans sa chère Maison et son cher Pensionnat de Charlieu. C'est là surtout qu'elle a éclaté, d'une manière admirable, et pour le bien des Enfants et pour sa propre sanctification.

 Je n'ai qu'à abréger et à fondre ensemble les nombreuses notes qui m'ont été fournies par ses Frères. La première est du 19 mars 1870, quelques jours après son bienheureux trépas.

« J'ai résolu ce matin, me dit le bon Frère qui l'écrit, de vous entretenir de notre Cher Défunt, qui, à pareil jour, célébrait avec tant de ferveur et d'amour la Fête de notre grand Patron. C'est par l'organiste même de Char­lieu j'ai appris la mort du bon Frère. « Frère Ignace  a été exaucé, m'écrit-il. Il demandait à Saint Joseph de mourir dans son mois : le voilà bien satisfait. Sa mort a été celle du Juste: pendant cinq minutes, il a fixement l'image de Saint Joseph, puis l'image et fermant doucement les yeux, il s’est endormi dans les bras de son saint Protecteur. »

Ainsi parle un jeune homme, formé à l'école même du Frère Ignace. Pour moi, j'en suis moins surpris encore ; car je savais, confidemment, et depuis longtemps, qu’il faisait la Communion le Mercredi pour obtenir de Saint Joseph de mourir ce même jour qui lui est consacré. C'était une Communion extraordinaire ; le plus souvent, il allait la faire dans la Chapelle des Dames Ursulines. Je le voyais, chaque Mercredi, gravir sans bruit, en mé­ditant pieusement, la côte rapide qui sépare les deux maisons.

 « Saint Joseph l'a donc exaucé en cela comme en toute autre chose ; car il aimait à dire, avec sainte Thérèse, qu'il ne lui avait jamais rien refusé ; et que si, quelquefois, il l'avait fait attendre, c'était pour lui accorder plus largement tout ce qu'il lui demandait. Aussi, ajoute le Frère, lui demandait-il l'impossible ; et pour preuve il réunit ici quelques faits qui témoignent également de la piété, de la dévotion et de la simplicité du bon Frère et des fruits merveilleux que son amour pour Saint Joseph, sa confiance et son zèle pour ce grand Saint produisaient dans les Enfants.

 « Le premier regarde le Frère chargé de la cuisine. Il se vit tout à coup affecté d'une grosseur énorme aux deux, genoux, affection déclarée sérieuse par le docteur de l'Etablissement, si sérieuse même qu'une opération immédiate fut déclarée nécessaire. On voulut la faire faire à l'hôpital de Roanne, mais les trois Docteurs qui visitèrent le malade, voyant que la tumeur, en se solidifiant, devenait adhérente à la rotule du genou, reculèrent devant l'opération et engagèrent les Frères à conduire leur malade à Lyon.

 « C'est alors que le bon Frère Ignace s'écria : « Puisque les médecins sont unanimes à reconnaître le danger de cette opération, allons à meilleur Médecin qu'eux, faisons tous ensemble une bonne Neuvaine à Saint Joseph, faisons-la avec confiance, et notre malade  sera délivré sans courir risque d'être estropié. »

 « Les Frères ne partageant pas sa confiance ni sa dévotion, le combattirent très fort.  « Hé bien ! dit le bon Frère au malade, quand il se vit seul avec lui, nous ferons notre Neuvaine à nous deux ; je ne vous demande qu'une chose, une grande confiance. Et pour  que vous pensiez souvent à Saint Joseph, je vais attacher sa médaille à chacun de vos genoux. »

 « Le pauvre malade se laissa faire, mais il ne put se prêter que faiblement aux pratiques de la Neuvaine; car il fut pris d'une fièvre sans nom qui le tint huit jours entiers dans le lit. Frère Ignace n'en priait qu'avec plus de ferveur, parce qu'il était comme seul à le faire.

 « Cependant, continue le Narrateur, le soir du neuvième jour, j'allai voir notre malade, et je le trouvai devant le feu, enveloppé d'une couverture, pendant qu'on faisait son lit. Sans intention, je mis ma main sur ses genoux : ô surprise ! ils étaient aussi nets que s'ils n'eussent jamais été affectés d'aucune grosseur !… Qu'était donc devenue cette chair énorme que les médecins n'avaient osé amputer ?… Tous les Frères de la Maison accoururent; chacun voulait voir et toucher; et, tout stupéfait d'une guérison si complète et si inattendue, il se disait au fond du cœur que désormais il aurait en la protection de Saint Joseph. Seul, Frère Ignace n'était ni surpris ni empressé ; mais, nous laissant à. nos réflexions, il se retira, comme s'il n'eût été pour rien dans un fait si extraordinaire, et alla remercier son tout-puissant Protecteur.

