Circulaires 339

LĂ©onida

1954-12-08

Conservons les fruits de l'Année Mariale, 357. - Souhaits, 359. - Visites, 361. - Correspondance, 377. - L'estime de nos Constitutions, 393. - Lettre Encyclique « Ad Cœli Reginam », 402, - Précieux encouragement, 416. - Supplique au Saint-Père, 417. - Lettre de S. S. Pie XII, 421. - Lettre de remerciements, 426. - - Cause du Vénérable Père Champagnat, 427. - Cause du Vénéré Frère Alfano, 433. - Nos Frères restés en Chine communiste, 435. - Élection de Frères Provinciaux, 441. - Liste des défunts, 442.

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V. J. M. J.

 Saint-Genis-Laval, le 8 décembre 1954.

 centenaire de la Proclamation

du Dogme de l'Immaculée Conception.

                    MES BIEN CHERS FRÈRES,

Quand ces lignes paraîtront sous vos yeux, l'Année Mariale 1954 ne sera plus qu'un splendide souvenir dans la mémoire et le cœur des Petits Frères de Marie qui, dans toutes les Provinces de l'Institut, ont mis tant d'amour et de dévouement pour que la célébration en fût aussi solennelle que possible.

Ne convient-il pas aujourd'hui de faire monter un hymne, d'action de grâces vers le Seigneur et Notre-Dame pour l'inépuisable abondance de grâces de choix répandues sur les personnes et sur les groupements sociaux qui, répandant aux pressantes invitations du Saint-Père, ont offert à la Très Sainte Vierge Marie un riche tribut d'honneurs et de sacrifices pour la plus grande gloire de la Très Sainte Trinité ?

En ce qui nous concerne directement, nous avons dû, au cours de l'Année Mariale, examiner les déficiences de notre doctrine mariale et de notre esprit spécifiquement mariste, c'est-à-dire des vertus chères à Notre Mère, à Notre Patronne, à Notre Modèle et à Notre Première Supérieure, et nous avons dû prendre des résolutions pour assurer les progrès de notre sanctification personnelle. Il s'agit de les tenir.

D'autre part, nos efforts pour répandre parmi nos élèves, nos grands jeunes gens surtout, une solide dévotion à Notre-Dame, nous ont fait toucher du doigt l'insuffisance de nos catéchismes et de la formation mariale que nous donnons. Et nous nous sommes promis de redoubler de soins pour de meilleurs résultats à cet égard.

Il faut que tout cet enrichissement de pensées, de sentiments, d'actions et de méthodes concoure à donner à notre apostolat marial une activité plus efficace parce que plus éclairé et plus soutenu par notre vie d'union à Jésus et Marie. Car il faut toujours en revenir à ce principe fondamental de vie spirituelle : plus nous vivrons nous-mêmes avec intelligence et ferveur notre devise mariste «Tout à Jésus par Marie » et plus le rayonnement de notre vie intérieure sur les âmes qui nous sont confiées se fera jour même à travers les obstacles.

Daigne Notre-Dame bénir en chacun de nos Frères les généreuses résolutions que l'Année Mariale lui a inspirées. Qu'après l'institution de la fête liturgique de la Royauté Universelle, Marie soit, plus que jamais, Reine de nos cœurs, de nos Communautés et de notre Institut. 

Souhaits

 Les souhaits que nous formulons les uns pour les autres en diverses circonstances : fête du saint Patron, anniversaire, renouvellement de l'année, etc. …, exigent deux conditions essentielles pour être vraiment chrétiens : ils doivent avoir avant tout pour objet, d'une façon expresse ou tacite, l'unique nécessaire, le salut de l'âme et, de plus, s'accompagner de prières.

Soit donc que nous fassions des vœux de santé, de bonheur ou de succès, une condition est indispensable, c'est que ces biens ne soient pas un obstacle mais plutôt un secours dans le travail qu'exige la perfection. Pourrait-on d'ailleurs, sans cela, les tenir pour des biens ?

Nous ne saurions ignorer, d'autre part, que nos meilleurs souhaits sont vides de sens quand nous n'en confions pas au bon Dieu la réalisation, lorsque nous n'avons pas recours à la prière instante et confiante. C'est Dieu, en effet, qui est le Maître de l'avenir et l'arbitre des événements humains, c'est Lui qui, en tout, a le dernier mot car, si l'homme souhaite, il ne donne pas ; s'il propose, c'est Dieu qui dispose. Or, c'est par la prière que l'homme peut agir sur la volonté divine car, la prière pénètre les cieux et, en les pénétrant, elle va au cœur de Dieu et peut tout en obtenir. Nous ne saurions en douter puisque les textes de l'Écriture Sainte en font foi : « Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai, et tu me glorifieras » (Ps. 49, v. 13). « Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et l'on ouvrira à qui frappe » (Matth. VII, 7-8).

Dieu, dit saint Paul, peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au delà de ce que nous demandons et concevons » (Éph. III, 20).

Il serait aisé de confirmer par les exemples de l'Ancien et du Nouveau Testament, par la vie des saints et souvent aussi par l'expérience de chacun, la vérité de ces textes inspirés.

C'est dans cette persuasion de l'inanité de nos meilleurs vœux et bons désirs sans le secours du Ciel que je confie à Notre-Seigneur et à Notre-Dame, ceux que je forme pour vous à l'approche des fêtes de Noël et de Nouvel An. Oui, mes bien chers Frères, que Dieu vous soit en aide ! que par l'intercession de la Très Sainte Vierge, Notre Ressource Ordinaire, il vous accorde toutes les grâces dont vous avez besoin pour passer une sainte et heureuse année. 

Visites et Correspondance

 Le renouvellement de l'année est l'occasion d'un échange de visites et d'un échange de correspondance. Ceci m'a porté à faire quelques remarques et à donner quelques conseils pratiques sur ces deux points. Connaissant votre bonne volonté, je suis persuadé que vous y conformerez votre conduite, non seulement en cette époque de l'année mais en tout temps. 

1. – DES VISITES

 Aujourd'hui où l'on parle beaucoup d'esprit communautaire, de solidarité, d'apostolat par l'action, etc. …, une tentation subtile porte trop de religieux à se produire, à oublier que la fréquentation du monde, sans raison suffisante, expose à. prendre ses idées et à mésestimer les obligations. de la vie religieuse. Il faut que ceux qui s'écartent du devoir sur ce point réfléchissent sur le tort, qu'ils causent à eux-mêmes, à leurs confrères et. à la Congrégation et se décident fermement à ne. faire et à ne recevoir que les visites indispensables,. Il suffira pour cela qu'ils observent fidèlement les lois de l'Église à ce sujet, ainsi que les règles très sages de notre Institut.

Les lois de l'Église. Le Droit Canonique les donne à propos de la clôture. Si ces prescriptions sont moins strictes qu'autrefois parce qu'elles tiennent compte des changements survenus dans les conditions de vie religieuse des Congrégations . vouées à la vie active, elles contiennent encore un ensemble de mesures que Supérieurs et inférieurs doivent connaître et qu'ils n'enfreignent pas impunément.

« Pour mieux saisir la pensée de l'Église, dl faut considérer attentivement le caractère sacré que donnent au religieux les vœux qu'il émet le jour de sa profession. Il devient un être dédié à Dieu, voué à son culte; il passe sous son autorité d'une manière plus entière et plus absolue ; il sort de la condition ordinaire pour s'élever à une condition plus excellente. Toute la personne étant consacrée à Dieu, l'âme et ses facultés, les pensées, les affections, le corps et les membres, le temps et l'activité entière deviennent plus spécialement la propriété de Dieu et doivent être employés à son service. La vie doit être sainte, les occupations doivent être saintes, le lieu même qu'il habite est un lieu saint, le sanctuaire et la maison de Dieu. La vie religieuse, dans la pensée de l'Église, est pour ainsi dire un apprentissage de la vie du ciel » (d'après Choupin). Aussi le religieux, au lieu de chercher à multiplier, sans motifs valables, ses rapports avec les hommes, devrait pouvoir dire avec saint Paul : « Ma conversation est dans les cieux ».

Il est un principe qui ne souffre pas d'exception et qui s'applique aux religieux de tous Ordres et Congrégations : c'est l'obligation de ne pas sortir de la maison sans la permission du Supérieur. Cette obligation se fonde sur la dépendance où se trouve le religieux et sur l'obéissance qu'il doit à ceux qui lui tiennent la place de Jésus-Christ. Il y a une véritable faute, disent les auteurs spirituels, à se soustraire à l'autorité du Supérieur, quand même les Règles n'obligent pas sous peine de péché, car la matière appartient plus ou moins à l'obéissance. Celui qui demande la permission doit indiquer le motif de la sortie ; il se soustrait à l'obéissance si, à moins d'un motif suffisant qu'il devra faire connaître à son retour, il ne s'en tient pas aux limites de la permission accordée.

L'Église fait à tous les Supérieurs une obligation rigoureuse de veiller très attentivement à la perfection de ceux qui leur sont confiés en écartant les dangers qui les menacent. C'est pour qu'ils prémunissent leurs religieux contre les dangers spirituels des visites actives et passives que le Droit canonique leur enjoint « de veiller à ce qu'on observe exactement ce que prescrivent les Constitutions, soit pour la sortie des sujets en dehors de la clôture, soit pour les réceptions ou les visites des étrangers (can. 606, § 1). D'autre part, le canon 605 précise : « Tous ceux qui ont la garde de la clôture doivent veiller avec soin à ce que les visiteurs étrangers, par d'inutiles causeries, ne troublent pas la discipline et ne portent pas atteinte à l'esprit religieux. »

Nos Constitutions et nos Règles. Les Constitutions, signalant les principaux devoirs des Supérieurs pour assurer la conservation et l'accroissement de l'Institut s'expriment ainsi : « Ils s'appliqueront à surveiller avec soin les rapports des Frères avec les séculiers pour empêcher qu'ils ne soient trop fréquents et qu'il n'y ait pas des sorties, des visites, des entretiens inutiles et irréguliers, des liaisons dangereuses » (Art. 206, 50).

C'est donc aux Supérieurs à s'enquérir de la façon dont on observe ces prescriptions ; mais c'est particulièrement le devoir des Frères Directeurs, dans chaque maison, de prendre les mesures et les précautions nécessaires pour sauvegarder la vertu et la vocation de leurs subordonnés, qu'il s'agisse pour ceux-ci de sortir de la maison ou d'y recevoir les étrangers. Ils engageraient gravement leur responsabilité et chargeraient leur conscience si, sur ce point, ils toléraient des abus qui, comme le prouve l'expérience, sont parmi les plus nuisibles pour l'observance régulière.

Visites actives. Nos Règles traitent en maints articles des visites et entrent dans bien des détails à leur sujet. Nous y lisons : « Les entretiens avec les séculiers sont un des plus grands écueils de la vie religieuse ; c'est par les rapports trop fréquents avec eux que l'esprit religieux sort des communautés, que celui du monde y pénètre et y introduit les abus, le relâchement et les vices. Les Frères n'auront avec les personnes du dehors que les rapports indispensables » (Art. 383). Serait-ce téméraire, mes bien chers Frères, d'affirmer que des religieux agissent comme si cet article n'existait pas ? Et n'est-il pas vrai qu'ils seraient gênés pour trouver un motif légitime à certaines relations ? Quelques-uns s'en font un véritable besoin et cette habitude devenant, comme bien d'autres, de plus en plus tyrannique, endort leur conscience et leur fait fermer les yeux sur les dangers auxquels ils s'exposent.

Il est des religieux qui donnent un motif valable : promenade, achats, etc. …, pour sortir, mais ce n'est que pour cacher leurs intentions, car ils font des visites prohibées. Ils sauvent hypocritement les apparences, trompent les Supérieurs, mais trompent-ils le bon Dieu ? Ces fautes délibérées, en faussant la conscience, exposent les coupables aux pires conséquences. Il faut en dire autant des sorties clandestines où le principal souci semble être d'échapper aux regards des Supérieurs et des confrères.

La Règle veut que nous soyons polis envers tout le monde, mais nous recommande de ne nous lier d'intimité ni de nous familiariser avec personne. Comme les Frères qui fréquentent les étrangers sont exposés à leur témoigner une confiance excessive et à manquer de discrétion et de réserve, la Règle les avertit en ces termes « Ils ne communiqueront pas sans nécessité aux personnes du dehors ce qui se fait dans l'Institut, tels que les ordres et les défenses qu'ils recevront des Supérieurs, les défauts et les fautes de leurs Frères, le renvoi d'un sujet, etc. … » (Art. 385). « Pareillement, ils ne communiqueront à personne les Constitutions et les Règles ni les lettres qu'ils recevront des Supérieurs, à moins qu'ils n'y soient autorisés » (Art. 386). N'est-il pas arrivé que des Frères ont appris par des étrangers des nouvelles, des projets qui, communiqués à la communauté par le Frère Directeur, auraient contribué au bon esprit, au lieu de favoriser les murmures et les critiques ?

Parfois des affaires, qui doivent se traiter en Conseil, sont préalablement portées à la connaissance de personnes qui devraient les ignorer ou n'en être informées qu'après la Communauté.

La transgression de ces articles est un manque de discrétion presque toujours fautif, car il est rare. qu'elle n'entraîne point à la médisance ou même à la calomnie. De ces indiscrétions proviennent quelquefois des difficultés administratives. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, le Supérieur n'est pas toujours à l'aise pour plaider devant les prêtres de la paroisse ou les parents d'élèves en faveur d'un religieux qu'il a pourtant la mission de défendre, quand ce religieux a déjà été lésé dans sa réputation par la malice ou l'irréflexion d'un confrère.

« Notre état nous dispense des visites de bienséance, nous devons nous borner à celles qui sont nécessaires et nous contenter de voir, de temps en temps, et quand les intérêts de l'école le demandent, les autorités et les bienfaiteurs » (Art. 387). Parmi ces visites nécessaires, on peut signaler celles qui ont pour but d'offrir des souhaits aux autorités et aux bienfaiteurs à l'occasion de Noël ou du Nouvel An ; pour d'autres personnes, une simple carte, selon l'usage, pourrait suffire. Si la chose est établie, on fait une visite aux autorités religieuses et civiles, à l'occasion de leur entrée en fonctions, pour les féliciter et leur témoigner respect et soumission. On rend, de même, leurs visites de politesse. Il faut que dans chaque maison on inscrive, au coutumier approuvé par le Frère Provincial, les personnes qu'on a le devoir de visiter et les circonstances où on le fera. Ce même coutumier doit prévoir de quelles personnes prendra congé un Frère Directeur qui est changé. Il profitera de cette occasion pour les remercier des services rendus à lui-même et à l'école et, le cas échéant, pour leur présenter et leur recommander son successeur. Si ce dernier n'arrivait qu'après le départ de son prédécesseur, il visiterait ces mêmes personnes sans retard. Que l'on observe partout l'article 406 des Règles Communes, ainsi conçu : « Il n'est pas permis aux Frères de manger chez M. le Curé, ni à plus forte raison, chez aucun séculier, sans une grande nécessité. » Seul un motif très sérieux peut de même justifier l'admission d'étrangers à notre table.

Blâmable est la conduite des Frères, changés de maison, qui retardent leur départ pour faire des visites injustifiées. Ils dérangent la communauté qu'ils doivent quitter et privent de leurs services celle où les a placés l'obéissance. Dans plusieurs Provinces, les Frères en partance pour la retraite laissent leurs effets en ordre, de sorte que s'ils sont changés, on n'a qu'à les leur expédier sans qu'ils aient à revenir. Dans un tel procédé il n'y a pas seulement des avantages économiques, car le retour de certains Frères dans un établissement où ils entretenaient des rapports irréguliers avec l'extérieur n'est pas toujours sans danger.

Nous ne parlerons pas des visites de famille, puisque la Circulaire du 24 mai 1952 a abordé ce sujet. Rappelons seulement que ces visites trop fréquentes ou trop prolongées nuisent à l'esprit religieux, développent un amour trop naturel et exagéré envers les parents, invitent à s'occuper indûment de leurs affaires temporelles et, ouvrant le cœur aux créatures, y refroidissent l'amour de Dieu.

On peut se demander s'il faut visiter les élèves malades. En tout cas, cela ne peut être qu'à titre. exceptionnel, par exemple quand la nature de la maladie inspire de sérieuses inquiétudes. C'est au Frère Directeur, dans chaque cas, à décider ce qui convient. Ce qui n'empêche pas de s'intéresser aux élèves absents pour cause de maladie et de se tenir au courant de l'évolution du mal par l'intermédiaire de camarades envoyés à domicile à cette fin. Il est généralement bien admis de s'informer par téléphone là où la chose est possible. Nos occupations ne nous donnent pas le loisir de visiter tous les élèves malades, surtout dans les écoles nombreuses. Il faut éviter d'en établir l'habitude, car on excite facilement des jalousies en marquant des préférences. D'autre part, les parents étant très sensibles à l'intérêt manifesté à leur enfant malade, ces visites peuvent devenir dangereuses et offrir l'occasion d'amitiés aux suites regrettables.

