Circulaires 326

LĂ©onida

1948-05-24

Fruits à retirer de nos retraites : Tendre à la sainteté par une exacte observance de la Règle, 5. - Motifs de tendre à la sainteté, 8. - La sainteté est-elle possible ? 13. - En quoi consiste la sainteté ? 17. - La Règle est pour nous la voie de la sainteté, 19. - Fidélité aux moindres observances de la Règle, 22. - Panégyrique de cette fidélité, 25. - Statut Capitulaire sur la pauvreté, 33. - Visite de délégation à la Province de Colombie, 44. Visite de délégation à la Province du Mexique, 51. - Visite de délégation à la Nouvelle-Calédonie, 60. - Voyage au Brésil, 70. - Décès de notre Cardinal Protecteur, 80. - Élections, 84. - Liste des défunts, 85.

326.

J.M.J.

 Saint-Genis-Laval, le 24 mai 1948.

                    Fête de Notre-Dame Auxiliatrice. 

              MES BIEN CHERS FRÈRES,

Cette année 1948 a été marquée, pour les Frères des Écoles Chrétiennes, par un événement mémorable qui les a remplis d'une sainte allégresse et d'une religieuse fierté.

L'Église vient, en effet, de conférer à l'un des leurs, le Frère Bénilde de Jésus, l'honneur des autels et la cérémonie solennelle de la béatification a eu lieu en l'église Saint-Pierre de Rome, le 4 avril dernier, dimanche de Quasimodo.

Nous avions envoyé d'avance nos fraternelles félicitations au Très Honoré Frère Supérieur Général, et, par lui, à toute sa famille religieuse, les assurant que nos joyeuses actions de grâces monteraient avec les leurs vers le Ciel, en ce jour béni.. En outre, le Conseil Général a délégué les Chers Frères Secrétaire Général, Procureur Général près le Saint-Siège et Provincial d'Italie pour représenter notre Institut aux fêtes de la béatification.

Ces gestes de bonne fraternité envers une Congrégation sœur ont dû être bien agréables à notre Vénérable Fondateur qui nous a dit, en effet, dans son Testament Spirituel : « Je désire, mes bien chers Frères, que cette charité, qui doit vous unir tous ensemble comme les membres d'un même corps, s'étende aussi à toutes les autres congrégations. Ah ! je vous en conjure par la charité sans bornes de Jésus-Christ, gardez-vous de jamais porter envie à personne et surtout à ceux que le bon Dieu appelle à travailler comme vous, dans l'état religieux. à l'instruction de la jeunesse. Soyez des premiers à vous réjouir de leurs succès… »

Nous avons d'ailleurs, mes bien chers Frères, une autre raison de nous réjouir : c'est que l'Église, inspirée et guidée par l'Esprit-Saint, choisit pour glorifier un humble éducateur, précisément le temps où un grand combat est engagé en certains pays pour ou contre l'enseignement chrétien. Le Saint-Père de son poste élevé, voit bien quel est l'enjeu de ce combat : l'éducation d'aujourd'hui préparent la société de demain. Il veut encourager ceux qui sont à l'avant-garde dans ce combat : les maîtres chrétiens et tout particulièrement les religieux éducateurs. Il semble vouloir relever leur humble profession aux yeux du monde et à leurs propres yeux. Courage ! leur crie-t-il. Voyez ce que fut l'un des vôtres.

Sans doute, mes bien chers Frères, on a dû, jadis parlant de ce maître d'école dire avec un peu de dédain : « Ce n'est qu'un Frère », comme l'on disait de l'un de nous du temps du Vénérable Père Champagnat. Et aujourd'hui, le Saint-Père, comme jadis notre Vénérable Fondateur, mais avec l'autorité et la solennité du Magistère Suprême, nous dit, montrant le Bienheureux Bénilde : « Ce n'est qu'un Frère » ? Savez-vous ce que c'est qu'un Frère : « C'est l'instrument des divines miséricordes pour le salut des âmes. C'est le coopérateur de Jésus-Christ dans sa sainte mission de sauver les âmes ; il jette les fondements de l'éternité bienheureuse dans l'âme des enfants et jette, de même, les fondements des bonnes paroisses, des familles chrétiennes et d'un peuple saint. » « Un Frère est une âme prédestinée à une grande piété, à une solide vertu et sur laquelle Dieu a des desseins particuliers de miséricorde. »

Ainsi, dans la personne de cet humble maître d'école, les fonctions de religieux-éducateur sont mises en haut relief et sont présentées comme une vocation sublime, digne d'admiration et de reconnaissance.

Le Bienheureux Bénilde fut ce que nous sommes ; à notre tour, devenons ce qu'il a été. Il eut un rôle tout d'humilité, de simplicité et de modestie, celui même d'un authentique Petit Frère de Marie. Il passa la majeure partie de son existence dans un pays de montagnes, à la tête d'une école de pauvres fréquentée par trois cents élèves pendant le jour et, le soir, par bon nombre d'adultes. Sa vie se composait, comme la nôtre, d'une succession de jours uniformes ; mais elle s'écoulait tout entière dans l'accomplissement exemplaire de tous ses devoirs d'état et dans la pratique d'une régularité parfaite et sans défaillance.

De là lui viennent l'admiration des confrères et les honneurs que lui rendent l'Église et l'univers catholique tout entier. On peut lui appliquer les paroles de la Sagesse : « Il a été aimé de Dieu et des hommes ; sa mémoire est en bénédiction. Le Seigneur lui a donné une gloire égale à celle des saints. » (Eccl., XLV, 1-2.)

Quelle leçon pour nous, portés parfois à chercher dans un autre état de vie plus élevé, ou dans des emplois à notre fantaisie, une sainteté imaginaire ou un merveilleux champ d'apostolat, alors que tout cela est à notre portée dans la situation que nous fait la divine Providence.

Le Bienheureux Bénilde s'est sanctifié, a sanctifié ses Frères et ses élèves par la parfaite observance de la Règle de son Institut et du Règlement de son Ecole. C'est pourquoi, mes bien chers Frères, en vous convoquant cette année à la retraite, je vous propose, comme fruit principal à retirer de ces saints exercices, tendre à la sainteté comme le Bienheureux Bénilde, par une exacte observance de la Règle, sans faiblesse ni écarts.

Dans les réflexions suivantes que ce programme me suggère, les mots sainteté et perfection seront employés l'un pour l'autre comme dans bien des traités d'ascétique. 

Motifs de tendre à la sainteté.

 a) Comme chrétiens : Notre-Seigneur nous dit, ainsi qu'à tous les fidèles : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Matt., V, 48.) Il renouvelle de la sorte, le commandement de Dieu donné par l'intermédiaire de Moïse au peuple choisi : « Soyez saints parce que je suis saint, moi, votre Dieu. » (Lév., XIX, 2.)

En nous proposant son Père comme modèle, le Sauveur nous laisse entendre que, quels que soient nos efforts et nos progrès dans la perfection, nous serons toujours loin du but à atteindre. A quelque degré de vertu que nous nous élevions, la parole du Christ : « Soyez parfaits » nous stimulera toujours à monter plus haut, toujours plus haut.

C'est ainsi que le comprennent les saints : ils ont un idéal élevé et plus ils en approchent, plus il leur semble éloigné ; plus ils deviennent purs et plus ils se reprochent dés imperfections qu'une moindre vertu ne soupçonne pas. L'Esprit Saint les éclaire sur les divines exigences de la sainteté. Imitons-les, aspirons toujours à une perfection plus grande afin de mériter ce témoignage de Notre-Seigneur : «Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés. » (Matt., v, 6.)

b) Comme religieux, nous avons l'obligation de suivre de plus près le divin Maître. « Il devrait y avoir, dit saint Isidore, entre les religieux et les simples fidèles, autant de distance qu'entre le ciel et la terre.»

Dieu, qui nous accorde des grâces de choix, attend de nous plus qu'une vertu médiocre : religieux et âme vulgaire sont des termes qui jurent d'être rapprochés ; religieux saint ou qui travaille du moins â le devenir, voilà ce qu'exige de nous la profession religieuse. La simple raison nous dit, en effet, que si nous avons abandonné le monde, si nous avons contracté volontairement des obligations plus graves que celles des simples fidèles, telles que les règles et les vœux, c'est pour poursuivre un idéal supérieur au leur, pour parvenir à une plus haute sainteté. L'adieu au monde de tout religieux conscient des obligations qu'il con-tracte devrait être celui de saint Gérard Majella quand il le quitta pour le cloître, « Je vais me faire saint ».

C'est bien là ce que demande le Vénérable Père Champagnat de ses disciples quand il dit : «. Se faire Frère, c'est s'engager à se faire saint ». Et encore : « Tous les Petits Frères de Marie doivent être des saints, c'est à le devenir qu'ils doivent travailler toute leur vie et de toutes leurs forces ». Nous ne serions plus dans l'esprit de notre Vénérable Fondateur si nous négligions de suivre le programme qu'il nous a tracé. Dans cette ambition d'un père, désireux avant tout du bien spirituel de ses enfants, il rejoint tous les Fondateurs d'Ordres religieux qui veulent que la sanctification personnelle soit le souci principal de leurs sujets.

Citons, entre autres, saint Alphonse de Liguori dont un biographe écrit : « Sa grande préoccupation était de composer sa congrégation, non d'une multitude de religieux plus ou moins tièdes, mais d'une élite de saints… ». « Sa grande crainte était de voir s'introduire dans la congrégation, avec la multiplicité des sujets, une diminution de ferveur. »

c) Comme éducateurs enfin, comme auxiliaires de Notre-Seigneur dans l’œuvre du salut des âmes, nous avons le devoir de tendre à la sainteté, car, dit Dom Chautard : « Le Créateur a établi cet ordre universel vis-à-vis des choses divines celui qui a mission de les distribuer doit y participer le premier et se remplir tout d'abord et abondamment des grâces que Dieu veut accorder aux âmes par son. intermédiaire. Alors, mais alors seulement, il lui sera permis d'en faire part aux autres. »

Le bon Dieu peut bien suppléer au manque de vertu de ses auxiliaires, mais, en général, il ne le fait pas. Il faut donc que nous devenions des saints si nous voulons travailler efficacement à la sanctification des autres. L'éducateur peu préoccupé de sa propre perfection risque de ne former que des demi-chrétiens, des chrétiens de nom dont la religion sera comme un vernis superficiel qui tombe aux premiers contacts avec la vie, ou comme . un costume de parade dont ils se débarrassent au sortir de l'école pour le reprendre, tout au plus, en certaines circonstances exceptionnelles.

Plus que jamais il faut des saints, pour contrebalancer, pour combattre les méfaits du laïcisme qui a envahi l'école, la famille et les institutions. Ce laïcisme malfaisant se développe par une diminution progressive du surnaturel dans les âmes ; il ne s'affaiblira que par un accroissement d'esprit surnaturel ou de sainteté parmi les chrétiens et surtout chez ceux qui ont mission de les guider.

Comme simple remarque, j'ajouterai que si la sainteté est indispensable à des éducateurs, qui doivent former de jeunes chrétiens, elle ne l'est pas moins aux Supérieurs chargés d'instruire et de guider des religieux. Pour les uns comme pour les autres, ce conseil de saint Jean-Baptiste de la Salle sera toujours opportun : « Correspondez aux des-seins de Dieu sur vous, et tâchez, dans votre état, de parvenir à une telle sainteté, que vous puissiez rendre saints ceux dont la conduite vous est confiée.

On ne saurait trop le répéter : « Il y a beaucoup de braves gens et pas assez de saints dans les communautés, de là vient que les œuvres languissent ou n'ont qu'une prospérité fictive au sujet de laquelle les hommes de foi ne se font pas illusion. »

d) Si, comme je viens de le dire, nous devons tendre à la sainteté en tant que chrétiens, religieux et éducateurs, nous le devons, en outre, pour assurer notre persévérance dans la vocation et notre salut éternel.

Tel est l'enseignement de notre Vénérable Fondateur «Beaucoup de religieux, affirme-t-il, perdent leur vocation parce qu'ils ne sont pas aussi vertueux que Dieu le voudrait. » Telle est aussi la doctrine de saint Alphonse : « Quiconque ne veut pas devenir saint ne persévérera pas dans la Congrégation. Jésus-Christ lui-même à qui la Congrégation est très chère, l'en chassera. » Il dit ailleurs « Celui qui veut se sauver, mais non en saint, je ne sais s'il se sauvera… » « Que sommes-nous donc vernis faire dans la Congrégation si nous n'y travaillons pas à devenir des saints ? Nous trompons le monde qui nous regarde tous comme des saints et se moquera de nous au jour du jugement. » (Vie, par le P. BERTHE.)

Ces pensées sont l'application des oracles évangéliques « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » « Il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint point. » (Matt., III, 10, 12.)

Dans l'ordre physique toute vie s'affaiblit dès qu'elle cesse de croître, il n'y a pas de vie stationnaire. Si les principes de décomposition d'un être vivant ne sont pas combattus par une continuelle infusion de vie, c'est la mort à bref délai. De même dans la vie spirituelle, les mauvaises tendances, qui sont des agents destructeurs très actifs, ruinent vite une âme qui n'accroît pas constamment sa vie divine.

Ceci explique l'infidélité de Frères sur lesquels on avait fondé les plus belles espérances. Ils s'adonnaient à l'apostolat avec enthousiasme, leur conduite comme religieux tout d'abord ne laissait point à désirer ; mais petit à petit ils . ont négligé leur âme. Ils ont fini par croire qu'on ne donne toute sa mesure que dans le maximum de peine et d'activité extérieure ; de là, l'oubli de l'essentiel, de leur sanctification personnelle et, comme conséquence, l'abandon du service de Dieu.

Comme je voudrais, mes bien chers Frères, que vous saisissiez le rapport intime qui existe entre nos efforts de sanctification et notre persévérance, gage de salut éternel ! Nous prenons tous les moyens en notre pouvoir pour assurer le succès des entreprises d'ordre temporel ; mais la raison, le simple bon sens ne demandent-ils pas que nous procédions de même dans l'ordre spirituel, que, nous faisant violence, évitant toute incurie, nous élevions le plus haut possible l'édifice de notre perfection pour le rendre comparable à la maison que l'homme sage a bâti sur la pierre et que ni les pluies, ni les torrents, ni les vents ne parviennent à renverser ? 

La sainteté est-elle possible ?

 La sainteté est possible et elle le sera toujours ; les saints ne sont pas une race légendaire, disparue ; il suffit pour le prouver de rappeler les nombreuses canonisations qui ont lieu de nos jours. Ce qui est vrai de la sainteté proclamée solennellement par l'Église l'est, à plus forte raison, de celle qui n'a d'autre témoignage que celui du bon Dieu.

Dire que la sainteté n'est pas possible serait nier la sainteté de l'Église proclamée dans le Credo. Ce serait admettre qu'il n'y a plus d'âmes généreuses ou que le sang de Notre-Seigneur qui, depuis le Calvaire, a suscité des légions innombrables de saints, a perdu son efficacité. La sainteté est impossible si nous ne comptons que sur nous-mêmes, mais non avec le secours de la grâce qui ne fait jamais défaut. Si, dans l'ordre physique, Dieu nous prodigue les choses indispensables comme l'air et la lumière, comment ne nous donnerait-il pas les moyens d'atteindre l'unique nécessaire, le salut, la sainteté !