 « Venant aux Enfants, le Frère ajoute que la grande dévotion du bon Frère ne gagnait pas seulement ses Frères; mais qu'elle s'emparait aussi du cœur des Enfants, surtout de ses chers Congréganistes. Chaque année, il leur faisait faire les sept Dimanches en l'honneur de Saint Joseph et tous ces jeunes gens s'y portaient avec bonheur. Dans toutes leurs réunions, il leur parlait avec tant d'onction de son Saint que plusieurs d'entre eux ont avoué, après leur sortie de la Pension, que c'était le plus doux souvenir qu'ils en eussent emporté.

 « De si bons avis et de si saintes pratiques ne pouvaient rester sans produire des fruits surprenants. Ils éclataient dans toute la Maison par le bon esprit qui animait les Elèves ; et Saint Joseph sembla les reconnaître et les confirmer par des grâces tout extraordinaires.

 « Un Dimanche, après dîner, un de nos Congréganistes, Enfant de douze ans, étant seul au jardin, se laissa tomber dans le réservoir où, précédemment, un malheureux s'était noyé, et où, plus tard, devait se noyer un pauvre Enfant qui n'avait pas eu le temps encore d'apprendre à invoquer Saint Joseph.

 Notre Congréganiste ne se voit pas plutôt au fond du réservoir, plein d'eau à plus de trois mètres d'élévation, qu'il dit en Bon cœur: « Saint Joseph, sauvez moi ! » Cette prière faite, sans se troubler, il cherche à s'orienter et gagne l'escalier, alors de quelques marches seulement, n'allant pas à la moitié de la profondeur.

 Un autre de ces pieux Congréganistes, qui avait appris, lui-même à sa bonne mère à invoquer Saint Joseph, s'alarmait très fort avec elle du tirage dont il allait faire partie. C'était pendant les guerres d'Italie. « Tiens, lui dit-il un jour, je vais trouver le Frère Ignace; il fera  une Neuvaine avec nous et tu verras !… » Il vint en effet, obtint et fit la Neuvaine, pendant laquelle il entretint deux cierges devant la statue de Saint Joseph.

 Et voilà que le jour même du tirage, après midi, avant de voir personne, il arrive, courant à perdre haleine, vers Frère Ignace… Il l'embrasse; et, montrant son numéro, c'était l'avant-dernier parmi les plus élevés: « Saint Joseph m'a exaucé, s'écrie-t-il, aidez-moi, je vous prie, à le remercier comme vous m'avez aidé à l'invoquer.» De là, il court vers sa mère qui se meurt de crainte ; et, de loin, il lui crie l'heureuse nouvelle: très heureuse en effet, car, cette année-là, il n'y eut que trois numéros de bons. « Pauvre Enfant ! disait Frère Ignace, j'étais sûr que Saint Joseph l'exaucerait ; il ne pouvait se refuser à une confiance si naïve. »

 Je ne puis me refuser à donner encore, dans toute sa simplicité et naïveté, le trait suivant d'un de ces bons Congréganistes. Le Frère le raconte ainsi : « Comme je causais, un Dimanche soir, avec le bon Frère Ignace, précisément de la Fête de  Saint Joseph qui approchait, arrive un de nos anciens Elèves. Après les saluts ordinaires : « Vous allez faire comme toujours, nous dit-il, une belle fête à Saint Joseph. – Certainement, mon ami; nous en causions, Frère Ignace et moi. Vous serez des nôtres, n'est-ce pas? – Il est possible que je n'aie pas ce plaisir ; mais j'y serai de cœur sûrement, je fais ma Neuvaine avec vous… » – Puis il nous fit ainsi son histoire. «Voyez donc tout ce que je dois à Saint Joseph ; il m'a fait et continue à me faire tant de bien que je ne saurais assez le reconnaître. » S'adressant à moi: « Vous savez, vous qui avez été mon Professeur, combien je suis maladroit, quels étaient mon embarras et ma timidité, et combien peu j'étais formé. Il m'eût fallu encore deux ans de classe au moins, pour me mettre à. même de me tirer d'affaire. Eh bien ! non ; voilà dix-huit mois que, rentrant à la maison pour prendre mes vacances, je me suis entendu dire par mon tuteur : « C'est temps de prendre ta maison, de faire fonctionner toi-même tes ouvriers et de diriger tes affaires. J'ai à m'occuper des miennes propres. »  Et cela dit, il me laisse là avec un chantier de dix-huit ouvriers.

 « Quand je me vis seul, sans parents, sans amis, sans tuteur, à la tête d'une maison si compliquée, je me pris à pleurer, cherchant dans ma pensée qui pourrait me diriger, me conseiller, me conduire, moi, enfant de moins de dix-sept ans.

 « Saint Joseph s'est présenté aussitôt à ma pensée ; je me suis rappelé tout ce que Frère Ignace nous disait de sa puissance et de sa bonté, dans nos charmantes réunions ; et, me jetant à genoux, je lui fis cette prière : Saint Protecteur, vous me voyez abandonné de tout le monde ; le seul parent qui me reste, mon tuteur, me délaisse pour tirer profit de mon inexpérience ; il me délaisse après m'avoir fait toutes les misères possibles. Oh ! je vous en conjure ; servez-moi de père, de tuteur, de conseiller, de tout, en un mot ; soyez mon guide et mon conducteur dans cette grande maison où, sans vous, je me perdrais corps et âme.

