Circulaires 336

LĂ©onida

1953-05-24

Retraite, 169. - Fruit à retirer des prochaines retraites: Contribuer à faire régner une plus grande charité fraternelle dans nos Communautés, 173. - Excellence de la charité fra-ternelle, 173. -Charité dans les jugements et dans les paroles, 179. - Pratique des petites vertus, 187. - Fondement de la charité fraternelle, 201. - En l'honneur de l'Immaculée Conception, 204. - Visite de Ceylan, de Singapour et d'Océanie, 206. - Document du Saint-Siège autorisant à porter à dix le nombre des Frères Assistants, 224. - Élections, 226. - Liste des défunts, 227.

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V. J. M.J.

Saint-Genis-Laval, le 24 Mai 1953.

            Fête de Notre-Dame Auxiliatrice,

       MES BIEN CHERS FRÈRES,

Avec le mois de mai recommence la série des retraites qui, par suite de l'extension de l'Institut aux deux hémisphères, s'interrompt à peine pendant deux ou trois mois au cours de l'année.

Que de grâces individuelles et collectives ne pouvons-nous pas attendre de ces saints exercices ; imposés à nous tous par nos Règles et le Code Canonique ! Chacun y trouve, s'il le veut véritablement, le moyen d'avancer l’œuvre de sa sanctification et celui d'exercer ensuite une influence bienfaisante sur ses confrères et ses élèves. Il a, en outre, l'occasion, qu'il ne devrait jamais négliger, de prier avec plus de ferveur pour tous les besoins de l'Institut, de l'Église et du monde entier et de contribuer ainsi à l'extension du règne de Dieu.

La retraite des membres de l'Administration Générale et d'une quinzaine de Frères Provinciaux s'est clôturée aujourd'hui, fête de la Pentecôte et de Notre-Dame Auxiliatrice. Vous n'avez pas été oubliés dans leurs prières et je ne doute pas que, de votre côté, vous ne vous soyez fait un devoir de prier pour eux, bien persuadés de la vérité de ces paroles d'un homme d'expérience : « Le temps le mieux employé pour une Congrégation est celui de la retraite de ses chefs… Plus on met la main à des choses importantes, et plus il est nécessaire de s'approcher de Dieu pour recevoir de Lui, lumière et secours. »

Mais il n'y a pas que les Supérieurs à devoir s'approcher de Dieu ; tous les religieux, quel que soit leur emploi, ont toujours la responsabilité d'affaires importantes, surtout de leur âme et des âmes qui les entourent ou leur sont confiées. Dès lors, pourraient-ils se passer du secours divin ? Ne seraient-ils pas des insensés s'ils comptaient plutôt sur leurs talents ?

Or, il est évident que, tout consacrés que nous soyons au service de Dieu, nous courons le danger de le perdre de vue, moins peut-être, à cause de la fascination du monde que du manque d'équilibre en nous, entre la vie intérieure et la vie active. Cet équilibre est trop souvent rompu par une activité excessive. Notre vie spirituelle glisse dans la routine et notre apostolat dégénère en agitation stérile.

Le temps de la retraite sera très utilement employé si nous y cherchons Dieu de toutes les puissances de notre âme ; si, appelés par Lui à l'écart, nous faisons effort pour vivre sous son regard ; si, après nous être arrachés aux occupations absorbantes, nous réprimons notre imagination pour mieux entendre la voix de Dieu dans le recueillement intérieur.

Bien des âmes ont écouté cette voix dans la solitude du désert ; d'autres, à la cime des monts ou sur un océan en courroux certains encore, dans leur cellule de détenus. A plus forte raison pouvons-nous l'entendre dans le silence de la retraite. Nous y serons aidés par les instructions du Prédicateur et des Supérieurs, par le bon exemple des autres retraitants et par des prières nombreuses : les nôtres et celles qui seront offertes pour nous.

Comme à chaque retraite, Dieu nous dira : « Croissez, progressez eu vertu, imitez toujours plus parfaitement mon divin Fils ». Avons-nous progressé dans cette voie pendant l'année écoulée ? Notre souci de croître en sainteté a-t-il été au moins égal à celui de conserver la santé et d'acquérir le savoir

Dans un de ses derniers ouvrages, le Père Antonin Eymieu, S. J., note que les animaux, en venant au monde, possèdent déjà la perfection de leur espèce. Dans la suite, ils ne font que répéter les mêmes actes sans les déformer, mais sans les perfectionner non plus. L'homme, au contraire, venu en quelque sorte à la vie, simplement ébauché, fait sans, cesse de nouveaux progrès moyennant, le bon usage de sa. raison et de sa liberté.

C'est en multipliant les réflexions, les calculs et, les expériences que l'homme a réalisé des progrès techniques admirables, mais l'essentiel pour lui c'est le progrès moral. Pour .y parvenir, il doit, suivre la même méthode que pour tout autre progrès, c'est-à-dire en éprouver le besoin, le croire possible, s'y attacher sans se laisser décourager par les obstacles ou les échecs passagers.

Aucun temps plus propice que celui de la retraite pour des réflexions et des résolutions salutaires. Nulle occasion meilleure pour poser les jalons d'une nouvelle étape dans notre avancement moral et spirituel. Nous disposons, pour cela, de la raison, de la liberté et surtout de la grâce. Celle-ci nous est donnée avec une singulière libéralité ; l'important est que nous y correspondions avec fidélité car si elle nous montre le but à atteindre, si elle nous excite et nous aide au travail exigé par tout progrès, elle n'en respecte pas moins notre liberté. Notre erreur consisterait précisément à ne pas mettre notre raison et notre liberté entièrement au service de la grâce.

Pour éviter une telle erreur, efforçons-nous d'apporter à la retraité les dispositions énumérées l'article 102 des Règles Communes que je résume ainsi : Examinons où en sont nos convictions sur notre fin et notre salut ; quel. est l'état de notre conscience ; quels sont les efforts que nous faisons pour éviter le péché véniel et travailler à notre perfection. Tâchons de nous renouveler dans l'esprit de notre état, dans notre première ferveur ainsi que dans l'esprit de zèle de notre vocation. Apprenons. à noirs connaître avec nos bonnes et nos mauvaises inclinations. Faisons, de même, un examen sérieux sur la manière dont nous nous acquittons des obligations de notre état. Voyons quels fruits nous retirons des sacrements, des exercices de piété et des autres moyens de salut et de perfection que nous offre notre sainte vocation.

Tous ces points sont très importants ; sans en négliger aucun, attachons-nous surtout à améliorer ceux qui, répondant davantage à nos besoins personnels, sont plus susceptibles de nous aider à croître en sainteté. Je crois utile, d'autre part, mes bien chers Frères, de signaler comme chaque année, à votre bonne volonté et à vos efforts, un objectif spécial. Celui que je vous propose est éminemment pratique pour nous. II peut se formuler ainsi. :

« Contribuer à faire régner une plus grande charité fraternelle dans nos Communautés. » 

CHARITE FRATERNELLE

 Le livre des Avis, Leçons et Sentences qui, avec les Constitutions et les Règles Communes, doit être le Vade-mecum des Petits Frères de Marie, traite longuement de la Charité Fraternelle. Il lui consacre, en un enseignement à la fois simple et pratique, dix .chapitres sur quarante. De leur côté, les Circulaires des Supérieurs reviennent souvent sur cette vertu et il n'est guère de retraite où l'on ne nous excite à mieux. la pratiquer. Pourquoi donc en parler encore ? A cause de son extrême importance dans la vie de communauté.

Aussi, sans prétendre épuiser ce sujet, me suis-je proposé de faire, du moins, quelques réflexions sur certains aspects de cette vertu. Je les grouperai comme il suit

I. Excellence de la charité fraternelle.

II Charité dans les jugements et dans les paroles.

III. Pratique des petites vertus.

IV. Fondement de la charité fraternelle. 

I. Excellence de la charité fraternelle.

 Notre-Seigneur enseigne que le commandement l'aimer le prochain est semblable à celui d'aimer Dieu. Il fait de cette vertu la marque distinctive des chrétiens : « C'est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres» (Jean, XIII, 35). Il dit encore à la dernière Cène : « Ceci est mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés» (Jean, XV, 12). En cela comme en tout il a été notre modèle, aimant les siens jusqu'à se livrer pour eux à la mort cruelle de la croix.

Ce bon Maître qui nous ordonne d'aimer même nos ennemis, veut entre ses disciples bien plus qu'une simple juxtaposition extérieure. Il demande une parfaite union des cœurs, si parfaite, qu'il en présente comme modèle la Sainte Trinité elle-même. Il dit en effet à son Père dans la prière qu'Il lui adresse après la Cène : « Qu'ils soient un comme nous » (Jean, VII, 11). Se faisant l'écho du divin Maître, Notre Vénérable Fondateur, dans son Testament Spirituel, s'exprime ainsi : « Je vous prie, mes bien chers Frères, de toute l'affection de mon âme et par toute celle que vous avez pour moi, de faire en sorte que la sainte charité se maintienne toujours parmi vous. Aimez-vous les uns les autres comme Jésus-Christ vous a aimés. Qu'il n'y ait entre vous qu'un même cœur et un même esprit. Qu'on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : « Voyez comme ils s'aiment ! C'est le vœu le plus ardent, à ce dernier moment de ma vie. Oui, mes très chers Frères, écoutez les dernières paroles de votre Père, ce sont celles de notre bien-aimé Sauveur : Aimez-vous les uns les autres. »

 Si la charité est pour nous un grave devoir, elle est aussi la source de grands bienfaits. Ainsi :

Elle nous obtient miséricorde. En effet, Notre-Seigneur nous prévient que l'on usera envers nous de la même mesure dont nous aurons usé envers les autres : « Ne jugez point et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés ; pardonnez et l'on vous. pardonnera » (Luc, VI, 37).

C'est en vertu de cette doctrine que saint Pierre enseigne que la charité couvre la multitude des péchés.

C'est sur la charité que se fondera la sentence de salut ou de réprobation : « Venez, bénis de mon Père : vous m'avez donné à manger et à boire, vous m'avez recueilli, vêtu, visité. etc. … chaque fois que vous l'avez fait au plus petit de mes frères. » Il maudira au contraire, ceux qui ne l'auront pas assisté dans le prochain (Matt., XXV, 34-45).

 2° La charité envers le prochain conditionne la charité envers Dieu. C'est ce qu'enseigne l'apôtre saint Jean : « Si quelqu'un dit : j'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur ; comment celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ? Et nous avons reçu de Dieu. ce commandement : Que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère » (1ière, IV, 20-21). Ce qui fait dire à saint Augustin : « La charité envers Dieu est unie à la charité envers le prochain, comme l'âme au corps »,

 3° La charité fraternelle conditionne aussi la valeur de nos exercices de piété. A l'occasion d'une retraite nous dressons des règlements pour l'oraison, l'examen, la confession, la contrition, etc. …, et c'est très bien, Mais peut-être oublions-nous que la charité et la piété sont intimement liées. La prière a sans doute une grande valeur aux yeux de Dieu., c'est un encens, mais qui ne peut exhaler son parfum sans le feu de l'encensoir, sans un cœur où brûle le feu de la charité.