Sainte Thérèse de Lisieux croyait à cette efficacité de la grâce, voyant dans les bras de Jésus l'ascenseur qui devait l'élever jusqu'au Ciel. (Hist. d'une âme, ch. IX.) Ce qui fait le plus défaut dans l'œuvre de notre sanctification, c'est notre coopération, notre vouloir. « Il y a peu de gens, au dire de saint Ignace de Loyola, qui comprennent bien ce que Dieu ferait d'eux s'ils le laissaient faire. Un tronc d'arbre rude et informe devient une belle statue entre les mains d'un sculpteur. Plusieurs vivent à peine en chrétiens, qui seraient des saints s'ils ne s'opposaient pas aux desseins de Dieu et aux opérations de sa grâce. »

La formule victoire égale volonté d'un grand chef militaire moderne est bien plus vraie pour la grande victoire à remporter sur nous-mêmes, que pour les entreprises guerrières auxquelles il l'appliquait.

Ce rôle de la volonté est mis en évidence dans cette résolution de saint Jean Berchmans : « Je veux être un saint et je veux l'être au plus tôt » de même que dans ces paroles du P. Olivaint, l'un des martyrs de la Commune : « II faut moins de temps que de courage pour devenir un saint. »

Trop souvent peut-être, sommes-nous portés à croire que les saints ont reçu la sainteté comme un don et qu'il ne leur a rien coûté pour le faire valoir, lorsque, en réalité, ils ont dû déployer un grand courage, une grande constance. S'ils avaient d'heureuses dispositions natives, ils en avaient aussi de mauvaises qui, non combattues, auraient causé leur perte. Les saints ont été des hommes de chair et d'os comme nous et non de purs esprits exempts de nos misères. Les biographes qui nous font connaître leurs défauts ne diminuent en rien leur sainteté, ils nous la rendent plus accessible. A les lire, nous reprenons courage dans la lutte contre nos mauvais penchants ; comme saint Augustin nous mettons un terme aux vaines excuses pour dire avec lui : « Quoi ! ne pourrais-je pas ce que tant d'autres ont pu ? »

La volonté théorique ne nous manque pas, en général, mais, à la vue des exigences de la sainteté, nous sommes exposés à éprouver des craintes excessives à la manière d'un illustre prélat dont la vie édifiante ne semble pas confirmer l'humble aveu. Après avoir parlé de la nécessité de saints prêtres pour convertir le peuple, il ajoute : « Je demandai à Marie de nous donner quelques vrais saints. Alors j'ai senti renaître en moi cette question qui me remue et me trouble toujours : «Pourquoi ne demandes-tu pas cela pour toi-même ? Et j'ai eu peur de faire cette prière, parce que j'ai eu peur d'être exaucé. » Plus tard, à l'occasion d'une retraite, Mgr d'Hulst, car c'est de lui qu'il s'agit, se résolut à faire ce pas. Il raconte lui-même, en termes poignants, l'émotion qui l'étreignit au moment où il se livrait ainsi entièrement au divin Maître. Je crois utile de transcrire en entier cet admirable récit

« … Là m'attendait la grâce la plus puissante de ma retraite, une grâce de prière ardente, intense, émue, suppliante et confiante, qui m'a fait quitter ma place pour aller me prosterner devant le Tabernacle et parler à Notre-Seigneur comme un ami à son ami. Je n'avais pas à cher-cher l'objet de ma demande. Il m'était suggéré avec évidence, en même temps que je me sentais mû à le demander.

Je demandais à Notre-Seigneur de me prendre à son service, de s'emparer de moi, d'oublier les longues hésitations, les pas en arrière, les inconséquences, les résistances, les défaillances qui, à travers de bons mouvements, ont rempli mes trente années de vie sacerdotale. Je lui protestais que je n'avais plus peur de lui, ni de ses exigences, ni des conséquences de cette donation, que, s'il en résultait pour moi des devoirs plus étroits, une application plus rigoureuse, une mortification plus constante, voilà pour le dedans ; et pour le dehors, des épreuves, des humiliations, des privations pénibles, je ne voulais rien craindre de tout cela, parce que cela me viendrait de lui et que la grâce de le porter viendrait en même temps ; que, s'il le voulait, je pouvais être plus joyeux avec tous ces sacrifices qu'au milieu de toutes les satisfactions, et que, s'il voulait que je fusse triste plus ou moins longtemps, je le voulais aussi.

Oui, par vos voies, par vos sentiers, à vous j'irai, si rudes qu'ils soient, et non par d'autres, j'arriverai où je tends : à l'amour militant en ce monde et à l'amour béatifiant dans l'autre ». (Sa Vie, par le Card. BAUDRILLART.)

Nous aussi, mes bien chers Frères ouvrons nos cœurs aux appels de la grâce et surtout, à l'occasion d'une retraite, mettons un terme à nos marchandages : demandons sincèrement la sainteté. C'est une prière qui ne saurait être déplacée sur les lèvres de religieux, si on pense que saint Joseph-Benoît. Cottolengo faisait répéter cinquante fois par jour à ses malades : « Vierge Marie, Mère de Jésus, faites-nous saints », pratique fidèlement conservée jusqu'à nos jours par ses continuateurs dans l'œuvre admirable de la « Piccola Casa » de Turin. 

En quoi consiste la sainteté ?

 Notre Vénérable Fondateur, ayant posé aux Frères la question qu'est-ce qu'un saint ? en obtint des réponses défectueuses, car elles plaçaient la sainteté dans les miracles et autres faits extraordinaires, dont Dieu favorise parfois ses serviteurs, mais qui ne sont que la récompense de la sainteté ou simplement son piédestal. Il en profita pour instruire ses disciples, leur faisant voir que les plus grands miracles des saints ce sont leur prière, leur abnégation, leur charité, leur zèle, leur fidélité à l'accomplissement du devoir, en un mot, leurs vertus. Sa pensée, qui est celle des Docteurs peut se résumer ainsi : La sainteté réside dans l'amour de Dieu et cet amour consiste à faire sa volonté.

Dans le travail de la sainteté, il y a une donation réciproque : l'âme se donne à Dieu et, à son tour, Dieu se donne à l'âme. Celle-ci atteint le sommet de la perfection lorsqu'elle s'unit à Dieu par une abnégation totale de soi, disant comme Notre-Seigneur, la sainteté même : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre. » (Jean, IV, 34.)

Cette doctrine trouve sa confirmation dans ces autres paroles du Sauveur : « Ce n'est pas celui qui m'aura dit Seigneur, Seigneur ! qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Matt., VII, 21.)

C'est pour cela que dans le Notre Père, formule de prière que lui-même nous a enseignée, le divin Maître nous fait demander que la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel.

Telle fut la disposition de Marie, la plus sainte des créatures, comme l'indiquent le fiat de l'Annonciation et le titre de servante du Seigneur qu'elle se donne.

A notre tour, conformons le plus parfaitement possible notre volonté à celle de Dieu dans les détails de notre conduite. Il est des hommes qui cherchent leur fin plus bas qu'eux-mêmes dans l'attachement désordonné aux créatures ; d'autres la placent dans la satisfaction de leur amour-propre ; et il en est qui la mettent dans l'accomplissement du bon plaisir divin. C'est à ce dernier plan que se sont élevés et se sont maintenus les saints. Quel qu'ait été leur genre de vie, ils se sont appliqués à ne rien refuser à Notre-Seigneur. Voyant que le monde et ses attraits passent rapidement pour ne laisser après eux que d'amères déceptions, ils y ont renoncé pour ne s'attacher qu'à Dieu seul. C'est ainsi qu'ils ont déjoué les ruses du démon et qu'ils ont été en ce monde les seuls vrais sages.

Imitons-les, imitons surtout ceux qui se sont sanctifiés dans notre famille religieuse. Au souvenir de leur nombre et de leur générosité, disons avec saint Paul : « Puisque nous sommes environnés d'une si grande nuée de témoins, rejetons tout ce qui nous appesantit et le péché qui nous enveloppe, et courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte (Héb., XII, 1). 

La Règle est pour nous la voie de la sainteté.

 Pour le religieux, la Règle est l'expression certaine de la volonté de Dieu et, partant, la voie assurée de la sainteté.

C'est Dieu, en effet, le premier auteur des états de vie et par conséquent de notre Institut. Il a inspiré à Notre Vénérable Fondateur les Règles qui nous conduiront à la perfection qu'il attend de nous. Un auteur confirme ainsi cette doctrine : « De temps en temps, la Providence suscite un saint qu'il charge de tracer, d'après les idées divines et les lois de l'Évangile, une voie plus courte, mais plus évidente que celle des Commandements pour conduire les âmes à la perfection. Ces hommes providentiellement suscités du ciel sont les Fondateurs des Ordres religieux. Dans un petit livre, ils indiquent à leurs enfants spirituels les vues et les volontés de Dieu sur eux. Ce petit livre, c'est la sainte Règle, code vénérable renfermant les lois qui doivent sanctifier des milliers d'âmes privilégiées. Dans la rédaction de ce Code sacré, les saints Fondateurs ont été éclairés des lumières du ciel et quelquefois guidés par des révélations divines. » (P. DOSDA.).

Il résulte de ce qui précède que Notre Vénérable Fondateur aurait pu faire siennes ces paroles de saint Bernard « Celui qui a écrit la Règle ou plutôt celui qui l'a dictée, c'est l'Esprit Saint. »

Sans doute la Règle donnée à nos premiers Frères a-t-elle. été modifiée en tels ou tels points par les divers Chapitres Généraux, mais chacun de ceux-ci a été en droit de dire, avec les Capitulants de 1852 : « Toutes ces Règles n'ont pas été écrites de la main de notre pieux Fondateur mais toutes sont l'expression fidèle de sa volonté et de son esprit. »

Le Vénérable Père Champagnat exprime en ces termes sa conviction d'avoir fourni à ses disciples un excellent moyen de sanctification : « La fidélité à votre Règlement, en vous obtenant la persévérance, vous assurera la couronne éternelle.» – « Gardez votre Règle, soyez-y fidèles et je vous assure le Paradis. » Il tirait ainsi les conclusions normales de cet adage bien connu : « Celui qui vit selon une Règle vit selon Dieu.

Dans la vie religieuse, l'on ne doit pas s'adonner, à tous les exercices capables de contribuer à notre sanctification, mais uniquement à ceux que signale la Règle. Il y a beaucoup de bien à faire par le monde, nous pourrions former de beaux projets, nous livrer longuement à la prière ou à de multiples travaux apostoliques ; mais la Règle précise l'emploi de tous nos instants, de nos talents ; de notre vie, de sorte que s'écarter de ses prescriptions, c'est forcément s'éloigner de la volonté de Dieu et poursuivre une perfection illusoire.

Tel est également l'esprit de nos Règles : « En communauté, lisons-nous à l'article 279, le principal moyen de sanctification est l'observance des Constitutions et des Règles, et un religieux ne reçoit de grâces et ne fait de progrès dans la vertu qu'à proportion qu'il est fidèle à les observer.

Cette efficacité de la Règle pour notre avancement spirituel lui vient de ce qu'elle résume les préceptes et les conseils évangéliques et qu'elle nous signale les meilleurs moyens de les observer. Elle devient ainsi le phare, le guide que Dieu nous donne pour que, sans nous jeter ni à droite ni à gauche, dans le scrupule ou le relâchement, nous allions en toute sécurité vers la perfection de notre état.

La Règle nous oblige à un renoncement continuel, universel, car elle ne laisse sans contrôle aucun détail de notre vie. Elle est le ciseau qui nous donne la forme voulue, celle qui correspond à l'esprit de notre vocation… C'est le martyre à petit feu, parfois plus pénible et peut-être plus méritoire que celui du glaive et du chevalet. Les guerres nous offrent l'exemple de soldats prêts, à un moment donné, aux besognes les plus dangereuses et que la longueur de l'épreuve finit par abattre et porter à la désertion. L'on trouverait de même des religieux capables d'un héroïsme passager mais non de l'effort soutenu pendant toute la vie, pour l'observance de la Règle.

 On vénère les martyrs avec les instruments de leur supplice devenus en quelque sorte les emblèmes de leur victoire ; l'on pourrait représenter de même le saint religieux avec sa Règle comme trophée, puisque c'est par elle qu'il triomphe de lui-même, des ennemis du salut et qu'il parvient à la sainteté.

Oui, notre Règle est pour nous la voie de la sainteté comme elle l'a été pour le vénéré Frère François et tant de religieux de notre Congrégation qui nous ont précédés au ciel, tout comme l'a été pour sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus la Règle du Carmel, pour saint Jean Berchmans, celle de la Compagnie de Jésus et pour le Bienheureux Bénilde, celle des Frères des Écoles Chrétiennes.

Si nous établissions le compte des prières, des paroles, des occupations que la Règle nous prescrit et qui remplissent notre vie ; si nous pouvions surtout connaître le mérite qu'il y a à faire chacun de ces actes avec les dispositions requises, nous n'aurions pas de peine à comprendre que le religieux constamment fidèle à ses devoirs d'état présente en lui les marques de sainteté contenues dans la déclaration suivante du Pape Benoît XIV : « Pour canoniser un serviteur de Dieu, il suffit qu'on ait la preuve qu'il a pratiqué à un degré héroïque les vertus dont l'occasion lui était offerte selon sa condition, son rang et son état personnel. » 

Fidélité aux moindres observances de la Règle.

 Tout ce qui précède nous oblige à ne pas nous livrer à une discrimination entre les prescriptions de la Règle, jugeant les unes importantes et les autres secondaires ou même superflues. A la cour des princes, il y a une attention constante à se conformer aux moindres détails du protocole, par respect pour la dignité du souverain. Ne soyons pas moins vigilants et respectueux dans les plus minimes observances du service du Souverain Maître et Seigneur.

Écoutons Mgr Gay nous dire : « Oh ! que les détails sont chers à l'amour ! qu'ils ont de prix pour l'amour ! ne sont-ils pas d'ailleurs les fils dont le tissu de la vie se compose ? Ôtez les détails, que reste-t-il de la vie pratique ? Le sens humain vous soufflera peut-être que c'est de la minutie : répondez hardiment que c'est de la délicatesse ; vous savez ce qu'elle vaut entre amis ; cent fois plus que les gros services. Elle est la fleur du cœur et le parfum des affections. »

La médecine moderne tend à établir que notre santé dépend moins du fonctionnement des organes les plus grands que de la sécrétion régulière de certaines glandes parfois minuscules. De même, la vie spirituelle dépend d'éléments secrets, en apparence insignifiants, plutôt que d'actes importants et extérieurs, car pour évaluer les actes humains, Dieu ne se sert pas de la même mesure que nous : ce qui nous paraît insignifiant peut avoir à ses yeux un très grand prix.

C'est là une pensée consolante car, devant servir Dieu constamment, ce sera bien plus par des actes ordinaires et à notre portée que par des actions d'éclat dont l'occasion se présente rarement.

Ainsi qu'un morceau de papier, de peu de valeur, en prend une très grande moyennant certains dessins, textes ou signatures, nos actes ordinaires acquièrent un grand prix s'ils sont revêtus du sceau de la volonté divine par leur conformité à la Règle.