 « Ma prière faite, je me relevais plein de courage et me sentis tout autre ; plus de timidité, plus de frayeur. Le lendemain, je trouvai chacun à son travail, je savais commander, me faire respecter et obéir. Les clients, comme les ouvriers, étaient surpris de mon savoir-faire, et je les trouvais, les uns et les autres, pleins d'égards pour moi.

 « Depuis, la clientèle a doublé, malgré les efforts de mon tuteur qui a la même partie que moi. Je n'ai fait encore aucune perte, et il m'est visible qu'une main invisible dirige toutes mes affaires. C'est Saint Joseph, je n'en doute pas ; il a écouté ma prière ; aussi, je veux que toutes les dépenses de la Fête soient à ma charge, c'est bien peu pour tout ce que je lui dois. »

 « Et disant cela, il laissait glisser une pièce d'or dans la main du bon Frère Ignace qui, comme son cher Congréganiste, laissait tomber de ses yeux une larme d'amour et de reconnaissance.

 « Voilà comme notre grand dévot à Saint Joseph savait faire passer dans ses Frères et ses enfants sa grande confiance en son Saint Protecteur. « Non, dit le Frère qui raconte ces faits, pas un Frère n'est sorti de Charlieu, sous la direction du Frère Ignace, sans avoir contracté quelques-unes de ses pieuses pratiques envers Saint Joseph ; pas un enfant de sa chère Congrégation qui n'ait conservé le souvenir de cette dévotion et de cette confiance du bon Frère en notre Saint Patriarche et Protecteur.

 « Puissent, m'ajoute-t-il en finissant, ces quelques lignes, jetées à la hâte, vous consoler, mon Révérend, comme elles me consolent moi-même de la perte d'un si bon Religieux !… »

 Et moi-même j'ajoute aujourd'hui : Puissent-elles, en réveillant dans l'Institut de si précieux souvenirs et de si saints exemples, accompagnés de grâces si extraordinaires, enflammer tous nos cœurs de la même dévotion envers Saint Joseph, de la même piété, de la même confiance, du même zèle que nous voyons éclater dans le bon saint Frère Ignace.

 J'ai donné ci-dessus la Notice la plus longue et la plus précise qui me soit venue des Frères de Charlieu sur la dévotion propre de notre cher Défunt ; mais on y revient également dans toutes les autres notes et on la relève de toutes les manières.

 L'un d'eux en parle comme d'une dévotion prodigieuse, phénoménale plutôt, ajoute-t-il, s'il est permis d'employer ce terme. Tous les Frères qui ont passé avec lui en savent quelque chose. Pour moi, je puis assurer que si j'ai quelque dévotion à Saint Joseph, c'est au Frère Ignace que je le dois. C'est lui qui m'a appris à l'aimer et à l'honorer. Que de fois j'ai entendu dire à ce bon Frère : « Non, je n'ai rien demandé à Saint Joseph  sans l'avoir obtenu presque instantanément. Si nos  pensionnaires sont nombreux, s'ils marchent bien, s'ils sont pieux, nous ne le devons qu'à Saint Joseph; lui et moi, nous nous entendons à merveille : il fait  tout dans ce Poste. »

 Aussi, ajoute le Frère, avec quelle solennité célébrions-nous la Fête du Saint Patriarche ! Rien ne peut en donner une idée. Pas un Elève n'aurait osé se dispenser d'approcher des Sacrements ce jour-là.

 Dans sa dernière maladie, pendant le mois de février, raconte le Frère qui le veillait, il demandait à tout instant : Quel jour du mois sommes-nous ? – Le 19. – Le 20. – Le 21, etc. – Ha ! mon Dieu ! encore neuf jours, ou huit, ou sept, avant le mois de Saint Joseph ! Oh ! que c'est long ! Enfin, le 28 arrive ; et, de neuf heures à onze heures du soir, il veut savoir de même quelle heure il est, tant il est impatient d'arriver à son mois chéri. Un moment de sommeil le gagne vers minuit ; et, à son réveil, on lui dit : Frère Ignace, nous voilà au mois de Saint Joseph. – Oh ! tant mieux ! s'écrie-t-il, et, se tournant vers le tableau de son bien-aimé, il lui crie avec amour: « Ô Saint Joseph, venez à mon secours ! Ô Saint Joseph, mon glorieux Patron, priez pour moi ! Saint  Joseph, priez la Vierge Marie de venir à mon aide ! »

 Quoique privé de la parole dans ses derniers moments, il avait toujours les yeux fixés sur le tableau de Saint Joseph, ou sur un tableau voisin représentant Jésus-Christ en croix. C'est dans cette position, comme nous l'avons dit, qu'on l'a vu rendre son âme à Dieu et s'endormir du sommeil de la mort. Les Frères qui l'ont assisté, restent persuadés qu'avant d'expirer, le cher Frère Ignace a reçu la visite de Saint Joseph.