Notre-Seigneur dit en saint Matthieu : « Si, allant présenter ton offrande à l'autel, tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d'abord te réconcilier avec ton frère » (Ch. V, 23,24). Si la charité était requise pour les rites et les sacrifices de l'ancienne Loi, plus forte raison l'est-elle pour nos pratiques de piété et, surtout, pour nos communions. De même que l'hostie est faite de nombreux grains de froment moulus ensemble pour former une farine homogène, de même les religieux s'approchant ensemble et fréquemment de la. table sainte devraient n'avoir, comme les premiers chrétiens, qu'un cœur et qu'une âme. Si la patène et le tabernacle doivent être d'une grande propreté, ne souillons jamais, par des paroles ou des sentiments peu charitables, notre langue et notre cœur qui, par la communion, se transforment en patène et en tabernacle.

 4° La charité fait le bonheur et la force des. communautés. Chacune d'elles est semblable à un édifice destiné à nous servir de refuge ; mais si la charité manque, l'édifice, dépourvu de cohésion, s'écroulera conformément à l'enseignement de Notre-Seigneur : «Tout royaume divisé contre lui-même tombera en ruines » (Luc, X1, 17). Les difficultés qui proviennent du dehors sont de simples égratignures ; les blessures mortelles sont celles du dedans, celles surtout. qui naissent de la désunion entre confrères.

« Sans la charité, dit saint Jérôme, les couvents sont un enfer et ceux qui les habitent des démons ». L'enfer est, en effet, le séjour de la haine : haine contre Dieu et contre tout ce qui est saint ; haine des démons et des réprouvés entre eux. Si, grâce à Dieu, nos communautés ne sont pas des enfers, n'en est-il pas que le manque de charité transforme parfois en de véritables purgatoires ?

Mais, laissant ce triste tableau, considérons combien, au contraire, il. est doux et agréable pour des Frères d'habiter ensemble, lorsque la charité les unit, lorsqu'ils ne forment qu'une même famille comme le veut la Règle ! (Art. 426).

Quand les Frères s'aiment véritablement, ils s'entraident, ils mettent en commun leurs peines et leurs joies. La communauté pourra être nombreuse, composée de religieux de diverses nationalités, ayant des caractères et des tempéraments très divers, cela n'empêchera pas que l'on y soit heureux parce que, grâce à la charité, on s'y traitera comme des enfants d'Une même Mère, qui est la Congrégation. Telle était la vie de nos premiers frères au témoignage du Frère Jean-Baptiste qui écrit : « La charité, l'union et la paix étaient admirables. Jamais aucune dispute, jamais aucune parole propre à offenser ou à blesser quelqu'un n'a été. entendue parmi. nous, nous nous aimions tous comme des frères ; point d'amitiés particulières, point d'antipathies, point de singularités : nous n'avions tous qu'un cœur et qu'une âme. Quelqu'un était-il dans le besoin, tous les autres rivalisaient de dévouement pour le soulager (Vie du Vénérable Père Champagnat, p. 139).

 5° La charité rend l'apostolat plus facile et plus fécond. Sans elle, toute coopération positive des Frères pour le bien commun est impossible. Ils en arrivent souvent à se paralyser et à se démoraliser mutuellement. Les élèves se rendent aisément compte de la froideur ou de la rivalité qui existe entre les maîtres dont l'influence est, de ce fait, fort amoindrie, parfois même ruinée. De son côté, Dieu ne saurait bénir de telles Maisons, car, comme dit saint Paul : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères, et que je posséderais toute science ; quand j'aurais même toute la foi, jusqu'à. transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien… » (1 Cor., XIIII, 1-2).

La charité .est profitable à l'apostolat non seulement dans l'école, mais encore au dehors. Quelle édification, en effet, pour le publie s'il petit dire : « Voyez comme ces Frères s'aiment bien entre eux ! quelle bonté, quelle déférence ils se témoignent ! Il n'y a parmi eux ni jalousie, ni duplicité, ni intrigue. » Mais, par contre, quel scandale pour les séculiers s'ils entendent les religieux parler mal les uns des autres et se rendre la vie amère par leur mauvais caractère, leur rancune, leur esprit de vengeance, etc. 

II. Charité dans les jugements et dans les paroles.

 Nous sommes ainsi faits que, négligeant aisément le contrôle de nos actions personnelles, nous nous occupons par instinct de la conduite de nos confrères, comme si nous trouvions une excuse à nos propres fautes et défauts en découvrant ou en supposant les mêmes chez autrui. Nous méritons ainsi le reproche de Notre-Seigneur : « Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ? » (Luc, VI, 41).

«Juger, dit le Père Faber, nous devient si naturel que toute action d'autrui, quelque étrangère qu'elle puisse être à nos devoirs et à nos affaires, se présente à notre esprit comme une cause pendante à notre tribunal » (Conférences).

Le malheur c'est que trop souvent, ces jugements portés sur les actions et les intentions du prochain sont dénués de fondement et, d'équité. Saint Bernard nous en avertit en disant : « Il y a beaucoup de choses qu'on regarde comme mauvaises parce qu'on ne les comprend pas ; et quand on les a comprises, elles paraissent raisonnables et justes. » De là ce conseil d'un philosophe chrétien : «Soyez lent à croire et plus lent à juger ».

L'Imitation de Jésus-Christ résume en ces termes les fâcheuses conséquences des jugements téméraires : « En jugeant les autres, l'homme se fatigue inutilement, il se trompe souvent, et tombe dans beaucoup de fautes » (L. I, eh. XIV, 1).  

La charité ne soupçonne pas le mal, dit saint Paul (I Cor., XIII, 5). Fidèles à sa doctrine, ne condamnons personne à la. légère, sur de simples indices. Si par devoir nous devons émettre une opinion sur la conduite de nos Frères, conformons-nous à ce conseil de Notre-Seigneur : « Ne jugez point selon les apparences, mais jugez selon la justice » (Jean, VII, 24).

Comme nous y invite la Règle (Art. 439), dépouillons-nous de tout motif d'intérêt propre, prenant pour règle la charité qui, dans le doute, est toujours portée à interpréter en bien plutôt qu'en. mal et qui est indulgente, même s'il s'agit de choses certaines.

Nous lisons dans une des lettres de sainte Thérèse : « Si je remarque en quelques personnes des choses qui. paraissent visiblement être des péchés, je ne puis me résoudre à croire que ces personnes offensent Dieu, parce qu'il me paraît que chacun désire, comme moi, de fui plaire. Il m'a fait cette grâce signalée de ne m'arrêter jamais volontairement à penser aux défauts des autres, quand. ils se présentent à mon esprit. Au lieu de m'y arrêter, je considère aussitôt ce qu'il y a de bon dans ces personnes. » Sainte Thérèse de Lisieux a, sur ce point, une formule lapidaire : « Ne soyons pas des juges de paix, soyons plutôt des anges de paix ».

Il n'est pas rare qu'à la précipitation, et à l'ignorance dans la façon de juger le prochain, s'ajoutent la jalousie, l'ambition, l'esprit de vengeance. Pour les actes du prochain, le cœur de chacun est comparable à une plaque photographique, apte à capter les images favorables ou défavorables selon les sentiments qui l'animent. S'il est plein de bonté il jette un voile sur les fautes du prochain, autant qu'il peut le faire sans responsabilité. Mais, s'il a de la malice, il interprète mal même les meilleures actions.

Les pensées et les jugements se traduisent en général dans les paroles, car la langue parle de l'abondance du cœur. Elle peut ainsi faire beaucoup de bien ou malheureusement beaucoup de mal dans la vie quotidienne, car on est plutôt porté à blâmer qu'à louer son prochain. Ce qui l'ait dire à saint Jérôme : « Combien de conversations malfaisantes parmi les personnes qu'on appelle bonnes ! d'une façon instinctive elles s'érigent en tribunal de Pilate où l'innocent est condamné, le prochain dévoré. »

On éprouve une grande horreur devant la possibilité d'un sacrilège ou d'une faute contre la belle vertu, mais on ne pense pas assez que « la langue mal réglée est un monde d'iniquité » (saint Jacques).

« Il y en a, dit le Père Saint-Jure, qui tiennent pour une minutie le fait de parler mal du prochain ; ils se font ainsi, petit à petit, une conscience erronée. Ils n'accusent pas ces fautes en confession ou, s'ils les accusent, c'est sans repentir et sans penser au dommage qu'ils ont causé ; de là vient qu'ils ne s'amendent guère et que la médisance devient à tel point le thème obligé de leurs conversations ; qu'elle ne manque en aucune, pas plus que le pain dans un repas. »

Notre-Seigneur, s'approchant des disciples d'Emmaüs, leur demande : De quoi parlez-vous ? Si pendant nos récréations, ou à l'occasion de certaines réunions de confrères, le bon Maître survenait et nous posait la même question : De quoi parlez-vous ? ne serions-nous pas un peu gênés quelquefois ? Ne devrions-nous pas répondre : Seigneur, vous venez à un mauvais moment ! Ce qui alimentait notre conversation, hélas ! c'était, comme trop souvent, des plaintes, des railleries, des critiques…

« En religion, dit le Vénérable Fondateur, on est plus à couvert de l'avarice, de l'ambition ; mais on y est plus souvent sujet aux murmures, aux querelles, à la médisance, etc. Or, qu'importe qu'on se damne pour tel ou tel péché, si l'on est, en effet, assez malheureux pour se damner, dit Bourdaloue » (Avis, Leçons et Sentences, p. 258).

Préservons-nous de l'habitude de murmurer et de critiquer, car une fois contractée, il est fort difficile, aussi bien pour les individus que pour les communautés, de s'en corriger : c'est de l'ivraie qui repousse sans cesse. Rappelons-nous, à ce sujet, l'exemple du peuple hébreu au désert : Dieu, pour punir ses plaintes, se vit contraint de le décimer plusieurs fois ; malgré ces châtiments, il ne se convertit pas et, sur un total de plus de six cent mille personnes sorties de l'Égypte, seuls Caleb et Josué se préservèrent de ce défaut et purent entrer dans la Terre Promise.

Remarquons, en passant, que l'on peut appliquer la correspondance ce que nous disons des écarts de la langue. Il est des religieux qui ne peuvent écrire sans blesser la charité. Trop souvent leurs lettres sont le véhicule de rapports malveillants, d'insinuations ou de réticences malicieuses, etc. Faisons en sorte que toutes nos lettres respectent la réputation du prochain et soient des modèles de délicatesse dans les termes et dans les idées.

Parmi les fautes communes aux religieux nous ne nommerons pas la calomnie, car elle présuppose un degré de méchanceté qui ne saurait se trouver dans une conscience moyennement délicate. Mais il y a d'autres fautes malheureusement plus fréquentes. En voici quelques-unes unes.

Médire ou découvrir sans nécessité les fautes ou les défauts du prochain.

Ridiculiser les confrères, faire de l'esprit à leurs dépens, sous prétexte d'agrémenter la conversation..

Trouver à redire aux manières, au langage, à la démarche, etc., non pour pratiquer l'avertissement fraternel, mais pour humilier, au risque, surtout s'il s'agit de jeunes confrères, de les décourager.

Rendre la vertu suspecte en interprétant d'une façon défavorable les meilleures intentions ; taxant la piété et la régularité d'hypocrisie ; la charité et le zèle, de vanité et d'ambition ; voyant de l'exagération dans la fermeté ; de la faiblesse dans la condescendance, etc.

Épier les gestes du prochain. et leur donner, en les divulguant, une interprétation qui les dénature.

Raconter aux confrères, pour se faire valoir, ce que l'on a entendu de défavorable à leur sujet, contribuant ainsi à créer des inimitiés souvent tenaces.