Une religieuse pria sainte Thérèse de lui enseigner la voie de la sainteté. Elle croyait, sans doute, qu'elle lui parlerait d'extases et de visions, mais la sainte lui ordonna simplement de l'accompagner dans un monastère récemment fondé. Pendant plusieurs mois tout alla selon le train habituel : difficultés, sacrifices, contrariétés, occupations de la vie commune. La religieuse finit par dire à la sainte : « Ma mère, quand donc m'enseignerez-vous les grands moyens de la sainteté ? » Sainte Thérèse lui répondit : « La sainteté n'est autre chose que le support patient et pénétré d'amour d'une vie qui sera toujours semblable à celle que nous avons vécue jusqu'ici dans cette maison. »

Cette grande sainte voyait donc l'importance des plus petits détails de la vie commune ; les mépriser ou simplement les négliger dans le travail de la sainteté, c'est courir à un échec, car dès qu'une action, nous parût-elle insignifiante, est voulue de Dieu, nous n'avons plus à écouter nos goûts ou nos caprices.

Un malade ne peut modifier à son gré l'ordonnance du médecin sans courir les plus grands risques. Un pilote naviguant au milieu d'écueils ne peut s'écarter de la route sans s'exposer au naufrage. Un officier, devant l'ennemi, ne saurait altérer, ne fût-ce que dans les détails, les ordres de ses chefs sans encourir de graves sanctions. De même un religieux ne peut négliger un seul point de la Règle s'il veut satisfaire pleinement aux desseins de Dieu sur lui et parvenir à la sainteté. 

Panégyrique de la fidélité aux moindres

observances.

 Pour mieux comprendre la valeur des actions ordinaires et des moindres prescriptions de la Règle, rappelons l'homélie prononcée par le Pape Pie XI, le 6 janvier 1928, lors de la proclamation de l'héroïcité des vertus du Bienheureux Bénilde. Ce document mériterait d'être cité en entier, je me bornerai à quelques extraits :

« Quelle force, dit le Saint-Père, est requise pour se défendre seulement de ce terrible, écrasant, monotone, asphyxiant quotidien ! Combien une vertu non commune est nécessaire pour accomplir, avec une non commune exactitude, ou mieux, sans la quotidienne inexactitude, relâche, négligence, mais au contraire, avec attention, piété, ferveur intime de l'âme, tout le complexe des choses communes qui remplissent notre vie quotidienne…

« Ce qui est extraordinaire, les grandes actions, les entreprises magnifiques suscitent par elles-mêmes, les meilleurs instincts… Les grandes circonstances sont des sujets de choix pour un artiste ou un poète qui trouvent immédiatement en elles une haute inspiration. Mais, ce qui est commun et ordinaire, ce qui manque de brillant et de splendeur, n'a rien qui excite naturellement ou qui fascine. Et pourtant c'est ainsi qu'est faite la vie du plus grand nombre. Elle n'est tissée que de choses communes et de faits quotidiens…

« Voilà donc la grande leçon que cet humble Serviteur de Dieu vient nous donner une fois de plus, à savoir que la sainteté ne consiste pas à faire des choses extraordinaires, mais des choses communes d'une manière non commune…

« Quand une étoile brille et guide comme elle guidait les saints Mages, tous sont capables de comprendre et de suivre les appels du Grand Roi ; mais quand elle se perd dans la monotonie et l'uniformité où rien de saillant ne suscite l'enthousiasme, il est difficile de marcher avec persévérance et générosité, comme il convient aux rapports de filiale affection qui doivent exister entre le cœur de la créature et celui du Créateur.

« Tel est le secret clairement révélé dans les exemples de ce serviteur de Dieu qui aujourd'hui vient nous apprendre comment nous devons suivre généreusement ces humbles voies qui sont celles de presque tous et de presque toujours. »

Ces paroles du Saint-Père ne sont qu'un court commentaire, une leçon pratique découlant d'une multitude de faits héroïques dans leur simplicité, dont est remplie la vie du Bienheureux.

Il y aurait grand profit pour nos communautés à lire l'une ou l'autre des biographies très édifiantes de ce serviteur de Dieu. Nous n'en donnerons ici que quelques extraits. Envisagé successivement comme religieux et comme éducateur, le Bienheureux Bénilde nous apparaîtra comme un modèle non seulement admirable mais imitable. 

Le religieux : Quoique professeur, il ne dédaignait pas de se faire tour à tour jardinier ou cuisinier, pour aider ou remplacer ses frères…

Très obéissant, jamais il n'épiloguait sur les ordres reçus… Il traitait avec un respect extraordinaire les supérieurs majeurs et tout ce qui émanait d'eux. En recevait-il quelque lettre ? Il se rendait d'abord à la chapelle, afin de conformer d'avance sa volonté à celle de Dieu manifestée dans cet écrit ; puis il lisait la lettre à genoux à l'exemple de saint François-Xavier.

« Je serais heureux, disait-il, si je pouvais mourir en accomplissant un point de Règle. »

Devenu directeur il voulut non seulement être fidèle à la Règle mais encore veiller à son observation dans sa communauté. Pour la faire respecter, aimer et pratiquer, il usa surtout de l'exemple. Selon l'expression de ses inférieurs «la Règle était sa vie ». La moindre infraction involontaire de sa part était toujours amplement réparée. A Saugues, il sonna le réveil jusqu'à sa dernière maladie. Lui arrivait-il, par extraordinaire, de se trouver en retard ? il se punissait en demandant pardon aux Frères, au milieu de l'oratoire, et en prenant à genoux le repas suivant.

Un maître de musique qui devait diriger des répétitions à l'école, avec l'aide de quelques Frères, arriva un jour après l'heure fixée, juste au début de la lecture spirituelle. Il eut beau insister, le Frère Bénilde s'y refusa avec politesse ; le maître de musique dut congédier les chantres en déclarant « qu'il obtenait tout du Frère Directeur, excepté une dérogation au règlement de la maison». 

Jamais le Frère Bénilde ne manqua au point de Règle qui ordonne aux Frères de réciter le chapelet quand ils traversent les rues d'une ville… Quand la communauté passait dans les rues, les mères le montraient à leurs enfants en disant : « Le plus petit des chers Frères qui passent, c'est le Frère Supérieur ; il ne regarde personne ; en marchant il prie constamment ».

 Le silence lui tenait particulièrement à cœur

« En 1850, raconte un Frère, je passai quelques jours à Saugues avant la distribution des prix. Je pus m'édifier grandement. Le Frère Directeur et ses collaborateurs décoraient en silence la salle qui devait servir à cette fête, et, au premier son de la cloche, tout travail cessait ; malgré le caractère urgent de la besogne entreprise, les exercices spirituels commençaient à l'heure régulière. »

Ayant dû aller visiter un châtelain pour une affaire urgente, accompagné de ses Frères il s'y rendit sous un soleil ardent. Quand l'affaire terminée, il fut prié de prendre quelque rafraîchissement, il se montra inflexible malgré les instances du châtelain : « Nos Règles, dit-il, nous interdisent de prendre quelque chose entre les repas. » D'abord surpris, le maître de la maison finit par admirer pareille conduite.

Il ne voulait rien en dehors du strict nécessaire. II portait des habits propres mais usagés. Il les raccommodait ainsi que ceux de ses Frères. Quoique directeur, pendant longtemps il n'eut pas de montre. Il ne voulait jamais avoir de l'argent sur lui, à moins que ce fût indispensable, de peur d'attirer les malédictions de Notre-Seigneur. Il le portait aussitôt à la caisse.

Il utilisait pour faire ses comptes ou des calculs, les moindres parties blanches des feuilles écrites qui lui tombaient sous la main.

Les registres des recettes et des dépenses étaient tenus par lui avec une scrupuleuse exactitude ; tout y était minutieusement spécifié.

Souvent il répétait « Quand même je me trouverais réduit à vivre de pelures de pommes de terre, je n'abandonnerais pas l'Institut ; trop heureux suis-je de l'insigne faveur que Dieu m'a faite de m'appeler à son service. »

Les prêtres de Saugues ont déclaré que bien des personnes allaient de préférence à la messe à laquelle il devait assister, afin de s'édifier à la vue de sa piété. Ayant dû faire une saison dans une station balnéaire, le curé de la paroisse ne put s'empêcher de dire : « Le séjour de ce Frère vaut une mission pour ma paroisse. »

Je ne suis pas digne d'être directeur, disait-il souvent ; mais aussi longtemps que les supérieurs me laisseront à ce poste, je ne trahirai pas leur confiance. Il imposait avec liberté et hardiesse les sanctions conformes aux traditions de l'Institut. Si le délinquant tardait parfois à accomplir la pénitence marquée, il s'en acquittait lui-même à sa place. Ce genre de reproche était, de tous, le plus éloquent.

Déjà bien malade, il se fit apporter un exemplaire des Règles pour y lire la formule de la rénovation des vœux avec la communauté. Dès qu'il eut le livre entre les mains il fondit en larmes. Comme on lui en demandait la raison, il finit par répondre : « Je pleure parce que je crains de n'avoir pas assez observé ni fait observer, comme je l'aurais dû, toutes nos Règles, de la pratique desquelles le souverain Juge des vivants et des morts va bientôt me demander compte. »

Certes, dit un des témoins, le saint religieux s'adressait un reproche immérité, car je certifie à nouveau que tout le temps que je suis resté avec lui, je ne l'ai jamais vu transgresser un seul point de la Règle. Des Frères qui avaient vécu avec lui huit ou neuf ans affirmaient : « Le Frère Directeur fut vraiment à nos yeux une Règle vivante. » 

L'éducateur : Un de ses anciens élèves disait : « Frère Bénilde est pieux comme un ange ; il a la figure d'un saint ; c'est un bon professeur, un peu sévère mais juste. Il encourage les derniers élèves et fait beaucoup travailler. Les enfants sont pieux et savent bien le catéchisme. »

Il était très réservé avec toute sorte de personnes et ses élèves, pénétrés du parfum de vertu qui émanait de lui, l'appelaient le saint et ne l'abordaient qu'avec respect.

Il s'interdisait les manières puériles et, à plus forte raison, la familiarité par laquelle certains maîtres croient se faire bien venir. Toujours il sut maintenir la distance qui doit exister entre l'élève et le professeur.

Il s'interdisait les paroles blessantes : « Il n'est pas rare, disait-il, de rencontrer des personnes qui ont encore le cœur ulcéré au souvenir de telle réprimande âpre et passionnée que leur adressa jadis un maître trop sévère. Ce n'est plus le bien qui en résulte mais un mal irréparable. »

Chaque fois que l'horloge sonnait l'heure ou la demie, il disait à ses élèves, d'un air recueilli qui les impressionnait fortement : «Souvenons-nous que nous sommes en la présence de Dieu. »

« Ma raison d'être, écrivait-il, est l'apostolat… si par ma faute les enfants ne devenaient pas meilleurs, que me servirait d'avoir quitté le monde ? A quoi bon tant de sacrifices ? Quel sens aurait ma vie ? Le zèle sera donc ma fonction religieuse ; sans ce zèle apostolique, je serais hors de ma voie, en contradiction avec moi-même : » Il ajoutait : Si je meurs en faisant le catéchisme, je mourrai à ma vraie tâche. »

On le voyait expliquer le catéchisme aux plus dépourvus sans compter avec la fatigue, si grande dans ses derniers jours qu'il cracha le sang plusieurs fois. Je suis bien fatigué, je ne puis pas parler, disait-il parfois, mais le zèle renouvelait ses forces et il catéchisait quand même. Il captivait l'attention des enfants : « Nul de nous ne tournait la tête, dit un de ses anciens élèves ; nous trouvions que la pendule marchait trop vite. » Un autre : « Quand nous le voyions arriver en classe, c'était un contentement général. Il nous expliquait le catéchisme avec une grande simplicité et netteté… Je l'ai vu pleurer en racontant la Passion de Notre-Seigneur ; au tableau expressif qu'il en faisait, nous croyions assister au drame du Calvaire. »

Il déployait encore un plus grand zèle que d'habitude dans la préparation des enfants à la Première Communion et se réservait chaque année le soin de les surveiller pendant la retraite préparatoire.

Chaque année il conduisait des jeunes gens au Noviciat et au Séminaire. En 1869, on comptait 245 Frères originaires du canton de Saugues. Pour obtenir ces vocations, il s'appliquait à les discerner et à les cultiver, mais ; de plus, il priait et se mortifiait.

Comme vous le voyez, mes bien chers Frères, les quelques citations que l'on pourrait multiplier, montrent que la vertu héroïque trouve à s'exercer constamment, dans les multiples détails de la vie l'un religieux, d'un éducateur, d'un directeur d'école ou d'un supérieur de communauté.

D'ailleurs, n'avez-vous pas eu comme moi l'impression que tout cela semble un chapitre ajouté aux biographies de nos premiers Frères, écrites par le Frère Jean-Baptiste, ou comme l'une de ces notices nécrologiques plus récentes, de tels ou tels de ces Frères, si édifiants, qui ont vécu parmi nous ? N'y a-t-il pas vraiment un air de famille entre le Bienheureux Bénilde et nos Frères Ribier, Louis, Bonaventure, Urbain, Pascal, etc. ?

Et quelle ressemblance, plus frappante encore, ne trouvera-t-on pas entre le nouveau Bienheureux et notre vénéré Frère François lorsque la vie de ce dernier, dans une prochaine édition, ajoutera aux faits déjà connus les remarquables dépositions des témoins dans le procès de béatification ?

Il est des religieux qui, plus que d'autres, savent tirer parti des moyens dont ils -disposent pour travailler à leur perfection. C'est ainsi que l'on a pu dire que de même qu'avec des matériaux identiques on peut construire des édifices de bien diverse valeur : une cabane, une maison ordinaire, un palais, une cathédrale, de même avec les moyens fournis à chacun, d'une façon uniforme par la Règle, on peut mener une vie médiocre, moyenne, fervente ou sainte, selon le degré de fidélité et de générosité que l'on met à l'observer.

La retraite nous permettra de voir où nous en sommes sur ce point capital de notre avancement spirituel. Nous ne saurions douter du parti à prendre ; avec le secours de la grâce, nous nous engagerons résolument à devenir des saints par une vie plus conforme encore que par le passé aux prescriptions de la Règle. 

Statut Capitulaire sur la Pauvreté.

 La dernière Circulaire a commenté la première partie du Statut Capitulaire numéro 9, sur la pauvreté. Je me propose d'expliquer aujourd'hui la deuxième.

L'opportunité de ces réflexions ne saurait vous échapper car un Statut Capitulaire n'est qu'un résumé de considérations parfois longues, et développées au Chapitre Général. Pour avoir toute la pensée de ce dernier. il faut donc aller au delà du texte. Quelques détails seulement y sont signalés ; mais c'est toute notre vie religieuse qui doit être informée par l'esprit de pauvreté.

Le Vénérable Père Champagnat revenait fréquemment sur ce point : « On ne doit pas croire, dit en effet son biographe, qu'il lui en ait peu coûté pour former les Frères à un genre de vie tout imprégné de pauvreté et d'austérité. C'est par des exemples journaliers, par des instructions et des avis souvent répétés ; c'est en les suivant dans tous les détails de leur conduite, qu'il parvint à leur inspirer l'amour de la pauvreté et la pratique de l'économie. »

Les successeurs du Vénérable Fondateur, à la tête de l'Institut, reviennent, eux aussi, sur ce point dans leurs circulaires. C'est qu'on n'a jamais tout dit. Les mœurs, la mode, les usages du monde, prennent des formes toujours nouvelles de confort et de luxe ; et les religieux eux-mêmes doivent sans cesse être mis en garde, pour ne pas se laisser entraîner par ce courant.