  Frère Ignace, lui disait un jour un de ses Frères, Saint Joseph, votre Parrain, comme vous l'appelez, viendra sûrement vous chercher. – Oh ! je le voudrais bien, répond le malade ; mais je ne mérite pas que Saint Joseph me fasse une si grande grâce ». Et cependant, elle lui a été accordée abondamment, selon qu'il l'avait tant demandé. Il est tombé malade un Mercredi ; et, après trois mois de cruelles souffrances, il a expiré un Mercredi matin, le neuvième jour du mois de Saint Joseph, les yeux tellement fixés sur son tableau qu'on aurait dit véritablement qu'il le voyait en personne.

 Du reste, sa dévotion à Saint Joseph était si connue qu'un de ses Frères essaya un jour de le plaisanter à ce sujet : « Frère Ignace, lui dit-il, prenez garde ; je crains bien que Saint Joseph ne vous tourne le dos; car il est juste, et vous ne l'êtes pas : on dirait que vous lui accordez plus de crédit qu'au bon Dieu. Notre-Seigneur ne s'en fâchera-t-il pas ? – « O mon Frère, vous n'y entendez rien. Ne savez-vous pas que le Fils est honoré lui-même des honneurs qu'on rend à son Père ? Ne savez-vous pas que la confiance que nous accordons aux Saints ne fait qu'augmenter notre amour pour Dieu ? »

Bref, cependant, sur ces faits et paroles qui dénotent si bien la dévotion du bon Frère à Saint Joseph; nous pourrions les multiplier et les étendre bien davantage ; mais c'est assez pour faire comprendre, comme nous l'avons dit plus haut, que c'est par la dévotion à Saint Joseph qu'il a fait le bien parmi les Enfants. C'est aussi par la même dévotion qu'il a su, à une époque, arrêter le mal, réprimer et corriger certains désordres que quel­ques brebis galeuses avaient introduits dans la Pen­sion. En apprenant ce mal qu'avait découvert un Sur­veillant intelligent et expérimenté, sa douleur fut si grande, ses larmes si abondantes et si amères, ses prières à Saint Joseph si ardentes, que la contagion s'arrêta aus­sitôt et que les coupables furent ramenés à Dieu par une bonne Confession et par les soins redoublés du bon Frère Directeur et de tous ses Frères.

 Il nous reste à voir comment il s'est sanctifié lui-même par la même dévotion. En parcourant le volume de nos biographies, on reconnaît, dans tous les Frères dont on donne l'histoire, une vertu dominante qui a donné l'im­pulsion à toutes les autres, et qui fait que chacune de ces Vies nous offre un ensemble de vertus, de piété, de régu­larité, de zèle et de dévouement, qui en fait comme un modèle accompli pour chacun de nous. Dans Frère Louis, c'est l'amour de Dieu porté à un très haut degré ; dans Frère Bonaventure, c'est une docilité, une fidélité à la grâce qui ne s'est jamais démentie ; dans Frère Pascal, Assistant, c'est un zèle brûlant pour le salut de ses Frères et des Enfants, et de même pour les autres. De même aussi pour le bon Frère Ignace, sa dévotion si vive, si soutenue à Saint Joseph, l'a fait exceller dans toutes les vertus de son état.

 La piété d'abord. Dans ses prières, dans tous ses exercices de piété, il avait une tenue si modeste et si recueillie, qu'un de ses Seconds, tête assez légère, assure qu'il lui suffisait de jeter les yeux sur le Frère Ignace pour ranimer sa dévotion et reprendre un peu de ferveur. Il faisait aussi de très fréquentes visites au Très Saint-Sacrement. Dans les dernières années, son Directeur assure qu'il n'allait presque jamais à la Chapelle sans l'y trouver.

 Outre sa dévotion à Saint Joseph, si connue de tous, il excellait encore dans la dévotion aux âmes du Purgatoire. C'est pour leur soulagement qu'il faisait, chaque jour, l'exercice du chemin de la Croix, et qu'il n'oubliait jamais de réciter à leur intention les six Pater, six Ave et six Gloria Patri du Scapulaire de l'Immaculée Conception : « J'espère, disait-il, que les âmes du Purgatoire me viendront en aide, car j'ai fait tout ce que j'ai pu  pour les soulager. » Il s'efforçait en effet de gagner le plus d'indulgences possible ; et, fidèle à l'acte héroïque de charité envers les saintes âmes, il les déposait, avec toutes ses œuvres satisfactoires personnelles, entre les mains de la très Sainte Vierge pour qu'elle les dispensât, à son gré, aux âmes qu'elle voudrait soulager. Pendant sa maladie, sur son lit de mort, ne pouvant faire le Chemin de la Croix, il y suppléait en récitant devant une Croix indulgenciée à cet effet les Pater, Ave et Gloria prescrits.