« Les Frères, dit encore la Règle, ne donneront jamais de leçon à domicile » (Art. 360), « ne feront pas de visites la nuit, excepté aux autorités et dans le cas d'une grande nécessité ; ils devront toujours être deux dans ces visites et rester le moins de temps possible » (Art. 388). Les articles 460 et 461 insistent sur l'obligation de ne faire aucune visite sans compagnon, et le Frère Directeur lui-même est tenu de s'y conformer, puisqu'il devra désigner au Frère sous-directeur le lieu où il va et le Frère qu'il prend pour l'accompagner ». Les sorties nécessaires n'auraient presque plus de dangers si, accomplies avec permission, elles se faisaient toujours avec un confrère ; encore faut-il que celui qui sort demande ce compagnon ou que le Frère Directeur n'omette pas de le désigner. Si des Frères se formalisent d'une telle mesure, c'est souvent parce qu'on a trop négligé par le passé cette excellente pratique établie, non par une disposition arbitraire du moment et pour un Frère en particulier, mais inscrite dans nos Règles et obligeant tous les Frères.

C'est là un moyen d'observer cette autre prescription : « Les visites actives et passives, ainsi que tous les rapports des Frères avec les séculiers, sont un des points sur lesquels ils doivent se garder en Jésus-Christ les uns les autres avec le plus de soin ; si l'un d'eux s'écartait de son devoir sur ce sujet, ceux qui en auraient connaissance seraient tenus de l'en avertir charitablement et, s'il ne s'amendait pas, d'en informer les Supérieurs » (Art. 396).

Parmi les nombreuses défections qui ont eu pour cause principale les rapports avec les séculiers, combien auraient pu être évitées si tous les Frères qui en avaient le devoir et les moyens avaient averti charitablement les confrères dès leurs premiers manquements à la Règle et, au besoin, avaient fait ou provoqué une défense formelle ! Et sur ce point, il ne faut pas justifier aisément ceux qui enfreignent la Règle : il s'agit d'éviter, outre les visites mauvaises ou dangereuses, celles purement inutiles. Celles-ci, sans but précis, favorisent l'extériorisation, les faiblesses du cœur et créent des besoins factices et tyranniques.

Ces irrégularités sont le fait non seulement des jeunes Frères, mais encore des profès perpétuels et même des Frères stables. Pour les Frères Directeurs, le danger des visites est particulièrement grand. Sans exagération on peut assurer que la plupart des Frères Directeurs qui ont trahi leurs engagements y ont été entraînés par leurs rapports irréguliers avec le monde. Souvent des qualités humaines de premier plan : belle intelligence, grande habileté, extérieur sympathique, etc. …, qui leur auraient assuré une action particulièrement féconde dans leur emploi, ont contribué à leur perte parce qu'ils ont voulu les étaler au parloir ou au dehors, contrairement à l'article 505 des Règles du Gouvernement qui s'exprime ainsi : « Persuadé que les entretiens avec les séculiers ne peuvent qu'affaiblir en lui l'esprit religieux et l'exposer à de grands dangers, que moins il aura de rapports avec le monde, plus il sera estimé, le Frère Directeur ne communiquera avec les personnes du dehors que par nécessité et il sera court dans ses relations avec elles ».

Quant aux Frères Economes ou autres, auxquels on ne peut adjoindre un compagnon pour maintes démarches rendues nécessaires par leur emploi, la Règle (Art. 502) rappelle qu'ils doivent « éviter soigneusement de se rendre familiers avec les séculiers, ne sortir de la maison qu'avec la permission du Frère Directeur et, dans les commissions qu'ils auront à faire, être modestes, polis, mais réservés ».

La longue liste de ceux qui ont perdu leur vocation, par suite de liaisons contractées dans leurs sorties, doit éveiller la prudence des Frères obligés d'avoir des rapports avec l'extérieur et leur rappeler que « celui qui aime le danger y périra ».

On peut craindre encore davantage d'un religieux qui, ne se conformant pas au canon 596 du Droit Canonique, sort à la fois sans l'habit religieux, sans permission et sans motif grave.

Il convient de signaler la responsabilité des Frères Directeurs et des Frères les plus âgés qui, faisant des visites non absolument nécessaires, laissent des jeunes Frères seuls à la maison, parfois pendant de longues heures. N'est-il pas à craindre que ces derniers, livrés à eux-mêmes s'ennuient, se découragent, ou contractent à leur tour de mauvaises habitudes ?

Visites passives. Par la profession, nous nous séparons du monde, mais il n'est pas moins nécessaire d'éviter de l'introduire chez nous sous forme de visites non motivées ou par de longues séances au parloir quand s'impose la réception d'une visite. Il faut prendre l'habitude de régler les affaires rapidement, en observant les lois du savoir-vivre, cela va de soi et la Règle nous y engage, mais en étant bref dans les entretiens. Selon la qualité des personnes et l'importance des affaires, il faut savoir invoquer les occupations habituelles ou laisser tomber opportunément la conversation. Mais n'y a-t-il pas des religieux qui s'éternisent au parloir en d'interminables palabres, par manie de parler ou peur satisfaire leur curiosité ? N'est-il pas à craindre que des personnes désœuvrées, croyant leurs visites appréciées, ne les multiplient pour faire perdre le temps ? Combien il serait regrettable qu'un religieux ne comprît pas que les entretiens prolongés au parloir nuisent à son emploi, à la surveillance des élèves et aux exercices de communauté !

Il est bon de rappeler les sages prescriptions de la Règle au sujet des visites passives. « Les personnes qui auront à parler aux Frères, est-il dit à l'article 391, seront introduites au parloir par le portier qui avisera d'abord le Frère Directeur ; on ne permettra pas qu'elles pénètrent dans l'intérieur de la maison ni dans les classes ». Il est dit ailleurs, au sujet des personnes du sexe, que la porte du parloir doit rester ouverte tout le temps qu'on aura à leur parler si elle n'est pas vitrée » (R. C. Art. 155). Il est préférable que la porte soit vitrée pour parer à l'oubli de la laisser ouverte.

C'est au Frère Directeur, ou à celui qui le remplace, à rendre raison aux parents des élèves et aux autres personnes qui se présentent à l'école (Art. 346). Un Frère en second ne doit aller au parloir que si le Frère Directeur l'y envoie, et celui-ci ne le fera qu'après s'être assuré que les motifs de la visite l'exigent et qu'il n'y a aucun danger ; en cas de doute, il se tiendra avec lui. Il ne laissera jamais seuls au parloir, vu leur inexpérience et leur timidité, les jeunes Frères, alors même que les visiteurs offriraient les meilleures garanties de sérieux.

On ne doit pas croire facilement qu'il n'y a aucun danger à traiter avec des personnes pieuses estimant les religieux et leurs œuvres. Parfois le péril n'en, est que plus grand parce qu'on est incliné à parler avec plus d'abandon, la communauté de croyances et d'opinions établissant une sympathie naturelle et les interlocutrices, quoique bonnes chrétiennes, ne comprenant pas toujours la perfection et les obligations de notre vocation. La prudence conseille de s'en tenir à l'article 384 des Règles communes : « Ils seront polis envers tout le monde, et se montreront respectueux et prévenants pour toutes les personnes avec lesquelles ils auront à traiter ; mais ils ne se lieront d'intimité et n'auront de familiarité avec aucune ».

Il doit y avoir des temps interdits pour le parloir : le temps des prières, des repas, du grand silence… Dans maints bureaux et entreprises, on reçoit de telle heure à telle heure ; le visiteur l'apprend, au besoin, par un écriteau bien visible. Pourquoi nos communautés ne suivraient-elles pas toutes (certaines le font déjà) un usage que les gens du monde adoptent pour économiser le temps et qui, d'ailleurs, est une prescription de nos Règles ? (Art. 390).

Un abus s'introduit dans certaines maisons, qu'il faut à tout prix supprimer : on y reçoit trop facilement les sujets sortis de l'Institut ; ils conversent parfois librement avec qui ils désirent et même avec l'ensemble de la communauté. C'est une grave atteinte à l'esprit religieux. Les ex-Frères ne doivent être reçus qu'au parloir, et d'abord par le Frère Directeur. Conformons-nous à l'article 394 des Règles à ce sujet : « Les Frères n'entretiendront aucun rapport, même par lettre, avec ceux qui sont sortis de l'Institut ; ils se montreront cependant toujours polis à leur égard et se conduiront avec eux comme avec les autres personnes du dehors, mais ils ne les emploieront jamais dans les établissements. »

Avantages de la fidélité à ces règles. Un Frère qui ne fait ou ne reçoit des visites que par nécessité absolue est généralement un religieux intérieur, ami de son état, se plaisant en communauté. Celui, au contraire, qui cherche des prétextes pour sortir souvent ou attirer les séculiers, préférant converser avec eux plutôt qu'avec ses Frères, est un religieux qui n'aime pas la vie commune et néglige  la loi fondamentale de sa vocation, celle de sa sanctification. Tout ce qu'il entend et tout ce qu'il voit le dissipe, remplit sa mémoire et son imagination de mille impressions qui lui reviennent pendant les prières et l'exposent au danger de perdre l'esprit de son état. « Si vous aimez à séjourner dans le monde, dit saint Pierre Damien, vous rapporterez maint souci à votre rentrée dans le cloître monastique. Tout ce que vous avez entendu vous restera présent à l'esprit et l'agitation des pensées alarmantes troublera votre cœur ; car leur rumeur sera parfois plus grande dans votre cellule que durant votre passage dans le monde » (De Cont. Sæcul. XII).

C'est pourquoi, même pour les visites indispensables, la Règle nous ordonne de « nous tenir dans la réserve, la prudence et la gravité que demande notre vocation » (Art. 154). « Ce serait s'abuser grossièrement, dit le P. Cormier, O. P., de croire acquérir de l'ascendant sur les séculiers en faisant le libre, l'enjoué et le plaisant. Ceux qui semblent y prendre plaisir sont les premiers à nous, critiquer dès que nous ne sommes plus là. Lorsqu'il y a des personnes du sexe dans la compagnie, bien qu'on doive être fort poli, il importe d'observer une grande retenue dans ses paroles et ses regards sous peine de scandaliser. »

La fidélité aux prescriptions de l'Église et de la Règle au sujet des visites permet de mieux s'acquitter des devoirs d'état et de mieux utiliser le temps ; elle fait éviter la dissipation et préserve la vertu et la vocation, tout en sauvegardant la réputation et le prestige personnels. On s'étonne de voir des religieux aller de maison en maison, tant on est persuadé que leur devoir est de rester chez eux. Ceux qui les fréquentent s'attendent à trouver en eux l'homme de Dieu, l'éducateur distingué dans ses manières et d'une grande culture. Des rapports fréquents montrent que ces qualités n'existent pas au degré que l'on imaginait. C'est ainsi que des religieux, jouissant d'un bel ascendant pour leur savoir et leur vertu, l'ont perdu quand on a mesuré au parloir l'écart entre la réalité et la renommée.

Certains, dans leur amour désordonné des visites, ont manqué du plus élémentaire discernement, fréquentant des familles qu'ils croyaient honorables, apprenant ensuite, par les murmures qui s'élevaient autour d'eux, que leur présence chez des personnes de moralité douteuse faisait scandale.

Avis et consignes du Vénérable Père Champagnat à ce sujet. Dans la pensée de Notre Vénérable Fondateur, les Frères doivent vivre cachés dans leurs maisons, entièrement occupés de leur sanctification et de l'éducation chrétienne des enfants. De là ses prescriptions très précises au sujet des visites et qui sont encore en vigueur parmi nous.

« Il n'est pas possible de dire, affirme son biographe, combien il tenait à l'observance de ces règles. Chaque année il y revenait dans ses instructions de la retraite et souvent il a déclaré aux Frères qu'ils ne peuvent les négliger sans s'exposer aux plus grands dangers, sans perdre l'esprit de leur état et même leur vocation. Il assurait en particulier que les plus grands périls que puisse courir la vertu des Frères Directeurs se trouvaient dans les rapports qu'ils sont obligés d'avoir avec les personnes du monde » (Vie, p. 539).

Il adressa cette sévère admonestation à un Frère Directeur qui sortait seul : « Ou vous cessez de violer votre Règle sur un point si important, ou je vous retire de votre poste et vous retiens ici comme jardinier ». Il disait à un Frère Directeur surpris d'apprendre que les autorités qu'il croyait dévouées à son école, en machinaient la ruine « Je suis convaincu que le bon Dieu a permis cela pour vous punir de la trop grande confiance que vous aviez dans les hommes. Pendant l'année, vous, leur avez fait beaucoup trop de visites pour gagner leur bienveillance ; une seule visite au Saint Sacrement vous eût apporté infiniment plus de profit. N'oubliez pas que s'appuyer sur les hommes, c'est s'appuyer sur un roseau qui fléchit et nous laisse tomber » (Vie, p. 329).

N'est-elle pas profondément impressionnante la page de la Vie du Vénérable Père décrivant l'aveuglement et l'endurcissement d'un Frère ayant respiré l'esprit du monde et l'amour de l'indépendance en des visites irrégulières et qui finalement abandonne sa vocation malgré la perspective de courir à sa perte éternelle ? A l'un de ses anciens condisciples consterné, il fit cet aveu terrifiant : « Tant que j'ai été fidèle à la Règle, j'ai aimé ma vocation autant que vous, et maintenant, je la déteste autant que je l'ai aimée » (Vie, p. 194).

Nous souhaitons ardemment que les paroles de ce malheureux religieux et les considérations qui précèdent au sujet des visites nous rendent plus fidèles à l'avenir à cette consigne du Vénérable Fondateur : « Observez fidèlement votre Règle, fuyez les regards du public, les entretiens inutiles avec les séculiers, tenez-vous renfermés dans vos maisons tout occupés de vos devoirs, et vous aimerez votre vocation et vous y persévérerez, vous aurez la paix de l'âme et vous recevrez le centuple de biens, de grâces, de consolations que Notre-Seigneur promet à ceux qui quittent tout pour le suivre » (Vie., p. 545). 

II. – CORRESPONDANCE

 Ce sujet de la correspondance pourra, de prime abord, paraître peu important ; il offre, cependant, bien des points pratiques qu'il convient de rappeler.

Sans insister sur la présentation des lettres en-tête, titres à donner, façon de plier le papier, d'écrire l'adresse, etc. …, disons simplement que ce sont des convenances élémentaires nullement négligeables. «Les Frères, dit la Règle, doivent s'instruire de tout ce qui tient aux usages et au cérémonial des lettres et s'y conformer dans l'occasion » (Art. 261).

On doit toujours prendre le temps de se relire, sous peine de commettre des omissions ou de ne pas exprimer clairement ce qu'on s'était proposé. Pour ces mêmes motifs, il sera souvent utile et parfois indispensable de rédiger d'abord un brouillon. Si on n'utilise pas la machine à écrire, on ne doit pas infliger au correspondant un texte illisible. C'est de la simple politesse.

Il ne faut pas omettre la date. « Une lettre non datée est aussi incomplète qu'une lettre non signée », disait un ambassadeur. Serait-il inutile de conseiller à ceux qui ont un courrier abondant de ne pas se tromper d'enveloppe ? Le cas s'est présenté de lettres envoyées à d'autres personnes qu'à leur destinataire. L'erreur n'a pas toujours des suites fâcheuses, mais il est aisé de comprendre qu'il pourrait en surgir ; elle donne tout au moins l'idée d'un manque d'ordre chez l'expéditeur distrait. Ajoutons encore qu'il faut se tenir au courant des tarifs postaux et de leurs variations : le destinataire d'une lettre ne paye pas de gaieté de cœur l'affranchissement qui manque et la surtaxe établie pour de tels cas.

Nous sommes pauvres par vocation, nous devons donc être avares de notre temps et de notre argent, n'écrivant que lorsqu'il y a un motif suffisant de le faire. Quand les affaires traitées n'ont pas un caractère urgent, utilisons le service ordinaire plutôt que le service aérien.

Style des lettres. Le style de certaines lettres est parfois négligé, parfois aussi recherché.

La première loi du style épistolaire est celle-ci : « Grand respect pour ses correspondants ». Il faut être naturel et ne pas faire d'emphatiques compositions de rhétorique. On peut écrire comme l'on parle pourvu qu'on parle bien. On est instinctivement porté à juger d'une personne par ses écrits et l'on dit justement : « Le style, c'est l'homme », et aussi : « Quiconque envoie une lettre envoie son portrait », le portrait de son âme. Elle s'y fait connaître pour ce qu'elle est et ce qu'elle vaut. Nous révélons ainsi notre esprit, notre cœur, nos talents, notre degré d'éducation. « J'ai vu, dit à ce propos Mgr Baunard, beaucoup de lettres qu'ont écrites les grands hommes et les grands saints. J'ai eu entre les mains, pour les faire connaître aux autres, celles qu'ont écrites d'illustres personnages de l'époque présente. En vérité, c'était bien leurs âmes que je touchais et je ne connais pas de tableaux plus vivants que ces pages. »

Il faut être extrêmement prudent et réservé dans les lettres, plus même que dans la conversation. Le R. F. Diogène, Supérieur Général, donnait ce conseil aux Grands Novices avec une pointe d'hyperbole : « Écrivez vos lettres comme si elles devaient être exposées avec votre signature sur les portes de Saint-Pierre de Rome. » Les paroles qu'on dit ne font que passer, et les fautes qui échappent dans les discours peuvent se réparer sur-le-champ ; mais celles que l'on commet en écrivant se réparent très difficilement car, comme dit le proverbe antique : verba volant, scripta manent, les paroles s'envolent, les écrits restent. Aussi ne faut-il écrire que lorsqu'on se sent assez maître de soi pour mesurer ses termes, et la prudence élémentaire suggère de différer l'expédition d'une lettre si plus de réflexion s'impose sur les sujets traités.

