Circulaires 353

Charles-Raphaël

1961-05-01

NOTRE VIE SPIRITUELLE
Un conseil de Sa Sainteté Pie XII: ne jamais sacrifier notre vie intérieure
I. Rester toujours fidèles à notre idéal mariste
1. La période de formation:
La générosité de nos jeunes
Les difficultés propres au scolasticat
2. Les premières années de vie active:
La responsabilité des supérieurs
Le rôle des Frères plus anciens de la communauté
3. La fidélité de toute une vie:
Les grands ennemis de notre idéal religieux sont au-dedans de nous
Le choix personnel de la vocation est toujours à refaire
La signification profonde de la rénovation des voeux et d'un jubilé d'ancien
II. L'entraînement constant dans la vertu
Ne pas se contenter de projets de vertu; passer aux actes
Applications:
1. L'esprit de foi
2. L'esprit de prière
3. Les vertus votales
4. L'esprit de sacrifice
5. La charité fraternelle
III. Simplifier notre vie spirituelle
1. Etablir la hiérarchie de nos devoirs . .
2. Avoir toujours notre plan de vie spirituelle .
3. Programme essentiel .
4. Savoir recommencer son effort; ne jamais céder au découragement
Conclusion: Union à Dieu et apostolat
Un mot d'adieu à nos Frères de Saint-Genis-Laval
Elections
Statistique de l'Institut au 31 décembre 1960
Liste des décès

353

V. J. M. J.

Saint-Genis-Laval, le 1iermai 1961.

Fête de saint Joseph.

 NOTRE VIE SPIRITUELLE

                    MES BIEN CHERS FRÈRES,

 Pour tout homme, il est dangereux d'avoir des idées fausses sur les vérités fondamentales qui doivent régler sa conduite. C'est encore plus dangereux pour celui qui veut tendre à une vie plus haute, à la perfection évangélique. En cas d'erreur sur les « principes », on peut continuer de faire des efforts réels, mais on court le risque de faire de grands pas hors de la bonne voie.

Aussi, tout ce qui se rapporte à notre vie spirituelle mérite de notre part une attention particulière. Sous l'influence du monde qui nous entoure, ou tout simplement par suite des multiples occupations qui nous absorbent, nous pouvons facilement nous laisser détourner du but même de notre vocation.

Le 7 juillet 1947, dans une audience accordée aux religieux et religieuses, accourus à Rome pour la canonisation de saint Michel Garicoïts et de sainte Jeanne-Elisabeth Bichier des Ages, le Pape Pie XII recommandait instamment à ces pèlerins de défendre leur vie intérieure : « Que votre zèle, comme le leur (celui des deux nouveaux canonisés), soit ardent, agissant, conquérant, adapté aux besoins de chaque temps, mais qu'il s'alimente à la source vive ! Soyez sourds à la tentation de sacrifier votre vie religieuse et votre sanctification personnelle à l'apostolat. Ce serait cueillir de l'arbre, les fleurs épanouies pour en faire un bouquet et vouloir chercher ensuite du fruit sur les branches dépouillées. »

A nous aussi incombe l'obligation d'être « sourds » à cette forme de tentation, qui est de tous les temps et de toutes les situations. Chaque retraite annuelle nous invite à faire table rase des fausses valeurs qui s'introduisent sournoisement dans notre vie de consacrés, puis à orienter de nouveau plus nettement nos efforts vers Dieu seul. Chaque année, nous sommes invités ainsi à recommencer loyalement, courageusement, le dur combat de la perfection. Si nous faisons sérieusement nos retraites annuelles, nous ne pouvons tomber dans la tiédeur.

Seulement, cet effort de la retraite ne doit pas rester sans lendemain. Il devra se maintenir pendant toute l'année, pendant toute la vie. Ne s'agitil pas, en effet, de cet « unique nécessaire », pour lequel un religieux doit être prêt à tout sacrifier ?

 Nous voudrions aujourd'hui rappeler quelques moyens de sauvegarder et de développer notre vie spirituelle. Nous verrons donc :

1° Que nous devons toujours nous efforcer de rester fidèles à notre idéal mariste ;

2° Que nous devons être prêts à pratiquer résolument toutes les vertus que cet idéal requiert de nous ;

3° Qu'une sage simplification de notre programme nous permet de mener une vie spirituelle fervente en toutes circonstances. 

1. – RESTER TOUJOURS FIDÈLES

A NOTRE IDÉAL MARISTE.

 Nous ne devons jamais perdre de vue la « raison d'être » de notre vie religieuse. Il ne s'agit pas seulement de la vocation religieuse en général, mais encore de cette forme de vie que Dieu nous a réservée, à nous Frères Maristes. Comme le fait remarquer Francis Vincent : « Les règles et les traditions d'un Ordre lui constituent… comme un tempérament propre. C'est parce que les âmes individuelles se sont découvert des affinités avec tel ou tel groupe qu'elles sont venues à lui. Chacun doit donc se cultiver selon l'esprit du groupe pour atteindre sa fin » (Saint François de Sales, Directeur d'âmes.- Beauchesne, 6e éd. p. 450).

Ne se trouve-t-il pas des Frères qui, avec les années, semblent avoir oublié la raison d'être de leur vie mariste ? Cela serait grave et inquiétant. Pour qu'un homme puisse déployer progressivement toutes les richesses que Dieu a déposées en son âme, il lui faut un but clairement entrevu, toujours présent à son regard intérieur. Il lui faut un « idéal » pour lequel il reste prêt à tout sacrifier, à se sacrifier lui-même plutôt que d'y renoncer. L'idéal opère comme un aimant prodigieux, qui rassemble et unit toutes les possibilités d'un homme. Sans idéal, on gaspille habituellement les plus belles énergies.

Le religieux a été attiré par le Christ ; il s'est donné totalement au Christ. « Une vocation religieuse est toujours, au fond, un appel de Jésus lui-même à l'aimer pour sa personne : « Viens et suis-moi » dans ce genre de vie qui est mien et parce qu'il est mien » (P. Carpentier – Témoins de la Cité de Dieu, 1ièreéd., p. 22). C'est cette invitation du Christ qui est au cœur de toute vie religieuse. C'est elle qui justifie pleinement la vie du religieux.

Pour qu'un Frère reste fidèle à son idéal mariste, il lui faut normalement :

1° une prudente et solide préparation pendant les années dites de « formation » ;

2° une initiation progressive et un appui vraiment fraternel pendant les premières années de « vie active » ;

3° une vigilance ferme et constante, de sa part, jusqu'au terme de sa vie. 

La période de formation.

 Pendant les années de préparation au don définitif de soi-même au Christ, il appartient aux formateurs de guider prudemment les aspirants, afin qu'ils ne se trompent pas sur la réalité de l'appel d'en-haut. Il est relativement facile de dépister l'inaptitude foncière à comprendre ce que doit être le don de soi-même au Christ. Mais il y a bien des cas douteux, ne fût-ce qu'à cause du jeune âge de la plupart de nos aspirants. Des erreurs restent possibles, de part et d'autre. Ne s'en étonnent que ceux qui n'ont jamais assumé cette responsabilité du « choix des sujets ».

En règle générale, après un séjour plus ou moins long au juvénat, puis au postulat, nos jeunes gens éprouvent intensément le besoin de cet idéal. La parole d'Emerson se vérifie pleinement pour eux : « Il faut attacher son char à une étoile ». Tous ceux qui ont pu suivre d'un peu près nos novices savent jusqu'où peut aller leur générosité ; elle semble sans limites. A ces âmes bien disposées, il s'agit d'inculquer une conception nette de l'idéal mariste, une idée « solide », indépendante du sentiment et de ses fluctuations, comme de l'imagination et de ses caprices.

Mais ce bel élan initial, même s'il est totalement sincère, ne se soutient pas toujours dans la suite. Parfois, une baisse plus ou moins forte peut se manifester dès le scolasticat. Celui-ci fait transition entre le noviciat et la « vie active » des communautés. Son règlement, ses exigences croissantes en fait d'études profanes et religieuses, la préparation à des examens de plus en plus difficiles, semblent ne pas favoriser les aspirations profondes de nos jeunes. Pourquoi ? Il peut arriver que l'organisation de tel ou tel scolasticat soit partiellement en cause : études trop précipitées : on veut conquérir les diplômes requis dans le minimum de temps ; fièvre des examens mal combattue, peut-être même entretenue ; atmosphère générale où les préoccupations intellectuelles tendent à tout envahir… Quand il y a lieu, il appartient aux responsables d'intervenir délicatement et de trouver progressivement la bonne formule, équilibrée et aussi bien adaptée que possible à la situation locale.

En fait, il n'existe pas de méthode pour produire automatiquement d'excellents religieux. La croissance spirituelle, comme en général toute croissance, est lente. De plus, elle exige toujours la collaboration libre de chaque âme ; cette collaboration peut, à certaines étapes de la vie, diminuer ou même manquer totalement. « Il reste donc normal que la sortie du noviciat soit suivie d'une certaine crise d'adaptation » (cf. Revue des Communautés Religieuses, 15 février 1961).

