Circulaires 369

Basilio Rueda

1968-02-24

A) POINT DE DEPART POUR NOTRE TACHE DANS LA 2ième SESSION
B) FAUSSES PISTES. 1) Immobilisme. 2) Attitude unilatérale. 3) Disproportion entre doctrine, normes et motivations. 4) Humanisme naturaliste. 5) Adaptation aux faits
C) PROPOSITIONS . . . 1ière précaution: pas de politique du fait accompli.  2ième précaution: pas de lois inauthentiques. 3ième précaution: largeur et fermeté. Donc: Pas de concessions injustifiées 1
D) DECENTRALISATION. 1) Principes. 2) Formes mauvaises: a, b, c. 3) Forme authentique
4) Recours à l'autorité. 5) Limite à dépasser
E) PRÉVISION DES CONSEQUENCES DES MESURES A PREN¬DRE
F) LE GRAND DANGER: TRAVAIL PARTIEL
G) CONCLUSION: ANNONCE DE LA 4ième PARTIE

369

V.J.M.J.

 Rome, le 24 février 1968 

CIRCULAIRE DU 2 JANVIER 1968

(suite) 

Face à la deuxième Session 

A. POINT DE DEPART POUR

NOTRE TACHE DANS CETTE

DEUXIEME SESSION.

 Je crois, M. B. C. F., que beaucoup de choses reviendront plus claires et plus logiques si nous parvenons tous, Frères et surtout Capitulants, à nous bien persuader d'une idée qui est vraiment le noyau de tout le reste. Cette idée doit être là sous nos yeux avec la clarté d'une évidence, et atteindre en notre cœur, la force dynamique de l'intuition.

Cette intuition, ce regard qui va au plus profond des choses, décèle, à travers les multiples demandes du Concile et les tâches qu'il nous propose, un point essentiel : la « conversion institutionnelle ».

Cette conversion implique conversion personnelle et est grosse de conséquences pour elle, mais contrairement à ce que pensent certains, même certains Supérieurs, elle ne s'arrête pas là. Elle n'est pas la somme des conversions individuelles, même si on pouvait se laisser bercer par le rêve que tous vont accomplir cette conversion.

La grande question qu'il faut se poser est la suivante : Voulons-nous ou ne voulons-nous pas ce que veut le Concile ? Sommes-nous disposés à abandonner l'état où nous sommes pour courir l'aventure évangélique et le risque historique s'il est prouvé que cela convient ?[1]

Sommes-nous, dans l'intime de nous-mêmes, disposés à abandonner, le cas échéant, un genre de vie et des habitudes qui s'avéreraient n'être pas d'accord avec l'engagement essentiel de faire de notre existence un pur Evangile ? Et sommes-nous aussi prêts, au niveau de l'institution, à réorienter, s'il est besoin, nos œuvres selon ce qui se manifesterait être l'appel de Dieu à notre Institut aujourd'hui ? S'il n'en est pas ainsi, nous devons avouer que nous « jouons à faire Chapitre » et que les pouvoirs spéciaux que nous avons reçus de l'Eglise n'ont pas de sens.

Tel est l'indispensable point de départ qui donnera au Chapitre la profondeur que veut l'Esprit-Saint et satisfera en même temps l'attente des meilleurs religieux. Telle est la condition pour que la Congrégation se présente avec une vigueur de printemps, pleine d'attraits pour cette jeunesse que nous coudoyons chaque jour.

La jeunesse a un potentiel inexploité d'enthousiasme. Très souvent, elle a le confort, elle a un peu tout ce qu'elle veut, mais un idéal lui manque. Cet idéal dont elle a besoin, qui est capable de l'empoigner, c'est l'Evangile. Et c'est là ce que nous devons lui donner, non seulement en paroles, niais aussi par notre témoignage.

Toute institution, M. B. C. F., court le danger de vieillir, victime du poids des structures, et de conserver des formes, hier chargées de vie, mais qui se sont peu à peu vidées. Toute institution a besoin de se renouveler périodiquement. La grande majorité des groupements sociaux naturels qui, au départ ont été pleins de dynamisme, parcourent le cycle de la vie : ils naissent, enthousiasment, se développent, se structurent, s'ankylosent et, selon les cas, ou bien disparaissent par réduction progressive, ou bien quand ils conservent quelque vigueur, se trouvent affrontés à des forces d'opposition jeunes et d'évolution rapide, et alors c'est une révolution qui les élimine.

Dans le cours des siècles, elles sont peu nombreuses les structures humaines qui ont échappé à cette loi. Mais il n'en est pas de même pour l'Eglise. Sujette aux lois sociologiques par son être humain, elle n'en participe pas moins analogiquement de l'être théandrique de son Chef, au point de pouvoir affirmer, sans tomber dans le panthéisme, qu'elle a en elle-même la présence du divin et est animée par l'Esprit-Saint.

Conditionnée et transcendante à la fois, elle s'est accommodée du temps aussi bien que de l'espace. Chaque âge, comme dit le Cardinal Suhard, dans « Essor ou Déclin de l'Eglise » lui a prêté sa « stature » et son « visage ».

Elle est sûre d'être fidèle au Christ, son époux. mais sans pour autant être exempte des risques et des vicissitudes de la fidélité à toutes les époques de l'histoire[2].

Aussi Dieu a-t-il, dans l'Ancien Testament, dans la protohistoire du Salut, pour parler comme le Père de Lubac, suscité périodiquement des actions prophétiques dans son peuple, qui le réveillaient de sa léthargie ; même aux moments de plus grande fidélité aux rites et aux sacrifices, il le rappelait à une conversion en esprit et en vérité.

Elles sont émouvantes et chargées d'enseignements ces actions prophétiques, destinées à purifier de la routine, du matérialisme et de la déformation l'Alliance conclue entre Dieu et son peuple[3]. La dernière des grandes actions prophétiques de Dieu avec Israël s'est faite à travers le Christ avec les résultats historiques que nous connaissons tous. Le peuple aimé et choisi ne put pas entendre sa voix, plongé qu'il était dans une infidélité qui avait revêtu deux aspects : le rigorisme pharisaïque et le libéralisme saducéen.

Saint Pierre, rejetant sur l'ignorance les torts du peuple qui avait crucifié le Christ, l'entraîne à la pénitence[4], mais saint Paul retrouvera au sein de ce même peuple ces « faux-frères » dont il maudira avec vigueur les menées judaïsantes.

Avec des variantes plus ou moins accentuées, l'Histoire de l'Eglise se développe entre des va-et-vient de fidélité à son Fondateur et ce poids de la chair qui, camouflé de fidélité et de zèle, risque de l'éloigner de l'Evangile du christ.

Le concile Vatican II, le vrai Vatican, non celui de certains journalistes[5]a été une des plus récentes et des plus remarquables actions prophétiques de Dieu à l'égard de son peuple, tout au long de son Histoire à partir de la venue du Christ.

Notre Institut, toutes proportions gardées, participe, comme tout chrétien d'ailleurs, du mystère de l'Eglise et est sujet aux mêmes lois : celle de la chair et celle de l'Esprit. Il ne peut pas être réduit à la simple analyse d'une sociologie humaine, parce que des forces transcendantes et des forces eschatologiques le portent à émerger des crises vitales ; mais sans effort et sans vigilance, il n'échappe ni aux conditionnements sociologiques ni aux servitudes humaines, ni au péché, ni à l'infidélité institutionnelle.

