Circulaires 370

Basilio Rueda

1968-07-02

INTRODUCTION
a) Problèmes internes et problèmes du monde. b) Examen qui en découle. c) Dimensions de notre Chapitre Spécial. d) Trois Questions
LES CHRETIENS ET LE MONDE D'AUJOURD'HUI
A) NOTRE MONDE ET SES APPELS AU PEUPLE DE DIEU ET AUX HOMMES DE BONNE VOLONTE . 1) Moment historique exceptionnel. 2) ...mais profondes ambivalences
B) PREVISIONS POUR DEMAIN
I. FAITS 1) Espace conquis. 2) Importance de l'Asie. 3) Tiers-Monde. 4) Communisme soviétique en mutation. 5) Technicisation. 6) Association
7) Universalisation de la culture. 8) Internationalisation. 9) Mouvement migratoire. 10) Temps des laïcs dans l'Eglise
II. ASPIRATIONS. 1) Vie plus authentique. 2) Prendre le temps de vivre. 3) Rencontrer des personnes. 4) Humaniser les structures. 5) Egaliser les chances
6) Vivre dans la sécurité. 7) Vivre dans la paix. 8) Trouver une réponse aux grands problèmes
III. EXIGENCES POUR LES CHRETIENS
QUELOUES ASPECTS PARTICULIERS DE LA SITUATION
A) SITUATION MONDIALE DRAMATIQUE ET ANGOISSANTE. 1) La faim. 2) Le logement. 3) L'emploi
B) SOMBRES PREVISIONS POUR LE FUTUR IMMEDIAT
I. REFLEXION PRELIMINAIRE
II. BASES DE LA PREVISION
III. SITUATION REGRESSIVE DU TIERS-MONDE
1) Structures qui freinent. 2) Croissance démographique. 3) Fossé entre les deux blocs
IV. RESUME ET ECLAIRCISSEMENTS. 1) Collaboration internationale. 2) Apprendre aux peuples à participer. 3) Collaboration entre peuples sous-développés. 4) Revendications sociales à satisfaire à l'intérieur d'un pays
5) Ambiance de paix. 6) La violence donne comme résidu une nouvelle classe
7) Accomplir des changements rapides et profonds.

C) IMPERIALISME EN MARCHE
D) DANGER DE MATERIALISME REEL ET PROGRESSIF
I. FORMES RADICALES
Il. AUTRES FORMES
III. THEOLOGIE DE LA MORT DE DIEU
IV. ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE
V. APPRECIATION DES VRAIES ET FAUSSES VALEURS
E) DEVELOPPEMENT: NOTRE TACHE D'AUJOURD'HUI
I. DILEMME
II. SOLUTION? DEVELOPPEMENT RAPIDE .
III. EVOLUTION OU REVOLUTION
IV. VIOLENCE
V. NUANCES DE L'ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE
VI. DEVELOPPEMENT ET PARTICIPATION
VII. PRESENCE DE L'EGLISE: NECESSAIRE POUR L'HOMME
F) DEVELOPPEMENT IMPOSSIBLE SANS L'EDUCATION
I. L'EDUCATION FORME LES ARTISANS ET LES BENEFICIAIRE DU DEVELOP-PEMENT
Il. FACE AUX REALITES
III. PAR DES VOIES NOUVELLES SURTOUT COLLABORATION
IV. EDUCATION: LE MEILLEUR INVESTISSEMENT
V. APPLICATIONS PRATIQUES. 1) Intéresser les peuples au développement
2) Vocations au développement. a) The right man... b) Former les apôtres du développement. 3) Coordination et planification
VI. ACTUALITE DE NOTRE VOCATION. 1) Importance exceptionnelle aujourd'hui de notre vocal. 2) Si nous entrons dans la collaboration totale.
JALONS POUR UNE REFLEXION
(L'ADAPTATION DE LA CONGREGATION FACE A LA SITUATION). 1) Principe de Foi. 2) Principe de Charisme du Fondateur. 3) Principe d'attention au réel. 4) Recherches nouvelles dans la souplesse et l'authenticité
A) CONSEQUENCES POUR NOTRE ETRE. 1) Exigences de base. a) Lire notre temps à la lumière de l'Evangile. b) Etre en con-naturalité avec l'Evangile
2) Préparer demain et l'eschatologie. 3) Etre sensible et disponible. 4) Avoir le sens des grands problèmes. 5) Etre doctrinalement à la page. 6) Tenir compte des gens. 7) Etre convaincus de la valeur de notre vocation. 8) Trouver dans l'Evangile notre dimension verticale
B) CONSEQUENCES POUR NOTRE TACHE. 1) Philosophie et théologie de l'Education. 2) Objectifs à atteindre. 3) Politique éducative et institutionnelle
4) Pédagogie pour aujourd'hui. a) Qualités
b) Écueils
c) Que faut-il former?
d) Unir recherche du développement et idéal humaniste
e) Convaincre du rôle humanisant de l'Eglise .
f) Par la vie plus que par les livres
5) Planification. 6) Mouvements de jeunes. a) apostoliques et sociaux. b) de leaders. 7) Champs d'action complémentaires. 8) Recherche de subsides
9) Civiliser et évangéliser. 10) Attitude de service envers la Société et I'Etat
a) respecter toutes les valeurs. b) faire la synthèse entre l'actualité et l'eschatologie. c) collaborer sans esprit partisan. d) préparer des cadres .
e) en esprit de service .
11) Adaptation, mais non révisionnisme
CONCLUSION. a) Appels du monde et charité. b) Foi et générosité. c) Implications pratiques. Annexes 0, 1, 2, 3a, 3b, 4, 5a, 5b, 5c, 6, 7, 8, 9, 10, 11a, 11b
Liste des Défunts

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V.J.M.J.

 Rome, le 2 juillet 1968

CIRCULAIRE DU 2 JANVIER 1968

(suite) 

Un Chapitre pour le monde d'aujourd'hui 

(LES APPELS DU MONDE A NOTRE CHAPITRE) 

PREFACE 

        MES BIEN CHERS FRERES,

 Jusqu'ici, cette circulaire a fait le tour des problèmes internes de la Congrégation, mais dès le début de sa rédaction une conviction s'est implantée en moi et m'est apparue comme une des idées maîtresses que je devais vous communiquer ; à tel point même que si, dans les pages qui suivent, je ne réussissais pas à vous transmettre mon message avec une intensité suffisante, le texte précédent me laisserait à moi-même une impression d'insatisfaction et d'échec.

 a Problèmes internes et problèmes du monde.

 Ce que je veux dire c'est que le fond du message n'est pas ascèse – l'insistance sur ce point de l'ascèse a été suffisante pour éviter tout malentendu – mais charité. C'est le message d'un christianisme dynamique, audacieux, créatif, capable de rendre nos Capitulants et tous nos Frères plus réceptifs aux appels du monde et à ceux de l'Eglise conciliaire, et plus dociles dans leur réponse. Péguy a exprimé cela d'une façon magistrale : « Celui qui fait jouer la prière et le sacrement pour se dispenser de travailler et d'agir, c'est-à-dire, en temps de guerre, pour se dispenser de se battre, rompt l'ordre de Dieu même et le commandement le plus antique »[1].

Le danger qui nous menace est celui-ci : passionnés par la discussion de questions que j'oserais appeler domestiques, allons-nous épuiser et employer des mois de Chapitre à résoudre des détails de règlements ou de coutume, à parlementer sur des concessions, ou même à étudier les problèmes plus fondamentaux du gouvernement ou de la vie commune, en oubliant de réfléchir sérieusement sur ce que nous faisons et devons faire pour que toute la congrégation s'engage à fond en ce moment historique exaltant qui est le nôtre, où vibrent des appels urgents et angoissés ?

Le nom de ces appels aujourd'hui est en effet : Volonté de Dieu. Je ne veux pas pour autant minimiser le reste et inviter à s'en débarrasser, comme s'il s'agissait de choses secondaires, par la voie de la commodité et du laisser-faire. Tout au contraire. Posant comme fondement que ce sont les principes qui doivent nous guider et non la faiblesse, l'assemblée doit adopter une attitude de générosité et de plus grande exigence pour régler les questions de façon un peu expéditive en évitant recueil de la stagnation sur des points moins indiscutables. Même les structures de gouvernement qui, à coup sûr, constituent un objectif déjà plus sérieux, doivent être étudiées et mises au point avec la souplesse qui convient, sans que des préoccupations régionales rendent intarissable le dialogue et difficile l'accord.

J'irai plus loin. Ce bienheureux élan qui pousse tous les Capitulants à vouloir donner à la vie communautaire toute la profondeur et le bouillonnement de sève qu'elle manifeste dans les « feuilles roses » et qui existe dans le cœur des Frères à l'état de vœu, de souhait et d'espérance, il ne faut pas qu'il en reste au « quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum »[2]. Non, l'amour du Christ nous presse de ne pas nous renfermer dans la jouissance d'une vie communautaire, si douce et si plaisante soit-elle, et de faire de cet élan initial de notre Chapitre un point de départ pour une ouverture au drame du monde qui nous environne, dans l'esprit de « Gaudium et Spes » vécu selon la condition de notre vocation particulière.

 L'ascèse, le dialogue avec Dieu et la vie fraternelle sont trois grandes forces qui poussent à une prière et à un zèle authentiques en développant l'amour, car l'amour, quand il est vrai souffre de ne pas être efficace, face aux besoins de ceux qu'on aime.

Il faut que le Chapitre, outre sa réflexion doctrinale sur les grands thèmes d'ordre interne  : consécration, vie commune, essence de notre vocation mariste, examine si l'Institut fait en qualité et en quantité ce qu'il doit faire aujourd'hui. Le problème n'est pas simplement de dépenser vaille que vaille des trésors de générosité et de dévouement, mais bien de les employer à bon escient et de façon rentable.

 h) Examen qui en découle.

 Ceci exige un examen.

– Que nous demande-t-on aujourd'hui ? Nos hommes et nos ressources sont-ils employés selon l'esprit de notre vocation, dans les lieux et pour les objectifs les plus urgents et les plus productifs ?

– Quels conditionnements nous empêchent d'employer efficacement nos effectifs au service de l'Eglise ?

– D'où vient l'inertie qui nous immobilise ou nous rend moins disponibles et moins agissants ?

– Les déceptions apostoliques de pas mal de nos Frères obéissent-elles simplement à une manie de révisionnisme, à une frustration personnelle qui ne s'avoue pas, ou bien, au contraire, ne sont-elles pas, dans quelques cas, la voix de l'Eglise qui nous arrive à travers eux ?

– Quel type d'homme devons-nous former pour ce moment de l'Histoire ?

– Quel type de chrétien ?

La formation de cet homme, de quel genre d'humanisme s'inspire-t-elle et avec quel genre de pédagogie la réalise-t-on ?

– Que penser de la politique centrale et de la politique provinciale, quant à l'emploi des hommes et des fonds ?

Quel emploi faisons-nous des moyens financiers sur lesquels s'appuie un service apostolique à orienter selon une ligne de démocratisation de l'éducation qui fait certainement partie du charisme du Fondateur ?

 Voilà des interrogations très fortes et susceptibles de réclamer des changements très complets de mentalité et d'œuvres qui ne se feront pas sans une totale conversion. Les résultats de cet examen peuvent être, pour quelques provinces, douloureux et exigeants. Bénies soient-elles ces exigences si elles nous poussent à marcher dans une ligne plus évangélique. Il est évident que nous libérer de nos entraves et réorienter nos efforts sur des objectifs d'action plus adéquats est une tâche de la plus haute importance dans l'Institut. Ce sera aussi un moyen excellent de prouver aux Frères avec quel sérieux l'Institut, tout en restant lui-même et en se maintenant parfaitement fidèle au Fondateur, sans rupture avec le passé, entend recevoir l'appel du Concile et être sensible aux signes du temps.

 c) Dimensions de notre Chapitre spécial.

 Ainsi donc, cette quatrième partie voudrait être un vigoureux coup de gong appelant notre générosité capitulaire à dépasser le niveau honnête d'un Chapitre ordinaire et à atteindre, grâce à l'envergure des points de vue, les résultats d'un Chapitre réellement extraordinaire, d'un auto-examen non seulement d'ordre interne, mais étendu aux questions extérieures, c'est-à-dire affrontant la problématique la plus sérieuse et la plus grave qui se pose à la mission historique de notre génération et de l'Eglise dans le monde d'aujourd'hui, problématique et mission auxquelles notre cœur ne peut rester étranger ni notre action absente, sans pécher gravement contre la charité et sans étonner profondément et même scandaliser les hommes de bonne volonté.

Dans la condition qui est la nôtre, parler de témoignage de vie sans qu'il y ait aussi témoignage d'action, c'est s'évader du réel. On pourrait nous appliquer les mots de S. Jacques : « Si un frère ou une sœur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise : "Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous'', sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? »[3], ou ceux de S. Jean : « Si quelqu'un jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? »[4].

 On se rappelle la réaction de notre Fondateur quand on lui fit connaître qu'un Frère avait laissé partir un pauvre sans le secourir. Avec quelle anxiété voudrait-il aujourd'hui, devant l'appel du Concile et les besoins profonds du temps, que ce pauvre collectif du 20° siècle qui se présente aux portes de notre Institut, non seulement reçoive ce que nous pouvons vraiment lui donner institutionnellement, mais puisse en découvrir la source profonde : oui, que notre don lui révèle un amour vrai de notre part ; qu'en cet amour il devine l'authenticité du don que nous avons fait de nous-mêmes ; et que ce don de nous-mêmes l'introduise à la connaissance de la mort même du Christ dont nous sommes les pieds et les mains voués au service des hommes.

 C'est donc un Chapitre à la mesure des temps et du Concile, dans l'aujourd'hui de Dieu que nous sommes appelés à faire, en étant humainement plus réalistes et évangéliquement plus intrépides.

 d) Trois questions.

 Je me pose maintenant trois questions :

 1° Dans quel monde sommes-nous ? Quels sont les appels de ce monde aux hommes de bonne volonté et en particulier aux chrétiens ?

 2° Quel écho ces appels doivent-ils éveiller en nous, Frères Maristes du 20° siècle, porteurs l'amour, fruits du don très pur de l'Esprit, libérés des conditionnements externes par la consécration et porteurs du charisme d'un Fondateur qui nous voue dans l'Eglise à une tâche spécifique avec l'esprit caractéristique de notre Institut particulier ?

 3° Dans cette réponse que nous donnons aux appels du monde, comment greffer la tâche de l'évangélisation et de notre message d'éducateurs suivant les documents du Concile Vatican II, évitant d'un côté le danger que présenterait une consécration areligieuse au développement de l'humanité, et d'un autre, l'accusation d'être incapables de concevoir, nous religieux, une action bienfaisante sans cette contrepartie de prosélytisme qui semblerait démontrer qu'en réalité ce ne sont pas les hommes que nous aimons mais uniquement l'extension de notre groupe social ?

Les développements qui vont suivre ne se limiteront pas à ces trois points comme à un schéma ; mais répartissant les idées selon un schéma distinct (voyez la table des matières) je répondrai cependant aux trois questions posées dont les réponses se trouveront insérées et entrecroisées tout au long de cette circulaire.

 ———————————– 

Les chrétiens et le monde d'aujourd'hui 

A. NOTRE MONDE ET SES APPELS

AU PEUPLE DE DIEU

ET AUX HOMMES

DE BONNE VOLONTE [5]

 Le prieur de Taizé a très judicieusement mis les chrétiens en garde contre une tendance fréquente : « Face à la désaffection de la foi chrétienne de tant d'hommes, le chrétien d'aujourd'hui doit se faire violence pour aller au prochain et le connaître, là où il se trouve dans le monde. Plus que jamais, il nous faut une information sur la situation sociale, politique, économique : connaître le Inonde sur lequel le Christ règne aujourd'hui, mais où l'homme ignore la souveraineté du Christ. Connaître le monde suppose une volonté d'information objective et désintéressée. Plus qu'aucun autre, le chrétien doit être capable de prendre le recul nécessaire, de « dépassionnaliser » les situations, afin de ne plus être l'homme des jugements formels, des prises de position unilatérales[6].

 Tâchons donc de présenter les caractéristiques du monde actuel avec ses appels :

 1 – Moment historique exceptionnel.

 Nous sommes dans un moment historique exceptionnel qui fait suite à une série de changements sociaux très profonds[7]provoqués à un rythme vertigineux et progressivement accéléré, étendus presque à tous les pays avec des nuances et une accentuation propres aux caractères nationaux, mais où se trouve sous-jacent un phénomène commun de nature exceptionnelle : une civilisation meurt et une autre naît, et dans le sein de cette civilisation technique chargée d'ambivalences apparaît plus vivant que jamais, plus caressé que jamais, le rêve d'un monde différent, d'un monde meilleur. Nous sommes à un seuil qui s'ouvre sur une nouvelle ère de l'histoire.

Cette affirmation paraîtra moins gratuite si l'on sait qu'elle est confirmée par une série de penseurs : théologiens, sociologues, philosophes : mais les papes eux-mêmes et finalement le Concile ont dit leur mot dans le même sens[8].

En effet, des changements impressionnants ont marqué notre époque :

– croissance démographique explosive,

– accélération des évolutions,

–  révolution sociale en marche,

– provocation systématique de la fermentation et développement des phénomènes de révolution et subversion violentes,

– orientation des masses vers la recherche de l'unité,

– faim, ignorance, maladie atteignant des proportions douloureuses dans plus de la moitié du monde, et se présentant comme un défi lancé aux peuples nantis,

– division du monde en deux grands blocs politiques,

– division du monde en trois grandes situations économiques : peuples développés, peuples en voie de développement, et peuples en économie de subsistance », Si souvent appelés « peuples de la faim »,

– dans les peuples, phénomène « objectif » des grandes différences politiques, sociales, économiques, culturelles, et phénomène « subjectif » de la conscience progressive que tout homme prend de sa propre dignité et de son droit à l'égalité d'une part ; et de l'autre, phénomène de lutte raciale, de revendication sociale et de lutte des classes,

– socialisation progressive avec ses grands avantages et ses services, et en même temps ses graves limitations que nous montre le moment présent  : l'imperfection des méthodes et le peu de compte qu'elles tiennent de l'homme, de cet homme qui, en outre est mal préparé à s'intégrer dans cette civilisation,

– phénomène de croissance anarchique, avec l'abandon de la campagne et agglutination d'énormes banlieues de gens sans emploi autour des villes,

– former multiples d'instabilité (du logement et du travail),

– présence actuelle et agissante de la jeunesse dans les problèmes humains avec toute sa richesse et sa noblesse sans doute, mais aussi avec son défaut de préparation et de patience,

– moyens de communication physique et culturelle qui ont amené les masses à prendre conscience de vérités (ou de mythes selon le cas) qui éclairent parfois l'opinion, ou parfois l'illusionnent, et qui, en tout cas, ont fait éclater les îlots de sociétés fermées et fondent l'histoire des nations et celle des cultures en une seule,

– guerres qui ont secoué et continuent à secouer notre temps, et qui font vivre des sociétés entières dans la douleur et le monde entier dans l'angoisse.

La liste pourrait se continuer avec d'autres phénomènes d'envergure mondiale et leurs conséquences profondes. Qu'il suffise de la clore avec les graves crises de la foi et ce qu'on a appelé l'apostasie des masses et l'athéisme généralisé.