En somme, dans nos scolasticats actuels, les études astreignantes présentent à nos jeunes Frères la même difficulté pour leur vie intérieure qu'ils rencontreront, plus tard, dans les diverses communautés où l'obéissance les enverra. Il faut en conclure qu'un entraînement progressif au règlement du scolasticat est à conseiller pendant les premières semaines qui suivent le noviciat. Mais on ne pourra jamais exclure la difficulté, très réelle, de mener de front une intense vie d'étude avec l'obligation fondamentale d'une solide vie intérieure. Le fait d'être absolument incapable d'y parvenir, malgré les conseils des supérieurs, ne prouverait certainement pas en faveur d'une vocation authentique de Frère Mariste éducateur. Ce doit être très rare. 

Les premières années de vie active.

 Mais le premier contact avec la vie des communautés, surtout dans certaines écoles « difficiles », comme dans les internats aux corvées multiples et exigeantes, constitue pour la plupart des jeunes Frères la grande épreuve de leur « idéal ». « Des jeunes religieux s'attendaient peut-être à vivre dans des communautés idéales où ils seraient épaulés, soutenus, comme portés par une ambiance de ferveur. En réalité, leurs aînés sont en grande majorité de bonne volonté. Il n'y a plus d'Instituts décadents de nos jours. Mais ils restent des hommes, de pauvres hommes, entachés de défauts » (Revue des Communautés Religieuses, 15 février 1961).

C'est ici que les Supérieurs, tant majeurs que locaux, ont des responsabilités paternelles précises et souvent graves. Leur vigilance et leur affection doivent trouver les moyens d'intervenir utilement, chaque fois qu'il sera nécessaire ou opportun de le faire. En modifiant légèrement une parole du cardinal Newman sur le « maître » sans influence, on pourrait dire : « Une communauté où le Supérieur n'a aucune influence heureuse sur les jeunes qui lui sont confiés, c'est un hiver au pôle nord, un collège pris et pétrifié dans les glaces. »

Dans beaucoup de communautés, mais surtout dans ces communautés trop grandes qui se multiplient dans la Congrégation, un Directeur doit pouvoir compter sur la franche et prudente collaboration des Frères plus âgés. Une revue profane écrivait récemment : « L'âge n'est pas un privilège ni une « supériorité », mais une redoutable responsabilité qui devrait donner lieu à de plus substantiels examens de conscience ». Que nos Frères aînés fassent parfois ces substantiels examens de conscience sur leurs responsabilités par rapport aux jeunes membres de leur communauté. Ils peuvent leur apprendre pratiquement comment on arrive à vivre conformément à son idéal religieux et apostolique, malgré une tâche fatigante et parfois obsédante, en dépit de petits échecs douloureusement sentis, d'incompréhensions de tout genre, de troubles intérieurs, de petites crises de découragement. Mieux que cela, ils peuvent leur montrer comment toutes ces misères humaines sont pour une âme vaillante, comme un tremplin pour mieux sauter, pour mieux progresser. Exempta trahunt. Il n'y a que les exemples qui puissent soutenir et entraîner.

Saint-Exupéry a dit de son camarade Guillaumet : « Il répandait la confiance comme une lampe répand sa lumière… » et encore : « souriant du plus bienfaisant des sourires ». Répandre la confiance en toute occasion, sourire d'une façon cordiale en abordant un confrère dans la peine, offrir son aide fraternelle, toute sa volonté de servir, avec le sourire sur les lèvres, quelle splendide manière de pratiquer la véritable charité fraternelle. Et quelle force merveilleuse renferme cette charité pour soutenir nos jeunes (et même les moins jeunes) dans la rude montée vers l'idéal religieux mariste !

Si la fidélité à l'idéal mariste dépend en bonne partie de la formation donnée dans nos maisons de formation, il faut ajouter que les premières années de vie de communauté doivent couronner l’œuvre. « Le temps des illusions est passé », croyait pouvoir dire quelqu'un à un jeune Frère désemparé. Telle quelle, la parole était maladroite et déprimante. Le temps des illusions proprement dites, peut-être, et alors, tant mieux ! Mais non celui de l'enthousiasme, de la confiance totale en Dieu, de la sainte audace des enfants de Marie (voir, par exemple, l'audace étonnante de certains Légionnaires de Marie). C'est cela qu'il fallait dire à ce jeune désemparé. C'est surtout cela qu'il fallait vivre sous ses yeux. 

La fidélité de toute une vie.

 Il ne faudrait pas conclure de ce que nous venons de dire que toute altération ou diminution du premier idéal d'un Frère trouve son explication dans « les autres », qui l'ont entouré ou l'entourent encore. Pour persévérer, il faut avant tout, en dehors de la grâce divine bien entendu, des convictions nettes et fermes. Or, celles-ci ne s'imposent pas du dehors, mais doivent naître et se développer dans l'âme de chacun. La fidélité à la vocation est chose essentiellement « personnelle ». Les plus grands ennemis de cette fidélité sont au-dedans de nous.

Le Père Huby note : « Toujours quand il parle à ses disciples, Jésus suppose que s'il y a abandon, séparation, c'est l'homme qui prend l'initiative de s'en aller. Lui, il demeure » (Discours de Jésus après la Cène). Cette responsabilité strictement personnelle par rapport à l'idéal de la vocation commence dès le premier appel et se continue pendant toutes les étapes de la formation. Elle ne cessera pas jusqu'à la fin de la vie.

Avoir une très haute idée de sa vocation mariste, c'est être prêt à tout sacrifier pour la défendre, tout d'abord pour la défendre contre soi-même. Souvent, surtout dans les heures difficiles, il faudra donc repenser nos raisons d'être Petit Frère de Marie. C'est tout le long de la vie que le choix personnel est à refaire, même après les vœux perpétuels, même après le vœu de stabilité. C'est la signification profonde de toute rénovation des vœux, aussi bien de celle que chacun peut refaire pendant son action de grâces après la sainte communion, que de celle, plus solennelle et plus émou-vante, qui clôture nos retraites annuelles. « Seigneur, maintenant que je sais par expérience ce qu'il peut en coûter d'être Frère, si c'était à recommencer, eh bien ! je me donnerais à Vous avec plus dé ferveur qu'autrefois ! »

Ajoutons que la véritable beauté et la sereine grandeur d'un « jubilé d'ancien », du plus humble de nos jubilaires, se trouve dans cette fidélité inébranlable à l'idéal de la vocation, fidélité qui a grandi à mesure que les ombres de la vie s'allongeaient. C'est la vie montante jusqu'à l'entrée définitive dans la maison du Père. 

II. – L'ENTRAINEMENT CONSTANT

DANS LA VERTU.

 Dans la « Prière de toutes les heures », le P. Pierre Charles écrit : « Les projets de vertu, les programmes de réforme sont nécessaires, mais pour être autre chose que des amusements et des illusions, ils doivent prendre racine dans un entier détachement intérieur, dans une disposition d'acquiescement totale et douce à toute la Providence de Dieu sur nous. Seigneur, donnez-moi la forme que vous avez choisie pour moi ; je ne veux rien avant que vous ne l'ayez voulu, et il me suffira toujours d'être semblable à votre désir » (éd. 1936, p. 17).

La « forme que Dieu a choisie pour nous », c'est notre vocation. Il nous reste à pratiquer résolu-ment tous les devoirs que cette vocation nous impose tout au long de notre vie. Dans son allocution à la messe de rentrée de l'Institut catholique de Paris, le 24 octobre 1960, le recteur, Mgr Blanchet, s'exprime ainsi : « Il est facile de rêver magnifiquement de ce qu'on fera quand ce n'est pas encore le moment d'agir et l'avenir est le refuge des imaginations ardentes et des volontés faibles… Tant de vies furent belles dans le rêve des vingt ans et ne furent que médiocres en leurs réalisations. Pour être prêts un jour, c'est dès maintenant, dans le courage quotidien, que vous avez à faire la preuve de la fermeté de vos décisions ».

Signalons quelques vertus qui exigent un entraînement constant dans notre genre de vie : 

L'esprit de foi.

 Dans la nouvelle édition de nos Règles Communes, l'esprit de foi reste la matière du premier Chapitre de la partie consacrée aux vertus. Cet esprit de foi devrait inspirer toute notre conduite, par exemple devrait nous porter à une soumission totale et constante à la divine Providence… Mais, est-ce que nous atteignons toujours à cet esprit de foi que des chrétiens du monde ont su manifester ? Le grand géologue Pierre Termier venait de perdre accidentellement son fils Joseph, un adolescent qui promettait magnifiquement. Il écrit à un ami : « Je sais que cette épreuve est voulue par quelqu'un qui sait ce qu'Il fait et qui nous aime. – J'ai remercié Dieu de ses grâces et particulièrement de m'avoir pris mon Joseph pour l'investir à tout jamais de je ne sais quel rôle de thuriféraire, ou de céroféraire, ou de porte-palme, ou de lanceur de roses, dans les processions triomphales du Paradis. – Grâce à Dieu, personne chez moi ne murmure, et le cantique que je récite le plus volontiers, c'est le Magnificat. » Un esprit de foi qui monte à ces hauteurs merveilleuses suppose une vie tout. imprégnée de foi.

