Circulaires 140

Nestor

1881-03-19

Circulaire du 19 mars 1881 : Sur l'instruction chrétienne des enfants. - Défunts. Notice biographique sur le R. F. François. - Sur le Cher Frère Nicet. - Sur le Cher Frère Epaphras. Election du Cher Frère Bérillus. - Seconde visite régulière  de chacune des maisons de l'Institut. - Journaux. - Œuvre  des Juvénats. - Statuts ou règlements des Ecoles primaires. - Extraits de la lettre ministérielle expliquant certains articles du règlement. - Arrêté prescrivant  l'établissement de listes des livres destinés à l'enseignement dans les écoles primaires. - Nouveau Mois de Marie à  l'usage des écoles. - Prière efficace à saint Joseph.

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51.03.01.1881.2

 J. M. J.

Saint-Genis-Laval, 19 mars 1881.

                   Mes Très Chers Frères,

La deuxième partie de la fin que s'est proposée, par l'inspiration de Dieu, le vénéré Fondateur de notre Congrégation, nous fournira le sujet de cette Circulaire.

« Le but des Petits Frères de Marie, disent nos Constitutions, est  de procurer le salut des âmes en élevant chrétiennement les enfants. » C'est donc des enfants qui nous sont confiés et de ce que nous leur devons que j'ai à vous entretenir aujourd'hui. Ce sujet emprunte aux circonstances actuelles une importance toute particulière qui n'échappera, je l'espère, à aucun d'entre nous. Assurément il mérite toute notre attention.

Et d'abord, M. T. C. F., qu'est-ce que l'Enfant confié à nos soins ? – La réponse à cette question nous est donnée par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Elle est consignée dans l'Evangile d'une manière très explicite. C'est saint Marc qui nous l'a conservée.

Après avoir rappelé les admirables conseils que le divin Maître donnait à ses disciples sur l'humilité, l'Evangile ajoute : « Puis il prit un enfant qu'il mit au milieu d'eux, et l'ayant embrassé, il leur dit : Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me  reçoit, et quiconque me reçoit, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais Celui qui m'a envoyé » (S. Marc, IX, 35,36).

Chose étonnante ! Notre-Seigneur se substitue pour ainsi dire à l'enfant, ou plutôt il s'identifie avec lui : « Vous me recevrez, dit-il, en recevant en mon nom cet enfant »; c'est-à-dire en l'accueillant avec bonté, en lui rendant tous les bons offices dont vous êtes capables, en lui apprenant à observer toutes les choses que je vous ai apprises et en le préservant du mal.

Voilà ce qu'est l'enfant chrétien !… C'est le privilégié du divin Maître, le bien-aimé de son Cœur, l'objet de toute sa tendresse, un autre lui-même !….

Cette tendresse de Notre-Seigneur pour l'enfance est sans mesure. Il veut que ses disciples le sachent bien. Déjà il leur a donné de nombreuses marques de son grand amour pour les enfants déjà il a fait entendre à tous cette redoutable menace « Si quelqu'un scandalise  un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât au cou une meule de moulin et qu'on le jetât au fond de la mer » (S. Matth., XVIII, 6), et cependant sa sollicitude n'est pas satisfaite ; il insiste encore, leur enseignant qu'ils devront désormais, à son exemple, accueillir les enfants avec la plus grande bonté et s'intéresser tout particulièrement à eux. « Alors, dit saint Matthieu, on lui présenta de petits enfants afin qu'il leur imposât les mains, et qu'il priât pour eux. Et comme  ses disciples les rebutaient, Jésus leur dit : Laissez ces  petits enfants venir à moi, car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. Et après leur avoir  imposé les mains, il partit de là » (S. Matth., XIX, 13, 14,15).

Mais pourquoi cette prédilection du Sauveur pour l'enfance ? Parce que l'enfance, c'est l'avenir… Et de même qu'au printemps, l'agriculteur contemple avec amour le blé qui se lève et le bourgeon qui se développe, ainsi le Sauveur qui n'était venu dans le monde que pour y jeter la bonne semence, avait des regards de tendresse pour ces doux fruits de l'avenir : les enfants.

Les Apôtres comprirent cette leçon de leur divin Maître. Ils eurent aussi une prédilection particulière pour les enfants et les jeunes gens. Ils les admirent en leur compagnie; leur donnèrent des instructions spéciales et ne négligèrent aucune occasion de fortifier en eux la foi, et la connaissance du Sauveur. Le livre de leurs Actes et leurs écrits ne permettent aucun doute à ce sujet (Actes, v, 10 ; XX, 9. – Tim., V. – Tite, II, 6. – 1ièreEpit. S. Jean, 11, 14).

Leurs successeurs ont eu la même considération pour l'enfance, et de tout temps, la sollicitude maternelle de l'Eglise s'est étendue jusqu'au premier âge. De nos jours, nous voyons des oeuvres catholiques de bienfaisance s'occupant même de l'enfant au berceau. l'Église approuve ces œuvres  ; elle les encourage, et, sans taire à ceux qui s'y consacrent les difficultés et les peines, elle leur redit ces paroles infaillibles et si encourageantes du divin Maître : Ce que vous ferez au moindre des miens, c'est à moi-même que vous le ferez.

En donnant nos soins aux enfants, nous rendons donc service à Jésus-Christ lui-même ! Quel honneur pour nous, M. T. C. F. ! Y avons-nous jamais sérieusement pensé?… Mais que l'enfant nous paraît grand, respectable et digne d'intérêt lorsque nous le considérons avec les yeux de la foi !

Cette grandeur de l'enfance chrétienne a inspiré la belle page qui suit à l'un des plus éminents Prélats de notre époque.

Répondant à cette question : Qu'est-ce que l'enfant ? Monseigneur Dupanloup s'exprime ainsi

« L'enfant ! c'est l'homme lui-même avec tout son avenir renfermé dans ses premières années; l'enfant ! c'est l'espérance de la famille et de la société ; c'est le genre humain qui renaît, la patrie qui se perpétue et comme le renouvellement de l'humanité dans sa fleur !

« L'enfant ! c'est une aimable créature ; dont la candeur, la simplicité naïve, la docilité confiante gagnent l'affection et font naître les plus heureux présages ! C'est la bénédiction de Dieu et le dépôt du Ciel, une âme innocente dont les passions n'ont pas encore troublé le paisible sommeil, dont la droiture n'a pas encore été altérée par les enchantements du mensonge et les illusions du monde.

« L'enfant ! c'est un cœur simple et pur, à qui la Religion peut se présenter avec confiance, qui n'a pas encore d'intérêt secret à défendre contre elle, et qui se laisse volontiers attendrir par sa voix maternelle.

« C'est ce premier âge de la vie, si doux à voir, si aimable à cultiver, si facile à former aux devoirs les plus saints, et toujours si intéressant à étudier de près ! Ah ! je comprends que l'enfance ait été si chère au Dieu de l'Evangile ! tout respire en elle l'innocence et la grâce ! Il y a dans ce premier âge quelque chose qui vient plus récemment du Ciel, qui appelle toutes les bénédictions de cette main divine et qui nous représente ici-bas les attraits les plus doux de la candeur et de la vertu.

« Mais, me dira-t-on peut-être, on le voit, vous prenez plaisir à parler ici de ces enfants de bénédiction, qui sont l'innocence, la docilité, la sagesse même ; que la nature et la grâce semblent avoir formés à l'envi, et qui paraissent nés pour être l'amour du ciel et les délices de la terre.

« Non, je parle ici de tous les enfants, quels qu'ils soient, je prends cet âge dans sa plus grande généralité, et je dis qu'il y a en lui une grâce, une dignité, une noblesse qui lui est propre : c'est je ne sais quoi d'heureux qui respire son origine céleste et qui n'est pas dans le commun des hommes; rien encore n'a été flétri et abaissé dans cet enfant, tel que je me le représente. Il n'a jamais fait une indignitéavec réflexion; il n'a pas encore menti avec habileté; il n'a pas encore méprisé sciemment ou haï la vertu; la justice, l'équité naturelle et la bonne foi sont toutes vives en lui. Sans doute, il porte en lui, avec la tache originelle, le penchant au mal qui est le triste apanage de notre nature; mais c'est un germe enveloppé dans la profondeur de son âme, qui n'a reçu encore aucun développement. »

Nous n'ignorons pas, M., T. C. F., que l'illustre Evêque d'Orléans est peut-être l'Auteur qui a le plus et le mieux écrit sur l'éducation. Sa longue expérience de l'enseignement, la confiance qu'il inspira toujours à ses nombreux élèves du Petit Séminaire de Saint-Nicolas, à Paris, le caractère épiscopal et les positions si élevées qu'il a occupées dans l'Etat donnent à sa parole une incontestable autorité. C'est pourquoi je me plais à le citer encore. Je serais heureux même de faire passer en vos âmes, la satisfaction que j'éprouve en lisant ce qu'il a écrit du bonheur dont il jouissait au milieu des enfants confiés à sa sollicitude.

« Pendant les bonnes et heureuses années de ma vie, consacrées au soin de l'éducation, j'aimais, dit-il, à voir les enfants qui m'étaient confiés, à tourner mes regards vers eux : c'était une de mes joies aux heures de mes récréations de descendre dans leurs cours et dans leurs jardins, de me mêler à leurs amusements, de les partager quelquefois.

« Ou bien si la fatigue ne me permettait pas l'agitation souvent un peu violente de leurs jeux, j'aimais à m'en rendre le spectateur silencieux et tranquille et à me promener paisiblement au milieu d'eux, parmi la plus grande effervescence de leurs divertissements ; j'y trouvais une paix, une douceur inexprimables. Que de fois, obligé par mon ministère à me jeter pour quelques instants au milieu du monde et de ses affaires, et attristé par les scènes douloureuses de la vie, je rentrais au Petit-Séminaire avec une secrète et profonde satisfaction ! Une demi-heure passée en récréation avec mes enfants dissipait tous les nuages; j'oubliais auprès d'eux les embarras, les soucis épineux, les tristes mécomptes, et je remerciais Dieu en lui demandant de continuer à bénir cette troupe aimable et fidèle, ce jeune peuple naissant, ce dépôt précieux commis à mon zèle et à mes soins, l'espérance de la religion et de la patrie.

« Que j'aimais aussi à me rendre témoin de leurs travaux ! Et dans ce genre rien n'égalait le plaisir que me donnaient leurs examens!

« Lorsque je les voyais réciter avec fermeté, expliquer avec goût, interpréter avec fidélité, avec chaleur, avec enthousiasme les plus belles pages des auteurs anciens et modernes, j'éprouvais une joie profonde. Que pouvait-il y avoir de plus consolant pour nous que de les trouver ainsi heureusement sensibles aux nobles plaisirs de l'esprit !

« Mais si leurs jeux, si leurs études me donnaient des joies. que vous dirai-je de leur piété? Cela ne peut guère se raconter.

« Quelle douceur de les voir réunis dans leur pieux sanctuaire ! Quelle foi vive ! quelle ferveur dans la prière ! Aux jours de nos fêtes, et dans ces matinées célestes dont ils ne perdront jamais le souvenir, l'ange du Seigneur semblait véritablement les recueillir et les cacher sous son aile sacrée.

Combien n'y en a-t-il pas d'entre eux dont je puis dire que j'ai reconnu, que j'aï aimé, en eux, Dieu présent et personnifié sous les traits les plus aimables ! Leur enfance était celle du Sauveur. Comme lui, ils croissaient en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. » (S. Luc, 11, 52.)

 Je ne balance pas à affirmer que beaucoup de nos Frères comprendront ce beau langage. Leur propre expérience leur dira qu'il n'a rien d'exagéré, et que ce bonheur est la récompense et le consolant partage du Directeur et du Professeur qui savent voir Jésus-Christ dans la personne de chacun de leurs élèves, s'affectionner saintement à eux, et se dévouer, en leur faveur, pour son amour.

Telle était la conduite de l'immortel Evêque de Cambrai. Fénelon, en effet, aimait beaucoup les enfants. Leur faire du bien était un besoin pour son âme si généreuse et si grande. Le gouvernement de son diocèse et de nombreuses occupations ne l'empêchèrent jamais de trouver chaque jour un moment à leur consacrer. A l'âge même de soixante-quatre ans, il s'était chargé de surveiller, dans son palais, à Cambrai, pendant un automne, l'éducation des jeunes fils du duc de Chaulnes : il n'en parlait qu'avec tendresse. « N'oubliez pas, écrivait-il à leur père, que vous m'avez promis la chère jeunesse pour la belle saison. J'en serai charmé. »

Une autre fois : « Laissez-moi la petite jeunesse ils me feront plaisir ; je tâcherai de ne pas leur être inutile. »

 Que n'aurions-nous pas à dire des sacrifices que se sont imposés dans le même but et pour les mêmes causes, à la suite de leurs Fondateurs, tant de religieux qui se vouent à l'éducation de la jeunesse ! Dans l'Institut, par exemple, pourrait-on louer assez le zèle, l'abnégation et le courage du Vénéré Père Champagnat, de nos premiers Supérieurs défunts et de tant d'autres Frères qui ont consacré et qui consacrent encore, tant en France qu'à l'étranger, toutes leurs forces et tous leurs instants, à faire le bien parmi les enfants ! J'en connais quelques-uns qui ne peuvent se défendre d'une profonde émotion à la simple vue des nombreux enfants de nos écoles et du grand bien que font nos Religieux.

Plusieurs fois déjà, je les ai entendus rappeler ces paroles de notre pieux Fondateur : «Je ne puis voir un enfant sans éprouver l'envie de lui faire le catéchisme,  sans désirer de lui faire connaître combien Jésus-Christ  l'a aimé et combien il doit à son tour aimer ce divin  Sauveur. » L'un d'eux me disait, dans un entretien intime, avec un accent dont je fus profondément édifié : « J'ai commencé à faire la classe le 3 novembre 1838. Il y a donc aujourd'hui plus de quarante-deux ans. Pendant tout ce temps, ma santé s'est maintenue et il m'a été accordé de ne jamais me séparer de mes enfants. De toutes les grâces que Dieu m'a faites, cette dernière est une de celles qui m'ont le plus consolé. Sans doute, je n'ai pas toujours été aussi fervent que le comporte la sainteté de notre état, mais dans les peines que m'ont values mes langueurs au service du divin Maître, je me suis toujours senti encouragé par la pensée des miséricordes de Dieu et des promesses qu'il a daigné nous faire. Je puis me rendre ce témoignage, que je me suis toujours dépensé pour mes élèves ; que je n'ai jamais cessé de leur donner de bons exemples ; que je leur ai fait très régulièrement le catéchisme ; que je les ai préparés de mon mieux à la réception des Sacrements, surtout à la première Communion; que j'ai éloigné d'eux, dans toute- la mesure de mes forces, le péché et les occasions du péché; et enfin que je n'ai jamais négligé l'enseignement profane, ainsi que le prouvent sans doute les rapports denos Frères Visiteurs et les petits succès scolaires de mes enfants.

« J'ai donc la ferme confiance que Dieu aura pitié de moi et qu'il tiendra, à mon égard, l'engagement qu'il a pris envers nous tous quand il a dit : Celui qui fera et enseignera, celui-là sera estimé grand dans le royaume des cieux (S. Matth., V, 19).