Avec cette grande différence cependant par rapport à l'Eglise que celle-ci peut avoir des époques de naufrage apparent d'où finalement elle surnagera quand même, alors qu'une Congrégation religieuse, si légitimement fille de l'Esprit qu'elle puisse être née, n'a pas reçu la promesse de la vie éternelle, et ne peut compter survivre que dans la fidélité à l'Esprit, y compris la fidélité au charisme spécifique qu'elle a reçu du Seigneur[6].

Voilà pourquoi il faut absolument qu'au sein de toute Congrégation. le Seigneur suscite de temps en temps des actions prophétiques individuelles et collectives. La nôtre, comme toutes les autres, a besoin de ces actions, parce que toute Congrégation religieuse est menacée de deux maladies bien classiques dans l'Histoire du Peuple de Dieu : le rigorisme ritualiste si bien incarné par les pharisiens au temps du Christ, et le libéralisme bourgeois qui rappelle à vingt siècles de distance le laxisme et la facilité d'adaptation du saducéen en face du monde païen.

Les Chapitres Généraux spéciaux, échos et applications du Concile Vatican II à chaque Institut, sont donc appelés à être une vraie grâce prophétique pour cet Institut, mais seulement dans la mesure où ils s'ouvriront à l'Esprit du Christ et diront, sans souci de plaire ou de déplaire, ce qu'ils doivent dire dans le monde d'aujourd'hui et dans l'Eglise d'aujourd'hui ; et c'est seulement dans la mesure où ils auront « branché » les âmes sur l'Esprit de générosité et de liberté qu'ils pourront dire avoir répondu à leur vocation.

Toute action prophétique suscite des crises et est chèrement payée par celui qui la réalise, mais après la crise vient le fruit ; si toutefois la fleur humaine a bien voulu consentir à sa mue. Dès à présent on sait que si le Chapitre remplit réellement son devoir, il y aura des mécontents et des désenchantés : désenchantés d'un Chapitre qui n'a pas réalisé des accommodements qu'ils attendaient et pour l'obtention desquels les pouvoirs spéciaux apparaissaient l'occasion unique ; mécontents de mesures qui ont supprimé des moyens d'équilibre sécurisants mais non conformes avec l'Evangile, qui ont rompu les barrières d'une tradition plus faite d'apports humains sans doute bien intentionnés, que du charisme même du Fondateur.

 Pour nous aujourd'hui la volonté de Dieu est révision et conversion totale, ou, selon le mot du Concile, « rénovation adaptée ». Elle se manifeste de la façon la plus indiscutable dont peut se manifester la volonté de Dieu, en dehors de la Révélation : par la voix de l'Eglise à travers un Concile et dans un document fait directement pour transmettre cet appel. La tâche qu'elle doit réaliser est double : rénovation et adaptation ; non pas qu'il s'agisse de deux choses mais d'une rénovation telle que l'Evangile la demande pour notre condition actuelle.

Cela exige l'élimination des éléments apocryphes, de la tiédeur, de la mondanité ; et, en outre, de tout ce qui n'est pas fonctionnel ou qui a des attaches que notre temps ne motive plus.

      B. FAUSSES PISTES.

 Le Chapitre peut prendre de fausses pistes.

1. – Immobilisme.

L'immobilisme en est une. Satisfait d'une révision superficielle, de changements sans importance, il a peur du risque : train en arrêt qui ne déraille pas, mais qui n'arrive pas non plus à destination.

 2. – Attitude unilatérale.

 Fausse piste encore, l'attitude unilatérale par laquelle, des deux tâches complémentaires du Chapitre, on choisit l'une, négligeant l'autre. Tel serait le cas d'un Chapitre qui, mettant l'accent sur l'élimination des abus, la pratique vigoureuse des conseils évangéliques et le maintien de la vie spirituelle, ne s'occuperait pas d'adapter notre apostolat aux exigences de notre temps et aux conditions psychologiques et culturelles de l'homme d'aujourd'hui ; ou, à l'inverse, hypnotisé par la mise à jour de tous les éléments de notre apostolat, n'aurait pas du tout la même préoccupation pour la conversion, donc pour la rénovation en profondeur.

Donner une série de mesures qui soient l'équivalent d'une sous-alimentation de la vie spirituelle en particulier et de la formation religieuse en général, par rapport à un passé dont nous connaissons tous les déficiences, n'est pas une solution heureuse. Il ne s'agit pas de changer au petit bonheur quelques formules. Il s'agit d'aboutir à un résultat réel, sociologiquement prévisible et qui ne soit, ni ne risque de devenir, un amoindrissement de la formation spirituelle, de la culture spirituelle et surtout de la nourriture d'une vraie vie spirituelle.

Ce sont bien les réalités qu'il faut rechercher, et non pas seulement les mots, ou même les lois.

 3. – Disproportion entre doctrine, normes et motivations.

 Autre fausse piste : celle d'une disproportion entre doctrine, normes et motivations. II pourrait y avoir par exemple des documents capitulaires qui, après des exposés doctrinaux riches et complets, n'aboutiraient qu'à de pauvres normes, de pauvres applications[7], ou bien à des applications boiteuses, c'est-à-dire n'ayant développé que l'aspect ascétique, et ayant oublié l'aspect psychologique ou vice versa.

Il ne faut pas non plus créer, sans discernement une législation sans motivations et imposer une série de normes qui, manquant de richesse intérieure, n'arriveraient pas à provoquer un enthousiasme suffisant pour se faire aimer et pratiquer et seraient un joug trop lourd qui perdrait toute valeur dynamique pour une recherche de la perfection.

Ce serait bien là la loi de mort dont parle saint Paul et dont précisément le Seigneur a voulu nous délivrer.

Evidemment le dynamisme de la loi doit s'évaluer en référence à un religieux qui veut être réellement religieux et par conséquent tendre à la perfection, mettre sa vie en harmonie avec la formation qu'il reçoit, avec l'aspect concret que revêt la loi et avec la manière dont s'exerce l'autorité.

 4. – Humanisme naturaliste.

 Il peut arriver hélas que la foi se soit presque éteinte chez un religieux et qu'il ait pris une des pistes les plus dangereuses : celle d'un humanisme naturaliste. Notre temps a mis l'accent sur les valeurs humaines naturelles : sexe, amour, liberté, santé, etc. … ; il a découvert, pour ainsi dire, le monde comme société source du devoir, avec en outre ses valeurs culturelle et historique. Il oppose donc une optique nouvelle à l'optique du passé où monde, nature, homme, etc. … pouvaient avoir une nuance péjorative. D'autre part, le développement de la technique, des relations industrielles, des méthodes d'entreprises, etc. … nous mettent d'instinct en garde contre un certain péché d'angélisme et de surnaturalisme dans lequel nous n'étions pas peu tombés dans le passé. Je n'insisterai pas sur ce dernier point, car je ne pense guère que ce soit là un danger, de l'heure actuelle.

Il faut donc nous ouvrir de toute notre âme aux valeurs de notre temps ; il faut que nous en tenions sérieusement compte le plus tôt possible dans la formation et dans la vie de nos communautés, selon que l'exige notre propre vocation, mais il faut aussi – j'y insiste – que nous soyons prévenus contre une mentalité humaniste, au sens immanent, qui fait de l'homme son propre but et modèle.

Notre unique modèle, c'est le Christ. Notre anthropologie se déduit du mystère et de l'histoire du salut avec ces trois grandes réalités riches de conséquences : la bonté de la création, le fait de la chute avec les désordres qui en découlent pour la nature humaine, et l'événement béni de la rédemption du Christ qui progresse en nous et dans le monde.