Les gens du monde, surtout ceux qui nous aiment ou nous estiment, nos parents, nos élèves et anciens élèves, sont convaincus que notre effort est essentiellement orienté vers les choses d'en-haut. Parfois, un incident quelconque leur fait deviner que nous ne sommes pas tellement spirituels qu'ils le croyaient. S'il y a eu négligence de notre part, c'est comme une trahison. Car, si tout chrétien doit « manifester » le Christ, vivre sa foi au Christ, combien plus n'y est pas obligé le Frère qui s'est totalement consacré au Christ, qui doit enseigner le Christ à tous ses élèves !

Une autre faiblesse de notre esprit de foi se révèle dans ce qu'on pourrait appeler la « peur des responsabilités », dont les causes peuvent être diverses, mais qui, sous une forme ou sous une autre, trahit notre manque de foi, de confiance en Dieu, d'abandon à la conduite de la Providence. Les conséquences peuvent en être très regrettables. Quand on peut constater l'invraisemblable audace de quelques hommes pour des « causes purement humaines, voire pour la cause du mal », on est douloureusement surpris de voir si peu d'audace chrétienne, de sainte audace, chez ceux qui devraient être prêts à tout oser, en ne comptant que sur la grâce de Dieu.

Notre foi ne doit jamais tomber en veilleuse. Elle doit être constamment en action, vivante, agissante ; elle doit déterminer nos réactions immédiates devant tous les « coups durs » qui peuvent s'abattre sur nous. Le cardinal Saliège disait : « Il y a une attitude de force, de courage, d'énergie, de patience, qui est l'attitude chrétienne devant la souffrance, la maladie, le déchirement du cœur, la mort. » On s'attend particulièrement à rencontrer cette noble attitude de foi chez tout consacré, chez toute âme mariale. 

L'esprit de prière.

 L'esprit de foi nous fait recourir à la prière dans toutes les circonstances de notre vie, spécialement dans les moments difficiles. A ce sujet nous connaissons la conduite de notre Bienheureux Fondateur. Il considérait la piété comme le « point capital » dans la vie d'un Frère (Vie, p. 351). « C'est dans la prière qu'il a conçu et arrêté tous ses projets et toutes ses oeuvres. C'est par elle qu'il commençait, continuait et terminait tout » (p. 347). Il jugeait sévèrement les Frères qui négligeaient la prière : «…une longue expérience m'a appris qu'un Frère sans piété est un homme de rien ; nulle part, il n'est à sa place, il est un embarras pour tout le monde » (p. 352). Par contre, il estimait grandement les Frères vraiment pieux : « … des hommes précieux qu'on ne peut assez estimer ; ce sont eux qui soutiennent l'Institut ; plus nous en aurons, plus la Congrégation sera florissante et plus elle sera bénie de Dieu » (p. 358).

Si nous nous permettons de rappeler des paroles qui doivent nous être familières depuis notre première formation, c'est parce que la fièvre des occupations tend à nous faire oublier cette grande leçon de notre Bienheureux Père. En réalité, ce n'est pas tant le travail excessif qui menace notre prière que le manque de fermeté pour rester intégralement fidèles à tout notre programme de prière.

On peut citer ici un texte de Romano Guardini « Quelle que soit la règle qu'on se fixe (pour prier), il faut être honnête et consciencieux. Il est peu de domaines dans lesquels nous nous leurrions aussi aisément que dans celui-ci. En général, l'homme n'aime pas prier. Il éprouve facilement, à l'égard de la prière, de l'ennui, de l'embarras, de la répugnance, et à proprement parler de l'hostilité. Tout le reste lui semble alors plus attirant et plus important. Il dit qu'il n'a pas le temps, que ceci ou cela est urgent, et pourtant, dès qu'il a abandonné la prière sous ce prétexte, il est capable de faire les choses les plus superflues. Il faut que l'homme cesse de tromper Dieu et de se tromper lui-même » (Initiation à la prière, p. 13).

Une revue citait, il y a quelques années, cette phrase, à première vue inattendue : « Si nous n'avons pas le temps de prier, c'est que nous sommes égoïstes dans notre apostolat. » Des religieux tout dévoués à leur dur travail d'éducateurs chrétiens font bien de se l'appliquer.

Et qu'il soit permis de rappeler encore une fois l'importance d'une méditation bien faite, chaque matin, pour chacun d'entre nous, quelle que soit la tâche que l'obéissance lui a réservée. Bien choisir son thème de méditation, et ne pas l'improviser après Matines ; ne pas se contenter de lire, car aucun livre ne peut nous fournir une méditation toute faite pour nous ; faire effort pour que cette demi-heure soit vraiment un temps de contact intime avec Dieu et non une suite de rêveries ; dégager une leçon pratique pour notre journée : voilà des résolutions auxquelles nous devons tenir coûte que coûte. Il est rare que la méditation soit « facile » ; en tout cas, elle ne l'est pas habituellement, pas même dans la vie des saints…

D'autre part, que les sujets choisis par nous répondent aux exigences fondamentales de notre vie mariste, de notre vie d'éducateurs, en même temps qu'à nos véritables besoins d'âme. Bien des ignorances regrettables sont dues au fait qu'on craint instinctivement d'aborder des sujets qui renferment des leçons « dures » pour nous. Ce sentiment seul est une -indication utile pour le choix. L'homme craint parfois la « lumière » à cause des exigences de la grâce de Dieu. 

Les vertus votales.

 Par-delà les obligations strictes des vœux de religion, s'étend le domaine immense des vertus que nous appelons «votales ». Nous l'avons déjà noté : la loi d'amour, qui est à la base de toute la vie religieuse, ne nous permet pas de rester exactement au niveau des exigences rigoureuses des vœux… D'ailleurs, on ne pourrait jamais rester en équilibre, pendant toute une vie d'homme sur cette corde raide du devoir.

a) Notre pauvreté doit être effective, puisque nous sommes les disciples du Christ pauvre. A chacun de voir si, en fait, il fait une place suffisante à la pauvreté dans sa vie. Le contrôle en est relativement facile. Il est toujours à refaire, car, comme le note la revue Christus : « …une telle pauvreté n'est jamais acquise, comme si l'on pouvait un jour s'arrêter et dire : Voici enfin que je suis pauvre devant Dieu ! Au contraire, chaque situation nouvelle marque une étape et ouvre une voie : un changement de profession, de responsabilité, de milieu, voire de quartier ou de maison, fait surgir de nouveau dans notre cœur la question qu'on aurait pu croire résolue. Dieu entraîne vers de nouveaux dépouillements, fait découvrir des attaches jusque-là insoupçonnées, prépare l'âme à des sacrifices qui libèrent et pacifient » (Liminaire du No. 24 consacré à la Pauvreté, p. 437).

Le Frère qui aime la pauvreté saura vivre en pauvre, aussi bien dans un collège parfaitement équipé du confort moderne que dans la plus humble des écoles paroissiales.

b) La parfaite sauvegarde de notre pureté exige de notre part une attitude de prudence fondamentale, qui exclut tout scrupule, tout nervosisme, toute inquiétude paralysante, mais requiert par contre une fermeté indomptable quand il est question d'éviter le danger proprement dit. Qui veut la fin, veut les moyens. Si nous voulons être totalement fidèles à notre vœu de chasteté, nous ne pouvons admettre aucune souillure dans ce domaine, ni comme religieux, ni comme éducateurs de la jeunesse, ni comme enfants de Marie. Soyons donc logiques et évitons les « pentes glissantes ». Nous les connaissons ; on nous en a parlé suffisamment ; chaque retraite sérieuse nous les rappelle.

Plus que jamais, il convient de nous redire que la prudence s'impose dans le choix de nos lectures, dans l'assistance aux spectacles, en particulier dans l'emploi de la radio, de la télévision, du ciné-ma. S. S. Jean XXIII, alors qu'il était encore le cardinal Roncalli, Patriarche de Venise, signalait les effets corrosifs de certaines lectures qui « entreprises sous le prétexte de tout connaître pour juger de tout, et former ainsi la génération moderne, deviennent un exercice et une école de subtile fornication ». Et il ajoute que ces lectures « ôtent le charme qui élève les âmes des jeunes et qui en même temps assure à l'apôtre la joie intérieure, le sourire et la pureté des yeux » (Sctritti e discorsi, III, 339).

c) La prudence et la fermeté s'imposent également dans la sauvegarde de notre obéissance religieuse. Il faut connaître les dangers possibles ; il faut s'armer contre eux. Les journaux, les revues de tout genre qui pénètrent dans nos maisons, la radio et le cinéma, certaines réunions auxquelles nous devons parfois assister, ne nous portent que trop à penser et à réagir comme la plupart des gens du monde, c'est-à-dire « naturellement ». Par le fait même, le concept de l'obéissance religieuse tend à se fausser dans notre esprit. L'autorité en religion peut perdre rapidement tout son prestige…

Chez plus d'un, l'obéissance de jugement est alors compromise. Or, la simple obéissance extérieure, l'obéissance de caserne comme on disait jadis, répugne à toute âme religieuse. Le vrai religieux n'entend pas faire de distinctions subtiles dans le domaine de l'obéissance. Pour lui, le Supérieur commande : c'est le Christ qui commande. La Règle prescrit : c'est l'Eglise qui prescrit. Cette obéissance, toute surnaturelle, élève l'âme, la soutient, la rassure dans les passes difficiles de la vie, fait la cohésion parfaite de tous les membres d'une famille religieuse, provoque l'unité des efforts, assure le maximum d'efficacité aux efforts apostoliques de tous, garantit l'Institut contre ces dangers du dehors et du dedans qui menacent toute organisation humaine, maintient dans toutes les communautés un climat de joie, de paix et de confiance mutuelle. 