Murmurer de ce qui est ordonné, parfois même sans se donner le temps d'en examiner le bien-fondé. Ceux qui agissent ainsi cèdent trop souvent à leur amour-propre contrarié ou à la triste habitude de trouver à redire à tout. Même quand il y a erreur évidente dans les ordres d'un Supérieur, c'est en particulier et non en public qu'il faut le l'aire observer.

Critiquer les confrères qui sont en charge : Frère Directeur, Frère Econome, etc. … , ou ceux qui sont à la tète d'une oeuvre : Action Catholique, Croisade, Sports, etc., paralysant ainsi les bonnes volontés.

S'abriter derrière des on dit…, comme derrière un personnage mystérieux, pour mieux. faire accepter des propos peu charitables. Ce sont d'abord des rumeurs qui, en passant de bouche en bouche, acquièrent de la consistance et finissent par être acceptées comme des faits irrécusables.

Abuser, de la conjonction mais… comparée, avec raison, à un souffle glacial ou à un liquide corrosif qui porte atteinte à l'estime dont jouit un confrère ainsi qu'à son mérite : « Il a telles et telles qualités, mais… Ce n'est pas mal qu'on fasse ceci ou cela, mais… » La liste serait longue de ces mais… dont on prend facilement l'habitude si. l'on n'a pas le souci de pratiquer la charité fraternelle avec toute la perfection possible.

Le médisant a parfois recours à de bons mots, vifs et plaisants, à des louanges suivies d'une certaine restriction et de certaines réserves. C'est l'art de ceux auxquels David a dit : « Votre bouche était pleine de malice, mais votre langue savait parfaitement l'art de déguiser ». Saint Jean Chrysostome en donne cette explication : « Comme la médisance est en elle-même une sorte de lâcheté, on n'aurait pour elle que du mépris si elle se manifestait trop naturellement et voilà pourquoi elle se farde aux yeux des hommes, mais d'une manière qui la rend encore plus méprisable et plus répréhensible aux yeux de Dieu. » 

Gravité des péchés de la langue.

Il est aisé de comprendre la gravité des péchés de la langue par les ravages qu'ils causent. Le Sage dit à leur sujet : « Beaucoup ont péri par le tranchant de l'épée, mais pas autant que ceux qui ont péri par la langue ». (Eccl. XXVIII, 18). Aussi la Règle (Art. 450) exhorte-t-elle les Frères à « se garder de toute médisance et à ne parler jamais, même entre eux, des défauts et des fautes de leurs confrères ou de leurs élèves, se rappelant que la médisance est en horreur à Dieu et que, selon l'Ecriture, la mauvaise langue est digne de malédiction » (Eccl. XXVIII., 13).

Les paroles contraires à la charité ont été comparées à des flèches qui, rebondissant, blessent ceux qui les profèrent. De tels péchés varient :

a) Selon la qualité de celui qui les commet et la valeur que l'on attache à ses propos. Ainsi, s'il est tenu pour prudent, s'il a du talent, s'il est en charge, ses dires auront plus de poids et sa responsabilité en sera d'autant plus grande..

b) Selon la qualité de celui dont on diminue la réputation et le besoin qu'il a de cette dernière pour l'exercice de son emploi. Il peut résulter un grand mal des paroles qui contribuent à miner l'autorité d'un Supérieur auprès de ses Frères ou d'un maître à l'égard de ses élèves.

e) Selon l'intention de celui qui blesse la charité. Si, se laissant guider par de mauvais sentiments a la vue des succès d'un confrère, il s'applique à le rabaisser aux yeux du prochain, il sera plus coupable que s'il agit simplement par habitude ou par légèreté.

d) Selon le nombre des personnes qui entendent et peuvent colporter les propos peu charitables. Tel un rocher qui, se détachant du haut de la montagne cause des dégâts sur tout son parcours, la médisance passe de l'un à l'autre, semant partout ses méfaits.

Il est des religieux qui manquent à la charité devant tels et tels confrères mais se taisent devant d'autres. Les premiers devraient comprendre qu'on tient leur conscience pour moins délicate, ce qui n'est nullement flatteur pour eux.

Il ne suffit pas d'accuser en confession les péchés de la langue, il faut de plus réparer le tort ainsi causé car, s'il est indispensable de restituer des biens matériels, il ne l'est pas moins de rendre aux. confrères la bonne réputation qu'on leur a ravie. Mais cette réparation étant souvent impossible, il reste l'obligation de faire pénitence pour les fautes commises.

 « Comment éviter les péchés de la langue ? « Qui, demande le Sage, mettra une garde à ma bouche et un sceau à mes lèvres, afin qu'elles ne me fassent pas tomber et que ma langue ne me perde point ? » (Eccl. XXII, 25). Saint Bernard répond : 1° ne parlez du prochain que pour en dire du bien, sinon taisez-vous ; 2° qu'il sache qu'étant absent vous le défendrez ; 3° ne dites jamais en son absence ce que vous ne diriez pas devant lui. Ajoutons que prier pour le coupable lui serait plus avantageux que de parler de ses .fautes en son absence.

Si notre charge ou notre âge nous font un devoir de défendre les absents, ne craignons pas d'intervenir. Imitons saint Vincent de Paul qui, entendant mal parler de quelqu'un mettait plus d'éloquence à le défendre que s'il se fût agi de lui-même. S'il ne nous appartient pas d'intervenir, que du. moins notre silence et notre réserve soient une désapprobation tacite dos médisants. La. médisance, comme la. fausse monnaie, circule, non seulement, par la. faute de ceux qui la fabriquent, mais encore par la faute de ceux qui la reçoivent sans examen.

Dans son exhortation du 23 mars 1951 aux membres du Chapitre Général. des Frères Mineurs, Sa Sainteté Pie XII donnait cette consigne qui contient tout un programme pour la pratique de la charité : « Resplendissez d'une charité sans limite pour Dieu et le prochain. Serait-il permis des mêmes lèvres de louer Dieu et de blesser, même légèrement, la charité fraternelle ? La charité excuse plutôt qu'elle n'accuse ou, si elle a des rigueurs, dans un cœur où elle existe vraiment et sincèrement, c'est pour arracher les racines amères de la discorde, pour entretenir la concorde et plier au joug de l'obéissance un front trop orgueilleux. » 

III. Pratique des petites vertus.

 Pour le maintien de la charité en communauté, notre Vénérable Fondateur attachait une grande importance aux petites vertus. C'est pourquoi il me semble très utile d'exposer brièvement le rôle de certaines d'entre elles, insistant surtout : 1° sur l'indulgence et le support mutuel ; 2° sur la charitable sollicitude, la serviabilité, l'affabilité, prenant ces vertus dans un sens plutôt large.

       1° Indulgence et support mutuel.

 En bien des cas l'indulgence se confond avec le support mutuel. On ne la .pratique pas sans efforts car notre naturel nous porte plutôt à la sévérité envers le prochain. Ceci est dû en particulier : 1° à la connaissance que nous avons des exigences de l'état religieux ; 2° à la vie en commun, parfois pendant des années, avec les mêmes confrères, ce qui nous en fait mieux percevoir les défauts ; 3° aux soucis de la classe et de la discipline à y maintenir qui aiguisent en nous la sensibilité et le sens de l'observation.

Pour être indulgent, il faut de la psychologie» et de la prudence afin de ne pas prêter trop facilement foi à ce qui est dit du prochain. Il n'est pas rare, en effet, qu'involontairement, ceux qui lui trouvent à redire altèrent les faits selon leur imagination, leur facilité de parole, l'irritation du moment ou. d'autres circonstances.

Si sur des faits indifférents les .appréciations de divers témoins varient parfois beaucoup, comment s'accorderont-ils quand les.. passions entrent en jeu ? C'est ainsi que les pharisiens, à cause de la méchanceté de leur cœur, jugeaient avec tant d'injustice tous les actes de Notre-Seigneur.

Le divin Maître signale clairement la nécessité de la prudence dans les jugements quand il dit aux Juifs « Vous autres, vous jugez selon la chair, moi je ne juge personne et, si je juge, mon jugement est équitable » (Jean, VIII, 15-16).

Sainte Thérèse connaissait fort bien la faiblesse humaine et le besoin de prudence quand, pour la visite des monastères, elle adoptait cette règle de conduite : « Je ne croirai .que la' moitié des plaintes des prieures ». Et cependant, c'est elle-même qui les avait choisies ; elle les savait incapables de vouloir tromper, niais non à l'abri d'appréciations erronées. A son exemple, tenons-nous sur nos gardes en entendant des rapports défavorables à nos confrères : ce sent des religieux comme nous, ils ont accepté les mêmes sacrifices, ils travaillent comme nous au service de Dieu. Cela leur confère un droit strict à notre confiance tant qu'ils n'ont pas démérité d'une façon évidente.

On manque parfois de condescendance entre confrères à cause de la diversité des caractères. Tous les caractères ont leurs qualités et leurs défauts, il serait injuste de trop s'arrêter sur ces derniers.

D'autres fois, c'est la différence d'âge qui porte à une sévérité réciproque. Outre que cette différence est inévitable et qu'il faut, par conséquent, s'y adapter, la jeunesse et la vieillesse se complètent admirablement : si la première a pour elle l'enthousiasme et un certain amour des innovations, ln seconde possède le calme et l'expérience qui font éviter la témérité et la présomption.

Chez quelques-uns, c'est la politique ou le nationalisme qui devient une pierre d'achoppement par les jugements qu'ils portent sur leurs confrères. De là, des contestations et des disputes qui sont la ruine de la charité et de l'esprit de famille. La Règle (Art. 427) nous met en garde contre ce funeste écueil de la vie de communauté.

Le désaccord peut provenir aussi d'un désir d'innovation chez les uns qui ne trouve pas .d'écho chez les autres. A ce propos, le Cardinal Suhard disait à ses prêtres en 1946, à l'occasion de leur retraite : « Un des réels malaises de l'heure présente c'est l'esprit de critique. Il est à double sens. Les « modernes », faisant valoir que les « temps sont changés», demandent ou entreprennent des réformés. Rien de ce qui s'est fait avant eux ne trouve grâce à leurs yeux. Il faut abattre et aller de l'avant. Les « anciens » s'étonnent ou se scandalisent de ces audaces ou de cette présomption. Ils signalent le danger de ces « générations critiques ». Mais certains ne tombent-ils pas dans l'excès qu'ils condamnent ? Critiquer la critique, c'est encore critiquer. Le réflexe de défense ou de refus auxine] ils cèdent est-il toujours plus clairvoyant et plus charitable que l'appétit de nouveauté qu'ils stigmatisent ?

« Il est vrai qu'il y aurait naïveté ou suffisance chez les novateurs à refuser le fruit d'une sagesse éprouvée par le temps et à ériger leurs méthodes en absolu, comme si les travaux d'aujourd'hui ne devaient pas avoir demain leurs insuffisances et leurs juges. Mais, pour condamner ces initiatives, tient-on toujours compte des intentions, des efforts, des faux pas inévitables et des espoirs d'avenir

Aussi la solution n'est-elle pas dans ces excommunications réciproques. Il faut la chercher plus haut : dans une charité informée et compréhensive. C'est ce qu'un grand nombre de prêtres ont compris. De leurs concessions mutuelles est né un progrès : les exubérances se tempèrent de prudence et les routines consentent aux essais.

