Circulaires 189

Théophane

1897-12-25

Circulaire du 25 décembre 1897 : Souhaits de bonne année. - Décret de non culte (Cause du V. Champagnat). - Faveurs  attribuées au V. Cham­pagnat. - Echo du Congrès eucharistique de Paray-le-Monial. - Voyage en Amérique. - Consécration de la chapelle de Notre-Dame de Lacabane. - Inauguration du second Noviciat de six mois. -  Noviciat de Vich (Espagne), petit historique, vêture. - Fondations en 1897. - Départs pour les Missions en 1897. -  Etablis­sement des Frères au Brésil. - Une œuvre de jeunesse en Espagne. - Le bien à l'école par la communion fré­quente. - Orphelinat de Sédières. - Chine, rapport.­ Visites épiscopales. - Avis divers. - Décès

189

51.04.01.1897.2

V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval, le 25 décembre 1897.

Nativité de Notre-Seigneur.

     Mes Très Chers Frères,

Nous voici de nouveau à la fin d'une année, époque toujours féconde en douces impressions, par suite des sentiments qu'elle fait naître ou qu'elle réveille et fortifie dans nos cœurs, des devoirs qu'elle impose, et des enseignements que nous apporte ce passage imperceptible d'une année qui s'enfuit à celle qui commence.

Bonne et heureuse année ! Tel est le résumé de tous les biens que je vous souhaite, le résumé des vœux qu'à l'occasion des belles fêtes de Noël je n'ai pas manqué de former pour vous et de présenter au saint Enfant Jésus, en le priant de répandre sur vous les plus précieuses et les plus abondantes bénédictions, et de faire que, par sa grâce, le nom béni que chacun de vous a reçu de la religion soit porté dignement, saintement jusqu'à la mort, honoré par la pratique de toutes les vertus, et à jamais inscrit dans le livre de vie.

Voilà, M. T. C. F., ce que nous devons demander à Notre-Seigneur les uns pour les autres. Mais là ne doivent pas se borner nos souhaits. Enfants de Dieu, notre devoir est aussi d'adresser nos vœux à notre Père Céleste. Quels seront-ils ? Nous n'en saurions formuler de meilleurs que ceux des anges annonçant aux bergers la naissance du Sauveur : Gloire à Dieu dans le ciel ; et ceux que Notre-Seigneur lui-même nous a enseignés : Notre Père qui êtes aux Cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite  sur la terre comme au ciel. Désirer, chercher la gloire de Dieu, l'établissement de son règne, l'accomplissement de sa sainte volonté, de son bon plaisir ; lui donner en tout et partout la place qui lui est due ; lui faire la part la plus grande, la plus parfaite, la plus digne possible dans nos projets, dans nos entreprises, dans nos œuvres : telle doit être sans cesse la fin de nos résolutions, de nos efforts, de nos travaux et de tous nos actes.

A Dieu donc et à Dieu seul l'honneur et la gloire. A Dieu toute louange, toute adoration, tout amour, toute action de grâces pour les bienfaits reçus, pour le bien accompli, pour tous les biens du corps et de l'âme, du temps et de l'éternité. C'est sa part nécessaire et incommunicable.

Mais notre part à nous, quelle sera-t-elle ? Ah ! soyons sans crainte ; les anges nous l'annoncent par ces paroles – Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, à ceux qui sauront respecter les droits de Dieu et lui faire hommage, lui rendre gloire de tout et s'oublier eux-mêmes. Notre part, ce sera la bénédiction de Dieu sur nous, sur notre Institut, sur le temporel comme sur le spirituel ; ce sera le centuple promis pour le temps ce sera, pour l'éternité, le droit à des richesses immenses, à des honneurs incomparables, à des délices infinies, à la possession de Dieu même.

Ainsi, M. T. C. F., glorifier Dieu et faire son adorable volonté, voilà pour nous le secret d'être heureux, et le moyen d'obtenir que Dieu exauce nos vœux et que notre année, que notre vie tout entière s'écoule dans la paix et le contentement. Dieu, dit le Roi-Prophète, accomplira la volonté de ceux qui le craignent, il exaucera leurs prières et les sauvera (Ps., CIV, 19). Il ira au-devant de leurs moindres désirs; il entendra les dispositions, la préparation de leur cœur (Ps., x, 17). 

Voulons-nous ne pas perdre de vue et mettre en pratique ce que demande de nous la gloire de Dieu ? Rappelons-nous sans cesse que notre vie doit être copiée sur celle de Jésus-Christ, notre divin modèle, dont toutes les actions et toute la vie ont eu pour fin principale la gloire de son Père. Chaque matin, prenons la résolution de pratiquer tout ce qui est contenu dans ce bel acte d'offrande: Je suis à vous, ô ! mon Dieu, et je vous consacre toutes mes pensées, mes paroles, mes actions et mes peines. Bénissez-les, Seigneur, afin qu'il n'y en ait aucune qui ne soit animée de votre amour et ne tende à votre plus grande gloire. » Apportons aussi une attention spéciale à cette autre prière: 0 Jésus vivant en Marie, venez et vivez dans vos serviteurs, etc.

Avoir Jésus-Christ en nous, pouvoir dire avec saint Paul : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi, c'est avoir la grâce, c'est posséder la véritable vie, la paix, le bonheur, le centre et la source de tous les biens. Que notre grand travail de toute l'année, ou plutôt de toute la vie, soit donc de faire vivre Jésus-Christ en nous, de penser, aimer, vouloir, parler et agir comme Jésus-Christ; en un mot, de l'imiter dans sa vie humble, pénitente, dans sa vie d'obéissance, de souffrance et de croix. Et combien cela nous est facile, étant tous les jours à côté du très Saint Sacrement, réconfortés par le sacrifice de la messe, souvent nourris du corps et du sang de Jésus-Christ, entourés de tant de bons exemples, défendus par nos saintes Règles, par nos murs, par notre habit, par nos exercices de piété et par toutes nos pratiques de dévotion ! Oui, nous serions inexcusables si tant de moyens de perfection demeuraient stériles, si nous ne servions pas le bon Dieu avec ferveur, si .nos jours, nos semaines, nos mois, nos années s'écoulaient vides de bonnes œuvres et de mérites pour le ciel. Efforçons-nous donc de profiter de tant de grâces qui nous sont données, pour persévérer et croître dans l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et nous assurer ainsi la participation à sa vie éternelle de gloire, d'honneur, de félicité infinie et de bonheur parfait. 

CAUSE DE BÉATIFICATION

DU

VÉNÉRABLE MARCELLIN CHAMPAGNAT 

La circulaire du 10 juin 1897 vous annonçait la nomination de la Commission qui a pour mission de procéder aux informations canoniques sur la vie, les vertus et les miracles de notre Vénérable Fondateur, et le zèle avec lequel elle s'est mise à l’œuvre. Aujourd'hui j'ai la satisfaction de vous informer qu'elle poursuit ses travaux avec non moins d'ardeur. Continuons, M. T. C. F. à l'aider de nos prières : elle y a des droits tout particuliers.

Sachant combien cette cause vous est chère à tous, je me ferai toujours un devoir et un plaisir de vous en communiquer tout ce qui pourra avoir pour vous quelque intérêt. C'est pourquoi vous recevrez ici le Décret de non culte, suivi de la relation de faveurs attribuées à l'intercession de notre Vénérable Père. Vous trouverez dans ces documents de nombreux motifs pour nous tous de rendre grâce à Dieu, et de mettre notre confiance dans le crédit de son serviteur.  

DIOCÈSE DE LYON

BÉATIFICATION ET CANONISATION DU VÉNÉRABLE

SERVITEUR DE DIEU

MARCELLIN-JOSEPH-BENOIT CHAMPAGNAT,

Prêtre de la Société de Marie

et Fondateur des Petits Frères de Marie. 

Sur les instances du Rd. P. Claude Nicolet, prêtre profès de la Société de Marie et postulateur de la cause du Vénérable Serviteur de Dieu Marcellin-J.-B. Champagnat, l'Eme et Rme Seigneur cardinal Cajetan Aloisi Masella, rapporteur de cette même cause dans la réunion ordinaire de la Congrégation des Saints Rites, tenue au Vatican le jour désigné ci-dessous, selon les instructions particulières de Sa Sainteté Notre Seigneur le Pape Léon XIII, données en 1888 et 1895, a proposé d'examiner le doute suivant, à savoir : Si la sentence du juge délégué par l'Eminentissime et Révérendissime Cardinal Archevêque de Lyon sur le non culte du Vénérable Serviteur de Dieu Marcellin-J.-B. Champagnat, ainsi que sur l'obéissance prescrite aux décrets du Pape Urbain VIII, doit être confirmée pour le cas et à l'effet dont il s'agit ? Or, cette même Congrégation, après un examen attentif de toutes choses et après avoir entendu le R. P. D. Jean-Baptiste Lugari, promoteur de la foi, a cru devoir répondre affirmativement, le 22 juin 1897.

Ensuite, la relation en ayant été faite au T. S. Père Notre Seigneur le Pape Léon XIII, par le Cardinal Préfet soussigné de la Congrégation des Saints Rites, Sa Sainteté a approuvé et confirmé le Rescrit de cette même Congrégation, le 3 juillet 1897. 

Place du sceau.

                C. Card. MASELLA, Ev. de Preneste, préf.

                      D. PANICI, secrétaire, S. C. R. 

EXTRAIT

de la « Semaine religieuse » du diocèse de Lyon,

du 19 novembre 1897. 

« LE PROCÈS APOSTOLIQUE DU PÈRE CHAMPAGNAT. Depuis le Décret pontifical du 9 août 1896, par lequel le Père Champagnat a été déclaré Vénérable, la cause du Fondateur des Petits Frères de Marie est entrée dans une phase nouvelle, celle des procès apostoliques. Ces procès sont ainsi appelés parce qu'ils sont faits au nom du Saint-Père, et que l'Ordinaire n'y agit plus que comme délégué.

« Les procès apostoliques et les jugements qui les suivent sont au nombre de sept : 1° le procès inchoatif Ne pereant probationes sur les vertus et les miracles in specie du Vénérable ; 2° le procès super non cultu (il peut être fait d'avance par l'Ordinaire, c'est ce qui a eu lieu pour le Père Champagnat) ; 3° le procès sur la réputation de sainteté ; 4° le jugement sur la validité des procès ; 5° le jugement sur les vertus ; 6° le jugement sur les miracles ; 7° le jugement super Tuto, c'est-à-dire déclarant qu'on peut procéder sûrement à la béatification solennelle.

« Pour procurer à la cause sa marche régulière, le R. P. Nicolet, postulateur, a dû demander des lettres rémissoriales à la Sacrée Congrégation des Rites, et dernièrement, il les a communiquées à Son Eminence Monseigneur l'Archevêque.

« En vertu de ces lettres, Monseigneur l'Archevêque est délégué à l'effet d'instruire le procès Ne pereant probationes, et le procès sur la réputation de sainteté du Vénérable Père Champagnat. Son Eminence doit interroger ou faire interroger les témoins âgés de plus de cinquante ans, ceux qui sont d'une santé à faire craindre leur mort prochaine, et enfin ceux dont l'éloignement pourrait rendre pour plus tard la comparution trop difficile. Il s'agit de tirer de ces témoins tout ce qu'ils savent sur les vertus et les miracles du Vénérable Serviteur de Dieu, et de fournir par conséquent les preuves définitives de sa sainteté.

« L'Ordinaire n'est pas obligé de présider le tribunal en personne. S'il veut s'en charger, il suffit qu'il soit assisté d'un vicaire général. Si c'est le vicaire général qui préside, il a pour assesseurs deux dignitaires ou chanoines. Si enfin, le vicaire général est absent de la séance, il doit s'y trouver quatre dignitaires ou chanoines.

« Voici la composition du tribunal chargé du premier procès apostolique :

MM.  OLLAGNIER, Vicaire général, juge délégué.

  ‘’     DE SAINT PULGENT et NEYRAT, chanoines titulaires, juges délégués.

  ‘’     COUPAT et COSTE, chanoines honoraires, juges délégués.

M. le chanoine COMTE, et M. l'abbé FAUGIER, sous-promoteurs de la foi.

M. le chanoine Buy, notaire actuaire.

« Le tribunal se recommande instamment aux prières de tous les fidèles qu'intéresse cette cause lyonnaise.

Sa tâche est difficile, mais le résultat, s'il plaît à Dieu, en sera très glorieux et très profitable pour le diocèse de Lyon et les deux sociétés religieuses des Pères et des Frères Maristes. » 

TRAIT DASSISTANCE SPIRITUELLE.

Diocèse de Nîmes. 

Le 12 janvier 1894, dans un Établissement dirigé par les Frères Maristes, au diocèse de Nîmes, se passait une scène qui impressionna vivement ceux qui en furent témoins.

Un jeune Frère, atteint d'une fluxion de poitrine, avait reçu, dans la journée, les derniers sacrements avec beaucoup de calme et de piété. Dans la soirée, il fut tout à coup saisi d'une grande frayeur, accompagnée de violentes convulsions. Son teint livide, son regard plein d'angoisse exprimaient une vive terreur. Il grinçait des dents, hurlait plutôt qu'il ne parlait ; sa parole brusque, saccadée, semblait, comme ses actes obéir à une force étrangère et brutale.

Les assistants, épouvantés, essayaient de calmer le malade et de lui inspirer quelques bonnes pensées ; mais il les rudoyait vivement et les égratignait avec rage, s'il parvenait à les saisir.

Le prêtre qui l'avait administré, étant venu à ce moment, lui suggéra quelques pieuses invocations, entre autres celle-ci : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. Alors, comme mû par cette force invisible qui le tyrannise, le pauvre malade se soulève sur sa couche, et, avec un accent de rage étouffée, il s'écrie : « Ah !… oui !…. est-ce que vous y croyez, vous ? » D'autres invocations et prières ne sont pas mieux reçues. De temps en temps on l'aspergeait d'eau bénite, en priant la sainte Vierge de venir en aide à son enfant.

Ne voyant aucun changement dans l'état du malade, un des Frères présents adressa intérieurement une prière fervente au Vénérable Père Champagnat, le suppliant d'avoir pitié de son Petit Frère et de venir à son secours. En même temps, une image du bon Père fut placée sous la tête du malade, et il fut soudain délivré de cette cruelle obsession qui avait duré plus d'une heure et demie. Alors il accepta avec reconnaissance les prières et les pieuses invocations qu'on lui suggérait, les répétait avec ferveur. Après cinq heures d'une douce agonie, pendant laquelle il garda sa connaissance, il rendit paisiblement son âme à Dieu, le matin du 13 janvier 1894. 

GUERISON.

Diocèse de Lyon. 

Dans une paroisse du diocèse de Lyon, une mère de famille, Mme P…. âgée d'environ 40 ans, était depuis plusieurs années, atteinte d'une maladie nerveuse qui faisait le désespoir de la science médicale. Quatre médecins avaient été inutilement consultés : tous l'avaient successivement abandonnée comme incurable.

On s'était alors tourné vers le Ciel : on avait donné des messes, demandé des neuvaines aux communautés religieuses, fait instance à saint Antoine de Padoue, auquel la malade avait une grande confiance. Ce fut en vain, toujours en vain.

Mme P… se vit réduite à la dernière extrémité; elle fut administrée et, pour elle, venait de commencer, depuis un jour, une sorte d'agonie. C'était vers la fin de l'année 1896.

Dans ces circonstances et lorsque la malade se trouvait ainsi entre la vie et la mort, son mari, sur le conseil qui lui fut donné, prit le parti de réclamer l'intercession du Vénérable Marcellin Champagnat. Une neuvaine de prières fut donc commencée dans les classes tenues par les Frères Maristes dans la paroisse. Elle n'était pas terminée que la malade se trouvait guérie, ce qu'elle et son mari regardaient comme un vrai miracle. Depuis cette époque, elle jouit d'une bonne santé. 

LES PANÉGYRIQUES. 

J'aime à croire, M. T. C. F., que le recueil des panégyriques prononcés à l'occasion de l'introduction de la cause de Béatification de notre Vénérable Fondateur se trouve présentement dans toutes nos maisons, et que déjà on en a fait sa lecture spirituelle avec autant de plaisir que de profit. Il me sera bien agréable de voir un mot dans la correspondance de janvier, sur les impressions que cette lecture a fait éprouver aux Frères.

A l'occasion de la publication de ces panégyriques, je ne puis résister au désir de reproduire ici l'éloge qu'un journal de la Loire en fait en ces termes :

« Ces pages, qui redisent tour à tour l'humilité profonde et l'indomptable énergie du Serviteur de Dieu, resteront comme l'écho prolongé de ces touchantes solennités. On éprouve, à les lire, un vif sentiment d'enthousiaste sympathie et de respectueuse admiration pour celui qui fut durant quarante ans l'un des nôtres, répandant autour de lui, dans ce Jarez, dont il est incontestablement une des plus belles gloires, le bienfait d'un grand cœur et laréputation d'un saint.

« On comprend mieux aussi, à la lecture de ces pages, la beauté de l’œuvre grandiose qu'il a courageusement entreprise en fondant, tout près de notre industrieuse cité, le vaillant Institut qui, répandu aujourd'hui dans le monde entier, distribue sans compter aux enfants du peuple, avec de solides principes chrétiens, une instruction aussi utile que complète.

« Et c'en est assez, semble-t-il – indépendamment du mérite particulier afférent à chaque discours -pour recommander la lecture de ce volume à tous ceux qu'intéressent la glorification d'un enfant du pays et la grande cause de l'enseignement libre. » 

ECHO DU CONGRES EUCHARISTIQUE

DE PARAY-LE-MONIAL. 