L'esprit de sacrifice.

 La vie est un temps d'épreuve pour tout homme. Cette épreuve, plus ou moins longue selon les desseins mystérieux de Dieu, est d'une valeur inestimable : c'est d'elle que dépend l'éternité de chaque homme. Habituellement, l'épreuve se présente à nous sous la forme de la souffrance, de cette souffrance qui répugne naturellement à l'homme et qu'un grand amour peut seul rendre attrayante.

La souffrance est une loi de la vie chrétienne. « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive » (Mat. 16, 24). Comme le note le substantiel recueil de méditations « Cum Ecclesia » : « La souffrance et le sacrifice ne sont plus une option, ils sont condition absolue, élément essentiel de la vie nouvelle : « Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite, n'est pas digne de moi » (Mat. 10, 38). Que penser alors du religieux qui s'efforcerait de se soustraire au renoncement auquel il s'est engagé par ses vœux ? » (p. 395).

Il importe que nous ne perdions pas de vue cet aspect du christianisme, et donc de notre vie religieuse. La méditation fréquente de l'Evangile et des Epîtres de saint Paul nous révélera avec quelle insistance l'Esprit-Saint nous exhorte à une vie de pénitence et de mortification. Suivant la remarque quelque peu humoristique de saint Joseph de Cupertino : « Ce n'est pas en Paradis que se font les saints ». C'est ici-bas, sur terre ; il faut souffrir pour le devenir. Souffrir parfois beaucoup, physiquement ou moralement.

Le chanoine Schorderet exprimait cette vérité à sa manière : « Pour aller en Paradis, il n'y a pas quatre chemins, il n'y en a qu'un seul : celui qu'ont pris les saints. Et ce chemin des saints, c'est le chemin du renoncement, des humiliations, de la pauvreté volontaire, de la souffrance. Suivons-les dans cette voie, et nous arriverons où ils sont maintenant. »

D'autre part, la souffrance ou le sacrifice est également la grande loi de l'apostolat : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean, 12, 24). Ce que le P. Bæteman commente ainsi « Pour nous racheter, un Dieu a dû mourir pour être des sauveurs, il nous faudra, à nous aussi, être plus ou moins martyrs. Une âme coûte cher. Quand le sacrifice monte, la grâce de Dieu descend toujours. Le sacrifice est le dernier mot de toute action féconde en ce monde ».

Notre Bienheureux Fondateur nous dit de même : « La croix et les afflictions sont nécessairement le partage de tout homme qui fait l’œuvre de Dieu et qui travaille utilement au salut des âmes.

Cette grande loi de la souffrance rédemptrice s'oublie facilement. « Nous sommes amis de Jésus tant que nous nous sentons bien de corps et d'âme, que nous avons ce que notre cœur désire, un travail qui nous convient, un succès qui attire la louange. Mais si nous sommes éprouvés par les difficultés de la vie, si la discipline nous pèse ou entrave notre liberté, si nos supérieurs nous commandent quelque chose d'ennuyeux ou de contrariant, nous nous révoltons ou nous ne nous inclinons parfois que très difficilement devant leurs décisions. Quand il s'agit d'intérêts matériels, de plaisirs, de délassements, d'avantages temporels, quand notre amour-propre est flatté, nos sens ou notre orgueil satisfaits, nous sommes éveillés ! Ne dormons-nous pas, au contraire, quand le bien commun est en cause, quand on nous demande de nous renoncer, de nous sacrifier ? Pouvons-nous alors « veiller une heure avec le Christ » (Mat. 26, 40) ? (cf. Cum Ecclesia, p. 392).

Nous avons cité tout ce passage. parce qu'il nous fait connaître la source habituelle de nos souffrances. Ce sont de « petites » souffrances. Les grandes souffrances sont rares ; elles peuvent même manquer totalement dans une vie déterminée. Mais les petites souffrances ne manquent jamais ; elles sont de tous les âges et de toutes les situations. Certains les fuient tant qu'ils peuvent. D'autres les dédaignent et les gaspillent. Les fervents les recueillent pieusement, les offrent généreusement au Christ comme leur humble participation au sacrifice de la messe ; ils ne se considèrent pas pour autant comme des « victimes » ; ils ne dramatisent pas leurs misères de chaque jour. « Cela va de soi », pensent-ils, puisqu'ils doivent porter la croix à la suite de leur divin Maître. Et leur joie profonde n'en est guère troublée.

Ces petites souffrances nous viennent de tous ceux qui nous entourent, de nos confrères, de nos supérieurs, de nos inférieurs, de nos élèves, des gens avec lesquels nous sommes en contact, des membres de notre famille… N'a-t-on pas dit : Aimer, c'est souffrir. Elles ont leur cause dans le travail qui nous a été confié : ce travail exige des efforts pénibles et soutenus, nous fatigue et nous ennuie à la longue, ne nous donne parfois que des résultats décevants. Elles ont souvent leur origine au plus profond de notre être : nous souffrons souvent, sans que nous puissions dire exactement pour quelle raison, sans que nous puissions faire comprendre aux autres ce que nous souffrons…

« La souffrance est un art », observe le Chanoine Ch. Chocqueel. Elle est à l'origine, une grâce, mais bien souffrir est un art qui doit s'apprendre, qui exige un entraînement sérieux et constant. La période d'apprentissage est de première importance pour toute la vie, surtout quand il s'agit d'une vie de religieux. Dans toutes nos maisons de formation, il faut absolument en tenir compte. On a reproché à bien des parents d'élever leurs enfants « clans le coton », et de les préparer ainsi très mal à la vie qui les attend. Que faudrait-il alors dire d'une « maison de formation » où le sacrifice n'a pratiquement aucune place ? De quel christianisme, de quelle vie religieuse peuvent donc rêver des jeunes ainsi « déformés » ? Le mot n'est pas trop fort, car un jeune homme, sur-tout un jeune chrétien, accepte facilement de se sacrifier, une fois qu'on lui a fait comprendre pour qui et pourquoi… « C'est dur d'être empoigné par la souffrance ; c'est un péril d'en être longtemps oublié », note Josse Alzin. A force de ne présenter à des jeunes que des « amusements », on finit par tuer en eux les germes de la vaillance chrétienne.

Cet entraînement ne doit jamais s'arrêter. L'habitude de souffrir courageusement, par amour pour le Christ, n'est jamais définitivement acquise. On peut parfois constater une baisse rapide et profonde chez ceux qui ne se surveillent pas suffisamment sous ce rapport. Comme l'observe le P. Plus s'adressant à des prêtres : « J'ai rêvé du martyre… et je n'ai pas le courage de me lever le matin. Je me déclarais prêt à toutes les abnégations… et je ne suis pas capable d'interrompre la T.S.F. pour réciter mon bréviaire ou aller faire une visite à des malades » (Mon oraison, 1936, p. 362). 

Charité fraternelle.

 Ce serait vouloir enfoncer une porte largement ouverte que de reprendre le thème de la nécessité de la charité dans la vie chrétienne, tout particulièrement dans la vie religieuse. Il faut convenir toutefois que c'est dans le domaine de la charité qu'on est porté plus qu'ailleurs à rester dans les spéculations au lieu de passer résolument aux actes. Si l'excès de sens critique, dont on accuse souvent la génération contemporaine, est très dangereux dans la pratique de l'obéissance religieuse, il l'est encore davantage pour la charité évangélique. On parle bien de la charité ; on agit moins bien ; parfois même, on agit franchement mal.