La charité demande que nous n'exagérions pas les torts de nos Frères. Pourquoi n'excuserions-nous pas autant que possible leurs manquements, nous qui nous excusons si facilement, invoquant des circonstances atténuantes à la plupart de nos fautes ?

Alors même qu'une faute serait évidente, nous devrions nous en tenir à la sage doctrine de saint Bernard : « Excusez l'intention si vous ne pouvez nier l'acte ; demandez-vous ce que vous auriez fait si vous aviez été en butte aux mêmes tentations. »

Il faut, de plus, bien distinguer entre le péché et le pécheur, entre la malice et la fragilité, entre l'endurcissement et le repentir si l'on veut être équitable pour les défauts, fautes ou oublis du prochain.

En disant qu'une faute a été commise par malice, mauvaise volonté, désir de nuire, etc., nous oublions que la culpabilité humaine est un mystère. Elle dépend des dispositions intérieures qui échappent à nos regards et elle est bien diminuée par l'ignorance, les déficiences physiologiques, les illusions et les tentations. Sans accepter un déterminisme qui nierait toute responsabilité, il nous faut admettre qu'une nervosité excessive, les crises inhérentes à l'âge, le découragement, l'aboulie, l'obsession et mille autres circonstances peuvent la diminuer considérablement.

Quel modèle admirable nous est encore ici Notre-Seigneur ! Ses ennemis paraissent n'avoir droit qu'à sa malédiction et cependant, avant de mourir victime de leur abominable cruauté, il n'a qu'un cri : « Mon Père, pardonnez-leur car ils ne savent ce qu'ils font ». Saint Pierre profite à tel point de la leçon du Maître que peu de jours après il. disait aux Juifs : « Vous avez donné la mort à l'auteur de la vie, mais je sais bien, mes frères, que vous avez agi par ignorance comme vos magistrats

Etre indulgent, ce n'est pas céder sur les principes, mais c'est éviter de les appliquer d'une façon trop absolue. Nous pouvons suivre le droit chemin, alors même que d'autres s'en écarteraient, nous pouvons réfuter des opinions erronées, mais en prenant soin de ménager les personnes afin que le choc des idées ne nuise pas à l'union des esprits et des cœurs.

Etre indulgent n'exige pas non plus que nous approuvions toujours la conduite du prochain, ce serait parfois pusillanimité ou adulation plutôt que charité. Prétendre ne voir chez nos Frères que des qualités, fermant les veux sur leurs fautes et défauts, pourrait nous exposer à blesser notre conscience. Ceci est surtout vrai pour un Supérieur qui a le devoir d'observer et de savoir afin d'être à même de diriger et de corriger ; mais c'est également vrai pour tous ceux dont le silence et la passivité pourraient contribuer à l'extension et à l'aggravation du mal. Ainsi, il y aurait faute pour des Frères profès à ne pas donner leur avis comme le requiert la Règle pour l'admission aux vœux de leurs jeunes confrères. Ils exposent ainsi le Conseil Provincial à refuser des aspirants qui ont vraiment la vocation ou, au contraire, à laisser avancer des sujets indésirables.

Parfois l'affection naturelle nous aveugle et nous fait excuser chez les uns ce que nous condamnons chez les autres. L'indulgence n'exclut pas la justice : elle dirige le cœur sans aveugler l'esprit. Voir ce qui est défectueux, c'est rectitude de jugement et le moyen d'aider les âmes à se connaître et à se corriger.

L'indulgence s'acquiert généralement avec l'âge si l'on s'applique à la cultiver. Ainsi un biographe du saint Curé d'Ars dit de lui. que, tout d'abord il fut sévère pour lui-même et un peu aussi pour les autres, mais qu'avec les années, il ne le fut plus que pour lui seul..

Un Frère était enclin à juger sévèrement ses Supérieurs ; devenu Supérieur à son tour et critiqué lui-même, il comprit mieux combien il est difficile, quand on est en charge, de satisfaire tout le monde ; il comprit également qu'il faut tenir compte, chez les inférieurs, de ce qu'il appelait l'élément humain. Sachons tenir compte de cet élément humain chez tous nos Frères, chez ceux qui commandent comme chez ceux qui obéissent, mais spécialement chez les plus jeunes. Leur demander une perfection qui n'est pas de leur lige, c'est oublier que l'on a été jeune et tomber dans l'erreur d'un maître qui, chargé de tout petits enfants, se plaignait de leur peu de savoir.

Nous cultiverons en nous l'indulgence surtout : a) par l'examen quotidien qui, nous montrant nos déficiences, nous rendra moins exigeants pour les autres ; b) par des actes fréquents de cette vertu dans nos jugements, nos paroles et nos décisions ; c) par des efforts constants à nous maintenir dans des sentiments d'humilité qui nous fassent estimer les autres plus vertueux que nous.

Les Supérieurs chercheraient en vain des inférieurs sans défauts et ceux-ci ne trouveront jamais des Supérieurs parfaits. Un Frère Directeur disait à un confrère, dans l'intimité : « Je suis persuadé que si certains de mes Frères pouvaient choisir leur Directeur ce n'est pas à moi qu'iraient leurs préférences ; mais ils ne se doutent pas que si j'avais, de même, à choisir ma communauté, plusieurs d'entre eux n'en feraient jamais partie ».

C'est un fait d'expérience qu'en général les hommes se comportent envers leur prochain comme celui-ci se comporte à leur égard. Un journal américain rapportait récemment, à ce sujet, l'anecdote suivante qui trouve son application même parfois dans les communautés religieuses :

« Un étranger, arrivant pour la première fois dans une bourgade, avise un bon 'vieillard qui fumait tranquillement sa pipe, assis sur un banc au soleil.

« Dites-moi, mon brave, je viens m'installer dans ce pays, aussi j'aimerais beaucoup savoir couinant sont les gens par ici..

– Comment étaient-ils dans le pays d'où vous venez ?

– Des gens impossibles, acariâtres, querelleurs, mesquins, la plus belle collection de mauvais garnements que j'aie jamais vue !

– Vous les trouverez, hélas ! exactement pareils ici.

Le lendemain, le même vieillard voit s'avancer un homme à. la figure ouverte et joviale.

« Dites-moi, mon brave, je viens m'installer dans ce pays. Pouvez-vous me dire comment saut les gens par ici ?

– Comment étaient-ils dans le pays d'où vous venez ?

– Sympathiques, cordiaux, toujours prêts à faire plaisir, ne sachant, que faire pour être agréables.

– Grâce à Dieu, vous les trouverez tous pareils ici. »

Ces deux réponses étaient la sagesse même. Faisons-en, au besoin, notre profit.

Quand nous trouvons pénible la compagnie de certains confrères, sachons faire de nécessité vertu ; rappelons-nous ce sage conseil de I'Imitation de Jésus-Christ : « Appliquez-vous à supporter avec patience les défauts de vos Frères et leurs faiblesses quelles qu'elles soient ; n'est-il pas en vous bien des choses que vos Frères doivent supporter ? Et si vous ne pouvez vous rendre tel que vous désirez, comment, pourrez-vous réformer les autres à votre gré P (L. I, Ch. XIV, 2).

On attribue à saint François d'Assise la prière suivante que nous devrions faire nôtre et traduire en actes :

« Seigneur ! faites de moi un instrument de paix.

Faites que là où il y a de la haine je sème l'amour. Au lieu de l'injure, le pardon. Là, où il y a le doute, la foi ; où il y a le désespoir, l'espérance ; où il y a ténèbres, la lumière ; où il y a tristesse, la joie.

Ô divin Maître ! obtenez-moi de moins chercher à être consolé que consoler les autres ; être compris que comprendre ; être aimé des autres, que les aimer ; car, c'est en donnant que nous recevons, en pardonnant que nous sommes pardonnés et c'est en mourant que nous naissons à la vie éternelle. » 

2° Charitable sollicitude, affabilité, serviabilité

« Les chrétiens, dit René Bazin, devraient être les plus aimables des hommes ». Ne peut-on pas dire également que les religieux devraient être les plus aimables des chrétiens, s'efforçant de faire plaisir à. leurs confrères dans les choses les plus insignifiantes ?

Rarement le bonheur de ceux qui nous entourent dépend d'événements importants ; il est, lé plus souvent, le résultat de gestes et d'actes sans relief, mais souverainement efficaces et dont seul un bon cœur a le secret.

Celui qui est charitable, loin d'imiter un formalisme mondain dépourvu de sincérité, tache toujours, en toute simplicité, de donner aux autres des marques de déférence. II réserve, à qui l'approche, un accueil bienveillant, souriant même, sans jamais témoigner de contrariété autant qu'il le peut. Il épargne toute peine au prochain, dût-il en souffrir lui-même. Qu'il commande ou qu'il obéisse, il y met tant de délicatesse que l'exercice de l'autorité, aussi bien que celui de l'obéissance, s'en trouvent grandement facilités. Pour être aimable de la sorte, il n'est besoin ni d'exceptionnelles qualités extérieures ni de beaucoup de science, il suffit de posséder une vraie charité qui, provenant du cœur, attire les cœurs.

 La charité doit nous rendre serviables. La Règle nous y invite en ces termes : « C'est en se rendant service en toute occasion, en s'aidant et en se. supportant mutuellement, que les Frères se témoigneront l'affection qu'ils se portent ; rien ne doit leur coûter lorsqu'il s'agit d'assister ceux qui sont dans le besoin (Art. 431).

C'est un grand bien que de vivre avec des confrères qui savent, le cas échéant, payer de leur personne, remplacer pour un travail, prêter ou céder un objet, assister un confrère malade, etc. … La joie et le mérite du dévouement suffisent à un bon religieux pour se sacrifier sans compter en faveur de ses Frères, sachant qu'au. delà de ce qui est de stricte obligation, s'étend le champ très vaste de la délicatesse.

N'imitons pas les religieux habiles à trouver des prétextes pour se soustraire à un devoir de charité. Suivons plutôt l'exemple des confrères qui semblent posséder le don de bilocation ou celui de multiplier le temps pour être toujours à la disposition de tous ceux qui recourent 'à eux.

Certains Frères, d'ailleurs serviables, ont parfois, lorsqu'ils sont sollicités, des saillies d'humeur qui sont plutôt l'effet d'une mauvaise habitude que l'expression de leurs vrais sentiments. D'autres veulent bien rendre service mais ils se font trop attendre. Ces saillies d'humeur et ces délais sont Fort regrettables car les services rendus de la sorte sont en général peu appréciés ; aussi n'est-il pas rare que l'on préfère s'en passer. L'esprit de service porte à prévenir la demande, à deviner et à faire ce qui paraît utile, agréable et opportun. II excelle surtout à venir en aide, d'une façon discrète et intelligente, aux confrères timides qui n'osent pas demander un service dont ils auraient besoin.

Nous croyons parfois être très bien disposés pour un confrère. Nous sommes prêts, pensons-nous, à donner notre vie pour lui et cependant nous tardons peut-être à satisfaire ses désirs, à l'aider dans un travail, à répondre à une lettre pressante qui traîne sur notre bureau, autant de choses qui lui seraient actuellement plus utiles que le don de notre vie. Ce qui nous manque alors pour servir, ce n'est le plus souvent ni le temps ni les aptitudes, mais de savoir nous gêner, de savoir nous mettre à la place du confrère afin de le traiter comme nous voudrions l'être en pareille circonstance.