« Et maintenant, ajoutait-il d'une voix émue, je demande à Dieu et à vous-même, en ce qui vous concerne, de me faire la grâce d'accomplir cinquante ans de travaux au milieu des enfants. Après cela, je chanterai volontiers mon Nunc dimittis, sitelle est la volonté divine. »

Dans ces quelques paroles, prononcées avec bonheur et un grand sentiment de saint amour pour l'enfance chrétienne, ce bon Frère, cet excellent disciple du Père Champagnat, énumérait tous nos devoirs de religieux et d'instituteurs. Depuis plus de quarante-deux ans il les accomplit lui-même avec zèle. Le découragement ce mortel ennemi du religieux et de toute vertu lui reste inconnu jusqu'ici. Je sais cependant que les mécomptes ne lui ont pas fait défaut; mais il a toujours su se mettre au-dessus des difficultés et poursuivre avec constance son salut éternel et celui des enfants.

A la vérité, il n'a fait en cela que son devoir. Faisons aussi le nôtre, puisque nous aurons, comme lui, à répondre de notre âme; et que Dieu nous donne à tous l'intelligence de nos obligations, et la joie d'entendre un jour, de sa bouche divine, ces douces et consolantes paroles : C'est bien, bon et fidèle serviteur, entrez dans la joie de votre Seigneur (S. Matth., XXV, 23).

Nos principaux devoirs envers les élèves sont d'abord ceux que prescrit le zèle pour la sanctification des âmes, savoir : le bon exemple, le respect, la discipline, la direction chrétienne donnée à l'éducation, l'instruction religieuse, et, en second lieu, l'enseignement profane, sur lesquels nous ferons quelques réflexions.

 I. Le zèle. – La gloire de Dieu consiste en ce que l'homme, doué d'intelligence, et, en ce monde, seul capable de connaître l'Auteur de son être et des merveilles innombrables de l'univers, en rapporte constamment tout l'honneur à Dieu seul, avec un profond sentiment d'admiration et d'offrande de tout lui-même.

Le zèle de la gloire de Dieu est le désir ardent et efficace de faire partager ses sentiments aux autres hommes, et de leur procurer par là, le salut et tous les biens spirituels.

Hâtons-nous de dire que rien n'est plus conforme à la justice que le zèle. En effet, nous sommes les enfants de Dieu; nous lui sommes redevables de la vie, de tous lesbiens de la vie et de tous les biens de la grâce. Sa charité, pour nous, est immense. On ne peut le nier. Ne semble-t-il donc pas que rien ne devrait nous être plus naturel et plus doux que le zèle pour la gloire de Dieu? et que de nos cœurs devrait, comme instinctivement, s'élever vers le ciel un hymne continuel d'adoration, de louanges et de bénédictions ?

Nous ne sommes au monde et religieux instituteurs que pour aimer et glorifier Dieu ; nous devons donc travailler au salut de nos enfants, car c'est lui gagner un empire que de lui gagner une âme. C'est lui procurer une gloire infinie et lui donner des marques certaines de notre amour : le zèle étant l'effet d'une charité parfaite et consommée.

Au reste, l'intérêt même de Notre-Seigneur nous oblige à travailler au salut des âmes ; car c'est la chose du monde qu'il désire le plus. C'est pour cela qu'il est descendu du ciel en terre ; c'est à quoi il s'est appliqué lui-même tout le temps de sa vie ; c'est pour sauver les âmes qu'il a souffert tant de maux, qu'il a versé son sang précieux et qu'il est mort sur une croix. C'est à nous à rendre ses mérites efficaces parmi les enfants, par notre zèle à les préserver du péché, par nos bons catéchismes et nos bons exemples.

Ce qui doit surtout en ce moment, enflammer notre zèle, c'est le danger que court le salut des enfants. Hérode, inspiré par Satan, fit autrefois massacrer les enfants de Bethléem. Cet acte de barbarie atroce lui valut le surnom bien mérité de Cruel. Mais Dieu, dont la sagesse tire toujours le bien du mal, a fait servir la cruauté d'Hérode au bonheur éternel dont jouiront à jamais les saints Innocents.

Satan, qui fut homicide dès le commencement, n'a jamais discontinué son oeuvre. Par les temps actuels, il s'attaque encore aux enfants. Sans doute il n'a plus d'Hérodes à sa disposition, pour détruire les corps, mais il en trouve qui l'aident à tuer les âmes. Par eux, il multiplie les pièges sous les pas de l'enfance et de la jeunesse. Ce sont, en premier lieu, les mauvaises doctrines, les exemples de perdition qu'il a l'habileté de répandre dans le monde entier ; et, en second lieu, les difficultés qu'il crée aujourd'hui aux congrégations enseignantes.

A notre époque, en effet, l'esprit du mal semble avoir plus particulièrement compris que l'enfant ne perd jamais entièrement les bons sentiments que produit en lui l'éducation chrétienne. C'est pourquoi, usant du pouvoir dont il dispose, il poursuit de sa haine et supprime autant qu'il le peut l'enseignement chrétien. Impossible de s'y méprendre, c'est l'esprit du mal qui fait tout cela. Est-ce que les Congrégations sont au-dessous de leurs concurrents pour l'enseignement profane ? Assurément non. C'est ce qu'ont démontré cent fois les examens et les concours auxquels leurs élèves ont pu prendre part. Leurs membres sont donc de bons, d'excellents instituteurs. Pourquoi alors les dissoudre ou leur créer toutes sortes de difficultés ? Ah ! c'est que le Religieux Instituteur enseigne à ses élèves à adorer Dieu, à observer ses commandements et ceux de son Eglise, à respecter les représentants de son autorité sur la terre et le bien d'autrui, à fuir le mensonge, à rester chastes, en un mot, à pratiquer toutes les vertus chrétiennes, et, comme résultat final, à sauver leurs âmes. N'est-ce pas ce que Satan combat ? N'est-ce pas pour cela qu'il est appelé si justement l'ennemi du salut ?

Un homme tristement célèbre a osé écrire ces paroles : « Mentez, mentez sans cesse, il en restera toujours quelque chose. » C'est l'immortelle devise du Père du mensonge ; c'est elle qu'il cherche à mettre en honneur dans le monde, et c'est par elle qu'un grand nombre d'âmes se perdent pour l'éternité.

N'oublions donc pas, M. T. C. F., le danger que courent nos chers enfants de se perdre pour l'éternité, et souvenons-nous que nous pouvons beaucoup pour le salut de leurs âmes, par le dévouement que nous mettrons à leur inspirer la haine et la fuite du péché, l'amour et la pratique de la vertu ; car, dit la Sainte-Ecriture, le jeune homme suivra sa voie, la voie qu'il aura prise dans sa jeunesse, et que même dans la vieillesse, il ne la quittera pas. (Prov., XXII, 6).

D'ailleurs, nous ne saurions rien faire qui fût plus agréable à Dieu, car, disent les Maîtres de la vie spirituelle, « il n'y a rien de plus excellent et de plus divin que les oeuvres que nous fait entreprendre le zèle de la gloire de Dieu. » D'où il faut conclure qu'il n'y a rien qui soit d'un plus grand mérite aux yeux du Seigneur, et qui doive nous procurer plus de gloire dans l'éternité, selon ces paroles du Saint-Esprit : Je glorifierai quiconque m'aura rendu gloire (I Rois, 11). Ceux qui enseignent la justice à un grand nombre d'hommes, brilleront comme les étoiles du firmament dans l'éternité (Dan., XII, 3). Si vous avez employé votre vie pour le bien des âmes, à votre dernière heure, Dieu vous remplira de lumière et de consolation et il vous délivrera de la mort éternelle (Isaïe, LVIII, 10).Celui qui ramène un pécheur de la voie d'égarement, sauvera son âme de la mort et couvrira la multitude de ses péchés (S. Jacq., V).

L'aumône corporelle sauve la vie du corps ; l'aumône spirituelle sauve la vie de l'âme. S'il y a tant de mérite à procurer la vie temporelle à un pauvre, que sera-ce de lui procurer la vie éternelle ?

Mais qu'avons-nous à faire, M. T. C. F., pour procurer sûrement la gloire de Dieu ? – Il faut d'abord la procurer en nous-mêmes, en offrant sans cesse à Dieu l'hommage de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous avons, en nous appliquant à faire la volonté divine qui nous est manifestée par les commandements de Dieu et de l'Eglise, par nos Règles et par nos Supérieurs, sans jamais nous permettre la moindre infidélité volontaire. Nous efforcer ensuite de la procurer parmi les enfants par les moyens suivants. :

 1° Le bon exemple. – Il est impossible de mettre en doute l'influence de l'exemple. L'enfant est naturellement imitateur. Il arrive facilement à penser, à parler, et à agir comme ceux avec qui il est en rapport.. D'où il suit qu'on en fera un très honnête homme en l'entourant de personnes sages, et que le contraire aura lieu, s'il subit le contact de malhonnêtes gens.

Le père et la mère sont les modèles naturels de l'enfant. Ils ont toute sa confiance et il les copie en tout très exactement. Mais, pour la grande majorité des enfants, l'influence de la famille est contrebalancée par celle de l'instituteur. On peut même assurer que celui-ci formera ses élèves à son image et à sa ressemblance. En conséquence, s'il est honnête et chrétien, l'enfant le sera aussi s'il est malheureusement indigne et méchant, l'enfant le sera pareillement, et toute l'influence d'un bon père et d'une bonne mère ne parviendra pas à neutraliser complètement les effets détestables des mauvais exemples d'un instituteur.

Assurément, M. T. C. F., nous n'avons pas, nous ne voulons pas avoir parmi nous, des religieux qui méritent les reproches que nous adresserions à un instituteur indigne ; mais sommes-nous à l'abri de tout danger à ce sujet? Non, malheureusement. Le défaut de réflexion et la négligence peuvent exposer plusieurs de nos Frères à des oublis capables de produire chez les enfants, des désastres que ne produiraient peut-être pas les graves écarts d'un maître pervers. En effet, les sentiments de la plus vulgaire honnêteté condamnent les fautes grossières, et par là même qu'elles répugnent, on les évite avec soin ; mais il n'en sera jamais ainsi des impressions que l'enfant aura reçues de la part d'un maître qui représente à ses yeux la religion, et dont la conduite lui aura laissé croire que ses propres sentiments ne sont point en rapport avec ses instructions. Quelques détails sont ici nécessaires.

Un instituteur religieux donnerait un très mauvais exemple à ses élèves et compromettrait en eux, peut-être pour toujours, les bons effets de l'enseignement chrétien : 1° en mettant plus de soin et de zèle à l’enseignement profane qu'à l'enseignement du catéchisme ; 2° en récompensant mieux ou tout aussi bien, le succès dans les sciences profanes que le savoir en instruction religieuse ; 3° en supportant que les prières soient faites à la légère et sans attention ; 4° en punissant les fautes commises pendant les exercices religieux ou à l'église, avec moins de sévérité que les fautes d'attention aux leçons profanes, ou les autres manquements si ordinaires aux écoliers ; 5° en négligeant la propreté du crucifix, des statues et des images religieuses de l'école, etc.

Toutes ces négligences sont très propres à laisser croire aux élèves que la science de la religion, les prières et les pratiques de l'Eglise n'ont qu'une importance secondaire ; et que le respect de Dieu et des choses saintes, et les convictions religieuses de leur maître ont en lui bien peu de fondement.

Il y a là, croyons-le bien, M. T. C. F., un danger très considérable pour la foi et pour l'avenir religieux de nos enfants ; et le danger sera d'autant plus grand que le Professeur sera plus estimé. Et qu'on ne dise point que l'imagination distraite des enfants ne leur permet pas de s'apercevoir des négligences de leur maître ; l'expérience démontre que les enfants sont observateurs et qu'ils jugent généralement très bien. Par conséquent, si nous avions le malheur de leur donner lieu de penser que nos convictions religieuses sont bien peu solides, nous courrions risque d'être la cause immédiate de l'impiété ou de l'indifférence dans laquelle ils ne manqueraient pas de tomber plus tard, et d'avoir à répondre de leurs &mes au tribunal de Dieu. Malheur, dit la Sainte-Ecriture, au Pasteur, au Supérieur, au Professeur, qui, par ses mauvais exemples, perd le troupeau qui lui est confié (Jérémie. XXIII, 1).

 2° Le respect. – Les vases sacrés de nos églises nous ont toujours inspiré le plus grand respect. Nous considérerions avec raison comme très indécent de les faire servir à des usages profanes, ou même de les toucher sans nécessité. Mais pourquoi cette vénération pour des vases d'or ou d'argent ? C'est parce qu'ils servent à renfermer le précieux Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La vénération ne fut donc jamais mieux placée.

Or, si telle est notre déférence pour les vases sacrés, quel ne doit pas être notre respect pour l'enfant qui est le temple du Saint-Esprit, le tabernacle vivant et le privilégié de notre divin Sauveur ! Aussi le religieux que la foi guide et qui a la conscience de son devoir, ne se permet-il jamais, non seulement les procédés blessants pour la dignité du maître et de l'élève, mais encore les condescendances et les familiarités déplacées. Sa ligne de conduite est entièrement basée sur ces prescriptions de nos Règles :

« Les Frères se garderont bien de se servir de termes durs et offensants, en reprenant leurs élèves; comme aussi de les humilier, de les mortifier ou de leur faire  de la peine sans raison. Ils ne les tutoieront jamais, et ils éviteront de s'attacher à eux d'une manière trop  humaine. Ils n'auront de familiarité avec aucun, et  bien qu'ils donnent à tous un libre accès auprès d'eux,  ils les tiendront toujours dans les bornes du respect  et de la réserve qui conviennent à des élèves à l'égard de leurs maîtres. »

 A cette sage conduite, il ajoute une parfaite égalité d'humeur. Jamais on ne le voit triste, son visage respire toujours la sérénité d'une âme en paix avec Dieu; enfin, tout en lui commande l'affection, l'estime, le respect et la confiance.

Il s'attache les enfants. Son zèle lui fait prendre tous les moyens pour en amener un très grand nombre à son école ; les enfants le vénèrent ; les familles, le clergé et les autorités s'en applaudissent, et néanmoins on le connaît peu dans la localité qui le possède. Il ne se produit pas au dehors. Le bien à faire est sa seule préoccupation. Il est très heureux, à la vérité, d'entendre dire que les Frères sont bien vus dans la localité, qu'on les estime beaucoup pour leur savoir et leur conduite parfaitement régulière ; mais on parle des Frères et non pas de lui seulement, quoiqu'il ait contribué pour la plus grande part à l'établissement de la bonne réputation de la Maison.

Jamais personne ne réussit mieux que lui dans ses fonctions, et cependant jamais personne ne fut plus facile à remplacer. Son successeur peut arriver; s'il est vertueux, régulier, dévoué et capable, on ne s'apercevra pas du changement; on aura changé de figure, ce sera tout.