Pendant les cinq jours qui se sont écoulés, du 20 au 24 septembre 1897, un Congrès Eucharistique, composé de membres éminents de l'Episcopat, de prêtres, de religieux et de laïques, tous distingués par leur science et leur piété, s'est réuni à Paray-le-Monial, dans le double but de rechercher les moyens les plus propres à faire connaître, aimer, exalter le Très Saint Sacrement, et de donner au Sauveur, par de ferventes prières, des exercices de pénitence et de splendides cérémonies, la réparation que réclament nos innombrables manquements.

Je crois, M. T. C. F., répondre à votre piété en vous donnant ici quelques extraits des communications, motions et vœux du Congrès. Puisse la connaissance que vous en aurez, rendre de plus en plus ardente, de plus en plus active, votre dévotion envers l'adorable Eucharistie, le Don de Dieu par excellence. 

1. – DISCOURS

prononcé, à l'ouverture du Congrès, par Son Eminence

le cardinal Perraud, évêque d'Autun. 

Le buisson ardent. 

Vadam et videbo visionem hanc magnam, quare non comburatur rubus.

J'irai et je contemplerai de près cette grande vision et je saurai pourquoi ce buisson ne se consume pas. (Exode, 111, 3.) 

Moïse gardait les troupeaux de son beau-père, au pied du mont Horeb. Il ignorait encore les desseins formés sur lui par le Dieu qui l'avait sauvé, tout enfant, des fureurs homicides de Pharaon pour faire de lui, quand l'heure serait venue, le libérateur, le guide et le chef de son peuple.

Il aperçoit à une certaine distance un buisson tout en feu. Il regarde. Il s'étonne que ces flammes n'aient pas déjà dévoré le buisson qui leur sert de foyer. Elles montent et s'étendent toujours plus ardentes, et cependant elles laissent le buisson intact. Moïse veut se rendre compte de ce prodige. « J'irai, je verrai de plus près cette grande vision. Je saurai pourquoi ce buisson n'est pas consumé ». Mais comme il approchait, il entendit une voix qui partait du milieu des flammes. Deux fois, elle l'appela par son nom : « Moïse ! Moïse ! » Celui-ci répondit : « Me voici, adsum ». Et la mystérieuse voix de reprendre : « N'approche pas. Ote tes chaussures. La terre que tu foules aux pieds est sainte ». (Ex., III, 5). 

MESSEIGNEURS[1],

MESSIEURS LES CONGRESSISTES,

A part une seule différence que je signalerai tout à l'heure, ce récit biblique présente d'intéressantes et instructives analogies avec les circonstances qui vous ont amenés ici.

Vous êtes venus pour prendre part à un Congrès dont le but est d'exalter les prodiges d'amour déposés par le Sauveur dans le très Saint Sacrement de l'Eucharistie et les prodiges de grâces qu'ils ne cessent d'opérer dans les âmes.

L'Eucharistie, c'est le buisson qui brûle toujours et n'est jamais consumé.

Paray-le-Monial, c'est la terre qui, avec Jérusalem et Rome, mérite d'être appelée « une terre sainte » dont il ne faut s'approcher qu'avec un grand respect et une religion profonde. Je me propose de méditer ce parallélisme devant vous.

Tout d'abord, Messeigneurs, je tiens à vous remercier de ce que vous avez bien voulu répondre à l'appel de Mgr l'Evêque de Liège et au mien. Votre présence, et la part que vous prendrez à nos travaux, sont un grand encouragement pour les organisateurs de ce Congrès, une première et douce récompense de tout ce qu'ils ont déployé de zèle et d'activité depuis quatre mois afin d'en préparer le mieux possible les pieuses solennités….

Je demande à la créature privilégiée qui a été chargée de donner Jésus-Christ au monde de bénir ce Congrès ; les désirs, les intentions, les vœux qu'y apporte chacun de vous. Ô Marie, il y a cinq semaines, nous vous décernions ici un magnifique triomphe. Au nom du Souverain Pontife, j'avais l'honneur de couronner solennellement votre antique et si vénérée image. Et déjà, saluant d'avance la réunion convoquée à Paray pour exalter la gloire du mystère eucharistique, nous vous demandions de nous conduire vous-même à votre divin Fils, per Mariam ad Jesum. Nous comptons sur cette grâce, ô Notre-Dame de Romay, et heureux de nous réunir sous votre maternelle protection, nous aborderons avec confiance le noble travail qui nous attend. 

L'Eucharistie, ai-je dit, c'est le buisson ardent qui brûle toujours et n'est jamais consumé.

Nous connaissons le moment précis où ce feu a été allumé. Les évangélistes et saint Paul nous l'ont appris. C'était quelques heures seulement avant que le Sauveur Jésus consommât sa douloureuse Passion sur la Croix, in qua nocte tradebatur (I Cor., XI, 23).

Qui avait allumé ce feu ? Nous le savons encore. Ne dit-on pas souvent dans le langage humain que l'on est « consumé de désirs »? C'est justement ce qui est arrivé dans l'économie si touchante des relations du Verbe incarné avec nous. C'était trop peu pour lui d'avoir quitté la droite de son Père pour se faire homme comme nous et « prendre la forme d'un esclave » (Phil., 11, 7), trop peu d'avoir mené à notre service une vie de travail ; trop peu de s'être dépensé sans mesure dans les fatigues de son ministère publie ; trop peu de s'être dévoué d'avance aux cruelles humiliations et souffrances de sa Passion et de sa mort. Depuis sa venue au milieu de nous, il avait un désir intense et continuel, desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum (Luc, XXII, 15). Ce désir était comme un feu qui couvait dans ce Cœur si aimant, et un jour, ce feu a fait irruption ! La flamme a jailli de ce foyer où elle avait été cachée et comprimée pendant trente-trois ans.

« Comme mon Père m'avait aimé, je vous ai aimés… et j'ai porté cet amour pour vous jusqu'à des limites qui ne seront jamais dépassées. » (Joan, XV, 9, XIII, 1).

C'est l'amour incompréhensible du Rédempteur pour ses rachetés qui a mis le feu au buisson ardent, et, jusqu'à la consommation des siècles, ce buisson ne cessera pas de brûler.

« Inextinguible est la lumière de la sagesse, et infini est son trésor, disent nos livres saints » (Sap., VII, 10, 14).

Ce qui est inextinguible, ce qui est infini ne s'épuisera jamais et durera toujours.

Tel Jésus avait allumé ce feu au Cénacle, quelques heures avant de souffrir et de mourir, tel il a continué de brûler à travers les siècles. Le prodige ne cesse pas. Il a eu lieu ce matin ; il aura lieu demain et il se poursuivra sans interruption jusqu'à ce que le temps fasse place à l'éternité.

Qui de vous, dit le Seigneur par la bouche du prophète Malachie, qui de vous allumera gratuitement le feu sur mon autel ? Et le même prophète nous donne la réponse à cette question. « Depuis le point où le soleil se lève jusqu'à celui où il se couche, en tout lieu, une oblation pure sera offerte en mon nom » (Mal., 1, 10, 11).

C'est par la perpétuité du sacrifice eucharistique de la messe que s'entretiennent les flammes de ce buisson ardent qui brûle toujours et n'est jamais réduit en cendres.

Un prêtre, cent prêtres, cent mille prêtres sont montés à l'autel aujourd'hui. On a remis entre leurs mains un morceau de pain inerte et froid. Ils l'ont pris, offert,béni. Puis, ils se sont penchés et de leurs lèvres émues ils ont prononcé quelques paroles – mais des paroles divines, – des paroles créatrices, aussi puissantes que celles qui, à l'origine des choses, avaient commandé à la lumière de briller; à la terre, de se séparer du firmament ; aux océans, de rouler leurs grandes eaux pardessus les abîmes, et au limon pétri par les mains du Créateur, de donner naissance au père du genre humain.

Sur ce petit morceau de pain, ces prêtres ont dit « Ceci est mon corps », hoc est corpus meum ! or, à peine avaient-ils achevé de prononcer la dernière parole, et ce pain n'était plus du pain ! c'était le corps de Jésus-Christ, avec son Cœur tout consumé d'amour pour nous ! C'était le buisson ardent avec ses flammes inextinguibles !

Quand Jésus parlait (j'en appelle ici au témoignage des disciples d'Emmaüs), ses auditeurs sentaient leurs cœurs devenir tout brûlants dans leurs poitrines (Luc, XXIV, 32).

Et comme s'il avait craint que les hommes se prissent un instant à douter de cette persistance incroyable de son amour ou de sa fidélité à tenir ses engagements, il lui a plu d'en renouveler les assurances par une seconde révélation. Pour la faire, il a choisi cette cité de Paray-le-Monial où vous êtes et dont je vous disais tout à l'heure qu'elle est une terre sainte, terra sancta est. 

II 

Je reviens quelques instants au souvenir biblique dont je vous ai entretenus au commencement de cette méditation.

Vous voyez le buisson qui brûle sans se consumer. Vous entendez la voix du Seigneur qui, du milieu des flammes, appelle Moïse.

Franchissez maintenant par la pensée la distance de trente siècles. Nous ne sommes plus dans le désert, au pied du mont Horeb. Nous nous trouvons dans la chapelle d'un monastère. Derrière la grille du chœur, une religieuse est en prière. Un buisson ardent se montre à ses regards éblouis. C'est le Sauveur lui-même qui, soulevant un instant les voiles dont l'Eucharistie recouvre sa réelle et substantielle présence, s'est fait voir à l'humble Visitandine. Dans sa poitrine entrouverte, son Cœur apparaît, surmonté d'une couronne d'épines et tout environné de flammes ; et de même que, du buisson ardent, Jéhovah avait interpellé son serviteur Moïse, l'hôte du Tabernacle parle à sa servante Marguerite. Elle répond avec le même empressement, la même docilité que Moïse : « Seigneur, me voici. » C'est-à-dire, avec votre grâce, je suis prête à faire et à souffrir tout ce que vous voudrez. Et tandis qu'elle contemple avec ravissement cette grande vision du Cœur embrasé, elle entend Jésus lui dire : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes et « qui en retour n'en reçoit que des froideurs[2]»

Vous entendez, mes Frères, et je souligne à dessein ce mot, « des froideurs ». On croirait que le Sauveur souffre moins des outrages et des violences sacrilèges de ses ennemis déclarés que de la négligence de ceux qui, sachant ce qu'il est, ne répondent que par une froide indifférence aux ardeurs et aux élans de son amour !

Il explique alors en détail à sa fervente adoratrice ce qu'il attend de son obéissance et de son zèle. Il ne lui dissimule rien de ce qu'il lui faudra souffrir pour accomplir sa mission. Elle sera contredite, raillée, humiliée, traitée avec mépris et avec rigueur. Mais si elle sait tout supporter avec patience et abnégation ; si elle a le courage de s'unir étroitement aux dispositions de celui qui, pour faire la volonté de son Père, a été obéissant et obéissant jusqu'à la mort de la Croix, elle triomphera de toutes les oppositions. Elle aura la joie immense de faire rayonner au loin les flammes sacrées du buisson ardent qui s'est montré à elle ! Apôtre du Cœur de Jésus, elle en publiera partout les ineffables miséricordes. Au vent glacial d'égoïsme et de sensualité qui souffle sur les âmes pour y éteindre l'amour de Dieu, elle opposera le foyer d'inextinguible charité dont elle a été la première à ressentir les ardeurs, et la charité sera victorieuse.

Je disais tout à l'heure qu'entre la scène de l'Horeb et celle de Paray-le-Monial, il y avait une différence. Je dois vous la signaler.

Jéhovah avait dit à Moïse : « N'approche pas. » C'est l'esprit de l'ancienne loi. Le médiateur promis n'est pas encore venu pour renverser, par son oblation et son sacrifice, la muraille de séparation que le péché d'Adam avait dressée entre le Dieu trois fois saint et l'humanité coupable (Eph., 11, 14). Tant que cette réconciliation n'aura pas été opérée, l'homme pécheur aura peur de son Dieu. La devise de cette période de l'histoire, même au sein de la religion véritable, sera cette parole : N'approchez pas, ou encore cette autre : Tremblez devant mon Sanctuaire (Levit., XXVI, 2). Mais l'ère nouvelle est venue. Par son immolation sanglante, l'Agneau de Dieu a enlevé les péchés du monde. Ce n'est pas la crainte qu'il veut imprimer dans les âmes de ses rachetés : c'est la confiance, c'est l'amour.

Ecoutez-le :- « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés » (S. Matth., XI, 28). Or, qui donc parmi les hommes n'a pas de labeur pénible à faire, de fardeau pesant à porter ? C'est donc bien à l'humanité tout entière qu'il adresse cet appel: « Venez à moi, tous !»

L'Evangile qui contient ses paroles et le récit de ses actions, répète cet appel ! Le crucifix qui le représente cloué sur la croix, les bras étendus, le redit d'une façon plus expressive encore ! Mais c'est surtout au milieu des flammes du buisson ardent de l'Eucharistie qu'il ne cesse de crier aux générations humaines, entraînées de la vie à la mort par le mouvement irrésistible du temps et que les siècles font passer devant lui : Venez à moi ! Purifiez-vous et ôtez vos chaussures – c'est-à-dire, dégagez-vous de tout ce qui en vous est inférieur et grossier. La terre dont je vous convie à vous approcher est une terre sainte. Mais ne prenez pas prétexte de cette sainteté pour vous en aller, pour me fuir, pour vous dérober aux ardeurs de mon amour ! Venez ! venez !

Gardez-vous, sans doute, de la présomptueuse témérité, de la familiarité routinière, du sans-gêne avec lesquels certains croient pouvoir approcher de moi sans faire sur eux-mêmes de sérieux et persévérants efforts, sans se contraindre pour corriger leurs humeurs naturelles et leurs défauts ; qui usent de mes mystères comme s'ils leur étaient dus et mêlent sans scrupule la vie la plus naturelle à la réception fréquente du plus surnaturel et du plus divin témoignage de mon amour !

« Veillez donc et priez » (S. Matth., XXVI, 41), c'est-à-dire ne négligez rien pour vous préparer avec le plus de soin possible, et gardez-vous d'entrer dans la salle du festin sans avoir revêtu la robe nuptiale (Ib., XX, 11-12). Veillez et priez ! mais venez ! Approchez-vous de ce feu que mon amour éternel allumait pour vous au soir de la Cène et qui depuis n'a cessé de brûler sur mes autels !

Commencez par vous réchauffer vous-mêmes au contact de ces flammes de l'amour eucharistique. Puis, allumez tout autour de vous cet incendie sacré. Qu'il gagne ! qu'il s'étende ! qu'il consume toutes les iniquités toutes les impuretés de ce monde corrompu. Le feu est essentiellement purificateur. Encore une fois, chrétiens réunis dans ce Congrès, prenez chacun pour vous et réalisez la divine parole qui du Cœur embrasé de Jésus, s'adresse à chacun de vous : Ignem veni mittere in terrain et quid volo nisi ut accendatur (Luc, XII, 49).

Que si la parole de Jésus brûle le cœur bien disposé, bien purifié, que dire de sa présence réelle et personnelle, vivante et agissante ? Vous communiez : c'est le buisson ardent que vous recevez. Si vous ne ressentez rien, si vous demeurez froids, est-ce sa faute, est-ce la vôtre ?

Ah ! si ce feu n'avait pas été allumé pour ne s'éteindre jamais, que de fois déjà l'auraient étouffé les mauvaises passions des hommes !

Mais l'Esprit d'en haut l'a dit : L'amour est plus fort que la mort ! L'abondance des eaux n'a pu réussir à éteindre ses flammes. Les torrents de l'iniquité ont passé sur ce buisson ardent, et il n'a rien perdu ni de son éclat ni de sa chaleur (Cant., VIII, 6).

A peine ce prodige de l'amour eucharistique a-t-il été au monde que les puissances de l'enfer se sont mises à l’œuvre contre lui. Les hérésies, les persécutions, les négations brutales, les profanations, les violences sacrilèges, les trahisons, la froide indifférence : toutes les formes de l'ingratitude, comme des torrents d'iniquité, ont coulé et coulent tous les jours encore sur ce don de Dieu à l'homme  qui s'appelle la Sainte Eucharistie.       

   Mille et mille fois Jésus aurait pu dire : « Vous n'appréciez pas le trésor que je vous ai donné. Ma présence au milieu de vous provoque vos outrages ! Soit ! Mon amour est rebuté ! Je suis fatigué de vous aimer sans retour de votre part. Je m'en vais ! Je ne renouvellerai plus sur les autels l'efficacité du mystère de ma Passion. J'arrêterai la transmission des pouvoirs religieux du sacerdoce et, puisque vous ne voulez plus qu'une nourriture terrestre, il n'y aura plus de prêtres pour vous donner le pain du ciel. J'emporte avec moi là-haut le feu que j'avais allumé sur la terre pour vous. »Oui, certes, Jésus aurait été en droit de parler et d'agir de la sorte. Il ne l'a pas fait. Tout au contraire, il a tenu et il tient sa promesse de demeurer avec nous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles. Et voilà que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (Matth., XXVIII,20) 

II. – Enseignement eucharistique

   L’enseignement donné aux enfants. 