 La piété de ce bon Frère a été si constante et si vive, qu'on le trouvait toujours priant, toujours occupé du bon Dieu. Les domestiques mêmes de la maison ont re­marqué que, dans ses sorties et voyages, il avait cons­tamment son Chapelet à la main, et qu'il trouvait son bonheur et son soulagement à le réciter. Heureux Frère d'avoir ainsi sanctifié toutes ses actions, et sa vie entière par la prière, par de fréquentes oraisons jaculatoires, et par le souvenir habituel de la sainte présence de Dieu !

 L'esprit de mortification du Frère Ignace n'a échappé à aucun de ceux qui ont passé avec lui. Dans ses repas, dit l'un d'eux, il se contentait le plus souvent d'un simple potage, d'un morceau de fromage ou d'un peu de salade. Je ne l'ai jamais vu prendre aucune douceur.

Au réfectoire, il s'était tout spécialement chargé des petits Enfants. Il les servait tous, découpait leur viande dans leur assiette, mangeait avec eux, sans s'as­seoir jamais. Il lui suffisait de quelques morceaux, pris çà et là dans les plats mêmes des enfants, tout ce qu'il y avait de moindre, et il le mangeait en se promenant et pourvoyant à tout.

 L'esprit d'humilité et de simplicité du bon Frère allait de pair avec son esprit de pénitence et de mortification. Il était habituellement, dit un de ses Frères, comme l'humble violette cachée sous le buisson et qui ne se fait connaître que par le parfum de ses vertus. Fidèle à la parole du divin Maître : Mettez-vous à la dernière place (Luc, XIV, 10), Frère Ignace a toujours aimé à être in­connu et à se faire le serviteur de tous ses Frères et même des Enfants. Quelqu'un lui témoignant un jour son éton­nement de lui voir balayer sa chambre et les apparte­ments, au lieu de le faire faire par les domestiques: «C'est justice, mon Frère, répondit-il, je suis moins qu'un domestique dans la maison. » Toute son application était de se cacher, de passer inaperçu, de ne se produire que par pure nécessité. S'il revenait de la ville, pour éviter le parloir, il passait le plus souvent par la Chapelle, pour saluer Notre-Seigneur et converser avec lui au lieu de converser avec les hommes. On a remarqué que, dans ses sorties, il prenait toujours les rues les moins fréquentées, ne se plaisait qu'avec les simples, les petits, les bons paysans ; rien ne lui était plus pénible que d'avoir à traiter avec les personnes de distinction. Il n'acceptait aucun service personnel; c'est lui-même qui nettoyait ses habits, cirait ses souliers, faisait sa chambre, garnissait son poêle, etc. « Autant qu'on le peut, disait-il, il faut faire sa petite besogne sans déranger personne. »

 Avec cet esprit de simplicité et d'humilité, on comprend que la pratique de la charité fraternelle lui fût très facile. Ne jugez point, et vous ne serez point jugés, ne condamnez point et vous ne serez point condamnés, dit Notre-Seigneur en Saint Luc (VI, 37). C'est cette maxime de salut que Frère Ignace avait prise pour règle de sa conduite : de ses pensées, de ses paroles et de ses actions. Il avait tellement l'habitude d'interpréter en bonne part tout ce qu'il voyait et entendait, qu'il avait peine à croire le mal qu'on lui rapportait ; il ne savait que pardonner, dissimuler, excuser. Aussi, pendant sa dernière maladie, souffrant énormément de sa langue toute couverte de boutons et de taches blanches, comme on le plaignait beaucoup : « Pourtant, dit-il, je n'en ai pas usé mal à propos ; surtout je ne m'en suis  jamais servi pour parler mal de mes Frères. »

 A l'exemple du bon Pasteur, il aimait par excellence les petits Enfants. Il s'était chargé du dortoir des plus jeunes, et à tous il. tenait lieu de mère. Dans leurs moindres besoins, il était sur pied, les recouvrait la nuit, leur prodiguait les soins les plus assidus et les plus dévoués. Chaque matin, c'est lui qui les lavait, les peignait, faisait leurs lits, nettoyait leurs chaussures et leurs habits. Son humilité et sa charité n'avaient point de bornes. On peut bien le dire et lui appliquer le mot de Saint Luc au même Chapitre : Remettez et on vous remettra : donnez et on vous donnera on vous versera dans le sein une bonne mesure, pressée, entassée, et qui se répandra par dessus ; car on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres (Luc, VI, 37, 38).

 Personne, plus que Frère Ignace n'a mérité cette récompense surabondante. Sévère et dur pour lui-même, il n'était que bonté et indulgence pour les autres ; il n'accordait rien à la nature que ce qu'il ne pouvait lui refuser sans manquer à la Règle ; mais il se dépensait tout entier, et la nuit et le jour, pour le bien de ses Frères et de ses Enfants.

 Cependant, la défiance qu'il avait de lui-même le porta, à la fin, à demander à ses Supérieurs d'être déchargé du fardeau de la direction, et il s'en ouvrit un jour à une ancienne Religieuse de Saint-Joseph, la sœur Saint-Colomban, sa cousine, personne d'un très grand mérite.