Le Frère dont je viens de parler, est, par excellence, le vrai Petit Frère de Marie ; mais à l'extérieur rien ne le distingue, si ce n'est son humilité, sa simplicité, sa modestie, sa charité et son tendre et religieux amour pour l'enfance. C'est de lui que le Saint-Esprit a parlé quand il a dit: « L'homme de bon sens croit à la loi de Dieu et la loi lui est fidèle » : elle lui donne tout ce qu'elle lui promet pour récompense de son humble docilité (Ecclésiastique, XXIII, 3). «Il montre à ses enfants un joyeux visage, et dans tous leurs besoins il est devant eux pour les aider. » (Sagesse, VI, 17).

C'est ainsi que furent la plupart de nos anciens Frères, et notamment le cher Frère Urbain, d'heureuse et vénérée mémoire (Voir les Biographies).

 3° La discipline. – Une forte discipline est indispensable dans toute maison d'éducation ; sans elle il ne peut y avoir ni éducation ni progrès.

   « La discipline, disent les Saints Pères, est l'unique clef de l'innocence, l'ancre de la Religion, la sauve­garde du cœur et la destruction des désirs criminels. Il n'y a rien que la discipline ne puisse corriger et sau­ver. La discipline forme les mœurs et détruit les vices. Là où la discipline se perd, la dissolution s'accroît, les vices règnent et les vertus s'affaiblissent. De même que celui qui repousse la discipline est malheureux, ainsi celui qui refuse aux autres la discipline est cruel. »

Malheur donc à l'enfant qui tombe dans un établisse­ment où règne l'indiscipline : Il n'y passera pas huit jours sans y perdre ce qu'il a de plus précieux : son INNOCENCE. Une telle maison est un fléau pour une paroisse, quelquefois même pour toute une con­trée.         

Persuadé de la vérité de ces principes, un Frère consciencieux et vraiment digne de la sainte mission qui luiest confiée, ne néglige rien pour établir l'ordre le plus parfait dans sa maison et dans sa classe. Il y habitue ses élèves. Le moindre de ses signes est compris; à l'un d'eux chacun se met au devoir, dans les conditions du règlement qu'un maître habile sait imposer à ses subordonnés comme à soi-même. Il est bon et condescendant, mais il est ferme. Jamais il ne consent à porter la responsabilité des écarts quipourraient se commettre dans sa maison ou ses dépendances. Dans ce but, il se multiplie pour ainsi dire ; il est partout où sont ses élèves, car il a la très noble et très méritoire ambition d'éloigner de tous l'offense de Dieu et même les réprimandes auxquelles s'exposent si souvent les écoliers. Sa conduite sur ce point est entièrement conforme à ce que prescrivent nos Règles : « Le but de la surveillance est de conserver l'innocence des enfants, de prévenir la contagion des vices et les infractions au Règlement. » La surveillance est donc l'un des devoirs les plus importants de l'Instituteur.

Parmi les vertus d'un bon Maître, dit Rollin, la vigilance et l'attention tiennent le premier rang; il ne peut les porter trop loin, pourvu que ce soit sans gêne et sans préoccupation marquée. Le premier devoir des Maîtres, touchant la répression est de prévenir, par la vigilance et par une conduite irréprochable, les infractions et les manquements ; car les enfants ne sont jamais coupables qu'il n'y ait autant et souvent plus de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur (Guide des Ecoles, 1ièrepartie, chap. XII).

Heureuses la maison et la classe qui auront à leur tête un tel homme. Elles ont en lui un trésor.

 4° La direction chrétienne donnée à l'éducation. – C'esttout particulièrement en ceci qu'éclate le zèle d'un bon Frère. Comme il a l'intelligence du prix des âmes et de l'excellence de son ministère, il demande à Dieu chaque jour, par l'intercession de la Très Sainte Vierge, avec toute la ferveur possible, les grâces dont il a besoin pour travailler efficacement au grand ouvrage de la sanctification des enfants. Il donne tous ses soins au catéchisme. Ses élèves en récitent imperturbablement la lettre. De son côté, il en prépare très assidûment l'explication qu'il donne de la manière la plus intéressante. .Cette leçon est pour lui la principale, et il parvient à en convaincre ses élèves par la solidité de son enseignement ,et par le respect dont il entoure le nom et l'idée de Dieu, de Notre-Seigneur, de la Très Sainte Vierge, des. Saints, de l'Eglise, de son Chef, etc., et par l'intérêt. qu'il sait y attacher.

 Mais ce qui fixe spécialement son attention, c'est la préparation de ses élèves à la première Communion. Dès la rentrée des classes, il forme une division des élèves qui auront, dans le courant de l'année, le bonheur de recevoir Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la première fois. Non seulement il redouble de zèle pour leur instruction religieuse, mais il veille avec plus de sollicitude sur leur conduite, les engage fortement à fuir les mauvaises compagnies ; les fait confesser souvent ; leur inspire quelques pratiques particulières de piété en l'honneur de la Sainte Vierge, de leurs anges gardiens ; il prie et fait prier pour eux ; enfin, rien ne lui coûte pour assurer le succès du grand acte dont dépend en grande partie l'éternité de l'enfant.

« Une bonne première Communion, dit notre pieux Fondateur, est un gage de salut, j'oserais presque dire une marque de prédestination ; c'est un pied dans le  ciel. Nous voyons dans l'Evangile que Notre-Seigneur a apporté la grâce et le salut partout où il a été  bien accueilli, et qu'il n'a prédit que des malheurs à  ceux qui n'ont pas su profiter de sa visite, à ceux qui l'ont mal reçu. Quand il vient dans un cœur pour  la première fois, s'il y est mal reçu, s'il y rencontre le péché mortel et le démon, ses ennemis, il se retire pour ne plus y revenir. Procurer à un enfant la grâce  d'une bonne première Communion, c'est donc lui assurer le plus précieux de tous les biens ; c'est le mettre c'est l'établir dans la voie du salut ; c'est lui donner  le moyen le plus sûr et le plus efficace pour s'y main« tenir et pour être toute sa vie un bon chrétien. »

Après la première Communion, le Frère zélé n'abandonne pas davantage son élève ; il s'efforce de l'amener à la fréquentation volontaire des sacrements ; il sait lui parler du grand bienfait du sacrement de pénitence, de l'amour immense que Notre-Seigneur nous témoigne dans la sainte Communion, et lui inspirer le désir de s'en approcher souvent. Par là, il le prépare tout douce­ment à entrer dans le monde, pourvu d'un degré bien suffisant d'instruction profane, d'une très solide ins­truction religieuse et de la très heureuse habitude des pratiques de notre sainte religion.

Mais son ardent désir de procurer la gloire de Dieu, le porte à souhaiter beaucoup mieux pour ses élèves. Dans ce but, il demande au Seigneur, par de ferventes prières, de bonnes vocations religieuses. Et lorsque la Providence l'exauce et met sous sa main une de ces âmes privilégiées qu'Elle appelle au Sacerdoce ou à la vie religieuse, oh ! alors, il surabonde de joie et répond à la grâce qui lui est faite par un dévouement encore plus généreux. Cette âme est comme la fleur la plus dé­licate, la plus précieuse et la plus aimée de son jardin. Ses meilleures attentions, ses soins les plus assidus et les plus affectueusement respectueux sont pour elle ; et, à son intention, il redouble ses instances auprès du divin Maître de qui vient tout don parfait, et de la Très Sainte Vierge à qui il a la sainte habitude de confier, chaque jour, sa personne, les Frères ou les enfants dont il est chargé, et toutes ses entreprises. Enfin rien ne lui coûte à ce sujet, sa très louable et très méritoire ambition étant de conduire au Noviciat ou d'envoyer au Sémi­naire, une âme toute belle d'innocence et d'heureuses et saintes dispositions.

Dans les deux cas, c'est-à-dire quelle que soit la vo­cation du jeune homme, religieuse ou séculière, le bon Frère Instituteur éprouve alors la triple consolation d'avoir travaillé pour l'heureux avenir de son élève, pour le bonheur de la famille dont cet enfant sera la gloire et l'honneur, pour le bonheur de la Patrie, puis­qu'il luiaura fourni un honnête citoyen de plus.

 5° L'Instruction religieuse. – Nul ne donne ce qu'il n'a point. Pour inspirer la vertu, il faut être vertueux ; pour bien faire l'éducation des autres, il faut être bien élevé soi-même ; enfin, pour donner une solide instruction religieuse aux enfants, il faut être solidement instruit de tout ce qui se rapporte à notre sainte foi. De là, la nécessité du catéchisme et la sagesse de nos Règles qui nous prescrivent d'y consacrer une heure chaque jour.

La science de la Religion a cela de particulier, que plus on l'étudie, plus on s'y affectionne. Elle éclaire l'esprit ; elle échauffe le cœur et lui inspire les plus généreux sentiments ; elle affermit la volonté dans le bien et fixe l'âme dans sa foi et dans la pratique de la vertu ; elle la détache de plus en plus du péché et lui donne comme un avant-goût des douceurs de la bienheureuse éternité.

De toutes les sciences, celle de la religion est donc la plus nécessaire, puisque seule elle enseigne la voie qui conduit au véritable bien. Heureux celui qui la possède, car elle est un trésor infini et inépuisable pour les hommes, ceux qui en ont usé sont devenus les amis de Dieu et se sont rendus recommandables par les dons d'un savoir profond et d'une sage conduite (Sag., VII, 14).

L'ignorance en matière religieuse fait un mal immense dans le monde et même dans les Communautés. N'est-il pas vrai que nous avons souvent à nous plaindre de notre peu de ferveur, de nos paresses spirituelles et de notre peu de générosité pour le service de Dieu et l'accomplissement de nos devoirs ? – D'où viennent, en général, tous ces maux ? – De la légèreté et de l'ignorance. De la légèreté qui enlève toute attention dans la prière, pourtant indispensable au salut, et de l'ignorance qui dessèche, comme un vent brûlant, les meilleures dispositions du cœur. Dans ces conditions, l'âme languit, la foi sommeille, le temps et de bien grands mérites se perdent pour jamais.

 « La foi, dit saint Ambroise, est le fondement de toutes les vertus; plus elle est éclairée, vive et ferme, plus les vertus édifiées sur elle sont solides et excellentes. » Telle était la foi du Père Champagnat. On aurait cru, dit l'Auteur de sa vie, qu'il voyait de ses yeux et qu'il touchait de ses mains les vérités de la religion, tant il en paraissait pénétré, tant il en parlait avec conviction. Mais, ne l'oublions jamais, la foi est la lumière du salut, et comme le dit Notre-Seigneur : « La vie éternelle consiste à vous connaître, ô mon Père, vous le seul vrai Dieu, ainsi que Jésus-Christ que vous avez envoyé (S. Jean, XVII, 3).» CONNAITRE, voilà le point de départ, le fondement du salut éternel. Or, pour connaître, il faut s'instruire toujours, s'instruire de plus en plus.

Nous ne saurions donc trop nous appliquer à l'étude de la Religion. Plus nous serons instruits de tout ce qui concerne notre foi, plus nous serons bons chrétiens. et fervents religieux. D'ailleurs, l'enseignement du catéchisme est notre mission principale et nous nous rendrions grandement coupables si nous avions le malheur de le négliger.

Il est vrai de dire néanmoins que l'état de dépendance dans lequel se trouve l'école, en France, l'étendue du programme d'enseignement, les exigences des familles, et l'aberration dans laquelle on est tombé de vouloir faire vite et tout précipiter, même la grande affaire de l'éducation, constituent un véritable, écueil pour certains instituteurs peu sérieux, et trop désireux peut-être d'obtenir des succès et de répondre aux aspirations exagérées du temps.

Il importe, M. T. C. F., que nous nous mettions nous mêmes en garde contre les tendances de notre époque. Sans doute nous devons viser au succès et maintenir nos écoles au niveau des écoles concurrentes ; mais ne perdons pas de vue que nous ferions fausse route et que nous manquerions très gravement au premier de nos devoirs envers Dieu, envers la religion, la société et envers nos élèves, en négligeant l'instruction religieuse. Au reste, les soutiens de notre chère Congrégation sont les bons Catéchistes. Plus nous en aurons, plus nous serons bénis de Dieu et estimés des hommes.

 Je recommande à tous nos Frères, et tout particulièrement à nos chers Frères Profès, l'étude approfondie des points suivants :

 I. Dieu, son Existence, sa Providence. – II. L'homme. Spiritualité de l'âme de l'homme. Distinction du bien et du mal. Liberté de l'homme et immortalité de son âme. – III. Nécessité de la Religion et du Culte. Absurdité de l'indifférent, du déiste et du rationaliste. – IV. La Révélation, sa nécessité, son existence, ses preuves. – V. Divinité du Christianisme ou de la Religion chrétienne. Ses preuves : 1° Divinité de la révélation judaïque ; 2° Les livres du Nouveau Testament prouvent la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la vérité de la Religion chrétienne ; 3° Les miracles opérés par Notre-Seigneur, et notamment celui de sa résurrection qui est incontestable ; la merveille de l'établissement et de la conservation du Christianisme ; la multitude et le courage des Martyrs, les bienfaits que la Religion a répandus sur les hommes et les persécutions de toute nature qu'elle a subies et qu'elle subit encore, prouvent également la divinité de la Religion chrétienne. -VI. La révélation de la vraie Religion est conservée par une société visible et infaillible qui est l'Eglise Catholique. Marques de l'Eglise. Caractères qui ne conviennent qu'à l'Eglise Catholique Romaine. Les sectes hérétiques n'ont point les caractères de la véritable Eglise. – VII, Il y a dans l'Eglise Catholique une autorité infaillible qui explique le sens de la révélation. L'Eglise a reçu de Jésus-Christ l'autorité de gouvernement et l'autorité de discipline. Autorité de gouvernement. Autorité d'enseignement. De ceux en qui réside l'autorité de gouvernement et d'enseignement. – VIII. Tout ce qui a rapport aux trois vœux de religion.

 Il.L'Instruction profane. – Dans ce siècle, la soif du savoir n'est égalée que par la soif de l'or. Il faut de l'instruction à tout prix. Toutes les extravagances sont débitées sur ce thème, comme s'il était indispensable à l'agriculteur de savoir la littérature ou au comptable de connaître le dessin et la chimie. Mais l'idée est en vogue. Les administrations y poussent. Impossible de ne pas suivre le courant, au moins en partie.

Ici encore, on ne donne pas ce que l'on n'a point. La science nous est donc indispensable pour la bonne prospérité des écoles. C'est pourquoi nous devons nous efforcer d'en acquérir le plus possible. Il est nécessaire que nous étudiions toujours et que nous nous rendions familières toutes les matières du programme de l'enseignement primaire. Chacun doit viser non seulement au brevet simple, mais au brevet complet. Evidemment ces titres n'ajoutent rien au savoir de celui qui les possède, mais ils sont, pour le public, une garantie que l'opinion nous oblige à lui donner. Ayons à cœur de devenir des instituteurs de plus en plus capables, dans la pensée très noble et très méritoire d'amener un très grand nombre d'enfants à nos écoles et produire par là le plus grand bien.