Le P. Durand, religieux du Saint-Sacrement lit le rapport suivant :

« Messieurs, il est nécessaire de faire connaître aux petits enfants que Jésus est dans l'hostie ; ils ne le comprendront pas, nous ne le comprenons pas mieux qu'eux. Ce n'est pas une raison pour ne pas le leur dire souvent. Si on ne le fait, ils seraient en droit, quand on le leur dit, à dix ans, de se récrier : Comment ne nous a-t-on pas fait connaître notre meilleur ami ? Pourquoi les mères qui mènent promener leurs petits enfants ne les entreraient-elles pas à l’église pour leur montrer le tabernacle et leur dire : « Jésus est là ! »

« Dans les Pyrénées, les missionnaires chargent en temps de mission, un des leurs, de montrer et d'ex­pliquer aux enfants de grands tableaux concernant l'Eucharistie et les autres mystères. Il faut montrer aux enfants des objets sensibles pour les instruire. Le curé de Montesquieu-Lauraguais mène souvent ses enfants à travers son église, devant l'autel, devant chaque tableau et statue. C'est un feu roulant de questions et de réponses, et les enfants veulent ensuite donner eux-mêmes des explications aux autres. Il faut apprendre aux enfants la formule : « Loué soit Notre-Seigneur Jésus-Christ au Saint Sacrement de l'autel ! » et les habituer à la réciter pendant qu'ils font la génuflexion. »

Le P. Durand cite une belle parole de Mgr de la Bouil­lerie :

«Parents chrétiens, qu'avant de prononcer votre nom, vos petits enfants apprennent celui de. Jésus.»

   Son Eminence le Cardinal, évêque d'Autun, demande, en souriant, la parole pour dire à l'assemblée un trait touchant que lui racontait ces jours derniers le cardinal Vaughan :

« Il y a environ deux mois, un ministre protestant conduisait sa petite fille de cinq ans dans une église catholique. L'enfant aperçoit la lampe du sanctuaire et dit à son père : «Papa, pourquoi cette lampe?  – C'est que Jésus est là, répond le père  –  Je veux voir Jésus !  –  Mais tu ne peux pas il est fermé derrière cette porte dorée. – Papa, je veux voir Jésus, continua la petite fille.  –  Mais tu ne peux pas le voir, quand même la porte serait ouverte, car il est enveloppé d'un manteau.  Le ministre et sa fille continuent leur promenade. Ils entrent dans une église protestante. L'enfant cherche la lampe. « Papa, il n'y a donc pas de lampe ici?  –  Non, mon enfant.  – Pourquoi donc?  –  Parce que Jésus n'est pas là ! –  Oh ! moi, je veux être où est Jésus ! » Quelques jours après le ministre, qui se sentait déjà incliné vers le catholicisme, envoyait sa démission de pasteur à son évêque anglican et entrait dans la religion catholique avec sa femme et ses enfants. Par cet acte courageux, il renonçait à un bénéfice de 3 à 400 livres de rente, et se condamnait presque à la misère, sans la charité du cardinal Vaughan qui le protège. »

Les catéchistes, les confesseurs et les mères de famille doivent prendre le fait de la première communion comme stimulant et moyen capital de formation morale des enfants.

M. Dory, curé de la cathédrale d'Autun, dit que dans sa paroisse on fait réciter aux enfants les actes avant et après la communion à la messe de semaine, le jeudi. Il faut s'adresser à l'intelligence, à la conscience et au cœur des enfants.

M. Gauthey, vicaire général d'Autun, dit qu'il faut profiter de la préparation à la première communion pour apprendre aux enfants à faire la génuflexion laquelle consiste à poser le genou droit à terre, près du talon gauche.

L'archiprêtre de Saint-Martin-en-Bresse ajoute que, pour arriver à ce que les enfants fassent bien la génuflexion, à l'entrée et à la sortie de l'église, il faut les faire entrer et sortir en rangs.

Un religieux du Saint-Sacrement fait remarquer qu'il reste beaucoup à faire pour obtenir des fidèles la génuflexion, qu'il faut en prêcher sans cesse l'obligation et qu'on rencontre parfois de singulières négligences jusque dans les pensionnats religieux.

Un Congressiste observe qu'on peut relever la tête entre les deux Élévations, et que cette manière de faire très liturgique, est un repos pour les fidèles et surtout très pratique pour les enfants. 

III. – VISITES AU SAINT SACREMENT.

Adoration nocturne et diurne. 

M. de Pèlerin, présente un vœu au nom du président de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, de Saint-Charles de Nîmes. Ce président a dit : « Songeons-nous en visitant les pauvres qu'il y a un pauvre plus délaissé qu'eux ? Nous visitons les pauvres parce qu'ils représentent Notre-Seigneur Jésus-Christ ; songeons donc qu'en beaucoup de paroisses Notre-Seigneur est abandonné. Je demande à la conférence d'admettre comme premier pauvre Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Cette proposition fut admise à mains levées; et depuis ce temps-là, chaque semaine on détermine qui visitera le Saint-Sacrement, on délègue un confrère, et on le charge de porter un placet à Notre-Seigneur présent dans son tabernacle.

En conséquence, dans toutes les œuvres de charité on admet comme premier pauvre Notre-Seigneur Jésus-Christ dans son tabernacle.

Il cite encore le petit sermon que M. le chanoine Sylvain, l'auteur des délicieuses Paillettes d'or, faisait à ses vieux d'Avignon: «Allez souvent faire visite à Notre-Seigneur », leur disait-il. – Mais quand nous restons trop longtemps, nous dormons. – Si vous dormez ne vous inquiétez pas, car alors votre ange gardien prend votre place, et le Bon Dieu n'y perd rien. »

Le P. Lemius, supérieur du Vœu national à Montmartre, parle en ces termes de l'adoration nocturne :

« Qu'on ne s'étonne pas des résultats obtenus par la sainte Eucharistie. Les jeunes gens du patronage de Montmartre, qui depuis dix ans font l'adoration nocturne du mercredi au jeudi, donnent les plus grandes consolations, et parviennent à garder une pureté merveilleuse en plein Paris. Tous les samedis, les Frères des Ecoles chrétiennes amènent aussi un de leurs patronages pour l'adoration nocturne du samedi au dimanche : résultats surprenants. Plus on mène les jeunes gens à l'Eucharistie, plus on les affermit dans l'innocence. »

Le même Père dit, en parlant des pauvres: « A Montmartre, on en réunit de quinze cents à trois mille par semaine. »

Une fois par semaine, ils font l'adoration nocturne. Le Père, récemment, leur disait : « Si Jésus revenait dans ce monde, dans quelle classe serait-il ? Il n'avait pas autrefois une pierre où reposer sa tête. Mes amis, il serait avec vous, au milieu de vous ». Ces pauvres alors éclatèrent en sanglots. « Nous les amenons par le pain de saint Antoine au pain eucharistique, le pain meilleur qui leur donne les forces dont ils ont besoin. Voyant qu'on s'occupe d'eux et qu'on les aime, ils finissent par se confesser; ils viennent communier en haillons, et souvent on les voit pleurer au moment de la communion. C'est la réalisation de cette parole de Notre-Seigneur à la Bienheureuse : « Les plus misérables seront les mieux reçus de mon Cœur ».

Mgr de Liège rend témoignage à la sublimité de l’œuvre des pauvres de Montmartre. Il les a vus dimanche dernier. C'est un moyen de résoudre la question sociale, que d'amener les pauvres et les ouvriers à rendre leurs devoirs à Notre-Seigneur dans l'Eucharistie. Il faut que les membres des Conférences de Saint Vincent-de-Paul ne soient pas de simples philanthropes mais qu'ils s'informent si ceux qu'ils visitent vont à la messe. Ils sont en droit de l'exiger. Pour ce qui concerne les hospitalisés, il faut leur faire remarquer le bonheur qu'ils ont d'avoir Notre-Seigneur Jésus-Christ tout près d'eux, dans la chapelle; qu'on leur rappelle la patience, la résignation et l'obéissance de Notre-Seigneur dans le Saint Sacrement. Puisse-t-on les amener à faire aussi bien la dernière communion que la première !

Le bon et excellent M. Vrau, de Lille, fait diverses communications sur la participation des ouvriers aux adorations. Dans les divers sanctuaires, ils sont incontestablement les plus nombreux. – Traits qui montrent ce qu'ils sont. Un ouvrier arrive en retard, on lui en demande la cause. Il répond : « J'ai dû travailler fort tard, ce soir (c'était le samedi) ; je n'ai pas pu rentrer chez moi. » Il n'avait pas soupé, et cependant il venait faire son adoration.

Un autre était adorateur depuis vingt ans. Combien de fois avez-vous manqué votre adoration? – Une seule fois, et encore je me suis fait remplacer.

Un autre arrive un soir avec un camarade qui ne sait pas faire le signe de la croix ! « Comment se fait-il que vous nous ameniez un pareil confrère? – Pour le con­vertir. »

Le P. Lemius confirme ces réflexions. Le peuple, dit-il, l'ouvrier, l'homme de peine, passerait des heures devant le Saint Sacrement. Les ouvriers de Paris lui ont donné souvent ce beau spectacle. Trait : Un matin, à trois heures, un homme demande qu'on lui ouvre la porte. C'est un mécanicien qui va partir tout à l'heure pour Brest. Il veut faire auparavant ses dévotions.

Beaucoup de faits de ce genre sont consignés dans le Bulletin de Montmartre.

M. Dufour, vicaire à Saint-Nizier, fait connaître que, depuis quarante-huit ans, l'adoration nocturne existe à Lyon. Elle compte au moins cinq cents membres, recrutés parmi toutes les classes, il y a en particulier des militaires de la garnison. – Mais surtout la jeunesse lyonnaise est très empressée. Ces jeunes gens composent bien la moitié des adorateurs, ils sont fervents et persévérants.

M. l'abbé Jarrosson, représentant de M. le Curé de Saint-Pierre, de Lyon, donne un très intéressant rapport sur l'adoration eucharistique des enfants. Cette adoration commence le jeudi. On choisit les enfants les plus pieux, – il y a des réunions préparatoires à l'adoration. – On instruit ces enfants sur le Saint Sacrement, on leur apprend des chants ; très vite, ils savent par cœur les hymnes liturgiques. On les admet jusqu'à 12 ans ; il y a un petit noviciat préparatoire qui dure six mois.

Il y a de plus la messe réparatrice. Chaque jour, deux enfants assistent à la messe, pour suppléer à la messe du dimanche que tant de chrétiens n'entendent pas.

Les enfants ont aussi un petit office particulier qui rappelle les principaux mystères, et qui se récite dans l'église ou dans le local de l’œuvre.

L’œuvre a aussi ses fêtes : elles sont un stimulant et une récompense. Tout cela, source de grande édification pour les parents et les paroissiens. Les jours de fête, chaque enfant fait une demi-heure d'adoration.

M. le baron de Livois, président de l'hospitalité de nuit et vice-président de l'Association nocturne à Paris, prend ensuite la parole.

Le sujet de son discours est l'adoration nocturne dans l'armée.

M. le baron de Livois est un ancien militaire, et il sait parler de ses compagnons d'armes, d'une foi vaillante comme la sienne, avec une éloquence qui va au cœur de tout son auditoire.

L'adoration nocturne, fondée en 1848, ne comptait que deux soldats en 1849; aujourd'hui, ils sont légion et se recrutent dans tous les grades de l'armée.

On applaudit de bon cœur à ces braves soldats de la garde impériale, qui demandent des permissions de nuit comme pour aller au théâtre et n'ont d'autre désir que de faire leur heure d'adoration nocturne.

Après la guerre d'Italie, qui avait diminué forcément le nombre des adorateurs, les traditions sont reprises avec tant d'ardeur qu'il faut modérer le zèle.

Quel ardent adorateur que ce capitaine de vaisseau qui fut Raymond de Cuirce !

La perte de la Sémillante, qui emportait huit cents soldats, tous morts au fond des flots, en face de Bonifacio, et parmi lesquels se trouvaient bon nombre d'adorateurs qui avaient voulu faire leur veillée d'armes avant de s'embarquer dans la rade de Toulon, arrache plus d'une larme à l'auditoire ému.

Et le général de Sonis ! C'est lui qui fonda l'adoration nocturne, qu'il appelait la veillée d'honneur, à Limoges, pendant qu'il y était en garnison. Ah ! c'est que, selon son expression, d'une énergie toute militaire, « lorsqu'on se met à aimer Dieu, on ne peut l'aimer assez ».

Quel homme de foi que ce garde national de Paris, faisant son heure d'adoration, pendant qu'il était de grand'garde à quelques pas des Prussiens, afin de remplacer celle qu'il ne pouvait faire à Notre-Dame-des-Victoires !

Et ces vingt soldats assistant dans ce dernier sanctuaire à une adoration nocturne où l'église était bondée de monde, ce qui ne les empêchait pas d'aller se confesser sous le regard de la foule, en plein sanctuaire, n'était-ce pas des vaillants !

Et ces sous-officiers de la garnison d'Aix ne manquant pas leur communion de dimanche, au risque de rester à jeun jusqu'à une heure de l'après-midi ; et ce vaillant capitaine de la même garnison qui les encourageait et leur donnait l'exemple, qui donc les oubliera ?

Le discours, que l'orateur fut obligé d'écourter, faute de temps, au grand désespoir de son auditoire, finit par l'épisode si touchant de la mort, en 1870, du caporal Joly. Embrassant le crucifix que lui présentait un camarade, membre comme lui de l'adoration nocturne, il lui disait : « Prie pour moi, et quand je serai au ciel je prierai pour toi. »

« Ce n'est pas la philosophie positiviste qui inspire un tel courage », s'écriait M. de Champagny dans son discours de réception à l'Académie.

S. Em. le cardinal Perraud se fit l'interprète des sentiments de tous, en remerciant le brillant orateur d'avoir si éloquemment prouvé que l'armée française compte toujours des chevaliers sans peur et sans reproche. 

IV. – DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR. 

Le R. P. Mathieu, d'Issoudun, donne une analyse intéressante de son substantiel rapport sur « les relations entre l'Eucharistie et le Sacré-Cœur ». Théoriquement, dit-il, ces deux dévotions sont distinctes. pratiquement elles se confondent. Voici les liens qui les unissent : le Cœur et le corps de Notre-Seigneur sont dans la sainte hostie; dans la sainte Eucharistie Jésus est tout entier, totus Christus. Jésus est vivant dans la sainte Eucharistie, toute vie suppose un cœur, donc le Cœur de Jésus, est dans la sainte hostie. La dévotion au Sacré-Cœur, par voie de conséquence, trouve son objet dans l'Eucharistie; et, en dernière analyse, la dévotion au Sacré-Cœur conduit directement à l'Eucharistie. De plus, la dévotion au Sacré-Cœur, par la nature de sa fin, de son but, appelle l'Eucharistie. En effet, la fin de la dévotion au Sacré-Cœur est de produire et de développer en nous l'amour de Dieu. La fin principale de l'Eucharistie est de vivifier et d'augmenter en nous la charité, tous les autres effets de l'Eucharistie se rattachent à celui-ci. Ces deux dévotions s'appellent donc l'une l'autre. Aussi plus l'amour du Sacré-Cœur s'enflammait en la Bienheureuse, plus la Bienheureuse se portait vers le Saint Sacrement. »

Le rapporteur fait remarquer que, « pour le prédicateur», le Sacré-Cœur et la sainte Eucharistie sont deux puissants moyens de conversion. Actuellement les hommes vivent loin de Dieu, dans l'indifférence, parce qu'ils oublient qu'ils sont aimés de Dieu : or, le Sacré-Cœur nous rappelle tout l'amour de Dieu pour nous, et la sainte Eucharistie est la plus grande manifestation de cet amour; par l'Eucharistie Jésus a poussé l'amour jusqu'à son dernier retranchement, « in finem dilexit ». Donc tournez les hommes vers le Sacré-Cœur et vers l'Eucharistie et vous les convertirez. »

Mgr l'Evêque de Liège, afin de nous édifier et d'exciter notre zèle pour la dévotion au Sacré-Cœur, cite le fait suivant avec son encadrement :

« Dans une grande ville de Belgique, qui compte au moins 30.000 ouvriers, existe l'Apostolat de la prière, et parmi les membres de cette association, il y a une section de zélatrices qui se dévouent à la conversion des pécheurs. A Pâques, elles réussissent à amener au Bon Dieu beaucoup de ces pauvres égarés ; elles les précèdent au confessionnal et elles préviennent le confesseur par ces mots : En voici encore un ! Une cabaretière, zélatrice, sans respect humain, posait à tous ses clients cette question : Avez-vous fait vos Pâques ? Un jour elle pose cette question même à un vieil ouvrier pensionné qui ne les avait pas faites depuis trente ans. Le vieux entre dans une violente colère et débite tous ses préjugés contre la religion en général et contre les prêtres en particulier… La cabaretière ne se laisse pas déconcerter; elle ne répond que ces mots : « Vous avez pourtant fait votre première communion. » Puis elle lui présente une image du Sacré-Cœur. Le vieillard est comme foudroyé, il se met à pleurer à chaudes larmes. Alors la cabaretière s'enhardit : « Vous êtes bien en retard avec le Bon Dieu et pourtant je vois bien que vous l'aimez encore ; et puis les prêtres, dont vous avez si mal parlé, vous les aimez aussi ? – Ah ! il y a le grand vicaire blond qui me dit bonjour souvent, je l'aime bien. – Envoyons-le chercher. » La cabaretière dit à l'une de ses bonnes d'aller chercher M. l'abbé… La bonne, qui ignorait ce qui s'était passé, demanda M. le doyen, pensant que lui seul pouvait prendre un tel poisson. Heureusement M. le Doyen n'y était pas; alors ce fut M. l'abbé…. juste celui qu'on voulait, qui vint se mettre à la disposition de ce vieux converti du Sacré-Cœur. Cet ouvrier, en retraite, se confessa, fit la sainte communion le lendemain et, à partir de ce moment, communia tous les jours. »

Si cette bonne cabaretière belge pouvait donc faire école. 

V. – COMMUNION. 

M. le Président aborde la question de la communion, et fait d'une manière lumineuse, ferme et précise, l'exposé des principes qui doivent en régler l'usage.