Faisons quelques applications à notre vie quotidienne :

a) L'homme est égoïste, dit-on, foncièrement égoïste. Il s'agit de l'homme « naturel »… Dans nos maisons de formation, cet égoïsme apparaît peu. D'un côté, il n'est pas de « cet âge » : la générosité des jeunes nous fait grandement plaisir et nous édifie toujours. De l'autre côté, s'il devait déjà se manifester chez un jeune, les formateurs l'auraient vite repéré ; en général, on ne tolère nulle part la présence d'un véritable égoïste… Mais certaines formes d'égoïsme ne se révèlent que tardivement, une fois qu'il s'agit de se sacrifier effectivement, constamment, dans des circonstances parfois difficiles, par exemple dans la seule direction de l'obéissance… On peut rencontrer des hommes qui se replient sur eux-mêmes, alors qu'ils devraient s'ouvrir au dévouement le plus pur. On peut côtoyer parfois des religieux qui aiment les autres « comme des ombres sans forme », selon l'expression d'un auteur, sans jamais passer aux actes charitables. Ils sont bien plus soucieux de ménager leur tranquillité et leurs aises que de servir les membres de leur communauté. Ils ne sont pas heureux : sans amour, pas de joie. Mais ils font également souffrir les autres ; ils sont une ombre perpétuelle dans le ciel de la communauté. Nous devons faire une lutte à la fois vigilante et obstinée, contre toutes les manifestations de l'égoïsme en nous.

b) Dans les jugements que nous sommes amenés à prononcer sur les autres, il importe d'être prudent ; il faut éliminer radicalement les jugements trop durs. Le Père Joseph Moingt, S. J., fait ces remarques qu'il est bon de méditer : « Nous portons facilement les uns sur les autres des jugements pessimistes et définitifs. De la pousse qui sort de terre, Dieu n'exige pas qu'elle porte déjà des fruits ; il attend, laborieusement, que la rosée de son Esprit fasse germer notre liberté. – Mieux qu'aucun homme, certes, il voit le mal qui est en nous, il voit même dans le juste la faiblesse qui le mène à la chute. Mais il voit aussi, chez les plus coupables, ce que nous ne savons pas ou ne voulons pas voir dans nos frères : le travail secret de sa grâce, la possibilité d'un renouveau inscrite dans le repentir ; la sourde germination des semences de Vie ; la promesse des moissons qui blanchiront peut-être dans les générations à venir. C'est pourquoi nos infidélités ne viennent jamais à bout de sa fidélité… » (cf. Christus, n°. 28, p. 441- article : Le regard de Dieu).

Il est facile d'en faire des applications très concrètes à toutes nos relations avec nos frères, et même avec nos élèves et tous ceux qui nous sont plus ou moins confiés. Mais, pour cela, il importe de méditer profondément pareil texte… De combien d'hommes n'a-t-on pas dit : « Ils ne savent plus que condamner ». Par le fait même, il ne peut plus être question pour eux d'éduquer, de faire du bien.

N'oublions jamais la grave parole du divin Maître : « Du jugement dont vous jugerez, on vous jugera » (Mat. VII, 2).

c) Trop de paroles, sans être dures, sont maladroites. Elles ne sont pas méchantes en elles-mêmes, mais elles blessent et froissent. « Il y a des paroles si maladroites qu'elles posent une borne entre celui qui les prononce et celui qui les entend », observe Marg. Perroy. Des excuses présentées à temps, très fraternellement, suffisent normalement à rétablir les bonnes relations. Mais on n'y pense pas toujours, parce qu'on a pris la fâcheuse habitude des paroles imprudentes et maladroites, ou l'on recule devant une démarche qui coûte…

C'est surtout dans les « discussions » qu'il importe d'éviter les maladresses et les imprudences dans les paroles. Dans les moments d'excitation, il convient de garder le silence, au moins pendant quelque temps ; cela évite bien des heurts, bien des conflits douloureux. Jamais de paroles « irritantes » : on ne saurait trop rappeler la nécessité de cette règle de conduite dans les discussions, si l'on veut aboutir à d'heureux résultats. Il est important que nos jeunes soient habitués le plus tôt possible à se comporter avec « sagesse et esprit chrétien » dans toutes les réunions à discussions.

d) Il y a des plaisanteries, des taquineries de bon aloi, qui favorisent la joie commune et ne blessent personne. Certains hommes ont le « don » de la plaisanterie, du trait d'esprit décoché à l'improviste. Mais les auteurs spirituels ont maintes fois insisté sur les grands dangers que peut présenter le manque de contrôle de ces réflexions plaisantes ou spirituelles. Elles peuvent irriter terriblement un confrère, parfois le décourager. Le cardinal Mercier a très fortement condamné cet abus de la plaisanterie ou du trait d'esprit. Signalons seulement les remarques suivantes :

On rencontre des chrétiens, parfois même des prêtres, éminents par les dons intellectuels, très bons de cœur au fond et très pieux de sentiments, doués vraiment de tout ce qu'il faut pour faire du bien en société et qui, dans la réalité, n'en font point, parce qu'ils sont malheureusement affligés de l'esprit d'ironie ou d'épigramme. Leur conversation est étincelante, elle ressemble à un feu d'artifice ; mais c'est, la plupart du temps, le prochain avec ses faiblesses, ses petites habitudes naïves, ses gaucheries, ses maladresses, ses disgrâces même, qui fournit les fusées à ces brillants artificiers. Eux cependant vont toujours ; ils ne paraissent pas se douter de ce que les rires et les sourires qu'ils provoquent coûtent d'humiliation ou de souffrance secrète à leurs victimes. Et que de fois, au sortir d'un dîner ou d'une soirée où le causeur a fait merveille, tel des convives ne se retire-t-il pas emportant au cœur l'intime déchirure d'amour-propre qu'y a faite, en se jouant, l'impitoyable esprit de l'amuseur » (A mes séminaristes).

Ajoutons, puisque nous sommes sur ce thème de la plaisanterie mal placée, qu'il est absolument inadmissible d'ironiser publiquement, quel que soit le groupe dans lequel nous nous trouvions, sur le compte d'un élève qui nous a été confié pour que nous l'« éduquions ».

e) On n'ose presque pas aborder, avec la force et le sérieux que comporte ce point, la question des antipathies dans la vie de communauté. Et, c'est peut-être à cause du voile de silence dont on les couvre trop souvent, même en temps de retraite annuelle, qu'elles sont si tenaces et si malfaisantes. Le Père Van der Heyden n'hésite pas à écrire : « Certaines âmes tombent, hélas ! en état de péché mortel, parce qu'elles gardent en leur cœur un obstacle à la perfection : par exemple une antipathie consentie, et ce sentiment nourri et développé devient le barrage arrêtant le flot de la grâce » (Charité en tout, pp. 38-39).

Il s'agit ici, bien entendu, des antipathies conscientes, contre lesquelles on ne lutte que faiblement ou pas du tout. Le combat peut être dur ; pour certaines natures, il ne doit jamais cesser.. Qu'elles méditent souvent ces réflexions du P. François Varillon : « Je mènerai sans cesser le dur combat contre cette antipathie qui est en moi, et qui ne doit jamais être de moi. – Que je ne sois pas obligé, quand vient l'Offertoire, de laisser mon offrande devant l'autel et d'aller d'abord me réconcilier avec mon frère… » (Prier avec l'Eglise, t. I, p. 85).

Il importe de ne jamais fermer les yeux sur un point d'une pareille gravité pour notre vie spirituelle, pour notre influence en communauté, pour notre fécondité apostolique. L'antipathie acceptée est directement opposée à l'amour, et là. où l'amour fait défaut, la grâce ne peut agir.

f) En parlant de la charité, nous avons plu-tôt insisté sur l'aspect négatif (sur les défauts contraires à la charité), parce que notre intention était de signaler les ignorances regrettables dans ce domaine immense de la charité en communauté.. Rappelons brièvement des aspects plus « positifs », comme la merveilleuse puissance d'une parole toujours aimable, cordiale, affectueuse, surtout quand elle s'adresse à un confrère découragé ou durement éprouvé, ou d'un service rendu opportunément à quelqu'un qui sentait le besoin d'aide…

Cette vigilance constante dans la pratique de la charité, quand elle existe à un degré suffisant en chaque membre de la communauté, fait de celle-ci une véritable famille, c'est-à-dire « un milieu stable, robuste, capable de protéger d'abord, d'affermir surtout, des volontés naissantes qui ont besoin d'exemple et d'appui pour ne pas se disperser dans le caprice » (Cardinal Feltin, – Lettre pastorale de Carême, 1960).

« Une joie très spontanée et simple se dégage d'être ensemble. Le religieux aime alors à rentrer dans sa communauté ; il n'est nulle part si bien ; il aime à retrouver ses frères et n'a pas la tentation de chercher des détentes au dehors » (Chanoine Jacques Leclercq, La vocation religieuse, p. 194-195).

« Les plus belles vacances, pour moi, sont celles que je passe au milieu de mes frères en religion », aimait à dire un de nos Frères. Daigne Notre-Dame maintenir cet esprit de famille dans toutes nos maisons ! N'oublions pas que ce fut le grand désir de notre Bienheureux Père. 

III. – SIMPLIFIER NOTRE VIE SPIRITUELLE.

 La théorie de la vie spirituelle, quand on essaie de la présenter en détail, peut paraître compliquée. Que de devoirs de tout genre nous sont ainsi présentés, au nom de la perfection vers laquelle nous devons tendre en vertu de notre engagement votal ! Certaines âmes en sont désorientées.

Le Père Garrigou-Lagrange fait à ce sujet l'observation suivante : « … les vérités les plus vitales et les plus profondes sont des vérités élémentaires auxquelles on a longtemps pensé, dont on a vécu, et qui finissent par devenir objet de contemplation presque continuelle » (Les trois âges de la vie intérieure, t. I, p. 50).