 « Il m'exposa simplement ses motifs, écrit la bonne Sœur. Je lui répondis que son amour-propre pourrait en souffrir, et qu'il lui serait pénible de se trouver sous la tutelle d'un Frère plus jeune que lui. – Qu'importe l'amour-propre, me répondit-il ? Je ne serai plus chargé devant Dieu de personne que de moi seul. Cela en vaut la peine. J'aurai plus de loisir de songer à mon éternité, c'est la seule chose qui m'intéresse. »

 Les Supérieurs se rendirent en effet à sa demande en 1865, le déchargèrent de la direction de la maison en lui laissant l'économat. Sans doute, comme le lui avait fait pressentir la bonne Religieuse, il eut un moment de peine non pas à se soumettre, ni à dépendre absolument de son jeune Directeur; mais il souffrait de s'occuper moins des Enfants qu'il aimait avec une si vive tendresse, de faire moins pour ses Frères pour lesquels il s'était montré bon jusqu'à la faiblesse. C'est lui-même qui annonça aux Pensionnaires le changement qui venait d'avoir lieu, et il se renferma immédiatement dans l'administration du temporel de l'établissement.

 « A partir de ce moment, dit le cher Frère Directeur,  il ne fit plus qu'un avec moi, et nous vécûmes en parfaite communauté de vues et de sentiments. Il ne sortait jamais sans me prévenir et me désigner le lieu où il allait. Il voulait aussi avoir mon avis pour tous les  achats importants qu'il avait à faire. Pendant les quatre ans que nous avons passés ensemble, nous n'avons  jamais eu le moindre mot, la moindre altercation. »

 A propos de regrets prétendus que quelques esprits légers prêtaient au Frère Ignace sur la perte de son titre de Directeur, un de ses principaux Seconds, devenu lui-même Directeur d'une grande maison, combat vivement ces faux bruits, et en prend occasion de relever ainsi les vertus du bon Frère. C'est par là que nous terminerons cette courte Notice : «Je comprendrais, dit-il, qu'un Frère qui aime à commander, à tenir parloir, à faire des visites, des voyages, des promenades, à se donner des distractions, à faire quelques bons repas ;  je comprendrais, dis-je, qu'un tel Frère pût regretter la place de Directeur ; mais Frère Ignace, ce Religieux humble à l'excès, qui ne savait remplir que les offices les plus bas et se faire le serviteur de tous ; si humble que son humilité même, au dire de quelques-uns, Sujets superficiels, le rendait impropre à son emploi ;  Frère Ignace, mortifié à ce point que nos Aumôniers l'accusaient de suicide ; lui, qui ne mangeait presque pas de viande, jeûnait d'ordinaire le mercredi, le vendredi et le samedi de chaque semaine, faisait à pied les voyages, même les plus pénibles, et souffrait visiblement de rendre ou de recevoir quelques visites, lorsqu'il n'y avait pas intérêt réel pour sa maison ; lui  qu'on a trouvé toujours le premier partout où il y avait un travail rude ou dégoûtant !… Oh ! c'est incroyable,  parce que c'est impossible. »

 Disons, au contraire, que l'obéissance du bon Frère, son humilité, sa patience et sa mortification étaient si connues de tous, surtout des Supérieurs, qu'ils n'ont pas craint de le remettre en second dans l'Etablissement même qu'il avait dirigé pendant vingt ans.

 Et, comme preuve de son excellent esprit et de sa solide vertu, ajoutons que, malgré la vénération dont il s'est vu entouré jusqu'à la fin, il est resté simple, bon, pieux, tout dévoué à ses Supérieurs, et parfaitement soumis à toutes les volontés et même aux moindres désirs de son Directeur.

 Nous avons vu plus haut quelle bonne et sainte mort, par la protection de Saint Joseph, a couronné une si bonne et si sainte vie. 

CONCLUSION

 Concluons donc, après toutes ces considérations, après tous ces saints exemples, après la grande et si magnifique décision de la Sainte Eglise en l'honneur de Saint Joseph, concluons que nous ne pouvons trop nous confier à ce grand Patron, espérer en lui, l'invoquer et le prier, La Sainte Trinité elle-même devient ici notre modèle.

 Le Père lui confie son Fils ; lui remet sa puissance, son autorité, ses desseins, lui confie tout.

 Le Fils se remet entièrement entre les mains de Joseph, ne veut être porté que par lui et par Marie… Jésus dort sur le sein de Joseph… Joseph adore, et le cœur de Jésus qui veille, entend et reçoit ses adorations.

 Le Saint-Esprit le couvre de son ombre, lui donne la garde de Marie, sa très sainte Epouse, et du Fruit Saint qui naîtra d'elle par son opération, le Verbe de Dieu fait chair.

 Marie elle-même, à quinze ans, lui confie sa vie, sa pureté, son trésor par excellence, l'adorable Jésus.