Avec ces changements d'aujourd'hui, tels qu'on vient de les rappeler, on a dépassé le niveau pré-technique de la société, et on entre dans une société marquée par un humanisme scientifique et une forte orientation industrielle. La présence au sein de cette société des expériences atomiques et de la conquête de l'espace sont l'étape ultime du parcours historique déjà réalisé. Il est tellement profond ce changement que certainement on peut parler d'une transformation de la mentalité, des 'meurs, de la façon de vivre, des relations humaines, des relations sociales, à tous les niveaux, et cela se fait à une cadence telle que le temps chronologique se trouve complètement « déphasé » par rapport au temps historique.

 Oui, elle est telle cette cadence que, par exemple, le changement et le progrès des moyens de communication géographique ont davantage progressé dans les 50 dernières années que pendant les 19 siècles de notre ère qui les ont précédées. Le résultat c'est que nous avons en face de nous un nouveau type d'homme dans une société, une culture et un monde eux aussi d'un type nouveau.

 2 …mais profondes ambivalences.

 Et cependant ce monde que nous avons forme est chargé encore d'ambivalences. La Constitution de l'Eglise dans le monde d'aujourd'hui en fait une description synthétique vigoureuse.

 C'est en effet une série de douloureuses ironies que nous présente la réalité (Gaudium et Spes. n. 10). De nouveaux biens et de nouveaux esclavages, plus de connaissances et cependant de nouveaux doutes sur les points les plus élémentaires, crise des vraies valeurs et adoption d'autres valeurs qui n'en sont pas toujours, et tout cela dans le cadre d'un indéniable et bénéfique progrès qui nous a apporté d'importants changements  :

– dans les rapports de l'homme avec la nature[9],

– dans les rapports de l'homme avec l'homme[10],

– dans les rapports de l'homme avec la société[11],

– dans les rapports de l'homme avec l'histoire[12],

– dans les rapports de l'homme avec les valeurs et la culture[13].

Mais ce ne sont pas toutes les créations et tous les changements qui sont faits dans un sens heureux. Dans ce monde, à cause même du dynamisme qui est en l'homme, de la promotion qu'il obtient, des ambivalences dont il se rend compte, de l'esprit critique qu'il acquiert au fur et à mesure qu'il devient plus conscient, des promesses que lui font les divers systèmes de pensée religieuse et politique, et, à côté de cela, des lacunes, des violences et des injustices dont il ne sent que trop la réalité, l'homme a soif d'un autre monde distinct où règnent vraiment la justice, l'amour, la vérité, le bien-être, la stabilité et la paix. 

B. PREVISION

POUR DEMAIN

 Nous nous trouvons devant une série d'interrogations : quelle peut être notre prospective face

à un lendemain dans l'évolution immédiate de notre Histoire ? Quelles exigences notre action déduira-t-elle de ces considérations ? Quels faits, quels dangers, quelles craintes, quelles espérances va nous révéler cette étude attentive du futur ? 

I. – FAITS

 Disons d'abord qu'il y a des faits qui semblent indiscutables ou du moins très probables, et dont voici sommairement les principaux :

 1. La conquête de l'espace au moins dans certaines limites.

2. La présence croissante de l'Asie, surtout de la Chine dans la politique internationale avec les graves problèmes qui peuvent en dériver selon altitude que prendra sa politique, et selon que sa mystique se figera ou évoluera.

3. La présence chaque jour plus grande du Tiers-Monde dans le cadre universel actuel, soit avec une aggravation tragique ou avec la solution progressive de ses grands problèmes, son poids démographique pesant aussi plus lourd dans la balance de l'équilibre mondial.

4. Très probablement aussi la transformation et le fléchissement progressif (révisionnisme et réformisme) et du régime capitaliste et du régime communiste soviétique[14]

5. Une technicisation et une spécialisation plus accélérées, et le remplacement progressif de l'homme par la machine. Cela permettra la libération de l'homme pour des travaux plus humains d'ordre culturel, si toutefois le revenu moyen, par suite d'une équitable distribution, augmente. Dans ce cas, des sources d'activité nouvelles et plus importantes s'ouvriront mais, dans le cas contraire, on n'aboutira qu'à l'augmentation du chômage et de la misère.

6. Un phénomène d'association progressive ; d'un côté avec l'Etat qui assimile quantité de services sociaux dont il assure le bénéfice à tout le peuple, et aussi avec des associations privées, selon les intérêts, les affinités et les besoins.

7. La formation et l'universalisation plus grandes d'une culture commune due aux moyens de communication sociale qui peut éveiller le goût d'une culture personnelle, celle-ci cependant risquant de perdre en substance ce qu'elle gagne en étendue.

8. Le dépassement des nationalismes, avec formation des solidarités de tout ordre, particulièrement d'ordre politique. Si l'on n'aboutit pas à une politique universelle, les affrontements deviendront de plus en plus massifs et dangereux, parce que chaque fois les blocs opposés seront plus grands. Leur puissance respective ne pourra imposer qu'un respect extérieur.

9. Un très ample mouvement migratoire.

10. Du point de vue de la religion (disons pour nous, de la religion chrétienne) une plus grande prise en charge par le laïcat des tâches de l'Eglise propres aux laïcs, un problème missionnaire d'envergure gigantesque, du fait même que de grands blocs humains au complet vont s'ouvrir, d'abord à la présence des chrétiens, puis à l'évangélisation, surtout si l'on cherche avec sérieux et sans adultérer le message du Seigneur, à l'adapter au monde d'aujourd'hui, à l'homme d'aujourd'hui, en ouvrant à ce monde et à cet homme des voies moins encombrées et de nouvelles formes d'évangélisation.

Proportionnellement, face aux prévisions démographiques, le ferment sera quantitativement inférieur, mais il faudra à tout prix qu'il soit qualitativement supérieur, c'est-à-dire qu'il soit davantage ferment, qu'il acquière plus de richesses et de potentialités intrinsèques et plus de capacité de diffusion.

II. – ASPIRATIONS.

 Les espérances sont aujourd'hui un soupir (un soupir que déjà Paul VI a appelé une clameur)[15]: demain ce sera une exigence universelle qui se manifestera en diverses aspirations :

1. Aspiration à une vie plus personnelle et plus authentique, face à une société qui étouffe la liberté et la pensée personnelles, face à des impératifs de productivité qui transforment l'homme .en un efficace robot dont on attend le maximum rendement pour une dépense minima – dépense à vrai dire qui n'est évaluée qu'en termes d'argent et de temps, car pour l'usure physiologique et psychologique, c'est autre chose[16]!

Selon la suggestive remarque de Pie XI, dans Quadragesimo Anno : « La matière inerte sort ennoblie de l'atelier, tandis que les hommes s'y corrompent et s'y dégradent »[17].

2. Aspiration à découvrir, dans le rythme actuel de la vie, un espace pour vivre avec soi-même dans l'intimité, mais dans une intimité qui soit conscience, équilibre, sécurité et auto-affirmation.

3. Aspiration à rencontrer des personnes et à tisser avec elles des rapports humains plus authentiques, plus profonds, plus désintéressés, plus vrais, plus chargés d'amour, et en outre des rapports qui soient ouverts, c'est-à-dire moins limités, moins conditionnés par tout l'étiquetage social de race, d'origine, d'activité professionnelle et de préjugés.

4. Aspiration à une humanisation des structures et services sociaux et techniques qui deviennent, il est vrai, plus à la portée de tous, et peut-être matériellement plus efficaces, mais qui sont aussi devenus mécanisés au point d'engendrer la dépersonnalisation.

Une revue de Sœurs infirmières attirait l'attention sur ce phénomène : « Dans un hôpital récemment inauguré, on a installé dans un local proche de la salle de réanimation un appareil moderne qui enregistre à distance et continuellement la température, le pouls et la tension du malade. Lorsque cette dernière par exemple baisse, un coup de sifflet aigu avertit l'infirmière de garde. Or, une nuit de veille, la religieuse responsable ne pouvait se résigner à être une simple observatrice d'un tableau de bord ; elle entre dans la chambre du malade qui, en principe, devait se trouver à demi conscient. Mais à la grande surprise de la sœur, celui-ci avait le regard anxieusement rivé à la porte. II ne pouvait pas parler, mais sa main se crispa pour saisir le tablier de la sœur et lui montrer des yeux la chaise qui était à côté du lit »[18]. On constate donc un réflexe de défense contre la «massificaion », et en faveur d'une possibilité de réalisation personnelle profonde : je suis quelqu'un, je suis connu, on tient compte de moi.

5. Aspiration à une saine égalité des chances, des possibilités, des disponibilités, de l'exercice des droits personnels et sociaux de toute sorte, et aspiration aussi à une légitime satisfaction des besoins de soi-même et de sa famille.

6. Aspiration à la sécurité de l'avenir : travail suffisant qui ne nuise pas à la cohésion de la famille, respect social et politique des biens et de la personne, et enfin assurance de ne pas être abandonné en cas de maladie ou de vieillesse.

7. Aspiration à un ordre national et international qui soit bon, assure la paix, fasse disparaître la guerre, l'injustice et la misère.

8. Désir de trouver une réponse objective et complète à tant d'interrogations douloureuses sur la vie (avec toutes ses composantes), du mal, de la douleur, de la mort, et en un mot, de l'au-delà.

 En résumé : passage du moins humain au plus humain, comme l'indique S. S. Paul VI, faisant sienne la pensée de grands sociologues chrétiens :

« Ainsi pourra s'accomplir en plénitude le vrai développement qui est le passage, pour chacun de nous tous de conditions moins humaines à des conditions plus humaines.

Moins humaines  : les carences matérielles de ceux qui sont privés du minimum vital, et les carences morales de ceux qui sont mutilés par l'égoïsme. Moins humaines : les structures oppressives, qu'elles proviennent des abus de la possession ou des abus du pouvoir, de l'exploitation des travailleurs ou de l'injustice des transactions. Plus humaines : la montée de la misère vers la possession du nécessaire, la victoire sur les fléaux sociaux, l'accroissement des connaissances, l'acquisition de la culture. Plus humaines aussi : la considération accrue de la dignité d'autrui, l'orientation vers l'esprit de pauvreté, la coopération au bien commun, la volonté de paix. Plus humaine encore : la reconnaissance par l'homme des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est la source et le terme. Plus humaines enfin et surtout : la foi, don de Dieu accueilli par la bonne volonté de l'homme, et l'unité dans la charité du Christ qui nous appelle tous à participer en fils vivants du Dieu vivant, Père de tous les hommes[19].

 III. – EXIGENCES POUR LES CHRETIENS.

 Une réflexion se présente alors à l'esprit : Ne devinons-nous pas que dans toutes ces aspirations à manifeste le dynamisme de la nature et de la grâce ? Sans cesse mis en œuvre par l'ascension humaine universelle, sans cesse aussi il est freiné par des sottises, des erreurs et des égoïsmes toujours renaissants. Il ne faut pourtant pas qu'il reste à l'état de chimère, mais devienne une réalité.

« Certains, dit encore le pape, estimeront utopiques de telles espérances. Il se pourrait que leur réalisme fût en défaut, et qu'ils n'aient pas perçu le dynamisme d'un monde qui veut vivre plus fraternellement, et qui, malgré ses ignorances, ses erreurs, ses péchés, même ses rechutes en barbarie et ses longues déviations hors de la voie du salut, se rapproche lentement, même sans s'en rendre compte, de son Créateur »[20].

Et puisque c'est le christianisme qui a les meilleures réponses et les plus grandes énergies pour réaliser ces aspirations qui sont profondément humaines et profondément chrétiennes, il faut par conséquent penser que les temps sont mûrs et gros de responsabilités pour une série d'actions des chrétiens dans le monde d'aujourd'hui. De quelle manière merveilleuse le disait l'inoubliable pape Jean dans son discours extraordinaire de convocation du concile :

 « Cette consolante présence du Christ n'a jamais cessé d'être vivifiante et opérante dans la Sainte Eglise, mais particulièrement dans les périodes les plus graves de l'humanité. C'est alors que l'Epouse du Christ se montre dans toute sa splendeur d'éducatrice de la vérité et de ministre du salut, et qu'elle manifeste aux regards de tous la puissance de la charité, de la prière, de la souffrance et des difficultés acceptées par amour de Dieu. Ces moyens surnaturels sont invincibles, car ce sont les mêmes dont s'est servi notre divin Fondateur qui a dit à l'heure solennelle de sa vie : "Gardez courage, j'ai vaincu le monde" (Jean, 16, 33).

L'Eglise aujourd'hui assiste à une grave crise de la société humaine qui va vers d'importants changements. Tandis que l'humanité est au tournant d'une ère nouvelle, de vastes tâches attendent l'Eglise, comme ce fut le cas à chaque époque difficile. Ce qui lui est demandé maintenant c'est d'infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l'Evangile dans les veines du monde moderne.

Nous savons que la vue de ces maux plonge certains dans un tel découragement qu'ils ne voient que ténèbres enveloppant complètement notre monde. Pour Nous, Nous aimons faire toute confiance au Sauveur du genre humain qui n'abandonne pas les hommes qu'il a rachetés. Nous conformant aux paroles de Notre-Seigneur qui nous exhorte à reconnaître "les signes des temps" (Math. 16, 3). Nous distinguons au milieu de ces ténèbres épaisses de nombreux indices qui nous semblent annoncer des temps meilleurs pour l'Eglise et le genre humain»[21]

Par conséquent, une chose est facile à prévoir  : les tâches que la génération montante aura à prendre dans la vie active du monde seront difficiles. C'est ce qu'écrivait déjà le père Lebret :

 « Les tâches de la génération montante seront particulièrement difficiles. Elle a tout à revivifier de la base au sommet, du village ou du quartier an monde. Elle a besoin d'un renouvellement de culture qu'elle seule pourra assumer à partir d'une connaissance précise des réalités élémentaires et d'une conscience aiguë des exigences de la solidarité universelle. Elle aura à répondre aux aspirations légitimes d'immenses masses humaines à plus avoir et aux aspirations de la totale humanité à plus valoir »[22]

 Elle verra donc avec une souveraine sympathie, si elle est clairvoyante et si elle cherche vraiment le bien commun, cette attitude des chrétiens et cet appui sérieux et exigeant qu'apporte l'Evangile. Dans cet Evangile elle trouvera à la fois la clef pour résoudre de façon simple les questions terre-à-terre et un constant appel aux réalités transcendantes, conçues non comme une évasion du devoir temporel, mais bien au contraire comme l'origine même de ce devoir temporel.

Mais arrêtons-nous un peu sur l'analyse des quelques problèmes qu'il semblerait particulièrement important de mentionner en vue du travail capitulaire[23]

Quelques aspects particuliers

de la situation actuelle 

     A. UNE SITUATION MONDIALE

     DRAMATIQUE ET ANGOISSANTE

 En effet, à côté des pays qui sont arrivés à un développement suffisant, nous trouvons d'immenses zones ou groupes humains qui dépassent les 50 % de la population mondiale et qui vivent dans des conditions très pauvres, voire misérables.

Or, certains besoins de l'homme sont vitaux et ne peuvent pas rester insatisfaits sans causer un très grand préjudice au développement humain l plus fondamental. Tels sont par exemple : une alimentation suffisante, des habits convenables, un logement, des rudiments d'éducation, le repos physique et culturel indispensable et un travail qui m'avilisse pas, permette de devenir une personne humaine à part entière et procure un revenu suffisant tout le long de la vie. Hélas, à quelles conditions lamentables se trouvent réduits ces besoins primordiaux pour des millions d'êtres humains !

 En général, en parlant de ces problèmes, on n'a pas su éviter la manie de l'exagération ou du sensationnel. Eh bien, sachez que je ressens une antipathie naturelle pour ces attitudes et que les affirmations que je ferai seront certainement fondées et feront l'impossible pour éviter ces écueils. 

Image pages 188-189  : Alimentation et population et répartition des populations. 

 1) La faim.

Mais la faim aujourd'hui est un fait réel qui atteint plus de 30 % des hommes : ce qui veut dire que ceux-ci ne disposent pas pour leur nourriture de la quantité de calories signalées par la FAO comme étant la ration alimentaire humaine minima. Encore faut-il ajouter que bon nombre d'hommes ne prennent pas qualitativement les calories exigées pour le bon fonctionnement de l'organisme, n'ayant pas à leur disposition les protéines et les albumines, selon la quantité exigée par un régime alimentaire normal.

Par conséquent l'état où se trouve l'alimentation du point de vue « qualitatif » (surtout en ce qui concerne les protéines) est beaucoup plus alarmant que l'état où se trouve l'alimentation du seul point de vue quantitatif. « Les aliments qu'ils mangent les maintiennent vivants, mais ils manquent de ces éléments nutritifs qui sont indispensables pour le développement, la vitalité et la résistance aux maladies. L'apparition des maladies "de carence" endémiques. telles que le kwashiorkor, la pellagre, le béribéri et le goitre, en plusieurs régions du monde, démontre la vérité de cette appréciation plus éloquemment que n'importe quelle liste impressionnante de statistiques »[24]

La présence de ces maladies, et par conséquent du grave phénomène de la malnutrition et de la faim pourra être observée dans la carte de « la distribution géographique du kwashiorkor ». 

               image page 191  : Aire géographique du kwashiorkor. 

Pour une meilleure illustration de l'état de l'alimentation dans le monde et sa distribution géographique, je joins aussi en annexe à cette circulaire 2 cartes détaillées, concernant la quantité de calories et de protéines absorbées par jour dans les divers pays.

  2) Le logement.

 Grave problème aussi que celui de l'habitat. Dans nombre de pays, à la campagne et dans d'importants groupes de population urbaine des faubourgs des grandes villes, les gens s'entassent dans des maisons qui ne correspondraient pas aux normes prévues pour les animaux domestiques dans des pays développés. Manuel Foyaca, citant divers auteurs, signalait en 1961 qu'il manquait en Amérique latine 30 millions d'habitations, étant donné l'état pitoyable de celles qui existent (pour l'article original et les auteurs cités, voir Este-Œste . Caracas, déc. 1963, p. 6 : Crise dans notre Amérique).

Avec une estimation. de style d'ailleurs bien conservateur, qui prendrait comme moyenne 4 personnes : le père, la mère, 2 enfants, ces 30 millions de maisons qui manquent représenteraient 120 millions de Latino-Américains. logés dans des conditions malsaines et insalubres.

Quel est le résultat de cette situation de l'habitat et de l'alimentation ainsi que du manque de services élémentaires ( drainage. eau réellement potable, lumière électrique, chaussures et habits indispensables pour lutter contre les éléments) ? Une grande partie de la population est atteinte par la maladie, rongée par les parasites. beaucoup d'enfants meurent dans leur première année.

     Image – 194 –. Taux de natalité des enfants en Europe et en Afrique.

 Les données dont nous disposons révèlent encore d'énormes différences dans les coefficients de mortalité infantile, suivant les diverses régions du monde. Parmi les enfants nés vivants, elles varient de plus de 200 pour 1.000 dans les principaux pays d'Afrique et de plus de 100 pour 1.000 dans les principaux pays d'Asie, jusqu'à moins de 30 pour 1.000 dans les pays qui peuvent compter sur des services sanitaires et d'assistance sociale efficace[25].

