Circulaires 180

Théophane

1894-05-24

Relation du voyage en Océanie du R. F. Supérieur et du  C. F. Procope. - Epoques des retraites. - Défunts.

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51.04.01.1894.1

  V. J. M J.

Saint-Genis-Laval, le 24 mai 1894. Fête du Très Saint Sacrement

Mes Très Chers Frères,

J'éprouve une joie et un bonheur tout particuliers à vous adresser cette lettre qui répondra, j'en ai la persuasion, à votre désir, comme elle répond à un besoin de mon cœur.

Me voici donc de retour, avec le C. F. Procope, du voyage qui doit tenir une place si remarquable dans notre existence, à l'un et à l'autre, et dans les annales du district de l'Océanie. Nous sommes revenus en parfaite santé, après avoir éprouvé, d'une manière ineffable, les bénédictions divines et la maternelle protection de .Marie, la douce et bienfaisante Etoile des mers. C'est donc le cœur plein de reconnaissance, au souvenir de tant de bienfaits reçus et des consolations que nous avons goûtées, que j'ai la satisfaction de vous donner le récit de ce que notre voyage peut avoir pour vous d'édifiant et d'intéressant. 

VOYAGE EN OCÉANIE

 I

 LE DÉPART ET LES PREMIERS JOURS DE NAVIGATION. 

Une touchante cérémonie d'adieux eut lieu à la Mai­son-Mère, le soir, en la belle fête de la Toussaint. Un des Frères Assistants, se faisant l'interprète de la Communauté réunie, nous exprima les sentiments et les vœux qui étaient dans les meurs de tous, à l'occasion de notre départ ; un salut solennel, avec la bénédiction du Très Saint Sacrement et la récitation des prières de l'itinéraire, termina cette grande journée.

Le lendemain matin, jour de communion générale, tous les Frères de la maison, les postulants et les juvénistes, échelonnés sur notre passage, nous faisaient leurs adieux. Nous nous arrachons à leurs embrassements et prenons le chemin de fer pour arriver à Marseille vers les six heures du soir. Le C. F. Bérillus Assistant, et bon nombre de Frères Directeurs de nos maisons de Marseille, nous attendent à la gare et nous conduisent à Saint-Mauront, où l'on nous fait une réception des plus cordiales.

Le lendemain, nous montons au sanctuaire de Notre-Dame de la Garde, où nous avons le bonheur de faire la sainte communion et de recevoir la bénédiction du Saint-Sacrement, donnée par un Evêque missionnaire. Nous nous recommandons instamment à la bonne Mère et nous prions pour tous ceux qui nous sont chers, ceux que nous quittons, ceux qui nous attendent, et pour toute notre chère Congrégation.

Nous passons la journée avec nos Frères de Saint-Joseph ; le soir, ils nous accompagnent au bateau l'Australien, l'un des quatre grands vaisseaux des Messageries maritimes, un véritable château fort ; sa longueur est de 152 mètres, sa largeur de 15 mètres, et sa hauteur de 11 mètres; son tonnage est de 6.428 tonnes.

Il porte à son bord un équipage de 200 hommes et 250 passagers. Pour nous, il sera comme un monastère flottant, car, parmi les 64 passagers de seconde classe, on compte 12 prêtres, 11 Frères et 9 religieuses; ce qui nous vaudra l'insigne faveur d'avoir la sainte Messe tous les jours, et de faire nos communions, comme à la Maison-Mère.

A notre sortie de la rade, à cinq heures, les quais sont envahis par la foule, dans laquelle nous remarquons encore nos Frères, qui nous envoient un dernier salut, auquel nous répondons. Ensuite, – ô moment solennel ! – tous les Missionnaires à bord, Pères, Frères et Sœurs, se tournent vers Notre-Dame de la Garde, qui domine le port et semble nous bénir du haut de sa colline. On récite ensemble l'Ave Maris Stella; toutle monde a les yeux fixés sur la statue  de Marie, l'Étoile de la mer; on prie longtemps en silence pour lui recommander ce long voyage.

Les premiers moments de confusion et d'émotion passés, chacun se retire dans sa cabine pour mettre ses effets en ordre.

A six heures, on nous appelle au salon pour le premier repas, lequel ne laisse rien à désirer : le menu est très copieux et bien servi. Deux tables sont occupées par les religieux et les religieuses. Le R. P. Lemenant, Mariste, dit le Benedicite à haute voix. Il en sera ainsi durant tout le voyage.

 Samedi, 4 novembre. – Nous avons passé une bonne nuit. La mer est calme comme un étang, et le bateau semble glisser sur les ondes. Nous assistons à la sainte Messe dans une cabine où nous touchons le prêtre, en entourant le petit autel improvisé sur un lavabo. Notre-Seigneur veut bien descendre de l'autel dans notre poitrine, et nous accompagner sur les flots, comme autrefois les Apôtres sur le lac de Génésareth. Qu'avons-nous à craindre ?

Nous passons rapidement le détroit de Bonifacio et saluons la Corse, dernier point de la terre française que nous ne reverrons pas d'ici longtemps. Si notre corps s'éloigne, nos cœurs et nos pensées sont toujours pour nos Frères bien-aimés.

 Dimanche, 5 novembre. – Le salon de musique des premières est converti en chapelle. Les Pères ont bien vite improvisé quatre autels, sur lesquels huit messes ont été célébrées, entre huit et neuf heures du matin. Bon nombre de passagers y ont assisté. Communion générale pour les Frères et les Sœurs. On dit aussi une messe, dans le salon des troisièmes, pour les quarante soldats à bord qui se rendent en Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci chantent des cantiques et se tiennent d'une manière très édifiante.

Après avoir passé le détroit de Messine, nous apercevons l'escadre russe, à laquelle la France venait de faire une si belle réception. On salue gracieusement ces beaux navires de guerre en hissant quatre drapeaux, dont un russe. Ils nous rendent immédiatement le salut.

 Lundi, 6 novembre. – Encore une bonne nuit. Tout le monde se porte à merveille. Pendant le jour, rien de si beau que la mer : toutes les formes s'y trouvent, toutes les couleurs s'y reproduisent. Pendant la nuit, rien d'effrayant comme les flots : leur aspect rend mélancolique. Tant de marins ont sombré dans ces noirs abîmes ! Tant de malheureux y ont disparu ! Nous apprenons incidemment qu'un pauvre nègre musulman, employé du bateau, est décédé à bord, par suite d'excès de boisson. Son cadavre a été jeté à la mer sans cérémonie et sans qu'on s'en soit aperçu. Si au moins ce malheureux avait eu la foi et su profiter des prêtres à bord, pour se faire délivrer un passeport pour le Ciel !

 Mardi, 7 novembre. – Nous sommes en vue de l'île de Crète. Saint Paul a parcouru cette mer que nous traversons. Puisse-t-il nous obtenir une navigation heureuse, lui que les flots ont épargné dans trois naufrages, dont un sur la côte de cette même île de Crète! La pensée du grand Apôtre nous accompagne toute la journée; elle embaume et réconforte notre âme et lui rend la présence de Dieu plus sensible, en même temps qu'elle augmente notre confiance en la Providence, qui veille sur nous comme elle veilla sur l'Apôtre dans ses voyages. 

II

 PORT-SAID. 

Mercredi, 8 novembre. – Nous arrivons à Port-Saïd, à trois heures du matin. Plus moyen de fermer l'œil il se fait un vacarme épouvantable tout autour du navire. Six énormes pontons chargés de houille, nous attendent ; sur chacun d'eux se trouvent une cinquantaine d'Arabes ou de nègres, les uns et les autres, aussi noirs que le charbon. Ils ont pour tout vêtement une longue blouse noire comme leur visage, et, pour s'éclairer, des brasiers de charbon, qui les enveloppent d'une épaisse fumée. Sur un signe du chef de la bande, ils se partagent en trois groupes : le premier groupe remplit les paniers, le second les porte au navire, le troisième met le charbon en place. L'agilité de ces charbonniers est extraordinaire : ils courent, sautent et grimpent comme des singes. On a peine à croire que ce soient des êtres humains. Ils crient, vocifèrent et font un tapage infernal ; c'est vraiment une image de l'enfer. En deux ou trois heures, ces individus ont embarqué six cents tonnes de charbon. Il faut savoir que les vingt fournaises de notre immense steamer en absorbent près de cent tonnes par jour.

Après avoir assisté à la messe sur le bateau et pris un léger déjeuner, nous allons visiter la ville. Notre guide est un musulman qui nous dit parler le français, l'anglais, l'italien, l'arabe, le grec et le turc. Nous constatons effectivement qu'il se fait comprendre dans les trois premières langues.

Notre cicérone nous conduit d'abord à l'église des Franciscains, où plusieurs prêtres disent la messe en ce moment. Nous remercions Dieu de notre heureux voyage jusqu'ici et lui demandons la conversion des pauvres mahométans.

Le Père Supérieur nous apprend qu'il y a, à Port-Saïd, 10.000 catholiques sur une population totale de 60.000 âmes. Tous les dimanches, ces bons Pères, pour être compris de tous, prêchent dans les cinq langues française, anglaise, allemande, italienne et arabe.

De l'église, nous allons voir le bel établissement des Frères des Ecoles chrétiennes. Ils y sont au nombre de quinze, et donnent l'instruction en français à trois cents élèves, qui nous ont fait très bonne impression.

Nous visitons aussi une école arabe, où nous voyons une cinquantaine de petits musulmans, tous assis par terre, un bonnet rouge sur la tête et un livre arabe, peut-être le Coran, à la main. Le maître, une espèce de vieux marabout, est accroupi dans un coin, sur une petite estrade, ayant à la main une baguette, que ses élèves semblent respecter au moins autant que les préceptes du Coran, car tous sont immobiles et gardent un silence parfait. Le Maître, se drapant dans sa dignité, ne daigne pas même nous regarder, et refuse de faire lire ses élèves devant nous, quoique notre guide l'en ait prié.

Port-Saïd est une ville toute récente, créée par M.de Lesseps. Elle est posée sur le sable, comme une gare maritime. On nous fit voir la résidence du grand ingénieur convertie aujourd'hui en hôpital M. de Lesseps donna à la ville le nom qu'elle porte actuellement, en l'honneur de son ami, le vice-roi d'Egypte, Mohamed. Elle a l'aspect d'une ville moitié africaine, moitié européenne, bâtie en briques dans le quartier européen et en bois dans le quartier arabe. Les rues sont larges, sablonneuses, malpropres, surtout dans le quartier arabe. On y remarque un grand nombre de consulats, d'agences, de magasins et de boutiques de toutes sortes. Sa population est un mélange curieux d'étrangers, venus de tous les points de l'Orient et de l'Occident. Les Juifs y sont en nombre et partout on les reconnaît aux traits allongés qui distinguent la race des enfants d'Israël.

Nous rentrons au bateau vers neuf heures, bien satisfaits de notre promenade. En attendant le départ, on s'amuse à voir les petits Arabes plonger dans la mer pour attraper les sous qu'on leur jette, ce qu'ils font avec une agilité remarquable : rarement ils laissent perdre la pièce de monnaie qui leur est destinée. 

III.

 Le Canal de Suez et la Mer Rouge

 L'Australien lève l'ancre à midi, et nous entrons dans le canal de Suez. La largeur du canal ne dépasse guère 50 mètres en beaucoup d'endroits ; sa longueur totale, de Port-Saïd à Suez, est de 87 milles[1]. Le lit du canal est indiqué, à droite et à gauche, par des bouées blanches et rouges. Le vapeur doit se tenir absolument entre ces bouées, au risque de s'ensabler. Aussi, marche-t-il très lentement, ne faisant guère que 5 à 6 milles à l'heure. Le long du canal se trouvent une douzaine de gares où les navires stationnent pour laisser avancer ceux qui sont engagés dans le chenal. Sur les deux rives du canal s'étendent des plaines et des collines de sable à perte de vue.

On traverse plusieurs lacs ; le premier est le lac Menzaléh à Port-Saïd même ; il produit quantité d'excellents poissons, dont on fait bonne provision pour le bateau. Au milieu de l'isthme, après avoir passé la ville d'Ismaïlia, se trouvent les lacs Amers. Un peu plus bas, parmi toutes sortes de ruines, on voit, dit-on, les restes d'une chapelle dédiée à Notre-Dame du Désert, en souvenir de la fuite de la Sainte Famille en Egypte. C'est aux environs de ces ruines que passait autrefois une des grandes voies de communication entre l'Egypte et la Palestine. On affirme que c'est par là que le patriarche Jacob vint voir son fils Joseph, élevé aux honneurs dans le palais du roi Pharaon. Tout le pays environnant, alors très fertile, mais un vrai désert de sable aujourd'hui, formait la terre de Gessen, que Pharaon donna aux enfants de Jacob.

Encore un mot sur le canal : pour chaque navire, il est perçu un droit de passage proportionné au tonnage, à la nature du chargement et au nombre des passagers. Les marchandises paient 8 francs par tonne, et les passagers 10 francs par personne. L'Australien, cette fois, a payé 35.000 francs. Cela doit paraître énorme ; mais ce n'est pas peu de chose que d'abréger de deux à trois mille lieues, la route de France en Australie et en Nouvelle-Calédonie.

On compte qu'il passe en moyenne par an, dans le canal de Suez, 3.000 navires, ce qui représente un tonnage de 6.000.000 de tonnes, au moins, et un revenu à la Compagnie de Suez, d'environ 50.000.000 de francs.

 Jeudi, 9 novembre. – Nous arrivons à Suez vers 5 heures du matin; il nous a donc fallu dix-sept heures pour passer le canal. Nous voyons plusieurs bateaux .dans la rade de Suez, entre autres, un bateau turc sur lequel flotte le drapeau jaune : c'est dire qu'il est en quarantaine. Il porte des pèlerins de la Mecque, et le choléra est à bord. C'est là souvent tout ce que les fanatiques Musulmans rapportent de leurs pèlerinages à la ville de Mahomet.

Après une heure ou deux d'arrêt, nous avançons vers la Mer Rouge ; mais il nous faut toute la journée pour sortir du golfe de Suez, qui longe la péninsule du Sinaï, rendue célèbre par le séjour des Israélites, qui, pendant quarante ans, ont erré dans ces lieux. Quel triste pays[2]!

 Vendredi, 10 novembre. – Comme plusieurs passagers sont descendus à Port-Saïd et à Suez, on a pu installer une chapelle permanente dans deux grandes cabines des premières. Deux autels y ont été dressés, et c'est là que dorénavant nous aurons le bonheur d'assister a la messe tous les matins, jusqu'au terme de notre voyage.

La Mer Rouge, tant redoutée par les voyageurs, nous a été tout à fait favorable ; la chaleur n'a rien eu d'excessif. Nous sommes tous en bonne santé, et là, comme sur la Méditerranée et durant tout le voyage nous suivons invariablement notre règlement, rendu aussi conforme que possible à celui de la Maison-Mère. Le matin, la messe se dit à six heures.

Nous faisons nos exercices de piété, partie en communauté, partie en particulier et sur le pont, à cause de l'exiguïté de nos cabines dont chacune n'a que quatre, mètres de long sur deux de large et contient cinq lits.

Quant à la cuisine du bord, s'il faut en parler pour tranquilliser ceux qui s'intéressent à nous, à notre santé, je dirai qu'elle ne laisse rien à désirer et qu'elle a de quoi satisfaire les estomacs français et anglais les plus exigeants. 

IV

 ADEN.

 Lundi, 13 novembre, fête de saint Stanislas de Kostka – Nous arrivons à Aden, à deux heures du matin. On jette l'ancre à un mille du rivage, et le départ du grand bateau est fixé à onze heures du matin ; nous avons donc le temps d'aller voir nos Frères. L'Établissement a été fondé, il y a dix-huit mois sur la demande de MgrLasserre, évêque capucin, par les Frères Marie-Amateur, Marie-Anthelme et Guibertus. Ce dernier n'ayant pu supporter le climat brûlant du pays, est retourné à Dumfries, où il est décédé pieusement le 30 septembre 1893. Il a été remplacé à Aden par le Frère Faust.

Dans la rade, nous voyons les pontons chargés de charbon, comme à Port-Saïd ; ce sont les mêmes cris, les mêmes manœuvres. Mais nous nous empressons d'aller à terre pour voir nos Frères, et à trois heures, nous sonnons à la porte de leur maison, qui est aussi l'habitation de S. G. Mgr Lasserre. Un religieux, que nous prenons pour un Frère convers, vient nous ouvrir. Nous lui demandons avec empressement des nouvelles du cher Frère Directeur que nous savions être dangereusement malade. Il nous apprend qu'il se trouve encore à l'hôpital, mais qu'il est entré en convalescence. En quel état sont les deux autres Frères ? – Hélas ! le bon Frère Marie-Anthelme est aussi atteint par la maladie et il a été administré, il y a deux jours. Quant au Frère Faust, il est tombé aussi, il garde le lit ; mais, heureusement, ce n'est qu'une courbature. – Et comment va Mgr Lasserre ? – Pas mal, comme vous voyez : c'est lui qui vous parle. – Là-dessus, tout ahuris, nous nous excusons de notre mieux de notre sans-façon à son égard ; et disons que nous étions bien excusables, car vraiment la tenue de notre respectable interlocuteur n'avait rien d'épiscopal. – Mais, en bon évêque capucin, il se met à rire, et nous rions avec lui, malgré la tristesse du moment. Monseigneur nous offre alors un verre de bon vin blanc, et nous donne quelques détails intéressants et consolants sur nos Frères et sur l'école, qui est fermée pour le moment.

Après deux heures de repos, nous assistons à la sainte messe, célébrée par Sa Grandeur; puis nous allons voir nos chers malades à l'hôpital. Quelle pénible et à la fois touchante et agréable rencontre ! On s'embrasse avec effusion, on pleure, on se console, on se réjouit. Nous trouvons ces chers malades animés des meilleurs sentiments et parfaitement résignés à la volonté de Dieu. Aux soins intelligents donnés par le docteur, s'ajoutent ceux que leur prodigue un brave soldat irlandais. Ait dire du Frère Directeur, nos deux chers malades doivent après Dieu, la conservation de leur vie à ce bon et charitable jeune homme.

Nous avons encouragé de notre mieux nos chers Frères en leur promettant un prompt secours de France. C'est ce qui leur a été accordé en la personne du C. F. Cyrus, qui a répondu généreusement à l'appel fait à son zèle et à son dévouement.

Pour qui a entendu vanter le beau ciel d'Orient, Aden doit être un paradis terrestre; mais quelle illusion ! Rien de plus triste que cette terre de feu, rochers brûlés par le soleil, où ne se voit ni un arbre, ni un brin d'herbe, et où l'eau du ciel tombe à peine une fois par an et doit être remplacée par l'eau de la mer distillée. Cependant en ce lieu, que l'on croirait inhabitable, est une ville qui réunit 30.000 âmes, parmi lesquelles sont des Européens, et, au premier rang de ceux-ci, un Evêque, des Prêtres, des Frères, des Sœurs, tous missionnaires, qui vouent leurs travaux, leurs sueurs, leur santé, leur vie à l'évangélisation de pauvres nègres et de fanatiques mahométans. Ah ! c'est que le zèle des âmes, l'amour de Dieu est plus ardent que les feux du tropique !

Aden est une colonie anglaise, située sur une péninsule rocheuse, nue et volcanique, rattachée au continent par une plaine de sable. Les hauteurs qui entourent la ville s'élèvent à près de six cents mètres. Aden est le Gibraltar de la Mer Rouge et de l'Océan Indien ; la rade est excellente et très vaste. La domination anglaise s'étend sur le port qui s'appelle Steamer-Point, sur la ville d'Aden qui en est à cinq milles, et sur une bande de terre de la côte. C'est en ce lieu que stationnait et s'approvisionnait la flotte de Salomon.

Ce pays était sous le sceptre de la fameuse reine de Saba, qui vint visiter Salomon dans toute sa gloire, pour lui offrir des aromates et lui proposer des énigmes. Certains prétendent même qu'à cette époque, les Pharaons d'Egypte avaient déjà fait creuser un canal de Suez qui fut comblé plus tard par les sables et perdu de vue par les générations suivantes.

En 1837, un navire qui allait à Madras échoua dans la baie d'Aden et fut pillé par les gens de la côte. Pour punir cet acte de piraterie, la Compagnie des Indes s'empara du territoire voisin, et ce qui n'était qu'une misérable bourgade, est devenu une ville de 30.000 âmes.

Les habitants d'Aden sont costumés de toutes les façons. Les Arabes portent le turban, les indigènes, à cheveux crépus, vont tête mie ; ceux-ci ont aussi, pour la plupart, quelques talismans autour du cou. On y trouve le pantalon des Européens, la culotte des zouaves, la blouse bleue ou blanche des nègres, la ceinture de coton des sauvages. La population catholique composée d'Italiens et de Français, est peu nombreuse et loin d'être un modèle d'édification pour les pauvres noirs.

Le gouvernement se montre favorable à la Mission. En 1888, le gouverneur d'Aden confia à Mgr Lasserre quatre-vingt-quatre petits nègres esclaves, arrachés des mains des traitants ; dix-neuf de ces enfants sont morts à Aden. L'année dernière vingt et un d'entre eux furent envoyés aux Seychelles, et Sa Grandeur nous en a confié onze autres pour la même destination. Ils ont maintenant de quatorze à seize ans, comprennent l'anglais et ont fait leur première communion. La mission des Seychelles les placera comme domestiques dans des familles catholiques, où ils pourront conserver la foi et les principes chrétiens, ce qui ne leur serait guère possible à Aden, où la population est presque toute protestante ou arabe, et où ils ne trouveraient pas un coin de terre cultivable pour s'établir. Ces enfants sont gallas, nubiens ou abyssiniens ; quelques-uns ont la peau aussi noire que l'ébène. En les voyant, avec leur air doux, paisible et content, on se sent porté à bénir pour eux la Providence qui, en les délivrant de l'esclavage, leur a fait trouver la voie du salut. 

V

MAHÉ ET L'OCEAN INDIEN

 Vendredi, 19 novembre. – Nous arrivons à Mahé (Iles Seychelles), à huit heures du matin. Là se trouvent sept de nos Frères, qui dirigent une école fondée, il y a dix ans, sur la demande de Mgr Mouard, évêque capucin. Ces îles, au nombre de trente-deux, sont à 1.250 milles d'Aden et à 1.000 milles de Maurice. Mahé, qui est la plus large, a 8 milles de long et 5 à 6 milles de largeur. L'archipel est renommé pour ses noix de coco et sa vanille, qu'il exporte en assez grandes quantités. Après un moment d'attente, nous apercevons dans une barque Sa Grandeur Mgr Hudrisier, un Père capucin et le Frère Directeur, qui viennent au-devant de nous. Quatre forts Seychellois nous ont bien vite conduits jusqu'à Port-Victoria, à deux milles environ du bateau. Quel magnifique panorama se présente alors à nos yeux ! Quel contraste avec les déserts de l'Arabie et les rochers brûlés de la ville d'Aden ! Ici, c'est la nature vivante, animée, pleine de charmes, telle qu'elle devait être pour nos premiers parents dans l'état d'innocence. Partout une végétation riche, variée, luxuriante ; partout la verdure, toujours la verdure ; les chemins mêmes en sont tapissés et les maisons littéralement couvertes. Ce sont des arbres de toutes sortes : palmiers, cocotiers, caféiers, bananiers, banians, arbres à pain, sur lesquels s'ébattent et gazouillent joyeusement des milliers d'oiseaux au brillant plumage, véritables bijoux, amis de l'homme, habitués à vivre familièrement avec lui. Nous respirons avec délices le parfum des plantes et des fleurs qui ornent les maisons et les rues que nous traversons.

Monseigneur nous conduit d'abord à la cathédrale dont les cloches sonnent à toute volée. Nous remercions le bon Maître des bénédictions qui jusque-là nous ont accompagnés dans notre voyagé, et, sans tarder, nous allons chez nos Frères, qui occupent une belle maison, située dans l'endroit le plus agréable de la ville, et entourée d'arbres, de fruits et de légumes très variés.

Après les premiers moments donnés à l'effusion de la joie et du bonheur que nous cause la vue de nos Frères, nous faisons la visite des classes, où les enfants nous attendent. L'examen, quoique un peu sommaire, nous permet d'apprécier le savoir, la bonne tenue et la discipline des élèves. Ils répondent d'une manière satisfaisante sur la religion, sur l'anglais, le français, la géographie, etc. L'un d'eux nous débite un beau compliment en bon français, avec un accent tout parisien. Ils nous chantent deux ou trois morceaux en français et en anglais, à plusieurs parties, avec beaucoup de goût et de précision. Après leur avoir distribué des médailles bénites par N. S. Père le Pape, nous leur donnons congé pour le reste de la journée. L'école compte deux cents élèves, qui sont tous d'une propreté irréprochable, et dont la plupart n'ont pas, comme nous, le souci de cirer leurs chaussures, par la raison qu'ils n'en ont pas.

Pendant la visite des classes, le cher Frère cuisinier, aidé de quelques noirs, nous avait préparé un déjeuner, composé des produits du pays et dans lequel il avait déployé, non seulement tout son savoir-faire, mais encore un luxe que pouvait seul excuser l'amour filial joint à la charité, fraternelle. Le menu consistait en riz sec, poissons bourgeois, béquine, tortue en rôti, choux palmistes, bananes au lait de coco, fruits à pains grillés, gâteaux de fruits à pains, entourés de cresson (il y a une magnifique cressonnière dans le jardin des Frères) ; desserts variés : fruits, bananes, ananas, oranges, melon, etc. ; vin de Bordeaux (l'île ne produit pas de vin).

Après le déjeuner, Monseigneur nous a invités à faire une visite aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Ces religieuses ont ici un beau pensionnat. Elles sont enchantées de voir des compatriotes, et d'avoir des nouvelles de la France qu'elles font tant aimer de leurs, élèves.

En retournant chez nos Frères nous rencontrons une douzaine de prisonniers noirs qui saluent respectueusement Monseigneur. Ce sont de jeunes voleurs, condamnés aux travaux forcés pour quelques semaines. Ils réparent les routes qui sont assez bien entretenues de cette manière.