 Toute l'Eglise applique à Saint Joseph l'histoire de l'ancien Joseph ; et, comme Pharaon disait à ses sujets pendant la famine : Allez à Joseph ; de même, l'Eglise répète à tous ses enfants d'aller à Saint Joseph dans tous leurs besoins spirituels et temporels.

    Et, autre rapprochement très consolant entre l'ancien et le nouveau Joseph: La première année de la famine en Egypte, Joseph donnait du blé et recevait l'argent ; la seconde année, l'argent étant épuisé, il recevait les trou­peaux; la troisième année, il n'y avait ni argent ni trou­peaux, il recevait les terres. Et ainsi, par ses soins, toute l'Egypte passa à Pharaon, son maître, qui devint le Roi le plus puissant et le plus riche de la terre ; mais, à son tour, Pharaon, à la prière et par les soins de Joseph, rendait tout à ses sujets, n'exigeant d'eux que l'obéissance et un léger tribut.

 Ainsi fait Saint Joseph avec les Chrétiens, ses frères, pour Jésus, son Maître. Un jour, il nous demande pour Jésus un défaut à corriger ; un autre jour, un autre. Il nous demande pour Jésus notre esprit, notre cœur, notre vie. Il nous remet ensuite tout entiers sous l'empire de Jésus; et par Jésus il nous rend maîtres de nous-mêmes riches en grâces, contents et heureux par la vertu; il nous sauve de la famine, ici-bas et dans l'éternité, pour un léger tribut d'obéissance et d'amour payé à Jésus.

 Et ce qui est vrai pour les simples Chrétiens, l'est éminemment pour tous les Religieux, eux, qui, par les Vœux de Pauvreté, de Chasteté et d'Obéissance, ont déjà tout donné à Jésus: biens, plaisirs, liberté, corps et âme, espérances quelconques et pour toujours. Oh 1 confions ces vœux et ces offrandes à Saint Joseph; chargeons-le de les présenter à Jésus, de nous y rendre fidèles, et de nous obtenir en retour les trésors de la pauvreté, les délices de la Chasteté, toutes les victoires de la sainte Obéissance. Saint Joseph ne nous fera jamais défaut; il nous rendra plus forts que l'enfer, plus forts que le monde, supérieurs à nous-mêmes ; il ne nous quittera pas qu'il ne nous ait obtenu la grâce des grâces, la grâce suprême de la persévérance finale.

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 Saint-Genis-Laval (Rhône), 12 mai 1878. 

AVIS DIVERS 

1° Juvénats.

 Nous rappelons à tous les avis qui ont été donnés sur les Juvénats, dans notre Circulaire du 17 janvier 1878, et nous remercions, en particulier, les Frères Directeurs qui ont pris sérieusement à cœur l'organisation de cette excellente œuvre. Déjà, d'importantes souscriptions ont été recueillies dans un bon nombre de Paroisses, surtout dans la Province du Nord et dans celle du Midi. Nous désirons que, dans le courant des mois de mai et de juin, on nous donne la liste exacte (noms et prénoms) des Souscripteurs, des Chefs de dizaine, et principaux Zélateurs et Zélatrices, avec la somme versée par chacun. On recevra également, avec reconnaissance, les notes, observations et faits divers qui pourront aider à composer le premier Bulletin de I'Œuvre et y donner de l'intérêt. Nous avons la consolation de voir ces Juvénats prospérer et se développer très heureusement. Il est certain que, si les ressources ne font pas défaut, on trouvera là, un jour, d'excellents Sujets pour l'Instruction Chrétienne de la jeunesse. 

2° Rapports avec les Enfants.

 Déjà, dans plusieurs Circulaires, nous avons rappelé avec force les points de la Règle concernant les rapports des Frères avec les Enfants ; nous avons insisté surtout, et insisté de tout notre pouvoir, pour prévenir les sévices dans les corrections, et tout manquement quelconque sur l'article si capital et si délicat de la moralité. Ces recommandations sont d'une suprême importance dans tous les temps et dans tous les lieux ; mais, en ce moment, elles deviennent de la plus urgente nécessité.

 Vous savez tous que de bonnes Ecoles, ne laissant rien à désirer sous aucun rapport, sont gravement menacées dans leur existence ; que, déjà, plusieurs sont supprimées pour les Congréganistes et passent aux Laïques. Vous savez de plus que les ennemis des Congrégations s'étudient à nous trouver en défaut et qu'au moindre prétexte, sur des bruits vagues, sur des apparences, la mauvaise presse fait peser sur nous les accusations les plus graves et les propage, en un instant, d'un bout de la France à l'autre. C'est vous dire avec quel acharnement, s'il y avait quelques sévices réels, quelque scandale de mœurs, on les exploiterait et on les répandrait et contre nous et contre toutes les Congrégations. Donc aussi, c'est dire à tous avec quel soin nous devons prévenir ces malheurs, avec quelle vigilance tous les Frères Directeurs doivent suivre leurs Frères et surveiller leurs rapports avec les Enfants, tant dans les Classes que dans les lieux de récréations et ailleurs; avec quelle charité, en un mot, selon les prescriptions du pieux Fondateur, nous devons nous garder les uns et les autres en Jésus-Christ, nous avertir réciproquement, et, au besoin, avertir les Premiers Supérieurs, au premier danger sérieux qui se présenterait.