De même la mortalité de 1 à 4 ans varie grandement d'un pays à l'autre : en Suède par exemple, la proportion est de 1 pour 1.000, situation dont s'approchent les pays développés. Par contre dans les pays sous-développés (toujours d'accord avec le rapport du directeur de la FAO) elle est de 20 à 60 pour 1.000. Pour ce qui a trait à l'âge de moins d'un an, le nombre de morts par 1.000 en Suède est de 16, tandis que dans les pays sous-développés, il est de 100.

Le niveau moyen de vie de la population dans les pays sous-développés atteint rarement les 50 ans. Par contre dans les pays en plein progrès. on estime qu'il approche des 70 ans[26]. Voir tableau de mortalité infantile et moyenne de vie à l'annexe (1). 

       Image – 195 –. Répartition de la population mondiale agricole et non-agricole. 

3) L'emploi.

 Le problème de l'emploi et des salaires est aussi très grave. A la campagne – je parle des mêmes pays – la rémunération des travailleurs est très mauvaise. La grande majorité d'entre eux sont au service de grands propriétaires. Ceux qui possèdent des terres de vrais mouchoirs de poche – peuvent à peine cultiver de quoi assurer leur propre consommation. D'autres enfin vivent du soin d'un troupeau limité à quelques têtes de bétail. Dans beaucoup de régions, la concentration des terres aux mains d'un nombre réduit de propriétaires en laisse incultes des étendues considérables. Sans toucher ici au problème de la distribution, au. moyen de statistiques qui mettraient en relief l'injustice dans les régimes de fermage, je me limiterai à un mot sur le bas rendement agricole, l'émigration des travailleurs de la campagne à la ville, et l'état de chômage ou d'emploi mal rémunéré où ils se trouvent.

C'est un fait que le rendement agricole est très bas dans les pays sous-développés. Dans les pays de niveau de vie élevé, comme ceux d'Europe Occidentale, du Royaume-Uni, de l'Amérique du Nord et de l'Océanie, le pourcentage de population qui travaille dans l'agriculture oscille entre 35 et 5 %, tandis que dans beaucoup de pays d'Asie et d'Afrique, travaillent la terre 80 % ou plus de la population.

Dans le Royaume-Uni, par exemple, il n'y a que 5% de travailleurs agricoles ; en Thaïlande, par contre, 85 %[27].

Le résultat de la production est très loin de s'aligner sur ce pourcentage puisqu'on calcule (Estimations de la FAO) que la production d'une famille agricole africaine ne suffit pas pour alimenter une autre famille africaine, une fois ses propres besoins satisfaits, tandis qu'une famille moyenne du type de pays développé, produit suffisamment pour alimenter un nombre de familles non agricoles qui oscille entre 10 et 20.

 Le tableau suivant : « Distribution par régions de la population agricole et non-agricole du monde»[28]nous montre de grandes différences de distribution de la population laborieuse entre agricole et non-agricole. .J'attire votre attention sur ce tableau, à cause de la comparaison qu'il permet entre USA et Amérique Latine. Les USA ont approximativement 12 % de la population laborieuse dans l'agriculture ; l'Amérique Latine, environ 53 %. Les premiers produisent non seulement tout ce qui est suffisant pour alimenter le reste de leur population, niais ils ont, en outre un excédent qui leur permet un haut niveau d'exportation (même si ce doit être donné), et parfois il faut payer les fermiers pour empêcher une culture et éviter ainsi les frais de stockage.

L'Amérique latine, elle, ne réussit pas à produire globalement ce dont elle-même a besoin, et elle se voit souvent dans le besoin incroyable, mais réel, d'importer des produits alimentaires[29].

Nombreux sont les facteurs déterminants de cette situation, et ce n'est pas la place de les analyser ici, mais certainement ils exigent d'être surmontés, en particulier par les efforts d'une éducation qui accepte de prendre sa part de responsabilités et de collaboration.

Dans le passé latino-américain, par exemple, d'après le rapport du sous-directeur de l'UNESCO (p. 573), on a orienté seulement 1 % des élèves finissants de l'Enseignement moyen vers des cours de perfectionnement agricole, et seulement 2 % des étudiants universitaires vers les études d'agronomie : situation réellement absurde par rapport à ce que nous venons d'analyser.

Quant au nombre d'émigrants de la campagne à la ville, il présente (dans des pourcentages variables) un autre phénomène très sérieux pour le problème de l'emploi ou du chômage partiel. « II y a un autre fait, dit Prebisch, qui est peut-être le facteur le plus puissant des tensions sociales. Une proportion importante de la population active, grandit sans être absorbée, de façon satisfaisante, dans le processus de production : elle reste en marge du développement économique. Ce phénomène a lieu principalement dans la population qui se déplace de la campagne vers la ville. Là, la croissance démographique dépasse peut-être la moyenne générale de 2,9 % par an ; mais seulement 1,5 % environ est resté dans l'agriculture au cours de la dernière décade. Ainsi doit-il en advenir nécessairement dans le cours du développement économique ; mais ce qui ne peut être accepté, c'est le sort de ces gens. Loin de s'intégrer dans la vie des cités, de s'assimiler à une forme d'existence améliorée, ils improvisent des mansardes misérables et végètent dans toute une gamme de « services particuliers » aux revenus très précaires, avec des périodes entières de chômage.

Généralement, dans les villes il y a pléthore de manœuvres dont les revenus sont très bas : chômeurs, « services particuliers » non qualifiés, depuis les services domestiques jusqu'aux plus bas services de la rue. C'est pourquoi en ville le chômage ou la sous-occupation (emplois purement éventuels et incertains, occupation parasite ou fictive) touchent d'importantes zones des habitants des banlieues.

L'Amérique latine, elle, ne réussit pas à produire globalement ce dont elle-même a besoin, et elle se voit souvent dans le besoin incroyable, mais réel, d'importer des produits alimentaires[30].

Nombreux sont les facteurs déterminants de cette situation, et ce n'est pas la place de les analyser ici, mais certainement ils exigent d'être surmontés, en particulier par les efforts d'une éducation qui accepte de prendre sa part de responsabilités et de collaboration.

Dans le passé latino-américain, par exemple, d'après le rapport du sous-directeur de l'UNESCO (p. 573), on a orienté seulement 1 %, des élèves finissants de l'Enseignement moyen vers des cours de perfectionnement agricole, et seulement 2 % des étudiants universitaires vers les études d'agronomie : situation réellement absurde par rapport à ce que nous venons d'analyser.

Quant au nombre d'émigrants de la campagne à la ville, il présente (dans des pourcentages variables) un autre phénomène très sérieux pour le problème de l'emploi ou du chômage partiel. « Il y a un autre fait, dit Prebisch, qui est peut-être le facteur le plus puissant des tensions sociales. Une proportion importante de la population active, grandit sans être absorbée, de façon satisfaisante, dans le processus de production : elle reste en marge du développement économique. Ce phénomène a lieu principalement dans la population qui se déplace de la campagne vers la ville. Là, la croissance démographique dépasse peut-être la moyenne générale de 2,9 % par an ; mais seulement 1,5 % environ est resté dans l'agriculture au cours de la dernière décade. Ainsi doit-il en advenir nécessairement dans le cours du développement économique ; mais ce qui ne peut être accepté, c'est le sort de ces gens. Loin de s'intégrer dans la vie des cités, de s'assimiler à une forme d'existence améliorée, ils improvisent des mansardes misérables et végètent dans toute une gamme de « services particuliers » aux revenus très précaires, avec des périodes entières de chômage.

Généralement, dans les villes il y a pléthore de manœuvres dont les revenus sont très bas : chômeurs, « services particuliers » non qualifiés, depuis les services domestiques jusqu'aux plus bas services de la rue. C'est pourquoi en ville le chômage ou la sous-occupation (emplois purement éventuels et incertains, occupation parasite ou fictive) touchent d'importantes zones des habitants des banlieues.  

  B. SOMBRES PREVISIONS

  POUR LE FUTUR IMMEDIAT.

 I – REFLEXION PRELIMINAIRE.

Je m'explique. Il peut exister des situations réellement graves mais où l'indice d'amélioration se présente avec un rythme d'accélération assez progressif pour permettre d'attendre un soulagement prochain, et pour légitimer dans le présent, sinon l'inactivité – attitude absurde et pernicieuse – du moins une patience que justifie la prévision d'un avenir meilleur pour lequel on travaille en même temps qu'on l'espère.

Mais hélas, telle n'est pas notre situation : Tout au contraire, les prévisions sont pour le moins préoccupantes. Ce n'est pas pour le plaisir que je parle ainsi, mais il faut parler ainsi, non pour semer le pessimisme et dénaturer les faits, mais pour appeler à une prise de conscience, susciter la responsabilité et l'action.

L'état actuel des choses demande non seulement de la sensibilité, de la disponibilité et de l'action personnelle, mais de la sensibilité et de l'action communautaires et institutionnelles. C'est tout l'Institut qui doit se mettre en mouvement, s'organiser en une vaste coopération selon les objectifs qui sont les siens, de par sa nature elle-même, et s'insérer dans le travail mondial pour le développement. Cette insertion doit en effet s'accomplir dans et avec les forces qui travaillent ensemble à construire, et non avec celles qui, même bien intentionnées, portent à leur paroxysme des difficultés mineures, enrayant ainsi les efforts positifs.

Avant d'en venir à vous expliquer les raisons de ces préoccupations inquiétantes, je dois préciser qu'il ne s'agit cependant pas de vérités mathématiques, mais de probabilités sociologiques au sujet desquelles il y a non seulement diversité d'opinion et d'interprétation, mais toujours démenti possible par un développement historique qui garde ses impondérables.

L'humain en particulier, et l'historique en général sont, en toute rigueur de termes, imprévisibles. Ce n'est pas leur seule nature qui est imprévisible : d'une part, il est vrai, on ne peut pas, avec une certitude absolue faire des conjectures, mais de plus, la prise de conscience que déclenchent ces conjectures porte à des actions personnelles et sociales capables de modifier la marche pour ainsi dire automatique des choses, et de changer le cours de I’histoire, c'est-à-dire de la situation à laquelle aboutissait logiquement la dynamique naturelle, si la prise de conscience et les réactions psychosociales déjà discernables à travers les mesures de prévision ne s'étaient pas produites.

C'est évidemment dans ce but que seront faites les affirmations suivantes, pour créer parmi nous ces réactions et pour nous faire voir, comme éducateurs préparant la génération montante, la remarquable possibilité que nous avons de faire évoluer l'Histoire, à condition toutefois de savoir nous y préparer en plaçant les hommes à des postes-clés, en travaillant[31], à l'aide de programmes bien faits, à créer des courants de pensée et à faire mûrir de bonnes réactions psychosociales par le moyen de l'éducation pour le développement[32].

 Il – BASES DE LA PREVISION.

 Sur quoi peuvent donc s'appuyer les sombres prévisions dont je voulais parler ci-dessus ? Essentiellement sur un éloignement tragique entre peuples développés et Tiers-Monde. Une statistique dynamique prouve que, au fur et à mesure que les années passent, s'approfondit tragiquement le fossé des inégalités de telle façon que, suivant la judicieuse remarque de Populorum Progressio[33]  : « Les peuples pauvres restent toujours pauvres et les riches deviennent toujours plus riches »

En effet si on fait une étude comparative des rapports existant dans chacun des groupes entre  :

– le niveau et le type d'études et les comportements, mentalités et mœurs ;

– l'indice de réinvestissement économique et le niveau d'industrialisation ;

– l'unité de voies de communication par km²' et l'unité d'énergie électrique par habitant ;

– l'analyse des importations et des exportations ;

– l'analyse de la situation financière, etc. …

et si cette comparaison se poursuit sur l'espace des dernières décades, on voit une situation régressive des pays pauvres par rapport aux pays riches.

Ce point est si important que je dois m'arrêter un peu longuement pour démontrer qu'une situation régressive existe fort bien dans une partie Importante du Tiers-Monde.

 III Situation régressive du Tiers-Monde.

 En certaines régions du Tiers-Monde – et parfois importantes il s'est créé une situation régressive par rapport aux pays industrialisés. Mais, pire encore – bien qu'ici la remarque ne vaille que pour des situations plus limitées cette régression s'est produite non seulement en référence à d'autres pays mais au niveau du pays lui-même par rapport à son propre passé. Cet état de choses a porté certains économistes à appeler ces pays non pas pays « en voie de développement », mais « en oie de sous-développement ».

Ce n'est un secret pour personne que la distribution actuelle de la richesse – pour des motifs divers parmi lesquels il faut citer les grandes différences des niveaux d'industrialisation et de culture[34]a créé dans l'ordre international une situation très différenciée en ce qui concerne l'indice de revenu par tête.

Le 1ierfévrier 1961, le New York Times publiait les revenus annuels par tête de l'Amérique Latine en 1960 :

– En Amérique Latine : 300 à 350 $ de moyenne.

– Les pays latino-américains en général oscillent entre 700 et 100 $. Un exemple : Haïti atteint à peine 100 S.

– Les USA atteignent 2.400 $.

– Le revenu national des USA en 1960 fut de 432.000.000.000 $, alors que l'Amérique Latine n'atteignait que 72.000.000.000 $.

Mais le problème déjà si aigu ne finit pas là. D'abord cet indice par tête est en soi purement nominal, même dans les pays très développés, à cause d'une distribution trop inégale entre habitants et entre classes sociales pour pouvoir refléter la situation économique des personnes réelles. En outre, il faudrait tenir compte du pouvoir d'achat de la monnaie, de l'augmentation ou diminution du coût de la vie, de l'inflation monétaire, de l'existence ou non-existence sur place de tel ou tel produit, du besoin d'importer les denrées de « consommation », et enfin de tant d'impondérables qui ont sur l'économie d'une famille une répercussion plus ou moins sensible.

Raoul Prebisch, dans une importante communication au CEPAL intitulée : « Hacia una dinâmica del Desarrollo Latinoamericano », touche aux sombres profondeurs du problème ; « Le contraste social est en réalité impressionnant. En effet tandis que 50% de la population se contente de 2/10 environ de la consommation, à l'autre bout de l'échelle de distribution, 5 % des habitants jouissent de presque 3/10 de ce total, d'après quelques estimations conjecturales»[35].

Un économiste qui n'appartient pas à un pays du Tiers-Monde me confiait confidentiellement les données suivantes qui reflètent une angoissante situation sociale : « 4 % de la population ont un revenu supérieur à 2.000 $, 20 %, un revenu moyen de 165 $ et 76% un revenu inférieur à 85 $»[36].

En tenant compte de ces données de hase, il sera facile de voir comment se produit le phénomène régressif :

 1. Structures qui freinent.

 Lors même que la conscience sociale devient plus exigeante – Dieu merci – et que les droits de la personne sont de mieux en mieux respectés, l'existence de certaines structures empêche ou rend difficile le progrès dynamique ou l'intégration des groupes sociaux marginaux dans la marche au progrès. Le « déphasage » est de plus en plus marqué entre la conscience sociale d'une part et, d'autre part, la réalisation des revendications sociales et une installation adéquate du progrès, tout cela exerçant sur certaines économies instables une forte pression qui établit un équilibre qu'on a pu nommer « équilibre de carences », menacé qu'il est d'une rupture imminente. C'est ce qui explique, dans le panorama social cet horizon bas et chargé : le mécontentement bout dans les masses populaires. Comme l'a très bien dit Robert Hendrickx : « Plus menaçant que le fait objectif de l'inégalité est encore que les peuples deviennent de plus en plus conscients de l'écart et se révoltent contre l'injustice de cette situation »[37].

Cependant, précisons. Ce n'est pas le fait même de l'aggravation de la crise sociale qui est le signe de régression, mais la résistance des structures à évoluer jusqu'à des solutions justes et un progrès dynamique au fur et à mesure qu'évolue la conscience collective.

 2 – Croissance démographique.

 La croissance démographique – vraie explosion dans certaines régions crée de telles exigences d'aliments, de vêtements, de logement, d'éducation, de la part des nouvelles générations que l'augmentation du produit et du revenu d'ensemble

ne peut pas suivre. La population active – celle comprise entre l'âge pré-scolaire ou scolaire et les vieillards se réduit à la proportion de 1 pour 2 dans ces régions. Il faut d'autre part tenir compte de l'indice très bas de sa préparation scientifique et technique, ce qui se traduit immédiatement par un faible rendement agricole et industriel de la population active. Et je ne touche pas ici le grave problème du chômage et celui des travailleurs d'occasion, un des facteurs les plus profonds de l'angoisse, du désespoir et des tentations de la violence.

Nous pourrions conclure avec bon nombre d'économistes que la croissance démographique dévore la croissance économique, ce qui oblige à faire appel à une assistance d'appoint et empêche ou au moins freine le progrès. Et sur l'ensemble du tableau se profile la grave menace du chômage pour toute une masse de population qui arrive à l'âge du travail mans que le développement agricole et industriel ait créée les places nécessaires ; les conséquences sont faciles à deviner[38].

Quelques données serviront à illustrer cette vision succincte mais cohérente. La croissance démographique de l'Amérique latine dont l'indice était de 1,8 %, par an au début du siècle en est maintenant à 2,9 % (d'après Prebisch) et tend à dépasser ce chiffre.

Le tableau suivant appuyé sur les statistiques de la FAO nous permet de voir la façon dont est distribué le revenu mondial. Il est impressionnant de voir l'inégalité criante qui, d'une part. est la conséquence presque normale de la situation des économies nationales, mais qui, du point de vue des besoins et de la solidarité mondiale se présente comme une menace. Les pays sous-développés en effet, ont (proportionnellement au nombre des habitants) une participation au revenu mondial très inférieure (voir col. 3 et 4) à celle des pays développés (on a pris comme terme de comparaison les USA) et ce sont eux qui doivent faire face actuellement à une croissance démographique très accusée, avec leur grande pauvreté et leur grand manque d'infrastructure pour le développement de l'industrie (électrification, voies de communications, etc. etc….

 TABLEAU COMPARATIF DE LA PROPORTION ENTRE

POPULATION ET PARTICIPATION AU REVENU MONDIAL 

Amérique

Latine                 4,7%                6,8%    0,69 %             8, 6                   fois moins

 

Océanie             1,5%                0,5%    3,00 %             1,98                 »          »

 

Proche

Orient                 1,8%                4,4%    0,41 %             14, 5                »          »

 

Extrême

Orient                 12,3 %              53,3 %     0,234 %            25, 2                »          »

 

Afrique                 2,2 %                7,1 %    0,31 %             19, 2                »          »

 

Amérique

du Nord            39,8%              6,7 %    5,95 %             ——

 

Europe

(Avec URSS)     37,7 %         22,2 % 1,69 %   3,52                 »          »

 

Le tableau suivant nous permettra de voir la croissance prévisible de la population jusqu'à l'année 1980, par continent. Pourra-t-elle, cette croissance, être suivie par un « développement » et par une augmentation des aliments dans une proportion adéquate ? C'est là une demande dont la réponse est très problématique et nous pouvons dire ce qui paraît vraisemblable, que le oui ou le non dépendent en grande partie de l'attitude des peuples développés et aussi, chose qui n'a pas été assez dite, des peuples sous-développés. Pour faire mentir la complexité du problème, voici encore une citation de Prebisch qui aborde le problème avec préoccupation et sérieux, laissant de côté avec un grand respect, la question de la limitation des naissances dans la conscience qu'il a des valeurs supérieures[39].