Diverses sortes de lettres. En se bornant à celles qui sont plus habituelles parmi nous, on présentera ici simplement quelques remarques et conseils sur les lettres adressées aux Supérieurs, aux confrères, aux parents, aux élèves et aux étrangers.

Lettres aux Supérieurs. La Règle dit : « Les Frères Directeurs écriront deux fois par an au Frère Supérieur Général ou à ses Assistants ; les autres Frères, une fois aux époques qui auront été fixées. Tous les Frères écriront deux fois au Frère Provincial, aux époques déterminées. La visite du Supérieur tient lieu de correspondance » {Art. 303).

Les Frères Assistants, pour mieux distribuer leur temps et être plus à même de répondre, indiquent généralement l'époque de la correspondance des Frères des Provinces dont ils ont la charge. Après l'expérience réalisée de certaines feuilles-questionnaires qui devaient favoriser la rédaction de ces lettres, on n'en peut guère conseiller l'usage. Répondre à certaines questions, parfois très importantes, par un oui ou un non, n'éclaire pas les Supérieurs. Mieux vaut écrire une lettre et toucher, avec tous les détails utiles, les points qui en valent la peine. Les deux directoires insérés à la fin du livre des Règles Communes peuvent servir à titre de guide simplement. On peut passer quelques points sous silence, insister sur d'autres et traiter d'affaires personnelles ou locales non mentionnées.

Dans les lettres de direction, il faut parler davantage de soi que des autres ; il convient cependant, et c'est même parfois un devoir, de parler également des confrères.

Outre la correspondance de Règle, il peut se présenter des motifs personnels d'écrire aux Supérieurs. Il ne faut, en aucun cas, être prolixe ou imprécis dans ce que l'on expose. On doit en arriver rapidement à l'objet de la lettre, évitant les longs préambules ou les considérations inutiles donnant l'impression de pur remplissage.

Le Frère Directeur surtout et ses collaborateurs les plus proches ne doivent pas omettre de faire connaître au Supérieur ce qui peut l'intéresser au sujet de la marche de l'école : on enlève ainsi à la lettre tout aspect trop égoïste et l'on fait preuve d'esprit de famille.

S'il s'agit de permissions à demander, de difficultés à résoudre, de différends à trancher, il ne faut s'adresser aux Frères Assistants ou au R. F. Supérieur Général que lorsque la chose dépasse les pouvoirs ou les moyens d'abord du Frère Directeur, et ensuite du Frère Provincial.

Les lettres écrites aux Supérieurs ne doivent pas être communiquées aux confrères et ceux-ci, pas même le Frère Directeur, ne doivent en prendre connaissance, alors même que leur auteur le voudrait (R. C. Art. 309). Ceux qui invitent à lire de telles lettres le font souvent en toute simplicité, mais il est des cas où l'intention n'est pas droite : il peut y avoir de la vanité, le désir de montrer qu'on y va librement avec les Supérieurs, etc. … « Pareillement, dit encore la Règle au même article, les Frères ne peuvent communiquer à personne les lettres qu'ils reçoivent des Supérieurs, à moins qu'elles ne contiennent des choses qui regardent tous les Frères de la maison ou que celui qui écrit n'ait manifesté l'intention qu'elles soient communiquées ». La communication des lettres des Supérieurs pourrait provenir de motifs nullement louables : mauvais esprit du destinataire, amour-propre blessé, interprétation malveillante. Il s'est trouvé parfois des Frères et même des Frères Directeurs qui, après réception de lettres contenant des remarques ou des reproches des Supérieurs, ont témoigné en public leur mauvaise humeur à l'égard des confrères qu'ils soupçonnaient d'avoir provoqué ce rappel au devoir. Les religieux judicieux et à bon esprit ne peuvent que blâmer de telles réactions ; leur estime pour ceux qui se les permettent tendra à diminuer.

Lettres aux confrères. Ne multiplions pas indûment l'échange de lettres entre confrères. Il en est qui écrivent pour demander un service. Il ne faut pas différer de répondre, devrait-on être bref : qui donne vite donne deux fois ; à trop tarder on s'expose à ce que le service ne soit plus utile. N'alléguons pas le manque de temps : c'est rarement vrai. Il peut être avantageux, en écrivant aux confrères, de leur communiquer les nouvelles susceptibles d'alimenter l'esprit de famille ; mais on doit éviter la tendance à colporter mille cancans pouvant donner lieu à des exagérations, à des indiscrétions et à des manquements à la charité.

Si nous sommes tentés de parler défavorablement et sans motif des confrères, demandons-nous s'il nous serait agréable que l'on prît la même liberté à notre égard : « Ce que tu serais fâché qu'on te fît, conseillait le vieux Tobie à son fils, aie soin de ne le faire jamais à un autre » (Tobie, IV, 16). Il y a parfois dans les lettres des réticences, des points de suspension ou d'exclamation qui renferment souvent plus de malice que la déclaration franche de la pensée. La correspondance entre confrères peut servir au bien ou être cause de mal, et l'on peut affirmer de la plume ce qu'on a dit de la langue : « Il n'est rien de meilleur ni rien de pire », selon l'usage qu'on en fait. On peut, par les lettres, exercer un apostolat méritoire, mais aussi, malheureusement, semer le mauvais esprit, porter au découragement, à la désaffection de son saint état.

Je ne voudrais pas insister sur ce point et cependant je crois de mon devoir de condamner les lettres où l'on use de termes vulgaires, du tutoiement, de calembours de mauvais goût, où les ombres de la vie commune, les échecs partiels, les divergences de vues, tout est mis en relief avec une loupe grossissante ; tandis que le bon esprit, les côtés favorables, les dévouements désintéressés en sont généralement exclus. C'est ainsi que trop souvent la réputation des confrères est ruinée par l'esprit de critique, la médisance, voire la calomnie, à tel point que lorsqu'ils sont appelés à travailler dans un autre secteur, ils sont reçus avec méfiance, ce qui ne les aide pas à s'y sentir en famille et à obtenir dans leur emploi le succès souhaitable.

S'il est des religieux qui emploient dans leurs lettres des termes vulgaires, il en est d'autres dont le style est trop sentimental. Il faut savoir se tenir dans le juste milieu qui est celui de la politesse chrétienne et religieuse.

Lettres aux parents. Il y a là encore deux extrêmes à éviter : écrire trop souvent, écrire trop rarement. Il est difficile de donner une règle précise. Certains. parents sont satisfaits si on leur écrit deux ou trois fois l'an ; d'autres trouvent toujours trop rares les lettres de leurs enfants: Avec l'âge, cette correspondance diminue naturellement et parfois beaucoup plus qu'il ne faudrait. Quand on est loin des siens, il est des circonstances spéciales où il faut s'empresser d'écrire : désordres politiques, cataclysme dans la région qu'on habite, maladie qu'ils ont pu connaître par d'autres, etc. … Ne pas écrire ou le faire trop tard peut leur causer une juste inquiétude.

Le sacrifice de la séparation est en général plus pénible pour les parents que pour les religieux et un silence prolongé ne fait qu'ajouter à leur peine. On nous a adressé des plaintes à ce sujet et l'on nous a demandé l'adresse de Frères dont la famille était sans nouvelles depuis trop longtemps insouciance n'est pas vertu.

L'excès contraire consiste à multiplier les rapports épistolaires, non seulement avec les proches parents, mais avec une parenté plus ou moins éloignée. Des religieux se tiennent ainsi au courant des moindres détails des affaires des leurs ; connaissant leurs difficultés, ils veulent y remédier ; mis au courant de leurs projets, ils désirent faciliter leur réalisation. Ils en oublient leurs obligations et risquent de se désaffectionner de leur sainte vocation et de compromettre leur persévérance.

Il est bien des choses relatives à la famille qu'il est mieux d'ignorer et des parents chrétiens les cachent à leurs fils religieux pour ne pas leur causer de vains soucis. Combien de Frères venus de pays lointains pour une visite de famille, après une longue absence, ont reconnu que s'ils avaient été mis au courant de certaines difficultés de leurs parents, ils en auraient été fort préoccupés sans pouvoir leur venir en aide.

La Règle dit que «dans toute leur correspondance les Frères feront en sorte qu'il y ait toujours quelque chose d'édifiant et qui puisse porter à Dieu » (Art. 308). Le respect humain empêche parfois de se conformer à cette prescription. Il ne s'agit pas d'écrire un sermon, mais de glisser, en temps opportun, quelques mots empreints d'esprit surnaturel. Les lettres, surtout celles qui sont adressées aux confrères, aux parents, aux élèves et anciens élèves, qui n'ont pas en vue, tout d'abord, le bien spirituel, révèlent un manque de l'esprit surnaturel caractéristique du religieux. Avec les parents on peut insister davantage sur ce point, tout en évitant de devenir ennuyeux. On leur rappelle discrètement leurs obligations religieuses, on leur conseille le recours à la prière, la réception des sacrements ; on leur suggère l'idée d'offrir au bon Dieu leurs peines et leurs travaux; on leur promet le secours de ses prières, etc. … Pour le père et la mère, c'est leur faire un bien réel que de leur rappeler, à l'occasion, la valeur du sacrifice fait de leur fils au bon Dieu. Les parents sont heureux des bons sentiments dont témoignent les lettres de leurs enfants et l'amour qu'ils leur portent les incline à mettre en pratique leurs conseils. Il est douloureux de constater parfois cette anomalie : alors que tant de lettres de parents chrétiens sont très édifiantes, celles de certains religieux ne contiennent aucune pensée susceptible de porter les âmes à Dieu et au bien. Cela accuse un manque notable d'esprit de foi.

Lettres aux élèves ou anciens élèves. Les élèves écrivent parfois, surtout pendant les vacances ou après leur scolarité. Il faut leur répondre évidemment, mais sans donner lieu à une correspondance suivie, à moins qu'il n'y ait un bien certain à réaliser, ce qui ne sera pas le cas, s'il s'agit d'élèves pour lesquels on ressent de l'affection trop naturelle ou qui sont trop préoccupés de gagner les bonnes grâces de leur maître.

Où trouverions-nous le temps pour une correspondance volumineuse et de quoi pourrions-nous traiter avec bien des élèves ? S'il en est qui demandent conseil, ne le leur refusons pas, donnons-le chaque fois que ce sera nécessaire, mais toujours avec la réserve voulue : que ce soit le cœur qui parle, mais guidé par la tête et surtout par l'esprit surnaturel. Bien des élèves écrivent simplement pour saluer. Il suffira de leur répondre par quelque formule de politesse, quelques paroles d'encouragement, quelque conseil plein d'à-propos, sans entrer dans de longues considérations.

On ne saurait trop blâmer la conduite peu charitable de certains Frères qui, écrivant à leurs anciens disciples, ont des réflexions ou des termes désobligeants à l'égard de ceux qui les ont remplacés dans la classe ou tout autre emploi.

Si un élève ou un ancien élève que l'on a connu plus particulièrement a eu un malheur domestique, a subi un accident, a perdu son père ou sa mère, etc. …, on s'empressera de lui exprimer ses condoléances. On lui adressera de même ses félicitations pour un événement heureux : succès, distinction, etc. … Auprès de certains anciens, ce sera un véritable apostolat : ils revivront leurs jours d'école, et le souvenir de leurs anciens maîtres et de leur enseignement pourra leur inspirer des réflexions salutaires.

On ne pourrait cependant s'adonner à cette correspondance sans la permission du Frère Directeur et, dans bien des cas, il est préférable qu'il s'en charge lui-même au nom de la communauté.

Lettres aux étrangers à la Congrégation. Quant à ceux qui sont sortis de l'Institut, la Règle, comme il a été dit plus haut, nous défend de traiter avec eux, même par lettre. Les rapports avec ceux qui nous ont abandonnés peuvent porter des religieux à se faire illusion sur les avantages du monde, car si certains correspondants avouent que le monde ne leur a pas procuré ce qu'ils en attendaient, il en est parfois qui veulent faire croire qu'ils y ont trouvé le bonheur. Il est pénible de voir des Frères, que l'âge devrait rendre plus circonspects et plus préoccupés de l'honneur de leur Institut, tenir parfois des ex-religieux au courant des difficultés ou conflits qui sont inévitables, même dans les meilleures communautés. Une telle conduite peut devenir une véritable trahison envers les confrères et la Congrégation.

On doit s'abstenir d'écrire à des personnes constituées en dignité, dans le but de se justifier à la suite de quelques difficultés survenues avec elles. On risque de le faire sous le coup de l'humeur et avec un manque de prudence que l'on regrettera dans la suite (R. C. Art. 405). « On ne doit écrire aux étrangers, dit encore la Règle, que par nécessité » (Art. 308). Il faut être bref, comme dans les visites. On peut avoir à écrire à des parents d'élèves, surtout de pensionnaires ; il faut bien peser les termes et prévoir l'interprétation qui leur sera donnée. Dans bien des cas, il convient de garder une copie des lettres, surtout de celles que l'on écrit aux étrangers, quand on prévoit que les affaires que l'on traite pourront donner lieu à une série d'explications et de mises au point. Faute de prudence et de prévision sur la portée de tels écrits, on s'expose à fournir à ces personnes des armes contre soi-même.

La Règle dit que quand les Frères Directeurs informent le Frère Provincial de leur conduite personnelle, ils doivent lui faire connaître les lettres de quelque importance qu'ils auraient écrites aux étrangers (Art. 307). Si l'on ne fait pas cette même obligation aux Frères en second, c'est parce qu'ils ne peuvent écrire de telles lettres qu'avec la permission et sous la responsabilité du Frère Directeur (Const., Art. 206, 5°). Celui-ci fera bien, lorsqu'il aura des doutes sur l'opportunité ou la rédaction de telles lettres, de les soumettre à son Frère sous-directeur ou à son Conseil. Il pourra de la sorte éviter plus sûrement des maladresses regrettables.

Il n'est pas hors de propos de signaler l'abus qui consiste à écrire à des serviteurs ou à des maîtres auxiliaires qu'on a dû remercier ou qui se sont retirés mécontents. Il est arrivé que ces personnes ont présenté comme un brevet d'honnêteté et de dévouement, à l'Institution qui les employait, des lettres élogieuses de Frères n'ayant pas qualité pour juger de leur conduite et qui ne s'attendaient certainement pas à ce que leur geste inconsidéré se tournât un jour contre leur famille religieuse.

Il est difficile de donner une ligne de conduite uniforme pour la correspondance de Nouvel An avec les diverses catégories de personnes dont nous avons parlé. Dans certains pays, l'échange de lettres et de cartes de visite ou illustrées s'est tellement généralisé que les religieux ne peuvent se soustraire complètement à cette coutume. Mais le vœu et la vertu de pauvreté ne perdent pas leurs droits ; aussi faut-il éviter l'emploi de cartes postales luxueuses ou d'un prix élevé et se borner à écrire à des personnes à qui on ne peut se dispenser d'offrir ses vœux.

Lettres anonymes. Évitons à tout prix d'écrire des lettres anonymes qui, en général, révèlent de l'hypocrisie, de la lâcheté et sont parfois dictées par la jalousie ou par d'autres sentiments inavouables. C'est prendre un masque pour frapper impunément. Ces lettres peuvent blesser la charité fraternelle, non seulement par leur contenu, mais encore en laissant soupçonner faussement d'autres confrères d'en avoir été les auteurs. Quel besoin y a-t-il d'adresser des lettres anonymes aux Supérieurs pour leur signaler des abus ? Si ce que l'on dénonce est vrai, quelles raisons a-t-on de se cacher ? C'est un procédé que rien ne saurait justifier et donc tout à fait blâmable.

Contrôle à exercer. Le Frère Directeur, s'il le juge bon, peut prendre connaissance de toutes les lettres envoyées ou reçues par un Frère, à l'exception de celles qui sont énumérées au canon 611 du Droit Canonique et à l'article 206 des Constitutions.

Le Code de Droit Canonique, pas plus que les Constitutions, ne citent ni les Maîtres des Novices ni les Directeurs de Scolasticats parmi les personnes dont la correspondance n'est pas soumise au contrôle des Supérieurs ; mais il y a de réels avantages à les laisser correspondre librement avec leurs anciens disciples. Ceux-ci ont parfois des peines qu'ils ne sont disposés à communiquer qu'à ceux qui les connaissent bien, et qui les connaît mieux que ceux qui les ont instruits et guidés dès leurs premiers pas dans la vie religieuse ? Bien des vocations peuvent ainsi être soutenues, relevées, préservées.

L'exercice de ce contrôle requiert une discrétion et un tact qui doivent s'appliquer à tous les membres de la communauté ; il faut en user avec modération, mais il ne convient pas de le laisser tomber en désuétude. C'est une mesure de bon ordre et de prudence paternelle qui empêche bien des abus, protège efficacement la vie intérieure et le recueillement, prévient des tentations et de nombreuses difficultés. Pour que ce droit puisse s'exercer, les lettres doivent être remises ouvertes au Frère Directeur. Celui-ci ne pourra communiquer à d'autres le contenu des lettres, ni même en user si ce n'est pour prévenir un dommage à la communauté ou au religieux. La violation du secret des correspondances est grave en soi ; elle pourrait impliquer un péché mortel si elle causait un préjudice sérieux au religieux ou à ses correspondants. Cette doctrine enseignée par les meilleurs auteurs fera comprendre la gravité des fautes auxquelles s'exposent ceux qui, sans aucun droit ni autorisation, lisent la correspondance de leurs confrères.