Si la première partie du Statut Capitulaire qui nous occupe s'adresse, comme nous l'avons vu, aux Frères chargés de l'administration ; la deuxième, dont nous allons parler, a une portée plus générale.

Le paragraphe b) est ainsi conçu : « Les Frères appelés au Second Noviciat se conformeront fidèlement, pour l'itinéraire à suivre et les dépenses, aux indications portées sur leur lettre de convocation. » Ceci s'adresse d'abord aux Grands Novices, leur signalant les voyages fantaisistes en dehors de l'itinéraire tracé et prenant la forme de pèlerinages nuancés de tourisme, comme une fâcheuse préparation aux saints exercices du Second Noviciat ou, au retour, comme une regrettable et trop certaine manière d'en disséminer les fruits. Le Grand Novice, en effet, s'efforce de se forger une âme généreuse, capable de suivre Notre-Seigneur dans la voie austère du renoncement et de la pauvreté. Or, n'est-il pas évidemment contraire à cet esprit de se répandre dans le monde plus qu'il n'est nécessaire, de multiplier des voyages d'agrément dispendieux et dissipants, de prolonger le séjour dans les hôtels, de visiter les curiosités, d'acheter des souvenirs plus ou moins chers peut-être même de participer à des amusements ou spectacles mondains, toutes choses qui constituent un train de vie hors de nos usages et tout spécialement opposé à l'atmosphère de recueillement du Second Noviciat ? Et puis, est-elle toujours bien édifiante, la liste des dépenses d'un Grand Novice à l'aller ou au retour ?

Disons, en passant, que bien des fautes seraient évitées si, avec la lettre d'obédience, on indiquait d'une façon précise aux voyageurs l'itinéraire à suivre et la limite des dépenses autorisées.

Si des Grands Novices, on étend ces réflexions à tous les Frères de l'Institut, que dire de ces voyages d'agrément, de ces excursions, ou même de ces voyages nécessaires mais où l'amour du confort et des aises remplace la simplicité, la mortification que recommandait et pratiquait si bien, dans ses voyages, le Vénérable Fondateur ? Citons-en un seul exemple :

« En 1825, l'Institut avait dix écoles. Vers la Toussaint de cette année, le Vénérable Père Champagnat les visita toutes à pied et par un assez mauvais temps. Le voyage de Charlieu lui fut particulièrement pénible à cause des grandes pluies qui avaient rendu les chemins quasi impraticables. Il était extrêmement dur pour lui-même. Qu'on en juge. Parti en voiture de Saint-Étienne, à 9 heures du soir, il arriva à Roanne à 9 heures du matin, dit la sainte messe et, sans rien prendre, partit à pied, pour Charlieu où il arriva, encore à jeun, à 1 heure de l'après-midi.

« Au retour, il partit de Charlieu à pied, à 4 heures du matin, dit la messe à Roanne, prit un léger potage, fit encore vingt-quatre kilomètres à pied, partagea le dîner des Frères de Vendranges et se remit en route. Après plusieurs heures, éprouvant une grande soif, il demanda à boire dans une maison. On lui offrit du vin, mais il n'accepta qu'un verre d'eau. S'étant reposé un instant, il en profita pour faire un catéchisme aux enfants et leur distribuer des médailles de la Sainte Vierge. Il marcha ensuite jusqu'au soir et demanda l'hospitalité, pour la nuit, à M. le Curé de Balbigny. Le lendemain matin, il partit à 4 heures, dit sa messe à quatre lieues de là, et repartit pour La Fouiliouse, où il prit chez les Frères un potage avec quelques fruits. De là il vint, sans s'arrêter, à l'Hermitage, où il n'arriva qu'à 9 heures du soir. »

On tient tous ces détails d'un ouvrier qui l'accompagnait, et qui ajouta : « Je n'ai jamais tant souffert de la faim et de la soif, et j'ai été plusieurs fois sur le point de l'abandonner pour me restaurer dans quelque auberge. » Voilà une manière de voyager où il n'y a guère de satisfaction pour la nature.

Sans doute, on a regardé comme désuet, et on l'a supprimé au Chapitre Général, l'article des Règles Communes qui disait : « Quand les voyages ne seront pas longs, on les fera à pied ». Mais si la lettre varie, l'esprit demeure. Les exemples du Vénérable Fondateur doivent toujours nous être très chers : il suffit de les adapter au temps et aux lieux. Pas exemple, une automobile peut être nécessaire à une Communauté. Mais, en certains endroits, l'usage légitime n'est-il pas devenu un abus ? L'habitude ou l'esprit bourgeois pourrait porter à prendre l'automobile pour les moindres courses qu'on ferait sans inconvénients en tramway, ou pour de grandes randonnées pour lesquelles le train est plus indiqué ?

Nous ne dirons rien ici de multiples dangers, auxquels, en certains endroits, sont exposés les Frères chargés de conduire l'auto de la communauté. Fréquemment hors du couvent, il sont en rapport constant avec les gens du monde, ont occasion d'acheter, de vendre, de donner, au risque parfois de blesser leur vœu de pauvreté. Sortant tôt, rentrant tard, ils vivent en marge de la Communauté pour les repas et les exercices de piété, toutes choses qui sont de nature à débiliter le tempérament religieux. Aux Frères Directeurs de ne pas délaisser ces Frères, si méritants par ailleurs.

La Règle prescrit de noter ses dépenses de voyages et d'en remettre ensuite au Frère Directeur ou au Frère Économe, la liste détaillée avec ce qui reste de l'argent reçu.

Le Révérend Frère Stratonique, ancien Supérieur Général, peut être cité ici en exemple. Après le Chapitre de 1920, ayant été envoyé comme délégué pour la visite des provinces de l'Amérique du Sud, il dit à un Frère qui l'accompagnait de noter exactement toutes les dépenses. Ayant continué seul son voyage, il remit à son retour au Révérend Frère Diogène, son successeur, la liste de ses plus menues dépenses, tout fier de les avoir réduites au strict minimum. 

Le paragraphe c) du Statut s'exprime ainsi : « Dans ce qui est à l'usage particulier des Frères ou de la Communauté, on évitera avec soin tout ce qui s'écarte de l'esprit de pauvreté ou qui sen-tirait le superflu : kodaks, stylos de luxe, bicyclettes personnelles, collections de timbres et autres, avec achats et ventes profitables. »

Rien de plus facile que de se priver des choses de peu de valeur. Comment est-il même possible que des religieux, ayant renoncé par vœu à la possession de tout bien matériel sans permission des supérieurs, s'accrochent à de telles bagatelles ! N'y a-t-il pas là comme un honteux marchandage avec les obligations que l'on a contractées ? Au jour de sa profession, à genoux au pied de l'autel, on a tout donné à Notre-Seigneur d'un cœur joyeux. C'est librement qu'on s'est dépouillé de tout. Retourné à sa place on a chanté un cantique où l'on a proclamé son bonheur de suivre le Divin Maître dans son entier dépouillement. Attendez quelques années, et vous aurez la stupéfaction de voir tel ou tel de ces religieux, alors si bien disposé, reprendre peu à peu en détail ce qu'il a donné en bloc. Faites une visite dans sa chambre ou son bureau, que d'objets inutiles vous y verrez accumulés : linge, vêtements, livres, brochures, albums, appareil photographique, accessoires de toilette, souvenirs, photos, bibelots de toutes sortes, ramassés et conservés sans permission ou à coups de permissions annuelles successives, obtenues parfois à force d'insistance. On sauvegarde peut-être ainsi la lettre mais non l'esprit du vœu. Et toutes ces petites idoles secrètes sont des riens et n'ont de valeur que pour le cœur qui s'y attache. Mais placées sur la balance de la générosité, elles pèsent plus que tout ce que l'on a sacrifié. En effet, ce que Dieu regarde surtout, c'est le détachement du cœur ; il a en horreur la rapine dans l'holocauste, et il se détourne de cette fausse pauvreté comme il s'est détourné jadis de l'offrande incomplète de Caïn et des largesses mensongères d'Ananie et de Saphyre.

Ajoutons, mes bien chers Frères que ces manquements à la pauvreté vont rarement seuls. Ainsi, pour se payer voyages, cadeaux, objets inutiles ou de luxe, à combien de petits procédés, eux aussi contraires à la pauvreté, n'a-t-on pas recours ?

Celui-ci conserve en partie une pension servie par l'État, ou des revenus de son patrimoine, contrairement aux dispositions que lui-même a fixées librement. Celui-là prélève de petites sommes sur les leçons particulières, sur la location de livres ou de jeux, sur la vente des produits du jardin ou de la métairie.

N'en est-il pas qui sont exposés à se livrer à un commerce illicite ? à profiter de leur passage en certains pays, ou de leur proximité des frontières, pour diverses opérations, commerciales formelle-ment interdites par le Code de Droit canonique (can. 142, applicable aux religieux d'après le can. 592).

Est-ce téméraire de dire que certains peuvent en arriver à employer la Caisse des associations qui leur est confiée ou même les collectes faites pour les Œuvres missionnaires ? N'est-ce pas un détournement d'argent en quelque sorte sacré par sa destination ?

Souvent on a l'intention de restituer ces prélèvements indignes d'un honnête homme, mais, comment le fera-t-on, sinon au moyen d'autres manquements à la pauvreté ?

D'autre part, il arrive qu'on conserve, plus ou moins longtemps, cet argent avant de l'employer. On se constitue ainsi un petit pécule permanent, et la vie s'écoule tout entière en marge d'obligations sacrées. Quel malheur de perdre par là follement les mérites inappréciables et les sublimes récompenses du vœu de pauvreté fidèlement observé !

Les Fondateurs d'Ordre et les saints religieux ont tous eu une haute estime de la pauvreté : Saint Jean de la Croix disait : « Les plus petits manquements à la pauvreté qui, dans les commencements, ne paraissent rien, occasionnent dans la suite un grand relâchement. C'est l'artifice du démon de commencer par des fautes légères contre la pauvreté pour en arriver, à la fin, à des fautes considérables. »

Saint Alphonse dit des paroles plus fortes encore : « La pauvreté est la colonne de l'Institut. Toucher à la pauvreté, c'est ébranler l'Institut tout entier. »

Mais, mes bien chers Frères, qu'avons-nous besoin d'aller chercher ailleurs une doctrine et des exemples ? N'avons-nous pas, en notre Vénérable Fondateur et dans ses premiers disciples, des modèles admirables de la plus stricte pauvreté ?

Le Vénérable Père Champagnat, nous l'avons déjà dit, avait à cœur de conserver les Frères dans l'amour et la pratique réelle de la pauvreté. Chaque année à la retraite, il s'assurait par lui-même si aucun Frère n'avait rien en propre. Il se faisait apporter tous les petits objets qu'on s'était procurés sans permission ou sans nécessité reconnue, ou qui, par leur qualité, s'écartaient de l'esprit de la Règle, tels que livres reliés trop élégamment, portefeuilles et canifs de prix trop élevé. Les Frères prenaient peu à peu ses idées sur la pauvreté et l'économie.

On sait l'amour du Frère Pascal et du Frère Damien pour cette vertu. Mais entre tous s'est distingué le vénéré Frère François. Voici quelques faits tirés des dépositions des témoins au procès de béatification. Depuis sa démission du généralat de l'Institut, il n'a jamais plus accepté de vêtements neufs et ne voulait que ceux qui avaient déjà servi longtemps à d'autres Frères. Laissons, disait-il, les vêtements neufs pour les Frères en relation avec le public.

« Son manteau était si usé, dit le Frère Sindulphe, que je ne pouvais plus le raccommoder. Je voulus lui en donner un meilleur, il me dit : « Mon manteau et moi, nous sommes de vieux amis ; nous avons fait trois fois ensemble le voyage de Rome, ne nous séparez pas à la fin de notre carrière. » Et il fut enterré avec ce vieux manteau. »

Lorsqu'il ne fut plus supérieur, il rendit sa montre disant qu'il n'en avait plus besoin. Il n'avait qu'une seule paire de souliers qui, à sa mort, n'avait pas moins de quatorze ans de service. Quand il les. donnait à raccommoder, il mettait les pantoufles héritées du Vénérable Père Champagnat et qui avaient au moins quarante ans d'usage.. Son vestiaire était réduit au strict nécessaire, maintenu très proprement. Il n'avait que deux paires de bas très rapiécées. Hiver et été il portait les mêmes vêtements sans rien ajouter ou retrancher. Sa chambre n'avait rien de superflu : un crucifix, une image de première communion, quelques autres images pieuses entourées de cadres grossiers.

Son lit en tôle contenait une mauvaise paillasse garnie de feuilles de maïs. Sa petite bibliothèque bien soignée était commune à tous. Un vieux fauteuil ayant servi au Vénérable Père Champagnat, trois vieilles chaises boiteuses, un vieux placard pour son pauvre vestiaire ; comme bureau, un pupitre élevé : voilà son mobilier ; j'oubliais une vieille horloge à une aiguille ; tapis et descentes de lit étaient inconnus à l'Hermitage.

Il a toujours balayé lui-même sa chambre et raccommodé ses vêtements. Il retournait les enveloppes. Tout ce qui était à son usage était pauvre et il ne négligea rien pour entretenir cet esprit de pauvreté chez les Frères, persuadé que la sainte Pauvreté est le rempart des congrégations religieuses.

Après un siècle, où en est-on dans la Congrégation sur ce point ? Grâce à Dieu, nous croyons pouvoir dire qu'on trouve dans chaque Province des exemples admirables d'amour de la pauvreté. Nous n'en voulons citer qu'un seul, pour terminer. Il s'agit d'un membre de l'Administration générale, le Frère Louis-Laurent, sous-économe pendant vingt-deux ans, et décédé il y a dix ans à Saint-Genis-Laval.

Le Frère Louis-Laurent s'est effectivement privé de tout ce qui n'est pas strictement nécessaire. Jamais on ne l'a vu acheter quoi que ce soit pour son usage personnel. Il prenait un soin remarquable de son linge et de son vestiaire. Personne, je crois, ne se rappelle à quelle année remontait le chapeau qu'il portait dans les voyages et qu'il remisait avec soin dès son retour. L'on ne voyait dans sa chambre aucun de ces multiples petits objets superflus que l'amour des aises fait trop souvent juger nécessaires.

Après sa mort l'inventaire fut vite terminé : son extrait de naissance, quatre diplômes, et deux photographies de famille, en plus d'un vestiaire réduit au minimum. Tout le reste était formé de ses registres ou instruments de travail.

Obligé de rester à l'infirmerie de Saint-Genis, il ne voulut garder que son chapelet, son livre d'office et des lunettes. Comme il n'avait pas le linge personnel suffisant, le Cher Frère Économe Général lui annonça qu'il allait lui acheter deux chemises et deux flanelles : « Gardez-vous-en bien, répondit-il vivement, mes jours sont comptés on trouvera bien ici quelques vieilleries qui me suffiront. »

Lors de son dernier voyage de Grugliasco à Saint-Genis qu'il fit dans un état de faiblesse inquiétant, on avait trouvé un prétexte pour le faire conduire en auto de la maison-mère de Grugliasco à la gare de Turin, et de même de Lyon à Saint-Genis. Il témoigna son regret de cette dépense inutile et qu'il vit bien avoir été faite pour lui. 