Dans un certain sens, on doit tendre, en spiritualité, à devenir l'homme de peu d'idées, c'est-à-dire l'homme de quelques idées bien choisies, bien adaptées à nos besoins d'âme et à notre vocation spéciale, en harmonie avec l'esprit de notre Institut, idées souvent pensées et repensées, profondément creusées, à la fin parfaitement assimilées.

Où en sommes-nous parfois ? Eparpillement dans les idées, hâte fébrile dans les études religieuses et dans les lectures ascétiques, travaux sans plan et sans fil conducteur, et, par le fait même, n'aboutissant jamais à une synthèse acceptable, désordre constant dans l'esprit, manque de véritables convictions dans le domaine spirituel. Le caprice, l'inspiration du moment, la lecture du moment, dominent à peu près toujours.

Il faut revenir délibérément à la méthode de simplification. Il faut redevenir des « enfants », dans le sens spirituel. L'enfance spirituelle est parfois mal entendue. Elle ne consiste pas précisé-ment à vivre au jour le jour, se laissant guider uniquement par la grâce divine. L'effort personnel est toujours requis de nous.

 1. Il faut toujours commencer par établir la hiérarchie de ses devoirs, aussi bien dans sa vie spirituelle que dans son travail professionnel. Cela paraît tellement simple. Mais que chacun d'entre nous examine, loyalement, sa manière  habituelle de se comporter pour vérifier s'il se conforme toujours à ce principe élémentaire de sagesse. Il est étonnant de constater, dès qu'on se met résolument à établir de l'ordre dans sa vie, comment tout paraît plus facile, plus accessible, plus réalisable, et combien de temps on peut économiser.

Méditons cet enseignement de saint François de Sales : « Souvent l'ennemi tâche de nous faire commencer plusieurs projets, afin que, accablés de besogne, nous n'achevions rien et laissions tout imparfait. » Sans une bonne hiérarchie dans nos occupations, nous ne ferons que du mauvais travail, spirituel et professionnel.

 2. Il nous faut un plan de vie spirituelle, un plan de sanctification. Nos jeunes le font vers la fin du noviciat. Ce premier plan ne peut être que d'une valeur relative, mais il peut être très utile. Il sera toujours à réviser, aux récollections, aux retraites annuelles. Si cela ne se fait pas régulièrement, il se produira rapidement un décalage entre les exigences de notre situation d'aujourd'hui et le programme de jadis, devenu trop étriqué. Même le plan de vie que bâtissent nos Grands Novices n'a aucun caractère définitif ; le définitif n'existe pas dans ce domaine. Tout programme spirituel est à réviser, à corriger, à compléter.

Mais il nous faut un plan pour la période actuelle de notre vie. Il nous faut des précisions sur les efforts à faire en ce moment. Cela ne veut pas dire que nous soyons rigoureusement obligés de pratiquer toutes les vertus selon ce plan. « Les projets de vertu, les programmes de réforme sont nécessaires, mais pour être autre chose que des amusements et des illusions, ils doivent prendre racine dans une disposition d'acquiescement totale et douce à toute la Providence de Dieu sur nous » (P. Charles, S.J., La prière de toutes les heures). Le « plan » nous offre un point d'appui, mais nous devons toujours rester « disponibles ».

 3. En tenant compte des exigences normales de notre vie de religieux-éducateurs, on peut ramener les grandes lignes de notre programme pratique à quatre :

a) Nous assurer toujours un bon départ spirituel, chaque matin, en particulier par une oraison bien faite. Tous les auteurs spirituels insistent sur ce point. Nous avons déjà rappelé plusieurs fois l'importance de la méditation et les moyens de la bien faire.

b) Renouveler assez souvent les « prises de contact spirituel » pendant la journée pour nous maintenir dans un climat suffisant de recueillement. Si la dissipation tend sans cesse à énerver nos âmes, à leur enlever toute concentration, le recueillement est le secret de la force, de l'énergie dans le bien, la source de toute joie véritable, profonde et durable. La fidélité indomptable à nos exercices de règle et à quelques pratiques personnelles de piété, courtes mais bien choisies, doit nous assurer le recueillement nécessaire dans toutes les situations.

Quelqu'un murmurera peut-être : « On ignore mon surmenage. Je ne trouve jamais le temps de me recueillir ». R. Guardini répond plaisamment : «…L'homme est un être rusé, et la ruse de son cœur se manifeste plus particulièrement dans sa vie religieuse. Quand il commence à prier, son agitation intérieure lui présente aussitôt l'idée d'une autre chose à faire. N'importe quoi, un travail, une conversation, une course urgente, quelque chose à contrôler, un journal, un livre, tout cela lui paraît plus important, tandis que la prière ne semble que du temps perdu. Mais dès que, sous ce prétexte, il interrompt la prière, ce temps qui paraissait si mesuré, brusquement ne l'est plus, et il le gaspille aux occupations les plus superflues » (Initiation à la prière, p. 22).

Il ne convient pas de se charger inconsidérément de pratiques personnelles de piété. Le Bien-heureux Fondateur a donné à ses premiers Frères ce conseil très sage : « La perfection ne consiste pas à se charger de toutes sortes de pratiques, ni à prendre tous les moyens que nous trouvons dans les livres, mais à nous attacher à ce qui est de notre état, et à pratiquer résolument la vertu à laquelle nous porte l'attrait de la grâce, et qui nous est conseillée par le guide de notre conscience » .(Vie, p. 361).

c) Proscrire les pensées et les occupations « inutiles ». Dans le domaine immense des lectures, des « distractions » de tout genre : radio, cinéma, jeux, sports, conversations, il faut savoir se tracer une limite que l'on ne franchira « sous aucun prétexte ». Nos relations obligatoires avec le monde, les préoccupations même de notre devoir d'état, ne doivent pas devenir sources de dissipation. Ce n'est pas toujours facile ; on doit y tendre de toutes ses forces. Rappelons-nous la réflexion de notre Bienheureux Père : « Quant à moi, il me semble que je serais aussi isolé au milieu de Paris que dans les déserts de la Sibérie. Pendant mon séjour dans cette capitale (Paris), je vaquais à mes affaires, puis je me renfermais dans ma chambre, et je ne m'occupais pas plus de cette ville et de ses curiosités que si j'en avais été à cent lieues » (Vie, pp. 361-362).

d) Enfin, en toutes circonstances, il faut éviter l'empressement, faire effort pour nous main-tenir dans le calme. Il y a des sautes d'humeur qui peuvent nous échapper ; elles ne doivent pas se prolonger, et dans la mesure du possible, il faut les prévenir. Cinq minutes d'énervement peuvent compromettre notre paix intérieure et notre bonne influence pendant toute une journée, peuvent également brouiller nos vues spirituelles pendant des jours. Pour rester calme, pour ne pas nous laisser désorienter pas les multiples contrariétés de chaque jour, il importe de nous entraîner constamment dans la sérénité des âmes vraiment intérieures.

C'est aujourd'hui, en ce moment, que je dois rester calme, maître de moi-même. Pas d'inquiétudes acceptées ! « Nous ne savons du lendemain qu'une chose : c'est que la Providence se lèvera pour nous plus matin que le soleil » (Père Lacordaire). Il convient de ne pas glisser trop vite sur cette vérité chrétienne, mais de la méditer souvent, de la savourer, de la rayonner autour de nous.

Demandons à Notre-Dame de nous guider dans cette voie royale de la confiance, source de calme intérieur. Car, s'il y a la grâce de la confiance, il y a également la conquête patiente et progressive de la confiance, qui est notre part à nous, pauvres mortels. L'acquisition du calme extérieur et intérieur, qui peut tellement favoriser notre vie spirituelle, comme d'ailleurs notre vie de communauté et l'influence apostolique, requiert un entraînement de tous les jours, la constance de toute une vie.

 4. Notre programme a été dressé, loyalement, fermement. Mais il faut nous y attendre, nous ne le respecterons pas toujours. Nous serons inattentifs souvent, lâches parfois. Il importe de ne pas trop nous étonner de nos fautes de chaque jour, de nos misères, de nos infidélités répétées. Sachons recommencer notre effort chaque matin, avec la fraîcheur d'âme d'un véritable jeune. « Ma vie commence aujourd'hui ! »

En général, nous ruminons trop nos échecs, nos fautes. De là, cette tendance latente au découragement, qui constitue le plus redoutable danger pour notre vie spirituelle. Comme l'a fort bien noté le P. Auguste Valensin : « C'est peut-être la chose du monde la plus importante dans une vie, de ne point se décourager ; car ce que Dieu nous demande, c'est surtout l'orientation de notre volonté, et qu'elle reste toujours tendue dans la direction du bien » (La joie dans la foi, p. 51).

Le découragement s'insinue facilement en nous, lorsque nous laissons le dépit ou la tristesse pénétrer dans notre âme. Notre Bienheureux Père a pressenti nettement ce danger pour ses

Frères. « Il y a deux sortes d'hommes dont le démon fait tout ce qu'il veut : les paresseux et ceux qui se laissent aller à la tristesse et au découragement. Ne demandez pas quelles tentations ils éprouvent, car ils les ont toutes » (Vie, p. 314).