Heureux le Frère qui a ce feu sacré et l'intelligence de cette double vérité : « Notre sanctification personnelle doit faire l'objet de toute notre sollicitude ; mais, après elle, notre instruction est ce que nous devons avoir le plus à cœur. »

L'homme vertueux fait d'autant plus de bien qu'il est plus instruit. Cela ne fait un doute pour personne dans l'Institut. Travaillons donc, puisque la gloire de Dieu est si grandement intéressée à nos labeurs. Au reste, l'expérience prouve que le bon Dieu bénit les Frères qui travaillent et les Maisons où l'on étudie. C'est le motif pour lequel je ne saurais trop vous recommander les études dont les résultats sont si fructueux pour le bien des âmes, partant si chers à tous nos bons religieux.

 En résumé, souvenons-nous, M. T. C. F., de la grandeur, de la dignité de l'enfant et de la sainteté de notre mission auprès de lui. L’œuvre de l'éducation dont nous sommes chargés, est la plus grande des œuvres ; c'est une oeuvre providentielle et sacrée, une tâche toute divine, un véritable sacerdoce !… C'est par l'éducation chrétienne que nous apprendrons à l'enfant comment, déchus des cieux, les chrétiens peuvent en retrouver la route avec certitude et en reconquérir la gloire. C'est par elle que nous lui apprendrons peu à peu que le monde entier n'est rien ; qu'il doit mépriser la terre ; que plus il avancera dans la vie, plus il se trouvera mal et à l'étroit ici-bas ; et que, s'il veut rassasier la soif de bonheur qui est le fond de sa nature, et l'immense ardeur de son âme, c'est dans la pratique de la vertu et la fréquentation des sacrements de l'Eglise qu'il trouvera d'abord la paix du cœur ou le bonheur de la terre, et, à l'heure suprême de la mort, des ailes pour s'envoler jusqu'à Dieu et s'unir à lui dans les splendeurs et les délices de l'éternité. 

II. NOS DÉFUNTS.

 Voici la liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 2 juillet 1880

 

F. NICET, Assistant, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 20 juillet 1880.

F. FRANÇOIS- RÉGIS,Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 24 juillet 1880.

F. JOEVIN, Novice, décédé dans sa famille, à Boule (Drôme), le 10 août 1880.

F. APHRAAT, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 18 août 1880.

F. ROCH, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 27 août 1880.

F. APOLLINAIRE, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 17 septembre 1880.

F. AUBERT, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 21 septembre 1880.

F. EPAPHRAS, Stable,' décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 28 septembre 1880.

F. LOUIS-CALLIXTE, Obéissant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le Il octobre 1880.

F. JOSEPH-CYPRIEN, Novice, décédé à Vanosc (Ardèche), le 22 octobre 1880.

F. ACYLLINI, Profès, décédé à La Bourine (Bouches-du-Rhône), le 25 octobre 1880.

F. THÉONILLE, Novice, décédé dans sa famille, à Beauzac (Haute-Loire), le 5 octobre 1880.

F. BORROMÉE, Novice, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 31 octobre 1880.

   Matthieu MINET, Postulant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 4 novembre 1880.

F. AGATHODORE, Obéissant, décédé à Saint-Symphorien d'Ozon (Isère), le 30 décembre 1880.

R. F. FRANÇOIS, ancien Supérieur Général, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage le 22 janvier 1881.

F. ANIANUS, Profès, décédé à Saint-Amand (Cher), le 29 janvier 1881

F. ADRIUS, Profès, décédé à Vic-le-Comte (Puy De Dôme), le 29 janvier 1881.

F. REMY, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 16 février 1881.

F. GUSTAVE, Obéissant, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 13 mars 1881.

 

Je recommande tous ces chers Défunts à vos meilleures prières et vous rappelle, à leur occasion, l'exact accomplissement du chapitre de nos Règles communes relatif aux suffrages pour les Frères Défunts.

 En ce moment, plusieurs biographies de nos Frères sont en préparation, et notamment celle du R. F. Louis-Marie, de vénérée mémoire. J’espère que le bon Dieu bénira ce travail et qu'il le fera servir à l'édification de nos Religieux.

 Je vous remercie, M. T. C. F., de l'empressement que vous avez mis à nous adresser les lettres de notre très regretté Supérieur Général. Permettez-moi d'espérer que vous voudrez bien nous envoyer aussi celles du R. F. FRANÇOIS, en y joignant les notes et les renseignements édifiants que vous pourriez avoir sur la vie de chacun de nos deux premiers Supérieurs.

En attendant que nous ayons la satisfaction de vous donner des Biographies complètes, je me fais un devoir de vous écrire quelques mots sur les principaux de nos Frères décédés depuis le mois de juillet dernier.

 I. LE R. F. FRANÇOIS[1]. – C'est, comme nous vous l'avons déjà annoncé, le samedi, 22 février 1881, que le R. F. François, mûr pour le Ciel, s'est endormi doucement dans le Seigneur, dans la 73ième année de son âge et la 62ième de sa vie de communauté.

La mort, qui vient toujours avec des surprises, l'a trouvé veillant et priant.

En effet, il s'était confessé la veille, le vendredi, selon son habitude. Le samedi, jour de sa mort, il avait entendu la messe de Communauté et fait la sainte Communion.

On l'avait vu à onze heures du matin, dans son état de santé habituel. Le cher Frère Directeur Provincial, qui s'était longuement entretenu avec lui, l'avait trouvé plus gai même que de coutume. Le vénéré Frère s'était montré satisfait d'une lettre que j'avais écrite, en grande partie, à son intention, au cher Frère Amphien, et d'une autre du cher Frère Ludovic, Maître des Novices, à Sydney, lui donnant quelques nouvelles du Noviciat et des Frères de cette mission lointaine. Ces deux lettres avaient touché son cœur par les endroits les plus sensibles : l'amour, le profond respect et la soumission qu'il avait pour son Supérieur s'étaient joints à son grand attachement pour l'Institut, et à son immense désir de le voir s'étendre et prospérer. Les missions lui étaient aussi particulièrement chères.

Peu de temps après la visite au Saint-Sacrement, à laquelle il ne parut pas, contrairement à son habitude, on alla voir ce qui le retenait. On le trouva sans connaissance à genoux, appuyé contre son lit. Une seconde attaque d'apoplexie l'avait frappé probablement au moment où il récitait l'Angélus.

Un Père Aumônier, appelé en toute hâte, vint lui administrer le Sacrement de l'Extrême-Onction que le cher Malade reçut sans donner aucun signe de connaissance.

 Il resta dans cet état jusqu'à six heures du soir, où il rendit son âme à Dieu.

Pour satisfaire la piété des habitants du voisinage qui vénéraient, avec raison, le R. F. François comme un saint, on dut l'exposer dans une des salles du parloir, momentanément transformée en chapelle ardente. Pendant deux jours, un grand concours de Frères et de pieux fidèles eut lieu auprès de la dépouille mortelle du vénéré Défunt. Chacun voulut lui faire toucher des croix, des chapelets et autres objets de piété. Il n'est sans doute pas possible de porter plus loin le respect et la vénération. Déjà, il semblait qu'on pût appliquer au R. Frère ces paroles de l'Eglise : « Le Seigneur l'a aimé et l'a revêtu d'honneur. » (Office d'un Confesseur non Pontife.)

Bienheureux les pauvres, dit Notre-Seigneur ; bienheureux ceux qui sont doux ; bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice; bienheureux ceux qui ont le cœur pur ; bienheureux les miséricordieux ; bienheureux les pacifiques (S. Matth., v, 3, 10).

Notre cher Défunt a eu tous ces caractères de la béatitude, et, à ce moment oÙ nous contemplions ses restes vénérés, placés sur une couche funèbre toute blanche et encadrés d'une immense guirlande de fleurs, nous lui prêtions avec bonheur ces paroles du Sage «J'étais un enfant bien né ; j'avais reçu de Dieu une bonne âme, et devenant bon de plus en plus, je suis venu dans un âge avancé avec un cœur qui ne fui point souillé. » (Sagesse, VIII, 19, 20).

Aussi se sentait-on beaucoup plus porté à l'invoquer qu'à prier pour lui. C'est assurément ce que plusieurs ont fait.

Sur la modeste pierre qui couvre son tombeau, on a gravé ces mots: « Sa sagesse sera louée d'un grand nombre : elle ne tombera jamais dans l'oubli. » (Ecclésiastique, XXXIX,12).

Puissent tous les Petits Frères de Marie en conserver à jamais le souvenir et perpétuer dans la Congrégation de la Très Sainte Vierge, la pratique de toutes les vertus religieuses, en marchant constamment sur les traces de celui qui fut leur premier Général.

  Né le 12 mars 1808, à Lavalla, le jeune Gabriel Rivat, passa les premières années de sa vie dans la maison paternelle, entouré des soins de ses vertueux parents.

Le 6 mai 1818, sa pieuse mère le conduisit au Père Champagnat, alors vicaire à Lavalla, et déjà occupé de la formation de quelques jeunes gens qu'il avait réunis. En lui présentant son jeune fils, elle lui dit : « Mon enfant est à la Sainte Vierge, à qui je l'ai donné et consacré bien des fois, je vous l'abandonne ; faites-en ce que vous voudrez. »

 Le disciple répondit pleinement aux vues de son digne maître. Admis à la vêture le 8 septembre 1819, il grandit en sagesse, à mesure qu'il avançait en âge.

Il fit profession le 11 octobre 1826, et fut chargé de différents emplois qu'il remplit avec le plus grand succès.

Le vénéré Fondateur sentant combien l'aide d'un tel sujet lui était utile, l'attacha à la Maison-Mère de l'Hermitage en lui confiant la direction de la pharmacie et de l'infirmerie.

A la réunion du premier Chapitre Général, au mois d'octobre 1839, le R. F. François fut nommé pour succéder au vénéré Fondateur. Le même Chapitre lui donna pour Assistants, les chers Frères LOUIS-MARIE et JEAN-BAPTISTE. La divine Providence avait évidemment présidé à cet heureux choix. Ces trois hommes, qui ont donné un développement si considérable à l’Institut, peuvent être considérés comme ses seconds fondateurs.

A la mort du Père Champagnat, en 1840, le R. F. François prit le gouvernement de l'Institut, et il eut la consolation de le voir prospérer et grandir.

A l'époque de la réunion des Frères de Saint-Paul-Trois-Châteaux et des Frères de Viviers, qui se fit au début de son administration, il fut créé, dans le Midi, une nouvelle Province, comme il en avait été créé une dans le Nord, a la suite de la fondation des établissements de Saint-Pol-sur-Ternoise et de Beaucamps.

C'est le R. F. François qui, en 1852, envoya à Londres, les trois premiers Frères de la Mission anglaise, et qui continua de correspondre avec eux jusqu'en 1855, époque de la nomination du cher Frère PASCAL, troisième Assistant.

Lorsque, en 1860, le R. F. François se vit obligé, à cause de ses infirmités, de demander au Chapitre Général son remplacement au Généralat de l'Institut, et qu'il l'eut obtenu, sur l'avis favorable de la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, il se montra tout heureux de se voir déchargé de ce lourd fardeau.

Pour ne pas gêner l'autorité et la liberté d'action de son successeur, il se retira à Notre-Dame DE L'HERMITAGE. Là, dans le silence et la retraite, il a été, pendant vingt ans, l'âme et la règle vivante de cette Maison, continuant à donner aux Frères ses sages conseils, les édifiant par ses éminentes vertus, et y faisant, comme il se plaisait à le dire, l'office de Moïse priant sur la montagne, tandis que ses Frères combattaient dans la plaine.

Chaque année il était heureux de recevoir la liste des placements de tous les Frères il les recommandait à Dieu, à la Sainte Vierge et au Père Champagnat. Qui pourra dire les grâces et les bénédictions que ses ferventes prières ont attirées sur tous les Frères, sur les établissements et sur toute la Congrégation,

Pendant son gouvernement, le R. F, François avait apporté tous ses soins à faire respecter, en sa personne, l'autorité dont il était revêtu et à la faire respecter en ceux qui en étaient les dépositaires. Quand il eut remis cette autorité entre les mains du R. F. Louis-Marie, son digne successeur, il le respecta toujours comme l'aurait fait le plus humble des Frères. Il lui demandait toutes ,les permissions de Règle, et jamais on n'a surpris ni une parole ni le moindre signe d'improbation à tout ce que faisait et ordonnait le nouveau Supérieur Général.

Quand on vint lui annoncer la mort du R. F. Louis-Marie, il joignit les mains, éleva ses regards et dit : « Voilà que mes trois Assistants sont au ciel, il ne me reste plus qu'à aller bientôt les rejoindre. »

Vous le savez, M. T. C, F., le R. F. François a pu assister au Chapitre Général du mois de mars 1880. Il s'estima tout heureux d'avoir pris part à l'élection qui se fit alors. Je ne puis vous dire, sans un sentiment de profonde émotion, avec quel respect, quelle déférence il vint m'offrir ses devoirs, allant jusqu'à se mettre à genoux, et me priant de le bénir une seconde fois.

Je n'oublierai jamais l'espèce de violence qu'il me fit dans cette circonstance, ni la joie que j'éprouvai lorsqu'il daigna céder à mes instances et me donner à son tour sa paternelle bénédiction.

Avant de repartir pour l'Hermitage, il eut bien soin de faire renouveler ses permissions de Règle et autres : permissions pour ses communions, permission de prendre ses repas à l'infirmerie, de garder quelques menus objets à son usage, d'employer son temps selon le règlement qu'il s'était fait, etc.

Tous les Frères Capitulants ont été les heureux témoins de cette éminente vertu du R. F. François ; tous ont remarqué la sainte joie qu'il fit paraître lorsqu'il vit que la Congrégation, depuis quelques mois dans le deuil, avait enfin un nouveau Chef.

Notre grande consolation, après la perte que nous venons de faire, M. T. C. F., est de penser que notre vénéré Défunt priera désormais pour nous, en compagnie de notre pieux Fondateur, des Assistants et des saints Frères qui l'ont précédé au ciel; mais il importe au plus haut point que nous allions les rejoindre. Profitons donc du temps, du peu de temps peut-être qui nous reste à passer sur la terre. C'est ce que nous ferons en conformant notre conduite à cet enseignement de l'Imitation de Jésus-Christ : « La vie d'un bon religieux  doit être ornée de toutes les vertus, afin qu'il soit tel  au dedans qu'il parait au dehors ».

 « Il doit être même plus saint et plus pur dans le  fond du cœur qu'il ne paraît au dehors; parce que  nous devons le révérer avec un profond respect partout où nous sommes pour être en sa présence comme  sont les Anges. » (I Imit. XIX, 1).

 Il. LE CHER FRÈRE NICET. – C'est avec les larmes aux yeux que j'entreprends de vous parler du bon, de l'excellent Frère Nicet. Jamais mort, celle du R. F. Louis-Marie exceptée, ne me fut aussi pénible. Je n'ai vécu que quelques semaines avec lui et déjà j'avais pu apprécier les grandes qualités de l'esprit et du cœur, la piété sincère, le dévouement sans borne dont était doué le nouvel Assistant de la Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux. C'était bien sincèrement que je me réjouissais, pour nos Frères du Midi, du très heureux choix du Chapitre Général.