Premier principe : L'Eucharistie est un don fait aux chrétiens pour nous fournir le moyen d'honorer Dieu par le Sacrifice, et pour nous donner la vie divine. Seulement, l'application de ce bienfait et de ces fruits dépend des dispositions de celui qui s'en approche. Une seule communion bien faite est parfois plus utile qu'un grand nombre d'autres moins bien faites. Il peut être avantageux même parfois de priver une âme d'une communion. Elle est donc peu fondée, l'opinion de ceux qui disent d'une manière absolue : Plus il y aura de communions, plus il y aura de grâces.

Deuxième principe : Notre-Seigneur a donné son sacrement aux chrétiens, pour les chrétiens; mais il ne l'a pas donné directement, il l'a donné par l'intermédiaire de l'Eglise catholique. C'est donc par l'Eglise que l'Eucharistie doit être distribuée aux fidèles. Le prêtre par son union avec l'Eglise, est dépositaire et dispensateur de l'Eucharistie. D'où il suit que toutes les fois que les Hérétiques ou les Schismatiques se sont séparés de l'Eglise catholique, ils ont perdu l'Eucharistie,ou ils l'ont déshonorée.

M. le Président développe ses conclusions. Il y a des règles que les confesseurs doivent suivre; il y a des choses défendues et d'autres conseillées. Il faut suivre les règles données par l'Eglise.

Première règle : Le Concile de Trente désire que tous les fidèles assistant à la messe puissent y recevoir la communion. Une voie large nous est ouverte : l'Eglise ne veut pas fermer le chemin de la communion, elle veut seulement le rendre sûr et sans périls.

2° L'état de grâce ne suffit pas pour la communion fréquente. L'opinion commune, appuyée sur saint Thomas, saint François de Sales et Benoît XIV, veut qu'en dehors de l'état de grâce, pour la communion quotidienne, il y ait l'exclusion volontaire des péchés véniels. (On dit exclusion volontaire, et non pas absence de péchés véniels).

Il faut, dans cette matière, beaucoup de discrétion et de sagesse ; mais qu'on se préoccupe de conduire les âmes à la sainte communion.

En résumé, la communion fréquente et même la communion quotidienne sont ouvertes à tous ; il faut y conduire le plus de monde possible, et rendre aux âmes le service de les y préparer. 

VI. – CHANT LITURGIQUE. 

M. Pillard, chanoine d'Autun, prend la parole pour un vigoureux plaidoyer en faveur du plain-chant. Autour du divin mystère de l'Eucharistie se groupent les divers rites du Sacrifice. Autrefois, pendant les sacrifices du Temple ou du Tabernacle, on entendait les mélodies lévitiques : elles ont cédé la place aux chants sacrés et aux divines psalmodies de l'Eglise. Le chant officiel de l'Eglise, le plain-chant, est un élan donné à la prière, il réjouit et il soulage, il nourrit et il fortifie. C'est sur ses modulations graves que les chrétiens autrefois, au temps des persécutions chantaient : Parasti, Domine, mensam adversus eos qui tribulant me…. Le plain-chant vient de l'ancienne musique des Grecs. Il a une allure impersonnelle qui s'harmonise parfaitement avec la liturgie traditionnelle. On l'appelle chant grégorien, parce que saint Grégoire le Grand l'a remis en honneur, a composé de nouveaux morceaux et a révisé le Sacramentaire du pape Gélase. Le chant grégorien se répandit dans les Gaules et les autres pays, sauf Milan et les régions de rite mozarabique. La France lui a donné de belles compositions par Robert le Pieux, Fulbert de Chartres et d'autres encore. Au XV° siècle, il y eut, dans les églises, une invasion de nouvelle musique à un tel point que le pape Jean XXII fit des lois pour l'en proscrire tout à fait. Ce fut le grand Palestrina qui obtint la révocation de ces arrêts sévères. En France le gallicanisme avait fait changer les anciens textes romains : on changea aussi les airs. Mais on a retrouvé les anciennes prières de saint Grégoire. M. Pillard demande qu'on soit réservé pour le choix des cantiques à chanter à l'église. Les gens de théâtre savent où aller pour entendre de la musique de théâtre. Estimons et aimons le plain-chant. Gounod lui a rendu le plus solennel hommage. Dom Pothier et les Bénédictins ont rendu à tout le monde le service de rappeler les grandes règles indispensables pour la bonne exécution du plain-chant, à savoir la lecture correcte du texte liturgique, le naturel, la nécessité d'éviter la lourdeur. 

VOYAGE EN AMÉRIQUE 

Au mois de juin dernier, M. T. C. F., je vous annonçais, que, pour la seconde fois, je me disposais à aller, avec le cher Frère Stratonique, Assistant, visiter nos Frères de l'Amérique du Nord, présider leurs retraites et voir nos Établissements les plus importants. Je crois vous intéresser et vous être agréable en vous donnant une courte relation de notre voyage.

Partis du Havre, le samedi 26 juin, à bord de La Bretagne, ayant avec nous les Frères Légontien et Marie-Eparque, et favorisés d'une heureuse traversée, grâce à l'assistance de l'Etoile de la Mer, qui veillait sur nous, nous débarquions à New York, le samedi 3 juillet. Le lendemain, nous assistions à la messe de communauté avec nos Frères tout joyeux de nous posséder. Le soir, les élèves de l'Académie Sainte-Anne nous offraient, en présence de M. le curé Tétreau, de M. le Chanoine Petit, de MM. les Vicaires et des parents des enfants, une belle et joyeuse séance de bienvenue, véritable fête de famille, tout imprégnée d'esprit mariste.

Je devrais entrer ici dans quelques détails sur notre établissement de New York et sur la ville elle-même ; mais auparavant, je crois bon de vous donner un aperçu général de notre oeuvre dans l'Amérique du Nord.

On se rappelle qu'au commencement du mois d'août 1885, six Frères de la province de l’Hermitage s'embarquèrent au Havre, pour aller fonder un Établissement à Saint-Athanase-d'Iberville (Canada), sur la demande de M. Saint-Georges, curé de cette paroisse, et de Mgr l'Evêque de Saint-Hyacinthe. Présentement, grâce à la liberté dont jouissent nos Frères, liberté inconnue de ce côté de l'Atlantique, notre Institut compte dans la partie nord du continent américain, 20 Établissements dont quelques-uns chiffrent leurs élèves par 500, 600, 700 ; l'un d'eux a même dépassé le millier. Trois de ces Établissements sont situés dans la Nouvelle-Angleterre (Etats du New Hampshire et du Massachusetts). La ville de New York, dans l'Etat du même nom, en possède aussi trois. Nos autres maisons, noviciat et juvénat, pensionnats et externats, se trouvent dans la province de Québec, laquelle fait partie de la confédération des colonies anglaises dans l'Amérique du Nord, connue, depuis 1867, sous le nom de Puissance du Canada, s'étendant de l'Océan Atlantique à l'Océan Pacifique.

Aux Etats-Unis, où l'initiative particulière et la liberté d'association n'ont d'autres restrictions que celles demandées par la morale et la sûreté publique, existe la liberté absolue d'enseignement. L’Etat, qui a ses écoles où n'est donné aucun enseignement religieux, n'empêche pas, mais ne protège ni ne rétribue les écoles confessionnelles; de sorte que les catholiques sont obligés de soutenir leurs écoles, qu'ils peuvent d'ailleurs fonder sans rencontrer aucun obstacle. Il leur suffit de se conformer aux règles de l'hygiène et aux lois de l'Union, très larges pour tous. Aussi l'Eglise, pour sauvegarder la foi de ses enfants, menacée par les dangers très graves et très certains de l'enseignement neutre, multiplie-t-elle, aux Etats-Unis, les écoles de tout ordre ; et, fidèle à sa mission d'enseigner, elle ne cède à personne le droit qu'elle a reçu de son divin Fondateur. Ce droit, elle l'exerce dans toute sa plénitude et d'une manière très fructueuse dans la personne de ses Evêques et de ses Prêtres, dont nos Frères sont heureux de se faire les dévoués et zélés auxiliaires.

Dans la province de Québec, le régime scolaire est plus libéral de la part de l'Etat, qui d'ailleurs admet et recherche la sanction de l'Eglise. Les écoles élémentaires, modèles ou académiques, sont entretenues par les taxes prélevées sur les citoyens.

La fondation d'une école, le choix des maîtres, des méthodes, le contrôle des études, sont dévolus à quatre ou cinq citoyens nommés par élection, appelés commissaires d'écoles, qui ont de plus le droit et l'obligation d'imposer leur municipalité scolaire jusqu'à concurrence des sommes nécessaires aux fins d'instruction. En général, messieurs les Curés sont du nombre des commissaires d'écoles dans leur localité ; très souvent, ils en sont les présidents, et ils ont tous la surveillance de l'enseignement religieux dans les écoles catholiques de leur paroisse. Les établissements catholiques, régis comme il vient d'être dit, reçoivent la visite d'inspecteurs nommés par le Comité catholique du Conseil de l'Instruction publique.

Ce Comité, présidé par le superintendant de l'Instruction publique, composé de Nosseigneurs les évêques de la Province et d'un nombre égal de laïques catholiques, a une existence constitutionnelle. De plus les congrégations religieuses peuvent, avec l'approbation épiscopale, fonder des établissements d'éducation à leurs risques et périls, en acceptant les subsides financiers, les dons de terrain, de locaux, que leur font, sous des conditions déterminées, les villes désireuses de les posséder. Dans ce cas, elles reçoivent presque toujours, de la part du gouvernement provincial, des subventions annuelles proportionnées au nombre d'élèves et aux programmes d'enseignement.

Dans les écoles soumises au régime des commissaires les élèves ne donnent aucune rétribution. Aux Etats-Unis, la rétribution mensuelle est demandée, mais elle n'est pas exigée ; la plus grande partie des frais d'instruction est fournie par la paroisse.

Telles sont, en résumé, les conditions générales dans lesquelles fonctionnent nos écoles de l'Amérique du Nord. 

NEW YORK. 

L'établissement de New York a été ouvert en septembre 1892, sur la demande de M. Tétreau, curé de l'église Saint Jean-Baptiste, et avec l'approbation de Mgr Corrigan, archevêque de cette ville. Les débuts furent humbles et modestes. Mais Dieu bénissant les efforts et le dévouement des fondateurs, nos Frères ontdepuis lors ouvert, sous le titre d'Académie Sainte-Anne, une école payante et un pensionnat, où J'enseignement commercial, industriel et scientifique, se donne en français et en anglais. L'accroissement progressif des élèves internes et externes, la nécessité d'avoir un scolasticat pour l'étude de l'anglais, langue dont la connaissance est indispensable à nos Frères, ont nécessité des agrandissements et nous ont amenés à faire l'acquisition d'un lot de terrain de quatorze ares attenant à notre Académie. Ce lot joint aux neuf ares que nous possédions déjà, fait que nous occupons une superficie de vingt-trois ares dans la grande métropole des Etats-Unis.

Ce qui frappe l'étranger dans cette immense agglomération de toutes races et de toutes langues qui peuple ce vaste entrepôt commercial, c'est l'activité et le mouvement des affaires, la hardiesse des entreprises, au service desquelles sont mises toutes les inventions modernes. Toutefois, quelque rapide et prodigieux que soit le développement du progrès matériel, le cœur catholique peut constater avec satisfaction par le nombre et la beauté des édifices religieux, des collèges, des couvents, der, hôpitaux, des écoles, des monastères, que la marche ascendante du catholicisme est encore de beaucoup supérieure. Là, comme partout, l'Eglise montre sa vitalité et sa jeunesse par les innombrables oeuvres qu'elle inspire et qu'elle dirige, par les multiples congrégations et ordres religieux qui la représentent, par les fruits de salut qu'elle opère dans les âmes. On a évalué à huit cent mille les communions pascales faites cette année dans New York et les villes avoisinantes. Là aussi le nombre des ouvriers est insuffisant pour la moisson; car un calcul qui n'est pas exagéré permet de dire que plus de cent mille garçons catholiques en âge scolaire, sont obligés de fréquenter les écoles publiques parce que les maîtres catholiques manquent. 

LAWRENCE. – LOWELL. – MANCHESTER. 

Notre séjour à New York a été de courte durée. Nous avons quitté cette ville pour prendre la direction de Saint-Athanase d'Iberville et de Saint-Hyacinthe, nous arrêtant en chemin à Lawrence, Lowell, Manchester, trois villes industrielles remarquables, situées sur la rivière Merrimack, qui possède le plus grand pouvoir hydraulique utilisé dans le monde entier. Dans ces trois localités se trouvent des centres importants de langue française formés par suite de l'émigration des Canadiens, attirés aux Etats-Unis par la perspective de salaires plus rémunérateurs. Mais cet exode présentait des dangers pour la foi et la langue des émigrants. Des prêtres zélés le comprirent, n'hésitèrent pas à suivre leurs compatriotes qu'ils groupèrent autour de l'église, près de laquelle, grâce aux sacrifices de tous, se sont élevés le couvent et l'école pour la conservation de la foi catholique et de la langue française. C'est là une des raisons de la présence de nos Frères dans ces trois villes.

Je ne décrirai pas la réception enthousiaste qui nous a été faite à Lawrence, par l'initiative des Canadiens Français de l'endroit. Approuvés et dirigés par leur digne curé, le R. P. Portal, de la Société de Marie, ils ont voulu, par une manifestation grandiose, montrer à leurs concitoyens de langue et de croyances différentes, leur estime de l'éducation catholique et française, leur attachement à l’œuvre de la civilisation chrétienne, personnifiée en ceux qui représentaient là, à leurs yeux l'ancienne mère-patrie. Ces ovations, quoique bien propres à toucher nos cœurs, ne laissèrent pas que de nous causer quelques légers ennuis, dont nous nous sommes cependant tirés sains et saufs, faisant de nécessité vertu.

L'Etablissement de Lawrence, fondé en septembre 1892, est en pleine prospérité et regorge d'élèves. Le local scolaire, quoique vaste, est déjà insuffisant pour accueillir tous les enfants de la paroisse Sainte-Anne dont il dépend, lesquels viennent y puiser un enseignement religieux et profane justement apprécié.

Après Lawrence, Lowell nous ménageait aussi d'agréables surprises. Nous y avons trouvé l'école la plus florissante et la plus nombreuse que nous ayons dans l'Amérique du Nord, et même dans tout l'Institut : 17 classes et un millier d'enfants sur 1.350 inscrits. Quel vaste champ pour la moisson des âmes !… C'est le cas de prier le Seigneur d'envoyer des ouvriers et d'augmenter le nombre de nos vocations religieuses. Il nous faudrait une armée de bons religieux, pleins de courage et de vertus, comme le Vénérable Fondateur les demandait à la Sainte Vierge, pour suffire aux grands besoins qui se présentent de toutes parts. Le salut des âmes, n'est-ce pas ce qui doit nous procurer le plus de joie?

Bien que ce fût le temps des vacances et que notre visite n'eût pas été annoncée, les élèves, après avoir assisté à la messe qui se dit pour eux le dimanche, se réunirent au nombre de 800, dans la grande salle de l'école. Ils nous adressèrent leur compliment de bienvenue en présence des excellents et dévoués Pères Oblats qui dirigent, avec zèle et abnégation, la grande paroisse canadienne de Lowell, dont ils sont les fondateurs. C'est donc à ces religieux pleins de foi et de charité, que la ville doit la splendide école confiée à nos Frères, sur les instances réitérées du R. P. Garin, de sainte et illustre mémoire.

Nous franchissons en cinquante minutes la distance qui sépare Lowell de Manchester. Là encore nous sommes chez nous et nous recevons le plus cordial accueil de nos Frères, de Mgr Hévey, protonotaire apostolique, curé-fondateur de la paroisse Sainte-Marie, l'une des trois paroisses canadiennes de la ville. Nous pouvons admirer ce que peut faire le zèle éclairé par la foi. Au sommet d'une colline d'où l’œil domine la ville, s'élèvent avec toutes leurs dépendances, un magnifique couvent, l'école de nos Frères, le presbytère et un hôpital-orphelinat. Bientôt, si les désirs du pasteur dévoué, instrument de toutes ces oeuvres, se réalisent, une vaste église (l'ancienne a été incendiée) dont la crypte sert actuellement aux besoins du culte, viendra couronner le tout symbolisant d'une manière touchante l'union indissoluble de la foi et de la charité.

L'école Sainte-Marie de Manchester, très nombreuse et très prospère, est sous notre direction depuis septembre 1890, époque à laquelle Mgr Hévey était venu à Saint-Genis-Laval nous demander des Frères, que nous dûmes accorder à ses vives et pressantes sollicitations. 

PROVINCE DE QUÉBEC. 

Mais le temps presse, la retraite approche; nous voulons voir ceux de nos religieux qui, depuis le 30 juin, suivent à Saint-Hyacinthe les Grands Exercices de saint Ignace. Aussi ne faisons-nous que passer à Manchester, d'où la vapeur nous mène en neuf heures à Saint-Athanase-d'Iberville. Saint-Athanase-d'Iberville ! ! ! Que ce nom nous rappelle de précieux souvenirs ! C'est là que le 22 août 1885, arrivaient nos six premiers religieux sous la direction du cher Frère Césidius. C'est là qu'il y a juste dix ans, nous vînmes présider la seconde retraite de nos Frères en Amérique. Ils étaient une vingtaine. Depuis lors, leur nombre s'est décuplé. Le petit grain de sénevé, confié à la garde et aux soins de la Bonne Mère, s'est développé dans le silence et la modestie. Il n'est pas encore le grand arbre dont parle l'Evangile, il est, du moins, un arbrisseau de belle venue, donnant les meilleures espérances pour l'avenir. Au point de vue matériel, l’œuvre a crû et s'est agrandie. Une solide et assez considérable construction en pierre a été ajoutée à la maison en bois qui abrita les débuts du pensionnat, lequel, avec ses dépendances, cour et jardin, occupe une étendue de 110 ares environ. Nous possédons en outre à Iberville, un Juvénat installé depuis 1892, sur les bords de la rivière Richelieu, dans une propriété de 1.250 ares. Là, dans de bonnes conditions de salubrité, 50 enfants s'initient à la vie religieuse, par la prière, l'étude et le travail ; et nous pouvons dire qu'ils nous donnent bien à espérer par leur piété et leur bon esprit.