A cinq heures trente, tous nos Frères nous accompagnent au bateau, où nous les embrassons en leur disant au revoir pour le retour. Notre navire lève l'ancre à huit heures du soir, et nous voilà partis pour l'Australie, en ligne droite jusqu'à Albany, King George's Sound, à une distance de 3.000 milles.

Jusqu'ici nous avons laissé une cinquantaine de passagers aux différentes stations où nous nous sommes arrêtés. Il nous en reste encore cent quatre-vingt-douze de toutes les classes.

 Mercredi, 29 novembre. — La nuit dernière, nous avons stoppé quatre heures à Albany, petit port ait sud-ouest de l'Australie, à 260 milles sud-est de la ville de Perth, à laquelle il est relié par un chemin de fer. Nous recevons ici une lettre du C. F. Félix, provincial de Sydney; il vient nous chercher, dit-il à Adélaïde, où nous arrivons vendredi soir à minuit.

Depuis Mahé la mer est devenue houleuse et occa­sionne un fort roulis; mais nous avons le pied assez marin pour n'en pas être incommodés.

Nous continuons à nous bien porter, et nous jouissons tout à notre aise des beaux spectacles de la mer et surtout des magnifiques couchers du soleil, auxquels viennent s'ajouter certains incidents parfois burlesques, occasionnés par le roulis. Ainsi un jour, tandis que nous disions tranquillement notre office, et au moment où nous entonnions le Lætatus  sum de Tierce, voilà qu'un coup de roulis nous renverse tous sur le pont, et nous bouscule les uns sur les autres avec nos chaises pliantes. Nous nous relevons rapidement pour tomber de nouveau et nous relever encore. Heureusement personne n'est blessé. Nous rions cordialement, avec les spectateurs qui nous entourent, et nous reprenons notre Lætatus sum. Une autre fois nous rions à notre tour aux dépens d'autres passages à qui arrive pareille aventure.

Nous continuons à avoir la messe tous les jours, et, le dimanche, deux messes publiques, à l'une desquelles de braves militaires bretons chantent des cantiques, entre autres : Je suis chrétien, et l'Ave Maria de Lourdes. 

VI

 L'AUSTRALIE.

 D'Albany à Adélaïde, nous traversons ce qu'on appelle le Grand Bight Australien. C'est un immense golfe de plus de 1.000 milles de diamètre, capable de contenir toute la France. La mer est toujours houleuse; la température a considérablement baissé. Un vent du sud nous apporte la fraîcheur des mers glaciales du pôle.

 Samedi, 2 décembre. – Il a fallu trois jours pour traverser le Grand Bight. Nous entrons, par le détroit Investigator, dans le golfe Saint-Vincent, ainsi nommé par un navigateur anglais de ce nom. A une heure du matin, nous jetons l'ancre devant le port Adélaïde ; la ville elle-même se trouve à 9 milles de là.

Adélaïde, capitale de l'Australie Sud, fut fondée en 1837 par le colonel Light, qui lui donna le nom de la femme du roi Guillaume d'Angleterre. La population d'Adélaïde est de 50.000 habitants; un chemin de fer relie cette ville à celle de Melbourne, qui est à 483 milles de là.

Près de nous sont en rade le Duguay-Trouin, torpilleur français, et l'Armand-Béhic, des Messageries maritimes, qui retourne à Marseille.

Vers  les  trois heures du matin, on nous apporte un télégramme de nos Frères de Nouvelle-Zélande, ainsi conçu : « We all welcome you » : Nous vous saluons tous cordialement. »

Le C. F. Félix, provincial, arrive vers les sept heures du matin et nous apporte de bonnes nouvelles de nos Frères de Sydney, qui nous attendent avec impatience. Quelle joie pour nous de voir ce bon Frère, parti de Saint-Genis depuis vingt ans, le premier que nous rencontrons sur la terre australienne! Avec quelle effusion il nous embrasse et nous demande des nouvelles de France, de la Maison-Mère, du C. F. John, et du C. F. Paul, qu'il pensait trouver avec nous, mais qui, au dernier moment, fut retenu par une mission spéciale ! Il est heureux aussi de faire connaissance avec les cinq nouveaux Frères qui viennent au service des Missions de la Province.

Il s'embarque avec nous jusqu'à Melbourne, pour nous accompagner ensuite dans nos visites en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie.

A neuf heures, l'Australien lève l'ancre, et nous sortons du golfe par le Backstairs Passage, détroit formé par l'île Kanguroo, au sud, et la grande terre, au nord. Nous traversons maintenant Encounter Bay ou golfe de Rencontre, c'est là qu'en 1802, l'explorateur anglais Flinders, allant vers l'est, rencontra le navigateur français Baudin, qui avançait vers l'ouest. De là le nom du golfe.

Après avoir doublé le cap Otway, nous avançons encore une centaine de milles vers le nord-est, puis, par un étroit passage, nous entrons dans le Port Philip, golfe presque circulaire, de quarante milles de diamètre. L'entrée en est marquée par des phares et des bouées, ce qui n'est pas inutile, à cause des bancs de sable qui ont occasionné de nombreux désastres autrefois.

Au fond de ce golfe, au nord et sur l'embouchure d'un petit fleuve, appelé Yarra, est assise la grande cité de Melbourne, capitale de Victoria. La fondation de Melbourne ne date que de 1835. En 1838, la population était de 3.511 habitants. Aujourd'hui Melbourne en compte plus de 400.000. C'est le siège d'un archevêché.

 Lundi, 4 décembre. -Arrivés hier soir à huit heures, à quelques milles de Melbourne, nous ne pouvons entrer au port qu'à cinq heures ce matin, à cause du dimanche. Les Anglais, on le sait, observent rigoureusement le repos dominical partout, dans leurs colonies comme en Angleterre, et leurs affaires n'en vont pas plus mal ; au contraire, cette fidélité à observer la loi de Dieu attire la bénédiction du ciel sur le vaste Empire britannique.

De notre navire, nous admirons la grande et belle ville de Melbourne. Sur une distance de quinze milles au moins, et sans interruption, s'étendent des quais, des magasins, des débarcadères, des villas sans nombre et, au delà, des tours, des flèches, des églises, des monuments, toute la magnifique capitale de Victoria.

C'est là que nous devons quitter notre cher Australien,sur lequel nous venons de parcourir plus de 3.200 lieue s'en trente jours. Nos Frères missionnaires poursuivent leur route sur ce navire jusqu'à Sydney, où nous les rejoindrons par voie de chemin de fer, après avoir fait la visite de nos Frères de Bendigo et de Kilmore. 

VII

 BENDIGO.

 Nous arrivons à Bendigo vers midi. Le Cher Frère Basil, directeur, nous attend à la gare, avec la voiture de l'évêché. Notre arrivée a été un événement pour le pays. Les journaux, à l'affût des nouvelles, relatent ainsi cette visite.

Le Supérieur Général des Frères Maristes, accompagné du Cher Frère Procope, son Assistant, et du Cher Frère, Félix, Provincial, sont arrivés dans notre ville. Les deux premiers viennent de France pour visiter la province d'Australie, qui a fondé son premier Établissement à Sydney en 1872. La communauté, composée alors de quatre Frères, commença son oeuvre dans la paroisse de Saint-Patrick. Cette petite communauté a tellement vu s'accroître le nombre de ses sujets, et la sphère de ses travaux s'est tellement étendue, qu'en ce moment les Frères Maristes sont chargés des principales écoles catholiques de Sydney. Leur collège de Hunter's Hill est l'établissement qui a eu le plus de succès dans la colonie. Ils sont aussi établis en Nouvelle-Calédonie, où ils dirigent des écoles et des orphelinats, ainsi que dans les îles de Fidji et de Samoa. On les trouve également dans les principaux centres de la Nouvelle-Zélande. Leur orphelinat de Stoke, près de Nelson, dans l'île du sud de la Nouvelle-Zélande, réunit environ deux cents élèves.

Comme c'est la première visite du Révérend Frère Supérieur en Australie, on a voulu lui faire la réception la plus cordiale et la plus solennelle. Les Frères de Saint-Kilian ont tenu à n'être pas au-dessous des autres pour témoigner leur filial respect, et pour exprimer leurs souhaits de bienvenue à leurs premiers supérieurs.

Le Frère Basil, Directeur, les a reçus à la station du chemin de fer et les a conduits à la résidence des Frères d'où, après quelques moments de repos, ils se sont rendus à l'évêché pour faire leur visite à Nos Seigneurs les évêques Crane et Reville, qui leur ont fait l'accueil le plus cordial et le plus bienveillant. Mgr Reville a fait visiter ensuite l'école des Frères; et les enfants, au nombre de deux cents, les ont reçus avec de grands applaudissements. Lin chœur de quatre-vingts élèves a fait entendre de beaux morceaux à deux parties, et un des élèves a lu le compliment suivant, écrit sur satin

 « Révérend Frère Supérieur,                                                                 

« Les enfants de l'école confiée à la direction de vos Frères, auxquels nous sommes extrêmement redevables, vous offrent l'expression respectueuse et filiale de leurs joyeux souhaits, à l'occasion de votre visite dans cette ville. C'est pour nous un honneur et un bonheur de voir et de saluer celui envers qui nous avons une si grande dette de reconnaissance et d'amour. Cette dette, plusieurs milliers d'enfants catholiques d'Australie la partagent avec nous ; car, bien que ce soit votre première visite dans la colonie, depuis longtemps vous vous êtes occupé avec zèle et bienveillance de leurs plus grands intérêts, en leur faisant donner une bonne et chrétienne éducation, sous la direction des Frères. Dans toutes les fondations des écoles, vous n'avez eu en vue que le bien des élèves et en particulier celui des enfants de Bendigo, la dernière fondée et la première visitée.

« Nous sommes encore trop jeunes pour apprécier tout le bien que nous procurent les membres de votre Congrégation dans un pays où prévaut l'enseignement séculier, où les enfants sont élevés dans les écoles d'où Dieu et la sainte Religion sont bannis. Cependant, nous aimons à proclamer que c'est une grande bénédiction pour nous d'avoir une école comme celle-ci, où nous sommes soigneusement élevés, afin de devenir des membres utiles à la société et de futurs citoyens du Ciel. C'est a nos bons Frères, qui sont si dévoués et qui ont abandonné tout ce que le monde estime le plus, pour se dévouer à notre service, ainsi qu'à vous, Révérend Frère Supérieur, que nous devons ce grand  bienfait d’une éducation chrétienne.

« Soyez assuré que nous voulons profiter de leurs leçons, copier les vertus et devenir de véritables enfants de Marie, dont vous portez le nom, afin de leur faire honneur ainsi qu'à vous, vénéré Supérieur, et à votre Cher Frère Assistant.

« Que Dieu vous donne de longs jours et la force dans le gouvernement d'une société qui fait tant de bien et qui procure la gloire de Dieu par tout le monde. »

Le journal ajoute : Après ce beau et si touchant compliment, Monseigneur a pris la parole et a fait l'éloge le plus grand des Frères de Bendigo et de leur école.

Les illustres voyageurs se sont promenés en ville pour voir les objets de principal intérêt. Ils ne pouvaient croire, en voyant la grandeur et les monuments de la cité, que ces lieux étaient déserts, il y a cinquante ans, et n'étaient habités que par les noirs et les kanguroos.

A son tour, le Frère Directeur a offert au Révérend Frère Supérieur un compliment richement encadré, dans lequel il exprime les sentiments les plus affectueux et les plus dévoués de toute la communauté de Bendigo pour leurs bien-aimés Supérieurs et pour tout l'Institut.

Dans la soirée, nous allons faire visite à Mgr Reville, dans sa maison de campagne, à cinq milles de la ville. Sa Grandeur nous reçoit avec une bonté toute paternelle, nous montre sa vaste et magnifique propriété et nous donne d'intéressants détails sur le diocèse de Sandhurst et sur son développement sous la sage administration de Mgr Crane, qui est là depuis dix-neuf ans. Pendant ce temps, Sa Grandeur a fait bâtir soixante-dix églises et autant de presbytères et d'écoles. Les catholiques, Irlandais pour la plupart, sont généreux pour le clergé et pour leurs églises. Dans ces dix-neuf années, ils ont contribué au service du culte au moins pour 180.000 livres sterling (4.500.000 francs). Il faut dire que c'est la région la plus riche de l'Australie à cause des mines d'or.

Bendigo ou Sandhurst est appelé la Métropole minière de Victoria ; c'est la rivale de Ballarat qu'elle dépasse aujourd'hui. Les mines d'or s'étendent aux environs de la ville, sur une étendue de 21 milles carrés; il y a 634 filons de quartz aurifère, dont plusieurs sont à une profondeur de 600 à 800 mètres.

Les mineurs sont au nombre de 4 à 5,000 ; ils ont a leur service plus de trois cents machines à vapeur pour écraser le minerai et en extraire l'or. La ville a 40.000 habitants environ, dont beaucoup de catholiques. Les Frères y ont à peu près deux cents élèves. 

VIII

 KILMORE ET KYNETON.

 Mardi, 5 décembre. – Nous allons visiter nos Frères de Kilmore, où nous arrivons à cinq heures du soir. Le Frère Austin, Directeur, nous attend à la gare avec la voiture de M. le curé, et une demi-heure après, nous arrivons chez les Frères, qui nous reçoivent de leur mieux. Leur maison, qui est toute neuve (l’école a été fondée le 1ier  janvier 1893), se trouve à cinq ou six minutes de l'église, dans une belle propriété de deux acres, qui attend d'être cultivée et plantée d'arbres.

Kilmore est à 42 milles au nord de Melbourne, à une altitude de 1.200 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le district est fertile et très propre à l'agriculture. La population, qui compte 1.100 âmes, est presque toute catholique. Cette localité, une des plus anciennes de Victoria, a été colonisée principalement par les Irlandais, qui lui ont donné ce nom favori de la mère patrie.

Nos bons Frères ont eu le regret de ne pouvoir nous présenter leurs élèves avec le beau compliment qu'ils nous avaient préparé.

MgrCarr, Archevêque de Melbourne, nous offre une seconde école dans son diocèse, à Kyneton, petite ville de 3.500âmes, à 52milles de Melbourne, sur la voie de Bendigo, dont elle est éloignée de 118milles. C'est le centre d'un pays agricole très fertile, à une altitude de 500 mètres. Il y a aussi des mines d'or.

Sur la demande de Monseigneur, nous sommes allés visiter cette localité, et nous avons promis trois Frères pour le commencement de l'année 1895,époque à laquelle le local pourra être prêt.

 Mercredi, 6 décembre. — Nous partons par le train de huit heures du matin pour arriver à Sydney le lendemain matin à six heures. Nous mettrons 22 heures pour parcourir 534 milles.

Tout le pays de Melbourne à Sydney est généralement plat et monotone ; on n'y voit guère que des pâturages, des eucalyptus et toujours des eucalyptus, dont la plupart, sur le bord de la voie, ont péri par suite de la bande d'écorce qu'on a enlevée à dessein, à deux ou trois pieds de terre. Le bois sert aux constructions, à la menuiserie, et au chauffage. En beaucoup d'endroits, on voit des fermes, des parcs, des prairies, d'immenses troupeaux de moutons, des villes et des villages qui sont très jolis, surtout dans la Nouvelle-Galles du Sud ; et à mesure que l'on approche de Sydney, on remarque de vastes cultures de blé, des vignes, de belles prairies, etc. Dans Victoria, ce sont les champs et les mines d'or qui attirent l'attention, comme à Bendigo. Mais un champ d'or, où toute la terre a été remuée à 10 ou 15 pieds de profondeur, n'offre rien d'agréable à voir.

De Wangaratta à Albury, la première gare, de New South Wales, nous avons eu la compagnie d'un bon curé missionnaire du diocèse de Goulburn, le R. Père O'Shaughnessv. Ce prêtre est chargé d'une paroisse de 100 milles de long, sur 50 milles de large, ne comprenant que 750 catholiques répandus dans sept ou huit stations différentes. Tous les dimanches, il dit deux messes à des distances de dix, vingt et trente milles et plus ; et dans chaque station, il doit entendre les confessions, catéchiser les enfants et les grandes personnes et visiter les malades. Voilà le travail d'un missionnaire en Australie. 

IX

SYDNEY.

 Jeudi, 7 décembre. — Nous voici à Sydney. Deo gratias ! A la  gare, nous attendait le C. F. Adrian, direc­teur de Saint-Patrick. Nous nous rendons à Saint-Pa­trick, où nous arrivons à temps pour la messe de sept heures.

Après la messe, visite aux Pères Maristes, qui demeurent en face de la maison des Frères; puis, déjeuner et visite à l'école Sainte-Marie et à Son Eminence le cardinal Moran, rentré à Sydney depuis lundi dernier. Les catholiques et les autorités de Sydney lui ont fait une réception magnifique. Ces manifestations catholiques, pour les pasteurs de l'Eglise, frappent beaucoup les protestants, qui n'ont rien de semblable à l'égard de leurs ministres ou de leurs évêques.

A deux heures trente, nous prenons le bateau pour nous rendre au collège Saint-Joseph de Hunter's Hill. Bon nombre de Frères nous attendent au débarcadère. Près du collège, nous rencontrons trois vieillards à barbe blanche, ce sont : le F. Florentin, envoyé en Océanie en 1839, par le R. P. Champagnat, le F. Gennade et le F. Augule, tous trois coadjuteurs chez les Pères Maristes, à Villa-Maria. Ces bons Frères ne peuvent exprimer toute la joie qu'ils éprouvent en voyant, pour la première fois, depuis quarante à cinquante ans, les premiers Supérieurs de l'Institut.

A l'entrée extérieure du collège, se présente à nos yeux un arc de triomphe, où flottent les pavillons français, anglais, australien et irlandais ; sur une des banderoles est écrit ce mot : «Welcome» (Soyez les bienvenus). La façade de la maison est couverte de guirlandes au-dessus de la porte d'entrée, on lit encore ce mot « Welcome ». Dans la salle de réception, et à l'endroit le plus apparent, on remarque le portrait du P. Champagnat, entouré des photographies des Supérieurs. Tout cela est d'un très bel effet.

Nous nous rendons tout d'abord à la chapelle, pour la bénédiction du Saint Sacrement, qui est donnée spécialement à notre occasion. La chapelle est ornée comme aux plus grandes fêtes : de belles fougères et autres plantes sont placées dans les embrasures des fenêtres, les colonnes sont parées de guirlandes de feuilles de laurier, et de riches oriflammes sont suspendues au plafond. Le tout est de très bon goût. Les chants, exécutés comme dans nos maisons provinciales, font également honneur à ceux qui les dirigent. Avec quel bonheur nous nous sommes unis à la Communauté, dans le chant solennel des beaux cantiques d'actions de grâces, le Te Deum et le Magnificat !

Après cette cérémonie religieuse, les Frères, les Novices, les Postulants et les Juvénistes de Sydney, en tout cent vingt-six, se sont réunis dans la salle de réception, enguirlandée et ornée d'arbustes et de fleurs. Quelles douces émotions pour nos cœurs, à la vue de cette belle famille du Père Champagnat, réunie ici, aux antipodes de l'Hermitage !

Un chœur exécute d'abord un chant de bienvenue, composé pour la circonstance. Ensuite, le C. F. Edwin, le doyen des Frères australiens, lit un compliment en anglais, magnifiquement encadré, et enluminé. En voici la traduction :

 Très Révérend Frère Supérieur,

C'est pour nous tous, jeunes et anciens, un ineffable bonheur de nous réunir autour de vous, aujourd'hui, et de vous souhaiter, du fond du cœur, à vous et au Cher Frère Assistant, la plus affectueuse bienvenue en Australie. Nous apprécions avec gratitude l'insigne faveur que vous accordez à vos enfants si loin du centre de la Congrégation, en vous arrachant aux soins du gouvernement qui vous est confié et en bravant les périls de la mer, pour nous procurer le plaisir de vous avoir parmi nous, et nous donner l'occasion de vous manifester notre plus grand amour et notre plus filial dévouement.

Nous vous prions, Très Révérend Frère Supérieur, d'accepter l'assurance de notre fidélité la plus constante à la Congrégation, sous l'influence bénigne et providentielle de laquelle nous nous sommes abrités.

Nous avons l'entière confiance que vous nous trouverez ne faisant qu'un en esprit, en œuvres et en amour avec ceux de nos Frères qui ont le privilège de vivre sous votre direction immédiate.

Quoique éloignés du berceau de l'Institut, nous prenons tous la plus grande part à tous ses intérêts, et nous prions ardemment pour l'avenir de la terre bénie qui lui donna son existence, pays si grandement favorisé du Ciel, éclatant des rayons d'amour du Sacré-Cœur et sanctifié par les larmes et les sourires de Marie.

C'est l'ardent désir de nos cœurs de réaliser en nous les grands desseins de notre vénéré Fondateur, à savoir : de vivre comme il veut que nous vivions sous le sceptre maternel de la bienheureuse Vierge Marie, ayant toujours devant nos yeux ses exemples d'humilité, de simplicité et de modestie, pour correspondre en tout aux vues de la Providence.

Combien il doit vous être agréable, Très Révérend Frère Supérieur, de voir le merveilleux développement de l'Institut dans ces dernières années ! Notre Province  aussi s'est accrue rapidement, et nous nous plaisons à reconnaître qu'après Dieu, elle doit beaucoup à notre ancien et estimé Provincial, le C. F. John, qui a travaillé avec le plus grand zèle et le plus grand désintéressement à sa prospérité.

Nous n'avons pas besoin de vous dire que son changement a été pour nous un grand sacrifice ; mais nous ne sommes pas sans espoir de le revoir encore parmi nous, comme par le passé, nous donnant l'exemple de toutes les vertus chrétiennes et religieuses, et représentant fidèlement l'autorité qu'il porte si dignement.

Avec le désir ardent de voir vos jours se prolonger pour que vous puissiez longtemps encore nous gouverner et nous diriger, et dans le ferme, espoir que votre visite en Australie ne sera pas moins un bienfait pour vous et le Cher Frère Assistant, qu'elle le sera assurément pour nous-mêmes, nous sommes heureux de nous dire,

Très Révérend Frère Supérieur,

Avec le plus profond respect et la plus entière soumission,

Vos très humbles et très obéissants serviteurs,

         Les Frères de Sydney.

 A ce beau compliment, je répondis, en français, que j'étais heureux de me trouver au milieu des Chers Frères, Novices et Juvénistes de Sydney, et de les voir si nombreux sous la bannière de Marie. Le bon accueil qui m'était fait me causait d'autant plus de joie et de consolation que les sentiments d'amour et d'attachement, à la Congrégation, qui venaient de m'être exprimés, étaient relevés encore par le désir que les Frères manifestaient de réaliser les grands desseins du Vénéré Père Fondateur, et de faire toujours de nouveaux efforts pour croître dans les vertus religieuses et les marquer toutes du cachet de l'Institut.

Je félicitai ensuite les Frères de leur développement pendant ces dernières années, et, en considérant combien le champ ouvert à leur zèle s'était étendu depuis l'arrivée des premiers missionnaires, je les engageai à louer et remercier Dieu, et à redoubler d'amour et de dévouement à la bienheureuse Vierge Marie.

J'exprimai alors le regret de n'être pas assez familier avec la langue anglaise pour la parler en publie, et je chargeai le Cher Frère Assistant de prendre la parole à ma place.

Le Frère Assistant leur parla du dernier Chapitre Général, de la motion et des instances qu'y fit le C. F. John, en faveur de la présente visite, ce qui attira un tonnerre d'applaudissements de toute la communauté. Il leur expliqua aussi les motifs pour lesquels le F. Paul était resté en Europe, à savoir : la fondation d'un Juvénat en Irlande, ce qui devait justement être regardé comme un honneur pour la jeune province d'Australie. Il leur parla des incidents de notre voyage, de la dévotion de la Société pour Marie, des progrès de la cause du Vénéré Fondateur et des faveurs déjà obtenues par son intercession. Toutes ces choses intéressèrent vivement nos bons Frères.

Pour terminer la séance, je distribuai à chacun une image du P. Champagnat ; ensuite nous nous rendîmes au réfectoire, où des agapes fraternelles terminèrent cette heureuse journée.

 Vendredi, 8 décembre. Fête de l'Immaculée-Conception. Les Frères, venus de France avec nous, s'embarquent pour leur destination, la Nouvelle-Calédonie, à l'exception du C. F. Marie-Lin, qui est nommé pour Sainte-Marie, à Sydney.

Ce même jour, nous assistons à la bénédiction d'une grotte en l'honneur de Notre-Darne de Lourdes, dans la cour de l'école de Parramatta. Nous y recevons, de la part des élèves, les honneurs d'un beau compliment. Monsieur le Curé, qui avait fait la cérémonie, parle à son tour avec éloges des Supérieurs, des Frères, de l'Institut et de la France, royaume de Marie.

Rentrés, dans la soirée, au collège Saint-Joseph, il nous est donné de jouir d'une magnifique illumination, qui nous rappelle celles de Lyon et de Saint-Genis.

Nous sommes obligés de remettre à plus tard la visite en détail des écoles de Sydney, afin de pouvoir assister aux retraites de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle-Calédonie, lesquelles se font en décembre et en janvier.

 Samedi, 9 décembre. Départ pour la Nouvelle-Zélande. – A une heure de l'après-midi, nous nous embarquons pour Auckland, sur le Manapourri, petit steamer comparé, à l'Australien (1.020 tonnes). La mer est tout à fait belle ; personne n'est malade. Nous faisons 300 milles par jour, et nous pensons arriver mercredi dans la soi­rée.

En sortant de Sydney, nous avons pu admirer le port Jackson, peut-être le plus beau du monde, avec une baie splendide, sur les bords de laquelle est bâtie, en amphithéâtre, la ville même de Sydney. Cette baie est coupée d'un grand nombre d'anses, formant autant de bassins naturels que sillonnent des centaines de navires de toutes formes et de toutes nations. 

X

 NOTICE SUR LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

La Nouvelle-Zélande comprend un groupe d'îles situées dans l'océan Pacifique, à 1.200 milles à l'est de l'Australie. Les deux plus grandes sont séparées par le détroit de Cook ; elles s'étendent du 34e au 47e degré de latitude sud, ce qui leur donne environ 13 degrés, et plus de 780 milles de longueur. Elles n'ont dans leur plus grande largeur, que 150 milles. Une pareille étendue de territoire, traversant 13 degrés de latitude, la distance d'Edimbourg à Rome, doit nécessairement présenter quelques variétés de paysages et de climats.