 N'oublions pas de joindre à tous nos soins et à toute notre vigilance de continuelles et ferventes prières, une parfaite exactitude à. la Règle, un entier dévouement à nos Classes et à nos Enfants, le bon emploi du temps et les bonnes études, afin de mériter, par Marie et par Joseph, que le bon Dieu, nous garde lui-même, garde toutes nos Maisons et nous préserve de tout malheur.

 Si le Seigneur ne bâtît lui-même une maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la construisent. Si le Seigneur ne garde une ville, c'est en vain que veille celui qui la garde. (Ps. CXXVI, 1, 2). 

3° Procure Générale. – Procures Provinciales.

 Nous voyons avec une grande satisfaction qu'on a accepté avec empressement, dans toutes les Provinces, l'organisation donnée, conformément aux Constitutions, à la Procure Générale et à chaque Procure Provinciale, par notre Circulaire du 17 janvier dernier. Il ne reste maintenant qu'à appliquer, sans retard, dans la pratique, les dispositions des Constitutions concernant l'Administration du temporel (Const., 1ièrePartie, Ch. XI,1ière, 2ndeet 3ièmeSection), ainsi que les onze Articles de la dernière Circulaire.

 Comme dispositions de détails sur l'article XII de la même Circulaire, de l'avis du Régime, nous avons réglé et arrêté ce qui suit :

 1° Dans les Provinces, le versement annuel de 150 fr. par chaque Frère d’Ecole, se fera par tiers : un tiers fin décembre, un tiers fin mars, et un tiers en arrivant aux Retraites.

 2° Les versements à la Procure Générale auront lieu, dans les Pensionnats, après la rentrée des Elèves, soit à la rentrée générale, soit après les rentrées de janvier et de Pâques. Le complément sera versé à l'époque des Retraites.

 3° Dans toutes les Maisons de l'Institut, dans les principales au moins, les Frères Directeurs feront en sorte de joindre à leur versement à la Procure Provinciale, lequel doit toujours passer le premier, tous les fonds dont ils pourront disposer pour la Procure Générale.

 4° Les Frères Procureurs Provinciaux feront connaître ces versements au Frère Procureur Général et les tiendront à sa disposition.

 On fait remarquer ici que les dépenses de Vestiaire dans les Noviciats et les Juvénats, deviennent de plus en plus considérables.

 Les Frères rendraient un très grand service aux Maisons Provinciales si, comme cela se pratique déjà dans certaines Provinces, en prenant une partie quelconque de leur vestiaire neuf, ils déposaient la même partie, en vieux, à la taillerie ou à la cordonnerie.

 Qu'au moins on ait soin partout de rapporter à la Maison Provinciale les vieux habits et autres objets de vestiaire : soutanes, manteaux, chapeaux, bas, culottes, souliers, etc. Les Frères chargés du Vestiaire en tirent un très bon parti.

 4° Défunts.

 Depuis la Circulaire du 17 janvier 1878, nous avons perdu le cher Frère Hugolinus, Obéissant, décédé à Beaucamps (Nord), le 23 mars 1870; et le cher Frère Agésilus, Novice, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 24 mars 1878.

 Je vous ai dit, en commençant, à quelle occasion la pensée de cette Circulaire ou Instruction sur Saint Joseph m'est venue; mais je dois ajouter ici qu'elle nous est surtout commandée par l'important avis qui précède, sur les rapports des Frères avec les Enfants. J'y reviens encore en finissant, car nous ne pourrons jamais trop y insister. C'est ce qui me porte et ce qui doit vous porter tous, dans notre extrême impuissance et faiblesse, à réclamer de plus en plus la protection de la Sainte Vierge et de Saint Joseph, non seulement pendant le mois de Marie et dans cette Solennité du Patronage de Saint Joseph, mais toute l'année et tous les jours de l'année.

 A cette fin, pour obtenir que cette sainte et salutaire pensée et dévotion ne s'efface jamais de notre mémoire, récitons, pendant neuf jours, à partir de la réception de cette Circulaire, après le Salve Regina du matin, nos six Invocations ordinaires, que nous répéterons encore après le Sub tuum de la prière du soir.

 Cœur sacré de Jésus, ayez pitié de nous.

Cœur immaculé de Marie, priez pour nous.

Saint Joseph, priez pour nous.

Saints Anges gardiens, priez pour nous.

Saints et Saintes de Dieu, intercédez pour nous.

Que les âmes des Fidèles trépassés reposent en paix par la miséricorde de Dieu.

Ainsi soit-il.

 La présente Circulaire sera lue en Communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture Spirituelle; et, de plus, au réfectoire, dans les Maisons de Noviciat.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph,

Mes Très Chers Frères,

Votre très humble et très dévoué Frère et Serviteur.

                     F. LOUIS-MARIE.

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