Nous reçûmes à Saint-Athanase une députation des élèves du collège qui vinrent, au nom de leurs camarades en vacances loin du pensionnat, nous présenter leurs sentiments de respectueuse et filiale affection et nous souhaiter la plus cordiale bienvenue.

A Saint-Hyacinthe, où le noviciat, primitivement établi à Saint-Athanase-d'Iberville, a été transféré en 1892, sur les instances de Sa Grandeur Mgr Moreau, qui a voulu avoir ses Frères dans sa ville épiscopale, nous trouvons nos Frères dans toute la ferveur des Grands Exercices. Leur réunion dans cette maison a été facilitée par un récent agrandissement auquel a bien voulu s'intéresser Mgr Decelles, évêque coadjuteur de Saint- Hyacinthe. Nous sommes heureux de constater que nos religieux apprécient la grâce de cette retraite exceptionnelle par la reconnaissance qu'ils nous témoignent d'y avoir été appelés, et par les bonnes dispositions qui les animent. Nous avons l'avantage d'être présentés à Sa Grandeur Mgr Moreau, qui, après avoir été notre protecteur de la première heure, nous continue sa paternelle sollicitude et sa bienveillance, sentiments partagés par son digne coadjuteur.

Saint- Hyacinthe, une des villes les plus peuplées de la province de Québec, prend chaque jour plus d'importance. Elle est agréablement située sur la rivière Yamaska, et voit son industrie et son commerce se développer de plus en plus. C'est aussi un centre intellectuel assez remarquable. Saint-Hyacinthe possède un collège d'enseignement classique, des mieux connus et des plus fréquentés de la province de Québec. Cet établissement a une réputation bien méritée par la capacité et la vertu des maîtres, la formation intellectuelle et morale des élèves, les succès obtenus, et les positions occupées dans la société par ceux qui l'ont fréquenté. L'emplacement du collège est voisin du nôtre et nous pouvons dire que MM. les Directeurs se sont montrés toujours très bienveillants pour notre oeuvre et nous rendent beaucoup de services.

Saint-Hyacinthe renferme plusieurs maisons religieuses importantes. Nous citerons la maison provinciale des Sœurs de la Présentation de Bourg-Saint-Andéol, avec ses dépendances : noviciat, scolasticat, pensionnat, externat ; l'Académie Girouard, dirigée par les Frères du Sacré-Cœur, le couvent des Pères Dominicains, le monastère du Précieux Sang.

   Laissant le Cher Frère Assistants à Saint-Hyacinthe, je me dirige sur Québec pour offrir mes hommages res­pectueux à Sa Grandeur Mgr Bégin, archevêque-admi­nistrateur du diocèse du même nom. Après quelques heures passées chez nos Frères de Lévis et une rapide apparition à Saint-François-de-Beauce, en vue d'y consolider notre oeuvre, je reprends le chemin de Saint­ Hyacinthe, puis celui d'Iberville, où a lieu la retraite. Je constate avec bonheur que nos Frères en suivent les exercices avec piété, ferveur, recueillement, géné­rosité. Les traditions du Vénérable Fondateur s'y per­pétuent : Rosaires, chemin de croix, visites au Très Saint Sacrement, sont les exercices de dévotion les plus fréquents. Le silence est religieusement observé. Jeunes et vieux rivalisent de zèle et de bonne volonté. On sent que la bénédiction de Dieu, la protection de Marie et du Vénérable Fondateur planent sur la maison. Les saints exercices terminés, dans une réunion où étaient présents tous les Frères du district, un Frère nous fit, au nom de tous, la promesse solennelle qu'ils seraient toujours et partout de dignes enfants du Vénérable Champagnat, en tenant fortement ancrée aux rochers de l'Hermitage, la barque de leur jeune district. La sé­paration se fit non sans émotion, et chacun reprit joyeu­sement et courageusement le chemin du poste assigné par l'obéissance.

Pour nous, nous profitons des derniers jours qui nous restent à passer en Canada, pour visiter nos maisons de Montréal et de Saint-Vincent-de-Paul.

Montréal est une grande ville très commerçante de 300.000 habitants, en grande majorité catholiques. Son illustre fondateur, Chomedy de Maisonneuve, la nomma la Ville de Marie; après la conquête, les Anglais l'appelèrent Mont Royal; les Américains, en raison de ses nombreux édifices, la désignent la Ville aux Monuments de pierre. La ville que protège Marie se ressent du puissant patronage de sa céleste protectrice, du zèle de ses premiers évangélisateurs et propriétaires, les Prêtres de Saint-Sulpice.

L'esprit catholique y domine, les oeuvres du catholicisme y abondent : nombreuses et magnifiques églises et chapelles, maisons religieuses, collèges, université, écoles de tout ordre, hospices, hôpitaux et refuges ; en un mot, toutes les oeuvres spirituelles et corporelles y ont leur asile, presque toujours un asile vaste et bien établi.

Dans une cité où la Très Sainte Vierge exerce une si bienfaisante influence, quoi de plus naturel que les Oblats de Marie-Immaculée aient choisi comme aides et coopérateurs les Petits Frères de Marie ! C'est ce que ces vaillants Pères réalisèrent en 1886, par l'initiative du R. P. Lefebvre, provincial actuel du Canada, lequel s'intéresse toujours beaucoup à l’œuvre qu'il a fondée. Depuis lors, nous n'avons eu qu'à nous féliciter de nos rapports avec ces Religieux si justement appréciés dans tout le Canada, à Montréal en particulier. Ils n'ont pas reculé devant les dépenses considérables d'établissement et d'entretien d'une grande et belle école, avec toutes ses dépendances. Nous avons trouvé là 13 classes fréquentées par plus de 500 enfants. Les élèves paient bien une rétribution mensuelle, mais elle est insuffisante pour subvenir à tous les frais. C'est une lourde charge que ces dévoués Pères supportent pour le bien des âmes car ils n'ont pas les ressources que procure une paroisse, leur église n'étant pas reconnue comme paroissiale. Cependant, depuis deux ans, leur école Saint-Pierre, celle que nous dirigeons et qui a toutes les prédilections du R. P. Jodoin, le supérieur de la résidence, est au nombre des écoles adoptées et subventionnées par les Commissaires catholiques romains de la ville.

A Saint-Vincent-de-Paul, paroisse située dans l'île Jésus, nous avons un pensionnat et un externat. Le pensionnat est dû à la générosité et à la munificence de l'honorable M. Bellerose, membre du Sénat fédéral de la Puissance, qui, non content d'avoir doté Saint-Vincent d'un magnifique hôpital, a voulu consacrer une bonne part de sa fortune à l'érection de l'établissement d'instruction dont il nous donne indéfiniment la direction et la jouissance, sans aucune charge ni redevance.

L'Institut dirige actuellement (décembre 1897) dans l'Amérique du Nord, 20 Établissements dont 15 au Canada et 5 aux Etats-Unis. 

Ce sont, par ordre de fondation : 

 

Etablissements

Année

Nombre

    de    frères

Elèves

1 Iberville Maison provinciale

1885

5

 

1 Iberville Pensionnat

1885

11

131

2 Montréal

1886

15

568

3 Roxton-Falls

1887

6

111

4 St Ephrem d’Upton

1887

5

120

5 Sainte Martine

1887

5

128

6 Lévis (trois écoles distinctes)

1888

7

412

7 Saint Vincent de Paul

1888

6

118

8 Waterloo

1889

4

105

9  Manchester (Etats Unis)

1890

6

502

10 Granby

1890

7

233

11 Lawrence (Etats Unis)

1892

10

626

12  New York Ecole paroissiale

1892

4

250

                      Académie

1894

10

158

                      Scolasticat

1895

10

 

13 Lowel (Etats Unis)

1892

19

1275

14 Saint Georges d’Henryville

1893

4

102

15  St François de Beauce

1894

7

124

16  St Vincent de Paul, 36° New York

1897

2

70

17Roberval

1897

4

150

18 Saint Romuald

1897

5

200

19  Iberville Juvénat

1892

8

 

20  Saint Hyacinte (Noviciat)

1892

26

 

                                                  TOTAL

 

186

5433

 

 

RETOUR. 

Le temps fixé pour la durée de notre séjour en Amérique touche à son terme. A notre grand regret, nous ne pouvons visiter plusieurs de nos autres maisons comme nous en avions l'intention. Après avoir pris congé de nos Frères d’Iberville, nous nous dirigeons sur New York, que nous quittons le samedi 7 août, à bord de La Champagne. Nous avons cinq compagnons de voyage, parmi lesquels sont deux Frères Colombiens et deux Frères Canadiens. Au début, la traversée est belle ; mais le troisième jour le baromètre baisse, le roulis commence, les tables sont désertées ainsi que le pont. Aussi, quand le 14 août, à 4 heures du soir, la terre fut en vue à l'entrée de la Manche, le soulagement fut général. Le lendemain, tout le monde est dispos pour le débarquement qui a lieu vers les 9 heures ½. A peine à terre, nous allons en toute hâte vers l'église la plus rapprochée. Nous y arrivons juste pour la grand'messe, qui est précédée du chant d'une des heures de l'office de la Sainte Vierge et d'une procession, et nous sommes tout heureux de pouvoir ainsi, au jour béni de la glorieuse Assomption de Marie, témoigner toute notre reconnaissance à Dieu, et tout notre amour à notre bonne et tendre Mère.

Deux jours après, nous étions à la Maison-Mère, rapportant de notre voyage le plus agréable souvenir, les plus douces consolations, et tout heureux de nous retrouver au milieu de notre chère communauté, qui elle-même saluait notre retour avec joie et bonheur.

Et maintenant, M. T. C. F., quels sentiments doit vous inspirer le récit qui vient d'être mis sous vos yeux? Assurément ce ne peuvent être, comme les nôtres, que des sentiments de joie et de reconnaissance. Oui, louons et remercions Dieu des bénédictions qu'il a répandues si abondamment sur l’œuvre commencée, il y a douze ans, par nos Frères, sur le continent américain et prions-le par l'Auguste et Immaculée Vierge Marie, de continuer à la bénir, de la conserver et de la faire grandirde plus en plus, pour sa plus grande gloire et le salut des âmes. 

CONSÉCRATION DE LA CHAPELLE

DE NOTRE-DAME DE LACABANE 

La Semaine religieuse du diocèse de Tulle, du 9 octobre 1897, a rendu compte de cette belle cérémonie dans un article que nous nous faisons un plaisir de reproduire ici pour votre édification.

Bon nombre de lecteurs de la Semaine religieuse connaissent ce coin privilégié du diocèse qu'on appelle Notre-Dame de Lacabane. C'est là que, depuis douze ans déjà, les Petits Frères de Marie ont établi, dans un site on ne peut plus favorable au recueillement du noviciat, le chef-lieu de leur Province du Sud-Ouest. Plusieurs, en visitant cette solitude où, grâce à la bienveillance de Monseigneur et à la sympathie du clergé, les aspirants à la vie religieuse se donnent rendez-vous en si grand nombre, qu'on en a revêtu déjà près de trois cents des livrées de Marie, s'étonnaient, non sans quelque raison, et regrettaient qu'il y manquât une chapelle convenable. Nous sommes heureux de leur annoncer aujourd'hui qu'il n'y a plus de place pour l'étonnement ni pour les regrets. Malgré les difficultés des temps, la maison de Dieu est terminée et bâtie dans des conditions telles qu'elle a été jugée digne de recevoir les honneurs de la consécration.

C'est le jeudi, 23 septembre, que notre vaillant et bien-aimé Pontife a fait solennellement la dédicace de notre église au milieu d'un clergé d'élite, devant quelques notables de la paroisse de Cublac et de la ville de Terrasson, et en présence de quatre cents Frères ou novices qui étaient heureux d'avoir à leur tête, dans cette circonstance mémorable, le Révérend Frère Théophane, supérieur général de l'Institut, et deux membres du Régime: le très cher Frère Norbert, Assistant de notre Province et fondateur de la Maison, et le très cher Frère Climaque, notre ancien Provincial, actuellement Assistant de la Province du Nord.

Voici le discours que M. l'abbé Ponty, aumônier, se faisant l'interprète de notre reconnaissance enthousiaste, a adressé à Sa Grandeur, à la fin de la cérémonie. 

     « MONSEIGNEUR,

« Je voudrais me taire pour vous éviter une nouvelle fatigue après cette longue cérémonie ; mais si je garde le silence, ni le Révérend Frère Supérieur général, que vous avez daigné visiter et bénir tout récemment à la Maison-Mère, ni les deux Assistants bien-aimés qui lui servent à cette heure de dignes et joyeux acolytes, ni cette nombreuse et chère communauté ne me pardonneront. Pour m'épargner une tempête de saintes colères, il faut donc que Votre Grandeur pousse la condescendance jusqu'à m'écouter quelques instants.

« Monseigneur, quand vous avez béni, il y a douze ans passés, les premières, et au mois de mai dernier, les nouvelles constructions, la joie resplendissait sur tous les visages. Il ne s'agissait pourtant alors que de l'habitation des hommes ! Aujourd'hui qu'il s'agit de la maison de Dieu, dont vous venez de prendre possession au milieu de toutes les splendeurs de la liturgie, et que vous nous livrez maintenant tout aspergée d'eau sainte, toute parfumée d'encens, toute ruisselante d'onctions sacrées, la joie et la reconnaissance sont à leur comble. Et si n'était le silence qu'impose ce lieu, devenu un sanctuaire, et le recueillement profond de la retraitequi s'achève, comme du reste elle a commencé, dans la ferveur, grâce à la parole apostolique d'un pieux enfant de saint Alphonse, les applaudissements éclateraient dans cette enceinte pour traduire l'enthousiasme qui déborde de tous nos cœurs.

« Ah ! c'est que nous savons ici, que la chapelle, précisément parce qu'elle est la demeure du Très-Haut, le lieu où Dieu et l'âme se rencontrent, est le complément nécessaire, le couronnement, on peut dire le tout d'une maison religieuse, et surtout d'une maison de probation. Nous savons, nous, que comme il faut à l'abeille sa ruche, à la colombe le creux de son rocher et à l'aiglon son aire sublime, ainsi il faut au novice sa chapelle… et une chapelle qui soit un temple dont les vastes et belles proportions élèvent et ennoblissent son âme ! un temple où retentissent des harmonies qui ressemblent à un écho affaibli des harmonies du ciel ! un temple où, agenouillé avec émotion, il puisse redire fréquemment dans la joie de son sacrifice : «J'aime mieux vivre obscur et méprisé dans la maison de mon Dieu, qu'habiter le palais des pécheurs ! » En un mot, un temple majestueux comme les engagements auxquels il se prépare, et si on peut ainsi parler, perpétuel, c'est-à-dire fixe, permanent, stable comme les vœux qu'il prononcera bientôt au pied de ses autels. Le sanctuaire que vous venez de consacrer, Monseigneur, ne répond-il pas, un peu du moins, à cet idéal? Désormais, quand le candidat à la vie religieuse pénétrera sous cette voûte hardie et gracieuse tout à la fois, ne se sentira-t-il pas plus près de Dieu et ne rêvera-t-il pas plus doucement du Paradis ? N'y a-t-il pas ici, et bien symbolisées, ce me semble, l'assomption de la nature entre les bras de la grâce et une aspiration ardente, fervente même, de la patrie, exilée et souffrante, vers la patrie éternelle et bienheureuse !

« Certes, le poète a eu raison de s'écrier : L'enthousiasme habite aux rives du Jourdain, ce matin, nous nous sentons sur ces rives bénies. Oui, nous sentons que quelque chose de bien grand vient de s'accomplir au sommet de notre colline; le Jourdain est monté jusqu'ici. Et c'est vous, Monseigneur, qui avez armé successivement vos mains des divers instruments du travail et vous êtes fatigué, pendant cinq heures, à lui préparer un lit désormais convenable. Et quand le lit a été péniblement creusé, il a suffi, par un prodige où l'amour de Dieu le dispute victorieusement à sa puissance, il a suffi de quelques syllabes d'or tombées de vos lèvres pour y faire couler à pleins bords les ondes salutaires du fleuve de la rédemption, les flots du précieux sang, Jourdain allégorique dont le courant, intarissable parce qu'il est divin, va désormais, ici-même, baigner, arroser et féconder dans la terre promise de la vie religieuse, le jardin de nos âmes. Aussi bien en ce moment la reconnaissance change de nom et s'appelle l'enthousiasme, surtout quand nous songeons que nous, les Benjamins de la famille du Vénérable Marcellin Champagnat et du vénéré Frère Théophane, nous sommes les premiers de l'Institut à avoir, et cela grâce à votre bienveillance paternelle une chapelle consacrée.