Le résultat de cette « économie », c'est l'homme dont parle saint Paul[8], inséré au Corps mystique du Christ dans un effort permanent de salut et inséré à la terre où doit s'accomplir sa tâche de progrès dans la nature et dans la rédemption cosmique : « citoyen des deux mondes » selon le mot de saint Augustin.

En résumé, on pourrait dire : C'est seulement dans et par le Christ que se réalisent le monde et l'homme un monde digne de l'homme et un homme digne de ce nom dans un Humanisme chrétien.

Mais si cela est vrai pour tout chrétien (et Paul VI l'a même dit à l'adresse de tous les hommes et de tous les peuples dans « Populorum Progressio » n° 16) combien il serait absurde pour un Chapitre Général de réduire l'idéal et la normativité maristes en maintenant son programme et ses documents à un niveau naturaliste.

 5. – Adaptation aux faits.

 Enfin, voici la dernière voie où nous pourrions nous égarer : celle d'un Chapitre d'adaptation aux faits. Tel est le danger qui guette certains Supérieurs. Après avoir combattu loyalement, ils voient avec peine la généralisation de vraies irrégularités et, ce qui est pire, la détérioration d'un climat où s'est raréfié l'esprit religieux et se sont répandus les miasmes d'une authentique médiocrité religieuse parmi les Frères. Ils héritent d'une situation qui n'a pas été crée par eux, mais par les faiblesses, les fausses condescendances de communautés voisines ou précédentes qui ont fait tache d'huile. Je ne me réfère pas ici aux faits qui s'expliquent par des différences de mentalités ou de coutumes variables d'un pays à l'autre, et que l'on peut trouver dans des religieux par ailleurs zélés pour leur perfection et satisfaits de la vie qu'ils ont embrassée. Non, je ne veux parler que des vraies irrégularités, des vrais abus, de la vraie tiédeur.

Là donc, est le grand danger, car des Supérieurs peuvent tomber dans la tentation de fléchir devant ces faits, de désirer les voir entériner par le Chapitre directement ou par la bande de la décentralisation et de se voir eux-mêmes ainsi libérés d'un conflit d'autorité.

Face à ce danger réel, et conscients de la responsabilité d'un Chapitre de rénovation – nous avons dit plus haut quelle devait être l'idée centrale, âme de toutes nos décisions – je me contente de répéter à la lettre quelque chose que j'ai dit à l'Assemblée Capitulaire le jour de la clôture de la première session :

« Adaptation signifie "fonctionnalité" pour le Christ et pour l'Eglise, suivant notre propre ligne pastorale, c'est-à-dire fonctionnalité par l'exercice de la charité apostolique.

« Rénovation signifie "conversion intérieure" qui doit se faire au niveau des personnes et de tout l'Institut. C'est la règle nette et unique de Vatican II.

« J'accueille très volontiers toutes les expériences qui seront proposées dans le sens indiqué. Mais, d'autre part, il y aurait de sérieux dangers à entreprendre, sous prétexte des pouvoirs particuliers dont jouit ce Chapitre Spécial, des expériences qui ne seraient que de simples concessions de faiblesse ou qui se limiteraient à approuver des irrégularités déjà existantes.

« Lorsqu'une Congrégation religieuse, au cours d'une révision générale de ses valeurs, se trouve confrontée avec des déficiences ou des négligences, et qu'elle ne voit pas d'autre remède que de recourir à une sorte de "légitimation" de ces faiblesses, elle révèle nettement par là qu'elle a perdu sa vitalité constitutionnelle ».

     C. PROPOSITIONS.

 Comment faire, dès lors, pour ne pas se fourvoyer dans toutes les fausses pistes ? Je n'ai pas à vous proposer une panacée, mais à vous faire dès maintenant une suggestion importante et concrète. Oui, je vous suggère. une décision pour la deuxième session du Chapitre et une aussi pour cette période actuelle d'intersession.

La nature humaine a ses faiblesses : c'est normal. Que quelques-unes d'entre elles s'enracinent fortement et s'étendent, c'est compréhensible. Compréhensible aussi que des choses, qui hier, – sans être proprement des péchés – constituaient de vrais manquements pour un religieux normal et régulier, perdent ce caractère au moins quant à leur contenu.

Nous sommes à un moment où le Chapitre en face de faits généralisés, de changements de situation arrive à accepter certaines choses jusque-là défendues : évolution qui a ses avantages et ses inconvénients. Les avantages sont de résoudre des conflits, qui sans cela devenaient inévitables, et de calmer des malaises, source d'inutiles souffrances. Les inconvénients sont d'établir une pente qui glissant de Chapitre en Chapitre, dans l'histoire des Instituts, aboutit parfois à une telle situation que, face d'une part à l'évidente nécessité de réforme[9]et d'autre part à la force d'inertie d'un groupe humain qui a pris ses habitudes, il ne reste plus aux religieux épris d'authenticité et de rénovation qu'un seul remède : sortir pour constituer une branche séparée indépendante de la première.

Si nous voulons éviter ces phénomènes maintes fois survenus dans l'histoire des Congrégations, il faut accepter de prendre quelques précautions.

1. Ne pas laisser pratiquer la politique générale du fait accompli. Il y a des Supérieurs qui, tout en voyant la convenance d'un changement, par inertie, par peur du risque, par attachement au passé, maintiennent indéfiniment quelque chose sous prétexte que ce n'est pas absolument nécessaire de le changer et qu'on peut attendre ; en réponse, les inférieurs optent pour chahuter un peu ce règlement afin de rendre le changement inévitable en imposant le fait accompli. C'est, pensent-ils, le seul moyen d'amener les Supérieurs à s'en occuper.

2. Ne pas convertir en loi ce qui ne doit pas être une loi – la loi doit être authentique, c'est-à-dire avoir une valeur et une fonctionnalité intrinsèques et réelles – ni donner une valeur à une chose qui n'en a pas réellement.

3. Etant données ces deux indications, il est clair qu'un Supérieur et un Chapitre peuvent et doivent être fermes en face des problèmes. S'il y a des raisons pour changer quelque chose, qu'on le change tout de suite, en devançant même le désir des subordonnés non sans leur donner d'ailleurs les explications adéquates. S'il n'y a pas de raison, on ne doit pas changer et si surviennent des manquements, ceux-ci doivent être repris respectueusement, mais énergiquement.

A la lumière de ce qui précède, je proposerais donc à la seconde Session du Chapitre cette résolution : N'accepter aucune solution qui vienne par la voie de faits accomplis ou d'irrégularités, ou qui soit indiscutablement révélatrice de relâcheraient.

Une telle concession serait peut-être accidentellement acceptable dans un Chapitre ordinaire, surtout si on n'a pas suivi dans le passé la politique de gouvernement signalée plus haut. Mais je crois que, dans un Chapitre voulu spécialement par l'Eglise, une mesure d'authenticité consisterait justement à fermer la porte à un semblable processus. A cela je vous invite formellement et explicitement. Si l'on doit jeter du lest, que cela se fasse dans un autre Chapitre, pas dans un Chapitre de rénovation.

Il serait douloureux que des abus contre lesquels on a lutté systématiquement aux Chapitres antérieurs, contre lesquels ont parlé les Papes et les Supérieurs, et auxquels on est arrivé par de vrais manquements, par exemple au vœu ou à la vertu de pauvreté, fussent maintenant légitimés paradoxalement dans le Chapitre même où l'Eglise nous demande de mettre en jeu tous nos dynamismes de dépassement.