Heureuse notre Congrégation, mes bien chers Frères, si, non contents d'admirer de tels exemples, nous conservons, dans toutes nos Provinces, pour le transmettre à nos successeurs, ,cet esprit de pauvreté que notre Vénérable Fondateur nous a légué comme un précieux héritage.

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Visite de délégation

aux provinces de Colombie et du Mexique

 Extrait du rapport. 

PROVINCE DE COLOMBIE

 Voici d'abord, quelques données historiques insuffisamment connues :

Au début du XIX° siècle, dix pays de l'Amérique Latine et parmi eux la Colombie, se séparèrent de l'Espagne, la mère-patrie, et formèrent des Républiques indépendantes qui, plus ou moins, adoptèrent l'organisation politique des États-Unis.

Au point de vue instruction et éducation, les Gouvernements libéraux de la Colombie essayèrent bien des systèmes, mais aucun ne donna satisfaction.

En 1886, les Conservateurs arrivés au pouvoir eurent à cœur de réparer ces erreurs que déplorait la grande majorité profondément religieuse du pays.

Après plusieurs tentatives infructueuses, le Co-mité qui voulait des Frères Enseignants pour les écoles publiques du Cauca, s'adressa aux Frères Maristes par l'intermédiaire du général Joaquin Vélez, ministre de Colombie auprès du Saint Siège.

A la suite d'une entente du Plénipotentiaire avec le Révérend Frère Théophane, supérieur général, un groupe de sept Frères de la Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux, partit de Bordeaux, le 26 septembre, pour Popayán (Colombie).

Il y arriva le 26, novembre mais ce fut, hélas ! pour aller directement à. l'hôpital, car ils étaient tous atteints des fièvres qu'ils avaient contractées sur les côtes du Pacifique où, à cause de circonstances imprévues, ils avaient dû prolonger leur séjour. 

Premières difficultés.

 La Communauté devait passer par une bien rude épreuve, quelques heures après son arrivée, le Directeur, Frère Angelo, mourait de la fièvre.

Les supérieurs, en le choisissant comme chef du premier groupe, comptaient sur sa prudence, son expérience et son aptitude au gouvernement, pour la formation et la direction de ses collaborateurs, jeunes encore, et l'organisation des œuvres qu'on fonderait.

Cette mort fut une grande perte pour la communauté ; humainement parlant, c'était une perte irréparable.

Les Frères, cependant ne se laissèrent pas abattre et quelques semaines après, complètement rétablis, ils ouvrirent les classes où 300 élèves furent reçus.

L'année suivante, on, leur céda un ancien couvent de Carmélites où la population scolaire s'accrut rapidement et atteignit 700 élèves.

Des renforts successifs venus surtout de France, permirent de prendre la direction, en 1891, du collège officiel d'enseignement secondaire de Santa Librada, à Cali et de l'école de Santander.

En 1892, on ouvrit une école publique à Cali, une autre à Palmira et, en 1893, celle de Pasto, près de l'Équateur.

Sous l'impulsion du Cher Frère Bérillus, A. G., qui, de tout son pouvoir, favorisait le mouvement missionnaire, de nouveaux contingents traversèrent l'Atlantique et on put ouvrir les écoles de Buga, dans la vallée du Cauca, et, dans le bassin du Magdalena, celles d'Ibagué, de Neiva, de Timaná, d'Élias et de Pital ; vinrent ensuite les fondations de Tulua et de Cartago dans les plaines du Cauca, et celle de Tùquerres au Sud.

On avait aussi envoyé quatre Frères pour diriger l'école de Quibdó pour les petits Indiens de la mission du Chocó dirigée par les Pères Capucins.

Entre temps s'ouvrait le Noviciat de Popayán, et, le 19 mars 1892, trois postulants prirent l'habit religieux.

L'un d'eux, le Frère Pedro Claver, après une longue carrière de dévouement auprès des Indiens, tomba, les armes à la main, en 1938. Les deux autres, Frère José Isidro et Frère José Maria, vivent encore, et ce dernier a reçu, il y a peu de temps, la Croix de Boyacá, la plus haute distinction honorifique de son pays. Leur maître des novices, le Cher Frère Hermel, vit encore. Avec ses 89 ans, dont soixante-quatorze de communauté, il est le doyen de la Province. Je le salue avec respect et reconnaissance, comme mon ancien surveillant au Juvénat de Saint-Paul-Trois-Châteaux. 

La Révolution ou Guerre des 1.000 jours.

 En 1899, dix ans après l'ouverture de la première école, le district comptait plus de 100 Frères et 17 établissements.

Les œuvres étaient prospères et on fondait de belles espérances pour l'avenir, quand, la Révolution, qu'on appela la Guerre des 1.000 jours, et qui sévit sur le pays de 1899 à 1902, faillit tout détruire.

Ce n'est pas ici le lieu de raconter, les souffrances et les privations sans nombre de nos Frères pendant ces trois ans ; ni les difficultés croissantes du ravitaillement ; ni l'héroïque dévouement du. Cher Frère Candidien, visiteur et économe de la Vice-Province, qui fut le grand pourvoyeur et la Providence visible des communautés et des écoles ; il sut soutenir les courages, des Frères et inspirer la confiance. 

Érection en Province.

 Le calme revenu, les Frères se remirent vaillamment au travail de restauration et de réorganisation sous la conduite du Cher Frère Théodore-Joseph qui sut relever les courages, communiquant à tous son bel optimisme.

Le Juvénat et le Noviciat rouverts, fournirent bientôt des contingents de renfort pour les Collèges.

Des envois nouveaux d'Europe, spécialement de la. Province d'Espagne, et plus tard, du Noviciat de Pontós et de l'Œuvre Saint-François-Xavier, permirent la création de nouvelles Maisons.

L'organisation complète du District, l'importance de ses Œuvres, le firent ériger, en Province en 1908.

A partir de la Révolution, les gouvernements successifs, peu sympathiques aux religieux, nous enlevèrent, l'une après l'autre, toutes nos Écoles publiques officielles, sauf deux pour les Indiens. On les remplaça par des collèges libres dont le nombre alla augmentant peu à peu à partir de 1908.

En même temps, les anciens collèges, prenaient un développement imprévu et de 200 à 300 élèves passèrent à 500, à 800 et même à 1.200.

En 1923, la Province essaima en Amérique Centrale, et créa de beaux Collèges, d'abord au Salvador, puis au Guatemala. 

La Province en 1948.

 Actuellement, les œuvres de la Province, peuvent se grouper en quatre secteurs principaux :

L'un, au Sud, non loin de l'Équateur., compte 4 établissements, 31 Frères et 1.450 élèves.

Le second, au Centre, dans la vallée du Cauca, est le plus important : il comprend 8 Maisons, 110 Frères et 3.180 élèves.

Le troisième, plus au Nord, compte 6 collèges, 70 Frères et donne l'instruction à 2.700 élèves.

Le quatrième secteur, celui de l'Amérique Centrale, compte 5 collèges ou écoles au Salvador, 40 Frères et 1.240 élèves ; et un collège avec 17 Frères et 800 étudiants au Guatemala. 

Œuvres scolaires.

 La Croisade Eucharistique est organisée dans la plupart des collèges de la Province et la dévotion du premier vendredi du mois y est en honneur.

Grâce au dévouement des Frères et de leurs grands élèves, l’œuvre des Catéchismes, pour les enfants de la classe ouvrière qui ne fréquentent pas nos classes, instruit et prépare à la première communion plus de 800 élèves ; les principaux centres sont : Bogota., Cali et Guatemala. 

Dévotion à la Sainte Vierge.

 L'une des conclusions du Congrès Marial National, tenu à Bogota, il y a quelques années, fut une invitation au Clergé et aux Instituts religieux, à provoquer l'érection d'églises, de chapelles, d'oratoires, ou de monuments publics ou privés en l'honneur de la Sainte Vierge.

Pour répondre à ce vœu, le Cher Frère Mateo, Provincial, proposa aux Frères, d'ériger une grande statue de la Sainte Vierge sur la Cordillère des Andes. La proposition suscita chez les Frères un grand enthousiasme.

Avec la permission des supérieurs, la bienveillance des autorités de la ville de Cali, le concours de nos élèves et anciens élèves, le monument fut élevé dans notre propriété de Yanaconas, sur un des contreforts de la Cordillère Occidentale d'où elle domine la ville de Cali et la riche vallée du Cauca.

Que Notre-Dame des Andes (c'est le vocable de la Vierge), daigne récompenser ce geste d'amour et de piété filiale ; qu'elle garde et bénisse nos Frères de Colombie, afin qu'ils restent toujours maristes d'esprit et de cœur. 

Tableau récapitulatif.

 Actuellement, la Province de Colombie compte : 280 Frères dont 15 Scolastiques.

50 Postulants ou Novices.

Elle a un Juvénat préparatoire de 10 à 20 Juvénistes, à Santa Tecla (Salvador).

Un autre, de 50 à 60 Juvénistes à Popayán (Colombie).

Un Juvénat supérieur de 80 à 90 Juvénistes également à Popayán.

Enfin, 12 Juvénistes à Carrión de los Condes (Espagne).

Elle a 18 maisons en Colombie et 6 en Amérique Centrale.

Elle donne l'instruction et l'éducation chrétienne à plus de 9.000 élèves. 

PROVINCE DU MEXIQUE

 Lors de la visite canonique que je fis en 1935, nos œuvres du Mexique passaient par une terrible épreuve. La plupart des écoles étaient fermées parce qu'elles n'acceptaient pas de donner l'enseignement sexuel et rationaliste imposé par les autorités.

En divers endroits nos Frères avaient organisé des groupes clandestins de 15, 20 ou 30 enfants. Ils les réunissaient dans des salles mises à leur disposition par des familles amies qui n'ignoraient pas les menaces qui pesaient sur elles.

Pour atteindre un plus grand nombre d'enfants, les professeurs de ces classes hors la loi, qui allaient deux à deux, recevaient un groupe d'élèves le matin, et un autre le soir.

Il faudrait dire ici, les ennuis, et les préoccupations incessantes qu'une telle organisation et son maintien représentaient pour leurs organisateurs, pour les professeurs et surtout pour les Frères Directeurs responsables qui dirigeaient et contrôlaient ce périlleux apostolat.

Que de surprises et de sursauts, ennuyeux les uns, agréables les autres et parfois même héroï-comiques !

Que d'alertes et de contre-alertes ! Que de changements de locaux inattendus et précipités, où les élèves s'échappaient par la terrasse et les maisons voisines, tandis que les gendarmes attendaient à la porte ou étaient en pourparler avec le propriétaire qui tâchait de gagner du temps.

Que de précautions pour dépister une dénonciation dont on avait eu vent, ou pour esquiver les représailles de la police qui, assez aisément, pouvait se rendre compte des allées et venues des élèves ; c'était alors parfois, un chassé-croisé où on luttait d'agilité avec l'ennemi pour échapper à ses poursuites et perquisitions.

Quelle joie quand on avait pu lui jouer un petit tour, ou contrecarrer ses plans ! Il convient de dire, qu'on avait des intelligences et même des amis dévoués dans le camp adverse, qui paraissaient même faire du zèle et pousser la police aux visites domiciliaires quand ils savaient qu'elles ne pouvaient avoir de conséquences pour l'organisation.

Huit groupes fonctionnèrent ainsi à Guadalajara et une dizaine à Mexico, presque sous les yeux du Gouvernement Fédéral.

Il fallut parfois délier la bourse pour acheter le silence d'un employé trop zélé, ou qui avait surpris en flagrant délit professeurs et élèves ; mais, de cette besogne se chargeait un groupe de Pères de famille et d'hommes de lois organisé pour parer aux plus gros coups.

Ce qui surprend et qu'on admire, c'est que la discipline scolaire ne souffrit pas de cet état de choses ; on conserva le système d'émulation qui fonctionnait au collège.

Le Frère Directeur visitait les groupes tous les jours, pour encourager professeurs et écoliers : il proclamait chaque semaine les notes des élèves ; tous les jours aussi, matin et soir, on faisait le catéchisme et quelques prières étaient récitées en sourdine.

Je dois dire ici, à la louange des Frères, qu'ils n'ont jamais abandonné la leçon de catéchisme, ils l'ont faite tous les jours, même au plus fort de la persécution, à la grande satisfaction des familles et des élèves.

Les autorités religieuses applaudirent à cet apostolat style catacombes, se réjouissant du bien qui se faisait. 

Ère de tolérance.

 En 1939 je fis une nouvelle visite canonique à cette Province. Le Président Manuel Avila Camacho se montrait plus tolérant que son prédécesseur Làzaro Cárdenas. Il avait compris que la persécution religieuse est antipatriotique. L'Église commença à respirer et l'enseignement libre aussi.

Les congrégations enseignantes, qui avaient plus que les autres souffert durant la dernière tourmente, se reprirent à espérer, et, sans tarder, commencèrent à réorganiser leurs œuvres.

Le recrutement, qui, heureusement, n'avait jamais été complètement abandonné, s'intensifia ; on ouvrit un certain nombre de collèges fermés depuis 10, 15 ou 20 ans, et on en fonda de nouveaux.

Une vraie avalanche d'enfants se présenta dans tous les collèges religieux qui doublèrent et triplèrent leur population scolaire et de 400 à 500 passèrent à 1.000, à 1.500 et à 2.000 élèves attirant, naturellement, l'attention du public, du. gouvernement et aussi du clergé.

Cette prospérité pouvait porter à croire, qu'on s'occupait exclusivement des fils des parents aisés ; il n'en est rien, et les explications ci-dessous montrent que les enfants des familles pauvres ne furent jamais délaissés.

L'affluence considérable des élèves, et la prospérité des collèges payants ont été une bénédiction du ciel ; elles ont permis, aux Frères Enseignants, de rétablir leurs Juvénats, leurs Noviciats, leurs Scolasticats, de réorganiser les études de leurs jeunes religieux pour faire face aux besoins des collèges et aux exigences toujours croissantes des gouvernements.

Il y a eu des inconvénients à cet accroissement rapide de la population scolaire ; il a fallu faire appel à des collaborateurs séculiers. Certains collèges en ont 5, 10, 20, 30 et même 40, ce qui est très onéreux.

Quoiqu'on s'ingénie pour les bien choisir, rare-ment ils donnent pleine satisfaction ; la bonne volonté ne leur manque pas, mais, trop souvent ils ne savent pas faire. Pour remédier, au moins en partie, à cette lacune, l'instruction religieuse, dans leurs classes, est toujours confiée à un Frère.

On réduit, d'autre part, au strict minimum, par de sages précautions, les inconvénients de leur contact avec les Frères, pour l'esprit religieux et la vie de communauté.    ,

Le désir des supérieurs de la Province est de remplacer au plus tôt cet élément séculier, mais il faudra du temps, car il est nombreux,

Nous nous permettrons ici une remarque : Il est, sans doute, très important, de donner l'éducation chrétienne aux fils des classes pauvres et ouvrières, c'est même pour cette catégorie d'enfants que le Vénérable Père Champagnat fonda notre Institut il y a cent trente ans ; mais, à cause des besoins spéciaux de ces pays, où le clergé séculier ne dirige que très peu de collèges, cette formation et cette éducation chrétiennes sont plus nécessaires aux fils des familles aisées qu'aux autres, car ce seront eux qui, un jour, gouverneront leur pays.