Le Cher Frère Assistant ne connaissait pas encore ses Frères, et déjà il les aimait d'un amour vraiment paternel. Pendant notre voyage de Saint-Genis à Saint. Paul, je l'entretins d'eux bien longuement; de son côté, il me parla plus en détail des projets qu'il avait formés pour leur bien, Il y eut dans notre conversation une animation dont je ne perdrai jamais le souvenir. Que de fois je le vis essuyer des larmes, en me parlant du malheur de ceux de nos pauvres jeunes gens qui, se laissant tromper par l'ennemi de leur salut, abandonnent leur belle vocation ! Je sais ce que c'est, ajoutait-il avec un grand sentiment de compassion pour la jeunesse. J'ai passé par cette sorte de peine. J'avais alors vingt ans. Un matin, il me vint subitement en pensée de rentrer dans le monde. Le jour même, j'écrivis au Cher Frère Jean-Baptiste pour lui faire part de cette mauvaise inspiration et du dessein que j'avais de la suivre. Le Cher Frère Assistant me répondit une bonne lettre qui ne changea cependant rien à ma résolution. Dans les situations de ce genre, ajoutait-il, le diable aveugle si bien qu'on n'y voit goutte. J'écrivis encore, car j'avais à cœur d'en finir. Le Cher Frère Assistant me rappela alors à l'Hermitage. -Hé bien ! me dit-il, en me voyant arriver, vous voulez donc vous en aller ? – Je répondis affirmativement. – Mais quelles sont les raisons que vous avez de tout abandonner ? – Je n'en connais pas d'autre qu'un ennui mortel; mais je vous prie de m'autoriser à rentrer dans ma famille. – Est-ce que vous voudriez faire une mauvaise action ? – Non, certes, grâce à Dieu, je ne suis pas dans cette disposition. – Ce serait cependant une mauvaise action d'abandonner votre vocation ; et, de plus, ce serait exposer votre propre tranquillité, en ce monde, et compromettre gravement votre salut éternel. – Je vous le répète, je ne veux pas faire une mauvaise action, mais je vous serai bien reconnaissant de me laisser partir. – Cette grave affaire demande réflexion, et puisque vous n'êtes pas disposé à faire une mauvaise action, je vous déclare que je ne veux pas en commettre une moi-même en autorisant votre départ. Pour la sûreté de notre conscience, nous allons consulter Dieu. Je prierai et ferai prier pour vous ; priez vous-même ; faites ensuite une bonne confession et, Dieu et la Sainte Vierge aidant, nous ne tarderons pas, j'espère, à connaître ce que nous avons à faire vous et moi. Soyez docile et sage, et comptez sur mon affectueux dévouement et sur mon grand désir de vous être utile.

Je me soumis. Ce fut mon bonheur. Deux jours après, je revenais trouver mon bon Frère Assistant, mon sauveur, et, me jetant à ses genoux, je le priai de me pardonner et de me conserver le secours de son affection, de ses conseils et de ses prières, l'assurant, d'ailleurs, que toutes mes peines avaient disparu et que, désormais, je ferais meilleure guerre à l'ennemi de mon âme.

– Enfant ! dit-il, en me relevant, je savais bien que vous ne tarderiez pas à retrouver la paix. Que Dieu soit béni ! Mais n'oubliez jamais que vous devez cette grande faveur à, la Très Sainte Vierge et à votre docilité. Continuez à, prier et à vous montrer docile, et je réponds de votre salut. Il faut maintenant vous préparer à faire vos vœux, et vous lier d'une façon telle, qu'il vous soit aussi impossible qu'au démon de vous détacher du divin Maître et de votre saint état.

Ce fut fini : mon courage avait grandi, le contentement était revenu ; ma volonté, s'était raffermie : j'étais sauvé. Cette même année, j'eus le bonheur de prononcer mes vœux et, jamais depuis, je n'ai eu la plus petite peine touchant ma. belle et bien-aimée vocation.

Nos jeunes gens sont bien à plaindre, ajoutait-il en finissant, car ils ont grandement à lutter; néanmoins, je crois qu'aucun ne se perdrait, si tous avaient la bonne et très salutaire pensée de découvrir, sans retard, à leurs Supérieurs, les difficultés et les peines qu'ils peuvent éprouver.

Notre Cher Frère Assistant était complètement dans le vrai. L'expérience démontre, en effet, et les maîtres de la vie spirituelle enseignent, qu'une grande ouverture de cœur préserve de beaucoup de fautes et assure la persévérance. « Je n'ai jamais vu, dit saint Dorothée,  qu'un Religieux se soit perdu autrement que pour  s'être caché à son Supérieur et pour n'avoir pas pris son avis. »

Nous venons de voir qu'à vingt ans, notre Cher Frère Nicet était pieux, docile, ouvert et l'ennemi déclaré de toute action mauvaise. Ces heureuses dispositions ne firent que grandir en son âme. Il réussit même à les propager tout autour de lui, et à porter partout l'excellent esprit qui l'animait Il fut chargé successivement de la direction de plusieurs de nos Etablissements et on eut constamment à s'applaudir de la bonne impulsion qu'il sut donner, par ses conseils et surtout par ses exemples, à l'exacte observance de tous nos devoirs. Il s'acquitta toujours parfaitement des fonctions qui lui furent confiées. Voici, d'ailleurs, ce qu'en écrit son ancien Visiteur :

« J'ai eu le temps d'étudier le Cher Frère Nicet pendant mes vingt-six ans de voyages, l'ayant visité plusieurs fois chaque année. J'ai toujours remarqué en lui le Religieux convaincu, régulier, pieux, aimant vraiment son Institut, ses Supérieurs, ses Confrères et  ses emplois.

 « Professeur capable, habile et zélé, il était, adoré de ses élèves et très estimé de leurs parents.

 «Directeur intelligent, travailleur, très actif et bon administrateur, il fit toujours régner la Règle, la piété, l'amour des études et l'esprit de famille, à Montluel,  à l'Arbresle et à Neuville. Il fut très regretté de tout  le monde dans ces postes, et surtout au Pensionnat  de Neuville qu'il a dirigé pendant près de vingt ans.

« Il avait fort à cœur que tout allât bien et que tous fussent contents. Dans ce but, il se dépensait considérablement, et il réussissait ; aussi Frères et élèves  l'aimaient-ils et l'estimaient-ils beaucoup. En voici un exemple choisi entre un grand nombre d'autres.

« Un ancien élève de Neuville disait un jour à un Frère, qu'il avait rencontré : Mon cher Frère, je vous ai abordé, parce que j'éprouve toujours un grand plaisir lorsque je rencontre un Frère Mariste. Vous connaissez sans doute le bon Frère Nicet. Eh bien ! jamais je n'oublierai cet excellent Frère. Je suis sorti de la pension de Neuville à l'âge de dix-sept ans ;  mais avec des sentiments chrétiens qui ne me quitteront jamais. Depuis lors, j'ai dû faire d'autres  études qui m'ont condamné à rester avec des jeunes  gens corrompus et impies. Tout ce qu'ils ont pu dire pour m'entraîner dans le mal ou dans l'impiété, ne  m'a point ébranlé. S'il plaît à Dieu, je placerai mes  enfants à Neuville, afin qu'ils y reçoivent une éducation conforme à celle que j'y ai reçue moi-même,  grâce à Dieu d'abord, et puis, grâce au bon Frère Nicet ! »

Et le C. F. Avit termine en exprimant un vœu auquel nous nous associons de tout cœur : « Que Dieu, s'écrie-t-il, nous donne un grand nombre de Directeurs comme le F. Nicet ! »

Depuis bien des années déjà, les vertus et les talents du cher Frère Nicet avaient fixé l'attention des Membres de nos Chapitres Généraux. Ils avaient pensé à en faire un Assistant.Seule la répugnance invincible du bon Frère avait empêché la réalisation de leurs désirs. La veille des élections capitulaires du mois de mars 1880, quelqu'un lui ayant dit que son nom était mis en avant dans quelques groupes de capitulants, et, qu'il pourrait bien être nommé le lendemain, il répondit: « On n'ignore pas que je suis incapable de remplir des fonctions si  importantes; mais j'ai répété si souvent, sans attention, ces paroles du Pater : que votre volonté soit faite, que tout honteux et mieux avisé, j'ai promis à Dieu, pendant la dernière Retraite, de me soumettre  sans rien dire à tout ce que l'obéissance voudra de  moi.

 Si on me nomme, le Régime fera une pauvre acquisition, mais je n'aurai pas d'objection à produire. »

Le lendemain, il fut nommé, en effet. Dès que son nom eut été proclamé, il se mit à genoux, et demanda humblement la bénédiction et le secours des prières et des conseils du Président du Chapitre, sans ajouter un mot de plus.

Malheureusement, à son insu, comme à l'insu de tous il était déjà atteint de la maladie qui devait nous l'enlever. Après le départ des Capitulants, il me dit qu'il aurait besoin de prendre deux ou trois jours de repos complet, pour se guérir d'une indisposition dont il souffrait depuis quelques semaines. Ces deux ou trois jours écoulés, il devait, disait-il, se trouver débarrassé et bien en mesure de se mettre résolument à l’œuvre.

Il quitta Neuville vers la fin de mars, pour se rendre définitivement à la Maison-Mère, où il reçut les soins que réclamait son état. Mais il lui tardait d'aller prendre possession de sa Province, et de faire la connaissance de ses nouveaux Frères dont les lettres et les bonnes dispositions le charmaient. Il demanda donc à se rendre à Saint-Paul, où j'allai l'installer. C'était un mercredi, jour consacré à saint Joseph.

Il avait choisi ce jour, de préférence à tout autre, pour satisfaire sa piété et sa grande dévotion envers le saint Patron de l'Eglise universelle. Sa confiance en saint Joseph était pour ainsi dire sans limite. Il en parlait avec bonheur. Peu de jours avant son élection, – c'était au commencement de mars – il me disait: « Depuis que nous faisons solennellement, dans la Maison, le mois de saint Joseph, il ne nous est rien arrivé de fâcheux ;  nos enfants se sont multipliés ; leur conduite a été très chrétienne ; leurs études ont bien marché ; leur  esprit est parfait et ils forment comme une famille dans laquelle on s'aime beaucoup. »

Mes Frères eux-mêmes, et moi avec eux, nous avons subi la douce et très salutaire influence de notre très bon et très saint Protecteur. Nous faisons mieux toute chose ; nous sommes plus réguliers, plus dévoués, plus studieux, plus unis et plus heureux. Aussi saint Joseph est-il bien aimé parmi nous. Frères et enfants, tout le monde lui est entièrement dévoué. Pour moi, j'ai la plus entière confiance en sa bonté, et en l'efficacité certaine de son intercession auprès de Dieu.

Nous fûmes reçus à Saint-Paul avec la cordialité et l'enthousiasme dont nos bons Frères du Midi ont le secret. Le cher Frère Nicet en fut enchanté. Son bon cœur se montra tout entier en cette circonstance, et ses projets et son ambition pour le bien grandirent considérablement dans son âme. Il eut bientôt gagné les sympathies de tous les Frères de la Maison Provinciale. On le connaissait à peine, et déjà il avait la confiance de tous, il possédait tous les cœurs.

Quelques jours après, il remontait avec moi jusqu'à Bourg-du-Péage,où nos Frères de l'Institution Notre-Dame lui ménagèrent la plus belle et la plus filiale réception. Là encore, il eut bien vite conquis l'estime générale, et chacun put se promettre de voir prospérer la Province, sous la direction d'un Assistant si intelligent, si capable et si bon.

Mais le mal qui minait l'excellent Frère faisait lentement, mais constamment des progrès. Le Cher Frère Assistant ne put pas me cacher complètement sa fatigue ; et lorsque je le quittai, il fut bien convenu qu'il se soignerait, à Saint-Paul, jusqu'à complète guérison. Il se rendit, en effet, à la Maison Provinciale et y reçut, pendant trois semaines, les soins assidus, intelligents et dévoués du médecin et de notre Cher Frère Réole, infirmier de l'Etablissement. Il se crut remis. Il m'écrivit alors et m'annonça son départ très prochain pour la tournée qu'il devait faire dans la Province. Il se mit en route le 1iermai et visita les Frères de Mondragon et ceux de Mornas ; mais, arrivé à Piolenc, à 25 kilomètres du chef-lieu de la Province, il fut violemment saisi par un rhumatisme général, ce qui l'obligea à se faire transporter immédiatement à Saint-Paul. Il se mit au lit pour ne plus se relever. C'était le 3 mai. Pendant près de trois mois, il a fait l'édification de tous par sa piété, sa patience, sa résignation, sa reconnaissance et son tendre amour pour Notre-Seigneur, pour la Sainte Vierge, pour saint Joseph et pour ses Frères ; et nos bons Frères de Saint-Paul ont pu mesurer toute la grandeur du sacrifice qu'ils faisaient en perdant un Assistant si vertueux et si saint.

Sa maladie fut très douloureuse, car ses souffrances atteignirent le corps tout entier ; mais il se produisît à la fin, une circonstance bien particulière et bien consolante pour nous tous. Le bon Frère était dans le délire depuis cinq à six semaines, le dénouement s'avançait à grands pas, et pourtant il n'avait pas été administré, quand, deux jours avant sa mort, il recouvra tout à coup sa pleine connaissance et demanda. à recevoir les Sacrements. On se rendit aussitôt à ses désirs, et il retomba dans le délire peu d'instants après avoir reçu toutes les consolations de la Religion. Il rendit son âme à son Créateur le 23 juillet. Il avait alors cinquante et un ans, dont trente-six de communauté.

Sur sa tombe, un petit monument de fort bon goût, quoique modeste, et deux couronnes offertes par les Pensionnaires et par la Société des anciens élèves de Neuville, attestent que le Cher Frère Nicet a emporté ail Ciel les regrets et l'amour de tous ceux qui l'ont connu sur la terre.

 III. LE C. F. EPAPHRAS. – Les deux morts presque subites qui ont frappé la Congrégation depuis notre dernière Circulaire, ne semblent-elles pas être, M. T. C. F., un avertissement du Ciel pour nous tous ? Le divin Sauveur a voulu, en effet, nous rappeler le conseil qu'il adressait à ses disciples : « Soyez donc toujours prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous n'y pensez pas. » (S. Matth., XXIV, 44).

Notre Cher Frère Epaphras, après les fatigues des deux Retraites de la Maison-Mère était allé régler quelques affaires à Firminy, son ancien poste. Parti le lundi 26 septembre, il devait être de retour le mercredi 28. Il avait dit au Frère Sous-Directeur : « Je reviendrai après-demain, si je ne meurs pas en route ! » Ceux qui l'ont vu pendant ce voyage, ont remarqué qu'il paraissait plus gai quede coutume.

Retenu au Chambon par les Frères qui désiraient le posséder quelques instants, il prit le train de l'après-midi et arriva à la gare d'Oullins à 8 heures 40 du soir. Les employés du chemin de fer l'ont, vu se diriger à pas précipités du côté de Saint-Genis-Laval. Le bon Frère éprouvait-il alors ce sentiment de frayeur qu'on lui connaissait, et dont il n'était pas maître quand il se trouvait seul en route pendant la nuit ? Nous avons lieu de le présumer.