L'aspect de la Nouvelle-Zélande ne ressemble en rien à l’Australie. Au lieu de vastes et arides plaines, de lacs salés et de plateaux couverts d'eucalyptus, nous avons ici de hautes chaînes de montagnes, des lacs d'eau douce et de nombreuses rivières, un sol riche et fertile qui n'a besoin que d'être défriché pour devenir un vaste pays d'agriculture, capable de suffire à une immense population.

La Nouvelle-Zélande fut découverte en 1642, par le fameux navigateur hollandais, le capitaine Tasman. Quelques hommes de son équipage y furent massacrés par les indigènes. En 1769, le capitaine Cook, visita ces îles il put constater que les rapports faits par son prédécesseur sur la férocité des habitants n'avaient rien d'exagéré. La Nouvelle-Zélande fut déclarée possession de la couronne britannique en 1840 ; mais elle ne fut constituée en colonie qu'en 1852. Sa population actuelle se compose de 620.000 habitants d'origine européenne, et de 40.000 indigènes Maoris.

La religion catholique fut introduite en Nouvelle-Zélande au commencement de 1838, par Mgr Pompallier, Vicaire apostolique, accompagné du R. P. Servant, de la Société de Marie, et du Frère Michel, de notre Institut.

Dire ce que les missionnaires rencontrèrent de difficultés n'est pas chose possible. Un prédicant wesleyen, nommé Turner, ameuta contre eux une cinquantaine, d'indigènes, en leur disant que les prêtres catholiques et les Français étaient des idolâtres, des assassins, et que si on les laissait en Nouvelle-Zélande, le Docteur Pompallier finirait par faire lier les indigènes à des poteaux pour les brûler vifs, dans le cas où ils n'embrasseraient pas sa religion.

Les missionnaires recevaient alors l'hospitalité chez un brave catholique, nommé Thomas Poynton, lequel s'appliqua à faire comprendre aux indigènes qu'ils avaient été trompés par Turner, que l'Evêque et les prêtres venaient là pour leur faire du bien, et que lui et tous les blancs qui se trouvaient là, protégeraient l'évêqueaux dépens même de leur vie. Mgr Pompallier et le P. Servant, purent continuer leur œuvre, et d'autres missionnaires leur furent adjoints dans le courant de l'année. Depuis cette époque, la religion n'a cessé de s'accroître et de s'étendre dans la colonie.

Aujourd'hui, la Nouvelle-Zélande forme quatre diocèses; deux dans l'île du Nord: Auckland et Wellington ; et deux dans l'île du sud : Christchurch et Dunedin. Nous avons actuellement cinq Établissements dans les deux premiers diocèses, savoir : Auckland, Napier, Wanganui, Stoke et Wellington; et trois dans le diocèse de Christchurch : Christchurch, Timaru et Greymouth. 

XI

 AUCKLAND ET HAWERA.

 Mercredi, 13 décembre. – Nous débarquons à Auckland à neuf heures du soir, et nous sommes reçus par le F. Cyril, directeur, et par les Frères Jérôme, Cuthbert, Philippe-Beniti et Abban. L'établissement d'Auckland a été fondé le 17 août 1883, par les Frères Edwin, directeur, Vial, Damian et Jérôme, sur la demande de l'évêque, Mgr Luck, appuyée par une lettre du Saint-Siège.

Les classes s'ouvrirent le 7 septembre, et quatre-vingts enfants se présentèrent le premier jour; bientôt, ils étaient cent vingt, ce qui fut regardé comme un grand succès, car plusieurs s'attendaient à un échec.

Aujourd'hui, l'Établissement a cinq classes, réunissant deux cent vingt élèves. Les deux premières classes forment le High School (école supérieure) et les trois dernières, l'école paroissiale.

Lors de notre visite à Mgr l'Evêque, Sa Grandeur nous a entretenus de la nécessité d'établir une séparation complète entre le High School et l'école paroissiale, et même de fonder un pensionnat. Selon Sa Grandeur, cette école pourrait prendre un grand développement.

La difficulté, c'est que l'Institut aurait à faire beaucoup de frais. Néanmoins, un local assez convenable, à quelques minutes de la maison, a été loué pour un an, le High School y est présentement installé.

Les Frères sont autorisés à y recevoir des pensionnaires, cette année, par manière d'essai. Le loyer de cette maison est payé sur les legs du Rév. Docteur Fynes.

La ville d'Auckland est située sur la côte est d'une langue de terre qui sépare le golfe Hauraka et la baie des îles du port Manukau, sur la côte opposée. Cette ville est très pittoresque ; la beauté de ses points de vue et son site enchanteur lui ont fait donner le nom de Corinthe du Pacifique. Elle a environ 40.000 habitants, de beaux parcs et un jardin botanique. Le mont Eden, qui domine la ville, a au sommet un cratère bien conservé.

Les Petites Sœurs des Pauvres sont à Auckland. Ces saintes religieuses y ont exactement le même costume et le même esprit qu'en France. Elles sont enchantées de notre visite : elles voient si rarement des Français à Auckland ! C'est avec reconnaissance qu'elles acceptent une petite offrande que nous sommes heureux de leur remettre pour leurs vieillards.

 Jeudi, 14 décembre. – Nous partons en chemin de fer pour Onehunga, à 8 milles d'Auckland, et nous nous embarquons, vers une heure, sur le Manapua, petit steamer de 428 tonnes, qui se rend à New-Plymouth, côte ouest. Nous avons été ballottés fortement pendant cette traversée de 135 milles, qui a duré dix-sept heures.

En débarquant, le lendemain matin, à six heures, nous prenons le train pour Hawera, où le R. Père Mulvihill nous retient à dîner et nous montre un terrain près de l'église, où il se propose de nous établir un jour.

Nous repartons pour Wanganui, où nous arrivons le soir même, à cinq heures. 

XII

 WANGANUI.

 Le R. P. Kirk, Mariste, nous attend à la gare avec sa voiture. Il nous fait visiter l'école et la résidence qu'il vient de faire construire pour les Frères. L'Établissement, situé près de l'église, a trois classes contiguës ; la maison d'habitation est un modèle de bon goût pour le style et la distribution des appartements.

L'école, qui compte quatre-vingts élèves fonctionne depuis le 2 février 1894, sous la direction des Chers Frères Alfred, Colman et Mary-Edmund.

La ville de Wanganui est bâtie en bois, comme la plupart des autres villes de la Nouvelle-Zélande, à cause des tremblements de terre. Les rues sont larges, bien alignées et plantées d'arbres ; chaque maison est entourée d'un petit jardin.

Le monument qui nous a le plus intéressés est celui qui a été érigé en mémoire des braves catholiques et indigènes, tombés sur le champ de bataille, à Montoa, sous les coups des Hau-Haus, pour la défense de la loi, de l'ordre et de la religion, le 14 mai 1864.

Le nom de notre C. F. Euloge se lit, avec ceux des autres braves, sur la base de la colonne. Il était venu porter secours au P. Lampilla, qui se trouvait au milieu des combattants, et il eut la tête fendue d'un coup de casse-tête, porté par un Maori païen. Nous nous sommes mis à genoux au pied du monument, et nous avons fait une prière en mémoire de notre très cher Frère et de tous ces braves défenseurs de la cause catholique.

Wanganui serait une position centrale pour une école de Maoris, avant principalement pour but l'éducation et la formation des enfants des chefs. Cette œuvre nous a été fortement recommandée, et elle est l'objet des désirs et des vœux des Pères Maristes, et tout particulièrement des RR. PP. Cognet, Broussard, Meulu, chargés des Maoris pour le district de Wanganui et d'Otaki.

Les indigènes de la Nouvelle-Zélande sont grands, intelligents, hospitaliers, francs, généreux, et très sensibles au point d'honneur. Le nombre des chrétiens parmi eux est d'environ 10.000. Ils sont divisés en tribus; chacune a son chef, qui est respecté et obéi par tous. Leurs villages sont des huttes, souvent fortifiées par des palissades. C'est dans l'île du Nord qu'ils sont le plus nombreux.

En allant de Wanganui à Wellington, nous devions changer de train à Palmerston pour aller visiter Napier, sur la côte est ; mais nous n'avons pu le faire : les trains étaient interrompus sur cette ligne, par suite des inondations, qui ont emporté un pont du chemin de fer.

Dans ce désastre, un ministre protestant a été noyé, Le R. P. Kerrigan, Mariste, a failli subir le même sort : entraîné par le courant, avec son cheval et sa voiture, il est sauvé par un passant et voit périr son cheval. 

XIII

 ARRIVÉE A WELLINGTON.

 Samedi, 16 décembre. – Nous arrivons à Wellington à dix heures du soir. Le C. F. Mark et les autres directeurs nous attendent à la gare. Nous allons directement à la maison, où les Frères de Christchurch, Timaru et Greymouth sont déjà arrivés pour la retraite. Sur la tour de leur maison flottent les drapeaux de la France, de la Nouvelle-Zélande et de l'Irlande. Un bel arc de triomphe s'élève devant la porte d'entrée, et la grande salle est entièrement tendue de drapeaux, de bannières, de guirlandes et de lanternes vénitiennes. Partout on remarque des inscriptions de bienvenue comme les suivantes : « Vive notre bien-aimé Supérieur », « Welcome », « A happy Christmas, etc. »

Les Frères nous font la réception la plus enthousiaste. Quelle consolation et quelle joie de se trouver au milieu des siens, aux antipodes ! Quel plaisir d'embrasser des Frères que l'on voit pour la première fois et qui sont de si dignes enfants de l'Institut !

La retraite ne devant s'ouvrir que dans quatre jours, nous profitons de l'intervalle pour aller visiter l'orphelinat de Stoke, dans l'île du Sud. Nous reprenons donc le Manapua, qui nous fait traverser le détroit de Cook et nous dépose à Nelson, le 18 janvier, de bon matin. Le cher Frère Lœtus, directeur de l'orphelinat, qui est à 5 ou 6 milles de là, nous attend sur le quai. Nous allons directement à l'église entendre la sainte messe, célébrée par le R. P. Mahoney (S. M.), qui nous retient à déjeuner. 

XIV

 FRÈRE CLAUDE-MARIE.

 C'est à Nelson que le F. Claude-Marie, envoyé en Océanie par le R. P. Champagnat, a passé la plus grande partie de sa vie et qu'il a rendu sa belle âme à Dieu, le 5 novembre dernier, à l'âge de quatre-vingt-un ans. Le F. Marie, comme on l'appelait, ici, avait fait sa profession religieuse à Notre-Dame de l'Hermitage, en 1839.

Vers la fin de la même année, il s'embarqua, avec, plusieurs Pères Maristes, sur le bâtiment de l'Etat, l'Aube, qui le débarqua dans la Baie des Iles, en Nouvelle-Zélande. Il travailla pendant dix ans au milieu des Maoris, dans le Nord, et il vint à Nelson, avec le R. Père Garin, le 8 mai 1850. Ils eurent ensemble tous les embarras et les rudes épreuves des premiers temps; mais jamais le zélé missionnaire ne se découragea, et le bon Frère ne laissa échapper la moindre plainte; jamais on ne vit deux hommes plus unis que le P. Garin et son fidèle coadjuteur, le F. Marie. Pendant plus de quarante-trois ans, ce bon Frère resta à Nelson, attaché au P. Garin. Il ne s'en sépara que pendant deux ans, qu'il voulut passer avec nos Frères de Napier. Mais il ne put s'habituer à vivre loin de son cher Père, auquel il croyait ses services nécessaires; il ne fut tranquille que lorsqu'il l'eut rejoint.

Sa piété et son zèle pour la religion étaient remarquables. Tous les jours de sa vie, on le voyait de grand matin dans l'église, prosterné devant l'autel, faire sa prière et sa méditation, puis préparer les ornements pour la messe.

Son zèle pour catéchiser les petits enfants ne s'est jamais ralenti, et dans ses vieux jours, il se plaisait encore à conduire les jeunes gens sur la montagne, et à leur raconter les histoires qu'il avait apprises dans son jeune âge.

Ce bon Frère Marie désirait ardemment l'arrivée du R. F. Supérieur; il se faisait d'avance un plaisir bien grand et une douce consolation, avant de mourir, de voir, de saluer le premier Supérieur de l'Institut et de recevoir sa bénédiction. Le bon Dieu en a jugé autrement en rappelant à lui, le 5 novembre dernier ce vénérable vétéran des Missions, et en augmentant encore ses mérites par ce dernier sacrifice. Sa mort, comme sa vie, a été sainte et remplie de consolations. On lui fit d'honorables funérailles, auxquelles prirent part un grand nombre d'amis et de connaissances. Six de ses anciens élèves portaient le cercueil, et les cordons étaient tenus par quatre Frères de l'orphelinat Sainte-Marie.

Le P. Garin l'avait précédé de deux ans dans la tombe. Ce dut être pour ces deux amis une grande joie de se retrouver dans le séjour des éternelles récompenses. 

XV

 STOKE.

 L'orphelinat Sainte-Marie, à Stoke, se présente à nous orné de drapeaux, de bannières, de guirlandes et d'inscriptions de bienvenue. On dirait que tous nos bons Frères se sont donné le mot pour accueillir partout triomphalement leur Supérieur.

Les enfants, au nombre de cent quatre-vingt-quatre, nous acclament avec enthousiasme; ils se rendent ensuite dans la grande salle où l'un des élèves nous lit un compliment, artistement encadré dans un tableau orné d'une grande variété de fougères, la plante indigène par excellence. Les chants sont exécutés avec un ensemble et une perfection plus qu'ordinaires. Il nous a été bien agréable de pouvoir féliciter ces chers enfants de leur bonne tenue et des beaux sentiments qu'ils nous ont exprimés.

Dans l'après-midi, a lieu un petit examen. Les enfants répondent d'une manière satisfaisante sur les différentes matières de l'enseignement et sur la religion. Ils récitent le chapelet avec beaucoup d'ensemble, ils nous édifient par leur piété et leur bonne tenue et ils écoutent attentivement une instruction sur la sainte Vierge, qui termine cette intéressante journée.

 Mardi, 19 décembre. – Nous voyons les enfants dans leurs ateliers et les travaux des champs. La ferme de Stoke contient 355 acres de terre (150 hectares) ; la plus grande partie est en brousse et en pâturages sur des ravins ; le bas de la vallée est cultivé. La ferme a un troupeau de 400 moutons, des chevaux, des vaches et une basse-cour nombreuse.

Les constructions sont insuffisantes pour le personnel qu'elles abritent ; il est absolument nécessaire d'y faire des agrandissements pour chapelle, dortoirs, ateliers, buanderie, etc.

Le gouvernement donne une subvention d'un shilling (1 fr. 25) par jour et par élève.

Quelques enfants sont défrayés par des comités locaux. Le R. P. Mahoney (S. M.), curé de Nelson, est le fondateur et l'administrateur officiel de l'orphelinat. Le R. P. Laudouard (S. M.) est l'aumônier de l'Établissement. L'orphelinat a présentement à payer l'intérêt d'une dette qui s'élève à 5.500 livres (137.500 fr.), soit un intérêt annuel de 350 livres (8.750 fr.).

Nous avons bon espoir que les Frères arriveront, par leurs économies, à diminuer ces charges ; nous apprenons qu'un legs de 500 livres vient d'être fait à l'orphelinat.

L'établissement de Stoke a été fondé le 1ier janvier 1890, par le C. F. Cyril. Huit Frères y sont aujourd'hui employés. 

XVI

 WELLINGTON.

 Mercredi, 20 décembre. – Nous sommes de retour à Wellington vers les trois heures de l'après-midi. Tous les Frères de la Nouvelle-Zélande, au nombre de trente-six, se réunissent dans la salle des exercices pour nous offrir un magnifique compliment, richement enluminé et encadré : c'est toute une série de palmes, de fougères et autres spécimens de la belle flore de la Nouvelle-Zélande, avec les vues photographiques des Établissements des Frères d'Auckland, Napier, Wellington, Christchurch, Timaru, Greymouth et Stoke. Aux angles du cadre, on voit différents paysages de la Nouvelle-Zélande. Dans la partie supérieure, au centre, est une belle image de la Sainte Vierge, à l'aquarelle, avec le portrait du Révérend Frère Supérieur d'un côté, et celui du Cher Frère Assistant de l'autre. La bordure inférieure contient le portrait du R. P. Champagnat, enfermé dans le monogramme de l'Institut. Le cadre lui-même est une œuvre d'art d'un ébéniste distingué d'Auckland; il est fait de différents bois de la colonie, dont plus de quarante variétés sont artistement incrustées et arrangées de manière à former un travail très curieux et un digne souvenir de notre visite dans la colonie.

Ce magnifique tableau est accompagné d'une collection de vues de la Nouvelle-Zélande, d'un herbier à peu près complet des fougères de la colonie, de plusieurs objets venant des Maoris, de pièces d'ébénisterie, d'un guéridon et d'un bureau incrustés des bois du pays.

Tous ces objets ont été offerts par les élèves ou leurs parents, à qui nos Frères sont priés d'exprimer toute notre gratitude.

On lira avec intérêt, je n'en doute pas, la traduction du compliment de nos Frères de la Nouvelle-Zélande, lequel exprime si bien leurs sentiments d'affection, de dévouement et de piété.

 Cher et Révérend Frère Supérieur,

Nous sommes heureux, trois fois heureux, de vous recevoir au milieu de nous. La parole ne suffit pas pour exprimer le prix qui s'attache à l'événement de ce jour; car lorsque l'affection filiale et la reconnaissance du cœur débordent, notre langue ne peut que faiblement exprimer à votre paternité nos sentiments d'amour, de joie et de gratitude, en ce premier instant de votre présence au milieu de vos joyeux enfants de la Nouvelle-Zélande.

Bien longtemps, nous avons soupiré après le bonheur de vous voir, bonheur dont nous jouissons aujourd'hui, le plus grand nombre parmi nous, pour la première fois. En retour, que pouvons-nous faire pour une telle faveur, et pour la peine et les fatigues que vous vous êtes imposées pour venir jusqu'à nous en traversant la moitié du globe?

Nous ne pouvons rien de plus; nous sommes déjà tout à votre service. La distance et la séparation ne sauraient restreindre notre zèle et notre ardeur dans l’œuvre qui nous est si chère. Et dans notre Mission, nous sommes heureux de rivaliser ici, aux antipodes, avec nos Frères de France, qui sont plus favorisés que nous, qui travaillent à l'ombre de votre présence, qui combattent vaillamment au milieu des luttes suscitées contre la Société, et qui vivent dans des lieux sanctifiés par la vie et les travaux de notre saint et vénéré Fondateur, dont la cause de béatification, introduite à Rome, fera votre gloire. Puissiez-vous vivre pour le voir élevé sur nos autels !

Il nous est agréable de penser que le développement de notre Province australienne vous a fait un grand plaisir, et nous avons la confiance que ce que vous avez déjà vu à Sydney vous a causé une bien grande satisfaction. Là, il y a quelque vingt ans, le C. F. Ludovic semait le grain de sénevé qui, par ses soins vigilants et son zèle éclairé, prit promptement racine et grandit. L'arbre, d'abord frêle, devint fort et vigoureux, et, dès ses premières années, s'étendit au loin; puis il passa sous la garde du bien regretté F. John qui se dévoua à son développement avec son grand tact, son expérience consommée et son infatigable énergie, jusqu'àce que ses racines se soient profondément enfoncées, et que ses branches se soient étendues au-delà des mers du Sud, en donnant aux enfants de la Nouvelle-Calédonie, de Fidji et de Samoa, son ombre bénigne et bienfaisante, pour les arracher au paganisme et leur apprendre à connaître et à aimer le vrai Dieu.

Une autre de ses branches s'est étendue sur la Nouvelle-Zélande, où elle a trouvé un sol convenable et fécond, comme l'attestent votre présence ici en ce jour, l'orphelinat et les écoles florissantes confiés à nos soins, et les nombreux et dévoués sujets qui sont aujourd'hui dans nos rangs, et dont le nombre s'augmente de jour en jour par le zèle constant de notre digne Provincial, F. Félix. Mais, quelque grands que soient nos progrès dans ces colonies, ce n'est qu'une fraction dans le merveilleux développement de notre Institut, sous la sage, vigoureuse et prévoyante administration de votre généralat.

Votre zèle apostolique vous a fait jeter les yeux sur les terres les plus lointaines, pour y établir vos disciples et la bannière de Marie. Vos Frères étendent leur action sur toutes les parties du monde connu, et leur dévouement embrasse aujourd'hui le Canada, les villes populeuses de la grande République américaine, les plateaux des Andes, les bords du Bosphore et de la Baltique, le littoral de l'Afrique et les millions de païens de la Chine.

Puissiez-vous conserver votre santé et votre énergie pour continuer, longtemps encore, la grande œuvre à laquelle vous avez voué vos années, vos connaissances et votre habileté !

Nous offrons aussi nos souhaits et nos hommages à notre digne Assistant, F. Procope, qui, pendant plus de vingt ans, a été le sage, l'habile et l'infatigable représentant de l'autorité parmi nous. Sa bonté et sa judicieuse direction, nous sommes heureux de le reconnaître, ont aidé puissamment au développement de cette province, qui aujourd'hui cause tant de joie à notre Supérieur Général.

Nous vous remercions de nouveau de votre Visite, en exprimant encore toute la joie et le bonheur que nous éprouvons de vous posséder au milieu de nous.

Vos enfants dévoués et obéissants,

        Les Frères de Nouvelle-Zélande.

 Le Frère Directeur de Christchurch, après avoir lu ce trop élogieux compliment, au nom de tous ses confrères, met sous nos yeux les présents préparés par les Frères de la Nouvelle-Zélande, en témoignage de leur filiale affection et en souvenir de notre visite. Il nous prie de servir d'intermédiaire pour les porter à leurs confrères d'Europe, comme gage de leur cordiale union avec eux dans les liens de la fraternelle affection qui doit animer toujours les vrais enfants du Père Champagnat, dans quelques parties du monde qu'ils se trouvent.

Dans la soirée, les jeunes gens de la Confrérie du Sacré-Cœur, tous anciens élèves des Frères, voulant aussi être de la fête, donnent une séance en notre honneur.

Le Révérend Vicaire Général, le Provincial des Pères Maristes, les Pères Maristes, le clergé des deux paroisses et le Recteur du collège Saint-Patrick assistaient à cette belle réunion de famille.

Le programme de la soirée consistait en morceaux de débit, de chant et de musique instrumentale.

Un des anciens élèves, M. S. Ross, nous lut en anglais le compliment qui suit :

      Révérend Frère Supérieur Général,

C'est avec le plus grand bonheur que nous, les anciens élèves des écoles des Frères Maristes, avons appris la visite, dans notre ville de Wellington, d'un personnage aussi éminent que le Supérieur Général de l'Institut des Frères Maristes. C'est pour nous un honneur tout particulier d'avoir le privilège d'être ici présents, pour vous souhaiter très cordialement la bienvenue en Nouvelle-Zélande. Nous ne saurions laisser passer une occasion si favorable, sans vous exprimer, Cher Frère Supérieur Général, notre plus cordiale gratitude envers les bons Frères que vous nous avez donnés, et qui dépensent si noblement leur vie au service du Grand Maître, et marchent en toute vérité sur ses traces, non seulement par l'enseignement de sa doctrine, mais encore par l'humilité et la pureté de leur vie.

Nous ne doutons pas que votre cœur paternel ne se réjouisse en apprenant que c'est sous l'heureuse influence de leur enseignement et de leurs bons exemples, qu'il y a seize ans, nous est venue la première inspiration de nous former en Société, sous la bannière du Sacré Cœur de Celui qui fait ses délices d'être au milieu des enfants des hommes, et en qui ils trouvent la voie, la vérité, et la vie.

Les biens spirituels que nous recevons ici nous remplissent le cœur de reconnaissance envers le chef de l'Ordre des Maristes, qui a été pour nous l'instrument providentiel des bénédictions divines.

Nous avons la plus grande confiance que la mission que vous avez entreprise sera pour vous pleine de satisfactions, et que Marie, l'Etoile de la Mer, vous accompagnera, vous protégera dans tout le reste de votre long voyage, et que vous vous rappellerez avec plaisir, de temps en temps, les quelques jours que vous avez passés ici, dans la Bretagne du Sud.

Nous avons l'honneur d'être, avec un profond respect, Révérend Frère Supérieur,

Vos très humbles serviteurs,

          Les Anciens Elèves des Frères Maristes.

 Le R. P. Devoy, Vicaire général, prit ensuite la parole au nom de l'Archevêque et du clergé, pour nous souhaiter la bienvenue dans le diocèse de Wellington. Il témoigna trouver un plaisir tout particulier à affirmer publiquement, devant le Révérend Frère Supérieur Général, que les Frères Maristes étaient la consolation du clergé et l'édification des populations par leur fidélité exemplaire à leurs Règles, par leur dévouement et leurs succès dans les écoles qui leur sont confiées. Il voyait avec bonheur le vaste champ offert à leur zèle s'étendre de plus en plus, et il avait tout lieu de croire que le développement extraordinaire que la Société avait pris sur d'autres continents, S'étendrait aussi sur cette colonie. Il ajouta qu'il était fier des jeunes gens de Wellington, qui s'étaient si bien acquittés de leur démonstration en l'honneur du Vénérable Supérieur Général.

Le C. F. Procope exprime alors en anglais, et en excellents termes, nos sincères remerciements pour la démonstration d'estime dont nous venions d'être honorés de la part des jeunes gens de Wellington, et pour la manière si flatteuse dont ils avaient parlé concernant la mission des Frères au milieu d'eux. Il termine en leur donnant quelques conseils pratiques et en les invitant à agir toujours de concert avec les Frères et le clergé, pour l'avancement des bonnes œuvres dans la paroisse.

 Du 21 au 28 décembre. – Retraite annuelle, prêchée par le R. P. Byrne, lazariste. Elle s'est faite selon les usages de la Congrégation, et comme dans nos Maisons provinciales de France: même règlement, même recueillement, même empressement à faire le Chemin de la Croix, à multiplier les visites au Saint Sacrement et même application à bien dire les prières. A la clôture, cinq Frères ont fait leur profession et cinq autres ont émis le vœu d'obéissance. L'archevêque de Wellington, Mgr Redwood, voulut bien présider lui-même la cérémonie. Sa Grandeur nous a fait entendre, avec sa voix éloquente, un discours d'un grand enseignement sur la profession religieuse, qu'il a comparée au sacrifice du Calvaire.