Si, en Argentine, au Brésil, en Colombie et à Cuba, les progrès religieux se sont affermis et accentués, on le doit, certainement, en très grande partie, à l'éducation chrétienne donnée dans les collèges religieux, aux fils des familles de la classe moyenne ou favorisées de la fortune. 

L’œuvre des catéchismes.

 Outre l'instruction et l'éducation chrétiennes qu'elle donne actuellement à plus de 16.000 élèves, la Province du Mexique a organisé l'Œuvre des Catéchismes dans la plupart de ses collèges du Mexique et de Cuba en faveur des enfants pauvres des quartiers ouvriers ou de la campagne.

Le samedi, jour de congé hebdomadaire, ou le dimanche, quelques Frères, aidés par les élèves des classes supérieures et par les anciens élèves, consacrent la matinée à cet apostolat.

Une auto, propriété de l'Œuvre des Catéchismes du collège et autres autos personnelles des catéchistes, permettent de transporter rapidement, les Frères et leurs jeunes collaborateurs, à 5, 10, 15 et même 20 kilomètres.

L'apostolat catéchistique des trois collèges de Mexico atteint présentement près de 3.000 enfants de la classe ouvrière sans parler des grandes personnes, hommes et femmes, qui assistent à l'instruction, surtout, quand on projette sur l'écran, avec explications, les scènes de l'Ancien Testament, de la vie de Notre-Seigneur ou les tableaux du catéchisme en image.

Cet apostolat contrebalance et même parfois, supprime totalement la propagande protestante.

Le catéchisme commence toujours par la prière et le chant d'un cantique ; l'explication de la doctrine suit immédiatement.

Les enfants sont groupés suivant leur instruction religieuse et chaque groupe de 8, 10 ou 15 enfants est confié à un catéchiste.

La leçon dure de trois quarts d'heure à une heure et se termine par un second cantique et une courte prière.

Quand on le peut aisément, le catéchisme est coupé par une récréation surtout quand les élèves se réunissent au collège où il est plus facile d'organiser les jeux.

Des billets d'assistance sont délivrés à chaque séance ; ils donnent droit à un certain nombre de bons points.

De temps en temps, il y a des ventes aux enchères, où, avec leurs bons points, les catéchisés peuvent acheter les récompenses : jouets, images, livres, vêtements, bonbons, etc.

Dans certains centres, on distribue même un petit déjeuner grâce aux collectes faites parmi les élèves des collèges payants ou les familles.

Chaque année, le tiers ou le quart de ces enfants, font leur première communion. On tâche de donner le plus de solennité possible à ce grand acte de la vie chrétienne et Messieurs les Curés sont heureux d'entrer dans les vues des Frères.

Outre le déjeuner servi ce jour-là on tâche de procurer un habit simple mais décent au plus grand nombre possible de ces enfants. Pour cette œuvre de miséricorde corporelle on fait appel à la charité des élèves payants et le collège y ajoute sa part.

Formation des Catéchistes. Des leçons spéciales de religion sont données chaque semaine aux catéchistes pour compléter leur instruction et leur formation. 

L'Action Catholique et l’œuvre des catéchismes

à Cuba.

 L'Action Catholique est fort bien organisée dans tous nos collèges de l'île. Chacun a son groupe-ment comprenant, suivant l'importance du collège : l'Œuvre des. Catéchismes, la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, l'Apostolat de la Bonne Presse, celui des Retraites fermées, etc.

Les meilleurs éléments de l'Action Catholique viennent de la Croisade Eucharistique qui fonctionne dans toutes les écoles. De plus, il y a dans chaque collège, un comité de Pères de Famille, affilié à la Fédération Nationale de l'Action Catholique.

L'année dernière, nos Frères de la Havane ont organisé une École Normale pour catéchistes ; elle a été inaugurée par Son Éminence le Cardinal Arteaga, archevêque de la capitale.

Les cours se donnent trois ou quatre fois par semaine, de 20 à 22 heures, et comprennent deux cycles. Près de 3.000 enfants pauvres sont catéchisés par les Frères de l'Ile et leurs jeunes collaborateurs dans une vingtaine de centres.

A Cuba comme au Mexique, la première communion se fait avec solennité à la grande joie des enfants et de leurs parents.

Comme au Mexique aussi, les enfants les plus nécessiteux reçoivent un habit convenable et on leur sert ce jour-là, un substantiel déjeuner. 

Propagation de la Foi.

 Cette œuvre fonctionne depuis plus de vingt-cinq ans dans tous nos collèges du Mexique, de Cuba et du Texas. Elle recueille de 18.000 à 20.000 dollars par an. 

Maisons de Formation de la Province. AU MEXIQUE.

 Tlalpan (Maison Provinciale) : Noviciat, avec 56 Postulants et Novices.

Querétaro : École Normale officiellement. reconnue : 30 Scolastiques et 90 Juvénistes.

Morelia : 60 Juvénistes.

Tepatitlan. : 30 Juvénistes. 

A CUBA.

 Havane (Maison Districtale) : 15 Juvénistes.

 EN ESPAGNE.

 Carrión de los Condes : 90 Juvénistes pour diverses Provinces Américaines, dont 24 pour le Mexique.

Pontós : Noviciat, pour les mêmes Provinces ; en ce moment il y a seulement 24 Postulants. 

Tableau récapitulatif de la Province.

 Maisons : 20 au Mexique, 9 à Cuba, 2 aux États-Unis (Texas), 2 en Espagne, en tout 33.

Personnel, au 1ierjanvier 1948 : 406 Frères, 62 Novices ou Postulants, 196 Juvénistes.

Élèves : 15.263 dont environ 4.000 à Cuba, 1.000 aux États-Unis et 10.000 au Mexique.

La Province dirige 22 collèges payants ; 5 écoles semi-gratuites et une école complètement gratuite à Tacubaya. A. cette école, ouverte. en février. dernier et qui dès le jour de la rentrée comptait 350 élèves, s'en ajoutera une autre, également gratuite, en octobre prochain, à Monterrey.

L'Œuvre des Catéchismes instruit et prépare à la première communion plus de 6.000 enfants pauvres dont 3.500 au Mexique et plus de 2.500 à Cuba.

 Frère Euphrosin, A. G. 

Rapport de visite de délégation

à la Nouvelle-Calédonie

    MON RÉVÉREND FRÈRE SUPÉRIEUR,

 Les visites des premiers supérieurs concourent efficacement à maintenir l'union et la régularité dans tous les secteurs d'une congrégation religieuse. Ne pouvant, à la fois, embrasser de votre charité, l'immense étendue de nos œuvres, vous avez voulu cependant que nos Missions soient plus favorisées que les autres divisions administratives, et après la visite de Madagascar et de la Rhodésie, il vous tardait de connaître les besoins de notre Mission de la Nouvelle-Calédonie Vous avez bien voulu me confier le soin de vous représenter auprès des Frères de cette région lointaine qui eut les préférences de l'ardeur apostolique de notre Vénérable Père. La Mission d'Océanie fut toujours pour lui une généreuse hantise comme tout ce qu'il a. établi pour le bien de la cause de Jésus et de Marie. C'est pour moi un devoir bien doux de vous remercier pour la délégation que vous m'avez confiée et pour l'immense joie et réconfort spirituels que m'a procurés cette visite d'une mission, riche de souvenirs et d'exemples édifiants conservés d'ailleurs dans nos annales de famille. Il m'est aussi très agréable de vous présenter les remerciements de nos bons Frères missionnaires que les événements et les circonstances malheureuses de ces dernières années avaient privés de contacts plus étroits avec le centre de la Congrégation. Leur joie, leur piété filiale, leur admirable esprit ont grandement contribué à faciliter ma tâche, et les consolations que j'ai éprouvées me font un devoir de leur adresser, à eux aussi, mes plus sincères remerciements.

Parti de Paris le 14 janvier, j'étais à Nouméa le 18, après avoir fait escale dans ces îles merveilleuses du Pacifique où J.-M. de Hérédia sentait

Courir un frisson d'or, de nacre et d'émeraude,

îles enchanteresses où l'on semble vivre dans un éternel printemps, sous un ciel et sur un océan toujours bleus. Deux jours plus tard, tous nos Frères se réunissaient à Païta pour la retraite annuelle, prêchée par un Père Mariste. Elle fut particulièrement fervente. Suivant notre pieuse coutume, elle se clôtura par le souvenir à nos morts et une visite au cimetière de Païta où reposent la plupart de nos Frères, humbles et obscurs héros de l'épopée calédonienne.

La Mission de la Nouvelle-Calédonie fête cette année, le 75ième anniversaire de sa fondation. Nos circulaires fournissent de larges extraits sur les commencements de l’œuvre qui peut être considérée comme la première Mission de la Congrégation. Appelés par l'Administration coloniale et le Département de la Marine, nos Frères s'établirent d'abord à Nouméa. On leur confia par la suite, une clientèle scolaire très variée, allant jusqu'aux enfants des détenus politiques et aux indigènes des tribus de la brousse. Il faut bien. convenir qu'ils y firent une œuvre magnifique. La nombreuse correspondance des premiers supérieurs, le rapport de visite du Révérend Frère Théophane consigné dans nos Circulaires et la liste des établissements qu'on leur confia, montrent d'une façon éloquente que l'histoire de l'ancienne Vice-Province de la Nouvelle-Calédonie figure dans nos annales au. titre d'un prodigieux et fécond effort d'apostolat missionnaire. Il faudrait citer pour l'honneur de l'Institut et l'édification de ses membres, chacun des cinquante-six nôtres qui dorment leur dernier sommeil dans cette grande île ou dans ses dépendances. Parmi eux, il est de justice cependant de citer deux noms, les Frères Albano et Louis-Antonio. On a écrit sur ce dernier, une notice biographique très édifiante. Par sa naissance (dans le monde : Jourda de Vaux de Chabanolles), par sa situation de fortune, par ses relations, il pouvait prétendre au plus brillant avenir auquel il préféra les humbles et parfois crucifiants travaux du missionnaire, et les vertus du Petit Frère de Marie que le Révérend Frère Louis-Marie lui avait tracées à son départ dans le programme suivant : « Piété envers Dieu, régularité envers l'Institut, union entre les Frères, zèle pour les enfants. » Quant au Frère Albano, il se donna tout entier au développement de la Vice-Province en la dirigeant pendant l'espace d'un quart de siècle. La Mission compta jusqu'à 43 Frères et dirigea 14 établissements. Plusieurs furent fermés comme conséquence de la laïcisation ; progressivement, il a fallu supprimer des positions par manque de personnel. Nous dirigeons encore :

Le Pensionnat du Sacré-Cœur à Nouméa,

L'École des Indigènes à l'île des Pins,

L'Orphelinat Sainte-Marie à Paita.

 Le Pensionnat du Sacré-Cœur à Nouméa est le seul établissement d'éducation religieuse de la capitale. Il a compté, en 1947, 417 élèves inscrits, dont 83 pensionnaires. Les cours primaire et primaire supérieur jusqu'à l'obtention du brevet sont bien suivis et nos Frères travaillent une population scolaire très intéressante. Les familles qui nous confient leurs enfants demandent avec instance que la formation ne reste pas tronquée et puisse comprendre le cours complet du. baccalauréat. De fait, nos élèves nous quittent à l'âge critique pour compléter leurs études au Collège laïc, où sombrent bien souvent et rapidement, les bons principes qu'on leur a inculqués. Les installations plus que précaires du Pensionnat pourraient être remplacées par une nouvelle construction qui trouverait sa place dans un magnifique terrain, appartenant aux Frères dans l'un des faubourgs de la ville. C'est une aspiration générale qui mérite d'être étudiée, comme aussi la création d'un cours commercial, comprenant des classes de dactylographie, secrétariat et comptabilité. Une ébauche d'enseignement professionnel rendrait aussi les plus grands services à nos élèves et correspondrait efficacement aux besoins de la colonie. Nos Frères jouissent partout de très notoire influence, et la sympathie de la population prouve assez le grand bien qu'ils ont opéré. Quant aux résultats d'ordre spirituel, les autorités religieuses sont unanimes à proclamer la place prépondérante qu'occupe notre Institution dans le mouvement religieux de la 'capitale. La Croisade Eucharistique, une section de la J. E. C. et l'Amicale des Anciens Élèves fonctionnent régulièrement. Cette dernière s'est réunie en session plénière quelques jours avant mon départ. On y remarquait une atmosphère toute de sympathie et d'attachement aux Frères bien significative. Les travaux et les sacrifices des pionniers de notre œuvre en Nouvelle-Calédonie ont été bénis du ciel ; il faut le reconnaître.

 Vao (île des Pins). C'est l'école de la Mission qui se régit par un règlement sui generis adapté aux besoins des indigènes, sur un plan missionnaire oit peuvent se donner libre cours, nos méthodes, nos usages et l'activité apostolique de nos Frères. Elle groupe la totalité des enfants de l'île de 7 à 16 ans, qui s'adonnent à la pratique religieuse (messe et chapelet quotidien à l'église), à l'étude du catéchisme, aux études primaires et au travail des champs. Elle est maintenue par la Mission qui a réalisé, avec l'école des Sœurs et les bonnes coutumes paroissiales, un modèle parfait de la vie en chrétienté. On voudrait compléter la formation des indigènes par des notions et la pratique au moins sommaire de l'enseignement professionnel. Trois Frères se dévouent pour le bien des 85 enfants que compte l'école fondée en 1878. Tous les habitants de l'île, entièrement catholique, gardent le plus affectueux attachement aux Frères dont ils savent apprécier. l'abnégation et l'esprit religieux. Quelques vocations religieuses et sacerdotales ont déjà été obtenues parmi les indigènes.

 Païta (Orphelinat Sainte-Marie). La propriété nous appartient et comprend divers bâtiments construits à peu de distance du Séminaire indigène Saint-Léon, autrefois siège du Pensionnat du même nom tenu par nos Frères. L'une des constructions a servi pour recueillir nos Frères anciens, infirmes ou épuisés que le bon Dieu a rapidement rappelés à Lui. L'Œuvre qui compte 65 petits indigènes exigerait plus d'ampleur et des constructions qui permettraient de répondre aux instances et aux besoins des tribus localisées au sud de l'île. Parmi les écoles d'indigènes, les autorités civile et religieuse s'accordent à proclamer que les deux nôtres de Païta et de l'île des Pins sont les mieux tenues et les plus fécondes en résultats d'ordre religieux et social. On ne peut décerner un plus bel éloge au zèle et à l'initiative de nos Frères. Notre œuvre indigène est grandement appréciée par les parents et serait d'un merveilleux apport pour la conservation de la foi si elle pouvait être complétée par d'utiles améliorations et surtout par une augmentation de personnel. Une propriété de 400 hectares, appartenant aux Frères et destinée aux cultures complète l’œuvre de Païta, entièrement à notre charge, et lui assure l'alimentation des élèves.