La charité doit nous faire trouver un réel plaisir non seulement à rendre service mais encore à le demander pour nous, donnant ainsi aux confrères une preuve de confiance qui contribue à alimenter l'esprit fraternel. Celui qui demande un service doit employer les formules de politesse en usage parmi les personnes de bonne éducation et que l'on est parfois trop enclins à tenir pour superflues entre confrères. Ces formules disposent favorablement celui qui est sollicité et ne sont nullement déplacées chez des éducateurs qui doivent les enseigner à leurs disciples.

 La charité porte à témoigner de l'intérêt au prochain. En général nous pensons trop à nous-mêmes. Nous nous inquiétons beaucoup de notre santé, de nos travaux, de notre tranquillité, de nos élèves, de nos familles, de nos peines, de nos joies, de nos soucis, etc., mais pas suffisamment de ce qui se rapporte à nos confrères. Nous trouvons mal qu'on ne nous écoute pas quand nous parlons de ce qui nous concerne, sans nous apercevoir que nous commettons la même faute quand nous nous montrons indifférents pour ce qui regarde les autres. Sachons nous intéresser, avec grande sympathie, à la santé de nos confrères, à leurs études et aux résultats obtenus, à leurs difficultés, à leurs préoccupations, à leurs besoins, à leur emploi.

Disons, en passant, qu'il est une forme déplacée de témoigner de l'intérêt ; elle consiste à s'ingérer, sans raison, dans la conduite et le travail d'autrui. Sans doute, le bien des confrères, autant que le nôtre, exige-t-il que nous mettions en commun nos talents, nos projets et nos entreprises, mais nous ne pouvons le faire avec fruit qu'en nous maintenant dans les bornes de la discrétion.

La charitable sollicitude doit nous porter à encourager nos confrères : ceux qui se sentent envahis par le dégoût de leur emploi ou de leur vocation ; ceux qui se concentrent en eux-mêmes, ruminant leurs peines en. secret et pour lesquels un bon conseil, un mot aimable seraient comme le rayon de soleil qui dissipe les nuages et redonne espoir. Encourageons ceux qui, placés par l'obéissance à la tête d'une oeuvre quelconque : pieuse, sportive, sociale, etc., sont exposés à tout abandonner si, au lieu de sympathie, ils trouvent autour d'eux froideur, indifférence ou même critique.

Pour encourager, il n'est nullement besoin d'aduler mais il faut savoir bannir les sentiments de jalousie qui tendraient à diminuer le mérite des confrères et à dénaturer leurs meilleures intentions. Le Vénérable Père Champagnat fut en butte à cette jalousie dans la fondation de l'institut ; bien des saints, entre autres le saint Curé d'Ars, saint Jean Bosco, connurent également cette incompréhension de la part de leurs confrères.

Si un confrère se distingue par le talent ou par la vertu, au lieu de le jalouser sachons reconnaître son mérite, applaudissons à ses succès, tâchons d'en informer les autres, surtout les Supérieurs auxquels, par modestie, l'intéressé bien souvent ne fera pas connaître ce qui est à son avantage.

La Règle nous prescrit d'être plus spécialement pleins d'égards, bons et affables, envers les Frères âgés, infirmes ou malades et envers les jeunes Frères (Art. 258-259).

Les Frères âgés ou infirmes se rendent compte aisément qu'ils ne sont plus ce qu'ils furent. Cette constatation est particulièrement pénible pour certains car, si avec l'âge les sens et les facultés s'émoussent, la sensibilité, au contraire, s'accroît. C'est dire le soin avec lequel il faut éviter toute indélicatesse à leur égard.

Pour les Frères malades, je ne puis que vous renvoyer à la circulaire qui leur a été consacrée.

Quant aux jeunes Frères, disons simplement qu'ils aiment qu'on s'intéresse à eux, qu'on remarque leur bonne volonté et leurs efforts, qu'on les aide à résoudre leurs difficultés. ils sont, en général, trop portés à croire qu'on les oublie, qu'on les tient à l'écart à cause de leur inexpérience. Sans leur épargner toute occasion de se vaincre et de se faire une âme virile, il faut seconder leurs efforts ; être, au besoin, leur soutien et leur sage conseiller.

Evitons le travers de ceux qui sont plus affables envers les étrangers qu'envers les confrères. Notre charité doit s'étendre d'abord à ceux dont nous partageons la vocation et avec qui nous passons la plus grande partie de notre temps.

       IV. Fondement de la charité fraternelle.

L'esprit de foi est le fondement et le régulateur de la charité fraternelle. Cette pensée est longuement développée par le P. Longhaye, S. J., dans son livre, La Retraite de huit jours ; les réflexions qui suivent s'en inspirent.

Sans la lumière de la foi que verrons-nous dans nos Frères ? Uniquement des hommes avec lesquels nous sommes obligés de vivre, qu'il convient de traiter, de respecter, de supporter comme nous désirons qu'ils nous traitent, nous respectent et nous supportent. Nous leur viendrons peut-être en aide quelquefois, mais tout juste assez pour qu'ils nous aident également le cas échéant. La nature et la raison ne peuvent dépasser ces pauvres calculs et s'affranchir du grand fonds d'égoïsme qui sommeille en chacun, de nous.

Si l'esprit de foi nous manque, guidés par la sympathie ou par l'antipathie, nous verrons .dans tels confrères des amis, d'autres nous seront indifférents ; certains, peut-être, nous apparaîtront comme des rivaux.

L'esprit de foi nous montre en nos Frères d'autres Jésus-Christ, conformément à la doctrine du divin Maître : « Ce que vous faites au moindre de vos Frères, c'est à moi que vous le faites ». En vertu de ce principe surnaturel, nous ne saurions mésestimer ou mépriser aucun de nos Frères.

Cette image divine n'apparaît pas chez tous avec la. même évidence ; c'est pourquoi nous pourrons éprouver des préférences pour les plus vertueux sans néanmoins mépriser lés autres.

Tu dois, par amour, disait, Notre-Seigneur à une sainte religieuse, Benigna Consolata Ferrero, considérer dorénavant tes sœurs comme autant d'hosties consacrées, dans lesquelles, à travers h apparences parfois défectueuses, tu ne vois plus que moi. Cela te rendra égale avec toutes, parce que tu ne feras plus de distinction : un seul est ton Jésus, caché dans quelque personne que ce soit » (Sa Vie, p. 130).

La charité qui s'appuie sur l'esprit de foi est durable ; elle n'est pas sujette aux mille accidents qui diminuent, ébranlent ou détruisent les affections purement humaines. La mort elle-même est impuissante à la détruire car si, comme dit saint Paul, la mort ne doit pas nous séparer de l'amour du Christ, elle ne doit pas nous séparer non plus de l'amour de nos Frères qui sont, comme nous, membres du Corps Mystique dont le Christ est le Chef.

Grâce à l'esprit de foi, notre charité ne sera pas conditionnelle : nous aimerons nos Frères quelle que soit leur conduite à notre égard. Nous offenseraient-ils que nous ne pourrions en tirer vengeance sans offenser Jésus-Christ ; car, peut-on blesser un membre sans que la tête et le corps entier en souffrent ?

Si Notre-Seigneur venait dans quelqu'une de nos communautés, nous trouverions tout naturel de le servir, de sacrifier nos goûts, de nous déranger. Nous ne garderions pas pour nous ce qu'il y a de meilleur, nous ne serions pas indifférents à se peines et à ses joies. Nous serions aimables envers Lui, serviables, discrets et nullement froids ou taciturnes, daignant à peine faire effort pour Lui parler et pour L'écouter. Sa. compagnie nous serait agréable. Tâchons de nous convaincre que Notre-Seigneur est réellement au milieu de nous, que c'est avec Lui que nous nous récréons, que nous parlons, que nous travaillons lorsque nous le faisons avec nos Frères. Cette pensée de Notre-Seigneur, présent en chacun de nos Frères, n'empêchera pas qu'il y ait des croix dans nos communautés, mais elles ne seront pas un obstacle aux joies intimes de l'âme parce que nous les porterons ensemble avec soumission à la volonté divine.

Pour assurer le règne de la vraie charité, nos communautés devraient s'appliquer à reproduire la vie de la Sainte Famille à Nazareth. Jésus, Marie et Joseph furent unis comme le sont de toute éternité les trois divines personnes… Plût à Dieu que notre union étant semblable à la leur, rien parmi nous ne fût capable de porter atteinte à l'amour réciproque qui doit régner entre les Supérieurs et les inférieurs ainsi qu'entre tous les membres, de telle façon que Notre-Seigneur pût habiter parmi nous avec la même complaisance qu'il habitait avec la Sainte Vierge et saint Joseph. Plaise à Dieu que nos Anges Gardiens puissent dire à la vue de notre charité fraternelle : « Vraiment, Notre-Seigneur habite cette maison, elle est la maison de Dieu et la porte du ciel. »

La maison de Nazareth est, mes bien chers Frères, la seule dont le frontispice aurait pu porter cette inscription : « lei il n'y a. point d'égoïsme ». Qu'au moins l'on puisse dire de toutes les nôtres : « ici on combat l'égoïsme pour faire régner la charité fraternelle, l'amour mutuel ». 

En l'honneur

de l'Immaculée Conception

 Par un sentiment. naturel, l'enfant bien né saisit avec empressement toutes les occasions favorables pour témoigner à sa mère l'amour qu'il fui porte.

Pourrions-nous agir autrement envers la Très Sainte Vierge Marie, nous, ses enfants privilégiés, qui devons incomparablement plus à cette Mère du Ciel, qu'un fils ne doit à la meilleure des mères

C'est avec bonheur et un saint enthousiasme que nous envisageons l'approche du Centenaire de la proclamation du Dogme de l'Immaculée Conception !

C'est un devoir qui s'impose à nous-mêmes et à notre Congrégation, vouée au service de Notre Dame, de solenniser cet anniversaire particulièrement, glorieux pour la Très Sainte Vierge.

. Je n'ai pas l'intention de tracer à cet effet un programme complet et détaillé. Je me bornerai, d'accord avec les Membres du Conseil Général, à indiquer les grandes lignes suivantes, me réservant de préciser encore certains points, s'il plaît à Dieu, dans la circulaire de décembre.

a) Contribuons de notre mieux, dans les paroisses. et dans nos maisons et nos chapelles, à la splendeur des solennités qui seront prescrites par les autorités ecclésiastiques.

b) Associons le plus possible nos élèves à ces manifestations et, dans ce but, apportons un plus grand zèle à préparer et à donner l'enseignement hebdomadaire sur la Sainte Vierge.

c) Acquittons-nous avec ferveur de toutes les pratiques de dévotion en l'honneur de Marie, établies par nos Constitutions et nos Règles. S'il était nécessaire, remettons en usage celles qu'on aurait omises ou négligées.

d) Afin de nous préserver coûte que coûte du vice impur, relisons, méditons, observons les prescriptions de l'article 52 des Constitutions relatives è la sainte vertu. Et puis efforçons-nous de prémunir nos élèves contre les débordements de luxure d'un monde corrupteur.

e) Soyons très fidèles à offrir à la Très Sainte Vierge, tous les jours de l'année mariale, le tribut d'amour que nous lui devons, mais marquons le 8 de chaque mois par une plus grande piété, soit en. communauté, soit de la part des élèves.

Ces directives laissent de la marge aux initiatives des Frères Provinciaux et de leur Conseil. Ils examineront les moyens de réaliser ce programme dans leur Province et donneront à leurs Frères, sans trop tarder, s'ils ne t'avaient déjà fait, les instructions appropriées.