L'article 212 des Constitutions prescrit au Frère Portier de remettre fidèlement tout le courrier au Frère Directeur et de ne pas se permettre d'avertir les Frères qui auraient des lettres à leur adresse. L'esprit, sinon la lettre de cet article, défend au Frère Portier de se charger de l'expédition de lettres qui lui seraient remises sans l'acquiescement du Frère Directeur. Celui-ci sera très ponctuel à envoyer à la poste le courrier à expédier et ne tardera pas à remettre aux Frères les lettres qui leur sont adressées ; à trop les laisser traîner sur son bureau de travail, il y a danger qu'elles s'égarent ou que les destinataires apprennent avec déplaisir, par eux-mêmes ou par des confrères, cette négligence qui, par simple délicatesse, ne devrait pas se produire.

Il est d'usage que lorsqu'un Supérieur est en visite dans une maison, tout le courrier lui soit remis dès l'arrivée du facteur. Il faut de même qu'il trouve dans sa chambre tout le nécessaire pour sa correspondance, timbres y compris, afin qu'il puisse expédier ses lettres comme bon lui semble, sans passer obligatoirement par des intermédiaires.

Correspondance irrégulière ou clandestine. Envoyer directement des lettres sans permission est contraire à l'obéissance, à la pauvreté et souvent aussi à la prudence et à la charité ; car, pourquoi écrit-on sans permission si l'on n'a rien à écrire que de juste et raisonnable ? Il est donc probable qu'on se cache pour être plus libre, pour dénigrer ses Frères et peut-être ses Supérieurs, pour se plaindre des uns, critiquer les autres et découvrir au dehors ce qui, même dans la communauté, devrait être tenu secret. D'autres écrivent en cachette pour traiter d'affaires nullement autorisées par la Règle ou les Supérieurs, ou encore pour entretenir des rapports qui mettent sérieusement en danger leur vocation.

«Toute correspondance clandestine constitue une irrégularité grave», lisons-nous à l'article 512 des Règles du Gouvernement. Se servir des élèves pour cela, c'est les former à la dissimulation ; se faire adresser des lettres en cachette chez des étrangers, c'est donner à ceux-ci une idée défavorable de soi-même et de la communauté. Le rapport que nous devons fournir tous les cinq ans au Saint-Siège contient cette question qui donne la pensée de l'Église sur une irrégularité à laquelle on serait parfois incliné à donner peu d'importance : « Y a-t-il eu des cas de correspondance secrète clandestine, soit des religieux entre eux, soit des religieux avec les personnes du dehors, et qu'a-t-on fait pour réprimer ces abus ? »

Censure. S'il y a toujours lieu d'être très réservé pour traiter certains sujets dans les lettres, il faut l'être bien davantage lorsque, à cause de l'état de guerre ou d'autres circonstances, le courrier est soumis à la censure. Il faut, non seulement penser au danger que l'on court soi-même ainsi que les oeuvres dont on a la charge, mais encore à celui que l'on fait courir à ses correspondants : qui sait, doit-on se dire, si la censure n'est pas plus rigoureuse chez eux que chez nous ! On ne doit pas non plus perdre de vue que la censure s'exerce à peu près en permanence dans certains pays et qu'elle n'est jamais plus à craindre que quand elle n'a pas été publiquement annoncée.

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Voilà bien des détails concernant les visites et la correspondance. Ne les considérons pas comme inutiles. Ne voir que des minuties sur ces points et autres de discipline religieuse, c'est oublier que notre vocation est une vie de renoncement et qu'on ne parvient pas à une fidélité habituelle dans les grandes choses si on ne se fait pas constamment violence pour l'être dans les petites prescriptions de la Règle, dans les moindres obligations des vœux, dans les actes de vertu les plus ordinaires. 

L'ESTIME DE NOS CONSTITUTIONS

 1° Leur rôle et l'effet de leur approbation.

 Les lois de l'Église concernant la vie religieuse ont très sagement prévu les moyens de profiter de cet état de vie : exercices de piété, réception des sacrements, vie commune, relations avec le dehors, administration des biens, etc. … Ces lois de l'Église, nous les trouvons dans le Code du Droit Canonique, dans les Normæ et les Décrets du Saint-Siège.

Ce ne sont là que des règles plus ou. moins générales ; il faut donc les préciser et en prévoir les applications concrètes. C'est le rôle des diverses Constitutions. Les Constitutions complètent, précisent et appliquent les lois générales de l'Église sur les états de perfection, et cela suivant la spiritualité et le but propres à chaque Institut, suivant la nature de ses sujets et les inspirations des Fondateurs, mais toujours sous le contrôle et avec l'approbation de l'Église.

De là le canon 593, qui est la base de la vie religieuse et qui résume nos obligations de religieux : « Les religieux, les Supérieurs aussi bien que leurs sujets, doivent, tous et chacun, non seulement observer fidèlement et intégralement les vœux qu'ils ont faits, mais encore se conformer aux Règles et Constitutions de leur religion et ainsi tendre à la perfection de leur état ». Texte capital qui met en relief l'autorité de nos Constitutions et leur valeur dans nos vies : c'est notre moyen pour tendre à la perfection de notre état. Le Révérend Père Jombart, dans une communication faite au Congrès des Religieux tenu à Rome en 1950, a pu écrire : « …dans ces Constitutions, chaque religieux trouve les moyens les plus appropriés au genre de perfection que Dieu attend de lui. L'inobservation des Constitutions ferait vite baisser le niveau de la ferveur, donnerait lieu à bien des illusions, diminuerait grandement l'étroite union, qui doit régner dans une communauté… » (Acta et documenta a congressus generalis de statibus perfectionis, Vol. II, p. 27).

L'Église, fidèle et vigilante gardienne, a prévu nos instabilités et nos périodiques besoins de changement ; pour éviter les précipitations et les imprudences, les Normæ, nn. 251, 252, réservèrent au Saint-Siège l'interprétation authentique des Constitutions dans les Congrégations de Droit pontifical ; cette prescription est rappelée par l'article 140 de nos Constitutions. Ni le Chapitre général, ni le Supérieur général ne peuvent interpréter authentiquement les Constitutions, ni rien y ajouter ou retrancher ; le Saint-Siège seul s'est réservé ce droit. On comprend le pourquoi de cette exclusive : « Puisque les Constitutions contiennent un nombre assez considérable de textes reproduisant littéralement ou à peu près le Code, seul le Saint-Siège peut donner de ces articles une interprétation authentique ». (R. P. Creusen).

Et ce fait montre, une fois de plus, le respect dû aux Constitutions. Si les Constitutions sont ainsi soustraites au pouvoir des différents Supérieurs de l'Institut, si le droit d'y faire des changements appartient à la Sacrée Congrégation des Religieux à laquelle il faut toujours recourir en cas de nécessité, comme chaque religieux devrait donc estimer un texte entouré de tant de précautions et surtout s'efforcer d'y être fidèle pour respecter la volonté de l'Église! Dans ce sens, Sa Sainteté Pie XII a dit aux religieuses enseignantes dans son discours «Ci torna » du 13 septembre 1951: « Les normes elles-mêmes des Constitutions, prises selon la lettre et l'esprit, facilitent et procurent à la religieuse tout ce qui lui est nécessaire et qu'elle doit faire, à notre époque, pour être une bonne enseignante et éducatrice. » La voix du Pape nous trace un devoir impérieux au milieu du désarroi intellectuel de notre époque : prendre nos Constitutions selon la lettre et l'esprit ; il faut le faire dans le plan de l'intelligence et de la sensibilité et dans celui de notre activité; c'est ainsi que chacun pourra réaliser pleinement sa vocation qui « suppose radicalement qu'on adopte comme règle de vie le renoncement à la libre disposition de sa volonté », c'est-à-dire « la libre immolation de sa liberté, comme le demande le vœu d'obéissance, ce vœu que l'Église pendant tant de siècles a étudié attentivement, expérimenté à fond, réglé et pleinement approuvé » (Pie XII, Discours du 8 décembre 1950 au Congrès des Religieux).

Comme vous le savez, mes très chers Frères, chaque cinq ans, nous devons fournir à Rome un rapport détaillé sur la marche de la Congrégation. Un questionnaire nous est fourni par Rome pour cela ; le dernier en date est de 1948. J'en transcris quelques demandes :

N° 226. Observe-t-on fidèlement la Règle et les Constitutions ?

N° 332. Que doit-on dire en résumé au sujet de l'observance des vœux et des prescriptions du Droit Canonique, des Règles et des Constitutions, en soi et comparaison faite avec le quinquennat précédent ?

N° 336. Qu'ont fait les Supérieurs pour sauvegarder fidèlement et intégralement l'observance religieuse dans chaque partie, Province et maison ?

Ce souci du Saint-Siège de nous suivre de très près nous est une leçon ; la hiérarchie montre par là l'importance accordée à nos Constitutions et par suite nous indique quelle estime chaque religieux doit en avoir. S'il n'y a pas de fidélité aux Constitutions, il n'y a pas de fidélité à l'Église ; il n'y aura pas non plus fidélité au Fondateur, car où trouver mieux son esprit que dans les Constitutions qui sont la base de son oeuvre et la source de son influence ? 

2° N'y a-t-il pas un problème d'adaptation ?

 Comme le faisait remarquer le R. P. Delchard, S. J., au Congrès des Religieux (Rome 1950), « nous ne devons pas partir ici de l'affirmation de saint Paul : « la lettre tue, l'esprit vivifie » (II Cor., 3, 6), car il s'agit de l'opposition entre l'économie de la loi mosaïque et l'économie de la nouvelle Alliance ». Il faut poser le problème avec réflexion et non en partant d'une expression toute faite et sortie de son contexte historique. Dans l'expression de Sa Sainteté Pie XII, rappelée plus haut, on voit le sujet bien mieux orienté : selon la lettre et l'esprit, a dit le Pape ; le problème est celui d'une harmonisation, non pas d'une opposition ou d'une révolution. L'adaptation n'est pas le fruit d'une envie de nouveautés mais l'effet d'un paisible effort, refait par chaque génération, effort de compréhension et d'harmonisation.

L'esprit d'un Institut est immuable et ne doit jamais être sacrifié ; mais, à chaque époque, il faut faire un sérieux effort pour le comprendre en relation avec les nécessités présentes. C'est par un retour aux sources profondes Évangile, vie du Fondateur, tradition de l'Institut, qu'on fera la lumière sans être emporté par les modes et les engouements passagers, donc sans préjudice pour la vie religieuse ou l'apostolat réel. On verra de plus que la lettre des Constitutions peut et doit servir l'esprit du Fondateur ; on découvrira peu à peu que, dans la lettre, se trouvent aussi des éléments essentiels et immuables comme dans l'esprit lui-même.

Nos Constitutions sont une réalisation concrète et solide de notre esprit religieux mariste ; elles sont un, signe de fidélité au Fondateur mais tout autant un appui très sûr pour travailler en vue de l'avenir : sans elles, on se perdrait en continuels tâtonnements ou essais. Si elles sont une fidélité du passé, elles sont aussi bien une préparation du futur. De fait, un Institut qui prétendrait être purement spirituel et qui n'aurait pas de Constitutions comme fondement, se montrerait vite une communauté illusoire, se perdant en inutiles recommencements dus à la fantaisie, à l'anarchie, au libre examen ; chacun suivrait son goût et des abus de tous genres naîtraient.

Une Congrégation où dominerait le formalisme ne saurait durer ; de même, elle irait vers sa déchéance et la décadence quand elle déciderait arbitrairement, des modifications. Il est évident que les Constitutions sont faites pour maintenir l'esprit du Fondateur ; il est clair que la lettre exprime, défend et conserve l'esprit, que celui-ci a précisément comme principal moyen de se maintenir, la lettre elle-même des Constitutions. Aussi quand on agit avec sincérité, bonne volonté et intention droite, on trouvera le moyen de conserver l'union de la lettre et de l'esprit, car les contradictions entre esprit et lettre ne sont le plus souvent qu'apparentes. Chacun sait que la lettre sans l'esprit est insuffisante ; mais l'expérience apprend que se débarrasser de la lettre, sous prétexte de garder l'esprit, est une dangereuse illusion ou bien la recherche de la vie facile, commode, agréable à la nature. Donc deux défauts sont à éviter : sous-estimer la valeur des lois ou bien tellement tenir aux moindres détails des règlements que toute modification soit jugée illégitime et impossible.

Ces principes rappelés, on peut parler d'adaptations. Les adaptations ou changements dans la lettre des Constitutions ne peuvent porter que sur des éléments secondaires, accidentels. Si l'on suit de près les directives de l'Église, on s'aperçoit que les modifications envisagées portent sur des horaires et des costumes, des coutumes anciennes et des détails de règlements, des usages d'objets nouveaux et de procédés techniques récents, des méthodes de travail contemporaines, en un mot des points secondaires alors que rien d'essentiel n'a été modifié. En fait, la plus grande partie de ces modifications portent sur des coutumiers. Et Rome ne permet de toucher aux Constitutions qu'avec grande prudence. Encore faudra-t-il que tout se fasse dans l'ordre par les Supérieurs majeurs et les Chapitres généraux munis des approbations nécessaires. Pour tout mettre au point, citons encore Sa Sainteté Pie XII, s'adressant aux religieuses enseignantes avec une pondération qui doit nous faire réfléchir : « Il est possible que certains points de l'horaire, certaines prescriptions qui ne sont que de simples applications de la Règle, quelques habitudes, qui correspondaient peut-être à des conditions d'un autre temps, mais qui, à présent ne font que compliquer l'œuvre éducatrice, doivent être adaptées aux nouvelles circonstances. Les Supérieures majeures et le Chapitre général doivent veiller à agir, en cette matière, consciencieusement, avec clairvoyance, prudence et courage, et, lorsque la chose l'exige, ne pas manquer de soumettre les changements proposés aux autorités ecclésiastiques compétentes » (Pie XII, 13 septembre 1951).

Nous sommes loin de ces bouleversements radicaux qu'envisagent certains esprits, plutôt superficiels, qui oublient que le nouveau n'est pas toujours le mieux. Par contre, on peut affirmer qu'un Institut plein de vie et de ferveur, attaché à son Fondateur et à ses Constitutions, saura, à la fois trouver les adaptations de détails nécessaires et vivre en toute fidélité sans tolérer les caprices de chacun. Il ne faut changer que pour mieux agir, telle est la pensée du Saint-Père, et non par souci de vie facile ; on ne doit changer que ce qui est devenu un obstacle à la sanctification et à l'apostolat ; donc pureté d'intention, générosité et oubli de soi sont nécessaires pour éviter qu'une adaptation soit un recul ou comme l'on dit, en terme technique, une mitigation. Pour pouvoir s'adapter, il faut premièrement être fervent sinon on fera des concessions à l'esprit du monde. « Trop souvent les adaptations consistent surtout en suppressions ou latitudes sans que rien ne remplace l'exercice vertueux abandonné. Si l'on ne veut pas amoindrir l'esprit religieux et les vertus religieuses, il est indispensable de ne jamais supprimer un usage sans s'efforcer de lui substituer un usage nouveau qui compensera celui qu'on a cru devoir supprimer. Faute de ce souci, on en arrive, sous prétexte d'adaptation, à détruire tout esprit de mortification, toute discipline, toute dépendance à l'égard des Supérieurs ». R. P. Réginald Ornez, O. P. (Actes du Congrès de Rome, Vol. II, p. 39).

Le Saint-Siège lui-même nous donne exemple de l'esprit dans lequel on doit envisager des adaptations. Ainsi, s'il permet l'emploi des machines modernes, il nous demande une dépendance de plus en plus grande dans le domaine de la pauvreté : décrets récents sur le commerce et l'administration des biens ; on le voit, cela n'est pas fait en vue de diminuer les exigences de la vie religieuse. Bien des passages du questionnaire de la Sacrée Congrégation des Religieux pour le Rapport quinquennal pourraient servir d'exemples précis ; je n'en citerai qu'un à propos de la chasteté et de sa sauvegarde, la question 214 : « Tous les Supérieurs ont-ils veillé attentivement par devoir de conscience sur tout ce qui dans la maison ou au dehors présente facilement quelque danger contre la chasteté religieuse, savoir :

a) les familiarités soit aux parloirs soit ailleurs avec les personnes de l'autre sexe, avec les jeunes gens et les enfants ;

b) la correspondance ;

c) la lecture des livres et journaux non convenables pour des religieux ;

d) des abus du téléphone et l'usage non contrôlé des auditions radiophoniques

C'est un exemple typique ; il y a bien adaptation mais pas du tout laisser-aller, fantaisie, anarchie. C'est une adaptation dans un esprit de mortification et de discipline ; dès lors, l'esprit religieux est parfaitement sauvegardé. Jugeons toujours nos Constitutions avec une telle mentalité. Si nous nous donnons la peine de les étudier à fond, avec complet esprit religieux, nous les trouverons dignes d'être estimées, nous n'essayerons pas de les alléger ou de nous en écarter, nous les vivrons sachant qu'elles sont la bonne voie du ciel, la voie étroite mais sûre dont nous a parlé Jésus. Notre estime des Constitutions se traduira donc par notre confiance en elles et notre fidèle observance sans crainte d'aucune sorte.  