A son tour Michel Cépède, président du Comité interministériel de l'alimentation et de l'agriculture, et délégué de la France à la FAO a démontré que le problème ne se traite pas avec des solutions d'évasion et de commodité, mais par une voie radicalement opposée, en faisant face courageusement à la croissance démographique dans un contexte de solidarité et de collaboration des pays riches envers les pays pauvres et c'est d'une exceptionnelle urgence dans les 15 ans qui viennent. Pour ne pas surcharger cet exposé, je renvoie à l'annexe l'expression d'attitudes si intéressantes (annexe 10, 11a, 11b).

 

PRÉVISION SUR L'AUGMENTATION DE LA POPULATION

DANS LE MONDE ET PAR CONTINENTS

 

             1965                      1970                             1975                             1980

Monde                3.269.154.000            3.573.086.000            3.906.612.000           4.267.906.000

 

Afrique               305.173.000               345.949.000               393.257.000               448.869.000

 

Amérique

Latine                 244.552.000               282.177.000               324.874.000               373.652.000

 

Amérique

du Nord              213.150.000               226.803.000               242.942.000               261.629.000

 

Europe              440.301.000               453.918.000               466.772.000               479.391.000

 

Océanie             17.166.000                  18.723.000                  20.451.000                  22.601.000

 

Faisons encore une référence à l'habitat, en nous rappelant ce qui a été dit sur ce point à la page 192 par le P. Foyaca. D'après cet expert il faut donc pour couvrir le déficit de l'Amérique Latine, bâtir à un rythme de 1 million de nouvelles maisons par an. Ce rythme couvrirait le déficit actuel des maisons qui auraient dû être bâties, et ferait face à l'augmentation progressive de la population. Or actuellement la moyenne annuelle est 166.000, ce qui laisse voir quelle ligne régressive se dessine.

Si nous nous mettions à comparer l'état de la scolarité (technique et professionnelle), la démocratisation du point de vue des niveaux et de l'orientation, dans les pays développés et les pays sous-développés, nous trouverions de nouvelles raisons de préoccupation. Par exemple, tandis que l'Allemagne a un pourcentage de scolarité de 69 % dans le premier cycle secondaire et de 78 % dans le second cycle, Haïti n'atteint respectivement que 28 % et 5 %. Il n'est pas difficile de prévoir quelles conséquences cela suppose pour l'avenir.

Cette analyse appuyée sur les facteurs que je viens de vous présenter m'amène au troisième point de ma démonstration :

 3 – Fossé entre deux blocs.

 La distance entre les deux blocs extrêmes s'élargit : celui des pays développés (de base économique libérale ou socialiste), et celui des pays sous-développés[40].

La croissance économique des premiers (et cette affirmation vaut aussi pour la classe privilégiée d'un pays sous-développé) ne mériterait aucun reproche si elle ne se réalisait pas aux dépens du travail et grâce à l'exploitation injuste des seconds ; si on ne créait pas des trusts et des monopoles tellement puissants que leur pouvoir financier arrive parfois à dépasser celui des grandes puissances et à bloquer les plans de politique nationale et internationale ; si on n'établissait pas avec une flagrante injustice (injustice étant pris dans son sens le plus général, non dans un sens libéral ou néo-libéral) les conditions du marché international, les facilités ou les blocus d'importations ou d'exportations, etc. etc. Moyennant nuances, on peut affirmer avec raison et sérieux que la croissance économique des peuples développés s'est faite aux dépens des peuples sous-développés même si ce n'était pas là l'objectif premier et direct.

Pour confirmer ces assertions, voici quelques données officielles de l'ONU :

L'augmentation annuelle par tête, du revenu national des pays industrialisés est 30 fois supérieure à celle des pays en voie de développement. La participation de ces derniers dans les exportations mondiales est descendue de 27% en 1953 à 19,3% en 1966. Dans ces pays en effet les exportations sont passées de 23.100.000.000 à 38.100.000.000 de dollars tandis que dans les pays développés cette augmentation est passée de 60.200.000.000 à 140.200.000.000 de dollars. Le prix des matières premières sur le marché international est descendu au point de réduire le pouvoir d'achat des pays sous-développés de 2.500.000.000 de dollars chaque année.

La participation des pays développés en exportations de marchandises industrielles accapare plus de 70% du marché international, tandis que les pays sous-développés n'atteignent que 17%.

La dette extérieure des pays en voie de développement est passée de 10.000.000.000 de dollars en 1955 à presque 40.000.000.000 en 1966, et les annuités pendant cette même période sont passées de 1.000.000.000 à 4.000.000.000.

Le tableau suivant nous montre les prévisions sur l'évolution probable du revenu par tête de 1953 à 2000. Dans la mesure où ces prévisions sont justes et où une série d'actions délibérées ne modifieront pas cette évolution, on voit comment les pays développés accumulent des revenus par tête à un rythme qui fait continuellement progresser leur richesse tandis que les pays sous-développés – toujours en les comparant aux USA – s'appauvrissent graduellement, élargissant ainsi le fossé entre le bloc développé et le bloc sous-développé.

 

EVOLUTION PROBABLE DU REVENU NATIONAL PAR

TÊTE (EN DOLLARS 1952 -1954). COMPTE TENU DE

L'ACCROISSEMENT PRÉVISIBLE DE LA POPULATION

DANS LES DIFFERENTES PARTIES DU MONDE[41].

 

Amérique

du Nord              1830    1          2010    1          3090                1                       4125                1

 

   Europe              490      3,7       995      2, 1      1420                2,17                 2610             1,57

Occidentale

 

URSS.                   445      4,1       1120    1,79     1785                1,73                 3710             1,11

 

Amérique

Latine                     260      7,0       770      7, 4      290                  10,65               370             11, 1

 

Afrique               75        24,4     76        26, 5    80                     38, 5                94             43, 7

 

Asie (sans la Chine

continent.)           65        28,1     73        27, 5                82        37, 7                106         38, 8

 

C'est contre cette situation que les encycliques Mater et Magistraet PopulorumProgressio ont déjà élevé la voix. Cette brève remarque serait suffisante si on instaurait sur le terrain économique et social une politique internationale honnête et surtout chrétienne et cela suppose comme conséquences le paiement équitable des matières premières et la mise en pratique d'une vraie justice et d'une vraie solidarité internationales, qui, soit dit en passant, n'ont pas fort progressé à New Delhi.

De plus, tous les peuples doivent comprendre et accepter ce qu'a dit Jean XXIII et répété Paul VI à la suite de plusieurs penseurs sociaux, qui en avaient l'intuition. Ce qui, hier se disait au niveau des individus ou des sociétés à l'intérieur d'un pays, peut être aujourd'hui appliqué sans hésitation par tout homme de bonne volonté à l'ensemble des nations : les richesses d'un pays qui nage dans l'abondance doivent être consacrées, une fois satisfaites les justes exigences à l'intérieur de ce pays – au développement des pays pauvres, étant bien entendu que cela n'est ni aumône, ni injustice.

« Il faut aussi le redire : le superflu des pays riches doit servir aux pays pauvres. La règle qui valait autrefois en faveur des plus proches doit s'appliquer aujourd'hui à la totalité des nécessiteux du inonde »… C'est dire que la propriété privée ne constitue pour personne un droit inconditionnel et absolu. Nul n'est fondé à réserver à son usage exclusif ce qui passe son besoin quand les autres manquent du nécessaire »[42]. « Ce n'est pas de ton bien, disait St. Ambroise, que tu fais largesse au pauvre, tu lui rends ce qui lui appartient, car ce qui est donné en commun pour l'usage de tons, voilà ce que tu t'arroges. La terre est donnée à tout le monde et pas seulement aux riches »[43].

Il va sans dire que lorsqu'il y a eu franchement injustice, il doit y avoir travail de réparation au niveau international, et que les richesses dont il est question ici ne concernent pas précisément des injustices, mais doivent s'entendre de la prospérité qu'un peuple a obtenue comme résultat d'un développement à partir de ses biens propres et légitimes, des ressources qu'ont fait fructifier des hommes et des peuples qui avaient haute culture, génie et créativité.

 IV – RESUME ET ECLAIRCISSEMENTS.

 J'espère que cet exposé a mis en suffisante clarté – même si peut-être il restait possible de mieux souligner tel point et de nuancer tel autre – que la situation actuelle déjà très sombre, va en empirant dans beaucoup de régions. Cela est dû à diverses causes que l'on peut synthétiser ainsi  :

– la lenteur des transformations face à des peuples qui prennent de plus en plus rapidement conscience de la justice des revendications sociales,

– le décalage entre les besoins les plus élémentaires considérés sous leur aspect démographique, qui croissent à un rythme de plus en plus essoufflé derrière celui du développement et de la distribution des richesses produites,

– l'écart économique injuste entre le bloc des peuples développés et celui des peuples nécessiteux,

– finalement la convergence des trois dans des cas malheureusement assez nombreux.

Quelques précisions s'imposent :

1) Les formes de collaboration internationale peuvent être diverses même si elles ne sont pas forcément celles que préconisent les démagogues et les factieux.

2) L'aide ou assistance pure et simple à un pays pauvre est inacceptable comme solution et comme compensation. Cette formule ne peut tranquilliser la conscience ni donner l'impression du devoir accompli à celui qui a manqué à la justice (par le jeu d'un système économique) ; pas plus qu'elle ne peut résoudre le problème du développement des peuples. De plus elle a bien des aspects discutables. Evidemment il n'en va pas de même si cette aide vient de ceux qui n'ont pas commis d'injustices. Dans ce cas, si l'on a présents à l'esprit les préceptes ci-dessus énoncés, si l'on tâche de remédier avec urgence aux situations les plus cruciales qui mènent au bord même de la mort, si l'on enseigne à l'homme et à la communauté à s'aider eux-mêmes, à faire eux-mêmes leur propre promotion en s'occupant progressivement de les y sensibiliser, de les y former, de leur en donner les moyens, alors on réalise une œuvre qu'il faut applaudir, promouvoir et diffuser à travers le monde.

Ceux qui inconsciemment attaquent ce système donnent l'impression peut-être cette impression ne correspond-elle pas toujours à la réalité d'une collaboration avec la tactique marxiste-léniniste classique qui demande à ses activistes de saboter ce qui s'appelle, dans leur langage, les formes bourgeoises.

3) L'injustice et l'exploitation (ces termes riant pris dans leur sens intégral) existent aussi dans les pays pauvres : et il est bien regrettable que ce soi) fort peu souligné chez les professionnels de la violence internationale. On se demande à la lumière d'une justice qui serait intégrale de quel droit un gouvernement ou un pays du Tiers-Monde accuserait d'impérialisme une grande puissance – même si c'est réel  alors que ce pays lui-même à son échelle et à la mesure de ses possibilités, a une attitude identique envers un autre pays ? Cette mentalité a bien des formes. Pensons par exemple au cas de pays pauvres dont l'économie est sérieusement affectée par l'absence d'accès à la mer. Ne serait-il pas relativement facile de leur laisser une frange de 4 ou 5 km de large qui leur permît cet accès. Mais on ne le fait pas et, en attendant, les importations de ce pays sont grandement affectées aussi bien que ses exportations et toute son économie : il est soumis à un état permanent de dépendance.

Je pars du concept du droit à la propriété et de la doctrine que nous avons essayé de lire à la lumière de Populorum Progressio et de Gaudium et Spes, doctrine valable pour tous les hommes. Ce ne sont pas les questions historiques, ni les attitudes politiques qui m'intéressent. Je ne veux voir que la réalité à la lumière de l'évangile et de l'aide fraternelle aux peuples : en ceci consiste le vrai devoir.

Nous devons tous apprendre l'amour intégral et la justice intégrale ;, même si historiquement nous ne sommes pas tous impérialistes, nous portons tous le ferment impérialiste dans le cœur.

4) La situation décrite ci-dessus demande que l'on réalise avec sérieux les revendications sociales, mais il faut dire que celles-ci seraient insuffisantes, si tout en restait là. La pure et simple redistribution de la propriété ne résout pas le problème – les indices de revenu par tête en sont la preuve – il y faut en plus, coûte que coûte, le développement dans son expression la plus exigeante et intégrale.

5) Dans un plan réaliste, et qui envisage des solutions valides, on voit combien discutable et problématique devient l'usage de la violence, si opposé d'autre part à l'authentique esprit évangélique et par conséquent chrétien. Il faut bien se mettre dans la tête que cette politique est nuisible aux peuples qui ont besoin d'entreprendre rapidement, dans une ambiance de paix, la marche ascendante vers un continuel développement.

6) Penser qu'il est facile de renverser un ordre de choses sans avoir ni personnel formé, ni programme pour un ordre nouveau  qui soit meilleur que l'ancien, ou bien employer la violence pour arriver au pouvoir avec des hommes dont le cœur n'est pas réellement pénétré par l'amour, la justice, la paix véritable, la responsabilité morale et sociale et le respect des valeurs, c'est perdre son temps.

Que se passera-t-il ? Des structures tomberont, on trahira de nouvelles révolutions en en créant d'autres nouvelles qui, à leur tour seront victimes de l'exploitation et de l'impérialisme. Et cela laissera bientôt surnager la « nouvelle classe » (séquelle régulière de toute nouvelle société, quelle qu'elle soit) qui sera élaborée grâce à un sang versé pour rien.

7) Je dirai plus loin que l'Histoire a permis de constater que l'évolution sociale est préférable à la révolution. Mais en bon nombre de pays on a mis de tels obstacles à cette évolution, on a perdu tellement de temps, qu'une révolution à faire, est devenue urgente. C'est en effet un vaste changement, très profond et rapide des structures sociales, économiques et politiques dont on a besoin pour ouvrir la voie au développement.

« Le monde entier a besoin d'une révolution structurelle, affirme Mgr. Helder Camara. Dans le monde sous-développé cette vérité semble une évidence. Si on regarde le monde sous-développé sous n'importe quel angle. : économique, scientifique, politique, social, religieux, on arrive à comprendre qu'une révision sommaire, superficielle ne suffira aucunement. On doit envisager une révision en profondeur, un changement profond et rapide – ne craignons pas le mot on doit arriver à une révolution structurelle »[44].

Ce qu'il faut répéter c'est qu'il est très douteux que la violence puisse aboutir au développement – si par développement nous entendons usage des armes, sang versé, guérillas, ou choses semblables. On me pardonnera l'insistance. Certains la trouveront hors de saison dans une circulaire d'un Supérieur général à un Institut religieux. Mais rappelons-nous que nous sommes une congrégation enseignante et que nous devons former la jeunesse pour sa tâche historique. Or dans les veines de cette jeunesse circule un sang qui proteste contre l'ordre actuel. Bienheureuse protestation d'ailleurs, si, ce qu'elle rejette, ce sont les éléments injustes et abusifs auxquels consentent ceux qui détiennent le pouvoir, quelle que soit la forme de celui-ci.

Je ne veux pas faire allusion ici aux inévitables et nombreuses imperfections de tout système : elles sont le déchet de n'importe quelle structure sociale et elles accompagneront l'Histoire humaine dans son ascension graduelle jusqu'à son ultime apogée. Je souhaite seulement que cette ascension – c'est pourquoi d'ailleurs j'emploie ce mot – les élimine graduellement, mais prétendre qu'elles n'existent pas, c'est de l'utopie. C'est donc devant ces réalités que nous devons demander à la jeunesse une attitude de bon sens, non pas pour qu'elle n'agisse pas, mais pour qu'elle se rende compte que provoquer des révolutions en sachant que ces imperfections existent, c'est institutionnaliser la révolutions permanente. Si la condition de l'Eglise pèlerine est d'être chargée d'imperfections, malgré sa nature essentiellement sainte, et s'il ne faut attendre la fin des imperfections que dans l'Eglise eschatologique, combien plus est-il normal de s'attendre à des imperfections dans la société civile.

Non, ici, je fais allusion aux éléments d'injustice, aux exploitations et aux péchés consentis, que l'on justifie et laisse incruster dans l'ordre social et politique lui-même.

Il n'est pas difficile de voir combien la jeunesse est exposée – justement à cause de son immaturité et de sa ferveur – aux tentations de la violence. Nous devons donc la former à une vision objective de la réalité, des choix à faire et de leurs conséquences.

Comme prédicateurs de l'Evangile nous ne pouvons ni conseiller le chemin de la violence, ni favoriser des choix qui s'en inspirent. Encore bien moins – et que cela ne fasse de doute pour personne – transformer la doctrine de Jésus, dont le contenu est certainement et avant tout religieux ci fraternel, en idéologie pour la révolution violente.

Je dois ajouter encore pour finir, que nous sommes des religieux et comme tels, que notre rôle n'est pas de fomenter, organiser la violence et nous y enrôler. Si quelque Frère selon une optique subjective et personnelle (je pense au cas de Camilo Torres que je n'essaierai pas de juger parce que j'ignore beaucoup de détails et que je n'ai ni autorité, ni délégation pour cela) croit que c'est là sa voie, et le croit de bonne foi en la présence de Dieu, je respecte son opinion. Mais je lui rappelle que l'on a l'obligation de contrôler sa conscience subjective, non seulement dans la sincérité, mais aussi selon une morale conforme à la vérité objective.

En parlant avec les lumières que jusqu'à ce jour me donnent mon étude et ma réflexion    le Chapitre pourra dire le contraire, s'il croit devoir le faire – je lui dis que s'il veut s'engager dans des actions de violence ou créer des mouvements qui y tendent directement, il doit le faire hors de l'Institut parce que cela n'est conforme ni à la nature ni aux fins de cette société (encore une fois, je parle de violence dans le sens de moyen armé, actif et sanglant de provoquer un changement social). Dans ce cas, il devrait donc se séparer de la congrégation pour suivre ce qu'il croit être son chemin, nous respecterions son attitude en tout ce qu'elle aurait de bonne foi et de générosité, souhaitant qu'il ne se trompe pas. Lui, à son tour, respecterait la nature de l'Institut, n'agissant pas en tant que religieux et mariste, dans une action qui se trouve en dehors de la tâche qui incombe à l'Institut tant dans sa totalité que dans chacun de ses membres.

 C. IMPERIALISME EN MARCHE

 Le pape Paul VI dans son encyclique si souvent citée et dans Gaudium et Spes[45]insiste pour que les services rendus aux peuples pour leur développement soient faits sans offenser leur dignité nationale, et sans faire payer un prix de servitude internationale qui, outre son caractère indigne et immoral serait aussi la source de nouveaux ressentiments internationaux comme il est arrivé dans le passé par rapport à l'ancien colonialisme.

Or il y a là une réalité. L'aide pour le développement est assortie de conditionnements politiques et discriminatoires qui sont imposés tant par les peuples du bloc communiste que par quelques-uns de l'Occident. Pire encore, une vraie action impérialiste existe de part et d'autre, même mi elle revêt des formes différentes : infiltration ou propagande, ou fomentation de guérillas, ou conditions de marchés, ou fuite de capitaux ou fixation des prix, etc. … etc. … ; peu importe pour nous, mais ce sont là des pas d'un impérialisme établi ou en voie de s'affermir. Et cela aggrave le malaise actuel en doublant le problème économique et social d'un grave problème de politique et de conflit.