Les visites, les conférences de retraite et les publications de famille permettront d'indiquer et de poursuivre ce magnifique idéal. On évitera ce qui ne serait que bruit et extériorisation et non piété filiale. Prières, cérémonies religieuses, expositions, concours et séances d'inspiration mariale, ouvrent un vaste champ aux hommages collectifs.

Il y aura unanimité, je n'en doute pas, mes bien chers Frères, dans cette célébration dont l'éclat se mesurera sur les possibilités de chaque maison.

il faut que, partout, la Très Sainte Vierge soit contente de ses Petits Frères.

Sans en faire une obligation, nous serions heureux que chaque Province nous fît connaître les dispositions prises pour se conformer à ces indications ainsi que les initiatives réalisées au cours de cette année mariale. Après les fêtes, le récit des manifestations les plus réussies pourrait nous être utile surtout si, pour l'illustrer, il était accompagné de photographies nettes et expressives. 

Visite de Ceylan, de Singapour

et d'Océanie.

 J'avais souhaité me rendre à Ceylan et en Océanie dès la fin de 1949, mais ce n'est que trois ans plus tard que j'ai pu réaliser ce projet.

Avant de vous donner quelques détails sur cette visite, la plus longue ; par la durée et les distances, de celles que j'ai entreprises, je tiens à dire ma vive reconnaissance à tous les confrères qui, d'une façon ou de l'autre, m'ont aidé à la mener à bon terme. Je dois une mention spéciale, non seulement au C. F. Mary Justinian, A. G., mon dévoué socius en Océanie, mais encore à tous les Supérieurs des pays visités, ainsi qu'au C. F. Paul-Marc qui s'est donné bien de la peine pour que passeport officiel, visas, billets d'avion, etc., fussent prêts à temps.

Le 14 novembre je partais pour Paris, après avoir reçu les vœux et l'assurance de prières des ombres de l'Administration Générale et des verses sections de la Maison-Mère.

Mon court séjour à Paris et à Rome me permit d'apprécier, une fois de plus, l'accueil plein de cordialité de nos Frères de Clamart et de San Leone Magno que je remercie à nouveau.

Le 17, je prenais à Rome l'avion à réaction qui devait me transporter rapidement à Colombo, tout en me procurant la joie d'un entretien de plus d'une heure, à l'escale de Beyrouth, avec le C F. Marie-Bernard, Visiteur, les Membres de mon Conseil et plusieurs autres confrères.

Je ne m'arrêterai pas à décrire les réceptions dont j'ai été l'objet. il me suffira de dire que, plus ou moins solennelles selon les milieux et les circonstances, elles ont donné lieu partout à de beaux témoignages d'esprit filial. Le Supérieur est parfois gêné par certaines manifestations, cérémonies, visites, etc., mais il ne saurait bien souvent s'y soustraire sans contrarier les bonnes volontés et mêmes nuire au prestige de nos œuvres. 

Ceylan.

 En une dizaine de jours il m'a été facile de visiter les communautés de Negombo, Tudella (maison de formation), Tudella (collège) et Wennappua qui sont à une courte distance les unes des autres. Il a fallu quelques heures en automobile pour atteindre l'autre école cingalaise, celle de Bandarawela. La route goudronnée est des plus pittoresques ; elle traverse successivement les vastes plaines de bananiers, cocotiers et canneliers, les rizières, les forêts d'hévéas (arbres à caoutchouc), les collines où on cultive le thé et elle longe souvent la jungle où abondent les éléphants et les léopards.

A proximité de pays qui s'agitent, Ceylan reste calme. Cependant deux problèmes importants se posent. Il y a, d'abord, la tendance à réduire la place faite à l'anglais dans l'enseignement pour accroître celle des langues indigènes : tamoul et cingalais. Mais, outre que l'anglais est essentiel au commerce de Ceylan, on aura de la peine à trouver des professeurs et des livres pour donner un enseignement complet et efficace dans ces langues, surtout si on étend leur usage aux études supérieures. Pour nous, les nouveaux programmes  ont amené l'emploi de nombreux auxiliaires civils. Heureusement que tous les maîtres, religieux ou autres, sont payés par l'État. En contrepartie de cet avantage on ne peut exiger une rétribution scolaire des élèves, mais uniquement une modique participation aux frais de laboratoires, bibliothèque et sports.

Un autre problème est créé par le bouddhisme qui, sous prétexte de préparer un certain millénaire de Bouddha, s'agite un peu plus qu'a l'ordinaire. Il convient de savoir que l'on estime à 30.000 le nombre des moines bouddhistes et que leur ascendant sur leurs coreligionnaires est considérable. Ces questions de langue et de religion seraient vite réglées par le Gouvernement qui, quoique bouddhiste, est très tolérant, si le communisme ne s'en servait pour sa propagande par ce slogan. : « N'est bon patriote que celui qui défend la langue et la religion du pays. »

Cette tendance nationaliste a porté nos Frères à développer le recrutement local. Jusqu'ici les sujets cingalais s'étaient formés à San Maurizio (Italie), à Saint-Genis-Laval ou à Mittagong (Australie). Mais le 15 août dernier a marqué une date très importante pour le District, puisqu'en ce beau jour de l'Assomption a. eu lieu la première vêture en terre cingalaise. Trois jeunes gens ont pris le saint habit à Tudella. L'un d'entre eux est pourvu des diplômes requis pour l'enseignement et a déjà fait la classe, pendant plusieurs années, à notre école de Wennappua. Le Juvénat compte 24 aspirants et l'on espère en avoir 40 sous peu. Malheureusement, les préjugés de caste gênent le recrutement dans ce pays où un dixième seulement de la population est catholique.

J'ai été frappé par l'insistance que met Mgr l'Archevêque de Colombo, qui connaît bien son pays, à exiger que les prêtres et religieux. portent toujours la soutane. Il ne tolère pas qu'ils la quittent, malgré la chaleur, même pour les sports et les travaux manuels, de peur qu'ils ne scandalisent les fidèles et ne perdent le respect du public en général.

Que partout, même dans les milieux où certaines tolérances sont données à ce sujet, on évite du moins, avec soin, la vulgarité et le sans-gêne dans la tenue.

Le District compte 25 Frères, 3 Novices, 24 Juvénistes, 2.825 élèves. 

Singapour.

 La route aérienne Colombo-Sydney passant par Singapour, j'ai été heureux de consacrer 36 heures à nos Frères de cette ville. Le C. F. Ange-Marie, Visiteur des œuvres fondées en dehors de Chine par les Frères qui ont pu abandonner à temps ce malheureux pays, avait fait coïncider sa visite à Singapour avec la mienne. Nous avons pu nous entretenir ainsi des Frères restés derrière le rideau de fer. La fermeture d'écoles se poursuit en Chine, si bien qu'il ne nous en reste plus que trois dont la vie est fort précaire. La confiscation de nos biens est à peu près complète, ce qui laisse nos Frères saris ressources pour vivre et pour payer les fortes taxes que, sous les plus spécieux prétextes, un exige d'eux.

La fidélité de nos Frères continue à être admirable : ceux qui arrivent à l'âge de la profession perpétuelle insistent pour être admis à faire ce pas décisif, malgré l'incertitude de l'avenir. Quelques Frères ont pu se trouver un travail assez indépendant dans leur famille ou ailleurs, mais nous avons tout lieu de craindre pour ceux qui ont dû accepter l'enseignement dans les écoles officielles, c'est-à-dire communistes.

J'ai pu m'informer du Noviciat et du Scolasticat de Macao, des Frères qui poursuivent leurs études universitaires à Hongkong, ainsi que de l'école Saint-Martin dont nos Frères ont pris depuis peu la direction dans cette ville. Nous avons parlé également de l’œuvre naissante du Japon, des écoles de Malaisie, d'Indonésie et de celle de Rabaul. Combien j'aurais voulu visiter tous les Frères qui s'y dévouent ! Mais mon itinéraire était déjà trop chargé et je ne pouvais prolonger mon absence de la Maison-Mère. Ce même motif m'a empêché d'aller aux Iles Salomon. Que du moins tous les confrères de ces missions reçoivent par ces lignes l'assurance de la sympathie avec laquelle je suis leurs travaux et de la place que je leur accorde chaque jour dans mes prières.

A Singapour, treize Frères, onze Chinois et deux Européens, travaillent à l'école chinoise (Catholic High School). Ils ont 2.200 élèves et sont aidés par une cinquantaine de professeurs chinois. Le chinois est enseigné dans toutes les classes, mais les études préparent à l'obtention des diplômes chinois et anglais. Le local de l'école est moderne mais celui des Frères est insuffisant et manque des commodités les plus indispensables. Mgr l'Évêque et M. le Curé de la paroisse sont tout disposés à améliorer cette situation, car ils reconnaissent qu'en peu de temps nos Frères ont fait un excellent travail. Dans la même ville, quatre Frères dirigent l'école primaire chinoise, Sainte-Thérèse qui compte 250 élèves. Ils sont un peu mieux logés qu'à l'autre école, mais les épreuves ne leur manquent pas pour autant.

Les fondations de Singapour et du reste de la Malaisie, comme celles de l'Indonésie, se ressentent du besoin extrême dans lequel nos Frères se sont trouvés de s'assurer le pain de chaque jour et un pied-à-terre, à leur sortie de Chine. Ils ne reçurent pas alors des offres avantageuses ; ce fut, par conséquent, sagesse de leur part d'accepter celles qui leur permettaient du moins d'exercer leur mission. En attendant que leur situation s'améliore, ce que je souhaite ardemment, ils remercient Notre-Seigneur de les avoir tirés d'un milieu où leur vertu et leur vocation étaient en danger.

Ils acceptent généreusement les sacrifices matériels de l'heure présente pour que le bon Dieu prenne en pitié leur pays ainsi que les parents et les confrères qu'ils y ont laissés. Qu'ils observent fidèlement la Règle et le secours du Ciel ne leur manquera ni pour les fins indiquées ni pour le recrutement sur place dont ils se préoccupent à juste titre. 

Australie et Nouvelle-Zélande.

 Le 29 novembre je reprenais l'avion pour Sydney. Le C. F. Visiteur de la Chine extérieure devant se rendre à Timor, où une fondation est demandée, nous finies route ensemble jusqu'à Djakarta. Arrivé à Sydney le 30, nous avons établi avec le C. F. Assistant, qui m'y avait précédé, et les deux Frères Provinciaux, le programme de travail pour les six semaines que je devais consacrer à l'Australie. Il y a eu cinq retraites, à chacune desquelles j'ai pu donner en moyenne quatre jours, ce qui m'a permis de m'entretenir avec tous les Frères. Le reste du temps a été pris par des visites rapides à la plupart des maisons. L'automobile a bien facilité ma tâche, surtout pour les 16 maisons de Sydney et des environs. L'avion s'y est ajouté pour les écoles les plus distantes. C'est, au total, 15.000 kilomètres que j'ai parcourus ainsi sur la terre australienne. Il faut dire qu'avec une confiance qui m'a conquis, les Frères Provinciaux ont allongé l'itinéraire prévu. Ainsi, celui de Victoria m'a assuré qu'il convenait de me rendre d'Adélaïde à New-Norcia par Perth : deux écoles à connaître, deux fondations à prévoir… 5.000 kilomètres, aller et retour, en soixante heures. Celui de la Province de New South Wales a tenu de même aimablement, étant à Brisbane, à me faire visiter les écoles de Cairns et Innisfail, encore 3.300 kilomètres environ, en 30 heures.