Je ne veux pas imposer ici une manière personnelle de penser. Non, je vous soumets tout simplement ma proposition. Si tous, surtout les Capitulants, vous voyez qu'elle est raisonnable, je demanderai que, même si cela est dur, on l'adopte ; si le bien-fondé vous en apparaît douteux ou nul, vous pouvez la refuser, vous avez pour cela le vote secret du Chapitre, sans parler d'autres moyens divers. Je demande une seule chose : qu'on agisse en conscience. Pour ma part, j'expose moi-même avec franchise ma position avant la seconde Session : dans la ligne des concessions injustifiables qu'on ne compte pas sur moi[10]. Je suis nettement opposé à ce que le Chapitre en fasse.

Par contre, je mettrai toute tua vigueur à plaider la cause des modifications et des libertés utiles pour le règne du Christ et pour une meilleure qualité du témoignage de notre vie.

On va peut-être se demander ce que j'entends par ces concessions. Mieux vaut donc préciser ma pensée. Je pense par exemple à un pécule ou budget conçus de manière à faire rétrograder l'esprit de pauvreté au lieu de le promouvoir, au tabac qui, sous prétexte d'autorisation, devient parfois un besoin tel que l'idée de privation quelconque sur ce point n'est même plus envisagée, aux liqueurs dont on multiplie les occasions de faire usage à un point qui parfois scandaliserait à bon droit même des familles aisées, aux spectacles sans justification de culture personnelle ou de surveillance des élèves, aux revues plus ou moins mondaines de pure distraction, aux appareils photographiques à but non pas éducatif mais purement touristique, aux pertes de temps et d'argent qu'implique la multiplication. de certaines visites de famille.

Là encore j'explicite ma pensée. Comment justifier par exemple une visite de famille tous les quatre ans à des parents qui habitent l'autre extrémité du monde[11]– parfois un oncle, ou une nièce – quand il y a les nécessités lancinantes de la faim, de l'ignorance, de l'aide missionnaire qui s'imposent avec urgence et ne seront pas satisfaites parce que des sommes d'argent importantes sont prélevées dans une Province pour les voyages et les visites de famille des Frères.

Il ne s'agit pas là de mesquinerie. Qu'on ne traduise pas en disant que j'ai prétendu qu'un Frère qui a travaillé avec abnégation ne méritait pas cette dépense surtout si sa vie a été pauvre et austère[12]. Le problème n'est pas de l'ordre du mérite humain. Dans le religieux, la virginité et l'abandon physique de la famille ont dû faire croître et universaliser l'amour ; et il ressent dans son âme le cri des pauvres et des missions vers qui il voudrait canaliser des économies résultant d'une vie plus austère et de privations pénibles.

Si ce qui précède est vrai ; si, face à l'Evangile et à sa loi d'amour, j'ai raison dans mes propositions au Chapitre, alors je ferai une autre suggestion aux Provinces : là où des faits consommés d'irrégularité se sont établis dans les secteurs où ils atteignent des groupes plus ou moins importants de Frères, je demanderai aux Frères Provinciaux et autres Supérieurs, aux Frères Capitulants mais surtout aux responsables des irrégularités d'apporter une preuve de leur solidarité à ce Chapitre de rénovation que désire l'Eglise en faisant disparaître ces faits en tant que phénomènes sociologiques, ou au moins en les faisant diminuer.

Même d'ailleurs dans les cas qui ne sont pas des irrégularités, je pense qu'il serait très bien par exemple, dans telle Province, que tous les Frères qui n'ont pas besoin de l'habit annuel offert à chacun, en un geste spontané et individuellement libre, hier rare, demain généralisé, le refusent pour faire une économie que les Frères économes ne devront pas capitaliser, mais envoyer aux missions de la Province ou à nos Frères retenus en Chine communiste.

Je pense aux Frères qui ont obtenu la permission de fumer et qui pourraient, par leurs privations, aider à relever les œuvres du Congo ou du Nigéria qui ont été détruites.

Je pense à tel ou tel Frère qui renonce à une visite de famille et, avec la permission de son Provincial, cède la somme correspondant au voyage pour aider, par exemple, nos œuvres de Bolivie ou de Catacocha où le collège reçoit des élèves sous-alimentés.

Chimères ! diront quelques-uns : c'est possible ; mais ces chimères, je n'en ai pas honte[13]. Par contre est-il exemplaire ce religieux qui devrait s'émouvoir des souffrances du prochain, pratiquer des conseils évangéliques dont le seul sens est de libérer l'énorme puissance de générosité qui est en son cœur, et qui n'aide les pauvres et les missions qu'avec les sacrifices et les privations des élèves et des familles, sans apporter lui-même sa quote-part personnelle ?

Qu'on ne dise pas trop vite que ce sont là des points secondaires, car, comme l'obole de la veuve, ils sont un test de ferveur et de disponibilité ; mais, secondaires ils le sont, et j'en conviens, en tant qu'ils concernent des décisions de détail. Et ce serait bien dommage que le Chapitre se perdît en d'interminables débats sur des points qui doivent être résolus rapidement et avec largeur d'esprit. Les points importants, je les signalerai aussi, et ils devront fixer l'attention de l'Assemblée. Néanmoins j'ai cru convenable de dire dès maintenant mon point de vue : c'est fait. Encore une fois, rien là de définitif. Si on me prouve que je suis dans l'erreur, je suis disposé à modifier mon jugement en toute simplicité. Une fois le Chapitre fini dans la mesure où ma conscience me le permettra – je ne dirai plus un mot, je dirai le mot qu'aura dit le Chapitre.

       D. DECENTRALISATION.

 I – Principes.

 Je poursuis. La décentralisation est à l'ordre du jour. Le Concile en a parlé. Mais en marge de cette réflexion conciliaire, je veux me référer à deux principes fondamentaux qui doivent être intégrés dans l'exercice de l'autorité et dans la structuration du gouvernement de notre Congrégation : subsidiarité et décentralisation. Ces deux aspects sont complémentaires : le premier conduit au second. Du premier, nous devons dire qu'il consiste à confier aux organismes inférieurs tout ce que ceux-ci peuvent faire, en évitant un centralisme qui absorbe toutes les fonctions au profit de l'autorité supérieure. A l'inverse, ce même principe exige que, lorsque la fonction (déléguée ou propre) d'un organisme inférieur fait défaut, l'autorité supérieure doive intervenir pour corriger la déviation ou suppléer à l'insuffisance.

A. la lumière de ce premier principe, la décentralisation a un rôle très clair : elle est, comme la subsidiarité, une loi de base de la vie organisée et particulièrement de la vie sociale.

II ne s'agit pas d'un mode d'action « ad libitum » ; il ne s'agit pas d'une organisation des formes de gouvernement ou de législation en vue des Intérêts particuliers d'une série d'entités (provinces ou communautés) au sein desquelles on verrait l'unité se muer en une fédération seulement unie par une parenté spirituelle et une certaine homogénéité de fonction.

La vraie décentralisation consiste en une distribution hiérarchisée et réelle de tous les pouvoirs qu'il est possible de transférer avec profit aux autorités régionales pour que celles-ci, dans une vision plus proche et plus adaptée à la réalité concrète, créent ou adaptent des lois et un mode de gouvernement tels que ces organismes soient mieux à même d'accomplir leur fonction spécifique et locale pour leur propre bien – c'est fondamental que chaque organe fonctionne bien et pour le bien général de ce corps pour lequel ils ont reçu leur vie et leur orientation.