Je ne voudrais pas être simpliste et encore moins injuste, englober des peuples entiers dans cette attitude d'influence toute-puissante[46]. Souvent le groupe porteur d'un impérialisme est une minorité qui soumet au joug ses propres concitoyens ; je ne voudrais même pas, dans certains cas accuser d'impérialisme économique le gouvernement d'une nation lorsque ce sont d'importants groupes financiers, industriels ou commerciaux qui exercent cet impérialisme à l'extérieur, puisque bien souvent les gouvernements sont réellement impuissants en face d'autres formes de puissance que la leur et qu'il peut très bien se faire qu'ils essaient eux-mêmes de programmer et de mettre au point sincèrement une politique extérieure qui n'est pas secondée mais au contraire bloquée par les puissances financières. Mais, mises à part les interprétations simplistes, il faut avouer qu'en dépit des efforts de beaucoup d'hommes de bonne volonté  :[47] nous nous trouvons au carrefour d'impérialismes divers systématiques et antagonistes.

Il est possible qu'il eût été important de faire ici une étude un peu concrète au sujet du capitalisme et du communisme marxiste léniniste ; je ne le ferai pas, faute sans doute de place et de temps, mais surtout parce que j'ai l'intention d'approfondir et d'illustrer plus à loisir ce point dans l'avenir. Cependant rappelons la pensée d'un auteur qu'on ne pourra pas taxer d'intégrisme  : le Père Lebret, aujourd'hui malheureusement disparu : « Ces réserves faites, disait-il après une étude sur le communisme, et elles sont telles que le chrétien ne pourra jamais adhérer au communisme tel qu'il s'est défini dans les écrits de ses initiateurs et dans mu réalité historique, il faut reconnaître l'important apport de l'expérience soviétique pour la considération des grands problèmes posés actuellement l'humanité (…) Le monde soviétique est né du vouloir d'un ordre humain universel et il en garde l'auréole même quand il devient lui-même particulariste et intéressé. Que cet ordre humain soit en définitive fallacieux et proprement inhumain, glue le bureaucratisme qui y conduisait soit oppresseur., que la paix à l'intérieur du monde soviétique moi' fragile, que l'on soit en présence de nouveaux impérialismes en préparation de conflits, rien de cela n'apparaît aux peuples pauvres qui regardent de loin les pays communistes ou sous tutelle communiste comme une incitation à l'espérance »[48].

Rappelons aussi que récemment encore l'Eglise a énoncé une doctrine très claire à ce sujet et que cette doctrine n'a pas été en substance réformée explicitement par le magistère. Plus encore, avec de nouvelles formes d'expression on trouve des textes qui, non pas en termes exprès mais implicitement, ratifient en de courts passages ce qui avait été affirmé précédemment.

Il faut savoir comprendre l'Eglise et ne pas confondre la prudence de ses silences, nullement opportunistes, mais profondément conditionnés par des besoins essentiels, avec une approbation et une recommandation qu'elle ferait d'un système.

Il faut comprendre aussi qu'une chose est de vivre dans un système dont on reste victime, auquel on est opposé, mais où l'on est bien obligé de chercher un minimum de conditions d'adaptation pour y porter l'évangélisation, s'y donner au service du bien commun et faire évoluer graduellement le système, et autre chose de travailler affectivement et effectivement pour établir un système différent du système établi.

Tel serait le cas de qui voudrait établir un régime marxiste léniniste là où existe le capitalisme, ou transformer en un régime capitaliste une nation communiste. Ni capitalisme ni communisme ne sont la forme sociale du christianisme et moins encore celle du chrétien appelé à la vocation religieuse. Notre voie est une troisième voie, dont le tracé concret se réalise en formes qui peuvent varier à l'intérieur de certaines limites.

Que notre passion (jamais assez intense) pour la dignité de la personne, pour la justice, la charité, la paix, la solidarité ne nous porte jamais à tomber dans le « confusionnisme »[49]. Du fait même que nous sommes responsables de la formation et de l'orientation des générations nouvelles, nous devons être très attentifs et en même temps très lucides.

      D. DANGER DE MATERIALISME

 REEL ET PROGRESSIF

 La sociologie religieuse a beaucoup parlé du phénomène de la déchristianisation collective que d'aucuns ont appelé : « apostasie des masses ». C'est un fait qui ne laisse pas d'être alarmant en particulier sous un de ses aspects : l'athéisme ; et l'on sait que le pape a demandé à la Compagnie de Jésus de consacrer une partie de ses enquêtes et de ses efforts pastoraux à sonder la nature et les causes de ce phénomène grave et généralisé. Gaudium et Spes aborde également le problème clans des passages pleins d'équilibre et de sérieux [50].

 I – FORMES RADICALES.

 C'est là un problème réellement grave ; partout les formes multiples sous lesquelles il. se présente, certaines sont radicales et militantes comme l'athéisme de plusieurs catégories de communisme. On y trouve l'attitude de penseurs qui croient qu'il y a une opposition fondamentale et une impossibilité de conciliation entre foi, service de Dieu et humanisme, entre croire sérieusement en l'autre vie et se donner activement à celle-ci, et que le choIx s'impose : renoncer à être un homme religieux pour pouvoir servir efficacement au progrès.

  II – AUTRES FORMES.

 D'autres formes sont moins accentuées. Pour les penseurs qui les représentent, le christianisme est seulement inutile – telle est d'ailleurs l'opinion de tout l'athéisme – pour le progrès humain et social. Daniélou, dans un bel opuscule : « Sainteté et Action temporelle », le constatait en ces termes : « La suprême tentation de l'homme moderne est peut-être de vouloir montrer qu'il n'a pas besoin de Dieu pour faire le bien. Comme l'a bien fait observer Claudel, l'anti-Christ sera celui en qui l'humanité réunie et consolidée pourra dire au Verbe : nous n'avons pas besoin de toi »[51]Ce n'est pas là une exagération et Garaudy le dit explicitement : « Seul le communisme, comme écrivait Gorki, créera les conditions réelles d'une société dans laquelle l'amour cessera d'être une espérance ou une loi morale pour arriver à être la loi objective de toute société (. . .) Athées, rien ne nous est promis et rien ne nous attend »[52].

 III – THEOLOGIE DE LA MORT DE DIEU.

 Depuis tout récemment nous voyons dans l'Eglise et en dehors de l'Eglise un courant théologique fascinant qui s'appelle théologie de la mort de Dieu. Ce titre très équivoque est plus proche de la réclame, de la propagande ou du slogan que de la recherche expressive de la vérité, non seulement par le contenu de doctrine et les intentions de plusieurs des représentants les plus qualifiés du courant qu'il représente, mais même en tant que titre recherchant un absurde rapprochement de luttes.

Ou bien Dieu est une simple création idéologique sans objet, et alors l'affirmation prend tout son sens par rapport à un « concept de Dieu »[53]ou bien l'affirmation veut atteindre Dieu même dans mon objectivité, et alors cette affirmation est un contresens, car « Dieu ne peut pas mourir ». Dieu est ou n'est pas, mais il ne peut pas mourir.

Les penseurs qui appartiennent à ce courant de leur propre gré ou parce que d'autres les y ont classés – représentent une gamme très variée quant au sérieux, à la valeur et à la doctrine, et s'il s'en trouve dont les attitudes sont exemplaires et les motivations sérieusement orientées parce qu'elles cherchent à épurer les concepts, d'autres présentent des formes de pensée et des conclusions beaucoup moins convenables, sans fondement et même franchement hétérodoxes ; disons tout simplement : fausses.

Des réactions se sont déjà nettement amorcées, l'exemple le plus clair étant peut-être le livre d'Urs Von Balthasar : « Cordula ou l'épreuve décisive »[54].

Le problème est complexe et je ne tomberai pas dans l'ingénuité de l'aborder ici. Pourquoi des questions se sont-elles posées ? D'abord il y avait besoin de justifier la conception de Dieu, car elle ne correspondait absolument pas à la Révélation que Notre-Seigneur nous fait de son Père. A cela s'ajoutaient des raisons profondes de caractère pastoral dans certains milieux ; en particulier la pré-existence de certains types de catéchèse avait créé des problèmes subjectifs et psychopédagogiques graves, etc. …

Ces faits ont donc amené des psychologues, des pédagogues, des catéchistes, et finalement des théologiens à se poser, avec de justes raisons et à l'approbation générale, le problème de fond et à chercher des façons adéquates de le résoudre en harmonie avec le contenu du dogme.

Il faut dire pourtant que tous ne font pas partie de ce groupe, car quelques-uns s'éloignent de la vérité objective, courent une aventure inacceptable et dont les effets se font déjà sentir dans l'Eglise de façon nettement négative, résultat qui s'accentue quand la lecture de telles œuvres ou l'exposé qu'on en fait atteignent des personnes qui manquent de maturité ou de préparation soit spirituelle soit intellectuelle[55].

Un doute progressif se produit alors sur beaucoup de points sérieux, la recherche ingénue d'un mode d'adhésion à la nouveauté pour la nouveauté, une promotion, que j'ai envie d'appeler puérile, de certains écrivains au rang de mythes.

Parmi les effets les plus sérieux qui peuvent en dériver, il en est surtout deux, en sens opposés d'ailleurs : ou une crise généralisée de la foi, allant jusqu'au rejet explicite du contenu du dogme chrétien, ou au contraire, le repli aveugle, et puéril lui aussi, sur une synthèse doctrinale que l'on possédait confusément en soi et où d'ailleurs des vérités de foi authentiques côtoient les simples croyances pieuses et même les erreurs accompagné d'un rejet global de la doctrine du concile et de tout ce qui a une allure de nouveauté.

Maintenant plus que jamais notre adhésion à l'Eglise doit être très ferme. Ne craignons pas d'affronter tout ce qui peut contribuer au progrès de notre culture religieuse, spécialement théologique, biblique, pastorale, spirituelle, mais acquérons cet enrichissement culturel en accord avec le magistère du Vicaire du Christ en particulier et de l'Eglise en général.

Les divers épiscopats, à l'occasion de l'Année de la Foi ont donné des orientations très claires au sujet des problèmes dogmatiques et pratiques de l'Eglise. Quelques-unes de ces lettres pastorales collectives sont d'une valeur exceptionnelle[56].

 IV – ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE.

 Revenons maintenant à notre thème pour l'éclairer des paroles que le pape prononçait lors de l'audience générale du 25 avril de la présente année. Pour guider aussi la réflexion de notre Chapitre Spécial, je crois important de tirer deux passages significatifs et sans équivoque dans lesquels le pape dénonce une attitude dangereuse qui se fraie une voie dans certains milieux catholiques : « L'idée de changement, chez certains, s'est substituée à l'idée d'aggiornamento, préconisée par le Pape Jean de vénérée mémoire. C'est ainsi que, contrairement à l'évidence et à la justice, on a attribué à ce très fidèle Pasteur de l'Eglise des critères non plus innovateurs, mais parfois même destructeurs de l'enseignement et de la discipline de l'Eglise… ».

« C'est pourquoi Nous disons : renouveau, oui ; changement arbitraire, non. Histoire de l'Eglise, toujours nouvelle et toujours vivante, oui ; historicisme dissolvant les fondements dogmatiques traditionnels, non. Développement de la théologie selon les enseignements du Concile, oui ; théologie se conformant aux théories subjectives et libres, souvent empruntées à des sources adverses, non. Eglise ouverte à la charité œcuménique, au dialogue responsable et à la reconnaissance des valeurs chrétiennes existant chez les frères séparés, oui ; irénisme renonçant aux vérités de la foi ou tendant à se conformer à certains principes négatifs qui ont contribué à séparer tant de frères chrétiens du centre de l'unité de la communion catholique, non. etc. … »[57].

On évitera ce que pourrait avoir d'un peu unilatéral le sens d'un paragraphe détaché du contexte, en lisant le discours lui-même. Etant donné sil grande importance, je recommande vivement qu'il soit lu en entier.

 V – APPRECIATION DES FAUSSES ET VRAIES VALEURS

 Mais laissons maintenant de côté le phénomène ecclésial et retournons à la considération du phénomène mondial. Ce n'est pas seulement d'athéisme dont il est question, c'est d'un authentique temporalisme, d'un matérialisme qui est à la fois un fait sociologique et une tentation croissante. Citons encore L. J. Lebret [58];

« Le problème de la matérialisation du monde est sans doute le problème le plus grave de notre temps. Cette matérialisation était inéluctable devant le choc apporté aux civilisations par les progrès scientifiques et techniques… L'apport scientifiques est devenu tel que l'esprit humain ne se dégage que difficilement de l'étude des séries de causes secondes et de leurs relations… La complexité technique est devenue telle qu'elle absorbe les moments de pensée dont peut disposer l'homme d'action. Les rythmes de vie sont devenus si rapides qu'ils ne laissent plus de loisirs pour la réflexion en profondeur. Le travail industriel est devenu si morcelé qu'il ne permet plus d'acquérir une culture équilibrée à partir de l'œuvre à créer et à livrer. Les facilités de la vie à celui qui les acquiert apparaissent comme une compensation légitime à l'excès de tension nécessaire au travail et à l'enlisement dans les préoccupations matérielles. La distance entre les couches sociales est apparue injuste devant la prise de conscience des possibilités accrues de la production et a suscité l'envie de toujours plus avoir. L'homme moderne s'est englué dans l'appât de l'avoir et de la sécurité dans l'avoir».

Gaudium et Spes[59]d'une façon générale et Populorum Progressio[60]avec plus d'énergie encore et une plus grande précision préviennent les générations futures contre ce danger. Aux peuples sous-développés mais riches en valeurs spirituelles. ces textes rappellent avec une délicate prudence, d'être fidèlement en garde contre la séduisante tentation qui pourrait leur venir des peuples de l'opulence. Les succès matériels de ces nations développées ne doivent pas leur faire oublier le patrimoine riche d'autres valeurs qu'ils ont reçu de leurs ancêtres.

« De nombreux pays, pauvres en biens matériels, mais riches en sagesse, pourront puissamment aider les autres sur ce point. Riche ou pauvre, chaque pays possède une civilisation reçue des ancêtres : institutions exigées pour la vie terrestre et manifestations supérieures – artistiques, intellectuelles et religieuses de la vie de l'esprit. Lorsque celles-ci possèdent de vraies valeurs humaines il y aurait grave erreur à les sacrifier à celles-là. Un peuple qui y consentirait perdrait par Iii le meilleur de lui-même, il sacrifierait, pour vivre, ses raisons de vivre. L'enseignement du Christ vaut aussi pour les peuples : "que servirait à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme ?'' »[61].

Je conclus en insistant sur le besoin que nous avons d'être très en éveil face aux attitudes qui se cachent sous les termes de « démythisation, désacralisation, sécularisation » et qui n'en restent pas au concept mais influencent la vie pratique.

Ces mots peuvent recouvrir des réalités bien distinctes, les unes justes, les autres fausses. Ne l'oublions pas : le chrétien est un homme appelé à produire par la patience et par un travail inséré dans l'histoire, en même temps la perfection de la création et la perfection de la rédemption. Il doit tondre à récapituler dans le Christ (non par des réalisations hâtives, ni en opprimant d'une manière ou d'une autre la liberté d'autrui, mais avec un but clairement eschatologique), la création entière et non pas une création limitée à l'humanité ; son but c'est bien de viser à la formation du Christ total, à la formation du Christ cosmique[62].

Loin de chercher une désacralisation, cherchons une christification des réalités parce que pour nous tout geste d'incarnation doit avoir une orientation eschatologique précise comme les gestes de l'Incarnation du Christ qui vient pour nous sauver, nous réaliser, nous récapituler et nous mener au royaume de son Père.

Dans le fond même de la question il n'y a pas de problème. De même qu'une chose ne devient complètement humaine que lorsque, découverte par la science et utilisée par la technique, elle est mise au service de l'homme non de l'égoïsme des uns ou des impulsions immorales et destructrices des autres, mais au service de tout l'homme :

personne et société rien n'empêche que l'homme à son tour ne travaille à donner un sens profondément chrétien par conséquent avant tout profondément humain – à l'univers et à tout ce qui le constitue[63].

Les deux mouvements ne s'opposent pas, ils s'impliquent et s'additionnent. Le problème ne pourra naître pour nous qu'au niveau des moyens et des moments opportuns. 

E. DEVELOPPEMENT :

NOTRE TACHE

URGENTE D'AUJOURD'HUI

 Si la série des points de détail analysés nous ont montré la situation dramatique que vivent nombre de nos frères les hommes ; si nous avons compris que cette situation, dans des régions entières, tend à s'aggraver progressivement jusqu'à un véritable état de régression socio-économique ; si les éléments les plus dynamiques de la société les jeunes, les universitaires, les travailleurs – sont attirés dangereusement par des messianismes matérialistes ou par les tentations de la violence ; si les conflits de races et de tribus (ceux-ci d'ailleurs parfois pour faire valoir les droits les plus élémentaires) suscités par l'inefficacité ou la désespérante lenteur des résultats, s'orientent vers des solutions sanglantes ; si tout cela enfin a été illustré d'impressionnante façon par une violence multiforme déjà répandue en maints endroits et dont la courbe a passé par les maxima que sont les douloureux assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy., les conflits du Viêt-Nam et du Nigeria (celui-ci peut-être le plus dramatique de tous, même si par une absurde omission la jeunesse semble l'ignorer), la chaîne des grèves, des désordres universitaires, et finalement, avec quelques aspects très neufs, la « contestation » française, il est clair que nous arrivons, non pas peut-être au dernier sprint de l'histoire, mais du moins à des situations très graves.

 1 – DILEMME.

 Tout cela fait prévoir, ou bien que par des efforts sérieux et intelligents :

– dans l'ordre intérieur de beaucoup de pays on tâchera de rendre l'homme, par la culture et la technique, capable de développement, on distribuera plus justement les revenus[64] et les occasions de promotion, on élèvera le peuple riches et pauvres à un usage austère et sensé de ces revenus, on modifiera les structures par des réformes adéquates, on augmentera la production et l'on créera des marchés ;

– dans l'ordre extérieur, selon une politique judicieuse, on disciplinera en toute justice et équité les relations industrielles, commerciales et financières, et, plus profondément encore, les relations économiques et sociales le plus largement qu'il sera possible ;

ou bien que de très graves conséquences surviendront dans un avenir qui n'est pas loin.

Devant ce dilemme apparaissent comme prophétiques les paroles qu'écrivait le Père Lebret, voici quelques années dans son livre : l'Ascension humaine.

« Il est possible que demain nous nous voyions contraints à des options d'une immense importance au milieu du grand tourbillon qui s'annonce, au milieu du conflit qui a déjà commencé entre les forces aveugles. Il peut se faire que de toute part la haine pèse sur nous : "On vous soumettra à la torture. Vous serez livrés même par vos parents et amis. On en tuera quelques-uns parmi vous".

« Ils ne comprendront pas notre amour pour la vérité et notre passion pour l'ascension humaine universelle. Dans notre attitude, ils ne verront qu'opposition ».

« Malgré cette incompréhension il faudra poursuivre vigoureusement. Avec notre sacrifice offert à Dieu nous contribuerons à donner au monde vu plus haute signification ; que cette offrande réalisée comme achèvement de l'offrande du Christ le soit dans le détail de la multitude successive de nos bonnes actions ou bien qu'elle ait lieu d'un coup dans l'immolation acceptée… mais être traîtres, jamais »[65].

 Il – SOLUTION ? DEVELOPPEMENT RAPIDE.