Le 9 janvier, avec le C. F. Assistant, nous partions pour la Nouvelle-Zélande. Le 11 commençait, à Auckland, la retraite annuelle. Le 19, nous nous rendions à celle de Masterton qui devait se clôturer le 23. Nous avions eu le temps, avant cette date, de visiter les quatre maisons d'Auckland, le Scolasticat y compris, et les quatre de Wellington. Après la retraite de Masterton, nous avons pu visiter les écoles de Christchurch et Timaru, le Noviciat de Claremont et le Juvénat de Tuakau.

Nos œuvres d'Australie et de Nouvelle-Zélande ont une même origine ; leur organisation et leur enseignement sont fort semblables, ce qui facilite mon compte rendu. L'œuvre réalisée par nos Frères dans ces deux pays est admirable ; elle a pris un développement providentiel. Les premiers Frères arrivèrent à Sydney en 1.872 et en Nouvelle-Zélande en 1.876. Ces deux secteurs, d'abord rattachés à la Province de Grande-Bretagne, formèrent la Province d'Australie en 1903. La Nouvelle-Zélande devint Province à son tour en 1916, et l'Australie elle-même fut divisée en deux Provinces en 1947.

En 1893, le Révérend Frère Théophane, accompagné du C. F. Procope, A. G., visita ces pays, ainsi que la Nouvelle-Calédonie. Il reste encore quelques Frères qui rappellent, avec bonheur, diverses circonstances de la visite. Tel Frère octogénaire fit profession à la fin de la retraite présidée par le Vénéré Supérieur ; tel autre, étant alors juvéniste, eut l'honneur de lire un compliment de bienvenue, etc.

La Province de Nouvelle-Galles du Sud compte 31 maisons, à savoir : 4 maisons de formation, 5 internats, dont l'internat St.-Joseph's-Hunter'r Hill, à Sydney, avec 550 internes, et l'internat. agricole de Campbelltown. ; un orphelinat avec ateliers, 23 externats et 2 écoles aux Iles Salomon.

La Province de Victoria possède une maison de formation, 7 internats, dont un agricole et 12 externats.

La Province de Nouvelle-Zélande possède 27 maisons, dont 3 de formation, 2 internats, 14 externats et 8 écoles dans les missions de Fidji et Samoa.

Dans les trois Provinces, la plupart des écoles sont paroissiales. Les locaux, école et résidence, sont fournis et entretenus par la paroisse. Les ressources de celle-ci n'étant pas toujours suffisantes, les Associations d'anciens élèves et de parents apportent souvent une aide généreuse. Le salaire des Frères est, en général, peu élevé. Ce sont bien des écoles semblables à celles que fondait le Vénérable Père Champagnat. Leur fondation, comme celle des nombreuses écoles confiées à d'autres Congrégations d'hommes et de femmes, est due aux efforts faits par les catholiques, depuis les premiers temps de l'occupation anglaise, pour assurer une éducation catholique, aux enfants catholiques, dans une atmosphère catholique. Aussi, le catholicisme y est-il très vivant, quoiqu'il ne compte qu'un cinquième environ de la population en Australie et un peu moins en Nouvelle-Zélande.

Dans diverses maisons, mais surtout dans les pensionnats, le personnel est insuffisant pour assurer aux Frères tout le temps requis pour leurs exercices de piété et l'étude religieuse ; c'est pourquoi, les Frères Provinciaux et leur Conseil, faisant preuve de sagesse, se proposent-ils de surseoir à toute nouvelle fondation et de développer et bien organiser leurs maisons de formation.

La Province de Nouvelle-Galles du Sud compte deux juvénats ; cette dernière année le nombre des juvénistes s'est accru de 20 unités. Elle projette de construire un Scolasticat, l'actuel ne devant pas tarder à devenir insuffisant.

La Province de Victoria se propose de mieux installer son Juvénat et de fonder son Noviciat et son Scolasticat. Jusqu'à présent ses sujets faisaient leur noviciat à Mittagong (Nouvelle-Galles du Sud).

La Province de Nouvelle-Zélande sent encore, plus que les autres, le besoin d'intensifier son recrutement qui, malgré la nécessité croissante d'ouvriers apostoliques, est resté stationnaire ces dernières années.

J'ai été heureux de trouver dans 10 maisons de Nouvelle-Galles du Sud, dans 6 de Victoria et 4 de Nouvelle-Zélande, la statue en ciment du Vénérable Père Champagnat, sur le modèle de celle que possède la Maison-Mère. Ce modèle, fondu par la maison Vermare de Lyon, fut fourni en 1903, quand, par suite de la suppression des Congrégations en France, la statue en métal du Pensionnat de Neuville fut expédiée à Sydney.

Le C. F. Provincial de Nouvelle-Galles du Sud m'a dit avoir reçu d'une cinquantaine de Frères la demande d'aller se dévouer aux lies Salomon. On poursuit d'ailleurs depuis deux ans le recrutement sur place. C'est ainsi que dix jeunes Salomonais sont actuellement au Juvénat, en Australie. Cette même Province a envoyé deux Frères à Rabaul pour faciliter la bonne marche de l'école fondée dans cette ville de Nouvelle-Bretagne par nos Frères chinois.

De plus, trois jeunes Frères chinois ont été reçus dans la Province pour s'y former à l'anglais. Que le C. F. Provincial et son Conseil soient de nouveau remerciés de leur charité envers nos Frères persécutés.

J'ai attiré l'attention de tous les Frères sur la nécessité de réunir régulièrement le Conseil local, là où il existe, et de donner à l'étude religieuse, en tout temps, jours de fête et de vacances y compris, l'heure prévue par la Règle.

Ces trois Provinces, comme toutes les autres, peuvent encore croître en ferveur et en régularité, mais elles méritent : des félicitations pour leur vie religieuse et leur esprit mariste :

J'ai été frappé en particulier, des bonnes dispositions des jeunes Frères ; je l'attribue à ce qu'ils appartiennent à des familles foncièrement catholiques, qu'ils proviennent, sauf de très rares exceptions, de nos écoles, et que dans les établissements ils sont l'objet de soins paternels des Frères Directeurs.

Si nos écoles fournissent de bons sujets à notre Congrégation, les Séminaires et divers Ordres religieux en reçoivent aussi un bon nombre. D'autre part, sept évêques d'Australie, dont le Cardinal de Sydney, et un évêque sur les quatre que possède la Nouvelle-Zélande, ont fréquenté nos écoles.

Il est intéressant de constater sur ce même point du recrutement que les fondateurs de l'Australie se préoccupèrent sans : retard de se préparer des auxiliaires. Ainsi, ils ouvrirent la première école en avril 1872 et dès le 2 juillet 1873 deux postulants prenaient le Saint Habit. 

Fidji et Samoa,

 Ces deux missions sont confiées à la Province le la Nouvelle-Zélande.

A Fidji, 22 Frères dirigent cinq écoles. Les trois de Suva, la capitale, dépendent entièrement de nous et les locaux nous appartiennent. L'une d'elles donne l'enseignement secondaire et les deux autres, l'enseignement primaire. Quoique payantes, ces trois écoles sont largement ouvertes à tous les enfants catholiques qui ne sont en majorité que dans une des écoles primaires.

Il y a, en outre, l'école de Naililili, à 30 kilomètres de Suva et celle de Wairiki, plus distante, dans l'île de Taviuni. Les deux sont. paroissiales et comptent, outre un bon nombre d'externes, un groupe d'internes dont M. le Curé prend soin, es Frères se bornant à assurer la classe et les sports.

Les trois Frères fondateurs de Fidji y sont arrivés en 1888, deux étaient Français : les Frères Envieux et Vincent et l'autre, Australien ; ce dernier est encore vivant. C'est le Frère Alphonsus Mary qui, en 65 ans, n'a laissé l'île que pendant trois ans pour exercer les fonctions de Provincial d'Australie. Les écoles de Suva lui doivent beaucoup de leur bonne réputation et de leurs locaux. Le Gouvernement britannique a reconnu son magnifique travail en le faisant, le 1ierjanvier dernier : Membre de l'Empire Britannique (M. B. E.), l'équivalent de la Légion d'Honneur.

Samoa. Il faut distinguer le « Western Samoa », sous mandat néo-zélandais et d'île de Tutuila, ou « American Samoa », possession américaine.

Nous avons une école à Apia, dans le Western Samoa. Elle compte 850 élèves d'enseignement primaire et secondaire. Il y a deux écoles dans « American Samoa » : Pago-Pago et Leala. Cette dernière école ayant été fondée grâce à un legs d'un Américain, c'est le gouvernement qui assure le traitement des Frères et qui fournit une aide pour l'entretien des locaux. A Pago-Pago et à Apia, les élèves payent une petite rétribution mensuelle.

Le climat de Fidji et de Samoa est particulièrement pénible, le soleil y est ardent, la proximité de la mer et les pluies très abondantes maintiennent une grande humidité qui rend la chaleur très épuisante. C'est dire qu'il faut un grand esprit de sacrifice aux Frères envoyés dans ces missions.

Les résultats obtenus par nos Frères au point de vue scolaire sont très consolants et leur ont mérité une excellente réputation. Mais les résultats obtenus au point de vue religieux sont plus importants encore. Ils consistent surtout dans la création d'une élite catholique ; si les conversions sont plutôt rares, du moins se forme-t-il chez les infidèles une mentalité plus large, moins exposée aux préjugés de secte ou de caste.

A Suva et à Apia, nous donnons l'enseignement secondaire ; il est à souhaiter que nous puissions e donner également à Pago-Pago, car on remarque de plus en plus, dans ces pays, le désir de s'instruire et c'est des cours d'enseignement secondaire que sortent les hommes qui, à Samoa comme à Fidji, occupent les meilleurs postes dans la direction des affaires.

Fidji compte un jeune Frère du pays faisant a classe à Auckland et deux novices à Claremont. Samoa vient d'envoyer deux postulants à ce même Noviciat.

A Fidji, la religion catholique se voit aux prises avec les protestants, très actifs et les mahométans hindous, généralement très revêches à la conversion. Les Hindous non-mahométans sont mieux disposés à embrasser le catholicisme et il n'est pas rare que certains, surtout quand ils sont majeurs, demandent le baptême.

A Samoa, les sectes protestantes font également une grande propagande, mais aucune autant que les Mormons qui, depuis quelques années, semblent avoir fait de ce pays leur terre d'élection. Ils disposent de grandes ressources, bâtissent de belles écoles et attirent ainsi bien des Samoans.

II s'agit donc bien à Fidji et à Samoa de véritables terres de missions. Nos Frères y font preuve d'une grande abnégation que Dieu ne peut manquer de bénir. 

STATISTIQUE COMPARÉE

(PROVINCES D'AUSTRALIE ET NOUVELLE-ZÉLANDE RÉUNIES)

 

                                                     Maisons     Frères         Élèves

1893 (Visite du R. F. Théophane)     22            138               4.130

1953                                                 78            553              20.826

 

N. B. – Pour des raisons d'ordre géographique et pour éviter des confusions auxquelles donne lieu le nom que portent actuellement les deux Provinces d'Australie, le Conseil Général a décidé, que désormais, celle de NOUVELLE-GALLES DU SUD s'appellerait Province de Sydney et celle de VICTORIA, Province de Melbourne

Nouvelle-Calédonie.