Mais laissons, si vous voulez, ces considérations qui regardent plutôt l'aspect interne de la Congrégation, et limitons-nous à l'activité que les Frères doivent accomplir en chacun des lieux où ils se trouvent, et en coordination avec les autres organismes de pastorale diocésaine ou nationale. Il est clair que la décentralisation est l'unique formule possible, tandis que le centralisme est à la fois un poids mort pour la rapidité de la réponse apostolique, et une cause presque sûre d'inadaptation pastorale. Telle Congrégation, une fois installée dans un lieu, peut y devenir après de longues années un phénomène étranger au milieu où elle travaille.

Compte terni de ces remarques et de ces deux principes, il faut se demander : De quelle décentralisation est-il question pour nous ? Dans quelles limites et sur quels points doit-elle se réaliser ?

 2. – Formes mauvaises de décentralisation.

 a) Disons d'abord qu'il ne s'agit pas d'une décentralisation orientée vers de fausses fonctions : évasion, élimination, anarchie. Je m'explique. Il ne s'agit pas qu'en donnant une délégation d'autorité, le Chapitre, nous l'avons déjà vu, veuille trouver la manière élégante de se débarrasser d'un problème, et quelques Supérieurs (pure hypothèse) le moyen de faire dans une Province ce qui serait contre-indiqué et que le Chapitre n'aurait jamais pu autoriser.

b) Il ne s'agit pas non plus – j'attire ici fortement l'attention – de donner aux autorités régionales un surplus de responsabilité qui serait enlevé aux autorités centrales, celles-ci perdant non seulement la préoccupation mais jusqu'au droit d'intervention en cas d'erreur ou de fausse orientation.

Un tel mode de décentralisation ne peut être accepté, car les niveaux d'autorité dans l'Eglise ne s'opposent pas, mais se complètent dans la responsabilité, en une subsidiarité descendante, quand le niveau inférieur fonctionne, et ascendante quand il est défaillant.

c) Il ne s'agit pas non plus que la décentralisation soit anarchique, c'est-à-dire sans principe et sans loi. Dans un contexte humain, le gouvernement entièrement anarchique, la liberté totalement autonome sont des vues de l'esprit. L'un et l'autre ne se réalisent eux-mêmes et ne deviennent bénéfiques que dans leur conjonction avec les lois. Les lois, les vraies, existent même si personne ne les explicite et si personne ne les vit. Personne, même de bonne foi, surtout si c'est en gouvernant, ne les viole sans nuire à l'être social qu'il doit conduire au bien.

La décentralisation doit s'appuyer sur elles ; la volonté doit s'y assujettir pour être libre. Ce n'est qu'en obéissant aux lois de l'aéronautique que l'avion ou l'hélicoptère deviennent libres pour voler.

 3. – Forme authentique.

 Si donc, on entend par décentralisation un mécanisme d'autorité dans lequel supérieurs et subordonnés, respectant les limites de leur pouvoir réciproque, cherchent à être complémentaires, ce bon fonctionnement habituel d'une méthode de gouvernement sera une source de bienfaits pour l'Institut, le réveil d'un dynamisme et d'une collaboration qui peut-être étaient en sommeil.

Pour passer du souhait à la réalité, il faut que, d'une part, les membres du Conseil Général acceptent le légitime usage de la décentralisation dans une quantité de choses, hier encore sous leur dépendance et demain résolues au niveau des Provinces ou des communautés locales.

Pour ma part, je suis totalement gagné à cette cause et il faut que chaque Frère Conseiller Général accepte que telle puisse être ordinairement la conception nouvelle de son rôle : simple conseiller, dans les affaires de sa « Région », homme de liaison qui laisse non seulement chaque Provincial être Provincial – c'est-à-dire à son niveau, membre lui-même d’un autre collège : son Conseil – mais accepte même un élément nouveau auquel les Frères doivent s'habituer dès maintenant : le contact d'une Province avec plusieurs Frères Conseillers Généraux, soit ceux d'autres « Régions », soit ceux de Services.

Si les Conseillers doivent, dans les problèmes qui sont du niveau général, étudier, discuter et décider face à des délibérations de Provinces ou de groupes de Provinces, il est nécessaire qu'ils con naissent non pas seulement le problème isolé, mais son contexte géographique et humain, et qu'ils fassent un vote en toute connaissance de cause, avec hue expérience et une mentalité qui dépassent le point de vue régional. Il faut qu'ils puissent comprendre des mentalités et des situations autres que la leur, et chercher à leur donner, sans les méconnaître ni les bousculer, un air plus ecclésial et plus universel.

L'idéal – chimérique évidemment – serait que chaque Conseiller connaisse toutes les Provinces. Des limites économiques, humaines et temporelles empêchent cette réalisation, mais entre un plan théorique impossible et des relations qui ne s'établissent exclusivement qu'entre la Province et son Conseiller Régional avec, à la rigueur, une exception pour le Supérieur Général il y a de la marge, et c'est une formule moyenne, respectueuse des attributions et fonctionnelle que nous essayons de mettre en pratique.

Pour que cette formule puisse devenir réalité, sais causer dérangements et fatigues dans les Provinces, mauvaises interprétations ou abus (même ou Supérieur Général peut abuser) il faut abréger le temps des visites, en faveur du service direct dans le gouvernement central et de la préparation doctrinale de ses membres qui doivent étudier pour être à la page. Je demande donc instamment qu'on élimine les fêtes, réceptions et tourisme à l'occasion de ces visites.

II est convenable, par contre, de mettre les membres du Conseil Général en contact avec tous ceux qui leur feront mieux connaître le pays qu'ils visitent, avec des besoins humains et pastoraux, et de leur ménager, avec des personnes et des institutions ecclésiastiques ou civiles, des entrevues sélectivement réduites en vue du but spécifique de la visite.

Le contact particulier avec les Frères relèvera habituellement davantage des visites canoniques que de ces autres visites d'information et de contact visant un but plus général.

Mais revenons à l'autre élément de la décentralisation : la nécessité pour les autorités d'une Province de savoir reconnaître et laisser libres les actions complémentaires de leur pouvoir, qui est limité par l'intervention ordinaire ou extraordinaire de l'autorité centrale, quand c'est nécessaire, une collégialité de gouvernement constituée et exercée, et enfin l'acceptation – parfois difficile – du recours des inférieurs aux supérieurs majeurs sans ressentiment ni contre-réaction.

Un mot d'explication à ce sujet. L'intervention des Supérieurs Majeurs est ordinaire dans les affaires qui débordent le pouvoir provincial, selon ce qu'en décident les Chapitres. Il peut et même il doit y avoir intervention extraordinaire quand une autorité provinciale se trouve réellement et habituellement insuffisante ou prend de mauvaises orientations.

Il s'agit là d'un élément pondérateur du principe de subsidiarité qui assure un équilibre indispensable, mais ne doit fonctionner qu'à bon escient. Ainsi, il n'est pas question que l'autorité centrale intervienne lorsque l'autorité provinciale, par des méthodes diverses acceptables mais peu goûtées par le Supérieur Majeur – réalise vraiment sa fonction de gouvernement, de formation, d'apostolat, etc. … Du moment que la qualité et l'authenticité de la méthode sont assurées, assurées aussi l'unité d'esprit de la Congrégation, la formation essentielle, la structure fondamentale et le but apostolique, le gouvernement central ne doit pas céder à la tentation de l'interventionnisme, mais accepter les initiatives locales et les adaptations adéquates que chaque pays réclame pour instaurer le règne du Christ dans les diverses civilisations et les diverses latitudes.