En voici le résumé, d'après mémoire

        Mes Chers Frères,

Vous savez que les Apôtres avaient tout quitté pour suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ et que saint Pierre, considérant le sacrifice qu'ils avaient fait demanda quelle serait leur récompense. Notre divin Sauveur lui répondit : « Pour vous qui avec tout quitté : père, mère, maison et toutes choses pour me suivre, vous aurez le centuple en ce monde et la vie éternelle dans l'autre ». Ces paroles de la divine Vérité contiennent l'éloge de l'état religieux et les promesses de Dieu en faveur de ceux qui l'ont embrassé. En effet, Notre-Seigneur leur promet une plus grande récompense, une récompense supérieure à toute récompense humaine ; non seulement le centuple de grâces, de bénédictions et de mérites ici-bas, mais la possession éternelle du bonheur du ciel.

Il résulte de ces paroles qu'il y a deux sortes de vies approuvées par Jésus-Christ : celle qui consiste à garder les dix commandements de Dieu, par laquelle on opère le salut de son âme, et celle d'un état supérieur qui comprend non seulement l'observation des préceptes, mais aussi la pratique des conseils évangéliques.

Un jour, un jeune homme demanda à Notre-Seigneur ce qu'il devait faire pour acquérir la vie éternelle. Le divin Maître lui répondit: « Gardez les commandements ». – Je les ai observés depuis ma jeunesse, répliqua le jeune homme. — A cette parole, Notre-Seigneur, fixant sur lui un regard d'amour, lui dit : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez-moi ». Il l'invitait ainsi à faire le sacrifice des biens de la terre pour le suivre dans la voie de la perfection. C'est un exemple frappant de l'appel à la vie religieuse, ou à une vie plus parfaite que celle exigée des personnes qui observent simplement les commandements.

La vie religieuse, avec le vœu de Pauvreté, qui est le sacrifice des biens, des honneurs et des parents; avec le vœux d'Obéissance à la voix de Jésus-Christ, représenté par notre supérieure et avec le vœu de Chasteté, qui oblige et aide à mener une vie semblable à celle des anges de Dieu, est l'état de perfection auquel Dieu vous a appelés. Quelle grande grâce ! quel glorieux privilège d'avoir été choisis, de préférence à tant d'autres, pour sacrifier les honneurs du monde et les richesses de la terre ! Vous avez compris cet appel et vous avez pris sur vous le joug très doux de Jésus-Christ, qui vous a placés dans sa famille de prédilection, parmi l'élite des nations.

Le grand jour, tant désiré par vous, est enfin arrivé, maintenant que vous venez consommer l'acte d'entier renoncement et de sacrifice, en vous immolant comme un holocauste, comme une victime sur l'autel de l'Obéissance, et en prononçant les vœux de religion !

Les auteurs ascétiques parlent des nombreuses bénédictions et des grâces signalées qui tombent sur les religieux appelés à une aussi sublime vocation. Vous avez été retirés du monde et de ses entraînements, placés au milieu d'une famille privilégiée et préservés de nombreux et grands dangers. L'acte qui va couronner cette sublime vocation, c'est la belle et solennelle cérémonie à laquelle vous allez prendre part aujourd'hui ; c'est cette belle offrande à Jésus-Christ, dans laquelle les saints trouvent une si merveilleuse ressemblance avec le sacrifice du Calvaire.

Sur le Calvaire, Jésus-Christ était à la fois prêtre et victime. Les bourreaux n'auraient jamais pu séparer son âme de son corps et achever le sacrifice sans son consentement. Le dernier coup qui consomma ce sacrifice fut un acte de la volonté divine.

Le religieux est également à la fois prêtre et victime. En effet, le Vœu est un acte de volonté libre. Personne ne peut le faire pour vous. Par cet acte, vous prenez vous-même virtuellement l'épée et vous percez la victime. Vous complétez ainsi le sacrifice de vous-mêmes. Vous êtes la victime aussi bien que le prêtre.

Votre vie est un sacrifice continuel : vous sacrifiez les richesses, les plaisirs des sens et, par-dessus tout, la volonté, qui sont les trois grands obstacles à notre union avec Dieu. Vous vous délivrez une fois pour toutes de tous ces obstacles et vous donnez vos biens, vos talents, votre vie, tout vous-mêmes en vous offrant à Jésus-Christ.

Sur le Calvaire, notre divin Sauveur était la victime la plus précieuse et la plus agréable à Dieu, le Fils vierge de la Vierge Mère, infiniment grand et saint, dont le corps et l'âme sont le chef-d’œuvre de la création.

Le religieux est également une victime des plus précieuses, qui sacrifie non seulement ses biens matériels, mais encore ses biens intellectuels et jusqu'à la reine de ses facultés, sa propre volonté, l'homme tout entier, supérieur à lui seul, à tout le reste de la création.

La Victime du Calvaire est une victime universelle, qui embrasse toute la création; car dans le corps de Notre-Seigneur sont résumés les trois règnes de la nature. Il offre donc tout cela, avec son âme spirituelle et toutes ses perfections intellectuelles.

Le sacrifice du religieux revêt le même caractère d'universalité ; car il offre à Dieu ses sens et ses facultés et tout ce qu'il lui est possible d'offrir.

Le sacrifice de Jésus-Christ est universel dans ses effets. Le vôtre est riche de bienfaits solides et permanents pour la société, pour la famille, pour l'Eglise et pour les individus. A l'Eglise, vous fournissez une armée d'auxiliaires pour l'aider dans sa mission divine auprès des agneaux de son troupeau. Les ordres enseignants sont des leviers d'une puissance extraordinaire pour le bien de la société. Vous êtes des victimes sacrifiées à la cause de l'éducation, cette œuvre d'une si haute importance dans les temps actuels. Oui, en consacrant votre vie et votre énergie à cette noble et magnifique cause, vous pratiquez au plus haut degré la charité envers Dieu et envers le prochain. Vous formez et vous nourrissez des plantes qui doivent porter des fruits d'un grand prix.

Dans votre sublime vocation, dans votre belle mission, vous produisez des effets merveilleux et durables sur l'esprit des enfants que vous enseignez ; et, à leur tour, ils communiqueront à d'autres les vérités que vous leur inculquez. C'est ainsi que vous êtes des instruments d'un bien incalculable pour la société.

Maintenant, l'acte que vous allez accomplir, en faisant ou en renouvelant vos vœux, est un de ceux dont je vous félicite sincèrement. D'après quelques théologiens, la profession religieuse, faite avec ferveur, peut avoir les effets d'un second baptême. Dans leur opinion, cet acte est si méritoire qu'il peut, en certains cas, remettre toutes les peines temporelles dues au péché.

Il dépend présentement de vous-mêmes d'accomplir cet acte avec toute la ferveur possible. Reconnaissez donc avec humilité et gratitude, combien vous êtes redevables au Sacré Cœur de Jésus, qui vous a appelés dans la famille privilégiée de sa bienheureuse Mère, sous l'aimable protection de laquelle vous pouvez obtenir tout le secours nécessaire pour remplir les engagements solennels que vous allez contracter.

 Puissent cette instruction et cette belle cérémonie, sur laquelle nous ne pouvons nous étendre plus longtemps, laisser dans le cœur de nos chers retraitants de profonds et salutaires souvenirs !

Wellington, capitale de la Nouvelle-Zélande, et siège du gouvernement, est située sur le Port Nicholson, à peu près au centre de la colonie. Elle communique par chemin de fer avec New-Plymouth, à 180 milles sur la côte ouest, et avec Napier, à 200 milles sur la côte est de la même Île.

Cette ville n'a guère que cinquante ans d'existence. Aujourd'hui, sa population dépasse 30.000 âmes. Dès les premières années de sa fondation, elle fut très éprouvée par les tremblements de terre, ce qui explique pourquoi elle est presque entièrement bâtie en bois.

Elle possède une belle cathédrale, aussi en bois, et surmontée d'une statue de la sainte Vierge. On raconte que Mgr Viard, qui la fit bâtir, rassura la population en lui promettant qu'une fois la statue placée sur la cathédrale, la ville serait préservée des grands tremblements de terre. C'est ce que l'on a pu constater jusqu'à ce jour. Les protestants eux-mêmes reconnaissent cette protection de Marie sur la ville.

Wellington est lesiège de l'archevêché, et Mgr Redwood est le premier archevêque de la Nouvelle-Zélande. Il a pour suffragants les évêques d'Auckland, de Christchurch et de Dunedin.

C'est Sa Grâce qui nous a appelés en Nouvelle-Zélande en 1876. Le premier directeur fut le C. F. Sigismond, et les Frères furent installés par le C. F. John, provincial. A leur arrivée à Wellington, Mgr Redwood, alors en tournée dans son diocèse, leur envoya un télégramme de Welcome (bienvenue). Le dimanche suivant le R. P. Petitjean fit son instruction sur la mission des Frères et on chanta un Te Deum à l'occasion de leur installation. Mgr Redwood, de retour à Wellington quelques jours après, célébra la messe pontificalement et, dans son discours, il parla de l'arrivée des Frères comme d'un grand événement dans son diocèse. Il convoqua une réunion de catholiques à l'effet d'examiner les moyens pour bâtir une école centrale et une résidence pour les Frères.

Aujourd'hui, l'Établissement compte cinq Frères et deux cent soixante-dix élèves.

Le premier postulant de la Nouvelle-Zélande, aujourd'hui F. Kévin, fut envoyé à Sydney, le 31 juin 1876. Le petit bateau qui le transporta fut tellement battu par la tempête qu'il mit trois semaines pour se rendre à Sydney.

Nous avons le regret de n'avoir pu visiter nos Etablissements de Napier, de Christchurch, de Timaru et de Greymouth, à cause des pluies, des inondations et des difficultés de communications, soit par terre, soit par mer. 

NAPIER.

 Napier, chef-lieu de Hawe-Bay, est bâtie en amphithéâtre sur une péninsule appelée Scinde-Island, au fond de la baie de Hawke. La ville a 8.000 habitants; elle est à 370 milles au sud-est d'Auckland, et elle est reliée par un chemin de fer avec Wellington, dont elle est éloignée de 200 milles. La plaine au sud est très fertile, et tout le district est riche en pâturages pour l'élevage des moutons.

L'Établissement a été fondé, en juillet 1878, par le F. Papinien, directeur, à la demande du R. P. Forest, qui avait vécu à l'Hermitage avec le R. P. Champagnat. Il y a actuellement trois Frères, qui donnent l'instruction à cent cinquante élèves. 

CHRISTCHURCH.

 C'est la principale ville dans le district de Canterburg, sise au milieu d'une plaine très fertile. La ville a 35.000 habitants; mais, en y comprenant les faubourgs dans un rayon de 8 milles, on trouve une population de 50 à 60.000 habitants. Les rues et les maisons ont une apparence très confortable. Elle est à 8 milles de la mer, dont elle est séparée par des monts élevés. Un chemin de fer la relie avec le port de Lyttleton au moyen d'un tunnel : il s'y fait un grand trafic.

C'est le siège d'un évêché occupé aujourd'hui par Mgr Grimes (S. M.).

L'Etablissement, fondé sur la demande de Sa Grandeur, a cinq Frères et compte trois cent vingt élèves. Il a été ouvert par le F. Joseph, directeur, le 13 février 1888. 

TIMARU.

 Timaru est à 100 milles au sud-ouest de Christchurch, et sur le chemin de fer qui relie cette ville à Dunedin. Sa populationest de 4.000 habitants. On y voit des fabriques pour le tissage de la laine et pour la congélation des viandes d'exportation.

L'école a été ouverte par le F. Alfred, directeur, au mois d'octobre 1891. Elle réunit 150 élèves. Le personnel est de trois Frères, qui ont un traitement de soixante livres chacun. 

GREYMOUTH.

 Greymouth est sur la côte ouest, et à 190 milles de Nelson. Sa population est de 3.500 habitants. Il y a des mines de charbon dans le voisinage.

L'Établissement de Greymouth, a été fondé en juillet 1892, par le F. Charles, directeur, assisté de deux Frères. Ils réunissent dans leurs classes quatre-vingt-dix élèves. 

XVII

 RETOUR A SYDNEY.

 Vendredi, 28 décembre. — Nous nous embarquons à Wellington, sur le Tarawera, pour retourner à Sydney. Le voyage, d'une durée de quatre jours, est des plus agréables. Nous emmenons trois Juvénistes, élèves de nos Frères de Christchurch et de Wellington. Ils quittent leurs parents et leur pays avec un courage héroïque pour venir se consacrer au service de Dieu, sous la bannière de Marie, dans notre chère Congrégation.

 Dimanche, 31 décembre, veille du jour de l'an à bord. – Les passagers, protestants pour la plupart, ont leur service religieux à onze heures du matin et à huit heures du soir, ainsi que cela se pratique généralement sur les bateaux anglais. A défaut de ministre, ils avaient pensé à nous pour présider leur réunion ; mais sur la réflexion d'un catholique que nous étions des religieux et que leur demande ne serait pas reçue, ils s'abstinrent de la démarche projetée. Quant à nous, pour remplacer la sainte messe, nous faisons le chemin de la Croix.

A quatre heures du soir, nous nous réunissons dans notre cabine pour les souhaits de bonne année. Les trois Juvénistes, au nom de leurs futurs compagnons de Sydney et de tous les Juvénistes d'Europe et des Colonies, nous font un petit compliment. Le Frère Assistant et le Frère Provincial, au nom du Régime et de toutes les Provinces, joignent leurs vœux les plus ardents à ceux des Juvénistes. Il y a quelque chose de bien touchant dans cette petite cérémonie accomplie en famille, en pleine mer : elle nous rappelle Saint-Genis-Laval et tous nos parents et confrères d'Europe.

           Nous nous félicitons d'être les premiers, cette année, à faire de semblables souhaits; car ici, aux antipodes, nous sommes en avance de douze heures sur Paris. Ainsi, le dimanche 31 décembre, lorsqu'il était quatre heures du soir en Nouvelle-Zélande, il n'était que quatre heures du matin en France.

A minuit juste, la nouvelle année est annoncée par une sonnerie de tocsin, comme si le bateau était en feu.

Le lendemain matin, tout le monde se souhaite mutuellement la bonne année.

 Mardi, 2 janvier 1894. – Nous arrivons heureusement à Sydney et nous surprenons nos Frères du collège Saint-Joseph, qui ne nous attendaient pas sitôt. Nous passons la semaine à Hunter's Hill, en attendant le départ du bateau pour la Nouvelle-Calédonie. 

XVIII

 NOUVELLE-CALÉDONIE.

 Lundi, 8 janvier. – Nous nous embarquons sur la Ville-de-la-Ciotat, bateau des Messageries maritimes. Ce magnifique paquebot de 6.000 tonnes ne met que trois jours pour nous conduire à Nouméa, où nous arrivons le jeudi Il janvier, à quatre heures du soir.

La Nouvelle-Calédonie apparaît d'abord comme une chaîne de montagnes bleues; puis on aperçoit la végétation et les grands récifs : ce sont des bancs de corail à fleur d'eau, qui entourent l'île presque entièrement, à des distances variées de plusieurs milles. En face de Nouméa, les récifs sont à 12 milles de la terre. On entre dans le port par deux passes étroites, qui sont indiquées par des phares et des bouées.

 Cette île occupe une étendue importante ; elle est la plus considérable de l'Océan Pacifique, après la Nouvelle-Zélande. L'aspect général de l'île est montagneux; l'intérieur l'est plus que le littoral. Sa longueur est de 400 kilomètres sur une largeur moyenne de 50. Elle fut découverte le 4 septembre 1774, par le célèbre capitaine Cook. La France en a pris possession, ainsi que de l'île des Pins et des îles Loyalty, en 1853.

Depuis lors, cette partie de l'Océanie est une colonie française, occupée comme lieu de déportation et Comme station militaire.

La Nouvelle-Calédonie possède un climat très sain, un sol fertile, de riches pâturages, des mines de cobalt, de fer, de nickel, etc., et un port magnifique, qui la met en communication avec l'Inde, la Chine, l'Australie et l'Amérique.

La salubrité de cette contrée est attribuée en partie à l'abondance d'un arbre, le niaouli, qui remplit le rôle de l'eucalyptus en Australie. Le pays, essentiellement accidenté, est de formation très ancienne. Les vallées sont fertiles, mais très resserrées, avec des pentes de 30 à 35 degrés, encaissant tantôt de simples filets d'eau, tantôt des torrents considérables.

La population indigène, appelée communément canaque, est supérieure à celle des Nouvelles-Hébrides ; mais elle ne s'élève pas au-dessus de 40.000 habitants. Les canaques vivent par tribus ou villages, sous les ordres de chefs qui jouissent d'un très grand pouvoir sur leurs sujets. Ils sont forts, bien bâtis, indépendants, mais paresseux. D'ailleurs, peu leur suffit pour vivre, et la Providence le leur donne sans presque exiger de travail. Ils se nourrissent d'ignames  de taros, de bananes, de cannes à sucre et de poissons. Ils habitent dans des cases qui ressemblent à des ruches. Elles n'ont qu'une petite entrée rectangulaire assez haute pour admettre un homme courbé. Les murs de ces cases ont environ 1 m. 20 de hauteur, mais le toit, surtout dans les cases des chefs, est très élevé; il a la forme d'un immense pain de sucre dont la pointe est surmontée d'un morceau de bois généralement orné, de figures et de coquilles. Les armes des canaques sont la fronde, le casse-tête et la sagaie, au maniement desquels ils s'exercent journellement.

Les cultures les plus répandues dans la colonie sont celles des haricots, du maïs, du manioc, de la canne à sucre et du café. On espère que plus tard la vigne y produira du bon vin. 

XIX

 NOUMEA.

 Nouméa est le chef-lieu de la Calédonie le siège du gouvernement et des administrations. Nous y avons eu tout un monde officiel à visiter : l'évêque, Mgr Fraysse (S. M.) et les Pères Maristes, qui font seuls le service religieux de la colonie; le gouverneur, M. Picquier, qui fait l'intérim en attendant M. Pardon; le directeur de l'Intérieur, M. Gauharon; M. Vérignon, directeur du service pénitentiaire, qui était malade et à qui j'ai promis le secours de nos prières. Tous ces messieurs nous témoignent beaucoup d'intérêt et de bienveillance. Ils nous sont évidemment sympathiques, et ils nous secondent pour le développement de nos œuvres dans la colonie ; mais malheureusement, ils ont souvent les mains liées par d'autres influences, parfois hostiles à la religion et à tout bien, même aux vrais intérêts de la colonie.

Notre Établissement de Nouméa date de 1873. M. le gouverneur La Richerie avait fait à Paris la demande des Frères de Ploërmel qu'il avait connus à Tahiti[3], pour leur confier les écoles de la colonie. M. Benoist d'Azy, directeur des Colonies, qui nous avait établis à Saint-Bénin-d'Azy (Nièvre), nous offrit cette fondation, appréciant que les Frères Maristes et les Pères Maristes ne manqueraient pas de bien s'entendre.

Les C. F. Louis-Antonio, Henricus, Théobald et Félix furent choisis pour cette Mission. Ils partirent de Brest, sur le Calvados, le 5 mai 1873, et arrivèrent à Nouméa le 27 septembre. Le Gouverneur les accueillit froidement ; rien n'était prêt pour les recevoir. Après un mois d'attente qu'ils passèrent avec les Pères, ils furent logés dans un local malsain et insuffisant.

L'école s'ouvrit enfin avec quatre-vingts élèves bientôt elle en compta une centaine. Les Frères surent si bien gagner l'estime du publie et l'affection de leurs élèves, qu'ils ne tardèrent pas à avoir les enfants de ceux mêmes qui leur étaient le plus opposés.

L'arrivée de l'amiral de Pritzbuer, en février 1875, amena une amélioration sensible dans la situation des Frères. Il fit construire un vaste local dans lequel on transféra les classes. Les Frères y ouvrirent aussi un cours d'adultes, qui fut fréquenté par quatre-vingts à cent jeunes gens pendant deux ans. L'insurrection des canaques amena la mobilisation de ces jeunes gens et la fermeture du cours. Alors fut approuvée la création d'un orphelinat dans ce nouveau local, le 23 juillet 1877.

La Commission de secours aux victimes de l'insurrection admit dix-huit enfants qu'elle confia à l'orphelinat. Bientôt après, on leur adjoignit quelques élèves pensionnaires.

Les francs-maçons, jaloux de la prospérité de cette institution, firent si bien dans leurs journaux et dans leurs réunions, qu'ils amenèrent sa ruine.

 On commença par l'école publique : le conseil municipal en décida la laïcisation, le 13 janvier 1875.

M. le gouverneur Courbet, qui avait remplacé M. de Pritzbuer, maintint les Frères dans le même local jusqu'à la fin de 1882. Ce local est occupé aujourd'hui par le collège et l'école communale.

Après cette laïcisation, un Comité se forma pour le maintien des écoles libres des Frères et des Sœurs. Il fonctionna jusqu'aux premiers jours de 1888, époque à laquelle le Vicaire apostolique, Mgr Fraysse, annonça aux Frères de ne plus compter à l'avenir sur le Comité, à bout de ressources.

Le Frère Supérieur Général, bien résolu de maintenir les Frères à Nouméa, les autorisa à louer un terrain, situé sur le bord de la mer, ayant une contenance de 12 ares et estimé 20.000 fr. Mme Veuve Rolland avait offert ce terrain moyennant une location de 1.000 fr. avec faculté d'achat. Elle offrait aussi une avance de 20.000 fr. pour l'érection de l'école. Ces offres furent acceptées; quatre belles classes et l'habitation des Frères ont été élevées sur ce terrain ; l'ensemble de la dépense s'est élevé à 40.000 francs. Ce local est occupé par les Frères depuis le 1er janvier 1889.

Quant à l'orphelinat, M. le gouverneur Courbet avait conseillé aux Frères d'accepter l'offre du Ministre pour le transférer dans la ferme domaniale d'Yahoué. Ce transfert eut lieu, et les Frères se dévouèrent à l'internat dépendant du service colonial. Le nombre des orphelins s'éleva rapidement de quarante à cent ; et l’œuvre était en pleine voie de prospérité lorsque, le 4 septembre 1887, elle fut laïcisée pour passer aux mains de M. Bernier, journaliste, qui, après avoir tout fait pour en avoir la direction, n'a su que ruiner cette belle œuvre, après une pénible expérience de deux ans. L'institutionavait élevé, en dix ans, plus de deux cents enfants et soixante-deux métis indigènes que les Frères avaient préparés au baptême.

Aujourd'hui, l'externat de Nouméa a sept Frères et cent cinquante élèves. Il vit avec peine de ses seules ressources. 

XX

 SAINT-LOUIS.

 Dimanche, 14 janvier. – Mgr Fraysse nous invita à passer cette journée à Saint-Louis, principale Mission des Pères Maristes en Nouvelle-Calédonie, à quinze kilomètres de Nouméa. C'était un jour de première communion et de confirmation. Les Pères Maristes ont là près de quatre-vingts enfants indigènes de diverses tribus de la colonie et de ses dépendances. Leur but principal est d'en faire des catéchistes; ils les forment aussi à la menuiserie, à la serrurerie et aux travaux des champs. L'église et les ateliers de scierie, de menuiserie et d'imprimerie attirent l'attention de tous. L'Echo de la France catholique, journal hebdomadaire, est rédigé par les missionnaires et imprimé par les enfants de la Mission. Le R. P. Monrouzier, arrivé dans la colonie en 1843, y vit retiré, ainsi que quelques autres Pères anciens.

Avant les vêpres, Monseigneur nous fait visiter la tribu des indigènes, qui paraissent enchantés de notre présence et nous font les honneurs de leurs cases. La reine Hortense, qui abdiqua la souveraineté de l'île des Pins, après la mort de son mari, le roi Samuel, est retirée ici; elle vit d'une petite pension qui lui est servie par l'Etat, et passe son temps à lire, à prier et à faire le catéchisme aux petits enfants. Elle parle bien le français. 

XXI

 PAITA.

 Païta, à 30 kilomètres de Nouméa, est un petit centre de population qui fut fondé par quelques familles européennes ; cette localité compte aujourd'hui de cinq à six cents personnes. Deux courriers par jour mettent cette localitéen communication constante avec Nouméa. Les colons de Païta s'étaient adonnés d'abord à la culture de la canne à sucre; mais bientôt cette industrie ne donna plus un produit suffisamment rémunérateur, et la sucrerie, construite aux frais de la Mission, dut être fermée.

Grâce à la bienveillance de Mgr Fraysse, cette usine est occupée aujourd'hui par le pensionnat Saint-Léon, moyennant un loyer de 2.800 francs par an.

C'est à Saint-Léon que se réunissent nos Frères de la Nouvelle-Calédonie pour leur retraite annuelle.

 Mardi, 16 janvier. – Les Frères, étant à peu près tous arrivés, nous font une réception solennelle absolument comme à Sydney et en Nouvelle-Zélande; seulement ici tout est en français ; on se croirait à Saint-Genis ou à l'Hermitage.

Le pensionnat est pavoisé, les drapeaux et les banderoles flottent au vent. La salle de réception est décorée de verdure, d'écussons et d'inscriptions de bienvenue.

Le C. F. Marie-Clarent, le digne et respectable doyen des Frères de la colonie, nous lit le compliment suivant :

           Très Révérend Frère Supérieur,

La mission de l'Océanie est la fille aînée de la Congrégation. Fondée par le vénéré P. Champagnat, qui brûlait du désir de s'y consacrer; entretenue par ses successeurs et surtout par vous, mon Très Révérend Frère Supérieur, elle compte modestement, en Nouvelle-Calédonie, trente-sept Frères en service dans les travaux de l'apostolat, et six qui sont allés recevoir le prix de leur persévérance.