 Je m'y suis rendu de Fidji, en cinq heures d'hydravion, le 31 janvier. Ce même jour commençait la retraite annuelle. Elle a été bien fervente, favorisée par une température que les connaisseurs ont trouvée exceptionnellement supportable pour la saison. Il y a en Nouvelle-Calédonie à peu près autant de Blancs que d'indigènes. Lés premiers sont en général catholiques ; des seconds 50 % sont catholiques et 50 % protestants. Cela s'explique du fait que, les protestants ayant été les premiers à s'établir dans le pays, comme d'ailleurs dans d'autres missions d'Océanie, ils ont gagné bon nombre de chefs qui ont entraîné leurs sujets. D'autre part, les ministres protestants ont souvent prévenu les esprits contre les missionnaires catholiques, présentant leur prochaine venue comme un fléau pour la contrée.

Quand on voit combien vaste est le champ à défricher que Sa Sainteté Grégoire XVI confia à la Société de Marie, quand on pense à la multitude d'îles, à la précarité des communications, il y a cent ans, et aux mœurs des indigènes en ce temps-là, on doit admettre que l’œuvre réalisée n'a pu l'être que par des héros et des saints, dont Dieu et Marie ont béni le zèle

Nous comptons 4 maisons en Nouvelle-Calédonie : à Nouméa, école européenne d'enseignement primaire et secondaire avec 460 élèves, dont 80 internes ; à Port-Laguerre, Juvénat ; à Païta, école primaire pour indigènes internes, avec section d'arts et métiers ; à I'Ile des Pins, école primaire pour indigènes internes, avec travail agricole.

Les indigènes reçoivent donc une formation bien adaptée à leur condition. Celle que reçoivent Ies 24 juvénistes est, ce me semble, très sérieuse, à base, de piété et de convictions divers prêtres m'en ont parlé avec éloges. Nos écoles étaient autrefois plus nombreuses en Nouvelle-Calédonie ; plusieurs ont été fermées en 1903 sous le coup des lois sectaires. Actuellement, l'esprit de compréhension, qui existe dans la métropole s'étend à la Colonie. J'en donnerai comme preuve, non seulement l'admission des Frères dans les jurys d'examen, mais encore la concession de subsides à toutes les écoles libres, le Juvénat y compris.

Ces subsides étant à peu près équivalents à la rétribution scolaire d'externat, celle-ci a été supprimée, ce qui permet, à Nouméa surtout, de recevoir un plus grand nombre d'élèves qu'auparavant, nombre hélas ! limité par l'insuffisance des maîtres et des locaux.

On pourra bâtir des classes, mais, où trouver les maîtres ? Le Juvénat de Port-Laguerre autorise bien des espoirs mais il faudra encore cinq ou six ans pour qu'on en voie les premiers fruits.

Les Frères de Nouvelle-Calédonie n'ont pu maintenir les oeuvres existantes que par des prodiges de dévouement. La plupart ne sont jamais revenus en France et ce n'est qu'en acceptant un surcroît de travail qu'ils ont rendu possible la venue, pour la prochaine session du Second Noviciat, d'un confrère que d'autres, je l'espère, suivront.

Malgré la pauvreté en personnel de nos Provinces de France, quelques Frères ont pu être envoyés en Nouvelle-Calédonie ces dernières années. II faudra trouver de nouveaux volontaires. Le bon. Dieu ne manquera pas de bénir les Provinces qui auront pour cela à s'imposer quelque sacrifice, car Il ne veut certainement pas que nous laissions disparaître une des premières missions fondées par notre Institut.

Ma visite s'est effectuée parfaitement selon l'itinéraire que je m'étais tracé. C'est sans doute grâce à vos bonnes prières, dont je vous remercie bien sincèrement que j'ai été préservé de tout accident et que ma santé n'a pas souffert le moindre accroc dans ce long périple de 75.000 kilomètres.

Au retour, j'ai passé trois jours aux États-Unis. J'ai ainsi pu saluer tous nos Frères de St. Ann's Academy et du Mount St. Michael, ainsi que les Frères Directeurs de nos cinq autres écoles de New-York. J'ai pu de même, m'entretenir avec les Frères Provinciaux du Canada et des Etats-Unis, visiter rapidement les juvénistes d'Esopus et consacrer quelques heures aux Scolastiques de Poughkeepsie. Là, comme partout, l'accueil été empressé ; plein d'esprit filial. J'en garderai un très doux souvenir. Que le Seigneur, vers qui je fais remonter tous ces hommages, daigne bénir ceux qui, par leur bon esprit, ont rendu ma visite plus agréable et, je l'espère aussi, plus fructueuse.

A la Maison-Mère j'ai retrouvé mon travail habituel et les soucis inhérents à ma charge. Mais les preuves d'attachement que j'y ai reçues après cette absence de quatre mois, la joie que reflétaient . les visages, aussi bien des jeunes que des anciens, me sont un réconfort. A tous, et plus particulièrement aux Membres de l'Administration Générale et aux Supérieurs des différents secteurs (Communauté, Infirmerie, Noviciat et Scolasticat), ma gratitude et mes félicitations. 

 Document du Saint-Siège

 De la Secrétairerie de la S. C. des Religieux.

 N. 2.611-51.

    SUPPLIQUE .

   Très Saint Père,

Le Frère Supérieur Général de l'Institut des Petit Frères de Marie et les Membres de son Conseil, prosternés aux pieds de Votre Sainteté exposent, ce qui suit :

Les Constitutions de l'Institut, approuvées définitivement en 1903 et mises en harmonie avec le Code de Droit Canonique en 1922, établissent que le gouvernement général est exercé par un Supérieur Général avec l'aide d'un Conseil formé par huit Assistants Généraux qui veillent aux intérêts des provinces dont les a chargés en particulier, le Frère Supérieur Général.

Mais avec les bénédictions visibles du Seigneur et la protection de la Bienheureuse Vierge Marie. leur Mère, Patronne et Première Supérieure, les Petits Frères de Marie sont répandus, aujourd'hui, en une cinquantaine de pays, et les douze mille sujets : religieux formés ou aspirants en formation de leur Congrégation se répartissent en trente et une provinces et en plus de sept cents communautés.

Or, l'expérience a montré suffisamment que, pour assurer la bonne marche de ce vaste organisme, par les visites canoniques et le contrôle prudent des administrations provinciales et des diverses œuvres confiées aux Frères, il est vivement à souhaiter que le nombre des Frères Assistants Généraux soit porté de huit à dix.

Après avoir invoqué les lumières du Saint-Esprit et l'assistance de Notre-Dame du Bon Conseil, mûrement réfléchi et délibéré, les Membres du Conseil Général ont décidé à l'unanimité d'adresser une humble et respectueuse supplique à Votre Sainteté, pour qu'Elle daigne accorder les facultés nécessaires en vue de procéder, au fur et à mesure des besoins, à la nomination de deux nouveaux Assistants Généraux.

Et que Dieu…. 

Réponse de la S. C. des Religieux

 En vertu des pouvoirs concédés par Notre Saint Père, la Sacrée Congrégation préposée aux Affaires des Ordres Religieux, vu les faits exposés, accorde bénignement la faveur selon la demande, étant sauvegardées les prescriptions du Droit.

Nonobstant toutes choses contraires.

 Donné à Rome, le 21 mars 1951 :

 (Place du sceau)

J.-B. SCAPINELLI, sous-secrétaire.

Robert SPOSETTI, aide de bureau

Election de Frères Assistants Généraux.

 En vertu de l'Indult, autorisant à porter de huit à dix le nombre des Frères Assistants Généraux, le Conseil Général, dans la séance du 24 mars 1953, a élu à la charge d'Assistant Général les Chers Frères : THOMAS AUSTIN, Provincial des Etats-Unis, et JOANNÈS-EUGÈNE, Provincial de Varennes-Orient. 

Elections de Frères Provinciaux.

 Dans la séance du 12 mars 1953, le Conseil Général a réélu le Cher Frère CARMELO, Provincial du Pérou pour une troisième période, selon les Constitutions.

Dans la séance du 31 mars 1953, le Conseil Général a élu, pour un premier triennat, le Cher Frère LINUS WILLIAM, Provincial des Etats-Unis, et le Cher Frère VICTOR-GABRIEL, Provincial de Varennes-Orient.

Dans la séance du 9 avril 1953, le Conseil Général a élu, également pour un premier triennat, le Cher Frère RAMÓN SEBASTIÁN, Provincial de Bética ; le Cher Frère CIPRIANO, Provincial de Norte (Espagne). 

LISTE DES FRÈRES dont nous avons appris le Décès

depuis la Circulaire du 8 Décembre 1952.

 

Noms des Défunts                                        Lieux des Décès                  Dates des Décès

 

F. Simón Policarpo        Stable                     Tuy (Espagne)                       24 nov.  1952

F. Sotero                         »                              Popayán (Colombie)            19 déc.          »

F. Tarsicio                       »                              Barcelona (Espagne)           22 »               »

F. Priscien                       »                              Saint-Genis-Laval (France)23 »               »

F. Joche-Benoit              »                              Shanghai (Chine)                  30 »               »

F. Ange-Casimir             »                              Porto Alegre (Brésil)            30 »               »

F. Louis Oswald              Profès perp.          Recklinghausen (Allemagne) 1er janv. 1953

F. Nereu Marcelo            »                              Florianopolis (Brésil)            1er »             »,

F. Joseph-Georges        »                              Varennes-sur-Allier (France) 2 »               »

F. Julio Maria                  Stable                     Maceio (Brésil)                     3»                 »

F Géranus                       Profès perp.          New-York (États-Unis)          5»                 »

F Mauricio                       Stable                     Pasto (Colombie)                 13 »               »

F. Théodore                    »                              Lévis (Canada)                     13 »               »

F. Joseph-Pétrus            »                              Saint-Genis-Laval (France)15»                »

F Mansuétus                   Profès perp.          N.-D. de l'Hermitage (France) 24»            »

F. Faustino José             »                              Las Avellanas (Espagne)    24»                »

F. Louis-Raphaél            Stable                     Saint-Étienne (France)         19 fév.           »

F. Albert Gustave            »                              Poughkeepsie (Etats-Unis)19»                »

F. Joseph-Sérapion       Profès perp.          Mendes (Brésil)                    20»                »

F. Philoménès                 Stable                     Querétaro (Mexique)            21»                »

F. Isidore-Joseph           »                              Jounieh (Liban)                     25»                »

F. Giovanni                      »                              Rome (Italie)                          28 »               »

F Nicétius                        »                              Espira-de-l'Agly (France)     5 mars           »

F Élie-Justin                    »                              Poughkeepsie (États-Unis)5»                  »

F Édibertus                     Profès perp.          Saint-Genis-Laval (France)8»                  »

F. Gaétan                        Stable                     Blancotte (France)                15»                »

Lubentius                         »                              Varennes-sur-Allier (France) 16»              »

F. Andréas-Victor           Profès perp.          Saint-Genis-Laval (France) 21»                »

F. Jules-Etienne              Stable                     Saint-Genis-Laval (France)1er avril        »

F. Paolo                           »                              Ventimiglia (Italie)                 7 »                »

F. Claude-Louis              »                              Varennes-sur-Allier (France) 12»              »

F Henri-Raphaël             Profès perp.          Varennes-sur-Allier (France) 22 »             »

 

La présente circulaire sera lue en communauté l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Recevez, mes bien chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis en J. M. J.

Votre très humble et tout dévoué serviteur,

                         Frère LÉONIDA,  Supérieur Général.

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