C'est pourquoi une visite des Supérieurs Majeurs pourra avoir pour but non pas d'intervenir, mais plutôt de puiser des renseignements, de prendre note avec intérêt et joie d'expériences intéressantes, susceptibles d'être ensuite communiquées ailleurs en vue d'une utilisation adaptée, pour le plus grand bien de l'Institut.

Le respect de l'exercice du gouvernement provincial implique que celui-ci soumette franchement et objectivement des faits qui débordent son pouvoir, ou qui, sans le déborder, l'amènent à désirer librement et spontanément un conseil et éventuellement une décision du Conseil Général. Cette décision une fois prise, il faut s'y tenir et surtout l'appliquer et la faire appliquer (permission par exemple) dans la limite de l'autorisation et avec l'orientation et l'esprit de ce qui a été décidé.

Il va sans dire que cela suppose dialogue, pourvu que ce dialogue garde son vrai sens et s'exerce dans une ligne qui respecte à la fois l'ouverture, la vérité et l'obéissance.

Il est désagréable, par exemple, de constater (à n'importe quel niveau du binôme « autorité-obéissance ») que parfois, en l'espace d'un mois, on a dépassé, avec beaucoup de légèreté, limites et conditions d'une permission, et parfois dénaturé la permission elle-même. Le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'on n'est pas sérieux.

 4. – Recours à l'autorité.

 Plus délicat peut-être encore est le recours à l'autorité centrale d'une autorité subordonnée en désaccord avec l'autorité immédiatement supérieure dont elle conteste les décisions, ou d'un Frère en désaccord avec son Supérieur, en supposant que dans l'un et l'autre cas il y a eu dialogue préalable[14]. Pour ces cas de recours légitime, je prendrai mes exemples seulement aux deux niveaux les plus hauts.

Tout gouvernement provincial doit regarder comme un bon mécanisme, et pas seulement à usage exceptionnel, qu'un Frère ou une autorité locale puissent avoir recours à l'autorité supérieure pour s'éclairer au sujet d'une décision de l'autorité provinciale ou en demander la révision.

Dans ce cas, les Supérieurs Majeurs doivent n'avoir aucun préjugé contre personne, admettre la bonne foi des deux partis, la possibilité d'errer de part et d'autre, recevoir le recours avec sérieux et faire preuve de la plus grande objectivité dans leur intervention.

Une autorité provinciale que cela offenserait, (qui croirait perdre son pouvoir de gouverner si on décide contre elle, serait dans l'erreur. En voulant ne faire fonctionner que dans un sens le mécanisme de décentralisation, elle créerait, même de bonne foi, une structure d'autoritarisme provincial.

Beaucoup de facteurs entrent ici en jeu, qu'il faut tous prendre en considération. L'expérience prouve que souvent le recours est présenté injustement et avec partialité par un inférieur (d'où la nécessité d'un mécanisme objectif), non pas que celui-ci ait mauvaise intention ou conscience de fausser la vérité, mais parce qu'il est victime d'une optique mauvaise ou conditionné par un problème psychologique ou moral. De toute façon, il faut reconnaître que, sauf le cas de prolifération anormale de ces recours, qui indiquerait manifestement une inaptitude, un supérieur se grandit quand, ayant agi de bonne foi, et s'étant trompé, parce que e'est humain de se tromper, il accepte sans ressentiment le recours de l'inférieur et aussi la décision contraire à son opinion qui a été donnée par une autorité supérieure. Il montre alors que, loin de posséder l'autorité comme un pouvoir de sujétion, il l'exerce comme un pouvoir de libération, comme un respectueux service des hommes, de la vérité et du bien commun.

Il en est de même, à l'égard du St-Siège, du recours de l'autorité provinciale par rapport à une décision du Conseil Général. Si le dialogue n'a pas amené le Conseil Général à changer une décision qu'il croit bonne, que les Frères Provinciaux sachent qu'ils peuvent et parfois même doivent faire usage du recours. Que ne les arrêtent ni la peur des représailles, ni la crainte d'offenser. Il n'y a pas à avoir honte (le soumettre nos problèmes internes aux Congrégations romaines, plus précisément à la Congrégation des Religieux, envers qui nous devons nous comporter comme envers une mère. Qu'on ne dise même pas : « on lave son linge sale en famille ». Le dicton ici ne serait plus juste, car la Congrégation des Religieux est justement notre famille et nous ne voulons pas y faire une figure autre que celle qui correspond à la réalité. La seule condition qui doit nous préoccuper dans un recours, c'est l'honnêteté et la volonté d'objectivité.

Alors il y aura dialogue et révision des faits en charité et amitié entre les Supérieurs des deux niveaux, démontrant ainsi qu'il existe entre le Conseil Général et les Provinciaux la même attitude que je demande entre les Provinciaux et leur Province.

Il ne s'agit pas ici de lyrisme ; je sais parfaitement que de telles situations sont difficiles, que nous sommes faillibles, que les autorités provinciales le sont également et que les dicastères de l'Eglise sont eux aussi composés d'hommes ; mais face à ces réalités nous gardons la foi, puisque c'est à travers ces moyens humains que Dieu travaille et que très fréquemment descend sur nous la grâce de Dieu, car les structures d'Eglise ne sont pas seulement juridiques, elles sont aussi «pneumatiques ».

 5. – Limite à dépasser.

 Pour en finir avec la décentralisation, il faudrait encore parler d'une autre de ses limites : éviter de trop mettre l'accent sur l'unité administrative qu'est la Province. A un monde qui cherche à résoudre ses problèmes dans les interdépendances et les unions, on ne peut pas répondre avec des entités de l'âge féodal.

Le danger est possible et existe déjà de scléroser des articulations que l'Eglise voulait rendre souples par le moyen de « l'exemption » : ce dispositif peut se gripper ou fonctionner au ralenti si la ProvInce est conçue comme une unité rigoureusement close, fixant ses membres dans un rayon géographique déterminé.

Si nous voulons que la décentralisation n'accentue pas cette déficience, il faut nous sentir responsables des vrais besoins et du progrès de l'Institut, et pour cela créer des unités régionales où plusieurs Provinces s'entraident de leur personnel et de leurs moyens, devenant ainsi plus fonctionnelles, complémentaires.

Ces entités existent déjà ici ou là, soit à l'intérieur de l'Institut, soit sur un plan inter-congrégationnel. Là où quelque chose fonctionne avec des avantages trop peu égaux pour les divers membres, il serait convenable d'arriver à une mise au point. Ce n'est pas d'ailleurs la partie la moins favorisée qui devrait prendre l'initiative d'une réclamation, mais, au contraire, celle qui tire le plus d'avantages de l'association devrait en prendre conscience et agir en conséquence, montrant par là qu'on est vraiment Frères et qu'on cherche en tout à vivre pleinement l'Evangile.

La lumière de ces principes pourrait orienter une politique provinciale de dépenses, d'emprunts, de fondations ou de fermetures d'écoles etc. … qui tiendrait compte non seulement de la Province mais de l'Institut tout entier et spécialement des régions plus nécessiteuses et plus désemparées. Comment serait-il possible[15] de demander aux populations, surtout non-croyantes, des réalisations dont ne serait pas capable une Congrégation religieuse avec ses propres religieux ?

Si par hypothèse – et je crois l'hypothèse tout à fait gratuite – la conséquence de la décentralisation était de créer des Provinces repliées sur leurs biens et leurs personnes, fermées aux besoins de la Congrégation et faisant leur planification exclusivement pour elles-mêmes, pour leur «chapelle », il faudrait dire que même dans le cas d'une grande croissance individuelle, pareille conception du principe de décentralisation serait lamentable[16]

E. UNE SAINE PREVISION

DES CONSEQUENCES

DES MESURES A PRENDRE.