Arrivé à cent cinquante mètres environ de la Maison-Mère, vers neuf heures et demie, il ne put aller plus loin. Apercevant de la lumière chez un de nos voisins, il pénétra d'abord dans la cour et puis dans la cuisine En entrant, le Frère Epaphras dit à haute voix : « N'ayez pas peur ; c'est un Frère Mariste qui vient vous demander dit secours. » Le maître de la maison descend aussitôt et s'empresse de demander au Frère ce qu'il peut faire pour lui être utile. Celui-ci jette sur la table son manteau et son sac de voyage et se laisse tomber sur une chaise en disant : « Secourez-moi, je me meurs ; allez vite chercher un prêtre. » Il répète deux ou trois fois cette dernière parole. Pendant ce temps, deux autres personnes étaient accourues, la femme et la fille de la maison. Le mari veut sortir pour aller chercher du secours. – « Non, dit le Frère, restez auprès de moi et envoyez vite ces dames. »

Ces dernières courent à la Maison pour avertir qu'un Frère est bien malade chez elles. En attendant leur retour, le propriétaire fait asseoir le malade dans un fauteuil et lui présente un peu de liqueur, pensant que ce malaise provient d'une faiblesse. A peine le malade en a-t-il avalé quelques gouttes, qu'il penche la tête et fait entendre un long soupir… Ce fut le dernier… La rupture d'un anévrisme avait amené une mort foudroyante.

Le brave homme qui le soutenait n'avait plus entre les mains qu'un cadavre.

Hélas ! lorsque arrivèrent le médecin et nos confrères, tout était fini !

On apporta le corps à la Maison Provinciale et on l'exposa dans la chambre même que le cher Défunt avait quittée depuis deux jours, plein de vie et de santé apparente.

Tous les Frères furent terrifiés en apprenant, le lendemain, cette mort si soudaine ; tous ressentirent vivement la perte qu'ils venaient de faire en la personne de leur excellent Provincial.

Depuis quelque temps, le bon Frère avait comme un pressentiment de sa mort prochaine. « J'ai demandé, disait-il à un confrère, d'avoir quarante ans de communauté. Je les ai actuellement, et il peut bien se faire que je n'aille pas loin. »

Une autre fois, il disait au cher Frère Sous-Directeur

« Je mourrai subitement, vous le verrez. Je sens là,  ajoutait-il en portant la main sur le côté gauche, quelque chose qui me dit de me préparer à la mort. »

Lorsqu'il partit, au mois de juillet dernier, pour aller aux eaux que le médecin lui avait ordonnées, il mit le même Frère au courant de toutes ses affaires ; et lui montrant l'endroit où se trouvaient certains papiers de famille il lui dit – « Je ne pense pas revenir ; je m'attends à mourir en route ; si cela arrive, vous saurez au moins  où sont mes secrets. »

Dans un entretien que j'avais eu avec lui, quelques jours avant l'ouverture de la première Retraite de Saint-Genis, il m'avait dit :- « Je me propose de faire trois retraites cette année, car je ne m'attends pas à voir celles de l'année prochaine. » Et comme je m'efforçais de combattre ce sentiment pénible, il ajouta : Vous verrez que je mourrai bientôt de la mort du Révérend défunt. »

Il suivit, en effet, tous les exercices des deux premières Retraites. La troisième, sur laquelle il avait compté, était celle du Régime ; mais lorsque vint l'époque de cette dernière, notre cher Frère Epaphras n'était plus là. Dieu avait arrêté qu'il n'y aurait plus de retraite pour lui !!!….

Le bon Frère s'attendait donc à la mort, et tout porte à croire qu'il était prêt, lorsqu'elle est venue le frapper. Aussi n'avons-nous aucun doute sur son salut éternel ; il aura certainement bénéficié de cette promesse du divin Maître : Celui qui persévérera. jusqu'à la fin, sera sauvé (S. Matth. XIV, 13.).

Tous ceux qui ont connu le bon Frère Epaphras savent quel était son esprit de foi, son attachement à la Congrégation et sa piété filiale envers ses Supérieurs. Il était avec eux d'un laisser-aller parfait. Dans l'intimité, on trouvait en lui la simplicité d'un enfant. Il se montrait affectueux, confiant, docile et toujours très religieusement disposé. En toute circonstance, il prenait le parti de l'autorité et ne souffrait jamais qu'on se permît, en sa présence, des paroles de blâme ou de critique.

Faisant un jour une instruction aux jeunes Frères, il leur dit : « Voyez, je commence à grisonner, eh bien ! je vous déclare que si je n'avais pas eu confiance en mes Supérieurs, si j'avais eu quelque chose de caché pour eux, il y a longtemps que j'aurais abandonné ma vocation; et je ne serais pas à vous parler en ce moment. » Les Frères qui l'écoutaient alors, n'ont pas oublié ce mot caractéristique.

Ce bon Frère a rempli avec zèle et dévouement les différents emplois que l'obéissance lui a confiés. Il aimait à redire que l'enseignement ne lui avait jamais pesé.

 « J'ai professé pendant trente-deux ans, disait-il, et s'il fallait recommencer, ce serait tout mon bonheur. »

Il était entré au Noviciat le 6 juin 1839, et il avait reçu le saint habit religieux le 6 janvier 1840, des mains de notre pieux Fondateur. 

III. ELECTION D'UN FRÈRE ASSISTANT.

 La mort de notre très regretté Frère Nicet ayant laissé la Province de Saint-Paul veuve de son Assistant, nous avons dû donner un successeur à notre cher défunt. C'est ce qui a eu lieu au mois d'octobre dernier. L'élection a été faite conformément aux prescriptions de l'article 16 des Constitutions approuvées par plusieurs de nos Chapitres Généraux, et confirmées, par manière d'essai, par décret de Sa Sainteté, en date du 9 janvier 1863.

Cet article est formulé de la manière suivante :

« En cas de mort ou de démission d'un Frère Assistant, il ne sera pas nécessaire de convoquer le Chapitre Général pour élire un successeur.

 Il suffira d'assembler une commission composée du Frère Procureur Général, du Frère Secrétaire Général,  des Visiteurs et des Directeurs Provinciaux qui, de concert avec le Régime, procédera par scrutin secret, tant à l'acceptation de la discussion, s'il y a lieu, qu'à  l'élection du nouvel Assistant.

 L'Assistant nommé par la Commission durera en charge jusqu'au prochain Chapitre Général.

La Commission ainsi constituée, s'est réunie, à la Maison-Mère, le 19 octobre 1880, le lendemain de la clôture de la retraite du Régime.

Après avoir entendu la lecture de la Règle qui précède, et s'être conformés aux autres prescriptions des Constitutions relatives à la formation du bureau et au mode d'élection, les Frères électeurs ont donné la majorité de leurs suffrages au cher Frère Bérillus, alors Directeur de notre Pensionnat de Paris.

En conséquence, le cher Frère Bérillus a été officiellement proclamé huitième Assistant du Supérieur Général de la Congrégation, et désigné ensuite pour l'administration de la Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux.

Cette élection a été accueillie avec bonheur par tous les Frères. Elle est pour nous, un témoignage de la bonté toute paternelle avec laquelle la Providence veille sur l'Œuvre du Père Champagnat, et nous offre un heureux présage des fruits de salut que ne manqueront pas de produire, dans l'Institut, la piété, le dévouement et les autres belles qualités qui distinguent notre nouvel Assistant.

A cette nouvelle marque de protection visible de la Providence sur l'Institut, j'ai la grande consolation de pouvoir en ajouter une autre : c'est l'amélioration très sensible qui s'est produite dans l'état de notre cher Frère Félicité. Notre bon Frère Assistant nous écrit, en effet, qu'il va beaucoup mieux. Nous avons le ferme espoir que la guérison complète arrivera et que, longtemps encore, nous jouirons tous des bons exemples, de l'expérience, du savoir-faire, du dévouement et de la délicieuse société de notre cher Frère Assistant.

Prions toujours à son intention : c'est la Sainte Vierge, notre bonne et tendre Mère, qui voudra bien, j'en ai la confiance, nous obtenir la grande faveur dit rétablissement parfait de notre cher malade. Elle sait, d'ailleurs, que nous lui en serons très reconnaissants. 

IV. SECONDE VISITE RÉGULIÈRE DE CHACUNE DES

MAISONS DE L'INSTITUT.

 Les temps toujours difficiles que nous traversons, nous ont portés à entrer plus particulièrement dans l'esprit de nos Règles, en faisant visiter deux fois, dans l'année, chacune de nos Maisons. « Pour que les visites procurent tous les bons effets qu'on en attend, il faut, disent-elles, qu'elles aient lieu dans toutes les maisons au moins une fois chaque année. »

Impossible de douter du besoin pressant que nous avons de Régularité et de bonne Direction pour nos sujets et pour nos classes. Les Visites ont pour fin principale de veiller sur ces deux points et de perfectionner, dans toute la mesure du possible, la formation de nos Frères, au triple point de vue du Religieux, du Professeur et de l'Administrateur.

D'autre part, il n'est pas toujours facile de résoudre par écrit toutes les difficultés qui se présentent. On s'entend bien mieux de vive voix. C'est pourquoi la mission de nos chers Frères Visiteurs est si fructueuse dans l'Institut. Aussi, estimons-nous comme un grand bienfait, qu'il ait été en notre pouvoir de vous procurer, à tous, l'avantage d'une seconde Visite. J'ai la confiance que nous y gagnerons même pour nos rapports obligés à l'extérieur. En voyant plus fréquemment les autorités, nos chers Frères Visiteurs les attacheront davantage à nos écoles ; et ils obtiendront, de la part de personnes bienveillantes, des sympathies de plus en plus généreuses en faveur de nos établissements devenus libres. En outre, ils vous aideront efficacement à répondre aux exigences des Autorités scolaires, à donner à la direction de vos études religieuses ou profanes, et de vos classes une impulsion toujours meilleure. Leur concours vous sera aussi grandement utile pour établir, dans toutes nos Communautés, la pratique parfaite des observances régulières, la charité et l'union fraternelle qui assurent la paix, centuplent les forces et donnent aux Religieux la marque que Notre-Seigneur veut trouver en tous ceux qui sont à lui : « On reconnaîtra, dit-il, que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. » (S. Jean, XIII, 35).

Vous seconderez de votre mieux, M. T. C. F., j'en ai le ferme espoir, les efforts que nous ferons tous pour vous être utiles et pour assurer la conservation et la prospérité de nos Œuvres. La cause que nous défendons est la plus grande qu'il y ait au monde : c'est celle de Dieu même !… Nous la soutiendrons avec courage, en opposant sans cesse aux traits innombrables des ennemis du dedans et du dehors, les armes invincibles de la Régularité, de la Prière, de la Très Sainte Communion, du Zèle pour le salut des âmes et de l'Union fraternelle. Faisons-en un constant usage et rappelons-nous toujours qu'une seule chose est àcraindre : C'EST LE PÉCHÉ. 

V. JOURNAUX.

 « Les Frères, disent nos Règles, s'abstiendront de lire les journaux et autres papiers publics. »

Evidemment, M. T. C. F., il ne peut être question ici de mauvais journaux seulement, la lecture de ces feuilles étant déjà condamnée par les commandements de Dieu. La Règle les exclut tous.

A notre époque, plus qu'en tout autre temps, les feuilles publiques appartiennent toutes à l'un des partis politiques qui divisent la Nation. Par conséquent leurs doctrines sont bonnes, c'est-à-dire catholiques et morales, dangereuses ou perverses, selon l'esprit qui anime le parti qu'elles représentent.

Il y a peu de journaux franchement bons, un très grand nombre sont dangereux, et beaucoup sont réellement mauvais. Le respect de soi, aussi bien que la conscience, interdit à tout honnête homme, et à plus forte raison, au Religieux, la lecture des mauvaises feuilles ; la prudence doit éloigner de nous celles qui sont dangereuses, et, finalement, nos Règles, notre propre tranquillité et nos fonctions doivent nous faire éviter même la lecture de celles qui sont réputées bonnes. D'abord, nos Règles sont toutes respectables, puisque toutes viennent de Dieu, ainsi que nous l'avons démontré pendant les dernières Retraites : Nous devons donc observer, comme les autres, celle qui se rapporte aux journaux.

En second lieu, il est impossible de lire un journal sans en épouser plus ou moins les doctrines. Mais la politique change, ce qui fait que les intérêts d'un journal sont tantôt servis et tantôt desservis par les événements. De là, des sentiments exagérés d'inquiétude ou de satisfaction dont ne se défend jamais entièrement le lecteur assidu d'une même feuille. Or, qui profite des espérances et des déceptions qui se partagent tour à tour l'esprit du lecteur ? Personne assurément. L'ennui et la préoccupation lui restent, et la satisfaction, s'il en éprouve parfois, est tout éphémère et toujours sans bénéfice pour lui, comme pour la politique.

Enfin, il importe extrêmement que nous restions en dehors de tout parti. L'éducation et l'instruction n'ont pas et ne peuvent avoir de couleur. Nous sommes les instituteurs de tous les enfants ; et notre politique doit être tout entière dans les efforts que nous avons à faire pour rendre nos élèves solidement vertueux et sérieusement instruits.

Donc, pour des raisons graves de conscience, par respect pour nos Règles et pour la conservation de notre propre tranquillité, nous devons nous abstenir de la lecture des journaux.

Mettons-nous bien en garde contre ceux que l'on nous adresserait gratuitement. Cette sorte de propagande est exploitée actuellement par des gens sans aveu, qui se donnent la coupable mission de corrompre les éducateurs de l'enfance. S'il nous en arrive, brûlons-les sans les ouvrir, ou mieux, refusons-les énergiquement. Prendrions-nous du poison parce qu'il nous aurait été livré gratis ? Or, ces publications, et la plupart des feuilles à cinq centimes, sont des poisons mortels pour l'esprit, pour le cœur, pour la conscience et même pour la vocation. Je vous en conjure, M. T. C. F., éloignons de nous ce sujet de perdition. Il est plus redoutable qu'on ne le pense généralement. 

VI. ŒUVRE DES JUVÉNATS.

 Vous venez de recevoir le troisième numéro du Bulletin de l’Œuvre de nos Juvénats. Vous pouvez y voir, M. T. C. F., que Dieu bénit cette Œuvre et qu'il la fait prospérer au-delà de toute espérance. Nous ne pensions pas, en effet, atteindre de longtemps les résultats qui vous sont signalés, à la troisième année de sa fondation.

Tous, ou à. peu près tous, vous avez fait des efforts considérables pour l'établir dans les paroisses et pour lui procurer, dans la mesure de vos forces, des sympathies et des adhésions. Laissez-moi vous dire que nous aimons à voir, dans votre bonne volonté à ce sujet, un nouveau témoignage de l'excellent esprit qui vous anime. Je m'en réjouis dans le Seigneur et je vous remercie très cordialement, au nom du bien, de ce que vous avez fait et de ce que vous ferez encore aux. mêmes intentions.

Je suis vraiment heureux d'être en mesure de constater tout ce qu'il a fallu de zèle et de dévouement à nos Frères, surtout à ceux qui habitent de petites et pauvres localités, pour recueillir les sommes quelquefois importantes qui figurent au Bulletin. Ces actes de courage vraiment apostolique ne peuvent manquer d'attirer les bénédictions de Dieu sur ceux qui les accomplissent. Je les signale à votre zèle pour le salut des âmes, et à votre amour pour la Congrégation.