 Quel est l'esprit des Frères de nos trois communautés ? J'ai la consolation de pouvoir vous dire, mon Révérend Frère, que la flamme d'apostolat des premiers disciples du Vénérable, envoyés par lui en Océanie et préparés par son zèle, s'est conservée intacte. Tous nos Frères m'ont manifesté le plus grand attachement à leur vocation et à leur famille religieuse. En suivant les exercices religieux de nos maisons pendant plus d'un mois, j'ai pu remarquer les efforts et l'habitude d'une ponctualité qui n'est pas de surface ni occasionnelle. Les devoirs professionnels sont remplis avec tout le dévouement possible, et Dieu sait si les travaux multiples occupent bien les journées. Le trop long délai (15 ans), causé par la guerre et d'autres circonstances entre la dernière visite canonique et la présente, aurait pu sembler être un motif d'affaiblissement d'esprit religieux. Je puis affirmer qu'il n'en est rien. L'union, une parfaite charité ont maintenu ce que les déficiences et l'impression de se sentir isolé et abandonné auraient pu provoquer. Mais nos confrères de la Nouvelle-Calédonie se tournent avec angoisse et un grand espoir vers leurs supérieurs et leurs confrères d'Europe. Ils s'épuisent, tiennent malgré tout, mais supplient qu'on travaille à la relève. Ils sont partis sans idée de retour et gardent les positions depuis très long-temps. Il est bien vrai que l'on peut partir à vingt ans, en quête d'aventures et grisé d'exotisme. Mais qui niera que, donner toute sa vie et quitter les siens, comme l'ont fait ces bons Frères, c'est là une œuvre qui veut beaucoup d'amour ?

 Quelles sont donc les perspectives d'avenir ? C'est toujours la plainte du Sauveur : « La moisson est grande… » Saint François de Sales aurait-il parlé pour nos missionnaires en faisant remarquer que : « le palmier ne donne du fruit qu'après cent ans d'existence, et pendant ces longues années qui précèdent le fruit, combien d'orages et d'ardeurs brûlantes ! ». Nos Frères se sont habitués pendant soixante-quinze ans à tous les revers, déceptions et difficultés, et voient avec effroi le fruit leur échapper, leurs efforts compromis, si le temps accentue de plus en plus leur longue agonie. Ils ne veulent pas mourir, mais sauver l'héritage sacré de leurs devanciers. On les demande sur tous les points de la Mission pour des écoles d'indigènes, des écoles normales de catéchistes et des pensionnats pour les fils des colons. Il nous faut renforcer les positions que nous tenons depuis si longtemps et adapter aux besoins d'une évolution en marche, les ressources que nous fournit notre vocation de religieux-éducateurs. Il n'est pas inutile de rappeler ici la phrase du Révérend Frère Louis-Marie, écrivant le 19 janvier 1873, au Ministre de la Marine, qui avait demandé des Frères pour Nouméa : « Je vois déjà que je n'aurai que l'embarras du choix, car dès la première annonce de cette fondation lointaine, les demandes se multiplient pour en faire partie ; mais je tiendrai particulièrement à ne donner que des sujets capables, très dévoués et très sûrs. » C'est que tout Frère missionnaire doit être grand. Aucun départ en mission ne s'improvise, fût-ce pour la plus perdue des îles océaniennes ou la plus humble tâche.

Mais une question se pose : Y a-t-il en Nouvelle-Calédonie des possibilités de recrutement ? Nos Frères, dans leurs œuvres d'enseignement aussi ennuyeuses qu'inutiles aux yeux de certains, tâche sans clinquant, mais la plus pressante et la plus grande de toutes, ont-ils planté profond et rempli parfaitement leur devoir en se préparant des successeurs ? Pour un missionnaire, le plus poignant de ses soucis, sa plus chère sollicitude, c'est la formation de ces remplaçants, de ces successeurs de demain qui assureront l'essor de sa famille religieuse. On ne peut nier que des difficultés insurmontables d'atavisme se soient posées pendant longtemps, et que l'entreprise serait menée avec courage, assurant des résultats appréciables, si la mort n'était venue décimer les combattants sans l'espoir d'une relève indispensable. Il faut du renfort pour organiser les œuvres de formation. L'élève blanc de la ville comme celui de la brousse est susceptible de vocation supérieure, et l'indigène ne manque pas de bonnes dispositions, de mœurs simples comme bases pour la vie religieuse.

 Une Mission se meurt. C'est un cri d'angoisse et un appel que je veux lancer en terminant ce rapport. Je ne doute pas, mon Révérend Frère, que vous lui fassiez bon accueil pour susciter parmi nos Frères, le désir de relever une Mission qui doit nous être chère. A ce moment de lassitude générale, tant de préjugés ont cours qui pourraient peut-être retarder des élans de générosité. L'effroyable tourmente dans laquelle nous venons d'être roulés, nous a laissés meurtris et déchirés. Mais nos Provinces saccagées se sauveront à force de se donner. Serait-ce exagéré de dire qu'un individu, une famille, une communauté, un pays qui, sous prétexte que les temps sont durs, cesserait ou du moins réduirait son aide aux Missions, s'abandonnerait à un vilain calcul ? Il est si facile de se prouver qu'on est plus malheureux pour légitimer son indifférence. Mais de tels refus rendent le cœur médiocre et nuisent profondément à ceux-là mêmes qui paraissent en être les bénéficiaires. L'égoïsme tue. Non seulement on ne garde vraiment que ce que l'on donne mais rien n'élève une région, une province, une race, comme les générosités sans calcul. Elles créent un climat, une atmosphère dont les donateurs sont les premiers favorisés. Certes, un large secours apporté aux Missions n'irait pas sans répercussions sur nos autres œuvres. Des restrictions s'imposeraient peut-être. Mais nous savons que Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité. A une donation plus généreuse, répondra un afflux plus grand de vocations ferventes.

 En vous présentant le respectueux hommage de nos Frères et leurs ardents désirs de sauver leur Mission, désirs et hommages auxquels je m'associe de tout cœur, je me dis avec un profond respect et une entière soumission,

 Votre très humble et dévoué serviteur.

 Frère DESIRE-ALPHONSE, A. G

Voyage au Brésil

 Le désir de mieux connaître nos Frères du Brésil, ainsi que les œuvres de plus en plus prospères qu'ils dirigent dans ce vaste pays, m'ont décidé, après un vote favorable du Conseil Général, à m'y rendre.

J'ai pu, de la sorte, assister, en tout ou en partie, à neuf sur dix des retraites annuelles et recevoir tous les Frères en direction. Les jours laissés libres par ce travail que je tenais pour le principal, ont été consacrés à la visite rapide des maisons. Cinq seulement sur soixante-trois, n'ont pu être atteintes, à cause des distances et du manque de temps.

Les trois Frères Provinciaux, d'accord avec le Cher Frère Exupérance, mon socius très dévoué, avaient tout prévu et ont facilité grandement ma tâche. C'est de tout cœur que je les en remercie.

L'admirable expansion. de notre Institut au Brésil, justifie, une fois de plus, la comparaison suivante que rapporte une vie de saint Joseph-Benoît Cottolengo : «Bien des œuvres humaines, y lit-on, sont semblables à une pyramide à large base, élevée avec beaucoup d'argent, de protecteurs, de réclame, etc., mais dont les arêtes se rapprochent et convergent vers un point, lequel représente le résultat obtenu, c'est-à-dire l'évanouissement des grands espoirs qu'avait fait naître l'entreprise. Les œuvres divines, au contraire, sont comme une pyramide renversée. Celle-ci ne repose que sur un point, mais la surface de la base croît à mesure qu'elle s'éloigne du point initial.

Un point, c'est bien cela l'origine de nos œuvres du Brésil, mais un point qui s'appuyait sur Notre-Seigneur et sur sa croix, ainsi que sur la Vierge Marie qui, ici comme ailleurs, a été notre ressource ordinaire.

Voici quelques faits et quelques données statistiques en confirmation de ce qui précède. 

Province du Brésil Central.

 Cette Province, la première fondée, vient de célébrer ses noces d'or. C'est, en effet, en octobre 1897, que six Frères français venus de Varennes et de Notre-Dame de Lacabane, furent chargés d'un pré-séminaire, à Congonhas do Campo, petite localité de l'État de Minas Geraes. Le Cher Frère Aloysio, aujourd'hui à Mendes, est le, seul survivant de ces pionniers.

Nous étions appelés par Dom Silverio Gomes Pimenta, le saint et savant évêque de Mariana, venu personnellement, l'année précédente, à Saint-Genis, solliciter des Frères auprès du Révérend Frère Théophane. L'installation fut rudimentaire et les conditions économiques devinrent bientôt défavorables, par suite de notre dépendance d'un administrateur peu soucieux de satisfaire les besoins d'une communauté et les désirs de son évêque.

Nos Frères ne purent rester que sept ans à Congonhas do Campo, mais leurs sacrifices ne furent pas vains. Dix-huit des élèves qu'ils envoyèrent au séminaire, sont devenus prêtres et deux d'entre eux, évêques.

Nommons avec une particulière gratitude l'un de ces derniers, le Cardinal Archevêque de Sâo-Paulo, Dom Carlos Carmelo Vasconcelos Mota qui garde une vive affection à ses anciens maîtres, ainsi qu'à leurs successeurs et leur en donne des preuves multiples.

Parmi les épreuves qui fécondèrent, dès les premier jours, l’œuvre de nos Frères au Brésil, il faut signaler la mort du Cher Frère Norbert, assistant général. Il fut victime de la fièvre jaune contractée en visitant le champ d'apostolat où nos Frères débutaient. Il mourut le 10 janvier 1899 sur le bateau qui le ramenait en France, après avoir encouragé les fondateurs de la Province.

Le séjour de nos Frères à Congonhas do Campo, quoique court, avait contribué à les faire estimer et désirer. Aussi possédaient-ils sept établissements lorsqu'ils furent contraints d'abandonner le pré-séminaire.

A ce jour, la Province compte quinze maisons florissantes et prépare la fondation de plusieurs autres dans un avenir prochain. 

DONNÉES STATISTIQUES COMPARÉES. 

 

 

 

 

Juvénistes

Postulants

Novices

 

Prof. Temp.

 

Pr. Perp.

Stables

 

Élèves

 

1910

1920

1930

1940

1948

22

31

127

145

217

12

26

50

47

71

12

50

64

93

135

85

113

143

228

266

1.655

2.794

4.458

6.888

7.562-73

  

Province du Brésil Méridional.

 Sa fondation remonte à 1900. Elle fut faite par trois Frères de la Province de Beaucamps, tous décédés à ce jour.

Le Cher Frère Weibert, qui a rendu dernièrement sa belle âme à Dieu, était leur directeur. Ceux qui l'ont connu, Frères et étrangers, ne parlent de lui qu'avec vénération.

La première fondation se fit à Bom Principio, colonie allemande, qui a conservé bien vivante la foi chrétienne.

Bom Principio, qui veut dire bon commencement, a réalisé excellemment, pour nous, sa signification.

Nos Frères se chargèrent d'abord de l'école paroissiale de la petite localité, puis de l'école officielle et enfin d'une école normale rurale. Dans la suite on y établit, pour quelque temps, le noviciat. Actuellement nous y possédons un pré-juvénat et nous y dirigeons l'école paroissiale.

Une des impressions les plus fortes de ma visite à cette Province a été celle que m'a produite la vue, à Bom Principio, de la première maison de formation du Brésil Méridional. C'est bien la mai-son de Nazareth, dans une humble bourgade, c'est bien le berceau de l'Institut à La Valla, sur le flanc des montagnes.

C'est une véritable relique dont la pauvreté, presque la misère, aide à mieux comprendre l'admirable succès de nos œuvres dans le sud brésilien. Le grain de sénevé avait été jeté en bonne terre, loin des passants.

En plusieurs endroits nos Frères furent d'abord les auxiliaires des Pères Jésuites, mais ils fondèrent également des œuvres exclusivement nôtres, parmi lesquelles des écoles d'enseignement secondaire. Comme, à l'époque, ces écoles étaient fort rares, bien des hommes, aujourd'hui haut placés dans l'État de Rio Grande do Sul, nous doivent leur première formation, ce qui donne à nos Frères un grand prestige.

Rien d'étonnant, dès lors, que dans la plupart des localités où nous sommes établis, les autorités religieuses, civiles et militaires aient voulu saluer le Supérieur Général de leurs anciens maîtres et lui dire leur reconnaissance envers la Congrégation.

Cette Province possède un personnel nombreux, mais il n'est pas de trop pour ses trente-quatre établissements dont quelques-uns occuperaient utilement quelques auxiliaires de plus. On pourra, sans doute, les leur fournir, lorsque aura mûri la prometteuse jeunesse qui peuple les maisons de formation. 

DONNÉES STATISTIQUES COMPARÉES.  

 

 

Juvénistes

Postulants

Novices

Pr. Temp.

Pr. Perp.

Stables

Elèves

1910

1920

1930

1940

1948

3

66

55

273

464

4

30

31

53

96

31

72

69

123

123

78

146

123

230

331

2.359

5.078

5.985

10.020

11.834

 

Province du Brésil Septentrional.

 Fondée en 1903 par la Province d'Aubenas, la Province du Brésil Septentrional s'étend, depuis son berceau, Belem du Para, au bord de l'Amazone, jusqu'à Bahia, sur la côte de l'Atlantique, ce qui fait 2.400 kilomètres environ.

Trois sur quatre des fondateurs sont encore vivants et en bonne santé. Ce sont les Frères Claude-Régis, pendant longtemps Conseiller Provincial ; Paul-Dominique, Économe Provincial, et Alderad, qui veille depuis de longues années sur les constructions de la Province, dont le Cher Frère Conon a été l'architecte principal. L'autre fondateur, le Cher Frère Auxent, qui commandait la petite caravane, est mort en 1935. Il n'ignorait pas plus que ses confrères qu'il aurait à souffrir, mais il avait pu dire, en faisant ses adieux à la communauté d'Aubenas, ces admirables paroles, bien dignes d'un missionnaire : « Mes chers amis, je vais vous quitter. Je vais au Para, sous l'équateur, dans une région où les fièvres règnent en maîtresses. Eh bien ! on me dirait qu'en arrivant je tomberai mort de chaleur ou de maladie que je partirais quand même. »

Le bon Dieu lui conserva la vie assez longtemps pour voir se développer la belle œuvre par lui l'ondée. Mais il se choisit d'autres victimes.

Dès 1903 les lois persécutrices qui sévissaient en France firent envoyer plusieurs groupes de Frères qui arrivèrent à Belem pour se joindre aux quatre fondateurs. La communauté compta bientôt une quarantaine de Frères qui étudiaient le portugais mais qui devaient vivre sur les maigres ressources du Collège do Carmo dont le clergé nous avait passé la direction. C'est dans ces conditions que les trouva, en 1904, la fièvre jaune qui, en un mois, fit cinq victimes.

Cette épreuve, qui ne devait pas être la dernière, fut bien rude au cœur de tous, mais leur courage ne faiblit pas. Sans abandonner Belem, ils essaimèrent alors vers des régions plus salubres. C'est ainsi que fut fondée, entre autres maisons, celle de Bahia qui marque la limite de la Province vers le sud.

Cette Province qui compte quatorze maisons a été jusqu'ici moins à même que les autres de faire du recrutement sur place. Elle a dû faire appel à des éléments français et portugais. Mais l'ouverture récente d'un juvénat à Missào Velha, dans le Céara, s'ajoutant à celui d'Apipucos, ainsi que l'envoi annuel de juvénistes du Brésil Méridional, qui sont déjà venus au nombre de 27, tend à résoudre, d'une façon satisfaisante, ce problème capital. 

DONNÉES STATISTIQUES COMPARÉES.  