Aussi a-t-il combattu la tristesse de toutes ses forces, particulièrement chez les jeunes. «Dès qu'il voyait un jeune Frère se laisser aller à l'ennui, il ne négligeait rien pour l'aider à combattre cette tentation. Il avait un talent particulier pour la dissiper » (Vie, p. 317). La succession des états d'âme nous est bien connue : ennui, tristesse acceptée, découragement, ruine de la vie religieuse. 

CONCLUSION

 Ces simples remarques sur notre vie spirituelle n'épuisent évidemment pas un sujet aussi vaste. Peut-être pourront-elles nous aider à méditer personnellement sur ce thème capital, par exemple dans nos récollections et à nos prochaines retraites. L'essentiel est que nous nous rendions bien compte que, avant tout, au-dessus de tout, nous devons tendre vers une union de plus en plus intime avec Dieu. R. Viné a écrit : « Sans ce but toujours poursuivi, ce serait en vain qu'on porterait un habit religieux, qu'on suivrait une règle, qu'on prononcerait des vœux » (Prêtre et Apôtre, octobre 1937).

Nous n'avons guère fait allusion à nos responsabilités apostoliques. Nous y reviendrons peut-être un jour. Mais l'auteur cité plus haut ajoutait : « C'est de cette union à Dieu, de cette vie intérieure intense, que tout le reste tirera sa valeur et sa fécondité… On donne Dieu quand on en déborde. Si on ne donne pas Dieu, on se fatigue inutilement et on n'agit pas sur les âmes ».

Ce que De Hovre, dans sa Philosophie Pédagogique exprimait ainsi : « Non ce que le professeur sait, ou dit, ou fait, ou impose, mais ce qu'il est dans le plus profond de son être, voilà ce qui est d'importance primordiale. Son propre état d'esprit, sa propre conception de la vie, ses propres convictions et sa manière de vivre retentissent consciemment ou non dans l'âme de son élève… L'homme dans le professeur constitue la grande puissance formatrice : tel l'homme, telle l'école ; la personnalité aimante est le secret de toute éducation féconde » (vol. I, XXI).

Un Frère fera du bien exactement dans la mesure où il aimera Dieu. 

Un mot d'adieu

aux Frères de Saint-Genis-Laval

 L'humble maison de La Valla, berceau de notre famille religieuse, a été la première « Maison Généralice » de la Congrégation. En 1825, le Bienheureux M. Champagnat s'établit à l'Hermitage, afin de pouvoir mieux diriger l'Institut, dont les écoles s'étaient répandues assez rapidement dans la région.

Quelque temps après la mort du Bienheureux Fondateur, le Cher Frère Louis-Marie, premier Assistant du vénéré Frère François, se rendait déjà compte que la multiplication de nos écoles dans toute la France conseillait le choix d'un centre de gouvernement mieux placé que le vallon du Gier. Le Bulletin de l'Institut, dans son dernier numéro, retrace l'histoire de la construction de la maison de Saint-Genis-Laval ainsi que de ses vicissitudes.

Saint-Genis-Laval fut donc le « centre » de l'Institut depuis 1858 jusqu'en juillet 1903. Le 3 avril 1903, fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, le fisc envoie un avis informant les Frères que la maison serait occupée dans les trois mois. Les Supérieurs partent le 3 juillet pour arriver à Grugliasco le lendemain. Ils laissent derrière eux une belle maison solidement construite, et trouvent à leur arrivée dans le Piémont les ruines d'une ancienne filature, détruite partiellement par un incendie. On devine facilement quelque chose de la douleur poignante du Révérend Frère Théophane, en lisant dans sa Circulaire du 12 décembre, cette phrase émouvante : « Il semble qu'après les plus belles années de bénédiction et de prospérité qu'il fût possible de désirer, je n'aie vu prolonger mes jours que pour pleurer sur des ruines » (Circ., vol. X, p. 355. 210).

Il est difficile à ceux qui n'ont pas vécu la tourmente de 1903 ou qui n'ont pas étudié cette période de notre histoire mariste, de se faire une idée exacte de l'ampleur de cette épreuve. Les esprits pessimistes avaient même prévu l'écroulement définitif de la Congrégation sur le sol de la France. En fait, des centaines de Frères réussirent au prix de durs sacrifices, à maintenir nombre d'écoles en fonctionnement.

En 1939, peu avant la deuxième guerre mondiale, les Supérieurs rentrèrent à Saint-Genis-Laval. Pendant leur absence de trente-six ans, la grande maison avait passé par bien des transformations intérieures. L'installation de l'Administration Générale put quand même se faire, grâce au dévouement inlassable et au travail obstiné du C. F. Louis-Marie, alors Econome Général.

Depuis lors, les différentes sections de la Maison Provinciale de Saint-Genis-Laval se sont bien développées. Le noviciat s'est peuplé d'un beau groupe de jeunes gens. Le scolasticat est devenu interprovincial. Les Frères malades ou au repos constituent une communauté toujours «nombreuse ». Enfin, des Frères de « tous métiers » ont su tirer merveilleusement parti d'un terrain étendu et assez difficile à travailler.

Dès avant le dernier Chapitre, le Conseil Général avait décidé le transfert de l'Administration Centrale à Rome, où le contact direct avec le Gouvernement de l'Eglise peut rendre de très grands services. L’œuvre mise en train, il ne restait plus qu'à attendre le jour où les nouveaux locaux seraient disponibles. A cette date du 1ier mai, quelques membres du Conseil Général se trouvent déjà à Rome, en plus du groupe de nos Frères étudiants à « Jesus Magister ». Le transfert définitif de l'Administration Générale n'est plus qu'une question de jours.

Avant de quitter «l'ancienne Maison Généralice », il nous reste un triple devoir à remplir.

1. Nous devons rendre grâces à Dieu et à Notre-Dame pour toutes les bénédictions accordées à notre Institut de 1858 à 1961. Le nom de Saint-Genis-Laval restera indissolublement uni à des années très critiques pour la Congrégation. Les Supérieurs ont souvent dû affronter de très grandes difficultés. Le développement de « l'idée laïque » en France commença vers 1880 ; dès lors, il y eut une succession de tracas administratifs, de vexations de tous genres ; finalement ce fut la dispersion, la sécularisation, l'exil pour plusieurs. Par contre, ces épreuves furent pour nos oeuvres, établies alors surtout en France, l'occasion d'une extension remarquable dans le monde entier et de la réalisation du souhait audacieux de notre Bien-heureux Fondateur : « Tous les diocèses du monde entrent dans nos vues ».

De même, la période extrêmement troublée de la deuxième guerre mondiale, amenant une rupture prolongée des relations du Centre avec un grand nombre de pays, n'a pas provoqué les graves ennuis qu'on aurait pu craindre. En somme, les signes manifestes de la protection d'En-Haut n'ont jamais manqué pendant ce siècle agité. Deo gratias !

2. Nous devons remercier tous les Frères de Saint-Genis-Laval, en particulier les Supérieurs de la Province et tous les Frères de la communauté, des multiples services qu'ils ont rendus à l'Administration Centrale. Il serait trop long de rappeler en détail tous ces services. Nous tenons en ce moment à témoigner notre reconnaissance à tout le personnel de la maison, avec la ferme volonté de n'exclure personne.

La cohabitation de sections différentes pose bien des problèmes dans certaines grandes maisons, plus encore quand l'autorité supérieure n'est pas unique, comme cela était forcément le cas à Saint-Genis, avec la présence de la Maison Provinciale et de la Maison Généralice sous le même toit. Les petits problèmes n'ont pas manqué. Ils sont restés strictement sur le terrain administratif ; la cordialité fraternelle des rapports n'en a jamais souffert.

3. Enfin, il nous reste à « prendre congé » de nos amis de Saint-Genis. Dans toutes les maisons de l'Institut, nous rencontrons des « Frères », nous nous sentons avec des Frères. Mais il faut vivre un temps assez long sous le même toit pour que des relations d'amitié s'ajoutent à ces liens fraternels. Pour ceux qui sont restés de longues années à Saint-Genis, la séparation est ressentie plus durement.

Au Cher Frère Provincial et au Cher Frère Visiteur, nous souhaitons de tout cœur, santé, forces et courage pour affronter les problèmes d'une Province qui, grâce à Dieu, progresse visiblement. Ce progrès ne va jamais sans sacrifices, surtout pour ceux qui portent plus directement le poids des décisions à prendre.

A nos sympathiques « Anciens », Si nombreux actuellement, si vaillants, si « attachants », nous tenons à dire combien nous avons été édifiés par leur courage, réconfortés par leur esprit fraternel, soutenus par leurs prières. Nous ne les oublierons pas. Nous sommes certains qu'ils penseront souvent à nous.

Aux Frères de la communauté, nous devons des félicitations spéciales pour leur remarquable esprit de famille et pour leur travail inlassable. Leur serviabilité, constante et respectueuse, a toujours été marquée de cette simplicité cordiale dans les relations mutuelles, qui correspond si bien à l'esprit mariste.