 Devant ces paroles on peut se demander aujourd'hui quelle est l'option que nous devons prendre, nous chrétiens. Il faut répondre : le développement, une action rapide et décidée nous enrôlant dans une contribution mondiale en faveur du développement intégral. Nous vivons des moments critiques où la violence menace de toutes parts, et où, plus que jamais, prennent tout leur sens les mots de Populorum Progressio  : « Le développement est le nouveau nom de la Paix »[66].

Mais le progrès humain, tel que le préconisait Populorum Progressio, doit être authentique il doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir tous les hommes et tout l'homme[67]. C'est la même idée qu'exprimait déjà Gaudium et Spes et qui se trouvait déjà suggérée chez nombre de penseurs[68].

 MAIS LE DEVELOPPEMENT EST BLOQUE.

 Cependant voilà que le problème prend une nouvelle acuité  : dans l'ordre actuel, les hommes de bonne volonté ne peuvent réaliser le développement puisque celui-ci se trouve matériellement bloqué. Et ceci est tout à fait vrai pour beaucoup de pays, d'une façon ou de l'autre, et il est bien possible qu'il ne faille pas chercher plus loin pour expliquer la présence de ce ferment révolutionnaire qui, avec des motivations et des objectifs très divers, selon les pays et les structures, constitue le phénomène le plus nouveau d'aujourd'hui, et prend une envergure littéralement mondiale. Il faudrait même se demander si une affirmation indiscutablement vraie pour tant de régions, ne l'est pas même pour le monde entier. Quand on regarde dé contexte de la situation internationale, on est bien tenté de dire : oui.

 III – EVOLUTION OU REVOLUTION.

 Mais n'allons pas trop vite dans des affirmations discutables : la nature, l'économie et l'humanité ont aussi, imprévisible, leur dynamisme du bien qui, malgré toute la misère et l'égoïsme, ouvre de vrais chemins d'espérance. Ainsi les phénomènes socio-économiques exigent et imposent des correctifs » sur l'évolution sociale et c'est d'ailleurs la justification et le fondement que trouve sa doctrine le néo-libéralisme.

Je ne prétends pas porter un jugement sur ce système dont parlera ailleurs cette circulaire ; mais pour en revenir à la tâche spécifique du chrétien, je dois rappeler ce que la doctrine sociale de l'Église des invite à faire : par leurs paroles, par leur présence de témoins[69]et par leurs actes, ils doivent procéder, avec audace et sagesse au déblaiement des obstacles naturels ou structuraux qui gênent le développement, afin de rendre celui-ci possible. Il y a des cas où le retard est tel, telles aussi les injustices, et si important le temps perdu avec ses conséquences pour la prolongation d'un état de choses préexistant, qu'un changement s'impose, mais si profond et si ample, presque sur toute la ligne, que réellement le mot évolution n'est plus adéquat. Si donc cela s'appelle révolution, il est clair que cette révolution-là, il la faut[70].

Il faut bien nous mettre d'accord sur le sens des mots et ne pas nous en servir ensuite pour produire d'habiles équivoques. Tant le développement que le vrai déblaiement des obstacles, spécialement si on ne veut pas que des obstacles nouveaux et plus sérieux remplacent les anciens[71]doivent normalement se faire par des voies légales, démocratiques et non sanglantes et surtout avec la collaboration de tout le peuple : « Un développement économique soutenu pendant une période de temps n'est possible que dans le cas où la société participe au changement et au développement »[72].

 IV – LA VIOLENCE.

 Il faut aborder ici la question si controversée du droit à la violence (violence s'entend ici de procédés Illégaux et sanglants, particulièrement de la guérilla, de la guerre civile ou même de la guerre totale). Il ne s’agit pas ici de traiter le problème comme limite morale d'option. Dans ce cas je renverrais à l'étude de moralistes modernes sérieux, experts en questions sociales. Non, je veux simplement envisager la question sous son aspect d'utilité pour le développement.

Disons d'abord que par développement il faut entendre non seulement le développement brut, mais le développement réellement participé, c'est-à-dire un développement économique avec lequel a marché de conserve un développement social et humain. Or sous cet aspect du développement il est évident que la révolution violente dans le contexte du monde actuel ne peut être rejetée de façon absolue et universelle comme quelque chose qui ne permettrait pas de lever le blocus du développement, et donc de réaliser le développement lui-même. Mais de là à un recours facile et généralisé à la violence, il y a un abîme. En effet, même dans 14 cas où elle serait efficace, c'est bien rare qu'elle le serait sous la forme d'un moindre mal – et c'est pourquoi on n'y peut penser vraiment que comme ultime recours.

Moindre mal – mais mal quand même elle l'est en effet quand, essayant de rattraper à un rythme rapide – presque instantané – tout le temps perdu, tout le décalage provoqué par l'absence de réformes qu'il fallait faire graduellement et à temps ; quand aussi essayant de rompre les obstacles accumulés et incrustés sous forme de privilèges, monopoles, trusts tout-puissants, elle doit faire d'une façon anormale et sanglante ce qu'une évolution normale socio-économique et politique n'a pas fait en temps voulu. La faute ici est à mettre au compte de l'évolution.

Moindre mal – mais mal quand même – (et cette fois à mettre au compte de la révolution violente) elle l'est encore quand elle détruit des biens de production, des relations humaines – tout en éliminant en même temps les obstacles qui obligeront à entreprendre une reconstruction ultérieure et une nouvelle marche vers le progrès à partir de niveaux effectivement plus bas que celui où se trouvait auparavant la société ; ce qui se paie très cher dans la compétition internationale.

Moindre mal – mais mal quand même – elle l'est enfin puisque cette révolution fait souffrir inévitablement quantité de personnes qui n'étaient en rien coupables de la situation précédente, et qui souffrent non seulement à cause du contre-coup direct du recul que subit le développement, mais aussi comme victimes directes des abus et des armes.

C'est pourquoi – toujours du point de vue non pas moral, mais purement pratique, avant de commencer une révolution violente, il faut penser sérieusement aux risques que l'on court parce que peut-être la révolution va faire naître de nouveaux abus et de nouvelles exploitations comme en maintes occasions l'a démontré l'Histoire.

Par conséquent, dans le processus de la révolution, plusieurs facteurs sont également souhaitables. Qu'il existe dans ses promoteurs à la fois aptitude à promouvoir le vrai développement, honnêteté véritable dans la période post-révolutionnaire, possibilité de guérir tant les maux préexistant à la révolution, que ceux exercés au cours de la révolution ou séquelles de la révolution : tout ceci n'est pas moins important que le pouvoir réel d'abattre un gouvernement et un ordre établis.

« Je respecte, dit Mgr. H. Camara, ceux qui, en conscience, se sont obligés à opter pour la violence, non la violence trop facile des « guerrilheros » de salon, mais de ceux qui ont prouvé leur sincérité par le sacrifice de leur vie. Il me semble que les mémoires de Camilo Torres et de Che Guevara méritent autant de respect que celle du pasteur Martin Luther King.

J'accuse les vrais fauteurs de violence, tous ceux qui, de droite ou de gauche, blessent la justice et empêchent lis paix ; ma vocation personnelle est celle de pèlerin de ln paix, suivant l'exemple de Paul VI : personnellement e préfère mille fois être tué que tuer.

Cette position personnelle se fonde sur l'Evangile. Toute une vie d'effort pour comprendre et vivre l'Evangile m'amène à la conviction profonde que l'Evangile, s'il peut et s'il doit être appelé révolutionnaire, c'est dans le sens qu'il exige une conversion de chacun de nous. Nous n'avons pas le droit de nous enfermer dans l'égoïsme ; nous devons nous ouvrir et à l'amour de Dieu et à l'amour des hommes. Mais il suffit de penser aux Béatitudes – quintessence du message évangélique – pour découvrir que le choix pour les chrétiens semble clair  : nous chrétiens, nous sommes du côté de la non-violence, ce qui n'est nullement un choix de faiblesse et de passivité. La non-violence, c'est croire, plus que dans la force des guerres, des meurtres et de la haine, dans la force de la vérité, de la justice, de l'amour » (Informations Catholiques, ri 312, p. 7)[73].

Une réflexion sérieuse et responsable sur cette importante question devrait écarter toute idée d'ambition personnelle et faire évoluer la vision des choses de l'idéalisme à la réalité.

Il s'agit, nous l'avons vu, de savoir si le travail dans lequel s'engage la révolution ne sera pas pire que le mal et si d'abord, par manque de perspective mondiale ou du moins internationale ses promoteurs ne se laissent pas aller à dramatiser et à hypertrophier de façon indue les difficultés, tout simplement victimes d'une tentation, la plus grande de notre temps, c'est-à-dire le recours facile et irréfléchi à la violence.

Ne faudrait-il par rappeler que, d'un point de vue purement économique, les réalités ont aussi leurs lois et leurs limites qu'on ne peut violer impunément, mais qu'il faut respecter dans la période même de la révolution, si l'on ne veut pas en ratatiner les objectifs ? « Il y aurait donc lieu, écrit le Père Lebret, de bien distinguer le désirable dans une hypothèse de développement réussi et le possible dans la période de "décollage" du développement. Les exigences seraient donc à préciser en fonction des phases dans lesquelles se trouvent actuellement les pays et les rythmes possibles d'évolution »[74].

Et Jean XXIII  : « Il ne manque pas d'hommes au cœur généreux qui, mis en face de situations peu conformes ou contraires à la justice, sont portés par leur zèle à entreprendre une réforme et dont l'élan, brûlant les étapes, prend alors des allures quasiment révolutionnaires. Nous voudrions leur rappeler que la progression est la loi de toute vie et que les institutions humaines, elles aussi, ne peuvent être améliorées qu'à condition qu'on agisse sur elles de l'intérieur et de façon progressive. C'est l'avertissement de Notre Prédécesseur Pie XII : ‘’Ce n'est pas la révolution, mais une évolution harmonieuse qui apportera le salut et la justice. L'œuvre de la violence a toujours consisté à abattre, jamais à construire ; à exaspérer les passions, jamais à les apaiser. Génératrice de haine et de désastre, au lieu de réunir fraternellement, elle jette hommes et partis dans la dure nécessité de reconstruire lentement, après de douloureuses épreuves, sur les ruines amoncelées par la discorde" »[75],

 V – NUANCES DE L'ENSEIGNEMENT DU MAGISTERE

 Tout ceci montre assez que la question sociale est complexe et peut rarement être résolue avec des solutions sans nuances. C'est pourquoi les papes Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. non seulement pour des raisons morales mais aussi en considérant l'incertitude des résultats sociaux qu'on peut en attendre ont parlé avec les plus grandes réserves, pour ne pas dire désapprobation, de la révolution comme solution possible au problème du développement. « Encore faut-il, lit-on dans Populorum Progressio, que l'œuvre à accomplir progresse harmonieusement, sous peine de rompre d'indispensables équilibres. Une réforme agraire improvisée peut manquer son but. Une industrialisation brusquée peut disloquer des structures encore nécessaires, et engendrer des misères sociales qui seraient un recul en humanité ».

« Il est certes des situations dont l'injustice crie vers le ciel. Quand des populations entières, dépourvues du nécessaire, vivent dans une dépendance telle qu'elle leur interdit toute initiative et responsabilité, toute possibilité aussi de promotion culturelle et de participation à la vie sociale et politique, grande est la tentation de repousser par la violence de telles injures à la dignité humaine ».

« On le sait pourtant : l'insurrection révolutionnaire – sauf le cas de tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun du pays – engendre de nouvelles injustices, introduit de nouveaux déséquilibres, et provoque de nouvelles ruines. On ne saurait combattre un mal réel au prix d'un plus grand malheur »[76].

 Vl – DEVELOPPEMENT ET PARTICIPATION.

 Mais laissons l'aspect de la révolution par la violence et revenons-en au thème du développement lui-même, par quelque système qu'il doive se faire : transformation par des réformes ou révolution. Ce qui est plus important que tout, c'est que tous les citoyens d'un pays collaborent et unissent leurs efforts dans un idéal commun de développement, si l'on veut vraiment que le développement devienne une réalité avec d'heureux résultats.

Un chef d'entreprise vénézuélien, personnage important, a essayé de tracer la « nouvelle attitude de l'entreprise », et il a réussi à évoquer de façon saisissante un défaut invétéré dans certaines sociétés et qui s'incruste comme un mythe dans le sentiment populaire : la conviction que le progrès « vient du dehors » et que c'est au gouvernement à « le faire »[77].

Il n'est pas question d'un entrepreneur isolé, mais bien d'un mouvement existant entre des dirigeants d'entreprises réellement sensibilisés à une volonté de progrès non pas simplement économique, mais social et humain. Ainsi par exemple, l'Union Internationale Chrétienne des Dirigeants d'entreprises – UNIAPAC – réunis à Sao Paulo, a déclaré : « Le concept d'entreprise suppose un objectif de perfectionnement social et le dirigeant d'entreprise ne doit pas la considérer exclusivement comme un moyen de gagner personnellement de l'argent, mais comme un instrument de promotion effective du bien commun. (…) Il considérera que dans le développement économique et social de l'Amérique Latine, les entrepreneurs ont à remplir une mission fondamentale dont ils ne peuvent se désintéresser et qu'ils doivent affronter comme coresponsables d'un enrichissement du continent et d'une organisation sociale dans un système de libre initiative et de solidarité sociale orientée vers le bien commun »[78].

 VII – PRESENCE DE L'EGLISE.

 L'épiscopat latino-américain a fait également entendre sa voix à Mar Del Plata (Argentine) lorsque par le truchement du Conseil Episcopal latino-américain réuni en cette ville, il disait : « Ce développement exige des changements de structures ordonnés mais urgents et efficaces. L'Eglise, appelée à agir directement dans ce qui est de sa compétence juge indispensable de former la conscience chrétienne pour qu'elle prenne « une attitude dynamique de responsabilité et de participation »[79].

Et quelques mois avant, à Baños (Equateur) il avait déjà exposé ses points de vue : « L'accélération des transformations par lesquelles passe l'Amérique Latine nous fait sentir davantage la nécessité d'une présence dynamique de l'Eglise dans ce processus. Ce sera une présence qui respecte, accompagne et encourage les autonomies naturelles et l'évolution organique de notre continent » [80].

Beaucoup plus net encore, un autre texte de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil : « Nous rejetons la thèse marxiste qui affirme que la religion réalise l'aliénation de l'homme par la vision d'un bonheur futur compensateur de la frustration inévitable sur cette terre. Affirmer que la mission religieuse des évêques ne doit jamais dépasser les limites de ce qu'on a appelé "vie spirituelle" reviendrait à accepter pratiquement cette conception marxiste de la religion. Proclamer que l'on défend la "civilisation chrétienne" et en même temps restreindre la mission enseignante dé l'Eglise dans ses luttes en faveur des valeurs humaines, c'est défendre un paganisme masqué.»[81].

Pour finir, voici encore un extrait de Prebisch qui corroborera ce qui précède. La qualité scientifique de l'auteur invite assez à le prendre au sérieux quand il insiste avec force sur le besoin de changement.

« Nous connaissons et connaîtrons, dit-il, des années décisives, et il faut de la perspective historique pour les affronter (…). Ne nous trompons pas, l'affaire ne va pas se résoudre au plan doctrinal, mais avant tout au plan politique (…). La concentration du pouvoir économique dans une forme ou l'autre est toujours un danger pour l'authenticité de la démocratie. L'Etat n'est pas une entité abstraite et incorporelle. Ceux qui manœuvrent ses ressorts sont mus par des intérêts et des passions et non pas seulement par des idéaux collectifs. Imagine-t-on que lorsque l'on détient le pouvoir économique on va cesser pour autant de dépendre de la volonté des autres ? Et ceux-ci, quelle indépendance réelle auront-ils dans leurs attitudes et leurs décisions si toute leur activité, tous leurs moyens d'existence sont à leur tour subordonnés à d'autres, sans moyen réel d'action à leur portée ? (…) Il serait tragique que, pour s'émanciper de ses besoin matériels, l'homme en fût réduit à l'homme, n'eût aucun droit d'accès aux antres valeurs, ni d'autre recours que de se livrer à fa discrétion d'un pouvoir arbitraire. (…) Nombreuses sont les voies d'accès à I'Etat autoritaire. En fait partie, la résistance aux transformations structurales qui ouvrent un large champ aux forces du développement. Si la résistance était braquée soit contre l'idée même de réforme, soit contre son exécution, il pourrait se produire des situations extrêmement critiques ». Sa conclusion est une invitation à la mobilité dans le changement des structures pour que dans toutes les couches de la société cette mobilité sociale fasse progresser les meilleurs vers le haut en faveur du développement économique, de la démocratie, d'un ordre social libéré, non seulement des privilèges économiques, mais aussi du terrible privilège, que s'octroient certains hommes, d'une mainmise sur les idées des autres, sur les forces créatrices de leur esprit et sur les sentiments les plus profonds de leur cœur[82].

La disparition des obstacles au développement et l'exercice de celui-ci est l'unique voie désirable. C'est le seul bon chemin de l'humanité. 

F. DEVELOPPEMENT IMPOSSIBLE SANS L'EDUCATION.

 Aujourd'hui si le développement échoue, c'est non seulement à cause des obstacles systématiques, mais aussi par suite de l'absence de moyens, de programmes et d'hommes. Parmi les priorités du développement, à la racine de toutes ces priorités se trouve l'éducation, non une éducation quelconque mais une éducation organisée pour préparer l'homme à réaliser le développement, et cela dès les premières années. « Educateurs, lit-on dans Populorum Progressio, il vous appartient d'éveiller dès l'enfance l'amour pour les peuples en détresse »[83],

 I – ELLE FORME ARTISANS ET BENEFICIAIRES DU DEVELOPPEMENT.

 L'éducation doit former les artisans du développement ; depuis les idéologues et les planificateurs, en réveillant en eux le sens de leur vocation, en leur donnant progressivement aptitudes, connaissances et formation aux vertus sociales, jusqu’aux jeunes de l'enseignement technique et aux adultes culturellement en marge qui doivent s'intégrer dans le processus de développement, et, acquérant une mentalité adaptée, cesser d'être des poids morts ou des collaborateurs inconscients et paresseux pour se transformer en collaborateurs qui participent à une entreprise gigantesque, même a la très humble place qu'ils occupent, soulevés par une mystique et un enthousiasme nouveaux parce qu'ils savent qu'ils construisent un monde meilleur pour un homme meilleur. Cet homme, ce sont eux, ce sont les autres hommes, leurs frères, ce sont leurs propres descendants et les générations futures.

Plus encore, et ceci est encore plus urgent, il faut former des hommes, qui, sensibilisés jusqu'à l'angoisse aux obstacles qui ferment le passage au développement et à la fraternité, s'incrustent dans la politique dans toutes les activités sociales, pour rompre par des voies positives et constructives ce blocus au développement qui s'établit dans diverses régions du monde.

Je crois que difficilement je pourrais mieux décrire l'importance et le rôle de l'éducation et en particulier de l'éducation chrétienne dans le développement intégral, demandé par Gaudium et Spes qu'en citant les paroles du Père Lebret, commentant les aspects socio-économiques de ce document conciliaire ; ce sont peut-être les dernières paroles qu'il ait écrites avant sa mort :

 « La réussite d'un tel dessein (le développement), étant donnée son amplitude, est liée à l'adaptation de son enseignement (de l'Eglise), à tous les degrés, à la formation de chrétiens efficaces pour accélérer les prises de conscience des problèmes à résoudre et les prises de décisions permettant effectivement de les résoudre… ».