Je termine, Monseigneur, en vous demandant un acte de charité qu'il vous sera doux d'accomplir. Priez avec nous pour cette communauté, en récompense de la foi presque héroïque de ses Supérieurs majeurs, en récompense de l'intelligence et de la piété du cher Frère Architecte, en récompense du zèle que le cher Frère Vicaire provincial a déployé pour l'ornementation de ce sanctuaire, en récompense de la générosité des Frères et des enfants de cette maison et de toute la Province. Qu'elle ne soit jamais condamnée à s'en aller au loin redire tristement les versets du « Super flumina Babylonis », mais qu'elle puisse, au contraire, tout en continuant, parles bénédictions du Sacré-Cœur, de la Sainte Vierge et de saint Joseph, sa marche ascendante, goûter ici sur les bords enchanteurs du Jourdain mystique, les douceurs de la liberté dont vous êtes, nous le disons avec fierté, l'intrépide et éloquent défenseur. »

Monseigneur avait exaucé d'avance la prière de M. l'Aumônier. La messe pontificale, promise depuis longtemps, il venait de la chanter dans notre église nouvellement consacrée et de la chanter tout entière, selon son expression, aux intentions et à toutes les intentions du Révérend Frère Supérieur général.

Il avait prié pour toutes les maisons de l'Institut qui, Dieu merci, est catholique, puisqu'il a des écoles chrétiennes ouvertes dans les cinq parties du monde, mais plus spécialement pour la maison de Lacabane et la Maison-Mère (Saint-Genis-Laval, près Lyon) où il avait reçu quelques jours auparavant, une hospitalité si simple et si cordiale, en un mot si religieuse.

Mais tout ce qui est délicat aime à se cacher sous le voile d'une discrétion jalouse. Il serait messéant de répéter ici tout ce que Monseigneur a dit de gracieux à notre Révérend. Les Frères de toute la Province et les enfants de Lacabane conservent précieusement chacune de ses paroles et s'unissent à leur vénéré Supérieur général pour adresser de nouveau à Sa Grandeur, avec l'hommage de leur piété respectueusement filiale, le merci de l'enthousiasme. 

INAUGURATION DU SECOND NOVICIAT

DE SIX MOIS 

Le dimanche 24 octobre 1897, fête de l'archange saint Raphaël, a eu lieu l'inauguration de l’œuvre dite du second Noviciat de six mois, établie conformément à l'article 4, 2nde section du chapitre XIV, première partie de nos Constitutions.

Dans une des salles de la maison qui est affectée à l’Œuvre, et que nous appellerons désormais MAISON DE RETRAITE SAINTE-MARIE, étaient réunis les Frères que nous avions appelés pour prendre part à ce second noviciat. Après la récitation du chapelet, le Frère Supérieur Général, accompagné des membres du Régime, a prononcé une allocution dans laquelle il a exprimé sa satisfaction et celle de tout le Régime, d'une institution qui était depuis longtemps l'objet des vœux des Supérieurs majeurs de l'Institut, d'une Œuvre qui répond à un besoin de notre temps et aux desseins de Dieu sur notre chère Congrégation, qu'il a bénie si libéralement, si visiblement, depuis son origine jusqu'à nos jours.

Cette Œuvre, qui doit être si profitable aux âmes, dit le Frère Supérieur, nous l'avons souhaitée en vue de la gloire de Dieu et comme un témoignage de la reconnaissance que nous lui devons : témoignage que les premiers, mes chers Frères, vous serez heureux de lui donner, en lui offrant, en retour de ses bienfaits, des hommages plus parfaits, des cœurs plus embrasés de son amour, plus généreux à son service, plus brûlants du zèle des âmes ….. 

« Votre but, en répondant à notre appel, sera celui que nous nous sommes proposé, conformément à nos Constitutions: Vous instruire plus parfaitement des devoirs de la vie religieuse, vous retremper dans la piété, et vous former particulièrement aux vertus solides ; en d'autres termes, vous perfectionner dans la science des saints.

« Connaître Dieu et Jésus-Christ qu'il a envoyé, connaître la vraie vie et la voie qui y conduit sûrement, voilà la science des sciences….

« Ici, dans le silence et le recueillement, vous vous appliquerez spécialement à connaître, à écouter, à aimer et à imiter de plus en plus Celui qui a dit : Je suis la lumière du monde. – Je suis la voie, la vérité et la vie…

« Vous étudierez Jésus-Christ de manière à pouvoir dire comme l'apôtre saint Paul s'adressant aux Philippiens : Toutes les connaissances dont par le passé j'ai fait état, je les méprise et je les rejette en comparaison de celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et lorsque vous, sortirez de cette maison pour reprendre votre vie d'apostolat, vous pourrez dire avec le même apôtre : Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'esprit de Dieu, et nous prêchons la sagesse de Dieu ; et, comme lui, vous vous féliciterez d'avoir été choisis pour annoncer les richesses incompréhensibles de Jésus-Christ.

« A l'étude de la vie de Jésus-Christ, à, l'imitation de ses vertus, vous joindrez l'étude de la vie et l'imitation des vertus de Marie, sa sainte mère et notre mère; à l'esprit de Jésus-Christ, inspirant vos pensées, vos affections et vos actes, vous joindrez l'esprit de Marie, esprit d'humilité, de simplicité et de modestie ; esprit de notre Vénérable Fondateur, caractère distinctif du Petit Frère de Marie.

« Etudier, copier Jésus et Marie, quel noble et saint travail ! Ce sera le vôtre, mes chers Frères, pendant les six mois qui vont s'écouler. Vous y apporterez donc toute votre âme, tout votre cœur, toute l'attention, tout le goût, toute l'ardeur que met l'artiste à l'exécution d'un chef-d’œuvre qu'il veut léguer à la postérité.

« Vous vous souviendrez aussi, M. T. C. F., que vous avez été appelés pour vous instruire plus parfaitement des devoirs de la vie religieuse, de vos devoirs comme Petits Frères de Marie. A cette fin, des conférences vous seront données en rapport avec vos besoins ; une bibliothèque sera mise à votre disposition, dans laquelle vous trouverez tous les livres qui sont propres à notre Institut. Vous puiserez dans cette riche mine, de manière à vous enrichir des précieux trésors qu'elle renferme. 

II 

« Laissez-moi maintenant, Mes Chers Frères, vous dire un mot des dispositions que l'on attend de vous dans l’œuvre de sanctification à laquelle vous allez prendre part.

« La première disposition est la bonne volonté, à laquelle vous joindrez la reconnaissance. Ce second noviciat est une grâce qui s'épanche du cœur de Dieu, et que Jésus-Christ vous a méritée… Il faut racheter le temps perdu…. faire provision de vertus et de grâces, et pour vous et pour les âmes au salut desquelles vous aurez à travailler.

« La seconde disposition est le recueillement et le silence… de manière que l'on voie se réaliser en vous cette parole du Sage : Si tu es sage, tu seras à toi-même ; et cette autre de l'Apôtre : Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ.

« La troisième disposition qui vous est demandée est la simplicité et la docilité de l'enfant qui se laisseemmailloter, tourner et retourner comme il plaît à sa mère ; de l'enfant à qui il faut apprendre à penser, à parler et à marcher …..

« Enfin, mes chers Frères, comme la charité est le précepte de Jésus-Christ et la marque de ses vrais disciples…, on vous verra, j'en ai la confiance, tous unis et fidèles à pratiquer entre vous, non seulement ce qu'elle prescrit rigoureusement, mais encore ce qu'elle a de plus délicat et de plus exquis …..

Peut-être arrivera-t-il parfois que le vieil homme éprouvera quelque trouble de se voir traité en enfant. Alors vous vous souviendrez de cette parole du divin Maître : Si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux.

« Après les six mois de noviciat passés dans ces pieuses dispositions, vous emporterez de ce séjour les plus doux souvenirs, et vous en sortirez solidement armés pour les saints combats, enrichis de vertus et de mérites. Alors, remplis et animés de l'esprit de Jésus et de Marie, retraçant leurs vertus dans toute votre conduite, et vous montrant ainsi les vrais disciples et les dignes enfants du Vénérable Père Champagnat, vous pourrez vous présenter à vos Frères comme ses copies vivantes et leur dire : Soyez nos imitateurs. C'est ainsi que nous n'aurons qu'à nous applaudir de vous avoir choisis pour inaugurer le second noviciat, pour tracer la voie à ceux qui viendront après vous, et qu'en parlant de vous, nous pourrons dire à vos successeurs  Voilà vos mo­dèles. » 

NOVICIAT DE VICH (ESPAGNE) 

PETIT HISTORIQUE – VÊTURE 

                                                                             Vich, le 21 septembre 1897. 

        Mon Très Révérend Frère Supérieur,

Déjà je me suis fait un devoir et un plaisir de vous informer du transfert du Noviciat de Canet-de-Mar en notre maison de Vich, et de l'installation qui en a été faite au mois d'août dernier. Aujourd'hui, j'ai la satisfaction de vous donner quelques détails sur la première vêture qui a eu lieu le 12 de ce mois, dans notre nouvelle habitation, sous la présidence de notre éminent et saint Evêque. Mais auparavant, je crois devoir vous dire un mot du couvent de Notre-Dame du Carmel qui est aujourd'hui notre demeure et notre propriété.

Les Carmes s'établirent pour la première fois à Vich, en l'an 1406, dans l'antique chapelle de la Esperanza, paroisse du Gurb, hors les murs de la ville.

Après avoir changé plusieurs fois d'habitation, ils s'installèrent dans le couvent qu'ils avaient fait bâtir, vers la fin du XVII° siècle, ou au commencement du XVIII°. Ils l'occupèrent jusqu'en 1835, époque où ils furent expulsés. Alors le gouvernement s'empara de l'édifice et en fit une caserne pour l'infanterie, jusqu'en 1895, date à laquelle les Frères Maristes en prirent possession, par suite de la vente qui en fut faite par le Ministère de la guerre.

C'est dans ce couvent, rendu à sa première destination, qu'eut lieu, le 12 septembre, fête du Saint Nom de Marie, la vêture qui laissera dans nos cœurs de si doux souvenirs.

Dès 7 heures du matin, Monseigneur célébra la sainte messe dans notre modeste chapelle et donna la sainte communion aux Novices, aux Frères et à un certain nombre d'élèves. Après le déjeuner, la grand'messe fut chantée en présence de Sa Grandeur, et suivie de la cérémonie toujours émouvante de la prise d'habit, à laquelle prirent part huit postulants bien préparés. Monseigneur prononça, à cette occasion une allocution tout empreinte d'ardente piété et de paternelle affection. Après la vêture, les nouveaux Petits Frères lui adressèrent comme d'usage un compliment auquel Sa Grandeur répondit avec une tendresse et une bonté touchantes.

Dans l'après-midi, le bon évêque, le grand vicaire, le secrétaire, le sous-secrétaire de l'évêché et le maître de la collégiale du séminaire assistèrent à une séance dans laquelle un certain nombre de jeunes Frères se livrèrent à une sorte de joute pédagogique, qui fut suivie avec beaucoup d'intérêt, sur la manière de faire le catéchisme aux enfants, d'après le Guide des écoles.

Cette belle journée se termina par un salut solennel avec sermon, et par une brillante illumination de la cour intérieure. En résumé, pieuse et charmante fête de famille bien propre à laisser dans les aines les plus douces et les plus salutaires impressions.

Les novices sont très contents à Vich, et il y a parmi eux un élan pour la piété et le travail que l'on prend plaisir à voir.

Grâce à Dieu, le recrutement de nos deux Juvénats et de notre Noviciat d'Espagne devient de plus en plus satisfaisant et pour le nombre et pour la valeur des sujets. Présentement notre Noviciat compte une soixantaine de novices et postulants, et nos deux maisons de Canet et de Burgos ont ensemble une centaine de juvénistes.

Nous devons certainement cette bénédiction à la Très Sainte Vierge, à laquelle les Espagnols sont très dévots. Aussi avons-nous lieu d'espérer que, dans un avenir peu éloigné, le Vénérable Père Champagnat comptera, au-delà des Pyrénées, un grand nombre d'enfants tout dévoués à son oeuvre, à l'exemple de leurs aînés de France.

Je suis avec un profond respect, etc.

Fr. Pierre-Damien, maître des novices. 

FONDATIONS EN 1897 

TOTAL : 20. 

En France : Angoulême (Charente) ; Bellecombe Lyon (Rhône); Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne); Caux (Hérault); Castelnaudary (Aude); Conques (Aveyron) ; Connaux (Gard); Croix près Roubaix (Nord) ; Romenay (Saône-et-Loire); Villefranche-Lauraguais (Haute-Garonne) ; Sédières (Corrèze). 

A l'étranger : Arlon, ville (Belgique); Beyrouth (Syrie); Cabezon de la Sal (Espagne); New York, 23e rue (Etats-Unis); Roberval et Saint-Romuald (Canada); Valence (Espagne); Invercargill (Nouvelle-Zélande) ; Port-Adélaïde (Australie) ; Congonhas do Campo (Brésil). 

DÉPARTS POUR LES MISSIONS EN 1897 

1. – 9 janvier 1897, du Havre pour New York : Frères Léon-Michel, Etienne, Gérondius.

2. – 27 janvier, de Marseille pour Beyrouth (Syrie): Frères Savine, Isidore.

3. – 27 février, du Havre pour New York : Frères Gonzalvus, Pol-de-Léon.

4. – 20 mars, de Marseille pour Aden: Frère Etienne-Régis.

5. – 25 mars, de Marseille pour l'Océanie, en compagnie de Mgr Redwood, de Mgr Vidal et de Mgr Broyer: Frère Antoine pour Nouméa et Frère Mary-Alfred pour Apia.

6. – 22 avril, de Marseille pour Constantinople Frères Louis-Marie, Marie-Fulgence.

7. – 24 avril, de Southampon pour New York : Frères Altin, Félix-de-Cantalice.

8. – 10 mai, de Marseille pour Mahé (Seychelles) Frère Acton.

9. – 27 mai, de Marseille pour Beyrouth (Syrie) Frères Eustole, Joseph-Isidore.

10. – 26 juin, du Havre pour New York en compagnie du R. F. Théophane, Supérieur Général, et du C. F. Stratonique, Assistant : Frères Légontien, Marie-Eparque.

11. – 9 septembre, de Marseille pour la Turquie Frères Emile-Auguste, Marie-Bajule.

12. – 9 septembre, de Marseille pour Antoura (Syrie): Frères Nicolas, Marie-Francis, Joseph-Austremoine.

13. – 25 septembre, de Marseille pour Marianna (Brésil) : Frères Andronic, Louis-Anastase, JeanAlexandre, Alphonse-Etienne, Basilius, Aloysio.

14. – 7 octobre, de Southampton pour le Canada: Frères Amable, Anaclet, Borroméo, Marie-Estève, Epiphanès.

15. – 4 décembre, de Southampton pour l'Afrique du Sud, en compagnie du C. F. Félix, ancien Provincial de l'Australie, nommé Visiteur de l'Afrique du Sud : Frères Mary-Adelbertus, Joseph-Pius, Joseph-Léo.

Ces 15 départs comprennent 38 nouveaux Frères missionnaires. 

ÉTABLISSEMENT DES FRÈRES AU BRÉSIL 

Dans le courant de l'année 1895, Mgr Silverio Gomes Pimenta, évêque de Marianna, Etat de Minas (Brésil), se rendant à Rome, s'arrêta à notre Maison-Mère et nous demanda avec beaucoup d'instances des Frères pour son diocèse. Etant à Rome, Sa Grandeur obtint que Son Eminence le cardinal Rampolla nous écrivît, à la date du 7 mars 1896, une lettre pour nous recommander sa demande. Sur une recommandation venue de si haut, nous avons cru voir l'expression de la volonté de Dieu, et nous nous sommes fait un devoir de choisir six Frères parmi ceux qu'un zèle apostolique pousse vers les Missions. Ils se sont embarqués le 25 septembre dernier, à Marseille, sur le paquebot la Provence, et sont heureusement arrivés à destination le 18 octobre.

Nous pensons qu'on lira avec intérêt la lettre qui nous a été adressée à cette date parle cher Frère Andronic, directeur. 

V. J. M. J.

                                                   Congonhas do Campo (Minas Geraes Brésil),

                                                                           18 octobre 1895. 

     Mon Très Révérend Frère Supérieur Général,

Laudetur Jesus Christus, et Maria, mater ejus. Amen

Nous arrivons enfin au terme de notre heureux, mais pénible voyage. Comme vous le savez, nous sommes partis de Marseille le 25 septembre, nous louant de l'amabilité de nos confrères de la ville, qui nous ont fait passer agréablement nos derniers jours en France.

Nous partions tous bien résolus ; cependant ce n'a pas été sans émotion que nous avons salué pour la dernière fois Notre-Dame de la Garde, pleins de confiance en sa protection, qui ne nous a pas manqué. Parmi les passagers se trouvaient douze prêtres dontsix Lazaristes, six Sœurs de charité et six Frères Maristes. Le dimanche, nous avons entendu la messe et fait la sainte communion à bord, en rade de Barcelone, ce que nous avons pu faire journellement, sauf deux jours, à cause de la mauvaise mer.

Le 28, nous faisions halte à Malaga, le 29 à Gibraltar. Après le détroit, il y eut une houle de fond qui rendit malades tous les passagers, même quelques matelots. Le 1ier octobre, nous arrivions à Madère tous bien rétablis ; le 5 nous saluions la terre française à Dakar, où pendant plusieurs heures, de petits négrillons nous amusèrent par leur dextérité à repêcher des sous qu'on leur jetait.