A tous les jeunes de la maison, postulants, novices, scolastiques, nous tenons à dire que leur présence a contribué grandement à créer autour de nous ce climat de famille dont on sent tellement le besoin quand les préoccupations pèsent lourdement sur le cœur. Ils ont permis les belles cérémonies religieuses des grands jours de fête. Ils ont toujours été prêts pour assumer ces petites corvées supplémentaires que la vie en commun requiert parfois. Ils nous ont réconfortés par leur générosité et par leur bon esprit.

Toutes les séparations d'ici-bas sont provisoires. Au terme de notre pèlerinage terrestre, il y a le ciel, le rendez-vous commun. Le beau et grand cimetière de Saint-Genis-Laval nous le rappelait chaque jour. Que de figures connues et aimées nous évoquait ce cimetière, où nous pouvions entrer chaque jour, que nous pouvions voir de notre chambre ! D'autres Frères aimés dorment ailleurs leur dernier sommeil : à Grugliasco, à San Maurizio, à San Mauro, sans parler du cimetière de l'Hermitage et de ceux des diverses Maisons Provinciales de France. Le souvenir des Frères qui ont été « fidèles » jusqu'au bout, doit nous inspirer courage et confiance dans toutes les traverses de la vie.

Daigne Notre-Dame du Montet continuer de bénir et de protéger tout spécialement nos chers Frères et nos jeunes de Saint-Genis-Laval ! 

Elections  

Le Conseil Général a élu :

a) Dans la séance du 21 janvier 1961,

Pour un deuxième triennat :

C. F. JUAN MARIA, Provincial de Norte.

b) Dans la séance du 19 février 1961,

Pour un premier triennat :

C. F. ANGEL URBANO, Provincial du Pérou.

 

Statistique Générale de l'Institut

au 31 décembre 1960 

    PROVINCES            

             ET         

DISTRITS AUTONOMES        

 

Adm. Générale        ..           10        18        28        10        10        18                     38        66        2

Afrique du sud                      32        49        30        111      16        3          10        29        140 11             553             3 345,

Allemagne                38        63        56        157      108      9          14        131      288      7          724                   1.522

Argentine                              50        178      89        317      179      12        9          200      517      21        466                         8.274

Beaucamps                          40        77        54        171      115      8          4          127      208      20        1.313                         4.656

Belgique                               73        194      125      392      145      23        14        182      574      45        2.448       20.578

Bética                                    50        174      57        281      183      17        21        221      502      17        498                         7.711

Brésil Mérid.                         69        238      63        370      364      32        15        411      781      27        1.033       13.968

Brésll Sept               61        113      57        231      140      –           38        178      409      15        900              7.470

Castiila                                  46        135      31        212      147      12        11        170      382      13        721                         4.712

Cataluña                               49        153      44        246      122      7          17        146      392      17        434                         6.531

Chili                           39        82        45        166      104      8          8          120      286      13        210                   5 576

Chine                                     1          88        46        135      35        —         2          37        172      12        —                         7.833

Colombie                 55        98        107      260      145      15        11        171      431      23       168                   9.482

Cuba-Am. Cont.      72        140      92        304      230      30        20        280      584      22        55                     9.505

Desbiens                              30        94        34        158      143      8          1          152      310      14        252                         4.991

Esopus                                  66        131      46        243      70        32        20        122      365      13        —                         5.704

G.-Bret. et Irlande    81        105      44        230      114      23        ī9          154      384      30        644             14.602

Iberville                                  84        214      103      401      361      14        22        397      798      35        1.050       16.491

Italie                                       45        75        63        183      131      8          9          148      331      9          182                         2.546

Leon                                      42        137      43        222      122      10        8          140      362      13        489                         5.198

Levante                                 23        90        31        144      75        14        7          96        240      7          221                         4.659

Lévis                                      42        127      68        237      220      14        6          240      477      27        805                         8.139

Madrid                                   40        81        30        151      131      18        20        169      320      6          234                         3.370

Melbourne                54        81        36        171      37        14        18        69        240      26        1.240                8.409

Mexique Central      57        84        57        198      96        22        20        138      336      13        –                        9.232

Mexique Occid.                    47        103      56        206      98        20        25        143      349      18        358          10.435

Norte                                     59        161      48        268      152      21        18        191      459      18        405                         6.586

N.-D. Hermitage      33        106      55        194      85        9          10        104      298      20        1.301                4.098

N.-Zélande               68        109      44        221      76        15        14        105      326      28        645                   9.457

Pérou                                    21        48        50        119      99        6          8          113      232      13        160                         4.851

Poughkeepsie                      61        146      75        282      56        26        26        108      390      14        297                         8.772

Rio                                         38        93        72        203      188      22        7          217      420      11        951                         5.230

S'-Genis-Laval                     74        179      106      359      150      10        21        181      540      42        1.765              5.976

Santa Catarina                     76        165      44        285      339      23        17        379      664      27        1.499                         9.944

Sao Paulo                53        117      49        219      230 18             7          255      474      11        449                   7.423

Sud-Est                                 15        77        64        156      80        6          3          89        245      14        665                         2.780

Sud-Ouest                16        56        24        96        20        3          2          25        121      9          500                   2.069

Sydney                                  103      171      66        340      55        31        23        109      449      36        1.645       13.090

Varennes                  25        63        68        156      81        4          4          89        245      14        663                   2.841

       DISTRICTS      

Ceylan                                   16        11        10        37        22        —         —          22        59        6          5                         1.362

Liban-Syrie              6          26        28        60        19        3          —          22        82        8          482                   4.859

Madagascar                         13        28        22        63        57        3          4          64        127      7          104                         3.485

Philippines               12        13        11        36        —         5          4          9          45        7          —                      2.995

Portugal                                22        39        19        80        104      —         2          106      186      11        286                         1.617

Uruguay                                 12        24        25        61        47        —         5          52        113      7          68                         1.848

Venezuela                26        27        14        67        76        10        8          94        161      3          —                      1.784

   TOTAL GÉNÉRAL 2. 035  4.773    2. 419  9.227   5.577        596    1.570   6 .743    15.974  782     26.96S               306.009

 

N. B. Quelques envois tardifs de renseignements des Provinces, en début d'année, ont empêché l'établissement assez rapide de ces statistiques et autres nécessaires au Secrétariat Général et à la S. C. des Religieux : voir, dans le Calendrier religieux, les directives à ce sujet.

 

 LISTE DES FRÈRES

dont nous avons appris le décès

depuis la Circulaire du 8 décembre 1960

 

    Nom et âge des Défunts                      Lieu de Décès                                            Date du Décès

 

F. Simon-Alexis        51  Stable              Chicoutimi (Canada)                               26 nov. 1960

F. Protasius              82  »                       N.-D. de Lacabane (France).                 5 déc.               »

F. Domice                 83  »                       Recife (Brésil)                                          6           »          »

F. Luiz-Marcellino     68  »                       Mendes (Brésil)                                       10         »          »

F. Loyola Dotto         48 Profès perp.     Kogarah (Australie)                                 14         »          »

F. Juan Bautista       69  Stable              Tlalpan (Mexique)                                    20         »          »

F. Brendan Joseph  69  »                       Wolverhampton (Angleterre)                  26         »          »

F. Adrias                   64 Profès perp.     Anzuola (Espagne)                                  29         »          »

F. Marie-Priscillien   65  Stable              Suva (Fidji)                                               31         »          »

F. Marie-Hippolyte   89 Profès perp.     Saint-Genis-Laval (France)                    10 janv. 1961

F. Louis-Gaspard     65  »                       Saint-Paul-Trois-Châteaux (France)     10         »          »

F. Moise                    90  Stable              Avellanas (Espagne)                               15         »          »

F. Joseph Ildephonse  71»                       Furth (Allemagne)                                  20         »          »

F. l.uigi                       82  »                       Pontos (Espagne)                                 22         »          »

F. Pedro Marcelo     53  »                       Lima-(Pérou)                                            26         »          »

F. Claude-Etienne    80 Profès perp.     Iberville (Canada)                                    2 fév.                »

F. Reinaldo               40  »                       Canoinhas (Brésil)                                 13         »          »

F. de Kostka             68  »                       N.-D. de Lacabane (France)                  17         »          »

F. Menit                     75  Stable              N.-D. de Lacabane (France)                  24         »          »

F. Jean-Symmaque 89  »                       Amchit (Liban)                                          8 mars              »

F. Mellitus                  45 Profès perp.    Caussade (France)                                 10         »          »

F. Marie-Samuel      85  »                       N.-D. de l'Hermitage (France)                11         »          »

F. Luis Mariano        61  Stable              Valladolid (Espagne)                              23         »          »

F. Léon-Antoine       73  »                       Leala (Samoa)                                         24         »          »

F. Javier Maria         50  »                       Querétaro (Mexique)                               6 avril               »

F. Eunan                    60  »                       Dumfries (Ecosse)                               9            »          »

F. Joseph-Avit          77  »                       Saint-Genis-Laval (France)                    10         »          »

 

 

La présente Circulaire sera lue en communauté à l'heure ordinaire de la lecture spirituelle.

Recevez, mes bien chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis, en J.M.J.,

Votre très humble et tout dévoué serviteur.

F. CHARLES-RAPHAEL, Supérieur Général.

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