Mais, dira-t-on peut-être, n'y a-t-il pas quelque danger de diminuer le prestige des Frères auprès des enfants et des gens du monde, en leur proposant I'œuvre de nos Juvénats? – Non, il n'y a aucun danger en cela; d'abord parce que la pauvreté n'est pas un vice ; et, en second lieu, parce qu'on sait bien, dans le monde, que nos petits traitements ne nous permettent pas d'élever nos Novices aux frais de l'Institut. Il faut qu'ils les fassent eux-mêmes, ou que nous sollicitions des secours en leur faveur, de la part des personnes bienveillantes et fortunées. Au reste, l'Eglise approuve notre OEuvre et nous donne l'exemple. De tout temps, elle a fait appel à la charité des fidèles, en vue de pourvoir à l'éducation des jeunes clercs sans fortune. Ajoutons qu'elle eût été quelquefois privée des services très considérables de saints et éminents personnages, si elle n'avait pu compter sur la charité des catholiques. De notre temps même, elle n'aurait pas eu. les Cardinaux Pie et Régnier, s'il ne s'était trouvé, près des familles de ces deux Pontifes à jamais illustres, des chrétiens charitables qui firent les premiers frais de leur éducation.

Mais, on est bien obligé d'en convenir, dira-t-on encore, les solliciteurs abondent; on les rencontre partout, et toujours ils s'adressent aux mêmes bourses. Comment oser, dans ces conditions, recourir à des gens que l'on importune du matin au soir ? – Il faut bien qu'on recoure à ceux qui peuvent donner. Qu'aurait-on des autres ? D'ailleurs, on rend souvent service aux personnes à qui on s'adresse, en leur fournissant l'occasion de faire une bonne oeuvre D'autre part, il y a bien longtemps que l'expérience a démontré la vérité de cette parole de l'aimable saint François de Sales : « La charité chrétienne est comme la barbe ; plus on la rase, plus elle pousse.  »

Je désire, M. T. C. F., que ces pensées vous pénètrent tous. Nous pouvons beaucoup, sachons-le bien; mais il faut vouloir. Laissez-moi prendre la confiance que vous voudrez tous fortement, et que toutes les maisons de l'Institut figureront, l'année prochaine, sur la liste de souscription en faveur de l’Œuvre de nos Juvénats.

Je ne puis aller plus loin sans vous prier de traiter avec la plus grande bienveillance, ceux de nos Frères qui ont la mission de recueillir les offrandes de nos bienfaiteurs. Veuillez leur faire le meilleur accueil, et leur donner tous les renseignements et tout l'appui dont ils ont besoin pour réussir dans leurs difficiles et bien délicates fonctions.

Voilà pour le côté matériel de l'œuvre ; c'est assurément le moindre ; mais nous sommes bien obligés de nous en occuper. L'argent, dit-on, est le nerf de la guerre ; c'est aussi l'argent qui fait vivre nos chers enfants des Juvénats. Ne manquons pas d'y penser efficacement.

Le côté principal, celui que je veux recommander bien particulièrement à votre zèle et à votre légitime attachement à notre bien-aimée Congrégation, c'est le Recrutement des Sujets. Il nous faut, à tout prix, des Religieux, de saints Religieux. Ce besoin, je vous le déclare, M. T. C. F., est l'une de mes principales préoccupations. Je sais que beaucoup d'entre vous s'en préoccupent aussi, je les en remercie très sincèrement ; mais cela ne suffirait pas si nous n'arrivions à la pratique.

Qu'y a-t-il donc à faire pour pourvoir au grand besoin que je vous signale ? Il faut, en premier lieu, prier et demander tous les jours à Dieu, par l'intercession de la Très Sainte Vierge et de Saint Joseph, de bonnes vocations ; en second lieu, nous devons nous appliquer à conserver celles que la Providence nous a déjà envoyées ce qui exige de nous tous, Supérieurs ou Directeurs, à quelque titre que ce soit, un dévouement réel et constant à la formation de nos jeunes Frères; et enfin rechercher avec zèle, surtout dans nos classes, les vocations religieuses. Pour cela, il est indispensable d'étudier les dispositions des enfants, et de les tourner vers la Religion si elles sont bonnes et portées à la piété. Nous estimons parfois avoir rendu un grand service à un élève, en lui procurant un emploi convenable et lucratif, et nous avons raison ; mais quel service bien plus précieux ne lui rendrons-nous pas si nous le mettons, par une vocation sainte que nous aurons soignée, à l'abri de l'offense de Dieu, en état de faire beaucoup de bien dans le monde, et dans une espèce d'impossibilité de manquer, non pas la fortune du temps, mais la fortune incomparable de l'éternité !

 Voilà une fin qui est le complément de la nôtre ; nous devons tous nous efforcer d'y parvenir : c'est la plus belle oeuvre de zèle que nous puissions poursuivre. En .élevant chrétiennement les enfants nous gagnons beaucoup pour le ciel , mais en procurant une bonne vocation à I'Œuvre  de l'enseignement chrétien, nous gagnerons mille fois plus. C'est là le commerce en grand pour l'éternité, disait notre bien regretté Frère Pascal.

Pour réussir dans l'Œuvre  du Recrutement des Vocations, il sera utile de joindre les moyens suivants à ceux déjà indiqués.

1° Une conduite exemplaire. C'est par là que le Religieux fait aimer son saint état, et qu'il inspire aux autres, par la simple vue de ses bons exemples, le désir, de l'imiter et d'embrasser le même genre de vie.

2° La dévotion à la Sainte Vierge et la fréquentation des Sacrements, qu'il est indispensable d'Inspirer aux enfants disposés à embrasser la vie religieuse.

3° Leur inspirer de plus un grand détachement des choses du monde, la fuite des mauvaises compagnies et de tout ce qui pourrait les exposer au péché.

4° Préférer toujours les jeunes gens appartenant à des familles chrétiennes, par application de cette doctrine de l'Evangile : Un bon arbre porte de bon fruits mais un mauvais ne saurait en donner de bons (St. Matth., VII, 18). En tout cas, ne nous amener que des enfants d'une sagesse éprouvée et déjà bien connus, à moins qu'ils ne présentent des garanties sérieuses d'une conduite jusque-là irréprochable.

5° Enfin, obtenir autant que possible, que la famille s'impose les frais de pension. Ce sacrifice est une bonne marque de vocation, en ce sens qu'il indique nettement la droiture des intentions des parents et du Postulant. Il faut y tenir.

Bien des fois, depuis que je fais partie de la première Administration de la Congrégation, il m'a été donné d'être l'heureux témoin du bonheur qu'éprouvaient nos bons Frères en me présentant un Novice ou un Juvéniste. Chacun, en ces occasions, me disait un excellent petit mot qui ne manquait jamais de m'impressionner beaucoup. Pour l'un, l'enfant devait être le continuateur de l'apostolat de son maître ; pour un autre, la vocation du jeune homme était la récompense de quelque grand sacrifice ; un troisième, avait demandé longtemps la grâce de conduire un enfant au Noviciat ou au Juvénat ; un quatrième, demandait la même faveur par les bons catéchismes qu'il avait promis de faire, etc. Chez tous, c'était la joie véritable que donnent infailliblement le devoir accompli et la conscience satisfaite.

Nous pouvons tous parvenir au même mérite et aux mêmes consolations, soit en procurant des enfants à nos Juvénats ou des jeunes gens à nos Noviciats, soit en travaillant à l'affermissement des vocations qui nous sont confiées dans la personne de nos confrères, soit enfin, en fournissant à l'Institut, des secours pour notre chère OEuvre du Recrutement des Sujets.

Je vous en conjure, M. T. C. F., prenez cette grande affaire à cœur. Il s'agit, vous le voyez, du salut des âmes et de la prospérité de l'Œuvre admirable du Vénéré Père Champagnat, du R. F. François, du R. F. Louis-Marie et du C. F. Jean-Baptiste qui nous ont été tant et si affectueusement dévoués. Ils nous aiment beaucoup encore : ils nous aideront ; mais marchons avec courage sur leurs traces, et, par la grâce de Dieu et avec le secours de la Bonne Mère, ne cessons jamais d'être dignes d'eux. 

VII

 Je crois devoir vous donner ici, M. T. C. F., une copie du Règlement des Ecoles primaires Communales, des Extraits d'une Lettre Ministérielle expliquant certains articles du Règlement, et copie d'un Arrêté prescrivant l'établissement de listes des livres destinés à l'enseignement dans les Ecoles publiques. 

Statut ou Règlement des Ecoles primaires.

 ARTICLE PREMIER. -Pour être admis dans une école, les enfants doivent avoir plus de six ans et moins de quatorze. En dehors de ces limites, ils ne pourront être admis sans une autorisation spéciale de l'inspecteur d'Académie.

Dans les communes qui n'ont pas de salle d'asile, l'âge d'admission sera abaissé à cinq ans.

ART. 2. – Tout enfant qui demandera son admission dans une école devra présenter un bulletin de naissance.

L'instituteur s'assurera qu'il a été vacciné ou qu'il a eu la petite vérole, et qu'il n'est pas atteint de maladies ou d'infirmités de nature à nuire à la santé des autres élèves.

ART. 3. – Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.

Ce vœu sera formulé par oui ou par non dans une colonne spéciale, sur le registre matricule au moment de l'inscription des élèves.

Dans toute école mixte, quant au culte, les enfants reçoivent en commun l'instruction primaire ; ils reçoivent séparément l'instruction religieuse donnée aux uns et aux autres, en dehors des heures de classe ordinaire par le ministre de leur culte.

ART. 4. – La garde de la classe est commise à l'instituteur : il ne permettra pas qu'on la fasse servir à aucun usage étranger à sa destination sans une autorisation spéciale du préfet.

ART. 5. – Pendant la durée de la classe, l'instituteur ne pourra, sous aucun prétexte, être distrait de ses fonctions professionnelles, ni s'occuper d'un travail étranger à. ses devoirs scolaires.

ART. 6. – Les enfants ne pourront, sous aucun prétexte, être détournés de leurs études pendant la durée des classes.

Ils ne seront envoyés à l'église, pour les catéchismes ou pour les exercices religieux, qu'en dehors des heures de classe. L'instituteur n'est pas tenu de les y surveiller. Il n'est pas tenu davantage de les y conduire, sauf le cas prévu au. paragraphe 3 de l'article 9 ci-après.

Toutefois, pendant la semaine qui précède la première communion, l'instituteur autorisera les élèves à quitter l'école aux heures où leurs devoirs religieux les appellent à l'église.

ART. 7. – L'entrée de la classe est formellement interdite à toute personne autre que celles qui sont préposées par la loi à la surveillance de l'enseignement.

ART. 8. – L'instituteur n'établira aucune distinction entre les élèves payants et les élèves gratuits. Les uns et les autres seront réunis dans les mêmes locaux et participeront aux mêmes leçons.

ART. 9. – Les classes dureront trois heures le matin et trois heures, le soir. Celle du matin commencera à huit heures et celle de l'après-midi à une heure ; elles seront coupées par une récréation d'un quart d'heure.

Suivant les besoins des localités, les heures d'entrée et de sortie pourront être modifiées par.. l'inspecteur d'académie, sur la demande des autorités locales et l'avis de l'inspecteur primaire.

Les enfants qui ne sont pas rendus à leurs familles dans l'intervalle des classes, demeurent sous la surveillance de l'instituteur jusqu'à l'heure où ils quittent définitivement la maison d'école.

ART. 10. – Les enfants se présenteront à l'école dans un état de propreté convenable.

La visite de propreté sera faite par l'instituteur au commencement de chaque classe.

ART. 11 – Quand l'instituteur prendra la direction d'une école, il devra, de concert avec le maire ou son délégué, faire le récolement du mobilier scolaire, des livres de la bibliothèque, des archives scolaires, et, s'il y a lieu, de son mobilier personnel et de celui de ses adjoints.

Le procès-verbal de cette opération, signé par les deux partis, constituera l'instituteur responsable des objets désignés à l'inventaire.

En cas de changement de résidence, l'instituteur provoquera, avant son départ, un nouveau récolement du mobilier.

ART. 12.- Un tableau portant le prix de tous les objets que l'instituteur sera autorisé à fournir aux élèves, sera affiché dans l'école, après avoir été visé par l'inspecteur primaire.

ART. 13. – La classe sera blanchie ou lessivée tous les ans et tenue, dans un état constant de propreté et de salubrité. A cet effet, elle sera balayée et arrosée tous les jours ; l'air y sera fréquemment renouvelé, même en hiver, les fenêtres seront ouvertes pendant l'intervalle des classes.

ART. 14. Le français sera seul en usage dans l'école.

ART. 15. Toute représentation théâtrale est interdite dans les écoles publiques.

ART. 16. – Aucun livre ni brochure, aucun imprimé ni manuscrit, étrangers à l'enseignement ne peuvent être introduits dans l'école, sans l'autorisation écrite de l'inspecteur d'Académie.

ART. 17. – Toute pétition, quête, souscription ou loterie y est également interdite.

ART. 18. – Les seules punitions dont l'instituteur puisse faire usage, sont

Les mauvais points;

La réprimande;

La privation partielle de la récréation

La retenue après la classe, sous la surveillance de l'instituteur ;

L'exclusion temporaire.

Cette dernière peine ne pourra dépasser deux jours. Avis en sera donné immédiatement par l'instituteur aux parents de l'enfant, aux autorités locales et à l'inspecteur primaire.

Une exclusion de plus longue durée ne pourra être prononcée que par l'inspecteur d'académie.

ART. 19. – Il est absolument interdit d'infliger aucun châtiment corporel.

ART. 20. – Les classes vaqueront le jeudi et le dimanche de chaque semaine et les jours de fêtes réservées.

ART. 21. .- Les jours de congé extraordinaires sont :

Une semaine à l'occasion des fêtes de Pâques

Le premier jour de l'an, ou le lendemain, si ce jour est un dimanche ou un jeudi;

Le lundi de la Pentecôte

Le lendemain de la Toussaint, le matin seulement

Les jours de têtes patronales;

Les jours de fêtes nationales.

ART. 22. – L'époque et la durée des vacances seront fixées chaque année par le préfet en Conseil départemental.

ART. 23. – L'instituteur ne pourra ni intervertir les jours de classe, ni s'absenter sans y avoir été autorisé par l'inspecteur primaire et sans avoir donné avis de cette autorisation aux autorités locales.

Si l'absence doit durer plus de trois jours, l'autorisation de l'inspecteur d'académie est nécessaire.

Un congé de plus de huit jours ne peut être donné que par le préfet. Dans les circonstances graves et imprévues, l'instituteur pourra s'absenter sans autre condition que de donner avis de son absence aux autorités locales et à l'inspecteur primaire.

ART. 24. – Tout ce qui se rapporte à l'organisation pédagogique (emploi du temps, programme d'études, classement des élèves, etc.), sera réglé par le Conseil départemental, sur la proposition de l'inspecteur d'académie et soumis à l'approbation du recteur.

ART. 25. – Les dispositions de ce règlement sont applicables aux écoles de filles.