A l'époque où notre saint Fondateur voulait venir exercer son zèle sur nos plages lointaines, si Dieu lui eût fait connaître que, dans un demi-siècle, son quatrième successeur viendrait visiter cette petite portion de sa famille, dispersée dans les mers du Sud, son cœur d'apôtre eût tressailli et surabondé de joie. Le bon Maître, pour le récompenser, ne lui permet-il pas, en ce moment, de jeter son regard paternel sur cette réunion? O Père Champagnat, obtenez à votre digne représentant et à tous vos enfants de faire beaucoup de bien et d'aller vous rejoindre.

La Providence, qui guide toutes choses, a voulu, mon Très Révérend Frère Supérieur, que ce fût sous votre sage gouvernement que la Congrégation étendit ses bienfaits dans le Nouveau-Monde, l'Espagne, le Nord de l'Afrique, etc.

Vos intéressantes lettres circulaires nous ont raconté, en 1887, votre visite au Canada, et combien les Frères furent contents et heureux de vous voir, d'écouter vos bons conseils et vos saints encouragements. Nos Frères d'Espagne et de l'Algérie ont joui du même bonheur en 1892.

Nous étions à nous demander quand arriverait notre tour, lorsque, après le Chapitre général, les premières lettres de la Maison-Mère nous firent connaître que le Révérend Frère Supérieur général voulait venir avec le Cher Frère Assistant présider notre prochaine retraite. Cette nouvelle fut comme l'aurore du beau jour qui luit présentement.

Mais que d'appréhensions alors nous nous forgions ! Notre Très Révérend Frère Supérieur, vu son âge, ne se décidera pas à affronter les peines d'une si longue navigation; il a trop à faire pour entreprendre un voyage de six mois, au moins ; et les sombres et menaçantes montagnes, amoncelées contre les Congrégations par les méchants, ne l'arrêteront-elles pas ? Tels étaient souvent les sujets de nos conversations,et nous craignions, parce que nous ne connaissions pas assez votre cœur de père, votre courage et surtout votre confiance en Dieu et en la bonne Mère. Prévoyant tout le bien que vous pouviez nous faire et le bonheur que vous nous procureriez, après une si longue séparation, vous avez franchi toutes les difficultés, vous êtes au milieu de vos enfants.

Merci, mon Très Révérend Frère Supérieur, merci, Très Cher Frère Assistant : nos cœurs battent à l'unisson des vôtres. Merci pour le présent et pour l'avenir. Pour le présent, parce que le Supérieur étant le canal des faveurs célestes pour ses religieux, la retraite de 1894 sera fructueuse et fera époque, et dans les annales de la Mission et dans celles de la perfection de chacun de nous; pour l'avenir, parce que nous conserverons l'espoir de voir se renouveler de temps en temps les joies de la fête que nous célébrons en ce moment.

O  sainte  vocation, ô beauté de la famille religieuse, quelle allégresse tu nous procures !

Les fonctionnaires, nos voisins, tremblent à la visite de ceux qui les régissent, et nous, Petits Frères de Marie, nous jubilons.

Si les joies sont si douces après une longue séparation, que seront-elles, lorsqu'il nous sera donné de nous réunir, pour ne plus nous séparer, au vénéré Père Champagnat, à nos bons Supérieurs et à tous nos confrères aux pieds de Jésus et de Marie ?

En attendant cet heureux moment, permettez-moi, mon Très Révérend Frère Supérieur, de vous rappeler que vous avez eu plusieurs fois le bonheur de vous prosterner aux pieds de N. S. P. le Pape Léon XIII et de recevoir ses bénédictions, pour vous et pour vos nombreux enfants. Ceux de la Nouvelle-Calédonie sont à genoux et vous prient de leur en donner une large part,

Vos très humbles et obéissants serviteurs.

    Les Frères de la Nouvelle-Calédonie.

 Ce compliment était accompagné de présents et de souvenirs de la colonie ; savoir, un tableau représentant le P. Champagnat envoyant ses religieux dans les différentes parties du monde, un coffret en bois de rose, contenant huit coquilles de nautiles sur lesquelles sont gravées les vues des huit Établissements de nos Frères de Nouvelle-Calédonie ; des curiosités, des idoles et autres objets canaques.

Le C. F. Antonino a offert, pour la Maison-Mère, une rare collection de poissons et d'oiseaux empaillés de ses mains, ainsi que des fragments des ancres et des canons du vaisseau de La Peyrouse, la Boussole, perdu dans les récifs au nord des Hébrides, en l'an 1789.

L'Établissement de Païta a été fondé le 1iermars 1875, par le F. Candide, directeur. Les débuts furent fort modestes, il y eut treize élèves la première année ; on arriva péniblement à trente les années suivantes.

L'école des indigènes fut ouverte par le Frère Ulbert, en 1878 ; il la dirigea jusqu'à ce qu'elle fût transférée à Yahoué, en février 1883, pour être annexée à l'orphelinat.

Aucun indigène des trois tribus qui avoisinent Païta n'avait été baptisé lorsque l'école s'ouvrit. L'enseignement donné par les Frères et par la Mission des Pères Maristes, a eu pour résultat d'amener au baptême le chef de la tribu de Monnui, nommé Jacques. Le chef de la tribu Saint-Vincent, nommé Eugène, est baptisé depuis deux ans; le chef de la tribu de Nanouini ne l'est pas encore; mais quelques-uns de ses sujets le sont.

Il y a aujourd'hui, dans ces trois tribus, plus de cent cinquante indigènes catholiques. Les plus instruits d'entre eux remplissent actuellement la noble fonction de catéchiste.

L'habillement des indigènes catholiques est généralement à l'européenne. Le vêtement des autres consiste en une ceinture, quelquefois faite de feuilles de bananier ou d'écorce de niaouli, venant jusqu'aux genoux. Ils vont tous nu-tête et nu-pieds. Ils ont la chevelure crépue, longue et très fournie. Les femmes, au contraire, ont les cheveux coupés court. Chose remarquable, un naturel ne pensera jamais à marcher devant ou à côté d'un Européen, à moins d'un commandement; il se tiendra en arrière, par marque de respect.

 Du 17 au 24 janvier. – La retraite annuelle est prêchée par le R. P. Janin (S. M.), ancien missionnaire, âgé de soixante-dix ans, actuellement aumônier de l'hôpital à l'île Nou. Le Révérend Père nous a grandement intéressés ; il est très estimé à l'île Nou, où il fait un bien réel parmi les prisonniers malades. Il est à noter que bien peu meurent sans les secours de la religion.

Le lendemain de la retraite, 25 janvier, nous fûmes témoins de l'apparition d'une nuée de sauterelles ; elles remplissaient l'espace comme de gros flocons de neige un jour d'hiver. Le lendemain matin, le sol en était littéralement couvert. Ces sauterelles déposent leurs œufs sur le sol ; ils éclosent au bout de trois semaines, et produisent des myriades de larves, appelées piétonnes, qui dévorent tout ce qu'il y a de verdure dans le pays, et détruisent entièrement les récoltes. C'est un véritable fléau.

Nous avons à Païta un vaste terrain, environ 40 hectares, tant pour l'orphelinat que pour le pensionnat, établis à quelques minutes de distance l'un de l'autre. Une bonne partie du terrain n'est pas encore défrichée.

Le pensionnat Saint-Léon, ouvert, en 1886, dans l'ancienne fabrique de sucre, par le C. F. Marie-Clarent, est dans une situation très agréable et indépendante, entouré de vastes cours et d'un jardin bien tenu. Les Frères y ont fait de belles plantations de pins, d'acacias, de flamboyants, de tamanous, de bouraos, de chênes verts, de chênes tigrés et de beaucoup d'arbres à fruit, à peu près inconnus en Europe, tels que le manguier, l'avocatier, le corosolier, le jacquier, le cocotier, le bananier, le goyavier, l'oranger, le pommier-cannelle, etc. Ce jardin produit diverses sortes de légumes : des ignames, des taros, du manioc, des patates, des barbadines, des pommes de terre, des haricots, etc.

Le C. F. Victrice, pendant son directorat à Païta, a trouvé l'ingénieux moyen d'y installer un bélier hydraulique, qui distribue l'eau dans la maison, les cours, le jardin, et alimente l'orphelinat placé à 500 mètres, sur l'autre versant de la colline.

Le pensionnat compte actuellement soixante-dix élèves. L'administration y maintient, à ses frais, une douzaine de boursiers, fils d'employés.

L'orphelinat Sainte-Marie, qui a été ouvert en 1887, par le C. F. Candide, après la laïcisation d'Yahoué, a aujourd'hui quatre-vingts enfants. L'administration pénitentiaire en entretient actuellement dix-huit, en donnant une pension individuelle de 450 fr. Les Frères, avec leurs élèves, ont défriché une bonne partie du terrain pour y faire des plantations de manioc et de caféiers. Le reste sert de pâturage ; le bétail y cherche sa nourriture au milieu des niaoulis et de la brousse. 

XXII

 NATHALO (LIFOU, ILES LOYALTY).

 Ces îles se trouvent à plus de 100 milles à l'est de la Nouvelle-Calédonie.Les trois principales sont Lifou, Marée et Uvéa. Lifou, la plus grande île du groupe, est formée de corail. Elle mesure 60 kilomètres de long sur 30 de large. Les indigènes forment trois tribus et comptent environ cinq mille protestants et mille catholiques.

La fondation de Nathalo, à Lifou, demandée par Mgr Vitte, fut faite en 1875, par le Frère Henricus et le Frère Raymond. A leur arrivée à Nathalo, ces Frères trouvèrent une habitation, mais les salles de classes n'existaient pas encore. Ils se mirent à l’œuvre et, à l'aide des indigènes, ils eurent bien vite bâti des classes suffisantes pour commencer leur école ; et, peu de temps après, les noirs disaient : « Maintenant nos enfants parlent comme les blancs ». En effet, leurs progrès furent rapides. Un capitaine de vaisseau, étant venu visiter l'école, fut admirablement surpris de voir les naturels capables d'écrire quelques phrases sans faute. L'élève interrogé satisfit si bien l'officier, qu'il reçut de sa main, en récompense, une pièce de 5 francs. Cet enfant est devenu gérant d'un journal français-canaque, qui s'imprime dans l'île.

Le programme des études comprend le catéchisme, le français, l'arithmétique, la géographie, le chant et la musique. La journée se partage entre la classe et le travail manuel ; elle se termine toujours par le chant d'un cantique et la prière commune, faite à l'église.

Les enfants de l'école, entretenus par la Mission, sont nourris avec du riz, des taros, des ignames, des patates et du manioc, produits de leurs récoltes. Ils ne font pas encore usage de cuillères ni de fourchettes ce serait du luxe et en dehors des habitudes du pays.

M. Noël Pardon, gouverneur de la colonie, après une visite faite aux écoles, en 1891, fit au ministère un rapport qui a valu au Père Célestin Fraysse les palmes académiques.

C'est le F. Henricus qui a introduit le manioc dans l'île. Aujourd'hui ce précieux tubercule est en faveur ; il a déjà apporté une grande amélioration dans la nourriture des naturels.

On vient de terminer une belle et solide construction en pierre pour l'école. Elle comprend, au rez-de-chaussée, deux grandes classes et l'habitation des Frères et, au premier, un magnifique dortoir qui a 30 mètres de long sur 8 de large.

Les enfants de Lifou sont très attachés aux Frères. A l'époque des retraites, l'un d'eux disait : « Puisque les supérieurs vous appellent, partez; mais laissez ici votre malle, afin qu'en la voyant nous soyons consolés; autrement, nous allons trop pleurer. » Par là, on voit que les enfants, même ceux des sauvages, ne sont pas insensibles, et qu'on peut leur faire beaucoup de bien, quoique cela ne soit pas toujours apparent.

On trouve un bon nombre d'anciens élèves indigènes de Lifou, employés aujourd'hui sur les bateaux et chez les habitants de Nouméa. Ils ne manquent jamais de saluer les Frères, et, ce qui est mieux encore, ils conservent leurs principes religieux. Nous en avons vu, à la cathédrale, le dimanche, se joindre au chœur des chantres et y tenir un rang honorable.

Après la retraite de Païta, le Cher Frère Assistant a accompagné nos Frères de Lifou, aux îles Loyalty. Embarqué, le 28 janvier, sur le Mangana, dont le capitaine, M. Olliveau, est un ancien élève des Frères, il a touché d'abord à l'île Marée, où il a rencontré le F. Joseph, coadjuteur des Pères Maristes, qui est dans les missions depuis 1844. Ce bon Frère lui a donné quelques nouvelles intéressantes sur les premiers missionnaires, qui ont eu bien à souffrir, mais que Dieu a bénis dans leurs travaux et sacrifices. Aujourd'hui, on trouve des églises et de bons catholiques, là où, il y a cinquante ans, on ne rencontrait que des anthropophages.

Nathalo a une belle église. Une cinquantaine d'enfants fréquentent l'école, ils savent bien leur catéchisme, lisent et écrivent passablement le français.

A Chépéné, lieu d'embarquement, à 15 milles de Nathalo, le Frère Assistant avec le capitaine Olliveau, fait une visite au R. P. Gaide, le vieux missionnaire d'Eacho, à 2 milles du port. Là, il voit dans l'église un 'vieux canaque à cheveux blancs, faisant le catéchisme, dans la langue de Lifou, à une vingtaine de noirs. Après son instruction, le vieux catéchiste l'aborde, lui serre la main et lui dit bonjour en français.

Quel était ce vieillard ? Le Révérend Père explique alors au Frère Assistant qu'il a devant lui un saint homme, un vrai confesseur de la foi, autrefois persécuté exilé et emprisonné à Canala pour la foi, par ordre du gouverneur Guillin. On a essayé de le faire mourir de faim dans cette prison; mais un surveillant, plus humain que son chef, lui avait sauvé la vie en lui donnant secrètement quelque nourriture et en laissant aux indigènes la liberté de lui apporter des vivres. Après deux ans de souffrances, il avait été renvoyé dans son pays, à Eacho.

Jamais César (c'est son nom) n'a voulu contracter mariage, afin de pouvoir rendre plus de services à la religion. A en juger par sa conduite passée, ce brave canaque s'était mis à pratiquer, sans doute à son insu, les conseils évangéliques. Non seulement il ne faisait jamais rien sans la permission du missionnaire, mais encore il avait vendu tout son bien et en avait donné le produit à la Mission. Il lui restait un cheval ; il le vendit aussi et en apporta le prix au Père, en lui disant avec bonheur : « Maintenant, César n'a plus rien. » Depuis lors, il a été reçu Tertiaire dans la Société des Pères Maristes et il a fait les trois vœux de religion. En qualité de catéchiste, il a rendu de grands services à la Mission. Il est respecté et honoré de tout le monde, d'autant plus que c'est un ancien chef de tribu. César est noir ; mais qu'il doit avoir une belle âme aux yeux de Dieu et de ses anges. 

XXIII

 BOURAIL

 Mardi, 6 février. — A sept heures du matin, nous partons, sur I'Otway, pour Bourail et Néméara. Nous arrivons à cinq heures du soir dans la baie de Bourail. M. le commandant Bouteille, qui a fait le voyage de Marseille à Sydney avec nous, vient nous chercher avec sa baleinière, le bateau étant à 2 kilomètres environ de Gouaro, port de débarquement. Ici le commandant me prend dans sa voiture, qui l'attend à la jetée.

Le Frère Assistant et le Frère Provincial continuent dans la baleinière, sur la Néra, jusqu'à 3 kilomètres de Bourail. En débarquant, l'un d'eux tombe à l'eau, peu profonde en cet endroit, si bien que le sauvetage n'a rien eu de trop émouvant. Remis de cette alerte, les deux voyageurs se sont rendus, au plus tôt, chez nos Frères de Bourail.

Bourail est dans un centre important de concessionnaires du troisième arrondissement. Ces concessionnaires sont des libérés ou des condamnés en cours de peine. Ils sont là, actuellement, environ huit cents condamnés et deux cents libérés. Les hommes libres ne sont qu'au nombre de trois cents. Les libérés ou condamnés, auxquels on donnedes concessions de terre, d'une superficie de 4 à 7 hectares, suivant la qualité du terrain, reçoivent au début l'aide de l'administration pénitentiaire. Ils deviennent propriétaires définitifs au bout de cinq ans.

Le plus beau bâtiment de la localité, après l'église, se nomme le Couvent : c'estlà que sont reçues les femmes condamnées ou transportées de France. Elles y sont au nombre de quarante à cinquante, et sont placées sous la garde et la direction des religieuses de Saint-Joseph de Cluny, dont la Supérieure sert d'intermédiaire dans les questions importantes des négociations matrimoniales intéressant ses pensionnaires. Il y a aujourd'hui, à Bourail, deux ou trois cents ménages sortis de là. Malgré les inondations qui souvent, avec le concours des sauterelles, emportent les récoltes, quelques concessionnaires se sont créé une certaine aisance.

Notre Établissement de Bourail, fondé le 2 juin 1875 par le F. Marie-Clarent, sur la demande de l'administration pénitentiaire, se maintient au chiffre de quarante à cinquante élèves, la plupart enfants des concessionnaires de Bourail et des environs. Ces enfants sont bons et donnent de la consolation aux Frères tant qu'ils viennent à l'école ; mais les déplorables exemples qu'ils ont constamment sous les yeux dans leurs familles rendent leur persévérance dans le bien extrêmement difficile. Il suffit de dire qu'en dehors des Frères, des Sœurs et de leurs élèves, peu de personnes fréquentent l'église, et que la majorité des familles vivent dans une situation irrégulière. Néanmoins, la plupart des gens demandent le prêtre sur leur lit de mort.

Il y a à Bourail un commandant de l'administration pénitentiaire. Cette administration emploie les condamnés non concessionnaires à la création de routes et aux travaux publics. Ceux qui sont les mieux notés sont mis à la disposition des colons, moyennant une rétribution de 12 à 15 francs par mois.

Malgré la présence d'un nombre considérable de criminels dans la colonie, il y règne une sécurité qui est à peine croyable. Sans doute, il ne faut pas laisser ses portes ouvertes pendant la nuit, ni sa maison seule pendant le jour; mais les vols sont relativement rares et les attaques à main armée sont presque inconnues dans le pays.

Nos Frères de Bourail ont eu un internat, durant un certain temps, pour recevoir les enfants éloignés. Pendant l'insurrection de 1878, ils furent obligés, par deux fois, de fuir avec leurs élèves internes. La Providence les préserva de tout accident. Le nombre de ces internes s’accrut, et l'administration prit à sa charge plusieurs de ces enfants en fournissant des rations pour les nourrir ; leur nombre s'était élevé jusqu'à trente. La ferme de Néméara nous ayant été confiée, le C. F. Cérin et le C. F. Henricus y emmenèrent les internes présents, par ordre de l'administration. L'école de Bourail n'a plus que les enfants de la localité. 

XXIV

 NEMÉARA.

 On a établi à Néméara, à 9 kilomètres de Bourail, dans un terrain de 350 hectares, un internat, ferme-école pour les fils des concessionnaires, c'est-à-dire des enfants de provenance pénale. M. le gouverneur Le Boucher et M. Vérignon, directeur du service pénitentiaire, nous ont confié cet Établissement le 4 avril 1886, par un traité ou contrat qui vient d'être renouvelé pour une période de dix ans, avec approbation du Ministre des Colonies.

Le C. F. Cérin en a été le premier directeur. Le 4 avril 1886 il y amena de Bourail, quarante-deux enfants ; il y en a présentement quatre-vingt-dix, qui reçoivent avec une éducation chrétienne, une instruction pratique, ce qui leur permet de devenir de bons agriculteurs et de se former à divers états, de manière à pouvoir plus tard gagner honnêtement leur vie. Voici leur règlement :

5 h. 30, lever, messe, étude; 7 h., déjeuner, récréation; 7 h. 30, classe ; 9 h., travail aux champs ; 11 h., récréation ; 11 h. 30, dîner, récréation ; 1 h., classe; 3 h., travail aux champs ; 5 h., récréation ; 5 h. 30, étude ; 6 h. 30, prière, chapelet, souper et coucher.

Les bâtiments de la ferme, outre le corps principal, qui a deux ailes, avec étage, en forme d'H, possèdent huit constructions détachées, où sont la chapelle, les classes, la cuisine, la taillerie, l'aumônerie, la boulangerie et les ateliers. On peut y recevoir cent cinquante internes.

Le maïs, les haricots, le café, quelques légumes sont les principaux produits de la ferme, en outre de l'élevage du bétail, chevaux, bœufs, vaches et animaux de basse-cour.

Nous avons passé huit jours dans cette ferme de Néméara, qui est située dans une vallée arrosée par la Douencheur. Cette rivière déborde de temps en temps, ainsi que cela est arrivé pendant notre séjour là-bas. Le fait n'est pas sans intérêt à cause du sauvetage qui en est résulté.

 Jeudi, 8 février. — C'était jour de promenade. Les élèves, au nombre de quatre-vingts, étaient à la baignade dans la rivière. Tout à coup, vers les quatre heures du soir, une averse, une véritable trombe tombe sur la montagne, et, en quelques minutes, fait grossir la rivière de plus d'un mètre. Ce fut un sauve-qui-peut général parmi les baigneurs, dont quelques-uns des plus jeunes ne savaient pas nager. L'un d'eux est entraîné par le courant très rapide ; mais de bons nageurs se lancent à sa suite et l'ont vite ramené au rivage. La plupart de ceux qui sont sortis de l'eau se trouvent du côté de la maison ; mais une vingtaine sont restés du côté opposé, et l'eau monte toujours, contrairement à ce qui arrive d'ordinaire dans ces crues rapides, où l'eau baisse presque aussi vite qu'elle est montée. Que faire ? On attend patiemment une heure, deux heures, mais l'eau n'a pas encore sensiblement baissé. La nuit approche, il faut cependant songer à quelque moyen de sauvetage pour délivrer tous ces enfants. La rivière peut bien avoir une trentaine de mètres de largeur en ce moment, et deux à trois mètres de profondeur. Enfin le métis Napoléon, ancien élève et tailleur de la maison, un solide et fort nageur, se munit d'une corde, en attache un bout sur la rive où nous étions, et va attacher l'autre à un arbre de la rive opposée; il prend ensuite tout son petit monde un à un sur son dos et le ramène sur la rive. En passant l'un des enfants, Napoléon lâche la corde, ce qui ne l'empêche pas d'atteindre le rivage avec son précieux fardeau.

Le bétail, plus de quatre-vingts têtes, avait été également surpris par la crue subite de la rivière ; mais, pour ce troupeau, il ne fallut pas tant de précautions. On conduisit ces bêtes tout simplement à la rivière, où elles se mirent d'elles-mêmes à la nage, et, en quelques instants, toutes passaient sans accident. Le bouvier, un Arabe, suivit son troupeau et passa de même.

Cet Arabe, mahométan, se fait instruire pour recevoir le baptême ; c'est un déporté de l'Algérie. Puisse-t-il conduire à bon terme son projet de conversion et partager le bonheur du bon larron !

Pendant tout notre séjour à Néméara, il n'a presque pas cessé de pleuvoir ; c'est ce qui nous a empêchés de visiter la tribu des indigènes d'Azereu, dont les deux chefs, Raymond et Théophile, nous avaient apporté, à notre arrivée, comme présents, des ignames et des taros, les meilleurs de leur récolte. Ces braves indigènes avaient cependant enguirlandé leurs cases et rangé l'avenue de leur village, qui est à 12 kilomètres de la ferme ; le catéchiste Clément, ancien élève de Bourail et de Saint-Louis, avait présidé à ces préparatifs. Les chrétiens de cette tribu viennent tous les dimanches à la messe dans notre chapelle de Néméara. Nous en avons été très édifiés.

Quelques concessionnaires des environs ont voulu aussi fêter notre arrivée à la ferme, en nous apportant .de beaux canards, avec une provision d'ananas et de papayes, les meilleurs produits de leur terre.

L'administration actuelle fait ce qu'elle peut pour favoriser et développer l'établissement de Bourail. Elle laisse au service des Frères quinze condamnés pour les gros travaux de la ferme, et, de plus, une dizaine d'artisans pour compléter les constructions, qui sont presque terminées maintenant. Il y a des maçons, des sculpteurs, des ébénistes, des peintres, des menuisiers, des plâtriers, etc., tous condamnés, mais en général bons ouvriers. Les Frères tirent bon parti de ce monde-là et en obtiennent d'excellents services par leurs bons procédés et par quelques petites gratifications accordées en temps opportun. L'ébéniste a fait, pour nous être présenté, un magnifique damier-échiquier, embelli d'incrustations et accompagné des pions et des autres pièces nécessaires, le tout en différentes espèces de bois du pays.

On apprendra avec plaisir que les condamnés eux-mêmes ont eu aussi à cœur de célébrer notre visite. A notre arrivée, nous avons été surpris, autant que touchés, de les trouver alignés à l'entrée de l'Établissement et d'entendre l'un d'eux, condamné militaire, nous lire un beau compliment pour nous souhaiter la bienvenue, et exprimer le bonheur qu'ils éprouvent tous d'être placés dans la ferme. Si ce n'était le costume qu'ils portent et qui les fait parfois réfléchir sur leur position, ils oublieraient ce qu'ils sont, car leur séjour chez les Frères leur fait croire qu'ils vivent en famille.

Ces hommes, condamnés pour homicides ou autres crimes, ne donnent point d'embarras aux Frères.

L'internat a participé à deux expositions universelles : à celle de Paris, en 1889, et à celles de Chicago en 1893. Les produits de Néméara ont eu une mention spéciale à Paris, et trois à Chicago, dans la section des colonies françaises.

 Vendredi, 16 février 1894. – Nous partons de Bourail à sept heures du matin, par la malle-poste, une petite voiture à deux chevaux, qui doit nous conduire à 9 kilomètres de là, à Gouaro, port d'embarquement pour Nouméa. Au sortir de Bourail, on traverse à gué une rivière, la Courie ; mais, à la suite de pluies récentes, l'eau est plus profonde qu'à l'ordinaire. N'importe, le conducteur lance ses chevaux, en ayant soin de mettre ses dépêches sur ses genoux, pour ne pas les laisser mouiller. Nous sommes quatre passagers : l'un de nous se hisse sur le dossier de la banquette et ne prend qu'un bain de pieds ; les autres s'enfoncent notablement plus avant et prennent un bain de siège. Heureusement les effets n'en furent nullement inquiétants : l'eau de ce pays étant relativement chaude, on ne risque pas de s'enrhumer pour si peu.