 Mais réfléchissons maintenant sur les mesures à prendre et leurs conséquences sociologiques en n'oubliant pas non plus qu'il y a aussi des conséquences sociologiques aux mesures que l'on ne prend pas et que dans un Chapitre, surtout un Chapitre Spécial, on petit facilement pécher collectivement par omission.

Je veux donc encore insister sur le réalisme que doit avoir cette prévision, surtout le réalisme sociologique. Il ne faut pas être obnubilé par les mesures concrètes à prendre pour une Province et pour Ie profit d'une minorité de Frères. Par conséquent, quand les principes ou la doctrine ne sont pas en jeu – ceci est important – mais qu'il s'agit d'un choix entre des formules dont aucune n'est imposée, il n'y a pas à hésiter : c'est le sens de la réalité qui doit décider en faveur des unes d'après les réactions prévisibles[17].

 Si l'on opte différemment, à titre de moindre mal il faut alors le dire clairement et ne pas camoufler dangereusement la vérité. 

     F. LE GRAND DANGER.

 Mais je crois, Mes Bien Chers Frères, que le grand danger pour notre Chapitre comme pour n'importe quel autre Chapitre Spécial post-conciliaire consisterait à ne pas avoir le courage de réaliser tout ce que le Concile et les temps demandent et de s'occuper seulement d'une série de mesures, disons domestiques, à un moment de l'Histoire où se présentent des exigences d'une exceptionnelle importance.

Je m'explique et je prends l'exemple de notre situation. D'une part l'Eglise, sous l'impulsion d'une vraie fermentation, fait un effort pour répondre aux appels du Seigneur, à l'angoisse, à la pauvreté du monde ; et elle le fait d'une manière splendide, avec ses documents conciliaires, pontificaux et une série de mesures prises en des domaines très divers[18]. D'autre part, la société et le temps présent, plus pleins que jamais de promesses, nous posent des problèmes trop graves…

II s'agit donc de garder les pieds sur terre, de savoir que ce n'est pas à nous à tout faire, que nous ne pouvons pas répondre tout seuls à un appel qui nous dépasse, mais de savoir aussi que nous pouvons réviser vous très sérieusement notre forme de vie et que notre équipe de 10.000 hommes est tout de même responsable d'importants centres d'éducation dans beaucoup de pays du monde, et que, solidairement avec le reste des apôtres de la jeunesse, nous avons une fonction fondamentale à réaliser pour donner à l'Eglise et à la société le type d'hommes dont elle a besoin.

C'est à cette fin que notre Chapitre Général doit prendre une série de décisions (quelques-unes peut-être explosives) dont je pense à cause justement de leur importance et de leur influence présenter les motifs, dans un rapide survol à votre méditation et à une réflexion capitulaire en profondeur. A vous ensuite d'en faire le commentaire et l'application.

Confessons que nous ne sommes pas habitués à poser les problèmes en profondeur. Notre genre de vie, aussi paradoxal que ce soit, nous enfonce dans une tâche où tout est réduit au quotidien et à ce qui apparemment n'est pas transcendant[19]; il risque de nous enliser dans la routine, ou plutôt de glisser à la surface du réel, alors que pourtant cette humble tâche exige une profonde vision anthropologique, un engagement dans l'avenir historique et une conviction que nos mains forment ou déforment le type d'homme, la société et les structures de demain…

Quelles bonnes leçons nous donnent à ce sujet les marxistes ! Je ne parle ni d'honnêteté, ni de respect de la personne humaine, mais de la clairvoyance avec laquelle ils organisent leur système d'éducation et de l'importance qu'ils attachent à la création de ce type d'homme dont ils ont besoin pour leur cause.

      C. CONCLUSION

 Dans une, quatrième partie, je tâcherai donc de recueillir les appels du monde et de l'Eglise et de faire des prévisions face au danger dont j'ai parlé. II est nécessaire, toutes proportions gardées, de faire un Chapitre à la mesure du Concile et à l'heure du inonde mais il pourrait se faire que le Chapitre fut dépassé par des problèmes qui, pour la plupart, exigent une capacité et une information absolument exceptionnelles.

Dans le cadre des moyens, de la méthode et du temps dont il dispose, que devrait-il donc faire ? Plutôt que de se risquer à donner des réponses improvisées, voire démagogiques ou irréelles, sa mission serait de mettre en place des mécanismes post-capitulaires responsables d'une réflexion pastorale face aux appels du monde et de l'Eglise d'aujourd'hui.

(fin de la 3' partie)

 

La présente Circulaire sera lue en communauté à l'heure de la lecture spirituelle.

 Recevez, Mes Bien Chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis, en J. M. J.,

 Votre très humble et tout dévoué serviteur. 

F. BASILIO RUEDA,

Supérieur Général.

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[1]: Un parlementaire remarque sagement : «Si l'on va au fond des problèmes, ce que le monde d'aujourd'hui demande à l'Eglise n'est autre chose que ce que le Christ demande dans son Evangile ».

[2]: Voir à ce sujet l'intéressant article de Urs von Balthazar dans ses «Essais théologiques », vol. 2 : Sponsa Verbi.

[3]: Par ex. jér. 31, 31-34. Ez. 34, 23-25, et 30. Ez. 36, 25-28. Is. 54, 1-10 ; 55, 3-5. Is. 42, 1-4 ; 49, 6 ; 56, 1-8. Gen. 9, 1-17.

[4]: Actes 3 : 17-20 ; Gal. 1 : 14.

[5]: Cf. R. Guardini dans «La Rocca », n° 8 (1965). «Journalistes, je ne vous comprends pas, parce que j'écris calmement, je pense longuement, je médite, alors que vous, avec vos jugements nombreux et extrêmement rapides, vous faites tant de mal ».

[6]:  Paul VI : Audience Générale du 26 août 1965. Newman : Essai sur le Développement, p. 9.

[7]: Cependant il est prévisible qu'il pourra se produire certaines dissemblances dans la manière de vivre des Frères. En effet, si on accepte, comme il faut l'espérer, une saine décentralisation, beaucoup d'applications concrètes devront se réaliser au niveau des Provinces et même des communautés. Pour pallier cet inconvénient, et sur de nombreux points, le Chapitre aura donc s donner des principes, les Provinces et communautés devant les concrétiser à leur propre niveau et non pas laisser les choses à la bonne franquette.

Ce n'est pas à dire qu'il faille pour autant tomber dans la méticulosité ni dans une série de préceptes étouffants et impraticables.

[8]: Rom. 6, 6 ; 12, 14. Eph. 4, 22.24. Col. 3, 9-10. Gal. 6, 15. Cor. 5, 17.

[9]: 31' Ce besoin de réforme ne naît pas exclusivement dans les instituts où existe une vie irrégulière. Ce serait une erreur de te croire. La vie religieuse en effet n'est pas appelée à être seulement une vie honnête dans laquelle n'ont droit de cité que les lois qui interdisent ce qui est mal. Elle est appelée surtout à regrouper et institutionnaliser les efforts d'hommes qui se rassemblent pour mettre « tout l'Evangile dans toute la vie».