La navigation ne fut pas heureuse pour tous. De nombreux émigrants (1.500, m'a-t-on dit), étaient entassés dans la cale du navire. Une épidémie de variole fit invasion parmi eux. Pauvres gens ! Six d'entre eux (trois adultes et trois enfants) durent payer tribut à la mort, faisant place à deux nouveau-nés que la misère attendait à leur entrée dans la vie. Les passagers de 1ière et de 2nde classe furent aussi, en assez grand nombre, atteints de diverses indispositions dont les Frères eurent leur part. Le Frère Jean-Alexandre et votre serviteur ont pris une forte fièvre accompagnée de mal de gorge, de rougeur sur la peau et d'un embarras gastrique. M. l'abbé Garaude a été très bon et très aimable pour nous et nous a témoigné beaucoup d'intérêt durant tout le voyage, principalement à l'occasion de notre indisposition. Enfin, après une diète de cinq jours et des rafraîchissements à l'eau glacée, la fièvre nous a quittés. Finalement nous nous sommes aperçus que toute notre peau se pelait, ce qui indiquait que notre indisposition pouvait bien être la scarlatine. Il ne fait pas bon être malade en mer, et sous les tropiques. Nous espérons que Dieu nous tiendra compte de nos souffrances, que nous lui avons offertes pour le succès de notre mission.

Nous arrivons enfin, le matin du 15 octobre, à l'entrée de la baie de Rio de Janeiro ; mais il a fallu poursuivre jusqu'à 60 milles (111 km) plus au sud, à Ilha Grande, pour débarquer au Lazaret les varioleux. De retour à Rio, vers six heures du soir, nous voyons notre bateau accosté par un bon nombre de chaloupes à vapeur (lanchas), portant parents et amis. Après quelques minutes consacrées à la visite des valises par la douane, le pont, les salons, tout est envahi ; on s'embrasse, on se réjouit, on se questionne, on pleure, on rit, etc. Une demi-douzaine de Lazaristes et autant de Sœurs de charité étaient aussi venus au-devant de leurs confrères et de leurs sœurs. Quant à nous, il était déjà convenu que nous irions chez les Lazaristes, qui nous avaient offert l'hospitalité ; mais un prêtre brésilien, envoyé par Mgr de Marianna, avait affrété une lancha pour nous, et, arrivé près de notre bateau, il se mit à crier à pleins poumons, moitié français, moitié portugais: « Où sont les Frères Maristes ? sont-ils sur ce vapeur ? Nous y sommes !, lui fut-il répondu avec enthousiasme ; et en rien de temps, chapeaux, manteaux, valises, tout était prêt. Dix minutes après, notre lancha arrivait au quai. Ce n'est pas sans une vive émotion que nous avons dit notre premier Laudetur sur la terre brésilienne. Un tram nous conduisit chez des Capucins italiens pour y passer la nuit. La journée du samedi a été employée à retirer nos bagages de la douane, et, malgré tout ce que nous avons pu dire pour nous en défendre, à nous faire photographier avec notre guide, afin, disait-il, de comemorarnosso desembarco e nossa chegada a Brazil. Monseigneur le lui avait recommandé, à ce qu'il paraît.

Le dimanche matin, après avoir entendu la messe, nous prîmes le train-express à cinq heures et nous arrivâmes à six heures et demie du soir à Congonhas (gare), où il fallut passer la nuit dans une auberge. Le lendemain matin, on nous amena des mules pour nous rendre à destination. Notre première leçon d'équitation a été rude ; mais nos anges gardiens ont eu bien soin de nous, et, quoique nous ayons dû traverser des rivières et des torrents, sur des ponts vermoulus, ou les traverser à gué, puis franchir des montagnes, côtoyer des ravins et descendre des chemins rocheux et escarpés, il ne nous est arrivé aucun accident. Après avoir ainsi chevauché pendant une heure et demie, nous avons aperçu la jolie petite ville de Congonhas, dominée par le collège. Des vedettes placées à la cime des montagnes étaient chargées de signaler notre arrivée par des bombes et des fusées. Aussi, pendant plus d'une demi-heure entendit-on un véritable combat d'artillerie.

Après une descente des plus dangereuses pour des cavaliers tout à fait novices, nous fûmes salués et complimentés à l'entrée de la ville par le commandant et les autres officiers de la garde nationale en grand uniforme. Nous mîmes pied à terre et, escortés par ces Messieurs, et par une troupe de blancs, de mulâtres, de négrillons et de négrillonnes en habits de fête, nous montâmes au collège, où nous attendaient drapeaux, arc de triomphe, feux d'artifices et musique de la ville. Nous fûmes conduits solennellement à la chapelle, où la foule nous suivit. A notre sortie, nous dûmes subir de nombreux vivats et divers compliments, assaisonnés d'une bière d'honneur qui nous fut servie. Nous répondîmes de notre mieux à tant d'honneurs, tout en nous rendant compte de ce que nous aurions à faire dans l'avenir pour répondre à l'attente de cette population.

Enfin, tout heureux d'arriver chez nous, nous prîmes congé de ces braves gens. Toutefois, la musique ne s'en tint pas là : les musiciens et les officiers voulurent nous prouver surabondamment leur enthousiasme en jouant, criant, applaudissant sous nos fenêtres, depuis 2 heures jusqu'à 8 heures ½ du soir, sauf pendant une heure qu'il qu'ils ont dû employer à réparer leurs forces.

Assez pour les honneurs. Maintenant, mon Révérend Frère Supérieur, j'arrive à l’œuvre qui nous sera confiée.

Le collège, jadis florissant, ne compte maintenant que 30 à 40 élèves de 8 à 16 ans. Dans ce nombre se trouvent 16 internes qui portent tous la soutane. Il y a trois prêtres, un diacre, un trésorier, un secrétaire, deux ou trois cuisiniers et autant de domestiques, outre un Italien qui fait valoir la propriété. Le prêtre brésilien qui est venu nous chercher, nous a dit que Monseigneur tient à nous confier la direction de l'établissement, avec un prêtre ou un séminariste comme auxiliaire pour le latin. Nous ne serons bien fixés qu'après notre entrevue avec Monseigneur, qui ne rentrera à Marianna que dans un mois.

L'installation est des plus rudimentaires : pas de tables en classe, rien que des bancs. Il y a trois classes, une étude, un dortoir, une chapelle particulière pour la maison, plus une grande chapelle, lieu de pèlerinage du Bom Jesus (c'est aussi le nom du collège). Les bâtiments pourraient contenir au moins cent internes.

La propriété, en grande partie en bois et broussailles, s'étend à perte de vue dans un horizon splendide. Au collège sont attenants des bâtiments qui servent uniquement d'abri aux pèlerins, à l'époque du jubilé du Bom Jesus (trois jours à la mi-septembre).

La ville, qui a de trois à quatre mille habitants, est, paraît-il, appelée à un grand développement. Située en pleine région minière, elle est très riche en or, mica, argent, nickel, etc. Je tiens ces détails de l'ingénieur en chef des travaux d'établissement d'une ligne de chemin de fer qui reliera prochainement la ville à la grande ligne centrale du Brésil.

J'aurais encore bien des choses à vous dire, mais je suis exténué de fatigue. Si je vous écris aujourd'hui, malgré la musique, les bombes et les illuminations, c'est que je tiens à profiter du courrier de mercredi prochain, et qu'il me tarde beaucoup de vous donner de nos nouvelles, à vous et à tous les chers Frères du Régime, qui ont été si bons pour nous. Ensuite, je veux vous dire combien nous nous louons d'appartenir à notre bien-aimée Congrégation ; combien aussi nous sommes heureux qu'il ait plu à la divine Providence d'accepter notre bonne volonté et notre désir de faire quelque bien… Que le Vénérable Marcellin Champagnat veille sur nous et sur tous nos travaux, sous le patro­nage de notre bonne Mère.

Veuillez, mon Très Révérend Frère Supérieur, agréer l'assurance de notre profond respect, de notre religieux attachement et de notre entière soumission.

               Fr. ANDRONIC. 

UNE OEUVRE DE JEUNESSE EN ESPAGNE 

                                                                    Valence, le 2 novembre 1897.

     Mon Très Révérend Frère Supérieur,

Je crois vous être agréable en vous donnant quelques détails sur une Œuvre confiée à notre zèle et à notre dévouement, et dont l'organisation a grandement intéressé et satisfait notre cher Frère Vicaire provincial.

Cette Œuvre, désignée sous le nom de Patronat de la jeunesse ouvrière, réunit, présentement 808 jeunes gens, nombre qui pourra s'élever à mille avant la fin du mois. Elle comprend :

1. – Les écoles nocturnes dont les élèves sont répartis en plusieurs sections, savoir :

a) Enseignement élémentaire : 450 élèves.

b) Dessin de toute nature : 160.

c) Fanfare : 50 à 60.

d) Orphéon : Environ 80.

Je crois pouvoir vous assurer que nous n'avons pas dans nos collèges de France d'aussi bons dessinateurs, ni d'aussi bons musiciens qu'ici. Le dessin, pour les plus avancés, consiste à représenter d'après nature ; c'est-à-dire que le dessinateur prend pour objets d'imitation des modèles vivants.

Deux fois par semaine nous faisons une demi-heure de catéchisme aux grands (de 16 à 50 ans) ; et tous les jours une demi-heure aux 194 plus jeunes (de 10 à 15 ans). Outre cela, le chapelet se récite une fois par semaine. Tous disent bien le chapelet et écoutent attentivement le catéchisme, quoiqu'il y en ait dont les parents ont des accointances avec les anarchistes.

Nous avons aussi établi un cours de français, qui est suivi par 34 jeunes gens. Le 3 de ce mois, nous ouvrirons un cours d'anglais et un autre de comptabilité. Pour ces cours particuliers, chaque élève paye cinq centimes par leçon.

2. – La seconde division du Patronat comprend les Œuvres dominicales, ou l'enseignement du catéchisme les dimanches. Nous réunissons les ouvriers de tout âge dans une propriété appelée Petxina, et nous leur faisons le catéchisme pendant une heure. Puis nous restons avec eux jusqu'à la tombée de la nuit. Dans ma section, tous les âges y sont représentés depuis 15 ans jusqu'à 60. Je leur fais, pendant une heure, une conférence sur un point de doctrine. Dans les autres sections, les enfants sont placés par groupe de 10, et, sous la surveillance des Frères, d'autres jeunes gens du Patronat apprennent le catéchisme aux plus jeunes.

3. – La 3° division comprend la Congrégation de Saint Louis-de-Gonzague ; elle se compose de cent cinquante jeunes gens. Ceux-là se réunissent chez nous, à 6 heures du soir, pour chanter le Rosaire ; ensuite, un prêtre leur fait une petite instruction. Ils ont une communion obligatoire par mois.

4. – Enfin, la 4° division comprend la Congrégation des Frères de Jésus-Christ, au nombre de vingt-cinq. Ils se réunissent le lundi et le jeudi au soir, sous la présidence d'un prêtre. Ils font une demi-heure de méditation, suivie immédiatement de la discipline pendant cinq minutes et d'autres prières faites les bras en croix. Aidés de quelques-uns de la Congrégation de Saint-Louis, ils vont, le dimanche, chez les Petites Sœurs des pauvres et à l'hôpital, pour faire la barbe aux vieux, leur laver les pieds, etc. Puis, le soir, ils sont avec nous.

Les dimanches et les fêtes, nous sommes aux oeuvres du Patronat depuis 10 heures du matin jusqu'à 9 heures du soir.

Comme vous le voyez, Mon Très Révérend Père, on peut faire beaucoup de bien ici ; mais il ne faut pas craindre de se dépenser… Dieu aidant, nous espérons que nos efforts ne resteront pas stériles, car nos jeunes gens paraissent nous être bien attachés.

Jusqu'à présent nos classes du jour ne sont pas bien chargées d'élèves ; mais je puis dire que la qualité supplée au nombre…

Je suis avec un profond respect, etc.

                    F. FLORIBERT. 

LE BIEN QUI SE FAIT DANS UNE ÉCOLE PAR LA

COMMUNION FRÉQUENTE. 

Amener les jeunes gens à la fréquentation régulière des sacrements, c'est le vrai et seul moyen de les maintenir dans la voie sûre du salut, but que nous devons toujours avoir en vue dans notre ministère d'éducateurs chrétiens et religieux. En récompense de ce que l'on fait pour lui préparer les jeunes cœurs, Notre-Seigneur ne peut manquer de répandre ses bénédictions et ses faveurs sur l'établissement, d'y faire régner le bon esprit parmi les élèves et les maîtres, et de donner à ces derniers des consolations et des encouragements, avec un accroissement de dévouement et d'amour pour son divin Cœur.

« Pendant notre entrevue de Saint-Paul-Trois-Châteaux, m'écrit un F. Directeur, je vous ai entretenu des résultats obtenus par la pratique de la Communion mensuelle, établie parmi nos élèves ou anciens élèves. J'avais la satisfaction de vous annoncer que pendant l'année scolaire qui vient de finir, il m'avait été donné de pouvoir enregistrer le chiffre respectable de 403 communions.

« Ce résultat si consolant nous dédommage amplement de la peine que nous nous donnons pour amener à la sainte Table non seulement les élèves qui fréquentent notre école, mais aussi nos anciens élèves, qui répondent à l'invitation que nous leur adressons, chaque mois, et dont quelques-uns sont déjà dans leur dix-septième année.

« Parmi ceux-ci, il en est un qui, depuis plusieurs mois, fait la sainte Communion tous les dimanches. Comme il est de la campagne, à 2 kilomètres et demi de l'église, il m'arrive de temps en temps de l'inviter à déjeuner avec nous après la messe de Communion.

« Deux autres de nos élèves, fréquentant la classe, font régulièrement la sainte Communion chaque dimanche depuis la première Communion. Inutile de vous dire qu'ils sont sages et ont bon esprit : ils portent sur leur figure les marques de l'innocence et de la candeur.

« Oh ! comme le bon Maître doit être content d'eux ! Comme nous sommes heureux, nous-mêmes, de les encourager dans cette voie !

« Le mois de septembre et celui d'octobre, jusqu'à ce jour, nous ont donné soixante communions. C'est de bon augure pour le reste de l'année.

« Une des bienfaitrices de notre école, Mlle N…. nous a témoigné bien des fois sa satisfaction au sujet de nos Communions mensuelles. Heureuse elle-même de contribuer au bien qui se fait par ce moyen, elle m'a autorisé à servir à ses frais, dans notre local, un petit déjeuner, le jour de la Communion générale, à ceux de nos élèves ou anciens élèves qui se sont approchés de la sainte Table. De cette manière nous avons l'occasion de revoir nos anciens élèves d'une façon plus suivie, de leur donner quelques conseils, et, au besoin, de les exercer au chant de l'Eglise.

   « M. le Vicaire vient confesser, chaque semaine à la Maison, les enfants qui le désirent, et ils sont nombreux heureusement.

« Daignez agréer, etc.    F. N. 

ORPHELINAT AGRICOLE DE SÉDIÈRES     

AU DIOCÈSE DE TULLE 

On nous demande souvent si nos Frères dirigent des maisons de providence pour de jeunes orphelins. Les orphelinats en trop petit nombre pour les garçons, n'ont pas tous une direction chrétienne. Nous avons tout récemment accepté la direction de l'orphelinat de Sédières, où 245 hectares de terre sont mis généreusement à notre disposition par M. le baron et Mme la baronne de Nyvenhaeim, dans leur propriété de Clergoux (Corrèze)[3].

Nos Frères continueront l'Œuvre des fondateurs, se proposant de recueillir principalement des enfants, orphelins, de leur donner une bonne éducation chrétienne, une instruction convenable, de les former aux travaux agricoles et aux métiers qui s'y rapportent.

Nous avons cru devoir, en ces circonstances, nous rendre aux pressantes sollicitations venant de l'Evêque de Tulle et de différents côtés, et répondre aux desseins de Dieu, en nous chargeant de cette OEuvre si digne d'intérêt, dans un site on ne peut mieux choisi : le climat est parfaitement sain et on a toutes les conditions hygiéniques et morales nécessaires au développement physique et religieux des enfants. Un aumônier est attaché à l'établissement.

A l'âge de 18 ans, les jeunes gens subissent un exa­men et reçoivent un certificat constatant leurs aptitudes professionnelles et les connaissances spéciales qu'ils ont acquises.

Les conditions d'admission sont  des moins onéreuses (20 francs par mois). Les enfants sont reçus dès l'âge de 8 ans et, à partir de 16 ans, ils peuvent participerau bénéfice de l'exploitation agricole. 

CHINE 

                                                                   Pékin-Cha-la-Eul, le 18 octobre 1897. 

     Mon Très Révérend Frère Supérieur,

Je viens vous donner quelques nouvelles de vos enfants. Ce sera sans doute pour vous un délassement après la rude besogne des retraites et des placements.

Dans ma dernière lettre, je crois vous avoir parlé des arrangements qui ont eu lieu après notre retraite…

Je viens d'apprendre que le Gouvernement de la République nous donne part à ses largesses en faveur des Missions, en assurant cinq cents francs à l'école de Tientsin, et mille francs à celle du Nant'ang, au moins pour cette année, faisant espérer mieux pour l'avenir. Ce secours me permettra de compléter le traitement de l'an passé et celui de l'année 1897-98.

Un de nos élèves protestants a obtenu de sa mère la permission de se faire catholique. Je ne sais quel sera le résultat final du combat qui se livre à ce sujet entre le ciel et l'enfer, ni quel effet produira l'abjuration attendue sur les autres élèves protestants de l'école. Nous mettons notre confiance dans le Sacré-Cœur.

Les trois Springaërt de Shanghai sont à Tientsin, chez nos Frères. L'aîné a 20 ans; il nous ferait un très bon Frère, mais le père, un Belge, mandarin, a bien de la peine, quoique brave homme, à nous en faire don. Des prières, s'il vous plaît.