Arrivés à la mer, il nous est impossible de suivre la plage pour aller au port, à 2 kilomètres : les vagues en furie s'élancent dans les airs à la hauteur des arbres et font un bruit épouvantable ; et, pendant que nous sommes arrêtés, une pluie battante nous procure une douche, contre laquelle nos parapluies sont impuissants à nous garantir. Nous sommes forcés de battre en retraite et de nous réfugier dans une auberge tenue par un ancien élève du Cher Frère Provincial ; il nous accueille avec plaisir et nous nous séchons le mieux possible en attendant le beau temps.

Deux heures après, nous arrivons au port de Gouaro, où nous trouvons une quarantaine de petites filles de concessionnaires, sous la garde de deux Sœurs et de deux surveillants. On les conduisait de Bourail à Fonwhari. Arrivées ici depuis la veille, elles ont dû passer la nuit au port, abritées dans une chaumière qui porte le nom d'Hôtel de France, et dans la maison du surveillant du poste, qui s'est ingénié, avec sa femme, pour accommoder tout ce petit monde.

Nous nous embarquons vers midi et passons tranquillement la nuit dans la baie de Téremba. On débarque les petites filles pour qu'elles se rendent à Fonwhari sur la Foa, où l'administration vient d'établir, dans l'ancien camp des condamnés, une institution semblable à celle de Néméara, pour les filles des concessionnaires. Ce sont les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, qui en sont chargées. Elles y ont déjà quatre-vingts élèves.

Le lendemain matin, nous débarquons sans accident, à Nouméa, où nous nous reposons auprès de nos Frères jusqu'au 21 février, date du départ du Tanaïs pour Sydney. 

XXV

 POUÉBO.

 Bien que nous n'ayons pas visité l'établissement de Pouébo, je crois devoir en donner une petite notice. Cette localité, située sur le bord de la mer, au nord-est de la colonie, n'a pas une bien grande importance. On y trouve quelques rares colons européens et quatre cents indigènes catholiques. L'église, qui est fort belle, s'aperçoit de la mer, et elle sert de point de repère aux marins. On y remarque le tombeau de Mgr d'Amatta, qui vint en Calédonie avec les premiers Missionnaires.

Pouébo a une triste célébrité par suite des massacres dont cette région fut le théâtre en 1867. Deux gendarmes et dix-sept autres personnes tombèrent sous les coups des canaques indigènes. Aujourd'hui, la Mission n'est pas sans rencontrer encore quelques difficultés, notamment pour faire disparaître certains usages païens. Dernièrement, un des chefs catholiques voulut absolument célébrer une fête païenne, malgré la défense expresse du Missionnaire. Quelques jours après, ce chef mourut subitement, sans aucune cause apparente ; le peuple ne manqua pas de regarder cette mort comme un châtiment de sa désobéissance au prêtre, dont l'autorité se trouva mieux affermie par ce fait extraordinaire.

Les Frères sont à Pouébo depuis février 1885. C'est Mgr Fraysse qui les y envoya de Saint-Louis, où ils faisaient la classe aux enfants de la Mission.

Les Frères Marie-Clarent, Aristarque et Thérèse eurent soixante élèves à leur arrivée à Pouébo. L'Etablissement n'a plus aujourd'hui que deux Frères, qui occupent les enfants alternativement à l'école et au travail des champs, comme il est d'usage dans les Missions.

Le fils du grand chef de Pouébo, âgé d'une quinzaine d'années, reçoit l'instruction à l'orphelinat libre de Païta, aux frais du Gouvernement. Nos Frères sont très contents de sa conduite ; mais il ne manifeste pas de grandes dispositions pour la science.

Les indigènes de l'école de Pouébo, n'ont pas été les derniers à envoyer leurs souhaits aux Supérieurs, à l'occasion de leur première visite en Nouvelle-Calédonie ils nous ont adressé la lettre suivante :

         Révérend Frère Supérieur Général,

Les enfants de Pouébo sont heureux de vous souhaiter, à vous et à votre cher Frère Assistant, une bonne et heureuse année.

Nous vous remercions beaucoup de nous avoir donné des Frères qui se sacrifient avec tant de zèle et de dévouement à nous instruire et à nous former, nous qui leur donnons tant de peines et d'embarras pour nous conduire. Le bon F. Aristarque, qui est avec nous depuis si longtemps, en sait quelque chose.

Nous prions Dieu de bénir votre long voyage et de vous conduire en bonne santé en votre belle France, qui nous envoie des Missionnaires si dévoués.

Agréez, Supérieur Général et votre Assistant, les désirs, les vœux et les remerciements des enfants de Pouébo.

(Suivent 14  noms indigènes.) 

XXVI

 VAO. – ILE DES PINS.

 L'île des Pins, est à 44 milles au sud-est de la Nouvelle-Calédonie. Il y a là une importante Mission catholique, établie à Vao. Elle compte environ 1.500 indigènes, robustes, bons marins et excellents pêcheurs. Près de l'église, sont les écoles ; celle de nos Frères a actuellement cent trente élèves. La résidence des Frères est une maison neuve, bien commode et construite en pierre.

L'Établissement a été fondé, en 1879, par les FF. Antonio et Raymond.

C'est à l'île des Pins qu'ont été faites, par le C. F. Tharsice, les premières expériences pour la plantation de la vigne et la fabrication du vin.

La lèpre est assez répandue dans l'île.

En 1878 et 1879, à la suite de l'insurrection des tribus de Bouloupari, Ourail, Bourail et Poyo, les indigènes faits prisonniers, furent internés à l'île des Pins. Elle a été aussi désignée comme lieu de relégation pour les récidivistes envoyés de France.

La plupart de ces prisonniers de guerre, étant encore païens, leur présence dans l'île ne tend pas à améliorer la population qui était toute catholique auparavant. Il faut dire cependant qu'un bon nombre de ces païens se sont convertis depuis leur arrivée dans l'île des Pins.

L'Établissement de nos Frères y est dirigé actuellement par les FF. Amplias, Libertus et Faustien. 

A BORD DU « TANAIS ».

 Mercredi, 21 février. – Nous partons ce matin de Nouméa pour Sydney, sur le Tanaïs, un beau bateau de 1.800 tonnes, des Messageries maritimes. Il y a bien cent cinquante passagers à bord, dont beaucoup d'employée qui rentrent en France, aux frais de l'Étel ; entre autres, M. Picquier, gouverneur par intérim. Il est remplacé par M. Noël Pardon, qui est attendu à Nouméa depuis quelque tempsdéjà.

Le premier jour, la mer est calme; les trois derniers jours, le roulis et le tangage se font fortement sentir. La moitié des passagers sont malades; plusieurs petits enfants ont la coqueluche, ce qui ne fait pas un concert bien agréable, pendant le jour, et encore moins pendant la nuit. Toutefois, nous aurions mauvaise grâce de nous plaindre, étant passablement bien installés en seconde classe, et n'éprouvant aucun mal de mer, Dieu merci.

Nous remarquons un mahométan, un servant du bord, qui vient tous les jours, à quatre heures, sur le pont, faire sa prière à Mahomet ; il se tourne vers la Mecque, prie longtemps en silence, les bras croisés; puis il se prosterne, se frappe la tête contre le plancher, se lève, se courbe, prie encore, se relève et finit par se retirer après un quart d'heure de ces exercices, sans s'inquiéter le moins du monde des spectateurs assemblés sur le pont. A la vue de cet acte de religion si courageusement pratiqué, on se prend à regretter de n'avoir devant soi qu'un musulman, et, tout en le plaignant et en lui souhaitant les lumières de la vraie foi, on plaint bien plus encore tous les hommes baptisés qui n'ont de chrétien que le nom, et pour qui Dieu est comme s'il n'existait pas.

Nous arrivons heureusement à Sydney, le dimanche 25 février, assez tôt pour assister à la messe, à Saint-Patrick. 

XXVII

 AUSTRALIE.

 Le premier Vicaire apostolique envoyé dans ce pays lointain, par le Pape Grégoire XVI, fut un religieux bénédictin, qui fut sacré à Londres, le 29 juin 1834. Mgr Polding, c'est son nom, arriva à Sydney le 13 septembre 1835, accompagné de quelques prêtres.

Sa Mission était très étendue : elle comprenait toute l'Australie et les îles environnantes, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. En 1840, la population européenne de tous ces pays ne dépassait pas 130.000 habitants, et il y avait très peu de catholiques. Aujourd'hui, l'Eglise possède, pour ce même territoire, un cardinal, cinq archevêques, vingt et un évêques, et, pour la Polynésie, cinq Vicaires apostoliques, qui dépendent immédiatement du Saint-Siège. 

L'Australie et la Tasmanie comptent actuellement :

Habitants d'origine européenne                                        4.000.000         

Indigènes                                                                            55.000                                  

Chinois                                                                                30.000

        L'Eglise catholique :

Eglises                                                                                     996

Prêtres séculiers                                                                     560

Prêtres réguliers                                                                      170

Frères enseignants                                                                 313

Sœurs                                                                                   2.518                                   .

Catholiques                                                                      608.815

           La Nouvelle-Zélande :

Habitants d'origine européenne                                        615.000

Maoris                                                                                 40.000

Chinois                                                                                  5.000

             L’Eglise catholique :

Eglises                                                                                     194

Prêtres séculiers                                                                       70

Prêtres réguliers                                                                        59

Frères enseignants                                                                   46

sœurs                                                                                       473

Catholiques                                                                        87.430

                 La Nouvelle-Calédonie :

Habitants libres de tous pays                                           10.000

Transportés                                                                          7.500

Population flottante                                                              1.800

Fonctionnaires et soldats                                                     3.500

Indigènes                                                                            40.000

            L'Eglise catholique :

Eglises                                                                                        43

Prêtres Maristes                                                                         48

Frères Maristes                                                                           51

Sœurs                                                                                         51

Catholiques                                                                         35.000

 

Mgr Polding, voulant opposer aux écoles protestantes un enseignement vraiment chrétien, demanda des Frères Maristes pour la paroisse de Saint-Patrick, à Sydney, laquelle était desservie parles Pères Maristes. Déjà l'archidiacre M'Encroe était venu en Europe pour trouver des ressources, en faveur de l'Œuvre  des écoles. Il a laissé une rente de 150 livres pour l'école de Saint-Patrick.

Le R. P. Monnier et le R. P. Poupinel joignirent leurs instances à celles de l'Archevêque. Le R. F. Louis-Marie, dont on ne saurait trop louer le zèle en faveur des Missions, cédant à leurs instantes demandes, choisit quatre Frères pour cette fondation lointaine, et en nomma le F. Ludovic, directeur. Ils s'embarquèrent à Londres, le 20 novembre 1871, à bord d'un vaisseau à voiles, nommé Star of Peace (Étoile de la Paix). Après une heureuse navigation, ils arrivèrent à Sydney le 26 février 1872. Le R. P. Joly et le R. P. Monnier leur firent bon accueil. Ils les présentèrent à Mgr Bataillon, qui partait pour l'Europe et leur firent visiter leur future école, située dans Harrington Street, en face de la résidence des Pères Maristes. Le local étant insuffisant pour les loger, on y ajouta une maison d'habitation, pendant la construction de laquelle le R. P. Joly leur offrit l'hospitalité à Villa-Maria. Il les présenta aussi à l'archevêque, Mgr Polding, et à son vicaire général, l'archiprêtre Sheehy, qui les reçurent avec une grande cordialité.

Les Frères ouvrirent leur école le 8 avril 1872. La veille, qui était un dimanche, ils furent présentés aux paroissiens de Saint-Patrick, et acclamés par cette bonne population, qui tressaillait de joie à la pensée que leurs chers enfants, qui, jusque-là, avaient dû fréquenter une école protestante, allaient enfin être confiés à des religieux. Ces bons catholiques ne savaient comment leur exprimer toute leur sympathie.

L'ouverture des classes fut précédée de la messe du Saint-Esprit. Par une coïncidence providentielle, on célébrait ce jour-là l'Annonciation de la Sainte, Vierge, qui avait été renvoyée. Les Frères regardèrent comme de bon augure de commencer leur œuvre sous les auspices de la bonne Mère.

Après la messe, l'Etablissement fut assiégé par une foule de gens qui se disputaient l'honneur de faire inscrire les premiers leurs enfants sur le registre de l'école, et cent trente élèves furent inscrits le premier jour.

Dans l'après-midi, Mgr Polding, en compagnie de son Vicaire général et de plusieurs prêtres, vint visiter l'école, et il put se rendre compte de la difficulté de discipliner ces jeunes Australiens.

Le lendemain, les Frères reçurent la visite d'un autre évêque, Mgr Quinin de Bathurst. En voyant la légèreté et la dissipation des élèves, Sa Grandeur leur déclara que ce serait miracle s'ils obtenaient une discipline passable ; elle les encouragea et les bénit.

La plupart de ces écoliers étaient arrivés à l'âge de quatorze à quinze ans, sans aucune connaissance religieuse, sans même avoir appris leurs prières. Les Frères se mirent en devoir d'établir de l'ordre et de l'émulation parmi leurs enfants, de leur apprendre les mystères et les grandes vérités du salut, tout en leur inculquant une tendre et filiale dévotion envers la sainte Vierge. Bientôt ils les virent s'apprivoiser et se soumettre comme par enchantement au joug de la discipline ; et, dès le 22 août de la même année, ils eurent la consolation d'amener à l'autel, pour la première fois, un bon nombre de leurs élèves.

La conduite des communiants en ce grand jour, leur piété et leur retenue firent un tel contraste avec leur dissipation dans les précédentes premières communions, que Mgr Polding en versa des larmes de joie et en loua publiquement les Frères et leurs élèves, en même temps qu'il remerciait Dieu d'avoir envoyé de si excellents religieux pour enseigner dans son archidiocèse.

L'Evêque de Bathurst, dans une seconde visite à l'école, fut tellement étonné et heureux du changement opéré en si peu de temps, qu'il dit ne plus reconnaître ces enfants : « Les loups étaient devenus des agneaux ».

La solide instruction religieuse donnée par les Frères, aussi bien que leur modestie et leur régularité, firent grande impression sur les enfants. L'un d'eux se présenta comme postulant, et fut reçu le 16 juillet 1872, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel. Le second postulant entra au Noviciat le 30 novembre de la même année. Tous les deux reçurent l'habit religieux le 2 juillet 1873, des mains de l'archevêque, Mgr Polding.

Le second postulant est aujourd'hui le Frère Edwin; il a été le premier directeur d'Auckland[4]. Le troisième postulant fut encore un élève des Frères; il fut admis à la vêt-are avec le F. Joseph-François-Xavier, premier directeur de Christchurch. Cette vêture eut lieu le 19 mars 1874, par les mains de Mgr Vaughan.

Le noviciat, ouvert à Saint-Patrick et approuvé par un bref de Sa Sainteté Pie IX, le 6 février 1876, fut transféré à Hunter's-Hill, le 12 mai 1878, avec l'approbation et la bénédiction de Mgr Vaughan.

Depuis cette époque, grâce à Dieu et à la protection de la sainte Vierge, le nombre des admissions au Noviciat a grandi, et, aujourd'hui, le Noviciat de Saint-Joseph compte vingt novices ou postulants; le district de l'Australie, outre les Frères qui sont venus d'Europe, compte cinquante-cinq profès, vingt-huit obéissants, et trente novices, tous de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande.

Voici l'ordre de nos fondations en Australie, avec le nom du premier Directeur de chaque poste.

 

26 février 1872 St-Patrick, Sydney                                                        F. Ludovic.

12 juin 1875 Parramatta                                                                         F. Ange, défunt.

7 août 1875 St Benedict, Sydney                                                          F. Augustinus.

12 mai 1878 Hunters'-Hill, noviciat                                                        F. Ludovic.

16 juillet 1881 St-Joseph'sCollege                                                          F. Emiliani.

15 janvier 1883 Villa Maria                                                                     F. Matthew, défunt.

Id. SacredHeart                                                                                      F. Cyril.

Id. St-Mary's                                                                                             F. Loetus.

Id. St-François.                                                                                         F. Mark.

27 juin 1888 St-Mary's, NorthSydney.                                                       F. Walter, défunt.

1ier  janv. 1893 Kilmore, Victoria                                                                F. Austin.

1ier  avril 1893 Bendigo, Victoria                                                              F. Basil.

 

ORDRE DES FONDATIONS EN NOUVELLE-ZÉLANDE

 

Mai 1876.Wellington 1878 Napier                       F. Sigismond.

17 août 1883 Aukland                               FF, Papinien  Edwin.

13 février 1888 Christchurch                    F. Joseph-Fr.-Xavier.

1er janvier 1890 Stoke                                                     F. Cyril.

Octobre 1891 Timaru                                                    F. Alfred,

Juillet 1892 Greymouth                             F. Charles-de-Sezze.

2 février 1894 Wanganui                                               F. Alfred.

 

OCÉANIE CENTRALE

 

Octobre 1888 Apia, Samoa                                                                   F. Philippe

Septembre 1888 Suva, Fiji                                                                     F. Hervé.

 

ORDRE DES FONDATIONSEN NOUVELLE -CALÉDONIE

 

1ier  nov. 1873 Nouméa                                   P. Louis-Antonio.

1iermars 1875 Païta                                                 P. Candide.

2 juin 1875 Bourail                                            F. Marie-Clarent.

Août 1877 Nathalo, Lifou                                          F. Henricus.

Janvier 1879 Vao, Ile des Pins                                  F. Antonio.

1ierfévrier 1885 Pouébo .                                F. Marie-Clarent.

19 avril 1886 Néméara                                                  F. Cerin.

Septembre 1887 Païta, orphelinat .              F. Louis-Antonio.

 

NOMBRE ACTUEL DE FRÈRES ET ÉLÈVES

 

Australie :                                                                       97 Frères          2.560 Élèves

Nouvelle-Zélande                                                                    35 –          1.460   –

Nouvelle-Calédonie                                                                37 –          670      –

Océanie ……….                                                                           6 –          110      –

TOTAL. . . .                                                                             175 –          4.800   –

 

XXVIII

 

RÉCEPTION FAITE AU FRÈRE SUPÉRIEUR GÉNÉRAL PAR

LES ÉLÈVES DE NOS ÉCOLES DE SYDNEY.

 Mardi, 27 février 1894. – A l'occasion de la première Visite des Supérieurs en Australie, les Frères de Sydney, tous désireux de leur faire une digne et honorable réception, s'étaient concertés à cette fin, et ils avaient décidé d'y faire contribuer toutes les écoles, en donnant à chacune une part dans l'exécution du programme, de manière à mettre en évidence le talent musical et dramatique de la jeunesse australienne.

Tout devait être prêt à notre arrivée à Sydney ; niais, par suite de diverses circonstances, la cérémonie fut renvoyée à notre retour de la Nouvelle-Calédonie. Elle eut donc lieu le 27 février, date qui sera inscrite comme solennelle dans les annales des écoles de Sydney.

La grande et belle salle de Saint-Benedict est choisie pour lieu de réception et elle est vite ornée et mise en bel ordre. A deux heures et demie, par le temps le plus beau dont on puisse jouir dans la Nouvelle-Galles du Sud, environ huit cents enfants, représentant les deux mille cinq cents élèves qui fréquentent les écoles des Frères, étaient placés en ordre dans la salle, revêtus de leurs habits de fête, sous l’œil de leurs maîtres respectifs[5].

Le public n'était pas admis à cette belle réunion, toute de famille ; il v avait seulement le clergé de Saint-Benedict et une quarantaine de Frères.

Les Supérieurs : le Révérend Frère Supérieur Général, le Cher Frère Assistant et le Cher Frère Provincial, en entrant dans la salle, sont salués par un chœur, accompagné des musiciens instrumentistes de Saint-Mary's, du Sacré-Cœur et de Saint-Benedict.

Le programme consiste en choix de morceaux exécutés par la fanfare, par l'harmonie et par les flûtistes ; puis en exercices militaires avec armes et sans armes, et en chants et récits.

Tous les morceaux, débits et chants, ont été rendus d'une manière remarquable et qui fait honneur aux Frères et à leurs Elèves.

La tenue des enfants, leur silence et leur attention méritent toutes louanges. C'était plaisir de les voir, comme aussi de remarquer le bon ordre qui présidait partout. On a surtout admiré les exercices militaires des enfants de Saint-Francis, vêtus d'un uniforme aux couleurs australiennes, bleu et blanc, les chants des élèves de Saint-Patrick et les musiciens de Saint-Mary.

Vers le milieu de la séance, un compliment, entouré de fleurs de lis au fond d'or, est lu par un élève de l'école supérieure de Saint-Mary's, et présenté au Révérend Frère Supérieur dans un cadre fait de nombreuses pièces de bois, spécimens d'environ soixante-dix espèces différentes que l'on trouve dans la colonie.

Les présents qui nous ont été offerts, consistent dans un magnifique album contenant la photographie des écoles de Sydney, l'Atlas pittoresque de l'Australie, en trois beaux volumes, un meuble ayant douze tiroirs et contenant une collection de mille deux cents minéraux et cent coquilles de la Mer du Sud, vingt-cinq espèces de laine, soixante espèces de bois d'Australie, un herbier de fougères, ainsi qu'une collection des vues de Sydney.

La plupart des spécimens offerts ont été fournis au C. F. Claudius, par le Directeur du musée technique de Sydney. Ce monsieur s'est fait un plaisir de nous montrer en détail sa magnifique collection.

Les vues de Sydney nous ont été offertes par l'honorable M. Slattery, Ministre des Mines; ces mêmes vues ont été exposées à Chicago, l'année passée.

Le Cher Frère Assistant, chargé de répondre au compliment, exprime, au nom du Frère Supérieur et au sien, tous nos remerciements pour la belle réception qui nous est faite, et pour cette riche collection de présents, offrande des enfants de Sydney. Parmi les avis qu'il leur donne, il les exhorte à être toujours fidèles à trois choses: 1° à la récitation quotidienne des prières du matin et du soir ; 2° à l'assistance ponctuelle à la messe, dimanches et fêtes ; 3° à la fréquentation mensuelle des sacrements.

Lorsque le Cher Frère Assistant reprend sa place, la salle retentit d'applaudissements. Ensuite on achève la série des morceaux du programme.

Cette séance, dans tout son ensemble, a été splendide et a dû dédommager de leurs peines les Frères qui l'avaient préparée et conduite avec tant de succès. 

SÉJOUR A SYDNEY.

 Du 25 lévrier au 27 mars. – Nous avons consacré tout ce temps à la visite des Établissements, des classes, du collège Saint-Joseph, du Noviciat et du Juvénat.

Nous avons pu constater avec plaisir, tant les efforts et la bonne volonté de tous, que les heureux résultats qui font honneur également à la Religion et à l'Institut.

Il existe, dans toutes les colonies de l'Australie et dans la Nouvelle-Zélande, un système officiel d'éducation qui est appelé neutre, et d'après lequel l'enseignement religieux est banni de l'école.

Dans le principe, les écoles catholiques recevaient une subvention de l'Etat ; mais en 1880, une loi fut votée à Sydney, qui supprima tout secours aux écoles confessionnelles. Depuis lors, le clergéet tous les catholiques ont fait de grands sacrifices pour maintenir leurs écoles tout à fait libres et indépendantes de l'ingérence officielle de l'Etat; et, grâce au zèle du clergé, au dévouement des Frères et des Sœurs dans la colonie, et à la générosité des fidèles, les écoles catholiques, aujourd'hui, ne laissent rien à désirer sous aucun rapport.

Son Eminence le Cardinal a établi un programme d'instruction pour les écoles primaires, et un système d'examen et de récompenses qui excite l'émulation et semble assurer de bons résultats.

Les récompenses consistent en bourses pour les collèges ou le séminaire, en prix en argent de la valeur d'une à cinq livres (25 à 125 francs), en médailles d'argent, en certificats de mérite et en mentions honorables.

Aux examens du mois de novembre dernier, deux cent soixante enfants de toutes les écoles primaires du diocèse (il y en a deux cent soixante-huit tant de garçons que de filles, comprenant trente-quatre mille trois cent vingt-six enfants) ont obtenu des récompenses. Dans ce nombre figurent cinquante-quatre élèves de nos Frères dont deux boursiers ; l'un d'eux est actuellement au collège des Jésuites, à Riverview, et l'autre, au collège Saint-Joseph d'Hunter's Hill.

Le collège Saint-Joseph tient le premier rang, depuis plusieurs années, parmi toutes les institutions catholiques de la colonie, aux examens publics de l'Université, tant pour les seniors (du degré supérieur) que pour les juniors (d'un degré inférieur). Le High School, école supérieure de Saint-Mary's, à Sydney, et même, plusieurs de nos écoles primaires, y figurent également avec honneur. 

XXIX

 LE 27 MARS, FÊTE DE SAINT-PATRICK. 

Vêture de neuf Postulants. –

Bénédiction et inauguration solennelles des bâtiments du collège Saint-Joseph.

 La fête nationale de saint Patrick a eu, cette année, pour les Frères et les élèves de Saint-Joseph, un éclat tout particulier, à cause de la double cérémonie présidée ce jour-là, par Son Eminence le Cardinal Moran.

Dans la matinée, une Messe pontificale a été célébrée par Mgr Higgins, évêque coadjuteur de Son Eminence. Le chœur du Collège a chanté une Messe en musique avec plein succès. La cérémonie de la bénédiction des bâtiments, faite selon le rite de l'Eglise, avait précédé l'office.

Après la Messe, Sa Grandeur, Mgr Higgins, a donné l'habit religieux à neuf postulants. Nous sommes heureux de reproduire ici ce que notre mémoire a pu retenir de sa belle allocution :

      Mes Chers Enfants,

Bien que je n'aie pas beaucoup de temps à ma disposition, je ne saurais laisser passer cette occasion sans vous dire combien je suis heureux et édifié de la belle cérémonie dont je viens d'être témoin; oui, je vous félicite de tout mon cœur de tout ce que j'ai vu.

En effet, n'est-ce pas un spectacle bien touchant de voir neuf jeunes gens sacrifier à Dieu leur jeunesse et renoncer à tout ce qu'ils ont de plus cher en ce monde, pour se dévouer à sa gloire et à la cause de l'éducation chrétienne dans ce beau pays? C'est une cérémonie que ne saurait contempler sans être ému tout évêque, prêtre ou catholique qui a à cœur les intérêts sacrés de notre sainte Religion.