Lettre Encyclique " Ad cæli Reginam "

    A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats,

   Archevêques, Évêques et autres Ordinaires

   en paix et communion avec le Siège apostolique.

 PIE XII, PAPE.

 Vénérables Frères,

salut et bénédiction apostolique.

 Dès les premiers âges de l'Église catholique, le peuple chrétien fit monter vers la Reine du ciel ses prières et ses chants de louange filiale, dans la sérénité des heures de joie et plus encore dans l'angoisse des périls menaçants. Jamais ne fut déçue l'espérance mise en la Mère du divin Roi Jésus-Christ ; jamais ne s'affaiblit la foi qui nous enseigne que la Vierge Marie, Mère de Dieu règne sur l'univers entier avec un cœur maternel, tout comme elle est ceinte d'une royale couronne de gloire dans la béatitude céleste.

Or, après les calamités qui jusque sous Nos yeux ont couvert de ruines des villes florissantes et de nombreux villages, Nous voyons avec douleur déborder dangereusement les flots de profondes misères morales, vaciller parfois les bases mêmes de la justice, triompher un peu partout l'attrait des plaisirs corrupteurs et, dans cette conjoncture inquiétante, Nous sommes saisi d'une vive angoisse. Aussi est-ce avec confiance que Nous recourons à Marie Notre Reine, lui manifestant non seulement Notre amour, mais aussi celui de quiconque se glorifie du nom de chrétien.

Le 1ier novembre de l'année 1950 – il Nous plaît de le rappeler, – en présence d'une multitude de cardinaux, d'évêques, de prêtres et de fidèles accourus du monde entier, Nous avons Nous-même défini le dogme de l'Assomption de la Très Sainte Vierge dans le ciel, où, en corps et en âme, elle règne avec son Fils unique parmi les chœurs des anges et des saints. En outre, à l'occasion du centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX, Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Nous avons promulgué la présente Année mariale ; et ce Nous est aujourd'hui une grande consolation de voir à Rome, – à Sainte-Marie-Majeure en particulier où les foules viennent manifester leur confiance et leur grand amour envers leur Mère du ciel, – mais également dans le monde entier, la piété envers la Vierge Mère de Dieu refleurir toujours davantage et les principaux sanctuaires marials recevoir sans cesse de nombreux et pieux pèlerinages.

Et l'on sait que, chaque fois que Nous en eûmes l'occasion, dans Nos allocutions d'audience ou Nos radio-messages, Nous avons exhorté tous les fidèles à aimer de tout leur cœur, comme des fils, leur Mère très bonne et très puissante. A ce sujet, Nous rappelons volontiers le message radiophonique adressé au peuple portugais lors du couronnement de la statue miraculeuse de Fatima, et que Nous avons appelé Nous-même le message de la « Royauté » de Marie.

Pour mettre donc en quelque sorte le comble à ces marques de notre piété envers la Mère de Dieu, que le peuple chrétien a accueillies avec tant de ferveur, pour conclure heureusement l'Année mariale qui touche désormais à son terme, pour accéder enfin aux demandes instantes qui Nous parviennent à ce sujet de toutes parts, Nous avons décidé d'instituer la fête liturgique de « la Sainte Vierge Marie Reine ».

Nous n'entendons pas proposer par là au peuple chrétien une nouvelle vérité à croire, car le titre même et les arguments qui justifient la dignité royale de Marie ont déjà de tout temps été abondamment formulés et se trouvent dans les documents anciens de l'Église et dans les livres liturgiques.

Nous désirons seulement les rappeler par cette Encyclique, afin de renouveler les louanges de Notre Mère du ciel, de ranimer dans tous les cœurs une piété plus ardente envers elle et de contribuer ainsi au bien des âmes. 

1. – L'ENSEIGNEMENT DES PÈRES DE L'ÉGLISE

ET DES SOUVERAINS PONTIFES

 Le peuple chrétien, même dans les siècles passés, croyait avec raison que Celle dont est né le Fils du Très-Haut, qui « régnera à jamais dans la maison de Jacob », « Prince de la paix », « Roi des rois et Seigneur des seigneurs », avait reçu plus que toute autre créature des grâces et privilèges uniques ; et considérant aussi les relations étroites qui unissaient la Mère au Fils, il a reconnu sans peine la dignité royale suprême de la Mère de Dieu. 

La Mère du Seigneur.

 C'est pourquoi il n'est pas étonnant que les anciens écrivains ecclésiastiques, forts de la parole de l'archange Gabriel prédisant que le Fils de Marie régnerait éternellement, et de celles d'Élisabeth, qui en la saluant avec respect l'appelait « la Mère de mon Seigneur », aient déjà appelé Marie « la Mère du Roi », « la Mère du Seigneur», montrant clairement qu'en vertu de la dignité royale de son Fils elle possédait une grandeur et une excellence à part.

Aussi, saint Ephrem, dans l'ardeur de son inspiration poétique, la fait-il parler de la sorte : « Que le ciel me soutienne de son étreinte, car j'ai été honorée plus que lui. En effet, le ciel ne fut pas ta mère, mais tu en as fait ton trône ! ». Et ailleurs il la prie en ces termes : « … noble jeune fille et patronne, Reine, Maîtresse, garde-moi, protège-moi, de peur que Satan, auteur de tout mal, ne se réjouisse à mon sujet et que le criminel adversaire ne triomphe de moi. »

Saint Grégoire de Nazianze appelle Marie « Mère du Roi de tout l'univers », « Mère Vierge, (qui) a enfanté le Roi du monde entier ». Prudence déclare que cette Mère « s'étonne d'avoir engendré Dieu comme homme et même comme Roi suprême ». 

Dignité royale de Marie.

 Cette dignité royale de la Bienheureuse Vierge Marie est clairement et nettement signifiée par ceux qui l'appellent « Souveraine », « Dominatrice », « Reine ».

Déjà, dans une homélie attribuée à Origène, Marie est appelée par Élisabeth non seulement « Mère de mon Seigneur », mais « ma Souveraine ».

La même idée ressort du passage suivant de saint Jérôme dans lequel, parmi les différentes interprétations du nom de Marie, il met en dernier lieu celle-ci : « Il faut savoir qu'en syriaque Marie signifie Souveraine. » Après lui, saint Chrysologue formule la même pensée d'une manière encore plus affirmative : « Le mot hébreu Marie se traduit en latin Souveraine ; l'ange l'appelle Souveraine pour qu'elle cesse de trembler comme une servante, elle à qui l'autorité même de son Fils a obtenu de naître et d'être appelée Souveraine. »

Épiphane, évêque de Constantinople, écrivant au Souverain Pontife Hormisdas, dit qu'il faut prier pour que l'unité de l'Église soit conservée « par la grâce de la sainte et consubstantielle Trinité et par l'intercession de notre Sainte Souveraine, la glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu ».

Un auteur de la même époque salue en ces termes solennels la Sainte Vierge assise à la droite de Dieu pour lui demander de prier pour nous : « Souveraine des mortels, très sainte Mère de Dieu. »

Saint André de Crète attribue plusieurs fois à la Vierge Marie la dignité de Reine ; il écrit par exemple : « (Jésus) transporte aujourd'hui hors de sa demeure terrestre la Reine du genre humain, sa Mère toujours Vierge dans le sein de laquelle, sans cesser d'être Dieu, il a pris la forme humaine ». Et ailleurs : « Reine de tout le genre humain, fidèle en réalité au sens de ton nom et qui, Dieu seul excepté, dépasse toute chose. »

Saint Germain salue en ces termes l'humble Vierge : « Assieds-toi, ô Souveraine, il convient en effet que tu sièges en haut lieu puisque tu es Reine et plus glorieuse que tous les rois ». Il l'appelle aussi : « Souveraine de tous les habitants de la terre. »

Saint Jean Damascène lui donne le nom de « Reine, Patronne, Souveraine », et même de : « Souveraine de toute créature » ; un ancien écrivain de l'Église occidentale l'appelle : « heureuse Reine », « Reine éternelle près du Roi son Fils », elle dont « la tête blanche comme la neige est ornée d'un diadème d'or. »

Enfin, saint Ildefonse de Tolède unit presque tous ses titres d'honneur en cette salutation : « Ô ma Souveraine, Maîtresse suprême ; Mère de mon Souverain, tu règnes sur moi… Souveraine parmi les servantes, Reine parmi tes sœurs. »

A partir de ces témoignages et d'autres analogues, presque innombrables, qui remontent à l'antiquité, les théologiens de l'Église ont élaboré la doctrine selon laquelle ils appellent la Très Sainte Vierge Reine de toutes les créatures, Reine du monde, Souveraine de l'Univers. 

Documents pontificaux.

 Les pasteurs suprêmes de l'Église ont estimé de leur devoir d'approuver et d'encourager par leurs exhortations et leurs éloges la piété du peuple chrétien envers sa Mère du ciel et sa Reine. Aussi, pour ne pas parler des documents des Papes récents, rappelons simplement ceux-ci : dès le vile siècle, Notre prédécesseur, saint Martin lier, appelle Marie « Notre glorieuse Souveraine toujours Vierge » ; saint Agathon, dans son épître synodale aux Pères du sixième Concile œcuménique dit d'elle : « Notre Souveraine, vraiment Mère de Dieu au sens propre » ; au ville siècle, Grégoire II, dans sa lettre au patriarche saint Germain, qui fut lue aux acclamations de tous les Pères du septième Concile œcuménique, lui donne le titre de « Souveraine universelle et vraie Mère de Dieu », et de « Souveraine de tous les chrétiens. »

Rappelons en outre que Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire Sixte IV, mentionnant avec faveur la doctrine de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge dans sa Lettre apostolique Cum præexcelsa, commence par  appeler Marie « Reine du ciel et de la terre » et affirme que le Roi suprême lui a, en quelque sorte, transmis son pouvoir. »

C'est pourquoi saint Alphonse de Liguori, rassemblant tous les témoignages des siècles précédents, écrit avec grande piété : « Puisque la Vierge Marie a été élevée à la dignité si haute de Mère de Dieu, c'est à bon droit que l'Église lui a décerné le titre de Reine. » 

Il. – LA LITURGIE

ET LA PIÉTÉ TRADITIONNELLE DES FIDÈLES

 La sainte liturgie, qui est comme le fidèle miroir de la doctrine transmise par les anciens et crue par le peuple chrétien à travers les âges, soit en Orient, soit en Occident, a toujours chanté et chante encore sans cesse les louanges de la Reine des cieux.

De l'Orient retentissent ces accents fervents : « Ô Mère de Dieu, aujourd'hui tu as été transportée au ciel sur les chars des Chérubins, les Séraphins sont à ton service et les Légions des armées célestes s'inclinent devant toi. »

Et ceux-ci : « Ô juste, ô très heureux (Joseph), à cause de ton origine royale, tu as été choisi entre tous pour époux de la Reine pure, qui enfantera merveilleusement le Roi Jésus. » De même : « Je dirai un hymne à la Mère Reine, et je m'approcherai d'elle avec joie pour chanter dans l'allégresse ses merveilles… Ô Souveraine, notre langue ne peut te chanter dignement, parce que tu es plus élevée que les Séraphins, toi qui as engendré le Christ Roi… Salut, ô Reine du monde, salut ô Marie, Souveraine de nous tous. »

Dans le Missel éthiopien, on lit : « Ô Marie, centre de l'univers, tu es plus grande que les Chérubins aux yeux innombrables et que les Séraphins aux six ailes… Le ciel et la terre sont entièrement remplis de ta sainteté et de ta gloire. »

L'Église latine chante la vieille et très douce prière du Salve Regina et les joyeuses antiennes Ave, Regina cælorum, Regina coeli lætare, celles aussi que l'on récite aux fêtes de la Sainte Vierge : « La Reine s'est assise à ta droite en vêtement d'or couvert d'ornements variés » ; «Terres et peuples chantent ta gloire, ô Reine » ; «Aujourd'hui la Vierge Marie est montée aux cieux : réjouissez-vous, car elle règne avec le Christ à jamais. »

Il faut y ajouter, entre autres, les Litanies de Lorette, qui invitent tous les jours le peuple chrétien à saluer plusieurs fois Marie du titre de Reine. De même, depuis bien des siècles, les chrétiens méditent sur l'empire de Marie qui embrasse le ciel et la terre, lorsqu'ils considèrent le cinquième mystère glorieux du Rosaire, que l'on peut appeler la couronne mystique de la Reine du ciel.

Enfin, l'art basé sur les principes chrétiens et inspiré de leur esprit, interprétant exactement depuis le Concile d'Ephèse la piété authentique et spontanée des fidèles, représente Marie en Reine et en Impératrice, assise sur un trône royal, ornée d'insignes royaux, ceinte d'un diadème, entourée d'une cohorte d'anges et de saints, montrant qu'elle domine non seulement les forces de la nature, mais aussi les attaques perverses de Satan. L'iconographie, pour traduire la dignité royale de la Bienheureuse Vierge Marie, s'est enrichie à toutes les époques d'œuvres d'art de la plus grande valeur ; elle est même allée jusqu'à représenter le divin Rédempteur ceignant le front de sa Mère d'une couronne éclatante.

Les Pontifes romains n'ont pas manqué de favoriser cette dévotion populaire en couronnant souvent, de leurs propres mains ou par l'intermédiaire de légats pontificaux, les images de la Vierge déjà remarquables par le culte public qu'on leur rendait.  

III. – FONDEMENT DOGMATIQUE

DE LA DIGNITÉ ROYALE DE MARIE

 La maternité divine de la Vierge.

 Comme Nous l'avons indiqué plus haut, vénérables Frères, l'argument principal sur lequel se fonde la dignité royale de Marie, déjà évident dans les textes de la tradition antique et dans la sainte Liturgie, est sans doute sa maternité divine. Dans les Livres saints, en effet, on affirme du Fils qui sera engendré par la Vierge : « Il sera appelé Fils du Très-Haut et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, et il régnera dans la maison de Jacob éternellement et son règne n'aura pas de fin » ; en outre, Marie est proclamée « Mère du Seigneur ». Il s'ensuit logiquement qu'elle-même est Reine, puisqu'elle a donné la vie à un Fils qui, dès l'instant de sa conception même comme homme, était, à cause de l'union hypostatique de la nature humaine avec le Verbe, Roi et Seigneur de toutes choses.

Saint Jean Damascène a donc raison d'écrire : « Elle est vraiment devenue la Souveraine de toute la création au moment où elle devint Mère du Créateur » et l'archange Gabriel, lui-même, peut être appelé le premier héraut de la dignité royale de Marie. 

Son rôle de co-rédemptrice.

 Cependant, la Bienheureuse Vierge doit être proclamée Reine non seulement à cause de sa maternité divine, mais aussi, parce que selon la volonté de Dieu, elle joua, dans l'œuvre de notre salut éternel, un rôle des plus éminents. « Quelle pensée plus douce – écrivait Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie XI, – pourrait Nous venir à l'esprit que celle-ci : le Christ est notre Roi non seulement par droit de naissance, mais aussi par un droit acquis, c'est-à-dire par la Rédemption ! Que tous les hommes oublieux du prix que nous avons coûté à notre Rédempteur s'en souviennent : « Vous n'avez pas été rachetés par l'or ou l'argent qui sont des biens corruptibles…, mais par le sang précieux du Christ, Agneau immaculé et sans tache ». Nous n'appartenons donc plus à nous-mêmes, parce que c'est « d'un grand prix que le Christ nous a rachetés. »

Dans l'accomplissement de la Rédemption, la Très Sainte Vierge fut certes étroitement associée au Christ aussi, chante-t-on à bon droit dans la sainte Liturgie  « Sainte Marie, Reine du ciel et Maîtresse du monde ; brisée de douleur, était debout près de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Et un pieux disciple de saint Anselme pouvait écrire au moyen âge : « Comme… Dieu, en créant toutes choses par sa puissance, est Père et Seigneur de tout, ainsi Marie, en restaurant toutes choses par ses mérites, est la Mère et la Souveraine de tout : Dieu est Seigneur de toutes choses parce qu'il les a établies dans leur nature propre par son ordre, et Marie est Souveraine de toutes choses en les restaurant dans leur dignité originelle par la grâce qu'elle mérita. » En effet, « comme le Christ pour nous avoir rachetés est notre Seigneur et notre Roi à un titre particulier, ainsi la Bienheureuse Vierge est aussi notre Reine et Souveraine à cause de la manière unique dont elle contribua à notre rédemption, en donnant sa chair à son Fils et en l'offrant volontairement pour nous, désirant, demandant et procurant notre salut d'une manière toute spéciale ».

De ces prémisses, on peut tirer l'argument suivant : dans l'œuvre du salut spirituel, Marie fut, par la volonté de Dieu, associée au Christ Jésus, principe de salut, et cela d'une manière semblable à celle dont Eve fut associée à Adam, principe de mort, si bien que l'on peut dire de notre rédemption qu'elle s'effectua selon une certaine « récapitulation » en vertu de laquelle le genre humain, assujetti à la mort par une vierge, se sauve aussi par l'intermédiaire d'une Vierge ; en outre, on peut dire que cette glorieuse Souveraine fut choisie comme Mère de Dieu précisément « pour être associée à lui dans la rédemption du genre humain » ; réellement ce fut elle qui, exempte de toute faute personnelle ou héréditaire, toujours étroitement unie à son Fils, l'a offert sur le Golgotha au Père Éternel, sacrifiant en même temps son amour et ses droits maternels, comme une nouvelle Eve, pour toute la postérité d'Adam, souillée par la chute misérable » on pourra donc légitimement en conclure que, comme le Christ, nouvel Adam, est notre Roi parce qu'il est non seulement Fils de Dieu, mais aussi notre Rédempteur, il est également permis d'affirmer, par une certaine analogie, que la Sainte Vierge est Reine, et parce qu'elle est Mère de Dieu et parce que, comme une nouvelle Ève, elle fut associée au nouvel Adam. 