Au Nant'ang, tout va très bien en ce moment. Tous sont contents : Pères, Frères, parents et élèves. Deo gratias ! Les enfants sont environ 110, dont 26 pensionnaires; c'est un nombre magnifique. Les Frères font des examens chaque semaine, en catéchisme, en chinois, ce qui stimule maîtres et élèves, les fait travailler et attirera sans doute de nouveaux enfants. Quelques élèves ont pu être placés avantageusement ; c'est une bonne récompense pour l'école.

Les Frères Louis-Michel et Aristonique font les examens des livres chinois, et les FF. Marie-Victorius et François-Noël examinent sur la religion.

Le F. M.-O. travaille avec une ardeur sans pareille au chinois, et y fait, sous un maître, des progrès quasi étonnants en lecture, écriture au pinceau et langage ; c'est pur arriver à faire bientôt le catéchisme qu'il étudie avec tant d'application. Que Dieu lui donne bénédiction et constance !

J'ajoute qu'au Nant'ang, on s'efforce de faire connaître et aimer le Sacré-Cœur.

En somme, Mon Très Révérend Frère Supérieur, je crois que les nouvelles relatives au Nant'ang sont de nature à vous faire plaisir.

Chala, où je suis rentré, il y aura quinze jours jeudi prochain, est une vraie ruche pour le mouvement. C'est un plaisir que de voir le va-et-vient, l'entrain de nos chers petits, et d'entendre leur bourdonnement. Ils paraissent réellement heureux à l'abri des dangers d'un monde païen et des besoins de la vie.

La besogne augmente un peu chaque année. Maintenant nous avons les cours suivants :

Cours supérieur. Les Frères qui suivent ce cours travaillent sous un maître qui se prépare à la licence.

Cours spécial, pour une petite vingtaine d'enfants mieux doués, qui suivent de près les Frères étudiants. (Leur maître est un vieux bachelier, malin, connaissant tous les trucs de sa profession).

Cours primaire, comprenant quatre classes, dont la première est employée régulièrement au jardin ou ailleurs dans la belle saison. Les autres étudient toute la journée leurs prières et le catéchisme. Il faut savoir que les Chinois ont à apprendre par cœur beaucoup de prières qu'ils doivent réciter, soit avant, soit pendant la Messe.

Cours d'explication de catéchisme, chaque jour pendant demi-heure tous les soirs.

Dans quelques semaines, nous aurons un cours préparatoire à la première Communion, fait par F. J.-F. Il y a de plus, le dimanche : 1° le matin, l'explication de l'Evangile et les récits de la Vie des Saints de la semaine, aux petits ouvriers ; 2° le soir, un cours de religion à nos vieux ouvriers, au moyen du catéchisme en images. Nous avons aussi des cours d'agriculture et d'horticulture, de menuiserie, de cordonnerie, de taillerie, de cuisine, d'élevage de la gent porcine et de la volaille ; des cours de gymnastique, de tamiserie, de confection de cordons en tous genres ; et des cours de musique et d'harmonium ! ! !

F. J.-F. travaille toujours. Il fait les examens des livres chinois chaque semaine, tient tête aux Frères chinois pour l'étude des classiques, apprend en quelques semaines la Messe de Mercadante suffisamment bien pour la jouer sur les orgues du Nant'ang aux applaudissements de F. A. et de F. L.-M.

Le F. L.-E. va très bien maintenant. Avec son emploi de surveillant il est chargé de prendre soin de la lingerie, de la basse-cour, de surveiller la cuisine, de jouer de l'harmonium, de faire le catéchisme, de diriger les classes ordinaires de chant et de poursuivre l'étude du chinois.

Que sera l'avenir pour la Chine ? On ne saurait le dire, mais on remarque qu'elle entre dans la voie du progrès. Les chemins de fer de Pékin à Tientsin, de Tientsin à Takou, de Takou à Shanghai-kouan sont finis. La ligne de Pékin à Paotingfou et à Hankow est en construction. Dans six ans elle sera finie. On remarque encore que le service des postes s'établit petit à petit ; que l'armée s'organise à l'européenne ; que le besoin d'étudier les sciences se fait sentir de plus en en plus, et que par suite les écoles se multiplient.

Je vous ai parlé du désir de Mgr Anzer et des espérances des Lazaristes reposant sur la promesse de M. Gérard, touchant l'ouverture de plusieurs nouvelles écoles ; et voici que j'apprends que deux maisons d'école sont en construction dans le Vicariat, au Yen-Chan et à Paotingfou. Yen-Chan est du côté de Tientsin. Ce sont des mandarins qui se font les fondateurs de ces deux maisons. Ceux de Yen-Chan veulent des maîtres comme ceux de Tientsin (des Frères). On a déjà, parait-il, un traitement assuré de 400 taëls. C'est une oeuvre à recommander au bon Dieu.

A Paotingfou, le P. Jarlin agit fortement auprès des mandarins pour les porter à demander des Frères Maristes. Ce serait une position exceptionnelle sur le chemin de fer. Le français y serait la langue enseignée et parlée.

Le cher F. Emiliani vous aura sans doute parlé du désappointement de Mgr Scarella de Outchang, ou Hankow. Si une école était ouverte là, il y aurait vite un cours de français annexé à celui d'anglais, à cause de la ligne dont Hankow va être la tête. Quant aux résultats à espérer, au point de vue religieux, il me semble que donner l'enseignement à la classe aisée ou riche en Chine est chose capitale ; car les préjugés qui empêchent les conversions viennent surtout de la classe dirigeante. Les jeunes gens instruits par nos Frères recevraient au moins une teinte de religion ; ils seraient ainsi rapprochés du missionnaire et lui deviendraient sympathiques, au lieu de lui rester sourdement hostiles. Ce serait de plus utiliser, en faveur du catholicisme, l'influence considérable d'un maître sur ses élèves, laquelle ira aux protestants si nous la négligeons.

Le Vicaire apostolique du Shansi, Mgr Hofman, Hollandais et, je crois, Franciscain, a bien parlé aux Pères et aux Frères de son intention de nous appeler chez lui mais, si cela a lieu, ce sera pour plus tard.

Ainsi, mon très Révérend Frère Supérieur, la moisson s'annonce de plus en plus abondante et nous constatons toujours avec peine, la pénurie des vocations religieuses. Du reste, nous disait Mgr Hofman, en Chine, il n'y a pas de vocations, les Chinois ne savent pas s'ils sont appelés ou non ; il faut le leur dire, leur donner vocation, si l'on peut parler ainsi, puis s'attendre à beaucoup de déchet dans le triage. J'ai bon espoir que les études des Frères contribueront à nous en attirer ; mais ma confiance est surtout en Jésus, Marie, Joseph, le Vénérable Marcellin Champagnat et nos saints chinois.

Aidez-nous de plus en plus, s'il vous plaît, à obtenir de bons sujets. Il faut des prières et combien je compte sur celles si ferventes de nos bons Frères de la Maison-Mère et sur celles des pieux Novices, Scolastiques et Juvénistes.

Mon voyage à Shangani-Kouan m'a fait grand bien, et au F. Louis-Eraste aussi. Je me suis mis à la besogne avec une nouvelle ardeur. Pendant notre absence, les Frères ont eu beaucoup de travail ; mais rien n'a souffert sous la direction du F. Joseph-F.

Et maintenant je vous prie de ne pas oublier les nombreux besoins de notre cher petit district.

Tous les Frères vous saluent très respectueusement, sans oublier les membres du Régime.

Je suis, etc. …..          F. Jules-André. 

VISITES ÉPISCOPALES. 

5 septembre 1897 (dimanche). – La communauté de la Maison-Mère a eu la faveur de posséder toute la journée Mgr Denéchau, évêque de Tulle, sur qui l'attention publique a été appelée naguère à l'occasion des poursuites intentées contre Sa Grandeur pour prétendue infraction à un arrêté interdisant les processions dans sa ville épiscopale.

Après avoir reçu les respectueux hommages de la communauté réunie dans la salle ordinaire des exercices, Monseigneur, dans une causerie familière et pleine d'abandon, a fait l'intéressant récit de la part prise par lui à la protestation des fidèles de Tulle contre l'interdiction des processions (notamment de celle du 2 novembre, au cimetière, et de celle du 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste) ; puis de ses démêlés avec la justice, de sa condamnation à 5 francs d'amende, de son recours en cassation, et, en définitive, de son acquittement devant le juge de paix de Brives.

7 septembre. – Visitede Mgr Gonçalves, évêque de Rio-Grande (Brésil), dans le but d'obtenir des Frères pour son diocèse.

Cette demande (la quatrième depuis peu de temps) peut être regardée comme une nouvelle manifestation des desseins de la Providence sur notre Institut, relativement à la mission du Brésil.

29 octobre. – Visite de Mgr Emard, évêque de Valleyfield (Canada). Sa Grandeur, en visitant notre Maison-Mère, avait pour but de nous témoigner sa paternelle bienveillance et sa satisfaction de posséder des Petits Frères de Marie dans son diocèse. Sa conversation, pleine de charme et d'intérêt, nous a donné une haute idée de sa compétence dans les questions d'enseignement qui regardent le Canada. 

PORT DU COSTUME RELIGIEUX. – Les Frères Directeurs sont priés de faire lire en communauté l'avis contenu dans la Circulaire du 11 juin, concernant le port du costume religieux, et de tenir à ce que nos Frères employés ne quittent jamais, sans une vraie nécessité, ce vêtement qui rappelle si bien la noble vocation que Dieu nous a donnée. Nous ne saurions trop réagir contre le laïcisme qui tend à nous envahir.

Il n'est pas non plus superflu de rappeler à tous, les prescriptions de la Règle relativement à la manière de porter le manteau dans les sorties. Il importe également de conserver à notre chapeau la forme qu'il doit avoir d'après nos Constitutions. 

ECLAIRAGE A L'ACÉTYLÈNE. – L'installation de ce mode d'éclairage dans les maisons de l'Institut n'a pas encore obtenu l'approbation des Supérieurs. Les Frères Directeurs ne sont donc pas autorisés, sous prétexte d'économie, à introduire ce nouvel éclairage, qui offre des dangers et nous laisserait sous la responsabilité des accidents. Les Compagnies d'assurances contre l'incendie, voyant là une aggravation de risques, en prennent motif pour demander une augmentation de prime. 

LIVRES CLASSIQUES. – Les chers Frères Vicaires provinciaux voudront bien se faire remettre, au cours de leurs visites, la liste complète des ouvrages classiques suivis dans nos maisons et m'adresser un rapport sur ce sujet en venant à la retraite du Régime.

Je recommande instamment à nos chers Frères Directeurs, la diffusion de la vie en 32 pages de notre Vénérable Fondateur, en vue d'obtenir, par les prières des enfants et des âmes pieuses, les miracles requis pour sa béatification. 

CARTES DE VISITES, SOUHAITS. – Il est fortement recommandé aux Frères : 1° de s'abstenir d'échanger entre eux des cartes ou des lettres de souhaits. Un tel usage serait contraire à l'esprit de pauvreté et de simplicité : il nous suffit de prier les uns pour les autres.

2° D'éviter, dans les lettres aux Supérieurs, d'exprimer de longs discours ou compliments des vœux de bonne année. Si le cœur y pousse, il faut se borner à deux ou trois mots comme ceux-ci : Heureuse et sainte année ! puis parler de ses affaires. 

ENSEIGNEMENT AGRICOLE. – Manuel d'agriculture et de viticulture. – J'ai la satisfaction de vous annoncer que vers la fin du mois de décembre, nos Procures pourront vous fournir le Manuel d'agriculture et de viticulture que la Congrégation vient d'éditer. Ce volume a 260 pages environ et il est illustré de nombreuses gravures.

Il présente, sous la forme catéchistique, un ensemble précis, clair et complet tout à la fois, des notions générales, qui conviennent aux élèves de nos écoles. Le chapitre final, qui traite de l'Association, a été particulièrement apprécié par M. Duport, l'honorable et distingué président de l'Union des Syndicats agricoles du Sud-Est.

Vous savez, Mes Très Chers Frères, combien il importe à la religion et à la société d'attacher les populations rurales au sol qui les a vues naître ; à cette fin, vous aurez à cœur, j'en suis sûr, de répondre pour votre part, aux efforts qui ont été accomplis de nos jours par des catholiques éminents.

Je vous recommande donc avec instance d'introduire ou de développer dans vos écoles l'enseignement de l'agriculture ; là où sont établis les syndicats agricoles vous voudrez bien seconder l'action des personnes qui en font partie. Dans la région du centre, du sud et de l'est, l'Union des Syndicats du Sud-Est a décidé d'établir des examens de fin d'année qui auront pour sanction un Certificat d'études agricoles de première année, et un Diplôme de deuxième année. Nous croyons que la partie de notre manuel qui est imprimée en gros caractères, répond au programme de première année, et que l'ensemble du traité est suffisant pour l'obtention du diplôme de deuxième année. 

Je vous engage de nouveau à vous prêter à ces examens comme nos Frères de l'Ardèche, de la Loire et du Rhône l'ont fait l'an passé. Nous montrerons ainsi qu'en cherchant tout d'abord à inculquer à nos élèves l'amour et la pratique de la religion, nous ne restons pas étrangers à tout ce qui peut contribuer à leur bien-être et à la prospérité de notre pays. 

Nos DÉFUNTS.

 

F. MARIE-BENJAMIN, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 22 juin 1897.

F. PHILOTERUS, Novice, décédé à Saint-Sylvestre (Haute-Savoie), le 30 juin 1897.

F. INNOCENT, Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 1ier juillet 1897.

F. NARCÉE, Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 5 juillet 1897.

F. SENAING-JOSEPH, Novice, décédé à Beaucamps (Nord), le 5 juillet 1897.

F. TATIEN, Profès, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 14 juillet 1897.

F. BAUDIME, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 17 juillet 1897.

F. LICINIUS, Profès, décédé à Saint-Amand-Montrond (Cher), le 19 juillet 1897.

F. BASILISQUE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 24 juillet 1897.

F. PEMEN, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le. 25 juillet 1897.

F. VULFRAN, Novice, décédé à Beaucamps (Nord), le 3 août 1897.

F. MARIE-JOSEPH, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 21 août 1897.

F. MARIE-CASSIANUS, Novice, décédé à Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais), le 23 août 1897.

F. MELLITUS, Profès, décédé à Salindres (Gard), le 10 septembre 1897.

F. SÉBASTIANI, Stable, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 16 septembre 1897.

F. CÉLERIN, Profès, décédé à Varennes-sur-Allier (Allier), le 22 septembre 1897.

F. VIATHURINUS, Obéissant, décédé à Saint-Pierre-d'Entremont (Savoie), le 20 septembre 1897.

F. ADALBÉRON, Profès, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage (Loire), le 25 septembre 1897.

F. BENOIT-LABRE, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 25 septembre 1897.

F. BASSIEN, Novice, décédé à Lacabane (Corrèze), le 4 octobre 1897.

F. SIGEFRID, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 6 octobre 1897.

F. ETIENNE-ANDRÉ, Obéissant, décédé à Varennes-sur-Allier (Allier), le 16 octobre 1897.

F. ANDRÉ-MARIE, Obéissant, décédé à Beaucamps (Nord), le 17 octobre 1897.

F. EDOUARD, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 18 octobre 1897.

F. PERSÉVÉRANCE, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 21 octobre 1897.

F. ETIIELVODE, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 23 octobre 1897.

F. PATIENT, Stable, décédé à Barjac (Gard), le 23 octobre 1897.

F. JUAN, Profès, décédé à Rubi (Province de Barcelone), le 24 octobre 1897.

F. LIGUORI, Profès, décédé à Stoke (Nouvelle-Zélande), le 25 octobre 1879.

F. MELLIT, Profès, décédé à Varennes- sur-Allier (Allier), le 9 novembre 1897.

F. ENGELBERT, Profès, décédé à Beaucamps (Nord), le 13 novembre 1897.

F. ROYER, Profès, décédé à Aubenas (Ardèche), le 15 novembre 1897.

   AURAND, Juvéniste, décédé à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), le 20 novembre 1897.

F. JOSEPH-STANISLAS, Profès, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 24 novembre 1897.

F. JEAN-PHILOMÈNE, Stable, décédé à Saint-Genis-Laval (Rhône), le 18 décembre 1897.

 

En vous donnant cette nouvelle liste de décès, je vous, engage, de nouveau, à prier beaucoup pour les âmes du Purgatoire, particulièrement pour les âmes de tous nos chers Frères défunts. Prions pour eux, selon la Règle, et soupirons tous de mourir, comme eux, dans notre vocation, fidèles à nos engagements et entourés des secours de la religion. Pour cela, travaillons tous les jours à mériter cette faveur suprême, la plus grande de toutes, par la pureté de nos intentions au service de Dieu, par notre ardeur à imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre divin modèle.

La présente Circulaire sera lue en communauté, à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Je vous renouvelle l'assurance de l'entier dévouement avec lequel je suis, en Jésus, Marie, Joseph, Mes Très Chers Frères, Votre très humble et très dévoué serviteur,

     F. THÉOPHANE.

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[1] : Monseigneur Petit, archevêque de Besançon, Monseigneur Doutreloux, évêque de Liège (Belgique) Président-né des Congrès Eucharistique ; Monseigneur Lelong, évêque de Nevers ; Monseigneur Isoard, évêque d’Annecy.

[2]En une autre circonstance, le Sauveur disait à Marguerite-Marie: Mon divin Cœur est si passionné d'amour pour les hommes, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande par ton moyen. » Vie de la Bienheureuse, par ses contemporains, t. I, p. 74.

[3]Sédières est desservi par le bureau de poste de Lergoux. La gare la plus rapprochée est celle d’Eyrein, qui en est à 8 kilomètres, sur la ligne d’Ussel à Tulle.

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