 

 

Juvénistes

Postulants

Novices

Pr. Temp.

Pr. Perp.

Stables

Elèves

1910

1920

1930

1940

1948

1

38

89

133

170

2

5

18

29

34

11

33

62

44

65

43

70

105

141

193

965

1.670

2.645

4.333

5.034

  

Presque toutes nos écoles du Brésil donnent l'enseignement primaire et le premier degré de l'enseignement secondaire (Ginasial), qui comprend quatre années d'études. Plusieurs donnent, en outre, le second degré de l'enseignement secondaire (Colegial), qui dure trois ans et prépare aux Écoles universitaires.

C'est au Brésil que nous trouvons, parmi nos maisons, le plus grand nombre d'internats, plus de trente avec environ cinq mille pensionnaires. Cela s'explique non seulement par le désir d'un plus grand bien, mais aussi, par le besoin d'assurer l'existence de certaines Maisons qui ne pourraient se soutenir avec le seul externat. Inutile de dire que ces internats occasionnent un surcroît de travail à bien des Frères et qu'il faut à ces derniers beaucoup de bonne volonté pour que leur vie religieuse n'en souffre pas.

Une dizaine de collèges, surtout dans le Brésil Méridional possèdent des cours nocturnes d'enseignement commercial. Ils sont donnés, en général, par des professeurs civils. Ainsi la vie de communauté et les exercices de piété sont sauvegardés. On tend d'ailleurs, là où la . chose est possible, à supprimer ces cours conformément à un vœu du dernier Chapitre Général.

On n'a pas négligé les pauvres au Brésil ; des écoles spéciales et, dans plusieurs collèges, des classes annexes leur sont destinées. Nous possédons de plus, dans le Brésil Méridional, une École d'Arts et Métiers, à Santa Maria, et un Orphelinat, qui est un modèle du genre, à Florianôpolis. Le dernier Bulletin de l'Institut vous a entretenus des écoles pour fils de cheminots qui, sans entrer à proprement parler dans le cadre de nos œuvres, doivent en grande partie leur organisation et leur prospérité au dévouement inlassable d'un de nos confrères. J'exprime le vœu que l'on continue à se préoccuper dans toute la mesure du possible des déshérités de la fortune, frères, eux aussi de Notre-Seigneur et gage de bénédictions célestes.

La nécessité de pourvoir de titres officiels, dans un délai relativement court, ceux de nos Frères qui sont employés dans l'enseignement secondaire a obligé, d'abord la Province du Brésil Central, puis les deux autres Provinces, à ouvrir chacune une Faculté de philosophie, sciences et lettres, pouvant assurer les études et les diplômes nécessaires.

De la sorte, un bon nombre de Frères ont pu profiter de cette institution. Les Chers Frères Provinciaux et les Frères qui sont à la tête de ces Facultés s'attachent, avec une égale bonne volonté, à mesure que les circonstances le permettent, à en améliorer l'organisation. Ils profitent de l'expérience acquise et des observations du Conseil Général qui admet l'utilité de ces écoles et applaudit aux bons résultats obtenus, tout en souhaitant fortement qu'elles restent fidèles à l'esprit des Constitutions et des Règles.

Quoique les trois Provinces brésiliennes aient un champ très vaste et soient harcelées par des offres de fondations nouvelles, elles ne se dérobent pas aux sacrifices qui leur sont demandés pour venir en aide à d'autres Secteurs de l'Institut. C'est ainsi que le Brésil Central vient de céder, à l'occasion de ses noces d'or, deux Frères au District de Ceylan. Plus de cinquante candidats s'étaient offerts pour les missions. Espérons que l'on pourra satisfaire plus tard le généreux désir, de quelques-uns du moins, de ceux qui n'ont pas pu être exaucés cette fois.

Le Brésil Méridional qui a déjà le mérite d'avoir fourni de bons juvénistes au Brésil Septentrional, étudie actuellement la possibilité d'établir, dès qu'il en aura le moyen, quelque œuvre en pays de mission.

Le Brésil Septentrional a assumé, au prix de gros sacrifices, la charge d'une fondation à Lisbonne. Là, le Collège Champagnat, qui a ouvert ses portes en septembre dernier, a déjà soixante-dix élèves, sous la direction de cinq Frères.

J'ai parlé de la bonne réputation dont jouissent nos Frères du Brésil. J'ai été heureux d'entendre souvent des éloges à leur égard, pendant mon séjour au milieu d'eux. Ces marques d'estime étaient d'autant plus appréciées qu'elles venaient de bouches autorisées : cardinaux, évêques et autres membres du clergé, comme aussi d'hommes du gouvernement et d'hommes d'affaires.

Mais nos confrères sont loin d'ignorer qu'il est parfois plus difficile de conserver et d'accroître une bonne réputation que de la faire naître. Aussi s'appliquent-ils, par une conduite toujours édifiante, comme religieux, ainsi que par la formation solidement chrétienne donnée à leurs élèves et par un enseignement sérieux, à ne pas affaiblir cette estime qui intéresse au plus haut point, non seule-ment l'institut, mais notre sainte religion elle-même.

Daignent Notre-Seigneur et la. très sainte Vierge les garder et que le Brésil, qui ne saurait tarder à être le premier pour le nombre de Frères Maristes, le soit également pour l'esprit religieux et apostolique dont ils seront animés.  

          Décès de son Éminence

    le Cardinal protecteur

 Le Cardinal Genaro Granito Pignatelli di Belmonte, Protecteur de l'Institut depuis 1920 et, Ponent des Causes de Béatification du Vénérable Père Champagnat et du Vénéré Frère François, est décédé le 16 février dernier.

Il ne lui manquait que quelques semaines pour accomplir ses 97 ans… Et pendant cette longue existence, rien n'est plus expressif et plus élogieux pour lui, que sa sainte vie et son admirable dévoue-ment au service de l'Église.

Né à Naples, le 10 avril 1851, d'une noble et illustre famille, il commença ses études et les pour-suivit avec succès au collège des Pères Jésuites de Mondragone, près de Rome. Il en sortit bachelier et continua ensuite les études dans la famille, en y ajoutant la culture de la musique et de la peinture qui le rendirent célèbre parmi les jeunes gens de son âge et de sa condition.

Le 29 septembre 1867, mourait à Naples, en odeur de sainteté, le Cardinal Riario Sforza. Le jeune Janvier assista à cette mort édifiante et, à partir de ce moment, lui vint la pensée de devenir prêtre. Il fut reçu avec grand plaisir au Grand Séminaire de Naples où il a laissé un souvenir impérissable de sa piété et de son intelligence. Il fut ordonné prêtre le 5 juin 1879.

Bien que très humble et ne cherchant nullement à se mettre en vue, il fut bientôt remarqué par le Saint-Siège, à cause de ses dispositions naturelles dans le traitement des affaires les plus délicates. C'est pour cela que le Pape Pie X ne tarda pas à le nommer Conseiller de Nonciature à Vienne où il combattit fortement le modernisme.

Après plusieurs charges importantes qui lui furent confiées en France et en Belgique, il fut créé Cardinal du titre de Sainte-Marie-des-Anges, dans le Consistoire du 27 novembre 1913.

A la mort du Cardinal Vincent Vannutelli, en 1931, le Cardinal di Belmonte lui succéda comme Doyen du Sacré Collège et comme Évêque Suburbicaire d'Ostie et d'Albano où il a laissé un souvenir inoubliable des richesses de son grand cœur et des généreuses subventions de sa libéralité. Toute sa fortune a été consacrée à ces populations.

Il ressort de son testament qu'il est mort dans un état de pauvreté absolue, car il avait fait don de tout ce qu'il possédait à son diocèse pour la construction de nouvelles églises et pour les œuvres charitables. Ses objets personnels ont été égale-ment vendus au profit des pauvres suivant sa volonté expresse.

Il n'a jamais laissé passer l'occasion de défendre les droits de Dieu, de l'Église et du Saint-Siège. On n'oubliera jamais la véhémente adresse de fidélité qu'il fit parvenir au Saint-Père pour le dédommager des insultes du mouvement antireligieux de 1946.

Les dernières heures de sa sainte vie ont mérité d'être réconfortées par l'auguste visite du Saint-Père qui a voulu ainsi honorer ce très noble fils. En sa présence, il a de nouveau protesté de son entier dévouement à la Sainte Église.

A peine le bon Cardinal sut-il que son état de santé inspirait des inquiétudes, qu'il voulut recevoir les Sacrements de l'Église. Après avoir communié avec une admirable piété, il récita, avec ceux qui l'assistaient, les prières des agonisants, s'abandonnant entièrement entre les mains du bon Dieu et de la Sainte Vierge, et s'éteignit sans agonie.

Des milliers de personnes de toutes conditions visitèrent sa dépouille mortelle. Il était si beau sur sa couche funèbre ! On aurait dit qu'il allait se réveiller pour vous recevoir avec son habituel sourire. Ses funérailles, dans la Basilique de Saint-Pierre furent imposantes. Plus de vingt mille personnes étaient venues prier pour cet éminent Prince de l'Église et grand bienfaiteur de son diocèse.

Combien de témoignages d'affection ne nous a-t-il pas donnés pendant les vingt-huit années qu'il a été le Cardinal Protecteur de l'Institut.

C'était un vrai plaisir de lui rendre visite. Il saisissait de suite la question qui lui était posée. Sa distinction, son aimable sourire inspiraient une entière confiance.

Quelques Frères ont voulu le consulter sur des questions épineuses, d'autres lui ont demandé une recommandation qu'il ne refusait pas. Mais dans ces occasions, il savait toujours sauvegarder l'autorité des supérieurs.

Il demandait souvent des nouvelles des premiers supérieurs et fut très affecté de la mort du Révérend Frère Diogène qu'il estimait beaucoup. Il ne perdit non plus jamais de vue ses successeurs, les encourageant dans leurs difficultés.

Combien de fois n'a-t-il pas exprimé sa satisfaction pour la continuelle prospérité de la Congrégation ? La création de nouvelles Provinces le ravissait. Et lorsqu'il eut pris connaissance de la plaquette qui donnait une idée claire de nos œuvres, il ne put s'empêcher d'en témoigner sa satisfaction.

Il s'intéressait particulièrement au collège San Leone Magno de Rome, dont il voulut une fois présider la fête de la Première Communion et de la Confirmation se montrant très paternel et très attaché à l'Institut.

Il a gardé jusqu'à la fin de ses jours la plus grande lucidité d'esprit.

Adressons à Dieu et à la Sainte Vierge nos fervents suffrages, afin que le vénéré défunt jouisse au plus tôt, s'il ne la possède déjà, de la récompense des justes que lui a méritée sa vie entièrement dépensée au service de Dieu et de l'Église. 

ÉLECTION D'UN FRÈRE ASSISTANT GÉNÉRAL

 Le C. F. PAUL-STRATONIC ayant donné sa démission, le Conseil Général a élu, pour le remplacer dans sa charge d'Assistant Général, le C. F. RÉGIS-AIMÉ, Directeur du Second Noviciat de Saint-Quentin-Fallavier. 

ÉLECTION DE FRÈRES PROVINCIAUX

 Dans la séance du 10 décembre 1947, le Conseil Général a élu : le C. F. ANDREW CORSINI, Provincial de Nouvelles Galles du Sud, pour une première période triennale ; le C. F. PLACIDUS MARY, pour une première période, Provincial de Victoria ; le C. F. MARY JUSTINIAN, Provincial de l'Afrique du Sud et le C. F. CYPRIAN EDWARD, Provincial de Grande-Bretagne et Irlande, pour une seconde période triennale.

Dans la séance du 19 mars 1947,- le Conseil Général a élu : le C. F. VENDELINO, Provincial du Brésil Méridional, pour une troisième période ; le C. F. LEONCIO MARTIN, Provincial du Mexique, pour une seconde période et le C. F. FRANCISCO RÉGIS, Provincial de Colombie pour une première période, à la place du C. F. MATEO, arrivé au terme de son mandat.

Dans la séance du 15 avril 1947, le Conseil Général a élu le C. F. AURELIO VICTOR, Provincial de Levante, à la place du C. F. CARLOS ROBERTO, arrivé au terme de son mandat.

 

LISTE des FRÈRES dont nous avons appris le Décès

depuis la Circulaire du 8 Décembre 1947.

 

Noms des Défunts     Lieux des Décès        Dates des Décès

 

F. Agustin-Eusebio  Profès perp.    Venta de Baños, Espagne                         ? août 1947

F. Vital-Étienne        Novice              Chala, Pékin                                                4 octob.              »

F. Louis-Norbert       Profès perp.    Heishanhu, Pékin                                        26 nov.    »

F. Ermelius               »                       N.-D. de l'Hermitage, France                     27            »          »

F. Claver-Mary          »                       Bondi Junction, Australie                            30            »          »

F. Basilius                 Stable              Saint-Paul-3-Châteaux, France                 9 déc.    »

F. Paul-Fernand       »                       Saint-Genis-Laval, France                         12          »    »         

F. José-Isidoro         Profès perp.    Sâo Paulo, Brésil                                        20            »          »

F. Agathon-Victor     »                       Garibaldi, Brésil                                          22            » »         

F. Pio Avellanas,      »                       Espagne                                                      24            »          »         

F. Jean-Maurice       Stable              Shanghai, Chine                                          26            »          »

F. Aniceto                 »                       Barcelone, Espagne                                   27                        »          »

F. Héliodoro              Profès perp.    Saint-Genis-Laval, France                         28            »          »

F. Blanus                   »                       N.-D. de l'Hermitage, France                     31         »          »

F. José-Gabino        Profès temp.   San Salvador, Salvador                             21 janvier1948

F. Vitaliano               Profès perp.    Havane, Cuba                                              26      »          »

F. Joseph-Vincent    Stable              Chala, Pékin                                                31            »          »

F. Attonius                 »                       Bogota, Colombie                                       3 février»

F. Actus                     Profès perp.    Beaucamps, France                                   7      »          »

F. Julian Stable        »                       Avellanas, Espagne                                    9   »          »

F. João-BerchmansProfès perp.    Porto Alegre, Brésil                                    16            »          »

F. Joseph-Frument  Stable              Mendes, Brésil                                            18       »          »

F. Adelino                 »                       Beaucamps, France                                   6 mars   »

F. Marie-Adrien        »                       Porto Alegre, Brésil         8    »                                          

F. Pierre-Chanel      Profès perp.    Pitthem, Belgique                                        12            »          »

F. Paul-Bernard        »                       Lausanne, Suisse                                       16        »          »

F. Paulinien               Stable              Porto Alegre, Brésil                                    27            »          »

F. Mary-Sebastian   »                       Dumfries, Écosse                                       29            »          »

F. Saturnin                »                       St.-Paul-3-Châteaux, France                     14 avril    »

F. Adalbony              »                       Popayán, Colombie                                    17            »          »

F. Pavin                     »                       Aubenas, France                                         19      »          »

F. Pierre-Antonin      Profès perp.    Lausanne, Suisse                                      23            »          »

F. Giuseppe Antonio »                      Stable Lujàn Argentine                               28      »          »

F. Joseph-Réole      Profès perp.    Aubenas, France                                         30                        »          »

 

La présente circulaire sera lue en communauté à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Recevez, mes Bien Chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement de Votre très humble et tout dévoué serviteur,

Frère LÉONIDA, Supérieur Général.

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