C'est dans une atmosphère de ferveur voisine de l'héroïsme que tout Institut prend racine. A la lumière d'un idéal partagé par tous ses membres, s'établissent des observances qui sont moins une codification décidée de l'extérieur que le fruit social produit par l'attitude d'âmes réceptives à une situation qui appelait une réponse. On vit d'abord ; on légifère ensuite. C'est dans le même sens qu'un canoniste disait : « Soyez d'abord un fleuve ; ensuite nous en ferons le lit». Telle est la vraie source de la loi : engendrée par la vie, elle doit elle-même engendrer une nouvelle vie. Si c'est le contraire qui se produit, la loi n'est pas une loi chrétien-ne, mais un moyen de coercition.

Au long des années, deux cas peuvent se présenter. Dans le premier cas, les observances dérangent 1« Pourquoi ne peut-on pas faire ceci : ce n'est pas mauvais, ce n'est pas un péché… ») et l'on réagit comme si la vie religieuse se limitait à ne pas faire ce qui est positivement mal, positivement péché ; dès lors les Chapitres successifs enlèvent ce qui gêne et rabaissent l'idéal. Dans le deuxième cas, au contraire, on prévient le danger en établissant un échafaudage de lois pour tout contrôler et suppléer au manque de vie. Dans l'un et l'autre cas, les âmes désireuses d'Evangile et de vérité et qui en voient l'abandon ou le remplacement par une série de lois humaines, sentent de la répugnance à t'égard de cette vie et aspirent à une réforme.

[10]: Il pourrait se faire qu'une Province soit déchue à un point inquiétant et ait besoin de remonter à brève échéance. Dans ce cas, ce serait une erreur de la part de ses délégués de proposer, en se servant du vote de l'Assemblée ou de la décentralisation, l'adoption d'une mesure qui résoudrait peut-être un problème local d'observance, mais généraliserait une déficience dans les autres Provinces de l'Institut ou les nivellerait à la dose de sous-alimentation spirituelle de la Province en question. Dans un cas pareil, la méthode est tout autre : manifester publiquement ou en privé le problème – il ne s'agit pas ici d'un simple fait de mentalité ou d'habitude régionale – obtenir provisoirement une autorisation spéciale et organiser un plan graduel de récupération.

[11]: Combien de familles de la classe moyenne ou de l'échelon au-dessus peuvent se permettre le luxe d'une visite tous les trois ou quatre ans, ne disons pas à des parents éloignés, mais même aux plus proches parents qui se trouveraient dans un autre continent ? Va-t-on dès lors en faire une règle pour ceux qui font profession de pauvreté ? Il faut aimer nos parents – et le Christ a rappelé aux pharisiens que cet amour devait être effectif – mais d'un amour d'adultes, non d'adolescents.

[12]: Il est évident que le sacrifice de la famille et de la patrie prolongé de longues années est inhérent à la vocation missionnaire. C'est ici qu'avec plus de force retentissent les paroles du Seigneur, transmises par Luc. l'évangéliste de la tendresse de Dieu :

Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.» (Luc. 14, 26).

On doit même étendre ce détachement à la culture de son propre pays, qu'il faut mettre sous le boisseau pour en acquérir une nouvelle. Il est vrai aussi que, si dans la ligne du mérite humain, il y avait des priorités pour les visites de famille, elles seraient en faveur des missionnaires puisque la distance et le changement de pays leur rendent les absences plus sensibles qu'aux autochtones ; cet aspect de la question doit donc inciter les Frères autochtones eux aussi à modérer leurs demandes par rapport à une augmentation des fréquences des visites de famille.

Il y a cependant à tenir compte d'autres éléments de ce problème, et il faut mettre à part les deux cas suivants : celui des jeunes en formation qui, à cause de leur état évolutif et d'une insuffisante maturation de l'affectivité, ont besoin du contact de la famille pour un développement normal ; celui de parents qui, par suite de maladie ou de crise morale, ont besoin de la présence et de l'action pastorale d'un religieux. C'est alors le principe royal de la charité et non l'insuffisance de la maturité qui réclame notre présence près de la maladie, de la douleur et même de la chute morale des membres de notre parenté qui ont tant de raisons de nous être chers.

[13]: C'est une «chimère » de ce genre qui, bien voisine, semble-t-il, de la folie des saints, a pu porter un frère Pedro Lacunza, missionnaire mariste en Bolivie, mort d'un cancer, il y a un an, ne vouloir prendre absolument aucun calmant quand il a su le mal sans espoir dont il était atteint, et ce, pour pouvoir s'unir par une souffrance non atténuée à la souffrance rédemptrice du Christ ; et un Rovirosa (fondateur de la H.O.A.C. Jeunesse Ouvrière Catholique Espagnole) à demander au chirurgien qui l'opérait de lui faire, sans anesthésie, l'amputation du pied, afin souffrir pour le monde ouvrier.

[14]: Ce n'est pas mon intention d'analyser ici le problème de l'obéissance tel qu'il se pose de nos jours et de faire sur ce sujet un exposé doctrinal intégral, équilibré et théologiquement fondé, mais je pense le faire plus tard. Ici, je me limiterai à quelques aspects les plus indispensables pour une coordination juridique dans l'exercice du gouvernement.

[15]: Cf. « Populorum Progressio » n° 17.

[16]: Il faut bien évidemment reconnaître que la validation des titres académiques nous pose de sérieux problèmes en vue d'une meilleure fonctionnalité dans l'échange du personnel, surtout si l'Institut maintient l'actuelle situation d'un apostolat parmi la [messe presque exclusivement à l'école.

[17]: Dans ce cas, il faut savoir choisir. Mieux vaut, par exemple, être obligé de fermer des collèges où les parents auront vu d'un mauvais oeil les Frères accomplir leur tâche évangélique en prêchant, avec équilibre mais aussi courage la doctrine sociale, que de continuer une œuvre florissante en abandonnant l'Evangile. Autre exemple : mieux vaut, pour qu'un « petit reste » vive réellement l'Evangile, perdre un nombre important de Frères – sans doute les moins aptes à notre vocation – que de les main-tenir dans l'Institut en laissant se développer des formes de vie non évangéliques, ou, ce qui serait plus douloureux – hypothèse toujours – en perdant quelques-uns des meilleurs dont la Congrégation serait devenue indigne. Cette phrase paraîtra inacceptable à plus d'un. Peut-être cependant le paraîtra-t-elle moins si on se rappelle qu'Israël lui-même s'est rendu indigne. Le rêve du Bienheureux Fondateur sur les demi-Frères, appliqué à des réa-lités d'aujourd'hui, a toujours une vive importance.

[18]: Quantité d'hommes, depuis plus de 10 ans, ont vu, dans le moment historique que nous vivons, une occasion exceptionnelle pour t'Eglise, selon qu'elle sera capable ou non d'effectuer un profond aggiornamento d'elle-même devant le monde. Lombardi, Guardini, Fulton Sheen, entre autres, se sont prononcés là-dessus, mais, plus décisive peut-être encore, et plus autorisée, a été la voix des Souverains Pontifes, leurs discours, leurs documents, leurs actes. Il n'y a pas rupture, mais bien continuité d'une action unique prolongée et développée, entre l'appel de Pie XII pour créer un " monde meilleur » et l'appel de Paul VI dans Ecclesium Suam et Populorum Progressio, sans oublier le Concile et le Synode.

[19]: L'horaire est fait, le calendrier (le l'école est prévu, las ministères nous donnent leurs ordres détaillés (programmes, méthodes, moyens audio-visuels etc. …… etc. ……), et l'entrain et la joie de vivre de nos jeunes nous mettent devant le risque de vivre une vie banale et sans souci qui, comme dit Heidegger, coule «irréfléchie et négligente». alors que c'est la tragédie de l'échec ou du succès qui glisse entre nos doigts.

 

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