La place et la dignité éminente de Notre-Dame.

 Sans doute, seul Jésus-Christ, Dieu et homme, est Roi, au sens plein, propre et absolu du mot ; Marie, toutefois, participe aussi à sa dignité royale, bien que d'une manière limitée et analogique, parce qu'elle est la Mère du Christ Dieu et qu'elle est associée à l'œuvre du Divin Rédempteur dans sa lutte contre les ennemis et au triomphe qu'il a obtenu sur eux tous. En effet, par cette union avec le Christ Roi, elle atteint une gloire tellement sublime qu'elle dépasse l'excellence de toutes les choses créées : de cette même union avec le Christ découle la puissance royale qui l'autorise à distribuer les trésors du royaume du divin Rédempteur ; enfin, cette même union avec le Christ est source de l'efficacité inépuisable de son intercession maternelle auprès du Fils et du Père.

Aucun doute par conséquent que la Sainte Vierge ne dépasse, en dignité, toute la création et n'ait sur tous, après son Fils, la primauté. « Toi enfin – chante saint Sophrone – tu as dépassé de loin toute créature. Que peut-il exister de plus élevé que cette grâce dont toi seule a bénéficié de par la volonté de Dieu ? » Et saint Germain va encore plus loin dans la louange : « Ta dignité te met au-dessus de toutes les créatures ; ton excellence te rend supérieure aux anges ». Saint Jean Damascène ensuite en vient jusqu'à écrire cette phrase : « La différence entre les serviteurs de Dieu et sa Mère est infinie. » 

L'Immaculée, médiatrice de toutes grâces.

 Pour nous aider à comprendre la dignité sublime que la Mère de Dieu a atteinte au-dessus de toutes les créatures, nous pouvons considérer que la Sainte Vierge, depuis le premier instant de sa conception, fut comblée d'une telle abondance de grâces qu'elle dépassait la grâce de tous les saints. Aussi – comme l'écrivait Notre prédécesseur Pie IX d'heureuse mémoire, dans sa Bulle Ineffabilis Deus – « bien au-dessus de tous les anges et de tous les saints », le Dieu ineffable « a enrichi Marie avec munificence de tous les dons célestes, puisés au trésor de la divinité ; aussi, toujours préservée des moindres souillures du péché, toute belle et parfaite, elle a atteint une telle. plénitude d'innocence et de sainteté qu'on ne peut en imaginer de plus grande en dessous de Dieu et que jamais personne, sauf Dieu lui-même, ne réussira à la comprendre. »

En outre, la Bienheureuse Vierge n'a pas seulement réalisé le suprême degré, après le Christ, de l'excellence et de la perfection, mais elle participe aussi en quelque sorte à l'action par laquelle on dit avec raison que son Fils, notre Rédempteur, règne sur les esprits et les volontés des hommes. En effet, si le Verbe opère les miracles et répand la grâce par le moyen de son humanité, s'il se sert des sacrements et des saints comme d'instruments pour la salut des âmes, pourquoi ne peut-il pas se servir de sa Mère très sainte pour nous distribuer les fruits de la Rédemption ? Vraiment, c'est avec un cœur maternel – comme dit encore Notre prédécesseur Pie IX – que, traitant l'affaire de notre salut, elle se préoccupe de tout le genre humain, ayant été établie par le Seigneur Reine du ciel et de la terre, et se trouvant exaltée au-dessus de tous les chœurs des anges et de tous les saints du ciel à la droite de son Fils unique, Jésus-Christ Notre-Seigneur ; elle obtient audience par la puissance de ses supplications maternelles, elle reçoit tout ce qu'elle demande et n'éprouve jamais de refus. A ce propos, un autre de Nos prédécesseurs, Léon XIII, d'heureuse mémoire, déclara que la Bienheureuse Vierge Marie dispose d'un pouvoir « presque sans limites » pour concéder des grâces, et saint Pie X ajoute que Marie remplit cet office « pour ainsi dire par droit maternel ».

Que tous les fidèles chrétiens se glorifient donc d'être soumis à l'empire de la Vierge Mère de Dieu qui dispose d'un pouvoir royal et brûle d'amour maternel. 

Croire et enseigner sans excès ni timidité

sous la direction du Magistère.

 Mais en traitant les questions qui regardent la Sainte Vierge, que les théologiens et les prédicateurs de la parole divine aient soin, d'éviter ce qui les ferait dévier du droit chemin, pour tomber dans une double erreur, qu'ils se gardent et des opinions privées de fondement, dont les expressions exagérées dépassent les limites du vrai, et d'une étroitesse d'esprit excessive quand il s'agit de cette dignité unique, sublime, et même presque divine de la Mère de Dieu, que le Docteur Angélique nous enseigne à lui attribuer « à cause du bien infini qu'est Dieu ».

Du reste, sur ce point de la doctrine chrétienne comme en d'autres, e la norme prochaine et universelle de la vérité » est, pour tous, le magistère vivant de l'Église que le Christ a établi « également pour éclairer et expliquer ce qui, dans le dépôt de la foi, n'est contenu qu'obscurément et comme implicitement ». 

IV. – L'ESPÉRANCE D'UNE ÈRE NOUVELLE

DE PAIX CHRÉTIENNE 

La fête de la royauté de Marie.

Que tous recourent à la Vierge et l'imitent.

 Les monuments de l'antiquité chrétienne, les prières de la liturgie, le sens religieux inné du peuple chrétien.; les oeuvres d'art, nous ont fourni des témoignages qui affirment l'excellence de la Vierge Mère de Dieu en sa dignité royale ; Nous avons aussi prouvé que les raisons déduites par la théologie du trésor de la foi divine confirment pleinement cette vérité. De tant de témoignages cités, il se forme un concert dont l'écho résonne au loin pour célébrer le caractère suprême et la gloire royale de la Mère de Dieu et des hommes, « élevée désormais au royaume céleste au-dessus des chœurs angéliques ».

De longues et mûres réflexions Nous ayant persuadé que si cette vérité solidement démontrée était rendue plus resplendissante aux yeux de tous – comme une lampe qui brille davantage quand elle est placée sur le candélabre, — l'Église en recueillerait de grands avantages, par Notre autorité apostolique Nous décrétons et instituons la fête de Marie Reine, qui se célébrera chaque année dans le monde entier le 31 mai. Nous ordonnons également que, ce jour-là, on renouvelle la consécration du genre humain au Cœur immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie. C'est là, en effet, que repose le grand espoir de voir se lever une ère de bonheur, où régneront la paix chrétienne et le triomphe de la religion.

Que tous s'approchent donc, avec une confiance plus grande qu'auparavant, du trône de miséricorde et de grâce de notre Reine et Mère, pour demander le secours dans l'adversité, la lumière dans les ténèbres, le réconfort dans la douleur et les larmes; qu'ils s'efforcent surtout de s'arracher à la servitude du péché et qu'ils offrent un hommage incessant, pénétré de la ferveur d'une dévotion filiale, à la royauté d'une telle Mère. Que ses sanctuaires soient fréquentés et ses fêtes célébrées par la foule des fidèles ; que la pieuse couronne du Rosaire soit dans les mains de tous et que, pour chanter ses gloires, elle rassemble dans les églises, les maisons, les hôpitaux, les prisons, aussi bien de petits groupes que les grandes assemblées de fidèles. Que le nom de Marie, plus doux que le nectar, plus précieux que n'importe quelle gemme, soit l'objet des plus grands honneurs ; que personne ne prononce des blasphèmes impies, signe d'une âme corrompue, contre un nom qui brille d'une telle majesté et que la grâce rend vénérable et maternel ; qu'on n'ose même rien dire qui trahisse un manque de respect à son égard.

Que tous s'efforcent, selon leur condition, de reproduire dans leur cœur et dans leur vie, avec un zèle vigilant et attentif, les grandes vertus de la Reine du ciel, notre Mère très aimante. Il s'ensuivra en effet que les chrétiens, en honorant et imitant une si grande Reine, se sentiront enfin vraiment frères et, bannissant l'envie et les désirs immodérés des richesses, développeront la charité sociale, respecteront le droit des pauvres et aimeront la paix. Que personne donc ne se croie fils de Marie, digne d'être accueilli sous sa puissante protection, si, à son exemple, il ne se montre doux, juste et chaste, et ne contribue avec amour à la vraie fraternité, soucieuse non de blesser et de nuire, mais d'aider et de consoler. 

Pour la liberté et la paix sociales et internationales.

 En bien des régions du globe, des hommes sont injustement poursuivis pour leur profession de foi chrétienne et privés des droits humains et divins de la liberté ; pour écarter ces maux, les requêtes justifiées et les protestations répétées sont jusqu'à présent restées impuissantes. Veuille la puissante Souveraine des choses et des temps, qui de son pied virginal sait réduire les violences, tourner ses yeux de miséricorde dont l'éclat apporte le calme, éloigne les nuées et les tempêtes vers ses fils innocents et éprouvés ; qu'elle leur accorde à eux aussi de jouir enfin sans retard de la liberté qui leur est due, pour qu'ils puissent pratiquer ouvertement leur religion, et que, tout en servant la cause de l'Évangile, ils contribuent aussi, par leur collaboration et l'exemple éclatant de leurs vertus au milieu des épreuves, à la force et au progrès de la cité terrestre.

Nous pensons également que la fête instituée par cette Lettre encyclique afin que tous reconnaissent plus clairement et honorent avec plus de zèle l'empire clément et maternel de la Mère de Dieu, peut contribuer grandement à conserver, consolider et rendre perpétuelle la paix des peuples, menacée presque chaque jour par des événements inquiétants. N'est-elle pas l'arc-en-ciel devant Dieu en signe d'alliance pacifique ? « Regarde l'arc et bénis Celui qui l'a fait ; il est éclatant de splendeur ; il embrasse le ciel de son cercle radieux et les mains du Très-Haut l'ont tendu. » Quiconque donc honore la Souveraine des anges et des hommes – et que personne ne se croie exempté de ce tribut de reconnaissance et d'amour l'invoque aussi comme la Reine très puissante, Médiatrice de paix : qu'il respecte et défende la paix qui n'est ni injustice impunie ni licence effrénée, mais concorde bien ordonnée dans l'obéissance à la volonté de Dieu ; c'est à la conserver et à l'accroître que tendent les exhortations et les ordres maternels de la Vierge Marie.

Vivement désireux que la Reine et Mère du peuple chrétien accueille ces vœux et réjouisse de sa paix la terre secouée par la haine et, après cet exil, nous montre à tous Jésus qui sera notre paix et notre joie pour l'éternité, à vous, vénérables Frères et à vos fidèles, Nous accordons de tout cœur, comme gage du secours du Dieu tout-puissant et comme preuve de Notre affection, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Maternité de la Vierge Marie, le 11 octobre 1954, seizième année de Notre pontificat.

 Plus pp. XII.  

Précieux encouragement

 Le 17 décembre 1953, les Procureurs Généraux de huit Congrégations de Frères enseignants étaient reçus en audience par Notre Saint-Père le Pape Pie XII. Ils lui remettaient une supplique, que nous donnons plus loin, pour lui faire connaître l'œuvre accomplie dans leurs écoles, en particulier les nombreux prêtres et religieux encore vivants, qui en proviennent. Ils lui demandaient, en vue d'un bien toujours plus grand, d'encourager l'essor des vocations religieuses de Frères enseignants.

Le Souverain Pontife a daigné répondre à cette supplique, le 31 mars 1954, par une Lettre adressée à Son Éminence le Cardinal Valerio Valeri, Préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux. Nous reproduisons également ce précieux document ainsi que la lettre de remerciements adressée à Sa Sainteté par les Procureurs Généraux.

Utilisons les encouragements de Notre Saint-Père le Pape pour faire comprendre la dignité de notre vocation aux jeunes gens que nous voudrions voir entrer dans notre Institut, ainsi qu'à nos sujets en formation. Souhaitons qu'elle soit méditée en particulier par les religieux qui, doutant de l'excellence de notre vocation mariste pour notre sanctification personnelle et celle du prochain, rêvent, parfois même après s'être liés par des vœux perpétuels, d'une vocation plus en vue.

Tâchons, en outre, de réaliser l'idéal du religieux éducateur voulu par le Saint-Père, contribuant ainsi à ce que les Frères enseignants méritent toujours mieux les éloges que; dans sa paternelle bienveillance il leur adresse et obtiennent du Ciel de nombreux aspirants de choix. 

SUPPLIQUE

             TRÈS SAINT-PÈRE,

 Les soussignés Procureurs Généraux de huit religions de « Frères Enseignants », en fils confiants et obéissants, déposent aux pieds de Votre Sainteté leurs hommages déférents et, en plein accord avec les Très Excellents Prélats de la S. C. des Religieux, prient Votre Sainteté de vouloir écouter l'exposition d'un problème dont la solution préoccupe actuellement leurs Supérieurs : la méconnaissance, de la part de certains membres du Clergé, de la valeur canonique et de l'utilité de la vocation de religieux laïque, dans la mission de « Frère enseignant ».

En rappelant les dispositions de la loi canonique (can. 107), Votre Sainteté exposait aux religieux réunis en Congrès international, vers la fin de l'Année Sainte 1950 : « Entre les deux rangs de la Hiérarchie, les clercs et les laïques, s'interpose l'état de vie religieuse ». Notre profession. religieuse, en vertu du canon 488, s'insère dans la plus modeste catégorie de cet « état », en qualité de religieux laïques à vœux simples.

En tant que « religieux », nous tendons à la perfection de la charité par la pratique des trois vœux de l'état de perfection ; en tant que laïques », nous avons délibérément offert à Dieu le sacrifice des privilèges spirituels du prêtre et de la dignité sacerdotale dans l'unique but de concentrer toute notre activité sur un apostolat exclusif : l'éducation de la jeunesse.

Cet apostolat nous est confié par la Sainte Église, « mission très lourde et tâche ingrate » déclarait Votre Sainteté aux enseignants des Universités françaises, le 10 avril 1950. Mais la Divine Providence ne cesse point de bénir une telle tâche et de lui accorder la plus glorieuse des fécondités : celle des vocations sacerdotales et religieuses qui germent dans les œuvres qui dépendent de nous.

C'est un fait incontestable que la fréquence des vocations sacerdotales est non l'unique, mais l'une des plus sûres normes pour mesurer la valeur et la fécondité d'une école catholique et de tout autre institution éducative ». Tel est le jugement que prononçait Votre Sainteté, le 28 avril 1951, dans l'audience concédée à l'occasion du cinquantenaire de la fondation du Collège « Marc Antonio Colonna ».

Les données statistiques que nous avons recueillies récemment, et que nous avons l'honneur de soumettre maintenant à Votre Sainteté, sont à cet égard, propres à consoler le cœur du Père Commun, en lui exposant dans quelle proportion les œuvres des Frères Enseignants contribuent au recrutement du Clergé, dans le monde entier.

Ces résultats seraient assurément plus considérables encore si, avec la bénédiction divine, le développement numérique de nos Instituts nous permettait de répondre aux appels continuels qui nous sont adressés pour un plus grand développement de nos œuvres déjà existantes ou pour la conquête de nouveaux champs d'apostolat.

Nous osons, maintenant, aborder le douloureux problème qu'il nous paraît nécessaire d'exposer à Votre Sainteté. En beaucoup de régions, notre recrutement est entravé, la persévérance de nos sujets est mise à dure épreuve par la méconnaissance ou par l'opposition de quelques membres du Clergé. Ces ecclésiastiques ignorent ou semblent ignorer la réalité canonique de notre vocation comme aussi la mission que la Sainte Église nous a confiée en approuvant nos Instituts.

Dans l'annexe N° 2 de cette supplique, nous mettons sous les yeux de Votre Sainteté quelques sophismes répandus en certains pays, quelques-uns des procédés inexplicables employés pour détourner les adolescents de nos noviciats ou pour acheminer vers l'état ecclésiastique quelques-uns de nos religieux mêmes, parfois déjà engagés dans les liens de la profession perpétuelle.

Très Saint-Père, nous sommes convaincus qu'une parole émanant de la Chaire de Vérité nous serait un secours très précieux pour réfuter ces sophismes, pour faire tomber les préjugés qu'ils produisent, pour soutenir et éclairer les âmes de bonne volonté un peu ébranlées par ces fallacieux, discours.

Le récent Congrès annuel de l'U. F. E. (Union des Frères Enseignants) tenu à Paris (Congrès dont nous présentons le compte rendu à Votre Sainteté) nous a semblé une occasion propice pour adresser la présente supplique à Votre Sainteté.

Confiants dans le bienveillant accueil qui lui sera fait par le Chef de la Chrétienté entière, par le Père de tous les religieux, et en implorant la Bénédiction Apostolique, nous nous disons avec le plus profond respect

de Votre Sainteté, les très humbles et très obéissants fils.