ART. 26. – Le règlement modèle, en date du 17 août 1851, est et demeure abrogé.

ART 27. — Les autorités préposées par la loi à la surveillance de l'instruction primaire sont chargées de l'exécution du présent règlement.

Fait à Paris, le 6 janvier, 1881.

Signé : Jules FERRY. 

2°, Extraits de la lettre ministérielle expliquant

certains articles dit Règlement.

 Monsieur le Préfet,

Quelques difficultés se sont élevées dans ces derniers mois, au sujet de l'interprétation. des divers articles du règlement-modèle du 7 juin 1880, et j'ai cru en devoir saisir le conseil supérieur.

Cette haute assemblée m'a demandé d'ajouter au texte primitif quelques paragraphes destinés à éclaircir les points qui avaient paru obscurs : vous trouverez ci-inclus un certain nombre d'exemplaires du règlement ainsi complété, qui porte la date du 6 janvier 1881 …… … ………………………………………

A l'article 3, qui ne faisait que reproduire les termes mêmes de là loi de 1833: «Le vœu des pères de familles sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse », le conseil ajoute que « ce vœu sera formulé par oui ou par non dans une colonne spéciale sur le registre matricule » …………………………………….. .. ……………………………………….

Par suite de ces décisions, la situation de l'instituteur à l'égard de l'enseignement religieux est nettement réglée, soit dans l'école, soit hors de l'école.

Dans l'école – aussi longtemps que la loi de 1850 régira la matière – l'instruction religieuse sera donnée aux enfants, à l'exception de ceux que les familles en auront dispensés ; elle est donnée en principe, par les ministres du culte, les seuls fonctionnaires auxquels la loi française reconnaisse la compétence et confère l'autorité requise pour diriger le plus délicat de tous les enseignements.

L'instituteur a le devoir de leur prêter son concours mais en le limitant aux ternies mêmes indiqués de tout temps par les prescriptions ministérielles ; il n'est tenu d'intervenir dans l'instruction religieuse de ses élèves que pour la partie en quelque sorte matérielle, c'est-à-dire la récitation du catéchisme, l'explication littérale des mots, la répétition des leçons d'histoire sainte …………………………………….

Hors de l'école …………………………….

Il reste un cas particulier où l'instituteur conserve nécessairement devant la loi la responsabilité des enfants et, par conséquent, est tenu de les surveiller ou les faire surveiller : lorsque les élèves ne sont pas rendus à leurs familles entre les deux classes et demeurent sous sa garde, c'est lui qui en répond pendant cet intervalle, soit qu'ils restent à l'école, en récréation, soit qu'ils en sortent pour aller au catéchisme. En envoyant ces enfants seuls à l'église, en les exposant, sans surveillance, aux dangers de la rue, l'instituteur engagerait sa responsabilité civile ; aucun règlement universitaire ne saurait l'y soustraire. 

Arrêté prescrivant l'établissement de listes des livres

destinés à l'enseignement dans les Écoles primaires.

 Dans son rapport sur les livres classiques des Ecoles primaires, M. Buisson, Inspecteur général et directeur de l'enseignement primaire au ministère de l'instruction publique, exprime le désir de l'uniformité des méthodes qui entraînerait l'uniformité des livres classiques ; mais il ne lui paraît pas possible d'acheter cet avantage au prix de tous les inconvénients que présenterait aujourd'hui la résurrection des Listes officielles de livres approuvés par le ministre ou par le Conseil supérieur.

« D'autre part, ajoute-t-il, réduire le rôle de l'administration à un simple veto contre les ouvrages absolument ineptes ou immoraux, ce n'est pas opposer une digue assez résistante à l'envahissement des livres médiocres, lancés dans la circulation par des spéculations de librairie, plutôt que par la concurrence sérieuse des méthodes et des procédés pédagogiques.»

Entre ces deux systèmes, M. Buisson propose d'en adopter un troisième qui consisterait à laisser la charge d'examiner ces livres à ceux précisément qui, devant s'en servir, sont le plus intéressés à n'en admettre que de très bons, c'est-à-dire aux instituteurs.

Cet examen se ferait dans les conférences ou réunions générales des instituteurs publics de chaque canton. Il serait recommandé aux instituteurs, dans cet examen, de se tenir en garde contre l'esprit de routine, comme aussi contre les facilités excessives qui pourraient leur être offertes, pour changer leurs livres classiques, avec des avantages plus apparents que réels.

Ces listes cantonales, ainsi dressées, seraient envoyées à l'inspecteur d'académie qui conserverait son droit de contrôle et de révision ; il les soumettrait à l'examen d'une. Commission départementale, composée des inspecteurs primaires, des directeurs, directrices et professeurs d'école normale ; il recueillerait, s'il y avait lieu, les réclamations, et, après ce deuxième examen, proposerait au recteur l'approbation et la publication d'une liste de livres adoptés, pour l'année, dans le département.

La liste ainsi formée pourrait, d'année en année, s'augmenter de livres nouveaux, se décharger au contraire, de ceux que l'expérience aurait condamnés, ayant soin toutefois d'éviter des changements de livres onéreux aux parents, et préjudiciables à la continuité des études.

C'est à la suite de ce rapport du 6 novembre 1879, que l'arrêté suivant a été publié dans le no 447 du Bulletin administratif du Ministère de l'instruction publique et des beaux-arts.

ART.1° – Il est dressé, chaque année et dans chaque département, une liste des livres reconnus propres à être mis en usage dans les écoles publiques.

ART. 2°.- A cet effet, les instituteurs et institutrices de chaque canton, réunis en conférences pédagogiques, établissent, au plus tard, dans la première quinzaine du mois de juillet, une liste provisoire des livres destinés à l'enseignement des écoles primaires publiques.

ART. 3. – La liste mentionnée à l'article précédent est transmise à l'inspecteur d'académie. Ce fonctionnaire, après avis d'une Commission composée des inspecteurs primaires, du directeur et de la directrice des écoles normales et des professeurs de ces établissements réunis sous sa présidence, arrête un projet de catalogue des livres admis pour l'année dans les écoles publiques du département.

Ce catalogue n'est définitif qu'après avoir reçu l'approbation du recteur.

ART. 4. – Sont rapportés, en ce qu'ils ont de contraire au présent règlement, les arrêtés du 22 juillet 1873 et du 2 juillet 1875.

Il résulte de l'examen sérieux de ces documents

1° Que la loi de 1850 n'a pas cessé d'être en vigueur, et que l'enseignement religieux fait toujours partie de l'enseignement primaire publie. A la vérité, il est devenu facultatif pour les élèves ; mais j'ai bien la confiance que toutes les familles dont nous élevons les enfants, nous donneront le oui qui devra figurer désormais au Registre matricule. S'il y avait quelque exception, nous n'aurions pas à interroger l'élève, qui devrait néanmoins assister en silence à l'explication prévue par la lettre ministérielle du 1er février 1881.

2° Que les Inspecteurs généraux, les Recteurs et les Inspecteurs d'Académie, les Inspecteurs de l'enseignement primaire, les Délégués cantonaux, le Maire et le Curé, le Pasteur ou le délégué du Consistoire Israélite, ont seuls le droit d'entrer dans les classes (Art. 18 de la loi du 15 mars 1850).

3° Que les six heures de classe prescrites par le Règlement officiel, laissent à notre disposition cinq quarts d'heure que nous donnons de plus chaque jour à nos élèves, et qu'il nous sera facile de consacrer une partie de ce temps, sans qu'aucune réclamation raisonnable soit possible, aux exercices religieux de l'école.

4° Que la lettre ministérielle nous fait un devoir de prêter notre concours aux Ministres du culte, et d'intervenir pour la récitation du catéchisme, l'explication littérale des mots et l'explication des leçons d'histoire sainte.

C'est absolument ce que veulent nos Règles.

5° Que la même lettre nous rend responsables des enfants, lorsqu'ils sortent pour aller au catéchisme. En conséquence, nous efforcer d'obtenir que ces enfants se rendent à l'église en silence et sur deux rangs, sous la surveillance de l'un d'eux.

Viser au même résultat pour les sorties de chaque jour. Rien ne favorise tant la réputation d'une école que la discipline observée par les élèves se rendant, en ordre, chez leurs parents, conduits seulement par quelques-uns de leurs camarades.

6° Que le Gouvernement regarde comme impossible la résurrection des Listes officielles de livres approuvés. Il n'imposera donc pas de livres classiques.

7° Que nous avons à nous occuper de faire agréer nos livres par les Conseils départementaux, pour nous en faciliter l'usage, c'est-à-dire pour éviter certaines réclamations, plus ou moins fatigantes, de la part des personnes préposées à la surveillance de l'Instruction primaire.

Nous étudierons, en Conseil du Régime, ce qu'il convient de tenter pour provoquer une approbation générale de nos livres classiques.

8° Enfin, que rien n'est changé dans nos usages par le nouveau Règlement. Nos prières, nos catéchismes et nos livres nous restent. Avec la grâce de Dieu, nous les conserverons. Tenons-y de toute notre âme ; mais ne cessons jamais d'être prudents, dévoués et toujours très convenables avec toutes les autorités.

Il demeure donc interdit à tous nos Frères, de faire aucun changement dans la direction de nos écoles, sans en avoir obtenu d'abordune permission écrite de notre part.

Les archives de l'école se composent : 1° des Circulaires adressées à l'instituteur par les autorités scolaires ; 2° du Bulletin départemental de l'enseignement primaire , 3° des Registres matricules, des Registres d'appel, etc.

Il est imposé actuellement, à tous les instituteurs communaux, certains travaux pédagogiques dont MM. les Inspecteurs exigent la présentation. On espère que les sujets seront généralement à la portée de tous ; mais un moyen d'assurer la bonté du travail, pour le fonds comme pour la forme, est le suivant que je vous invite à employer : Traiter de son mieux le sujet proposé, en donner ensuite communication à son Assistant, avec prière de l'examiner et d'y faire les modifications convenables. Cette sage conduite peut nous éviter, dans bien des cas.. des désagréments fort ennuyeux.

Nos Chers Frères Directeurs sont priés de faire mettre sous verre le tableau renfermant les arrêtés relatifs aux Examens, et de l'exposer dans les salles d'études. 

VIII. NOUVEAU MOIS DE MARIE À L'USAGE DES ÉCOLES.

 J'ai la satisfaction de vous annoncer que nous venons de publier un petit Mois de Marie à l'usage des Écoles.

Vous trouverez cet ouvrages dans toutes les Procures Provinciales, on vous le remettra à un prix très modéré.

Lorsque Dieu inspira à notre pieux Fondateur la pensée de donner à sa Congrégation naissante, Ie nom de la Sainte Vierge, il voulut évidemment que les Petits Frères de Marie eussent, pour mission spéciale, de répandre de plus en plus dans les paroisses la dévotion à la Très Sainte Vierge.

Ne semble-t-il pas que, plus nous nous efforcerons de répondre à ce dessein de Dieu, plus nous nous assurerons son concours et la protection de notre Bonne Mère ? Or, il faut bien le reconnaître, jamais nous n'avons eu un plus pressant besoin de l'assistance particulière de cette Vierge bénie.

Ce petit ouvrage vient donc bien à propos pour ranimer notre confiance en Marie et exciter notre zèle pour la faire aimer par tous nos enfants. C'est le double but qui a présidé à sa composition. Vous accomplirez une bonne oeuvre en le répandant le plus possible.

Je ne puis nie résoudre à clore cette trop longue lettre sans vous dire au moins un mot de Saint Joseph, notre glorieux Patron.

L'exemple du cher Frère Assistant défunt est bien propre à nous inspirer la confiance qu'il avait lui-même en ce grand saint : « C'est lui qui fait tout chez nous, » disait-il, lorsqu'on lui parlait de la prospérité de notre maison de Neuville.

La confiance du F. Nicet n'étonne pas, quand on lit ce qu'a écrit Sainte Thérèse du pouvoir et de la bonté du très glorieux chef de la Sainte Famille. « Le Très-Haut, dit-elle, donne seulement grâce aux autres saints pour nous secourir dans tel pu tel besoin ; mais  le glorieux Saint Joseph, je le sais, a reçu grâce pour tout et pour tous. Notre-Seigneur veut nous faire entendre par là que, de môme qu'il lui fut soumis sur cette terre d'exil, reconnaissant en lui l'autorité d'un père nourricier et d'un gouverneur, de même il se plaît encore à faire sa volonté dans le ciel, en exauçant toutes ses demandes. »

« Je ne me souviens pas, dit encore la même sainte, de lui avoir jamais rien demandé jusqu'à ce jour, qu'il ne me l'ait accordé. Je conjure, pour l'amour de Dieu, ceux qui ne me croiraient pas, d'en faire l'épreuve : ils verront par expérience combien il est avantageux de se recommander à ce glorieux Patriarche, et de l'honorer d'un culte particulier. »

Faisons donc l'expérience que propose Sainte Thérèse et prions tout d'abord Saint Joseph de nous obtenir les faveurs qu'il a possédées lui-même à un si haut degré, savoir : 1° un grand amour pour Jésus et Marie ; 2° une vie parfaitement innocente ; 3° le don d'oraison, et 4° une sainte mort.

Je recommande à votre piété envers ce grand Saint, la récitation fréquente de la prière suivante, à laquelle on ajoute sept Gloria Patri, en mémoire des sept douleurs et des sept allégresses du saint Patriarche. De nombreuses grâces et indulgences sont attachées à cette dévotion. 

PRIÈRE EFFICACE A SAINT JOSEPH

 O Saint Joseph, Père et Protecteur des Vierges, gardien fidèle à qui Dieu confia Jésus, l'innocence même, et Marie, la Vierge des Vierges ; ah ! je vous en supplie et vous en conjure, par Jésus et Marie, par ce double dépôt qui vous fut si cher, faites que, préservé de toute souillure, pur de cœur et chaste de corps, je serve constamment Jésus et Marie dans une chasteté parfaite. Ainsi soit-il.

 La présente Circulaire sera lue en Communauté à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

 « Je suis votre salut, votre paix et votre vie, dit  Jésus-Christ dans le livre admirable de l'Imitation.  Demeurez en moi, et vous trouverez la paix. Quittez tout ce qui passe, et ne cherchez que ce qui est éternel. Que sont toutes les choses temporelles, sinon une illusion et un songe ? et que vous serviront toutes les créatures si le Créateur vous abandonne ? Renoncez donc à tout, pour vous rendre à celui qui vous a créé, et soyez-lui fidèle et obéissant pour devenir  vraiment heureux. » (3e Imit., 1, 2).

 Que Jésus-Christ, Notre-Seigneur, nous donne à tous par Marie, sa Mère, et par Joseph, son Père nourricier, l'intelligence de cette belle doctrine, et nous fasse arriver heureusement à la joie promise au serviteur fidèle !

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et religieux attachement avec lequel je suis, Mes Très Chers Frères, Votre très humble et tout dévoué frère etserviteur,

                   Frère NESTOR.

——————————————–

 


[1] : Il est étonnant que le frère Nestor ne consacre que quelques pages au frère François, alors que le frère Louis-Marie, dans le 8 avril 1872, a réservé deux Circulaires entières  au frère Jean-Baptiste. NDLR.

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