« …II faut commencer en hâte à mettre au point une pédagogie chrétienne qui élève ses membres, clercs et laïcs, à la taille aujourd'hui nécessaire pour comprendre et transformer le monde… ».

« …En un temps où l'on se plaint, à juste titre, de la rareté des "hommes de synthèse" dans les postes élevés de la politique, de l'économie et de l'éducation, la pédagogie chrétienne doit chercher à en augmenter le nombre. L'éclairement de la première partie de la Constitution pastorale qui ébauche une anthropologie chrétienne, rend plus facile la perception, l'interconnexion et la hiérarchisation des valeurs… »[84].

 II – FACE AUX REALITES.

 A ce point de la circulaire où nous en sommes et dans la vue d'ensemble qu'elle donne, il sera aisé de comprendre ce que signifient les phénomènes suivants

– analphabétisme généralisé des adultes,

– absence de culture de base et manque de préparation technique et professionnelle des mêmes adultes,

– manque de scolarisation, soit parce que les élèves ne sont pas présents (les causes peuvent en être multiples et il serait trop long de les exposer ici) soit parce que les institutions éducatrices sont insuffisantes,

– insuffisance des maîtres en quantité et en préparation,

– attitude des parents au sujet de l'éducation et intérêt des jeunes pour elle,

– types d'éducation éloignés des réalités sociales et des responsabilités historiques.

Par contre, combien sont importants pour le développement d'un peuple, la qualité et l'authentique vocation de ses maîtres, la valeur de ses institutions et surtout l'efficience de la scolarité Icelle. Dans l'appréciation de cette dernière, on peut retenir, comme indication approximative, le l'ombre d'années de scolarité par tête dans le pays envisagé. Je me borne ici à quelques données et à quelques chiffres, ceux qui sont absolument indispensables ; ils sont extraits d'une publication de I'UNESCO. Pour le reste je renvoie aux tableaux annexes de la circulaire. Ces données permettront au lecteur de se faire une idée de l'état problématique, de l'éducation dans le monde.

Dans tous les pays du monde, la demande pour une éducation plus développée – écoles, collèges, équipement, professeurs dépasse largement tout ce que chacun des pays peut fournir. Même les pays développés ne peuvent répondre aux exigences de leurs propres populations et les pays moins fortunés malgré les très fortes augmentations de leur budget pour l'éducation et l'aide étrangère reçue ne peuvent suffire aux nécessités à tous les niveaux primaire, secondaire, supérieur et éducation des adultes.

Une amélioration sensible s'est fait sentir à la suite de la campagne intensive contre l'analphabétisation menée par l'uNEsco à travers le inonde depuis 1948 comme l'indique l'annexe 8. L'analphabétisation dont souffraient 44,4% de l'ensemble du monde en 1950 est passée à 39,35 en 1960. Mais un long chemin reste encore à parcourir, car l'on constate et d'une manière criante que les pays les plus frappés économiquement sont aussi ceux qui souffrent le plus de cette plaie : plus de 80% de la population africaine, près de 70%r de celle de l'Inde et du Proche-Orient, alors que l'on trouve moins de 3% d'analphabétisation en Amérique du Nord et moins de 6% en Europe. (incluse l'U.R.S.S.).

Aussi longtemps que demeurera « le scandale et la honte de l'analphabétisation » comme l'appelait le Directeur Général de l'UNESCO, le travail des organisations qui répandent l'instruction et l'éducation reste un élément de première valeur dans la lutte pour le développement économique des peuples. Presque toujours, l'ignorance des masses chemine de pair avec la pauvreté, la sous-nutrition la malnutrition et le manque de santé. Aussi longtemps que cela durera, l'écart ou la disproportion entre les nations « qui ont » et celles « qui n'ont pas » ne saurait être réduit ; parce que les pays qui reçoivent une aide économique ne pourront en faire un usage efficace si le niveau d'éducation de leurs citoyens demeure trop bas.

Dans l'ensemble des pays en voie de développement de l'Afrique, de l'Amérique latine et de l'Asie, l'inscription scolaire primaire et secondaire a augmenté de 70 millions entre 1958 et 1965 et totalise présentement 180 millions soit une augmentation de 65%. L'objectif que l'on cherche à atteindre pour ces mêmes pays en 1970 est de 250 millions, soit une autre augmentation de 40%. Les inscriptions pour des études supérieures devraient s'élever de 48% – de 2.9 millions en 1965 à 4.3 millions en 1.970. Si cette expansion se maintenait pendant trois ou quatre décennies et s'accompagnait d'améliorations dans la qualité de l'éducation, ces régions auraient jeté alors les bases éducatives et technologiques d'une vraie indépendance économique et d'un développement social continu.

Mais de graves problèmes doivent être surmontés pour atteindre ces objectifs. L'un de ceux-ci est l'abandon de l'école par un trop grand nombre d'enfants : les avantages de la fréquentation scolaire ne sont pas toujours évidents pour les pays dont l'économie est encore surtout de nature agricole, et en beaucoup de pays d'Afrique, un peu plus du quart reniement des enfants qui s'inscrivent à l'école primaire finissent le cours. Mais le plus grave problème est le manque de professeurs. Les plans de développement scolaire proposés exigeraient une augmentation totale de 169.000 professeurs au niveau primaire et de 78.000 professeurs au niveau secondaire entre 1965 et 1970 ; présentement plusieurs pays doivent employer pour le primaire des professeurs qui, eux-mêmes n'ont pas terminé leur secondaire et dans certains cas même des professeurs qui n'ont pas même fréquenté les classes du secondaire. En éducation secondaire, beaucoup de nouveaux pays indépendants d'Afrique doivent encore beaucoup compter sur des professeurs venant de l'étranger[85].

Dans beaucoup d'endroits, l'appétit de culture devient une réalité. Sans doute il est vrai qu'il y a des régions du Tiers-Monde où encore aujourd'hui les parents voient dans leurs enfants une aide dans le travail et une source de revenu familial, et cela dans l'immédiat ; ils les éloignent donc de l'école, leur font paître les troupeaux ou cultiver la terre, même bien jeunes.

Mais il est aussi vrai d'affirmer que dans d'autres endroits, et ils sont nombreux, l'attitude des parents et des enfants est tout à fait à l'opposé.

Je m'étends un peu sur ce point pour vous transmettre deux constatations, entre plusieurs autres, qui m'ont ému dans un récent voyage en Afrique. Dans certains endroits de Madagascar des parents pauvres font de grands sacrifices économiques et se privent du travail de leurs enfants pour leur faire acquérir une carrière. Lorsqu'on m'a présenté ces gens au marché populaire, j'ai vu leur pauvreté et je me suis rendu compte de ce que c'est que de se priver de tout pour donner une formation à ses enfants. Il faut bien dire d'ailleurs que les Frères eux-mêmes peuvent être présentés comme modèles sous beaucoup d'aspects, dans ce grand effort, même relativement au niveau de vie dont ils se contentent pour mieux ouvrir et par conséquent démocratiser l'enseignement.

A Akono et Saa (Cameroun) il y a des élèves qui font 25 et 30 km chaque jour à pied pour assister chaque jour à la classe. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'exagération ; et puis j'ai pu constater par la coïncidence des informations que c'était bien vrai. Ils partent de chez eux vers 4 h ou 5 h du matin (quelques-uns portent un casse-croûte pour midi) et ils retournent vers 8 h du soir pour l'a ire leur travaux scolaires sans lumière électrique. Il vaut vraiment la peine de quitter la patrie et de consacrer sa vie dans la pauvreté et la virginité pour se vouer corps et âme à ces régions si assoiffées de formation et de culture. Comme on est surpris de voir le sérieux et les efforts de beaucoup de ces jeunes qui font leurs études dans des conditions de pauvreté pas du tout favorables, si on les compare à celles des enfants de la classe fortunée qui sont souvent négligents et difficiles, parce que, ne connaissant rien des exigences de la vie, ils jouissent des biens de leurs parents, et se sentant à l'abri derrière la fortune paternelle, ils végètent dans les écoles des pays développés où la culture serait à la portée de la main, la vigilance et le contrôle des parents et des maîtres n'exerçant sur eux, en dépit de son intensité, qu'une stimulation un peu artificielle.

Cette évidente soif de culture et de coopération au travail du maître, au sein des peuples jeunes, et les demandes de tant de régions que le manque d'hommes ou d'argent laisse sans éducation systématique d'aucun genre : voilà de quoi relancer les nobles efforts déjà entrepris pour coordonner l'action de l'Etat et l'initiative privée, et permettre ainsi au plus grand nombre possible d'élèves de recevoir une bonne éducation.

Ce mouvement de démocratisation de l'enseignement ne doit pas non plus faire oublier l'autre aspect du problème qui n'est pas moins important et efficace : celui de la qualification et de la diversification de ce même enseignement : but auquel doivent tendre aussi les efforts de tous.

 III – PAR LA COLLABORATION

 Combien d'erreurs n'a-t-on pas commises dans les pays dont l'éducation porte aujourd'hui les marques du siècle passé, des luttes idéologiques entre libéraux et conservateurs. Je suis bien d'accord qu'elles sont très compréhensibles dans le contexte historique où elles sont nées, et même parfois ce contexte les justifie. Ce qui est vrai aussi, c'est que, explicables ou non, elles ont nui considérablement à l'effort éducatif et il serait aujourd'hui absurde de ne pas tout faire pour les dépasser le plus tôt possible là où elles subsistent. Et cela invite à rechercher l'effort commun ; à se greffer avec enthousiasme et générosité sur tout ce que l'éducation officielle fait de constructif et de noble avec une générosité et une disponibilité qui doivent être plus grandes que celles des professeurs laïcs et nous faire accepter les postes les plus difficiles et les plus délaissés.

A son tour, l'Etat doit respecter tous les droits de l'éducation privée[86], accueillir avec sympathie et gratitude des efforts généralement nés bien plus d'un idéal d'éducation que d'un besoin de trouver une profession ou un revenu économique personnel, et au lieu d'employer des tactiques discriminatoires – même quand elles sont voilées intégrer équitablement les structures et les éducateurs privés dans sa politique éducative et financière, non seulement comme exécutants d'un programme éducatif qu'ils n'ont pas fait, mais comme co-gestionnaires de plans qu'il veut réaliser de concert avec eux.

Combien d'erreurs ont été commises aussi aujourd'hui dans les pays socialistes où l'on a non seulement éliminé de toutes les parties de l'éducation et ici pour des raisons idéologiques de pouvoir et de contrôle – la présence d'excellents éducateurs et de vrais apôtres de la pédagogie ; mais de plus, par cette absence même, causé un grand dommage à la société en l'empêchant d'intégrer dans l'éducation les plus hautes valeurs, la réponse aux problèmes les plus profonds de l'homme et les plus hautes raisons de vivre. Par le fait même, l'ambiance sociale est privée du ferment très puissant qu'est le christianisme pour animer la mystique de la solidarité[87], du don de soi au bien commun, de l'honnêteté et de la droiture dans l'administration publique professionnelle, et du respect profond envers la dignité et les droits de la personne[88].

En Afrique, j'ai pu trouver très récemment, dans des pays libres de la double influence négative dont j'ai parlé, de beaux exemples de coopération, d'intégration et de solidarité.

 V – LE MEILLEUR INVESTISSEMENT

 Un très intense effort éducatif : c'est donc en cela qu'il faut voir parmi les leviers à employer un des plus puissants, un des plus rapides et des plus définitifs pour le développement.

Le travail de l'éducation occupe une place primordiale dans la promotion des peuples et il y a certainement là une occasion unique à offrir à tous ceux qui vivent en marge de la culture : analphabètes complets, analphabètes fonctionnels, non scolarisés, hommes sans éducation de base. Sans une série d'apôtres de la personne humaine et de l'Evangile, tout développement appuyé sur la seule aide en argent et en instruments demeurera bloquée. Dans tout bon plan de développement, la primauté revient à l'éducation. Elle lui est indispensable, parce que, comme le disait très bien A. Marshall, il y a déjà plus de 50 ans : « Le capital le plus précieux c'est celui qui s'investit dans les êtres humains »[89].

Marx aussi d'ailleurs reconnaissait le rôle important de l'éducation non seulement dans la promotion de la paix et de l'harmonie sociale, mais dans le processus même de la création des richesses. Un des facteurs essentiels du « miracle allemand » qui n'est pas unique, ne se trouve-t-il pas dans le haut niveau moyen de la culture du peuple allemand ? Lorsque l'on compare par exemple. son indice de scolarité par tête avec celle de tel autre pays, il est facile de comprendre l'échec inévitable de certains plans de développement qui ne commencent pas par la base.

Les professeurs A. Lewis, T. Schultz, A. Baltra et J. Hakeim participant à une étude réalisée par les Nations-Unies sur les mesures à prendre pour aboutir au développement des pays sous-développés, ont pu affirmer que « l'argent que l'on investissait dans la préparation de l'élément humain avait un résultat probablement aussi productif dans le sens strictement matériel du mot que celui qui était investi en machines et en bâtiments. Dans beaucoup de cas, la première dépense donnerait même pour résultat une mise en circulation des biens et des services supérieure à celle que l'on obtenait dans la seconde »[90].

Mais la formule de ces penseurs est incomplète. S'il est certain que l'investissement qui se fait en éducation produit de magnifiques dividendes pour l'économie, cela ne signifie pas que le développement économique doive devenir l'objet unique de l'éducation : la fin de celle-ci est supérieure. On doit investir dans l'homme, non parce qu'il produit ainsi davantage et pour qu'il produise davantage – thèse néo-libérale mais parce que. en investissant dans l'homme, on lui assure une promotion personnelle qui le rend apte et le dispose à mieux servir ses semblables par le moyen du développement. Ainsi arrive-t-on à ce développement intégral dont parlent les penseurs catholiques.

L'essayiste et professeur universitaire latino-américain Alejandro Lora Risco affirme : « Le levier le plus puissant des changements imaginables et qui ne peut, bien entendu, être acquis qu'au sein même du développement, c'est l'éducation de la conscience populaire »[91]. C'est bien là, on le voit, que peut se situer le grand apport de la congrégation dans l'éducation des futures générations.

José Vasconcellos, ministre de l'Education au Mexique, il y a quelques décades, et mystique de la promotion humaine par la culture, disait : « L'ignorance d'un seul citoyen affaiblit la nation tout entière ».

 V – APPLICATIONS PRATIQUES

 L'éducation actuelle offre 3 résultats sans lesquels le « décollage » de n'importe quel pays vers le développement est voué à l'échec, quels que soient les plans que l'on fasse et les investissements qui arrivent du dehors ou du dedans. Ce qu'il faut c'est donc :

1 – Créer des attitudes bienveillantes, compréhensives, accueillantes à la tâche du développement. Celui-ci quittera son identité d'étranger et deviendra un être familier auquel s'intéresseront les gens ; un idéal qu'ils aimeront et qu'ils comprendront et dans lequel ils s'intégreront.

2 – Découvrir, éveiller et orienter les vocations pour le développement à tous les niveaux :

a) D'abord en essayant de mettre « the right man in the right place », l'homme à la place qui lui permet le mieux de se réaliser lui-même.

b) Ensuite – et ceci est capital en donnant la formation la plus complète aux élèves dont le sens vital, dont la vocation existentielle seront d'être les promoteurs permanents du développe-ment que j'ai essayé de vous suggérer et dont le pape dans la pathétique conclusion de Populorum Progressio nous convie à devenir les apôtres[92].

3 – Rendre ceux qu'on éduque capables professionnellement et techniquement de leur tâche sociale. le développement n'est pas fait, simplement parce qu'on a mentalisé ou enthousiasmé les esprits en sa faveur ; même pas parce qu'on a fait de la planification. Il faut encore qu'une vraie coordination existe entre les organismes de planification et les organismes de réalisation. Un haut degré de qualification professionnelle et technique chez ceux-ci (on leur suppose aussi responsabilité et mystique) donnera le pourcentage attendu de réalisation et d'une réalisation de qualité.

La philosophie selon laquelle tous auront été formés dégagera le sens ultime du développement herché et les raisons profondes de s'y dévouer[93].

Rien d'étonnant devant les résultats décrits plus haut que le sous-directeur de l'UNESCO : Gabriel Betancur Mejia, dans l'article intitulé  : « La réforme de l'Education », prenant comme source d'information le rapport final de la commission spéciale de l'OEA pour promouvoir la programmation et le développement de l'éducation, la science et la culture en Amérique Latine, ait pu dire : « Il n'est pas exagéré d'affirmer que la différence la plus remarquable entre les pays développés et ceux qui ne le sont pas, c'est que dans les premiers la population a accès à l'éducation, et que dans les seconds un fort pourcentage de la population n'a même pas accès à l'instruction primaire et fonda-mentale. La base primordiale de l'acquisition d'un haut niveau de vie a ses racines dans le niveau éducatif de la population. Il existe une parfaite corrélation entre le revenu par tête et le degré d'éducation d'une personne.

Les pays américains désireux d'atteindre pour leur population le plus haut niveau de vie possible ont déclaré par l'intermédiaire de leur ministre de l'Education, dans la réunion tenue à Lima en mai 1956 : « L'éducation possède le plus grand multiplicateur économique, social et culturel et, d'accord avec cette déclaration, nous recommandons tous les pays membres de l'OEA de commencer la planification intégrale de l'éducation ». (…).

« Seuls ceux qui ont atteint un niveau adéquat d'éducation peuvent non seulement jouir des bien-faits de la liberté, mais être à même de la fortifier et de la défendre »[94].

 VI – L'ACTUALITE DE NOTRE VOCATION

 Terminons ces réflexions sur le rôle de l'éducation dans le développement par deux points importants  :

1 – face à cette actualité de l'éducation avec cuit urgence et l'insuffisance de ses moyens, face aussi à l'augmentation impressionnante et galopante de la population jeune (en certains pays, rappelons-le, plus de 50% de la population totale) la tache éducatrice et ses institutions acquièrent une Importance fondamentale. La «remise en question» de la vocation, surtout chez ceux qui la construisaient autour d'un axe apostolique et d'un amour de la jeunesse, et qui avaient pour la tâche éducative une con-naturalité, serait un non-sens, et semer le doute sur la valeur actuelle de cette tâche serait non seulement une attitude sociologiquement fausse, mais un préjudice certain et grave au pro-grès et à l'évangélisation.

Quel sens aurait pour nous qui sommes nés pour cela ce doute sur l'importance de notre action en un moment où le concile a affirmé formellement cette importance ?

« La présence catholique, dit la déclaration : "Gravissimum", dans le domaine scolaire se manifeste à un titre particulier par l'école catholique…. Ce qui lui appartient en propre, c'est de créer pour la communauté scolaire une atmosphère animée d'un esprit évangélique de liberté et de charité, d'aider les adolescents à développer leur personnalité en faisant en même temps croître cette créature nouvelle qu'ils sont devenus par le baptême, et finalement d'ordonner toute la culture humaine à l'annonce du salut de telle sorte que la connaissance graduelle que les élèves acquièrent du monde, de la vie de l'homme, soit illuminée par la foi. C'est ainsi que l'école catholique, en s'ouvrant comme il convient au progrès du monde moderne, forme les élèves à travailler efficacement au bien de la cité terrestre. En même temps, elle les prépare à travailler à l'extension du royaume de Dieu de sorte qu'en s'exerçant à une vie exemplaire et apostolique, ils deviennent comme un ferment de salut pour l'humanité.