Mes chers enfants, je vous félicite, de la sublime Vocation qui vous porte à quitter le monde, avec tous ses dangers, pourvous enrôler parmi les serviteurs choisis de Dieu : c'est là un signe certain de votre salut éternel. Je vous félicite aussi de la paix et du contentement dont vous jouirez dans cette sainte vocation et de la magnifique récompense qui vous est assurée par la promesse de Jésus-Christ, la Vérité même : « Quiconque, dit Notre Seigneur, aura quitté, pour l'amour de moi, sa maison, ou ses frères, ou son père, ou sa mère, ou ses terres, recevra le centuple en ce monde et, ce qui est encore mieux, possédera la vie éternelle en l'autre ».

Je ne puis, m'empêcher de vous féliciter encore, mes chers enfants, de l'heureuse coïncidence qui vous permet de faire votre premier pas en religion le jour de la fête du glorieux saint Patrick. On pourrait se demander pourquoi, dans ce pays lointain, nous célébrons, avec tant de solennité, la mémoire de saint Patrick. Eh bien, la première raison, c'est que nous sommes presque tous des enfants de ce grand saint, et nous nous rappelons avec reconnaissance que nos ancêtres ont reçu par lui la lumière de la foi. De plus, nous nous demandons s'il y a, dans le ciel, un saint qui ait récolté une plus abondante moisson d'âmes.

Nous pourrions rappeler utilement certains traits de la vie de ce grand saint, qui sont riches d'instruction pour nous, et nous montrent les opérations mystérieuses de la divine Providence. Dans tous les événements de la vie, Dieu a toujours en vue quelque dessein particulier qu'il atteint sûrement, bien qu'il emploie souvent des moyens qui sont pour nous incompréhensibles.

De toute éternité, il avait prédestiné saint Patrick pour être l'apôtre d'une grande nation : or, comment a-t-il accompli ce dessein? Un jour que le saint, étant encore très jeune, s'amusait sur le bord de la mer, il fut enlevé par des pirates qui l'emportèrent comme esclave. Pendant sept ans, il endura toutes les misères de l'esclavage, gardant des pourceaux sur les collines. Il nous semble tout d'abord qu'il ne pouvait y avoir nulle relation entre ses malheurs et son futur apostolat; cependant ce moyen fut choisi par la Providence pour atteindre son but. Dieu permit que saint Patrick fût mené en Irlande pour y apprendre la langue de ce pays et étudier les mœurs et les coutumes de ce peuple qu'il devait évangéliser.

Je puis dire avec certitude qu'il n'est aucun d'entre nous qui, s'il sonde les secrets de son cœur, n'y trouve, à tous les pas de sa vie, des preuves évidentes de l'assistance divine, lui montrant la voie qu'il doit suivre.

Mes chers enfants, nous pouvons encore considérer dans notre Saint, sa parfaite soumission à la volonté de Dieu et aux desseins de sa Providence. Jamais, dans toutes ses privations et les circonstances difficiles de sa vie, il ne lui échappa le moindre murmure; le bonheur comme le malheur, la prospérité comme l'adversité, le trouvaient toujours calme et parfaitement uni à Dieu. Pendant les rudes épreuves de son esclavage, il était continuellement appliqué à la prière ; non seulement le jour, mais encore la nuit, il adressait à Dieu, par centaines de fois, les prières les plus ferventes. Telle était pour lui la source où il puisait ce courage et cette constance qui le soutenaient dans son malheur, et l'aidaient à persévérer dans la voie que Dieu lui avait tracée.

Vous aussi, mes enfants, vous rencontrerez des difficultés ; vous aussi, vous aurez quelquefois à subir des choses qui sont loin d'être agréables à la nature ; car l'épreuve est le lot de tous ceux qui se sont donnés à Dieu. Quiconque aspirerait au service de Dieu, sans vouloir rien souffrir pour lui, se montrerait indigne d'un Maître couronné d'épines et portant la croix sur ses épaules ; d'un Maître qui exprime par ces paroles, l'essence même du service qu'il nous demande : « Si quelqu'un veut venir à nia suite, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix tous les jours, et qu'il me suive. » (Saint Luc, IX, 23). Mais, pour porter notre croix, nous ne sommes pas abandonnés à nos propres forces : Dieu nous donne sa grâce si nous la lui demandons; et c'est ce que nous devons faire en recourant à la prière.

Il y a un autre fait bien intéressant que je ne dois pas omettre. Voilà plus de quatorze cents ans que saint Patrick commença son apostolat parmi les Irlandais, et depuis lors, cette nation a toujours été comme le jardin privilégié de l'Eglise, l'Ile des Saints, où les vertus chrétiennes ont brillé dans toute leur pureté et dans tout leur éclat. Depuis le jour où cet Apôtre prêcha l'Evangile devant l'auguste assemblée des chefs Irlandais, à Tara, jusqu'à présent, leur foi n'a jamais failli et leurs cœurs n'ont connu aucune faiblesse, ce qui ne peut se dire d'aucune autre nation. La France même, la fille aînée de l'Eglise, le bijou de la chrétienté, qui a donné à l'Eglise quelques-uns de ses plus brillants ornements, la France, elle-même, a semblé plusieurs fois chanceler sur le bord du précipice où sa Foi était menacée de sombrer. Mais l'Irlande a ou toujours s'élever au-dessus de tout ce qui aurait pu ébranler la stabilité de sa Foi. Et comment cela? Sans doute c'est un effet de la grâce de Dieu ; mais les historiens de la vie de saint Patrick nous assurent qu'avant de mourir, il pria Dieu de ne jamais permettre que ses enfants spirituels perdissent la Foi qu'ils avaient reçue par son humble ministère : ce fut sa dernière prière sur la terre, au moment même où sa belle âme allait prendre son essor vers Dieu. Et cette prière, à en juger par les effets, fut exaucée d'une manière qui n'est pas ordinaire.

Vous aurez à travailler parmi les enfants de saint Patrick dans ce beau pays de l'Australie. Quel bonheur d'être appelé à perpétuer l’œuvre de ce grand Saint ! Quelle sublime destinée ! Remerciez Dieu qui vous appelle à cette belle mission ; et si vous voulez lui gagner une riche moisson d'âmes, adonnez-vous à la prière, autrement, vous ne produirez jamais les fruits de salut que Dieu et saint Patrick attendent de vous. N'oubliez jamais la nécessité d'être des hommes de prière ; par ce moyen, vous recevrez sûrement les grâces dont vous aurez besoin, vous croîtrez en sainteté et vous produirez des fruits pour la vie éternelle. 

INAUGURATION DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH

A HUNTER'S HILL.

 Le pensionnat Saint-Joseph a eu un commencement bien modeste, comme la plupart de nos Œuvres.

C'est à Saint-Patrick, le 16 juillet 1879, que furent reçus les premiers internes. Ils étaient quatre la première année, vingt-cinq la seconde. Leur nombre croissant toujours, le collège fut transféré à Hunter's-Hill, le 16 juillet 1881, et placé sous la direction du C. F. Emiliani, dont le premier soin fut d'y faire régner la piété, particulièrement la dévotion au Sacré-Cœur, auquel il consacra l'institution. Les pensionnaires étaient cent vingt-deux l'année suivante.

Le 6 octobre 1882, Mgr Vaughan bénit la première pierre de fondation de l'aile sud du bâtiment qui vient d'être complété, et dont l'inauguration fait l'objet de la fête de ce jour. Les élèves, à cette époque, étaient au nombre de cent soixante.

La prospérité toujours croissante du pensionnat fit naître la pieuse pensée d'y ériger, comme un monument d'action de grâces, une belle statue du Sacré-Cœur, laquelle fut bénite en 1885 et placée à la porte principale du collège. Cette même année, il y eut deux cent dix élèves.

Depuis lors, les succès des élèves dans les divers examens ont été constants. Parmi les quinze cents jeunes gens qui, jusqu'à ce jour, ont suivi les cours du collège, deux cent soixante-cinq ont subi avec succès les premiers examens de l'Université, et une soixantaine d'entre eux ont réussi aux seconds.

Le collège est situé sur un terrain élevé, d'une superficie de vingt acres, à 6 milles de Sydney. C'est un immense bâtiment, construit de larges blocs de pierres de taille, extraits d'une carrière du voisinage, propriété de l'Institut.

Le plan de la maison a la forme d'un H, avec un corps principal et deux ailes à quatre étages. Le rez-de-chaussée et les trois étages supérieurs contiennent les classes, les parloirs, les salles d'études, le musée, les dortoirs, etc. Le premier étage de l'aile sud sert provisoirement de chapelle. La cuisine, les dépendances et les réfectoires sont dans le sous-sol, qui est parfaitement éclairé et bien aéré.

Dans les dépendances se trouvent l'infirmerie, les salles de musique, les laboratoires de chimie et de physique, les ateliers, le gymnase, une vacherie, un verger, le jardin des fleurs et le jardin potager.

La première aile du bâtiment est occupée depuis dix ans. Le besoin d'un agrandissement se faisait sentir depuis longtemps, et le complément que l'on inaugure aujourd'hui, et dont la construction a pris quatre ans, est une amélioration manifeste, soit pour le Collège, soit pour le Noviciat, dont on espère aussi le développement.

La séance d'inauguration donnée par les élèves a eu lieu dans le grand préau, décoré pour la circonstance de drapeaux, d'arbustes, de plantes et de fleurs. Un millier de personnes y assistaient, sous la présidence de Son Eminence le cardinal Moran, entouré d'un grand nombre de membres du clergé, de Pères Maristes, de Pères Jésuites, de Pères du Sacré-Cœur. M. Slattery, Ministre d'Etat pour les Mines, et M. Biard d'Aunet, Consul général de France à Sydney, sont au premier rang parmi les invités.

Son Eminence le Cardinal archevêque de Sydney arrive vers les trois heures, accompagné du docteur O'Haran, son secrétaire particulier. Son Eminence porte la soutane rouge et le rochet.

Le programme du concert comprend une douzaine de morceaux, qui sont parfaitement rendus et très applaudis par le public.

Au cours de la séance, on exécute un chant de bienvenue au Cardinal et on lui présente, comme souvenir de la fête, un album contenant les diverses vues du Collège et de ses dépendances. Ensuite Son Eminence monte sur l'estrade, au milieu des acclamations de toute l'assistance, et prononce un beau discours, que nous rapportons ici aussi fidèlement que possible.

                  Mesdames et Messieurs,

Nous sommes venus ici, ce soir, non pour une solennité ordinaire, mais pour inaugurer ce grand collège de Saint-Joseph, qui se montre devant nous, dans toute la magnificence de sa forme et dans son plein achèvement. (Applaudissements).

Il me semble que tous ceux qui ont à cœur les plus grands intérêts de l'Australie doivent se réjouir en ce jour, en union avec, les dévoués Frères Maristes qui, de jour en jour et d'année en année, ont, avec un courage infatigable et persévérant, poursuivi ce travail. Aujourd'hui, ils peuvent se féliciter de voir enfin leurs labeurs couronnés par ce vaste et bel édifice. Les étudiants, passés et présents, doivent aussi se réjouir de voir leur Alma Mater ainsi agrandie, ainsi prospère, et leur promettant, dans l'avenir, de nouvelles et nombreuses victoires, et de nouveaux trophées. (Applaudissements).

C'est, je n'en doute pas, une bien douce satisfaction, pour tout le personnel du collège, de voir chaque année de nouveaux triomphes s'ajouter aux précédents ; mais par dessus tout, nous devons envisager les glorieux résultats que tout véritable ami de l'Australie doit attendre de l'achèvement de ce collège ; car la grandeur d'une nation ne dépend pas précisément des progrès de la littérature, du développement des sciences ou de la prospérité du commerce; toutes ces choses sont bonnes en elles-mêmes et contribuent, sans doute, à sa grandeur; mais, à tout cela il faut joindre la fidélité aux préceptes et aux principes de la vraie civilisation chrétienne, sans laquelle nulle nation ne saurait être vraiment grande. (Applaudissements).

Le collège de Saint-Joseph ouvre largement à ses élèves les trésors de la science, de la littérature et des arts. Mais ces avantages seraient insuffisants si la Religion ne venait éclairer de sa douce lumière l'esprit des étudiants, et gagner leur cœur à la vertu; de telle manière qu'en quittant ce lieu béni, ils se portent généreusement vers tout ce qui est noble, juste et bon. Des citoyens ainsi formés apportent la paix et le bonheur dans leurs propres familles, y ajoutent même la renommée, et sont l'honneur de leur patrie. (Applaudissements).

Je ne dois pas oublier qu'il y a dans cet auditoire quelqu'un dont le cœur bat à l'unisson du nôtre et partage notre joie : j'ai nommé le Révérend Supérieur Général de nos Frères dévoués, venu de sa patrie lointaine pour assister à cette belle fête. (Acclamations vives et prolongées). Je saisis cette occasion pour le remercier publiquement, en mon nom et au nom de l'Eglise australienne, et le féliciter en même temps de la grande Œuvre à laquelle les Frères Maristes se dévouent dans l'intérêt de la Religion et de la science, dans le monde entier, et en particulier ici, parmi nous.

Un peu plus de cinquante ans se sont écoulés depuis la fondation de l'Institut des Frères Maristes, et cette œuvre a grandi considérablement. Son fondateur, le Père Champagnat, était un homme remarquable par sa piété, son zèle et son ardent désir de gagner les cœurs de tous, et surtout des petits, pour les conduire tous aux pieds de Jésus-Christ, notre bon Maître. Il montra dans sa vie l'héroïsme de son dévouement à toutes les bonnes œuvres : aussi j'aime à croire que le jour n'est pas éloigné où l'Eglise lui accordera solennellement la couronne sans prix qu'elle décerne à ses enfants héroïques. (Applaudissements). Depuis qu'il est allé recevoir sa récompense, quel brillant et glorieux cortège de, Frères dévoués ne voit-on pas le suivre, tous animés de son même esprit de zèle et de dévouement et rangés sous la bannière de la Vierge Immaculée !

L'Institut des Frères Maristes compte actuellement cinq mille huit cents sujets. Il a pris naissance dans le diocèse de Lyon, ce vaste et glorieux diocèse, qui peut être justement regardé comme le centre religieux de la France catholique, et qui compte un si grand nombre de ses prêtres et de ses religieux dans les Missions. Le grain de sénevé, semé par le Père Champagnat, est devenu un grand arbre, qui étend ses branches sur le monde entier.. (Applaudissements prolongés). Car aujourd'hui on trouve les Frères Maristes, non seulement en France, mais en Espagne, en Italie, dans les Iles Britanniques, au Danemark, dans les Etats-Unis, au Canada, en Colombie, au nord de l'Afrique, en Algérie, et dans le sud du même continent, si longtemps négligé. Ils sont en Turquie, en Arabie, aux Iles des Seychelles, en Chine et dans les îles du Pacifique. (Vils applaudissements). Et plus près de nous, leurs travaux sont couronnés de succès en Nouvelle-Calédonie, en Nouvelle-Zélande et ici, au milieu de nous. (Acclamations). En vain chercherais-je le nombre des enfants qui sont élevés par cette phalange dévouée : je sais seulement qu'ici, parmi nous, plus de deux mille trois cents enfants reçoivent l'instruction dans le domaine de la science et de la Religion par les soins assidus de nos Frères.

Il semble que c'est seulement hier que ce grand collège a inscrit ses premiers élèves, et déjà mille cinq cents de nos jeunes Australiens ont été élevés dans ses murs bénis, et, parmi ce nombre, deux cent soixante- cinq ont passé les premiers examens de l'Université, et une centaine environ ont réussi au second examen. (Applaudissements répétés). Ces succès doivent consoler et réjouir tous ceux qui ont à cœur l'avenir de l'Australie, en même temps qu'ils présagent de grands et glorieux triomphes pour l'avenir du collège. (Acclamations).

On vante la science comme pouvant procurer la prospérité et le bonheur d'une nation ; mais la religion y contribue bien plus encore, et cependant il arrive souvent que les partisans de la science s'étudient à combattre la Religion.

Sur ce point, je désire être bien, compris : je n'admets nullement qu'il puisse exister le moindre conflit entre la science et la Religion : ce sont deux rayons qui découlent de la même source, et leurs lumières ne peuvent s'éclipser ou s'obscurcir l'une l'autre. Au contraire, tout développement de la science doit ajouter un nouvel éclat et une nouvelle lumière à la Religion, comme tout progrès de la Religion prête sa lumière et son éclat au progrès de la science. (Applaudissements).

Il arrive cependant, de nos jours surtout, que les hommes éminents dans la science, mais entraînés par leurs propres passions, ou ignorants des vérités de la Religion, se mettent à critiquer celle-ci et, proclament devant le monde entier que la science est en conflit avec les enseignements de la Religion.

 Je dois faire remarquer encore que la science est riche par les ressources qui lui sont propres, par la richesse et les immenses trésors qu'elle découvre aux esprits qui la cultivent, et dont elle les orne et les met en possession pour les besoins de la vie.

 La science a été justement comparée à un jardin garni d'une grande variété de fleurs, parmi lesquelles on admire les riches et belles teintes de la rose, de la violette et de quantité d'autres. Mais tout ce que l'on y peut remarquer d'odeurs variées, de beauté et de délicatesse dans les formes et l'es couleurs, est dû, en grande partie, aux rayons du soleil. C'est précisément ce qui arrive au sujet des sciences : elles brillent par leur beauté, par leur perfectionnement, elles ennoblissent l'intelligence, elles enrichissent la société de leurs trésors; mais elles sont redevables, en grande partie, de leur perfection et de leur utilité, à 'la lumière de la Religion, qui les éclaire de ses bienfaisants rayons. (Applaudissements).

Si la vraie science ne peut être en contradiction avec la Religion, il n'en est pas de mêmedes vaines théories des hommes qui ont fait des découvertes et des recherches scientifiques. Je vais vous le démontrer par une comparaison. La Religion est une perle qui est parfaite par el le-même, et que l'on peut montrer telle qu'elle est et sans addition d'aucun ornement. Plus on l'examine, plus on découvre sa beauté et plus on la trouve sans tache. Quant aux théories scientifiques des hommes, bien qu'elles aient l'aspect d'une belle perle, l'enveloppe dont elle est entourée couvre toujours quelque tache, quelque défaut. Plus on examine cette perle de près, plus on y découvre d'imperfections. Je m'explique par une nouvelle remarque.

Ce que la Religion présente de nos jours de particulier, c'est son développement et ses progrès ; c'est là une .preuve qu'elle repose sur une base solide et qu'elle peut soutenir l'épreuve du progrès et du développement scientifique. Depuis mille huit cents ans, chaque principe que la vraie science a découvert, chaque fait qui a été mis en évidence a été accepté par la Religion, qui en a soutenu l'épreuve. C'était comme le marchepied de futurs progrès et d'autres découvertes ; mais il n'en fut pas ainsi des vaines théories basées sur ces découvertes dé la science : toutes ces théories se sont succédé les unes aux autres depuis dix-huit siècles ; pas une n'a pu soutenir l'épreuve de cent ans. Le progrès et le développement des théories scientifiques, séparées de la Religion, ont été le progrès et le développement de ce qui est condamné à la tombe. (Applaudissements).

Je vous lasserais si j'entrais trop longuement dans ces relations entre la science et la Religion, et si je plaçais devant vous tous les grands avantages qui en résulteraient pour la société, si elle savait combiner ensemble l'étude de la science et celle de la Religion ; mais permettez-moi de vous citer un exemple de ce genre, bien que familier à tous.

Vous savez que, pendant l'année qui vient de s'écouler une magnifique Exposition a attiré le concours et l'admiration du monde entier : je veux parler de l'Exposition de ce grand pays au-delà du Pacifique, laquelle a marqué les triomphes des arts, du commerce et de l'industrie, qui caractérisent la fin de ce dix-neuvième siècle.

Et dans quel but a été inaugurée cette exposition ? Ç'a été pour célébrer le plus grand événement, peut-être, que les annales de l'humanité aient eu à enregistrer: la découverte d'un vaste continent, laquelle a été le principe de tant d'autres découvertes et de tant de progrès, non seulement dans les sciences et dans les arts, mais encore dans tout ce qui peut ennoblir le genre humain et assurer la liberté des hommes. (Vifs applaudissements).

Quel fut le véritable héros à cette Exposition ? Christophe Colomb, par son mérite et son dévouement à la science, et par l'héroïsme de son dévouement à la Religion. (Applaudissements).

Personne, aujourd'hui, ne dira que c'est le hasard qui conduisit Colomb, le grand navigateur, à traverser l'Océan Atlantique vers l'ouest. S'étant adonné à l'étude avec un courage persévérant, il connaissait toutes les sciences de cette époque, avec l'astronomie et tout ce qui pouvait jeter quelque lumière sur son entreprise. Après avoir pénétré jusqu'aux régions arctiques, il avait visité les îles du Cap Vert, sur les côtes d'Afrique, et n'avait rien négligé pour se préparer à sa grandedécouverte. Alors, se tournant vers l'ouest, il se représentait, avec toute l'assurance et la certitude de la science, qu'un grand continent devait se trouver par là.

Après une vie entière consacrée à l'étude, il remporta ce triomphe de la découverte qui, bien que faite dans la lumière de la science, était une inspiration de foi et de Religion. C'est par sa grande foi et par l'héroïsme de son dévouement à la Religion qu'il a surmonté toutes les difficultés et triomphé de tous les obstacles.

Ce vaillant soldat du Christ qui, dans sa jeunesse, avait combattu contre les musulmans en Italie, se trouvait au jour mémorable du 2 janvier 1492, auprès du roi d'Espagne, alors entouré de toute la chevalerie, de tout ce qu'il y avait de grand et de glorieux dans cette grande nation catholique. A midi, le roi des Maures se présenta, triste et silencieux, portant à sa ceinture les clefs de Grenade. Les Mahométans avaient destiné cette ville pour être le second Eden, le nouveau paradis de leur superstition. A midi, tandis que le Maure rendait les clefs au roi d'Espagne, on éleva sur le lieu de la scène une croix d'or, toute resplendissante aux rayons d'un beau soleil, laquelle se montrait à tous les regards comme une étoile d'espérance pour toute la chrétienté. (Vives acclamations).

Pour Colomb, c'était quelque chose de plus ; non seulement l'étendard de la croix que l'on déployait en ce moment, marquait la fin de la puissance musulmane, mais encore c'était pour lui le gage d'une autre conquête ; car toute l'ambition de sa vie avait toujours été de voir la croix s'élever sur le nouveau continent que la science lui montrait au-delà des eaux de l'Atlantique. Il donna à son navire le nom de Santa Maria; et matin et soir, on chantait à bord des cantiques à Marie. Son premier soin, en mettant pied à terre sur le nouveau continent, fut de planter la croix sur cette nouvelle terre, sur cette terre gagnée à la science, à la civilisation et à la Religion. (Acclamations).

 Je voudrais dire aux jeunes étudiants de Saint-Joseph que, bien qu'il n'y ait peut-être plus pour eux, de nouveaux continents à découvrir, bien que, probablement, ils ne se fassent pas une renommée comme celle que Christophe Colomb se fit par son héroïsme pour la Religion et pour la science, néanmoins, dans leur sphère respective, ils peuvent encore remporter de nouveaux triomphes se couvrir de nouvelles gloires. Applaudissements Dans leurs familles et dans leurs diverses vocations, ils peuvent devenir un honneur pour leur pays et contribuer largement au bien public de cette grande Australie, s'ils remplissent fidèlement tous leurs devoirs.

Je termine par la remarque que, dans le collège Saint-Joseph et autres institutions semblables, nous avons la meilleure et la plus sûre garantie que cette grande contrée dans laquelle nous vivons est appelée à se distinguer par sa littérature, ses sciences, son industrie, son commerce, joints à la bienfaisante influence de la civilisation chrétienne, qui va s'étendre d'un bout à l'autre de cette contrée.

Je vous engage donc à vous joindre à moi pour souhaiter succès aux futurs élèves du collège de Saint-Joseph. (Applaudissements).

 Je suis persuadé que tous vous désirez, comme moi, que les Frères et tous ceux qui, comme eux, sont engagés dans cette grande œuvre de l'éducation chrétienne, se répandent d'un bout à l'autre de l'Australie, et portent partout la bienfaisante influence de la science et de la Religion. (Applaudissements prolongés).

 7  M. Slattery, ministre d’Etat pour les mines, se leva pour proposer un voté de remerciements à Son Eminence le Cardinal, pour le beau discours qu'il venait de prononcer.

En sa qualité de séculier catholique,il adressa ensuite ses plus cordiales félicitations aux Frères Maristes pour l'achèvement du collège Saint-Joseph. Comme le Cardinal, il exprima l'espoir que de nombreux jeunes gens sortiraient de ce collège pour les différentes professions de la colonie, parfaitement formés, non seulement dans la littérature, les sciences et les arts, mais aussi dans ce qui serait encore plus utile pour eux et pour le pays, dans la Religion elle-même.

Dans un livre qu'il venait de lire, et dont l'auteur n'était pas évidemment un ami du catholicisme, il avait été frappé de ce fait que cet écrivain, en parlant de la guerre faite à l'Eglise catholique, en 1866, par M. de Bismarck, cet homme d'Etat avait déclaré que, quoique protestant lui-même et bien résolu à rester protestant, il aurait préféré voir toute l'Allemagne devenir catholique que de la voir perdre le christianisme. Par là, il reconnaissait clairement, avec les hommes publics de tous pays, qu'il ne suffit pas, dans les différentes professions et les divers états de la vie, d'être des hommes intelligents et instruits, mais qu'il faut encore que les cœurs soient soumis aux saintes influences de la religion.

Monsieur le Ministre eut ensuite quelques paroles bienveillantes pour le Supérieur Général des Frères Maristes. Il était à même, dit-il, de savoir, par suite de ses relations avec, toutes sortes de personnes, que, le public catholique de toute la colonie savait apprécier le bien que faisaient les Frères parmi les enfants. Aussi, se plaisait-il à former des vœux pour la prospérité, toujours croissante du collège Saint-Joseph. (Applaudissements).