 P. EUGÈNE SCHERRER, Procureur Général des Marianistes.

F. ALPHÉE, Procureur Général des Frères du Sacré-Cœur.

F. HYPPOLITE-VICTOR, Proc. Gén. des Frères de l'Inst. Chrétienne de Ploërmel.

F. RODOLPHE, Proc. Gén. des Frères Xavériens.

F. ALESSANDRO, Proc. Gén. des Petits Frères de Marie.

F. ANASTASE, Proc. Gén. des Frères de Saint-Gabriel.

F. MARCIAN COULIN, Proc. Gén. des Irish Christian Brothers.

F. ALCIME-MARIE, Proc. Gén. des FF. des Ecoles Chrétiennes.  

Lettre de S. S. Pie XII

sur la mission des Frères enseignants

 A Notre cher Fils, Son Éminence Révérendissime, le Cardinal Valeri, Préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux.

 PIE XII, PAPE

 Cher Fils, Salut et Bénédiction Apostolique,

Les Procureurs Généraux de huit Instituts Religieux laïcs, dont le but particulier et propre est l'instruction et la bonne éducation de la jeunesse, à la suite de leur Congrès annuel pour la France tenu l'an dernier à Paris, Nous ont adressé une lettre respectueuse pour Nous renseigner sur leurs activités et leurs projets, et ils Nous ont demandé avec une humble soumission de leur faire connaître Notre pensée paternelle et de leur indiquer les moyens qui paraîtraient les plus propres à accroître toujours davantage et à perfectionner leur action.

Volontiers, Nous le faisons très brièvement par cette lettre. Tout d'abord, Nous nous réjouissons de savoir ces Religieux adonnés avec un zèle industrieux et actif à la fonction qui leur est confiée et qui peut apporter à l'Église, à la famille et à la Société Civile une aide des plus considérables. Car il s'agit d'une affaire de grande importance. Les jeunes, en effet, sont l'espoir en fleur de demain ; et sans nul doute, c'est surtout de ceux qui se forment aux belles-lettres et aux disciplines de tout genre en vue de pouvoir non seulement gérer des affaires privées mais encore assumer à l'occasion les charges publiques, que dépend le cours des événements futurs. Si leur esprit est éclairé de la lumière évangélique, si leur âme est informée des préceptes chrétiens et leur volonté fortifiée par la grâce divine,. alors il est permis d'espérer que grandira une nouvelle jeunesse apte à surmonter heureusement les difficultés, les désaccords et les troubles qui nous mettent présentement dans l'angoisse, capable aussi d'établir enfin par son savoir, sa vertu, son exemple, une société meilleure et plus saine.

Dans ce but travaillent aussi, Nous l'avons appris avec une grande consolation, les Instituts de Religieux laïcs, guidés par les sages règlements que leurs Fondateurs respectifs leur ont laissés comme un héritage sacré. Nous désirons qu'ils le fassent non seulement avec habileté, diligence et grand soin, mais encore animés de cet esprit surnaturel grâce auquel les moyen humains peuvent s'épanouir et donner des fruits de salut. Et tout particulièrement, Nous souhaitons qu'ils s'efforcent d'inculquer aux adolescents, qui leur sont confiés, la doctrine non seulement authentique et exempte de toute erreur, mais encore ouverte et adaptée, grâce aux techniques et aux principes que l'époque actuelle a introduits dans toutes les disciplines.

Mais ce qui est capital, c'est que, à cette vie religieuse qu'ils doivent eux-mêmes vivre intensément, ils puisent les forces surnaturelles par lesquelles ils pourront former à la vertu chrétienne les élèves commis à leurs soins comme le requiert absolument la mission que l'Église leur a confiée. Car si cette vertu est négligée ou rejetée, les lettres et les disciplines humaines n'ont aucune valeur pour donner la rectitude de vie ; bien plus, elles peuvent devenir, surtout à cet âge si impressionnable qui se tourne facilement vers le vice, des instruments subtils de perversion et par conséquent de malheur.

Qu'ils veillent donc sur les âmes des jeunes gens, qu'ils comprennent à fond et dirigent sagement leur caractère, leurs désirs secrets, leurs divers mouvements intérieurs parfois inquiets et agités, et qu'ils fassent en sorte, selon leurs moyens, que les erreurs qui sont un. piège pour la vertu soient repoussées le plus tôt et le plus diligemment possible, afin que soient écartés tous les périls qui pourraient souiller la pureté de l'âme et, que, autour d'eux, tout concoure à éclairer leur esprit par la vérité ainsi qu'à régir droitement et fortement leur volonté et à l'exciter à embrasser tout ce qui est bien.

Ils savent certainement, ces Religieux, que l'éducation des jeunes gens est l'art des arts et la science des sciences, mais ils savent aussi qu'ils peuvent tout moyennant le secours divin, selon le mot de l'Apôtre des Nations : « Je puis tout en Celui qui me fortifie » (Phil. IV, 13). Qu'ils pratiquent donc le plus possible la piété comme il convient à des hommes qui, sans être intégrés à une « Religion cléricale », sont pourtant véritablement membres d'un Institut Religieux laïc. Et cet Institut Religieux, quoique composé presque uniquement d'hommes qui, par une vocation spéciale de Dieu, renoncent à la dignité du Sacerdoce et aux consolations qui en découlent, est cependant en grand honneur dans l'Église et aide puissamment les Ministres sacrés eux-mêmes pour la formation chrétienne de la jeunesse. Comme il nous a été déjà donné de le faire remarquer, « l'État Religieux n'est nullement réservé à l'un ou l'autre des deux genres de vie qui, de droit divin, existent dans l'Église, puisque clercs et laïcs peuvent au même titre être Religieux ». Que si l'Église a donné aux laïcs aussi cette dignité et cette fonction, cela signifie certes très clairement pour tous que, dans l'une et l'autre milice sacrée, on peut travailler très utilement, et à son propre salut et à celui des autres, par les règles et les principes canoniques particuliers qui les régissent chacune.

C'est pourquoi que personne ne sous-estime les membres de ces Instituts ni la fécondité de leur Apostolat sous prétexte qu'ils ne sont pas élevés au Sacerdoce. De plus, Nous savons fort bien que ces Religieux instruisent et éduquent si bien les jeunes gens confiés à leurs soins, que parmi eux beaucoup qui paraissent appelés par une inspiration divine, sont heureusement amenés à recevoir le Sacerdoce. Parmi ces nombreux élèves, il n'en manque pas non plus qui, avec grande distinction, ont été appelés au nombre des évêques et même des Cardinaux. C'est là, pour les Instituts Religieux de ce genre, un nouveau titre à Notre estime et à celle de toute l'Église, comme à la reconnaissance des Évêques et du Clergé. Ils leur apportent en effet une aide puissante, non seulement en procurant aux jeunes gens une bonne éducation, mais aussi en suscitant, avec le secours de la grâce divine, de nouveaux candidats aux ordres sacrés.

Dans cette voie où il sont entrés, qu'ils continuent donc à marcher avec un dévouement toujours plus joyeux ; et qu'avec les autres Ordres et Instituts Religieux à qui est confiée la même mission, ils s'appliquent dans l'union et le zèle, à l'instruction et à l'éducation de la jeunesse.

Quant à Nous, Nous demandons pour eux, en une prière ardente, le Secours divin ; et en témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous accordons de tout cœur, à Vous, notre Cher Fils, ainsi qu'à tous les Supérieurs de ces Instituts, à leurs membres et à leurs élèves, la Bénédiction Apostolique.

 Donné à Rome, près saint Pierre, le 31 mars 1954,

de notre Pontificat, la 16e année.

PIE XII, PAPE 

Lettre de remerciements

          TRÈS SAINT PÈRE,

Les Procureurs Généraux de huit Religions laïques lesquels eurent l'insigne honneur d'être reçus en audience par Votre Sainteté, le 17 décembre dernier, ont pris connaissance avec une filiale émotion de la Lettre que Votre Sainteté a daigné adresser à Son Éminence le Cardinal Valerio Valeri, en date du 31 mars, en réponse à l'humble supplique qu'ils avaient présentée à Votre Sainteté même.

Le message du Père Commun à Son Éminence le Cardinal Préfet réalise une fois encore la pensée que Votre Sainteté exprimait aux infirmes, le 14 février de l'année courante : « Nous avons toujours supplié Jésus de vouloir rendre de quelque manière Notre cœur semblable au Sien : bon, doux, ouvert à toutes les souffrances et à toutes les peines ».

Très Saint Père, Vous avez daigné écouter les considérations et les désirs des plus. humbles représentants de Votre milice religieuse, et cet acte, joint à la réponse qui suivit, a comblé notre âme de reconnaissance.

Nos Supérieurs se feront un devoir spécial de suivre très docilement les directives tracées par Votre Sainteté, d'en étudier et d'en réaliser toutes les conséquences, ils s'efforceront de continuer à gouverner leurs familles religieuses dans l'esprit de piété et avec un zèle éclairé et conforme aux principes de notre Mère la Sainte Eglise.

Ces soins, fécondés par la Bénédiction de Votre Sainteté, donneront un nouvel accroissement au nombre déjà bien grand de nos élèves qui s'acheminent vers le Sanctuaire ou les Noviciats, fruit ambitionné de la paternité spirituelle souhaitée avec une si vive satisfaction par Votre Sainteté, dans l'auguste Lettre profondément chère au cœur de tout Religieux laïc enseignant.

Avec ces sentiments de joyeuse gratitude qui nous unissent tous et en renouvelant à Votre Sainteté la promesse de fréquentes prières pour obtenir le rétablissement complet de Votre si précieuse santé, nous avons l'honneur de nous redire, Très Saint Père,

De Votre Sainteté les fils très humblement dévoués et reconnaissants.

 Rome, le 20 avril 1954.  

Cause du Vénérable Père Champagnat

 Au gré de certains Frères, leurs lettres en font foi, cette Cause ne va pas assez vite vers son terme. Cela prouve, sans doute leur esprit filial envers le Vénérable Fondateur, mais ils ignorent que, outre les vacances d'août et septembre qui ont fait suspendre le travail à la Sacrée Congrégation des Rites, le nombre des Causes en cours est tel qu'un ordre s'impose afin d'éviter que, voulant en activer certaines, on en retarde d'autres indûment.

Il est des Causes qui sont allées particulièrement vite, mais d'autres, même parmi celles qui ont abouti récemment, n'ont pas franchi plus rapidement que celle du Vénérable Père Champagnat les dernières étapes pour la béatification. Continuons à prier et à offrir nos sacrifices et nos bonnes oeuvres à Notre-Seigneur avec la ferme conviction que, si c'est son bon plaisir, il saura nous accorder, en temps voulu, la glorification si ardemment désirée de notre Père et Fondateur. 

Lettre du 27 mai 1951.

                 Mes bien chers Frères,

Le 20 mars dernier, je vous écrivais que le Collège des Médecins de la S. C. des Rites, après avoir pris connaissance de la relation de la séance du 18 mars, où ont été discutés les deux miracles attribués au Vénérable Père Marcellin Champagnat, se prononcerait sur leur validité dans une réunion ultérieure.

Cette importante réunion, considérée comme anté-préparatoire, a eu lieu le 26 mai, et le cher Frère Procureur Général près le Saint-Siège nous en a aussitôt communiqué l'heureux résultat par le télégramme suivant :

 COLLÈGE DES MÉDECINS FAVORABLE. Alessandro.

Je sais combien cette nouvelle, que vous attendiez avec quelque impatience, réjouira votre cœur et celui des élèves et des familles qui s'intéressent tant à notre chère Cause.

Que cette joie si légitime vous porte à remercier Notre-Seigneur, Notre-Dame et saint Joseph à qui nous avons demandé cette faveur par de ferventes supplications.

En conséquence, vous voudrez bien chanter ou tout au moins réciter le Magnificat dès la réception de la présente communication et chacun offrira, au plus tôt, trois communions en action de grâces.

Vous examinerez le meilleur moyen de faire participer vos élèves à cette pieuse manifestation de notre reconnaissance envers le Seigneur.

Mais, cette heureuse étape franchie, il faut assurer, mes bien chers Frères, autant qu'il dépend de nous, le succès de la suivante, c'est-à-dire la Congrégation dite préparatoire, dans laquelle les canonistes et théologiens de la S. C. des Rites émettront leur vote, après avoir entendu les animadversions du Promoteur de la Foi et les réponses que le Postulateur de la Cause et son Avocat y auront données.

Dès que la date de cette Congrégation sera fixée, je vous en informerai. En attendant, il faut s'abstenir d'un optimisme excessif. Nous pouvons simplement exprimer notre espoir de voir la Cause heureusement aboutir, mais sans émettre de jugement absolu qui n'est pas de notre compétence.

Ce qui est recommandable surtout, c'est la prière instante et fervente soutenue par de généreux sacrifices. Je suggère les suivants : une exacte fidélité aux règles du lever et du silence ; la pratique plus parfaite de la pauvreté ; la suppression de toute sortie ou visite irrégulière. Chacun selon sa piété pourra en choisir d'autres.

Les Frères Provinciaux et les Frères Directeurs sont priés d'indiquer les actes de vertu et les sacrifices qui, vu les circonstances, conviennent le mieux à leur Province ou à leur Communauté.

Il est vivement à souhaiter que par nos prières et nos efforts vertueux, inspirés par un véritable amour filial, non seulement nous obtenions la glorification de notre Vénérable Père, mais par-dessus tout un puissant accroissement de l'esprit qui l'animait dans la fondation et le développement de l'Institut des Petits Frères de Marie.

C'est ainsi, mes bien chers Frères, que nous contribuerons à rendre notre chère Congrégation plus agréable à Dieu et à la Très Sainte Vierge Marie, notre Céleste Mère et Patronne et, par suite, plus apte à remplir sa noble mission dans la Sainte Église.

Dans la certitude de vous voir accueillir ces directives avec la plus filiale docilité, je saisis bien volontiers cette nouvelle occasion de me redire

Votre humble et dévoué serviteur dans les Saints Cœurs de Jésus, Marie, Joseph. 

Lettre du 21 octobre 1954.

               Mes bien chers Frères,

Je m'empresse de vous annoncer que la cause de notre Vénérable Fondateur devra subir, le 16 novembre prochain, une épreuve très importante. Ce jour-là en effet, aura lieu la Congrégation Préparatoire pour l'examen des deux miracles attribués au Serviteur de Dieu.

Un recueil contenant :

1° le sommaire des procès des deux guérisons,

2° le compte rendu de l'étude faite dans chaque cas par deux médecins de la Sacrée Congrégation des Rites,

3° la relation de la réunion du Collège des Médecins,

4° les animadversions du Promoteur de la Foi,

5° la réponse faite à ces dernières, par notre avocat, a été remis pour étude à une trentaine de Cardinaux et Consulteurs de la Sacrée Congrégation des Rites.

Au jour fixé, ceux-ci émettront leur vote affirmatif ou négatif sur la validité des deux miracles, ou de l'un d'eux.

Si le résultat est tel que nous le souhaitons et l'espérons, il ne manquera plus pour la béatification que les deux Congrégations générale et de Tuto, présidées par le Saint-Père en personne.

C'est vous dire, mes bien chers Frères, combien nous devons redoubler de ferveur dans nos prières et nous imposer des sacrifices vraiment méritoires pour que cette' Cause, qui nous est si chère, franchisse avec succès cette nouvelle étape.

Dans ce but, d'accord avec les Membres du Conseil Général, je vous demande :

1° De réciter, tous les matins, dès la réception de la présente lettre et jusqu'au 16 novembre inclusivement, les prières de la neuvaine mensuelle pour obtenir la béatification.

2° Le 15 novembre, on observera partout un jeûne semblable à celui du samedi et on gardera le silence à tous les repas.

3° Dans les maisons de formation, on organisera l'adoration perpétuelle pour la journée entière ou une demi-journée, suivant les possibilités. Dans les autres maisons on fera, en communauté, au moins une demi-heure d'adoration à la chapelle ou à l'église.

4° On fera participer les élèves à cette Croisade par des prières mieux récitées, une meilleure assistance à la messe quotidienne et des communions plus nombreuses. Le dimanche 14, là où la chose n'est pas possible le 15, pourrait être choisi pour une communion offerte spécialement à cette intention.

5° On demandera, dans la mesure du possible, aux anciens élèves, aux familles des Frères et des élèves, et plus particulièrement aux communautés religieuses, de nous aider à faire violence au Ciel.

Ce programme peut s'adapter à toutes nos communautés. Que chacun y ajoute ce qu'il pourra sans nuire à sa santé et à ses devoirs d'état.

Je n'insiste pas, mes bien chers Frères ; je sais que vos cœurs sont bien préparés à suivre et à perfectionner, au besoin, ces directives, et je vous en remercie.

Daigne la Vierge Immaculée, en cette fin d'année mariale, nous accorder de voir poindre l'aurore de la Béatification tant désirée !

Votre humble et dévoué serviteur en J. M. J. 

Lettre du 19 novembre 1954.

 V. J. M. J.           St. Genis-Laval, le 19 novembre 1954.

              Mes bien chers Frères,

 Votre esprit de famille et votre amour pour le Vénérable Père Champagnat vous font souhaiter vivement de savoir le résultat de la Congrégation Préparatoire.

Ce n'est qu'aujourd'hui que nous en avons reçu des précisions, quoique, dès le 16, un télégramme nous eût donné bon espoir.

Le vote a été favorable. On peut donc préparer la Congrégation Générale qui sera présidée par Notre Saint-Père le Pape en personne.

Remercions ensemble Notre-Seigneur et la Très Sainte Vierge. A cette intention, nous offrirons tous cinq communions d'actions de grâces et dans toutes les communautés on chantera le Magnificat et on fera quelque acte de charité en faveur des pauvres.

La Congrégation Générale vous sera annoncée opportunément ; préparons-la par nos prières et une plus grande régularité.

Je me redis votre très humble frère et serviteur en J. M. J.  

Cause du Vénéré Frère Alfano

 Le C. F. Martino Giuseppe, Vice-Postulateur de cette Cause, a bien voulu donner le court exposé suivant :

Des trois procès diocésains, à savoir :

Super perquisitione scriptorum,

Super fame sanctitatis virtutum et miraculis,

Super non cultu.

Le premier est fini depuis longtemps et les écrits (lettres, notes, conférences) du Serviteur de Dieu ont été remis à Rome.

Le second procès est le plus important et le plus long parce qu'il comporte l'examen de nombreux témoins sur une longue liste de questions et le procès-verbal fidèle de toutes les dépositions. On est sur le point d'achever cet important travail.

Dès Je commencement, nous avions présenté la liste de 18 témoins (12 Frères et 6 étrangers à la Congrégation). Nous y avons ensuite ajouté deux autres Frères ; donc, 20 au total. Tous ont été convoqués soit à Vintimille, soit à Mondovi. Ensuite, le Tribunal a appelé « ex-officia » quatre autres témoins (4 Frères), dont trois seulement ont été alors interrogés. Le dernier de ces trois témoins a été appelé à faire sa déposition le 2 octobre.

L'examen des témoins a donc pris fin. Chacun des 23 témoins a été interrogé individuellement dans trois séances de trois heures chacune. Dans la dernière, du 6 octobre, j'ai présenté les documents personnels du Serviteur de Dieu certificat de baptême, de confirmation, de profession religieuse, etc. …

Dans la prochaine session, vers la fin de ce mois d'octobre, je présenterai de nouveau les documents, dûment légalisés et, en même temps, les deux Frères qui seront chargés de la transcription des procès-verbaux de ce deuxième procès, qui comportera plusieurs centaines de pages. C'est cette copie qui sera envoyée à Rome.

Je pense que dans deux ou trois mois cette transcription pourra être prête et reliée en carton ou en bois. Deux notaires et un juge feront ensuite la confrontation de la copie avec les actes officiels de la Commission et l'approuveront.

On procédera alors à la session solennelle présidée par Son Excellence Mgr l'évêque dé Vintimille. Entre autres choses, dans cette session, on me confiera la copie des procès, rigoureusement scellée, qui devra être portée à Rome.

Il restera encore à faire, à Vintimille, le procès de « non cultu » avant l'introduction de la Cause à Rome. Ce procès comprend l'examen d'au moins quatre témoins présentés par nous et deux nommés « ex officio », lesquels seront interrogés pour s'assurer que le Serviteur de Dieu n'a jamais reçu un culte indu. Pour la même raison, le Tribunal visitera la tombe du Serviteur de Dieu, les lieux qu'il a habités, etc. … Je ne crois pas que ce procès occupe plus de sept ou huit séances.

Si les juges disposent du temps voulu, tout pourra être fini en mars ou avril prochain. Il est probable que nous attendrons la fin de ce dernier procès pour porter à Rome les documents complets.

Nous avons besoin du secours de Dieu et de Notre-Dame pour mener à bien toutes ces démarches, pour la plus grande gloire de Dieu et le bien de notre Institut. Le nombre et la qualité des faveurs qu'on obtiendrait par l'intercession du Vénéré Frère Alfano aideraient beaucoup à l'issue rapide du procès.  

Nos Frères restés

en Chine Communiste

 Notre Province de Chine est aujourd'hui scindée en deux tronçons : l'un, le nouveau dont il a été parlé plusieurs fois, dans les Circulaires et Bulletins, s'est transporté au Japon, à Hongkong, en Malaisie et Indonésie, l'autre se trouve actuellement encore en Chine, mais en Chine communiste, ce qui signifie en butte à une persécution systématique, d'une méchanceté sans pareille.

Les nouvelles que nous en avions se sont arrêtées et c'est maintenant la Province du silence.

Voici, en un court résumé, la marche des événements qui s'y sont déroulés depuis la prise du pouvoir des communistes.

Tout d'abord, ils ont proclamé, comme partout, la liberté de religion et les premiers mois il semblait qu'on pouvait s'accommoder avec le nouveau pouvoir. Mais cela n'a pas duré. D'une part, nos établissements pour étrangers ont vu diminuer le chiffre de leurs élèves, dont les parents voyaient leurs affaires ou leur commerce baisser de jour en jour, pendant que les impôts et autres exigences, sous lesquelles on les accablait, augmentaient sans cesse. Ainsi périt notre Collège Saint-Louis de Tientsin. A Shanghaï, il fallut réunir en un seul les deux Collèges Saint-François-Xavier et Sainte-Jeanne-d'Arc et finalement fermer le dernier survivant. Les immeubles évidemment reviennent au peuple.

Dans les écoles chinoises, la mort fut plus rapide. Le peuple les prit en charge, suivant la formule usitée. De nouveaux directeurs communistes s'y installèrent, les Frères furent généralement laissés libres et même plusieurs, faute de maîtres formés, furent conservés. Mais on avait pris soin de mettre en prison les Frères Directeurs, qui y sont encore. Les prétextes ne manquent pas : espionnage, relations avec le Vatican et autres de même valeur et, parmi eux, celui d'avoir organisé ou dirigé la Légion de Marie… Que sont devenus ces Frères et surtout quel sera leur sort ? On ne saurait le dire.

L'un d'eux, le Frère Joche-Albert, Directeur de l'École de Sichang, après quelques mois d'emprisonnement et de tortures fut un beau matin tiré du cachot et conduit, avec d'autres prisonniers, au bord de la ville et mis à mort.

Quant aux Frères conservés dans l'enseignement, ils durent subir des périodes de rééducation d'un ou plusieurs mois. On les réunissait avec d'autres professeurs et, du matin au soir, ils étaient forcés d'écouter des conférences, de lire des articles de journaux ou revues prêchant la bonne doctrine, désormais obligatoire et enfoncée dans tous les cerveaux chinois par tous les moyens modernes de propagande.

C'est d'ailleurs le matérialisme athée le plus accentué. Et tous les professeurs doivent assister à des conférences fréquentes dont il faut ensuite rédiger des résumés substantiels.

Les Frères chassés des écoles durent se trouver une occupation et un gagne-pain. Quelques-uns, de la région de Pékin, se rabattirent sur la maison provinciale qui avait quelques ressources, vu la vente du vin, jadis florissante, ce qui avait permis d'élever une nombreuse jeunesse : juvénistes et novices. Mais là aussi, les taxes pleuvant, il fallut rendre la plupart des juvénistes à leurs familles et commencer à s'imposer des privations, soit pour ce qui regarde la nourriture, soit pour le chauffage des chambres.

Les Frères des régions plus éloignées ne pouvant circuler, car la police empêche, à sa guise, tous les déplacements, devinrent, suivant les circonstances, employés de bureau, comptables ou autre emplois analogues, vivant dispersés et souvent sans les secours spirituels auxquels la vie religieuse nous a habitués. En effet, les évêques, les prêtres, ayant été emprisonnés, expulsés ou tués, le culte a été rendu impossible en beaucoup de régions.

Là-dessus arriva, à la fin du mois d'août 1953, ce qu'on craignait depuis longtemps : l'emprisonnement du C. F. André-Gabriel, Provincial, qui devait être expulsé de Chine après neuf mois de captivité. Il était resté bravement à son poste comme un capitaine sur le bateau qui va sombrer pour essayer, jusqu'au bout, de guider et encourager les Frères chinois dans leur malheureuse situation. Deux Frères européens étaient avec lui et, quand on avait confisqué le Collège Sainte-Jeanne-d'Arc de Shanghai, où ils logeaient, ils s'étaient réfugiés, pour peu de temps, hélas ! à la Procure des Pères Augustiniens, encore libre.

Avec cet emprisonnement, le C. F. Aristonique, résidant à Chala, devenait, d'après une décision préalable du Conseil Général, remplaçant du Frère Provincial emprisonné. On lui avait nommé quatre Conseillers et on espérait que, malgré tout, dans la ville de Pékin, où comme dans les grandes villes, les communistes laissent une certaine liberté, la Province continuerait tant bien que mal à marcher, quoique la corde au cou. On avait même pu réorganiser le noviciat de Pékin, avec les postulants qui, refoulés à la frontière de Macao l'année précédente, refusaient de rentrer dans leurs familles et demandaient avec instance d'être acceptés dans l'Institut. A signaler encore une dizaine de juvénistes qui, malgré les mauvais jours, persistaient à vouloir devenir religieux maristes.

Mais une nouvelle poussée de la persécution vint mettre fin à tous les espoirs ; le communisme, en effet, s'il avance lentement, sait très bien où il va et il ne s'arrêtera que quand il aura tout détruit des œuvres catholiques.

Les choses sont donc allées en se précipitant. En même temps que le F. André-Gabriel était emprisonné, ses deux compagnons étaient expulsés et se réfugièrent à Hongkong, seul point de contact avec le monde non communiste et où passent forcément tous les Missionnaires chassés de Chine, souvent à bout de forces et ayant subi de longues tortures.

Quelques mois plus tard, les Frères Marie-Nizier, ancien Provincial, Joseph-Félicité et Louis-Nicolas, restés à Chala, furent expulsés à leur tour et atteignirent Hongkong.

Les Frères chinois au nombre de 65, plus les huit novices, se sont donc trouvés seuls et dans dés situations bien fâcheuses. Déjà, l'enseignement étant interdit à l'avenir à tous les religieux et même à tous les chrétiens, on apprenait des métiers aux novices pour qu'ils puissent gagner leur vie un jour.

Et voici que tout à coup la situation s'est encore assombrie. On a appris que, le 9 juin dernier, la police était survenue à Chala, avait enfermé dans leur chambre presque tous les Frères et d'abord les Supérieurs : Provincial, Directeur, Maître des Novices. La pratique est toujours la même dans tous les temps : « Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées ».

Depuis, le silence s'est fait sur leur situation. Aucune nouvelle n'a filtré, ni par lettre ni autrement. On ne peut d'ailleurs pas écrire prudemment, car toutes les lettres sont lues par la police et elle conserve copie des passages qui l'intéressent. On a cependant appris, par des sources qui paraissent sûres, que le C. F. Paolou-Célestin, Directeur de l'École du Sacré-Cœur au Pétang, a été mis en prison.

Voilà donc où en, est réduite cette belle Province de Chine, en terre chinoise. C'est la désolation aussi bien pour nos œuvres et nos Frères que pour l'Église, ses évêchés, ses séminaires, son clergé et ses fidèles. Autant qu'on puisse fournir des chiffres qui changent souvent, on a l'état suivant : à la fin juin 1954, il y avait 7 Frères en prison, 12 Frères en résidence surveillée à Chala, 5 Frères en liberté dans les limites de la propriété de Chala, chargés du matériel, 15 Frères dispersés, dont 4 dans leur famille travaillant aux champs, une vingtaine enseignant encore dans les écoles du gouvernement et 8 novices probablement dispersés. Les quelques juvénistes qui restaient encore ont dû recevoir, aux vacances, l'ordre de demeurer chez eux.

C'est peut-être pour la dernière fois ou, du moins pour longtemps, que nous pouvons parler d'une façon assez précise de nos Confrères chinois en terre communiste et nous ne voyons encore aucune lueur d'espoir à l'horizon. Il ne nous reste que le moyen de la prière pour leur venir en aide. Ils en ont grand besoin pour continuer, comme ils l'ont fait admirablement depuis cinq ans, à être fidèles à Dieu et à leur Institut.

Il faut prier aussi pour tous ces chrétiens persécutés qui formaient de si belles et si ferventes chrétientés et qui, désormais, sont sans pasteurs, comme des brebis au milieu des loups, et spécialement pour tous les enfants privés de maîtres chrétiens. C'est une des peines de nos Frères chinois de savoir que leurs anciens élèves sont maintenant entre les mains de maîtres communistes, c'est-à-dire athées. Si les grandes personnes ont de la peine à conserver la foi chrétienne, qu'en sera-t-il pour les enfants sans défense ?

Les nouvelles reçues au moment de corriger les épreuves indiquent que la maison de Chala a été complètement occupée par les autorités, et les Frères dispersés.  

Élections de Frères Provinciaux

 Dans la séance du 28 mai 1954, le Conseil Général a élu Provincial du Brésil Septentrional le Cher Frère GUY-MAURICE, pour un premier triennat, en remplacement du cher Frère ODILON-BERNARDO, parvenu au terme de son mandat.

Dans la séance du 21 juin, ce même Conseil a élu le cher Frère ANTOINE-ALBERT, Provincial de la Province d'Iberville, pour un premier triennat, en remplacement du cher Frère JOSEPH-AZARIAS, parvenu au terme de son mandat.

Dans la séance du 16 novembre 1954, le Conseil Général a élu Provincial du Brésil Méridional le cher Frère DIONISIO FELIX, pour un premier triennat, en remplacement du cher Frère PAUL-NORBERT, parvenu au terme de son mandat.

Dans la même séance, le Conseil Général a élu le cher Frère JANUARIO, Provincial de Santa Catarina pour un deuxième triennat.

 

 LISTE DES FRÈRES dont nous avons appris le Décès

depuis la Circulaire du 24 Mai 1954

 

   Nom et âge des Défunts                    Lieux des Décès                   Dates des Décès

 

F. Léon-Élisée          76 Profès perp. Saint-Genis-Laval (France)       1iermai  1954,

F. Louis-Alphonse    73  »                 Mendes (Brésil)                              2  »        »

F. Charles Borromeo 73  »              Athlone (Irlande)                              10 »        »

F. Euphrosin             85  Anc. Assis.  St-Paul-Trois-Châteaux (France).     13 »        »

F. Cecilio José         75  Stable        Popayán (Colombie)                      13 »        »

F. Sapor                    78  »                 N.-D. de Lacabane (France)         30 »        »

F. Marie-Gondolph   66  »                 Péruwelz (Belgique)                       31 »        »

F. Eustérius              78  »                 Pietermaritzburg (Arr. du Sud)      4 juin       »

F Brieuc-Marie         82  »                 Antsirabe (Madagascar)               9 »          »

F. David                    88  »                 Wellington (Nouvelle-Zélande)      11 »        »

F. Georges-Victor    45 Profès perp. Saint-Genis-Laval (France)        12 »        »

F. Joaõ Norberto      49  Stable        Lisbonne (Portugal)                        13 »        »

F. Alphonse-Nicolas   29 Profès temp. Antsirabe (Madagascar)         20 »        »

F. Flavio                    74  Stable        Las Avellanas (Espagne)              21 »        »

F. Louis-Conrad       75 Profès perp. Lausanne (Suisse)                       24 »        »

F. Albertinus             58  »                 St-Paul-Trois-Châteaux (France)    25 »     »

F. Reginald John      70  Stable        Rosalie (Australie)                          28  »       »

F. Joseph Leo          39  »                 Lawrence (États-Unis)                   1ier juill. »

F. Paul-Camille        72  »                 Pietermaritzburg (Afr. du Sud)      4 »          »

F. Camilo Valentin   59 Profès perp. Mendes (Brésil)                            12 »        »

F. démens Mary       56  »                 Auckland (Nouvelle-Zélande)        16 »        »

F. Wendelinus          55  Stable        Mindelheim (Allemagne)                2 août     »

F. Evagre-Louis       79  »                 Mont Saint-Guibert (Belgique)      7 »          »

F. Henry-Norbert      62  »                 Eastwood (Australie)                     8 »          »

F. Thomas Aquinas        88  »           Dumfries (Écosse)                         6 sept.    »

F. Jules-Arnould       71  »                 Mont Saint-Guibert (Belgique)      11 »        »

F. Ange-Louis           84  »                 N.-D. de Lacabane (France)         12 »

F. Marie-Adalbert     61  »                 Mont Saint-Guibert (Belgique)      15 »        »

F. Embert                  79  »                 Aubenas (France)                          23 »        »

F. Marie-Fulgence   77  »                 Beaucamps (France)                     28 »        »

F. Paul-Marcel          55  »                 N.-D. de Lacabane (France)         5 oct.      »

F. Agathon                59  »                 Beaucamps (France)                     12 »        »

F. Marie-Eudore       58  »                 Château-Richer (Canada)             24 »        »

F. Julio Salvador      58  »                 México (Mexique)                           30 »        »

F. Clément-Lucien   86  »                 Cassel (France)                              12 nov.   »

F. Albino                    69  »                 Pamplona (Espagne)                     17 »        »

F. Louis-Albertin       75  »                 Mont Saint-Guibert (Belgique)      24 »        »          

F. Joseph-Bonus      82  »                 Antsirabe (Madagascar)               24 »        »

F. Leoncio                 54 Profès perp. Buenos Aires (Argentine)           23 »        »

F. Avit                        77 Secrét. gén. Lyon (France)                                1ier  déc. »

 

 

La présente circulaire sera lue en communauté à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Recevez, mes biens chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis, en J. M. J.

Votre très humble et tout dévoué serviteur,

                      Frère LÉONIDA, Supérieur Général.

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