 Le R. P. Le Rennetel, supérieur des Pères Maristes de Saint-Patrick, se leva au milieu des applaudissements pour appuyer le vote de remerciement, proposé par M. Slattery. Il félicita les Frères Maristes du grand honneur d'avoir, à l'inauguration de leur collège, Son Eminence le Cardinal, le personnage le plus érudit de l'Australie, le plus capable, par ses connaissances littéraires et historiques, de tenir tête à tous ses adversaires. (Applaudissements).

Le Cardinal déclara de nouveau, au milieu des applaudissements, qu'il était heureux de pouvoir participer à la joie des bons Frères dans cette fête de famille. 

XXX

 LE JUVENAT.

 Mardi, 20 mars. – Aujourd'hui,nous assistons à la lecture des notes et des résultats des compositions trimestrielles, au Juvénat de Saint-Mary's à Sydney. Les Juvénistes, au nombre de trente, ont donné une petite séance de chants et de débits, avec un compliment pour exprimer leur respect et leur vénération pour les Supérieurs et leur attachement à leur vocation.

Ces jeunes gens sont recrutés dans toutes les colonies mais principalement dans nos écoles. La Nouvelle-Zélande, en particulier, s'est distinguée par le nombre de sujets qu'elle a déjà fournis à l'Institut.

Les Juvénistes, reçus à l'âge de douze à quatorze ans, sont employés comme moniteurs dans les écoles de Sydney, pendant deux ou trois ans, avant leur admission au Noviciat. Ils sont placés sous la direction du C. F. Kostka aidé de deux Frères professeurs, qui leur font des cours en rapport avec leur instruction et les programmes suivis dans les écoles.

 Lundi, 26 mars, veille de notre départ pour la France. – Les élèves du collège Saint-Joseph ont voulu nous exprimer leur respect,leurs adieux et leurs souhaits de bon voyage, et nous offrir un bel album des différentes vues du collège, en souvenir de notre visite à Hunter's Hill. Ils ont aussi chanté plusieurs beaux morceaux de musique.

Le Cher Frère Assistant les remercie au nom du Révérend Frère Supérieur et, en quelques mots, leur donne quelques bons avis concernant leurs devoirs d'élèves et de chrétiens.

Parmi les visites que nous avons reçues au collège Saint-Joseph, je dois mentionner celle de Son Eminence le Cardinal Moran, peu de jours avant la solennité de la bénédiction du collège ; celle de M. G. Biard d'Aunel, consul général de France à Sydney, et celle de M. Paul de Chauliac, capitaine de frégate, commandant du Scorff, vaisseau de guerre français, visitant Sydney et faisant partie de la division navale de l'Océan Pacifique. 

XXXI

 DÉPART POUR MARSEILLE SUR « L'ARMAND-BREHIC. »

 Mardi, 27 mars. – Au moment du départ, les Frères de Sydney étant réunis à Saint-Patrick, le C. F. Félix provincial, nous a exprimé, en anglais, les adieux de tous.

               Très Révérend Frère Supérieur,

              Cher Frère Assistant,

Permettez-moi, au nom des Membres de la Société qui sont répandus dans ce district, et de ceux de vos enfants ici présents, de vous exprimer les sentiments d'amour et de reconnaissance que nous éprouvons tous pour notre vénéré Supérieur Général et pour son digne Assistant, et de vous adresser quelques paroles d'adieu avant votre départ pour la Maison-Mère.

J'ai eu l'insigne privilège de vous accompagner dans vos visites en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie.

Cette faveur, que je ne saurais suffisamment apprécier, m'a rendu l'heureux témoin de votre amour et de votre dévouement pour nos Frères Missionnaires. J'ai partagé vos joies, et même les dangers auxquels vous vous êtes exposés pour connaître les besoins, les travaux, le zèle et l'esprit de sacrifice de vos chers enfants. Et maintenant, au moment du départ, je sens par avance ce qu'aura de pénible pour nous la privation de votre présence. Bien volontiers, je m'écrierais avec saint Pierre : « Dressons ici trois tentes », ou bien : « Je suis prêt à vous suivre jusqu'à la mort ». Mais, hélas ! je dois nie résigner et abandonner mes préférences personnelles ; car, je sais que vous avez d'autres enfants que vous aimez et à qui vous désirez porter des paroles de consolation.

Notre ardent désir est de vous revoir bientôt au milieu de nous, ou du moins quelqu'un de vos représentants, pour continuer le bon travail que vous avez si bien commencé, tout en nous donnant l'exemple de tolites les vertus chrétiennes et religieuses.

Comme les Apôtres, après l'ascension de leur divin Maître, nous nous adresserons à Celle qui est notre Ressource ordinaire. Qu'il est consolant de lever les yeux vers l’Immaculée Marie, à qui vous nous avez confiés. Sous sa maternelle protection nous espérons atteindre heureusement le port, du salut éternel, pour y rejoindre nos nombreux Frères qui ont soutenu le bon combat- et obtenu la persévérance finale. Nous lèverons aussi regards vers, notre vénéré Fondateur, pour lui demander les trois belles vertus qui sont le cachet de notre chère Congrégation ; et nousavons la ferme confiance que le jour n'est pas éloigné où il nous sera permis de lui rendre publiquement les honneurs que mérite sa sainte vie. Nous tâcherons d'avancer cet heureux jour par nos ferventes prières et par l'imitation de ses vertus. Lorsque vous serez agenouillés sur sa tombe, veuillez le prier de nous obtenir son esprit de zèle pour les Missions.

 S'il vous est donne de voir de nouveau Notre Saint-Père le Pape, veuillez exprimer à Sa Sainteté l'amour filial et la profonde vénération de ses enfants éloignés de l'Océanie, et lui demander pour eux une bénédiction spéciale.

Nous vous prions aussi de bien vouloir exprimer notre profonde reconnaissance a votre, représentant immédiat, le C. F. Philogone et autres Assistants et Membres du Régime, du sacrifice qu'ils ont fait pour nous en se privant du plaisir et des avantages de votre présence; ainsi qu'à notre cher et regretté F. John, à qui nous sommes redevables, en grande partie, du bonheur dont nous avons jouià l'occasion de votre voyage.

Comme dernière requête, nous vous demandons un souvenir spécial dans vos prières et dans celles de toute la Congrégation, pour que les différentes sections de cette province continuent de croître et de s'étendre jusque dans les îles les plus éloignées de l'immense Pacifique.

En terminant, nous vous promettons nos prières et celles de nos enfants, et nous avons la confiance que Celui dont la puissance apaisait les flots de Génésareth, vous guidera sûrement dans votre longue traversée.

Adieu, Très Révérend Frère Supérieur et Vénéré Frère Assistant. Que Marie, l'Etoile de la mer, vous conduise tranquillement en vue de Notre-Dame de la Garde, pleins de force et de santé.

Veuillez nous bénir encore une fois, nous tous ici présents, et tous les membres de cette province.

Après ces touchants adieux, le Cher Frère Provincial les Frères Directeurs et quelques autres nous accompagnent jusqu'au bateau. Le T. R. P. Le Rennetel, supérieur de Saint-Patrick,, le T. R. P. Muraire, supérieur de Villa-Maria, le R. P. Tressallet et le F. Florentin viennent aussi nous souhaiter un bon voyage. Les Juvénistes sont là également et nous saluent à plusieurs reprises, tandis que le bateau s'éloigne dit quai.

 La mer est très calme jusqu'à Melbourne, où plusieurs passagers se joignent à nous, entre autres, le T. B. P. Belton, chanoine régulier de Saint-Jean-de-Latran, lequel vient de passer trois ans en Australie, pour raison de santé. Il a fondé une église et une paroisse à Gympie, diocèse de Brisbane, et se propose d'y retourner avec des Pères de son ordre.

 De Melbourne à Albany, nous avons eu une grosse mer, et de là à Mahé, un fort roulis durant toute la traversée. Plusieurs passagers en étaient incommodés. Quant à nous, notre bonne Mère nous a préservés de toute indisposition. De plus, nous avons eu le privilège d'avoir la messe à pou près tous les jours.

 Samedi 7 avril. – Aujourd’hui, un incident qui n'est pas sans intérêt, est venu interrompre la monotonie du voyage. La nuit dernière, un petit enfant est né à bord, le septième de la famille d'un brave surveillant, des pénitenciers de Nouméa, rappelé en Franco, par ses chefs.

 Le B. P. Belton est appelé pour administrer le sacrement de baptême au nouveau-né, qui ne paraît pas viable. Il est mort, en effet, trois heures plus tard ; et, dans la soirée, ont eu lieu les obsèques selon les rites de l'Eglise. Le petit cercueil, couvert du drapeau de la France, fut déposé sur une planche près d'un sabord. M. le commandant et les officiers du bord, en grande tenue, quatre matelots, bon nombre de passagers ainsi que le père, les frères et les sœurs du petit défunt, formaient le cortège funèbre. M. le Chanoine, assisté de deux acolytes, le Révérend Frère Supérieur et son Assistant, récite les prières de l'Eglise ; et, après l'aspersion d'eau bénite, les matelots, sur l'ordre du Commandant, lèvent la planche par un bout, et le petit, cercueil, chargé d'un poids de 20 kilos, creuse sa propre tombe et coule au fond de la la mer. Un ange est entré au Ciel et nous avons un protecteur de plus pour nous conduire à bon port. Deo gratias

A Mahé, nous avons retrouvé nos Frères en assez bonne santé, toujours fidèles à la Règle et tout entiers à leurs écoles.

Un bon nombre de passagers venant de Bourbon montent à bord. Un Père capucin de Mahé s'embarque avec nous, et retourne en Savoie pour raison de santé.

 Depuis Mahé, la mer est très belle et la chaleur tien supportable.

Nous arrivons à Aden le 20, au soir, et nous avons la consolation de passer la nuit chez nos Frères. Grâce à Dieu, nous les trouvons, cette fois, tous les trois en bonne santé. Nous n'avons pu voir les élèves; cependant ils nous avaient préparé un compliment en anglais et en arabe, qui nous a été remis.

Nous repartons pour Suez à sept heures du matin. Le nombre des passagers s'est accru d'officiers anglais de l'armée des Indes. Ces messieurs sont fort convenables ;.ils parlent avec plaisir de leurs exploits dans l'Indoustan.

Le dimanche, on dit la messe sur le pont ; Monsieur le Commandant, plusieurs officiers et bon nombre de passagers y assistent.

Les chaleurs de la Mer Rouge n'ont rien de trop pénible pendant notre passage. Dans le canai de Suez, nous rencontrons un grand bateau russe, chargé d'émigrants. De longs et enthousiastes hourras s'échangent entre les passagers et les équipages des deux navires.

Nous passons aussi auprès d'un bateau hollandais, l'Amsterdam, sur lequel nous remarquons neuf religieuses. Nous leur rendons le salut et nous prions Dieu de bénir leur future mission dans les colonies.

Arrivés à Messine, les officiers, anglais organisent sur le pont des jeux et des concours au profit des matelots ; mais, au sortir du détroit, une forte rafale vient subitement interrompre tous ces préparatifs ; chacun cherche un abri où il peut ; quelques-uns même se préparent déjà à payer le tribut à Neptune. Heureusement, cela ne dure qu'une demi-heure environ, tout rentre dans le calme, et les jeux recommencent : il y a des courses aux sacs, des courses à trois jambes, des courses aux œufs : il s'agit de courir en tenant un œuf sur une cuiller, sans le laisser tomber, malgré le roulis du bateau. Mais ce qui a le plus amusé, c'est le repas à la crème. Deux matelots, ayant les yeux bandés, se donnent mutuellement de la crème à manger. On comprend que souvent les cuillers se vident partout ailleurs que dans la bouche : aussi, à la fin du repas, les mangeurs de crème ont grand besoin de se laver et de changer de blouse. On dit que ces distractions viennent fort à propos vers la fin d'un si long voyage ; car alors les passagers commencent à languir et nous étions bien un peu de ce nombre : ilnous tardait d'arriver au port.

 En passant dans le détroit de Bonifacio, on nous fit remarquer le monument élevéen mémoire des six cents soldats français qui périrent en cet endroit, dans le naufrage de la Sémillante, en se rendant en Crimée pendant la guerre de 1854.

 De Bonifacio à Marseille, nous avons trouvé une mer démontée ; c'était le reste d'une tempête qui avait causé un naufrage sur les côtes de l'Afrique. 

XXXI

 ARRIVÉEEN FRANCE.

 30 avril 1894. Voilà notre dernière nuit passée dans cette gigantesque maison flottante que l'on appelle l'Armand-Béhic. Nous venons de nous acquitter envers le Seigneur, notre Dieu et le conservateur de nos jours, de nos devoirs d'adoration, de louange, d'amour et d'actions de grâces   Debout sur le pont du navire, les yeux tournés vers la France, nous contemplons encore une fois la saisissante immensité de la mer, et le spectacle, si souvent renouvelé, et cependant toujours si beau, des feux resplendissants du soleil se reflétant dans l'azur des flots. Qu'apercevons-nous là-bas, dans le lointain? C'est la terre, ce sont les côtes de France, c'est la France notre patrie bien-aimée, la nation si favorisée de Dieu. Le cœur tressaillant d'une douce émotion, nous la saluons, noussouhaitons à ses enfants la paix et la vraie liberté, cette liberté dont nous avons vu les heureux fruits dans les pays que nous venons de visiter.

Notre navire continue de filer rapidement, mais non au gré de nos désirs. Cependant, nous voici en vue de Marseille ; de là-haut, comme à notre départ, Notre-Dame de la Garde nous sourit et nous bénit. Salut, ô Vierge Immaculée ! douce et bonne Mère, qui avez veillé sur nous avec une si tendre sollicitude durant notre long voyage. Salut et actions de grâces ! Donnez-nous votre cœur pour louer et remercier dignement le Seigneur notre Dieu.

Enfin, nous touchons au port. Il est sept heures du matin. Nous apercevons sur le quai le Cher Frère Assistant de Saint-Paul-Trois-Châteaux et plusieurs autres Frères. Bientôt nous arrivons tout près d'eux, et, leurs mains dans nos mains, nous les embrassons, nous leur parlons des yeux, de la bouche et du cœur, et nous nous donnons mutuellement tous les témoignages d'une vive et sainte affection. Sans tarder, nous nous rendons chez nos Frères de Saint-Joseph, et, de là, à l'église, où nous entendons une messe d'actions de grâces. Dans l'après-midi, tous nos Chers Frères de Marseille et de la banlieue, au nombre de soixante-dix à quatre-vingts, se réunissent à l'établissement de Saint-Joseph, pour fêter notre heureux retour.

Après Marseille, la communauté de Saint- Paul-Trois-Châteaux, celle d'Aubenas, et les Juvénistes de la Bégude, reçoivent notre visite, et, comme nos Frères de Marseille, tous se livrent à la joie, se mettent en fête et nous témoignent des sentiments dont nous sommes vivement touchés.

Nous arrivons enfin à la Maison-Mère, le samedi 5 mai. Là, comme à Marseille, comme à Saint-Paul, à Aubenas, à la Bégude et en Océanie, ce sont des guirlandes, des drapeaux, des banderoles, des écussons, des inscriptions, des compliments, des ovations, tout un appareil de fête, où nos artistes et nos poètes ont eu. à cœur de déployer tous leurs talents. Quant à ces derniers compliments, on voudra bien me dispenser de les reproduire ici, quoiqu'ils expriment de louables et édifiants sentiments, toutes réserves faites, néanmoins, pour ce que j'appellerai les innocentes exagéra rations de la piété filiale.

On comprendra que je ne puis entrer dans le détail de toutes ces démonstrations, dont nos cœurs ont été si profondément touchés. Qu'il me suffise de dire que si les contempteurs de la vie religieuse eussent été témoins de la joie sincère, du bonheur réel et de toutes les affectueuses et cordiales manifestations qui ont éclaté parmi nous, à l'occasion de notre heureux retour, certainement ils n'eussent pu s'empêcher de s'écrier : Voyez comme ils s'aiment ! » Oui, nous nous aimons, et notre amour est vrai, parce que nous nous aimons en Dieu et pour Dieu. 

XXXII 

CONCLUSION.

 Voilà, mes Très Chers Frères, dans sa simplicité, le récit de ce que notre voyage nous a paru avoir pour vous d'intéressant. Il me semble que le sentiment qui doit maintenant dominer dans vos cœurs, c'est celui de la reconnaissance. Remercions donc le Seigneur, et disons avec le Roi-Prophète : Laudate Dominum, omnes gentes… – Nations, louez le Seigneur ; peuples louez-le tous ; parce qu'il a signalé envers nous la grandeur de sa miséricorde_ – Et que chacun de nous s'écrie avec la sainte Vierge, Magnificat anima mea Dominum. – Mon âme glorifie le Seigneur. – Oui, tous, glorifions le Seigneur, parce qu'il a daigné se servir de notre néant pour la réalisation de ses desseins, pour faire de grandes choses, oserai-je dire ; car, travailler au salut des âmes, c'est quelque chose de grand, de sublime, de divin ; car une âme, fût-elle celle du plus pauvre, du plus délaissé des humains, vaut plus que tout l'univers. Mais si nous sommes appelés à coopérer avec l'Eglise, avec Dieu lui-même, au salut des âmes ; si nous avons fait quelque bien aux âmes, soit en France, soit en Océanie, soit dans d'autres parties du monde, ne nous en glorifions pas. Non nobis, Domine, non nobis… – Non à nous, Seigneur, mais à vous seul la gloire! Pour nous, humilions-nous de ce que, trop souvent, nous sommes, par la recherche de nous-mêmes et par nos péchés, un obstacle au bien et à l'accomplissement des desseins de la miséricorde de Dieu. Sachons nous dépouiller, nous vider de nous-mêmes, afin que Dieu se communique à nous avec ses grâces dont nous avons tant besoin.

Laissez-moi encore, mes Très Chers Frères, ajouter ici une réflexion à l'occasion de mon voyage. Selon qu'il a été dit dans les souhaits de bienvenue qui m'ont été adressés à mon retour à la Maison-Mère, il faut voir dans ce voyage quelque chose de plus que le côté sentimental; il faut considérer que je n'ai pas traversé les mers en vue de recueillir des ovations et de m'enivrer d'une vaine louange, mais qu'avant tout, j'ai voulu remplir un devoir de ma charge, de cette charge redoutable dont il me faudra bientôt rendre compte à Celui qui juge les justices mêmes. Si j'ai fait une bonne action, une action digne d'être louée et récompensée, grâces en soient rendues à Dieu, qui m'a donné le vouloir et le pou voir, et à qui je dois de savoir que le véritable amour est celui qui se donne et s'immole. Ainsi a aimé Jésus-Christ, notre divin Maître et Modèle ; ainsi doivent aimer ses disciples; ainsi a aimé notre saint Fondateur, dont nous devons retracer les vertus ; ainsi ont aimé mes dignes et vénérés Prédécesseurs et tous les bons Frères, nos devanciers. Gardons-nous donc d'aspirer au repos, à la vie douce et tranquille, de déserter le champ de bataille, quand il faut travailler et combattre. Tous, mes Très Chers Frères, unissons nos prières, nos efforts, nos cœurs et nos volontés pour soutenir, fortifier et développer l'œuvre fondée par le P. Champagnat. Que nous serions coupables si nous la laissions péricliter par notre faute ! Mais il n'en sera pas ainsi : elle vivra, elle grandira, elle peuplera le ciel de saints. Efforçons-nous donc d'être de plus en plus des religieux pieux, réguliers humbles, chastes, obéissants, zélés, détachés des choses qui passent, affamés des seuls biens qui ne finissent pas. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés !

Ne négligeons donc rien, M. T. C. F., pour apporter cette faim et cette soif de la justice aux retraites que Dieu, dans sa miséricorde, nous ménage pour cette année. 

EPOQUES DES RETRAITES EN 1894.

 1. Saint-Genis-Laval, du 20 au 27 juin, pour les membres du Régime et de l'Administration.

 2. Dumfries (Ecosse), du 19 au 26 juillet.

 3. Saint-Athanase d'Iberville (Canada), du 26 juillet au 2 août.

 4. Mataró (Espagne), du 31 juillet au 7 août.

 5. Alger, du 7 au 13 août.

 6. Ecouis, du 12 au 19 août, pour les Frères de Londres.

 7. Beaucamps, du 22 au 29 août.

 8. Saint-Genis-Laval, du 28 août au 4 septembre.

 9. Hermitage, du 30 août au 6 septembre.

 10. Varennes, du 2 au 9 septembre.

 Il. Saint-Paul-Trois-Châteaux, du 4 au Il septembre.

 12. Aubenas, du 9 au 16 septembre.

 13. Arlon, du 12 au 19 septembre.

 14. Notre-Dame de Lacabane, du 16 au 23 septembre.

 Les Grands Exercices auront lieu du 19 août au 16 septembre, à Bourg-de-Péage et à Saint-Didier, pour les Frères Directeurs et Profès des Provinces du Midi et du Centre qui y seront appelés.

Les Frères des Provinces de France admis à la Profession seront appelés à La Côte-Saint-André.

Les Frères de Sydney et de Popayán font leur retraite en juillet ; ceux de Nouvelle-Calédonie, du Cap et des Seychelles, font la leur en décembre ; ceux de Nouvelle-Zélande, en janvier.

Les Frères de Rome, de Chine et de Constantinople font aussi la leur dans le mois d'août.

Pour nous préparer à ces retraites et obtenir que. Dieu les bénisse, nous réciterons, avant et après la fête de l'Assomption, les prières qui ont été déterminées à cette fin, l'année dernière et les années précédentes. 

Nos DÉFUNTS.

 F. ARSENIUS, obéissant, décédé à Lacabane (Corrèze), le 5 août 1893.

F. MARIE-JEPHTÉ, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 3 novembre 1893

F. CLAUDE-MARiE, décédé à Nelson (Nouvelle-Zélande), le 5 novembre 1893.

F. FRÉDIEN, Novice, décédé à Fuveau (Bouches-du- Rhône), le 8 novembre 1893.

F. OTHONIS, Profès, décédé Beaucamps (Nord), le 26 novembre 1893.               

F. ETIENNE-FRÉDÉRIC, Obéissant, décédé à Varennes-sur-Allier (Allier), le 30 novembre 1893.

F. ENGELMER, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 1ier décembre 1893.

F. ALFRED-JOSEPH, Obéissant, décédé à Antibes (Alpes-Maritimes), le 8 décembre 1893.

F. ABDON, Obéissant, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 21 décembre 1893.

F. GILDUIN, Profès, décédé à Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais), le 21 décembre 1893.

F. FAUSTIN, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 22 décembre 1893.

F. SABIN, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 24 décembre 1893.

F. LOUIS-AUBERT, Novice, décédé à Beaucamps (Nord), le 27 décembre 1893.

F. DULCISSIME, Profès, décédé à Lacabane (Corrèze), le 30 décembre 1893.

    OLLIVIER Théophile, Juvéniste, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 6 janvier 1894 

    COMAN Michaël, Postulant, décédé à Saint-Hyacinthe (Canada), le 7 janvier 1894.

F. FLORENCE, Profès, décédé à Luc-en-Provence (Var), le 11 janvier 1894.

.F. AMABLE, Stable, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 13 janvier 1894 . 

F. ALPHÉE-JOSEPH, Novice, décédé à Saint-Quentin-la-Poterie (Gard), le 13 janvier 1894.

F. SÉRAPIEN, Novice, décédé à Saint-Antoine (Isère), le 14 janvier 1894.

F, FLAMIDIEN, Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 14 janvier 1894.

F. HALVARUS, Novice, décédé à Beaucamps (Nord), le 25 janvier 1894.

F. SARRE, Profès, décédé à Nanterre (Seine), le 31 janvier 1894.

   ASTIER Joseph, Juvéniste, décédé dans sa famille à Chérines (Htes-Alpes), le 31 janvier 1894.

F. MARC, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 6 février 1894.

F. PHILÉGON, Obéissant décédé à Saint-Marcellin (Loire), le 8 février 1894. ,

F. AVOCATUS, Novice décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 19 février 1894.

F. MALACHIE Stable, décédé à Aubenas (Ardèche), le 20 février 1894

F. GERMAIN, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 23 février 1894.

F. FRANCOIS-XAVIER, Novice, décédé à Glasgow (Écosse), le 12 mars 1894.

   MOUNIER Pierre, Postulant, décédé à Aubenas (Ardèche), le 16 mars 1894.

F. ALBERIC,  Obéissant, décédé à Serres (Hautes-Alpes), le 21 mars 1894.

F. EDWARD-JAMES, Novice, décédé à Dumfries (Ecosse), le 21 mars 1894.

F. VALFRIDUS, Obéissant, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 24 mars 1894.

F. ULFIN, Novice, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 9 avril 1894

F. ANGELE, Novice, décédé à Saint-Pierre-des-Macchabées (Ardèche) , le 26 avril 1894.

F. MARIE-ALBERIC, Profès décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 28 avril 1894.

   MARTIN Théodore, Postulant, décédé à Piolenc (Drôme), le 3 mai 1894.

F. LOGER,Obéissant, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 14 mai 1894.

F. STEPHANIDE, Obéissant, décédé à Saint-Pierre-des-Macchabées (Ardèche), le 21 ma, 1894.

 

Je recommande instamment tous ces chers défunts a vos plus ferventes prières, et vous rappelle, à leur occasion, l'exact accomplissement de ce qui est prescrit par nos Règles communes.

La présente Circulaire Sera lue en communauté à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle, et une seconde fois, au réfectoire, dans les maisons de Noviciat. 

Je suis, avec la plus tendre affection, en Jésus, Marie, Joseph,

Mes Très Chers Frères, votre très humble et très dévoué serviteur,

         F. THEOPHANE.

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[1] : Le mille marin est de 1.852 mètres.

[2] : Nous n’avons pas distingué, comme nous l’aurions désiré, le Mont Sinaï, témoin de tant de merveilles. Une brume malencontreuse nous a privés de ce spectacle.

[3] : Taïti.

[4] :Aukland.

[5] : Nos écoles de la ville sont à Saint-Patrick, Saint-Benedict, Saint-Mary’s, Sacred Heart et Saint-Francis ; celles des faubourgs sont à Parramatta, North Sydney et Villa-Maria.  

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