L'école catholique revêt une importance considérable dans les circonstances où nous sommes, puisqu'elle peut être tellement utile à l'accomplissement de la mission du peuple de Dieu et servir au dialogue entre l'Eglise et la communauté des hommes, à l'avantage de l'une et de l'autre »[95].

Une crise d'identité institutionnelle en ce moment n'aurait aucun sens ni idéologiquement devant la doctrine de l'Eglise conciliaire, ni sociologiquement en face d'une analyse de la réalité.

Ce qu'il faut faire, c'est – et ceci est incontestable – rattraper le « déphasage » qui s'est produit en nous dans une tâche que rend plus difficile le contexte du monde d'aujourd'hui et le changement impressionnant de mentalité de la jeunesse actuelle.

2) Pour cette tâche, on peut bien inventer toutes les réformes de structures (il ne s'agit pas de les bouder) et compter avec toute la générosité disponible ; mais que représente l'apport en personnel et en argent de toutes les congrégations enseignantes en face du problème immense de l'éducation du monde ? Non, c'est toute la société : famille, Eglise, Etat, entreprise, qui doit coopérer à cette tâche. Des accusations de style démagogique

conduisent à rien, et, chez les moins préparés, sèment désenchantement, crises et même abandon de nos institutions. Il y a des situations négatives dont il faut une fois pour toutes, rejeter l'influence. C'est à peine si la société en s'y mettant tout entière pourra créer, et pas avec de petits efforts timides, les moyens d'éducation et les postes de travail pour la génération qui entre aujourd'hui dans la vie. Et à nous, professionnels et apôtres de ce secteur, ne nous y serait-il pas réservée une place de toute première ligne où nous pourrions manifester une générosité et un esprit d'adaptation au moins aussi grands que les meilleurs laïcs ?

Ici viendront bien à propos pour confirmer cette assertion les paroles que S. S. Paul VI adressait aux participants du congrès organisé par l'Office Catéchétique National sur le thème : Pastorale et Enseignement Secondaire :

« C'est avec joie que nous exprimons Notre vive satisfaction pour le renouveau de sollicitude que suscite chez les catholiques du monde entier, le grand et fondamental problème de l'école. Une longue et belle tradition d'études et d'activités appuie leur action dans ce domaine ».

« Nous souhaitons voir ce renouveau s'étendre, au-delà des milieux scolaires et pédagogiques directement intéressés, à tous ceux que regarde plus particulièrement le développement de l'école : les familles et la société. Il est indispensable, en effet, que l'expansion croissante de l'école et son évolution s'accompagnent d'une prise de conscience commune des problèmes scolaires, prise de conscience éclairée par des principes droits, des informations exactes, des consignes judicieuses ».

« Si les catholiques ont l'obligation de contribuer au bien-être de la vie nationale, ils ne peu-vent rester insensibles ou inertes devant le grave et décisif problème de l'école. En tant que citoyens, et davantage encore en tant que chrétiens, ils doivent se passionner pour ce problème ; ils doivent apporter à sa solution progressive une attention sérieuse et vigilante, une collaboration des plus loyales, en faire l'objet de discussions approfondies » (Paul VI, Allocution aux participants au Congrès de l'Office Catéchétique, Rome, 28 août 1964). 

JALONS POUR UNE REFLEXION :

 L'adaptation de la congrégation face à cette situation et à ces appels.

 De ces longues considérations que je viens de faire quelles conclusions se dégagent pour nous ? La réponse à cette question doit se situer remarquons-le bien à l'intérieur d'un cadre inamovible où se trouve aussi la clef pour interpréter tout ce qui reste à dire. Des quatre côtés de ce cadre. trois sont primordiaux et un dérivé. Autre remarque qui doit aussi rester bien claire : quelque interprétation qu'on fasse de la doctrine ici exposée et de la problématique qu'elle suscitera, quelles que soient les questions qui à la suite seront formulées pour notre congrégation, si elles étaient en mage de ces quatre principes, non seulement elles se mettraient en désaccord avec ma propre pensée, mais de plus, il me semble, elles produiraient une désorientation pour l'Institut et une crise d'identité. Voulant faire ce pour quoi nous ne sommes pas faits, nous cesserions de faire ce pour quoi nous sommes nés et ce pour quoi certainement nous avons été préparés (à différents niveaux, c'est vrai, et selon les circonstances, les personnes et les lieux, mais préparés quand même), compte tenu surtout que la vie et l'action sérieuses sont aussi une préparation, et très valide, au développement de la vocation elle-même.

Les trois principes primordiaux, à la lumière lesquels doit être interprété ce message sont donc les suivants.

1 – L'action que doivent réaliser les Frère doit venir d'une impulsion très intense de charité surnaturelle, qui procède de la foi et s'alimente dans la prière. Cette prière, dans notre cas. peut signifier concrètement contemplation du mon de à la lumière de la foi en dialogue avec le Seigneur.

2 – La réponse à la problématique d'aujourd'hui doit être donnée d'accord avec le charisme du Fondateur et par conséquent selon la nature propre de l'Institut et dans un contexte ecclésial, ce qui signifie qu'elle doit être soumise au magistère de l'Eglise, par conséquent dans l'esprit con-ciliaire et en coordination avec les efforts unis de la réflexion et de l'action pastorale de l'Eglise locale et de l'Eglise tout entière.

3 – La réponse doit être donnée selon un programme très attentif à la réalité : que disent et que demandent les temps ? les choses ? les situations ?

Et voici le principe, dérivé des trois précédents et qui doit s'agencer à eux et dans ce même cadre toujours en vue d'une bonne interprétation du message.

4 – La recherche et l'extension du champ d'action et son attribution à chacun selon ses inclinations et ses qualités personnelles, tout cela doit se faire avec la souplesse qu'exige l'action et la créativité, à condition que ce soit marqué au coin de l'authenticité. En effet, si on trouve pour un homme l'emploi où sa générosité et ses talents peuvent se développer de façon satisfaisante et dynamique, ce sera sûrement à la gloire du règne du Christ, si toutefois il sait accepter la croix, quand celle-ci se présente dans le cours de sa vie.

Mais il est bien clair que l'on ne peut ni se plier à des égoïsmes personnels, ni encore beaucoup moins aux velléités et aux caprices subjectifs et changeants de certains sujets instables qui bouleverseraient inconsidérément planification, organisation et continuité des œuvres[96]. Il serait bien étrange que la profondeur de notre vie communautaire, les riches traditions de l'Institut qui viennent de recevoir une impulsion nouvelle et intense dans les « feuilles roses », il serait bien étrange, dis-je, que cette communauté de foi, d'amour, de prière, de culte et de vie, ne pût s'achever dans une action en équipe de type apostolique et missionnaire. Et même ne serait-ce pas ridicule, que, sous le signe du vœu d'obéissance, s'établît un style de vie laissant paradoxalement chaque membre évoluer avec une indépendance et une fantaisie qu'on ne verrait pas comment justifier. Une entreprise ou une institution temporelle sérieuse et bien organisée dans le monde du commerce peut certes, laisser place à la créativité, à la participation, mais non à l'anarchie. Tout se passe selon la politique et dans les limites fixées par le conseil d'administration. Les différents projets sont examinés et votés, et ensuite ou bien acceptés en leur totalité, ou bien modifiés partiellement, ou bien refusés. Et à la fin, chaque membre doit bien plier sa créativité aux réa lités d'une nouvelle phase d'exécution.

Mes Bien Chers Frères, comme vous pouvez voir, dans ces pages j'essaie de sensibiliser le Chapitre et de l'aider face à des problèmes énormes. mais inévitables et saintement urgents. Chez les Frères non Capitulants, cela suscitera, je crois, diverses réactions : des impatiences et des enthousiasmes chez les uns (ferments bénis pourvu qu'ils poussent dans une tête, et surtout dans tout un être bien équilibré) ; d'autres seront étonnés et désorientés.

Pour mieux illustrer l'affirmation précédente je me permets de narrer une petite anecdote récente qui a eu lieu dans le cours donné aux Frères qui finissaient les études de « Jesus Magister » ou d'autres études théologiques dans les universités romaines[97]. Un des participants du cours me de-mande donc : « De quoi traitera – si ce n'est pas un secret – la quatrième partie de la circulaire ? ». Avant de lui répondre, devinant une arrière – pensée dans sa demande, je lui dis : «Quel est le motif de votre intérêt ? ». Il me répond : « C'est qu'un des Frères qui a lu ce qui est déjà écrit de cette quatrième partie, m'a dit que le thème de cette circulaire n'avait rien à voir avec notre vocation ». Ma réponse alors a été la suivante  : « Je voudrais pourtant – je ne sais pas si je réussirai – obtenir d'une institution qui a presque 10.000 membres ( hommes qui peuvent être totalement dévoués, parce que libérés, et qui sont répandus dans beaucoup de régions du monde, et qui dirigent une très grande quantité d'institutions éducatives) qu'elle se pose, dans le contexte du monde d'aujourd'hui, au sujet de la situation actuelle, de la jeunesse, au sujet aussi de l'orientation, de l'emploi et du résultat de toutes ses œuvres et de tous ses efforts, en vue du bien de la société et du royaume des Cieux, des questions semblables à celles que se poserait un parti communiste concernant ses propres objectifs si, du soir au matin, il trouvait qu'il a en main cette institution, avec ses 10.000 volontaires, libres de tout conditionnement et dans un degré de dévouement très divers mais réel, en état d'agir immédiatement sur la jeunesse : c'est-à-dire aujourd'hui et pour aujourd'hui sur des centaines de milliers de jeunes de cette passionnante génération. Le contenu de la circulaire est donc tout simplement celui que j'ai cru capable de nous faciliter cet examen dans le contexte du monde d'aujourd'hui.

Permettez-moi d'ajouter encore un mot à cette réponse. Je suis convaincu que, dans l'hypothèse que je fais, le communisme n'abandonnerait pas une position qui lui donnerait un tel moyen d'action sur le terrain éducatif. Nos activités sont extraordinairement rentables pour n'importe quelle idéologie et pour n'importe quelle cause.

Mais trêve de pragmatisme. C'est avec un in' mense respect pour la personne de ceux que nous éduquons et dans la seule conviction que par notre travail nous les mettons dans la bonne voie de la vérité, du bien et du développement des valeurs authentiques, en les orientant vers le Christ, Voie vers le Père, Sacrement du Père et Vrai réalisateur de la vie, c'est, je le répète, dans cette seule conviction que je vous convie à prendre à nouveau conscience de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Je ne veux pas du tout provoquer une crise d'identité institutionnelle, mais bien plu tôt, dans un nouvel éclairage réaffirmer notre action et chercher à la rendre plus ample, plus pro fonde et plus généreuse. C'est dans une. optique de confiance que je demande sans crainte au Chapitre une sérieuse révision en face du monde d'aujourd'hui.

Si cela se fait comme il faut, ce ne sera pas une trahison au but de notre Institut, mais tout au contraire, un précieux service à lui rendre, en lui offrant une série d'adaptations et de choix, de purifications et de hiérarchisations des moyens ; en établissant des priorités susceptibles de nous donner le moyen d'être plus efficacement, plus joyeusement, ce que nous sommes et ce pour quoi nous avons été fondés. 

 A. CONSEQUENCES POUR NOTRE ETRE.

 1. – De tout le long préambule de cet exposé, se dégagent, me semble-t-il, des exigences assez sérieuses que je soumets à la considération de tous., non comme directives, mais comme simples semences de réflexion pour que Frères et Capitulants les examinent et les intègrent parmi d'autres données cherchant eux-mêmes la réponse aux questions qu'ils croient valables et judicieuses.

a) Nous devons être des hommes de notre temps et dans notre temps ; sensibiliser vivement la conscience de notre moment historique, demeurer dans le dialogue et dans la communion que l'Eglise a établis avec le monde, et particulièrement être à l'écoute pour découvrir les signes de notre temps. Cette écoute doit trouver un écho dans le fond de notre conscience et être accueillie avec de la sympathie, de la compréhension, selon l'Evangile, fin d'être à même de donner une réponse, évangélique elle aussi, à ces signes de notre temps. J'insiste sur la nécessité d'une lecture de l'Evangile et d'une réponse évangélique, parce que toutes les lectures et toutes les réponses qu'on fait aux signes des temps ne sont pas des lectures et des réponses évangélique. Deux sortes de lectures de l'Evangile sont possibles : en premier lieu dans un meus historique, dans le sens où le présente si magnifiquement Houtart dans sa conférence : « L'Eglise et le développement », citée plus haut. « La parole de Dieu lue à la lumière de l'Histoire actuelle de l'humanité : une telle formulation, dit-il, peut paraître étrange pour un croyant. C'est générale ment la démarche inverse qui est faite. Le renversement des termes désire simplement indiquer que chaque période de l'Histoire, comme chaque culture fait sa lecture de la parole de Dieu. Chacune de ces lectures, faite en fonction des situations historiques particulières, enrichit la connaissance et, l'entendement que nous avons de cette parole. C'est seulement quand toutes les cultures de l'univers auront pu donner leur contribution que le message divin sera compris dans toute la richesse de son contenu »[98].

b) Mais dans l'ordre surnaturel la capacité pour pénétrer les événements dans leur sens mystérique (mystérique, selon la définition de Rab-Der, c'est-à-dire en tant que chargés de sens chrétien) dépend du degré de con-naturalité que chaque chrétien en particulier, que chaque société et que b' peuple de Dieu en général, ont avec l'Evangile, sous l'impulsion de l'esprit de Jésus. De façon très évocatrice l'a exprimé Romano Guardini, dans son livre intitulé : « Prière théologique » : « 0 Seigneur, tu as tout créé et toutes les choses sont pleines des images de tes éternelles pensées. Les choses du monde, les formes de l'Histoire, les mouvements de notre esprit nous enseignent à pressentir quelle intention tu as en nous aimant. A nous de comprendre adéquatement ces images. Elles peuvent se convertir en signaux du chemin qui nous portent aux mystères de ta rédemption, préparant le chemin de celui qui est sorti de toi, pour ramener le monde à sa vérité. Mais aussi elles peu-vent se convertir en des formes qui nous détournent de la voie et où notre esprit se perd ; des filets et des pièges dont notre cœur devient prisonnier. Donne-moi ta sainte clarté qui est déjà elle-même fruit de la rédemption, pour que je reconnaisse les indications qui portent vers Toi. Aide-moi à comprendre le vrai sens des paroles qui viennent de la Révélation et que, depuis si longtemps on ne reçoit que corrompues[99].

Ce n'est qu'à condition de nous compénétrer intimement de l'esprit du Seigneur et de l'esprit 'évangélique que nous pourrons nous adapter aux signes des temps et donner les réponses adéquates auxquelles font allusion les derniers Papes, selon la remarque très judicieuse du Père Lebret, dans Mou ouvrage déjà cité[100].

– Il faut découvrir l'avenir au sein du présent et ainsi le prévoir afin d'y préparer convenablement la jeunesse. Plus encore le chrétien, à cause même de la nature prophétique de son existence en face du monde – il est dans et avec l'Eglise sacrement pour le monde – doit accepter son temps avec joie, à condition bien sûr que cela n'implique pas désintégration de tout ce que le passé avait de bon, mais acception de nouvelles valeurs, dans une perspective humaine et même eschatologique. L'homme en effet, doit être par son témoignage et sa parole, un signal d'alarme lorsque les extrapolations de son propre temps sont déficientes. En se libérant d'elles et en se libérant aussi des courants démagogiques et d'un accueil béat des nouveautés qui conçoit tout ce qui est actuel comme parfait ou comme but à atteindre, le chrétien purifie l'aujourd'hui quand il l'accueille en fonction d'un demain qui est le demain temporel mais surtout le demain eschatologique[101].

3. – Il faut être sensible aux grands problèmes du inonde et en conséquence vouloir que notre congrégation, nos institutions et structures soient fonctionnelles en proportion des nécessités présentes. Cette fonctionnalité, comme on le comprend facile-ment, commence forcément par la disponibilité des cœurs de chacun des Frères, quand bien même elle ne finit pas là.

4. – Il faut avoir le sens des graves problèmes et des engagements que pose le « on s'y met » en certaines régions. C'est le cas lorsque les structures deviennent inacceptables dans le contexte du temps, oit pour mieux dire, au niveau de la découverte des données de l'Evangile connue explication de l'histoire, explication qui doit s'assimiler le mon-de et protester par exemple contre le racisme, le génocide, l'esclavage, etc. … Garder le silence sur de tels faits dans nos collèges et ne pas inculquer une contestation mentale dans la pensée de nos jeunes qui seront demain guides de la société et auront en main de grandes responsabilités, c'est quelque chose de très sérieux. Il est vrai que parfois matériellement on ne peut pas parler et encore moins agir. Que faire alors ? Quel jugement prudentiel doit nous guider ? Nous n'avons pas le droit d'être lâches ; nous devons nous décider pour une option évangélique adéquate aux circonstances.

5. – Il faut préserver en même temps le sérieux de la doctrine, non seulement en ne mettant pas d'entraves à ceux de nos Frères qui veulent travailler, et à leurs recherches dans tous les domaines de la culture, mais même en nous efforçant chacun d'être à la page. Etre à la page ne signifie pas pour autant manque de sérieux et de fidélité à la vérité. Cheminement difficile et complexe certes, mais nécessaire synthèse pour qui a le lourd et glorieux devoir d'éveiller à la vie, d'orienter les critères et de pousser à l'action les premiers pas des nouvelles générations.

6. – Il faut rapprocher notre génération adulte avec la jeune génération, lutant de toute notre âme pour raccourcir les distances, pour empêcher que s'approfondisse davantage le fossé qui déjà nous sépare. La nouvelle génération a besoin d'être écoutée et comprise, ce qui ne veut pas dire que les jeunes doivent être les maîtres, ni que nous ayons à changer les vraies valeurs traditionnelles pour nous plier à ce qui est faux, in-objectif ou simplement à la mode. Ce que je veux affirmer c'est que les jeunes doivent être écoutés et que nous devons recueillir de leur bouche ce qui est authentique et légitime.

J'insiste, parce que ce phénomène est très grave et existe à l'échelle mondiale. Même si l'on met à part l'usage et le profit que font de la psychologie collective de la jeunesse les activistes et les « centrales de contrôle » au service d'objectifs politiques très concrets, il n'en reste pas moins qu'il existe une accumulation progressive de rébellions et une charge émotive et passionnelle dans la jeunesse ; c'est indiscutable aussi que, nous les adultes nous perdons des moyens et des forces de conviction en face d'elle ; c'est clair qu'il se forme dans la vie des jeunes une « Weltanschauung »[102] différente et même diamétralement opposée à la nôtre.

Vivre en marge de cette réalité serait, pour nous, éducateurs, plus que pour nul autre, une omission d'une incalculable conséquence. Eh bien, cette jeunesse est le ferment et le nouveau produit d'un monde que j'ai essayé de vous décrire dans ces pages. Et d'autre part, nous n'avons pas le choix d'une autre jeunesse avec qui travailler. Je dirai mieux : avec toutes ses absurdités et ses rébellions, une partie importante de cette jeunesse vaut sans doute beaucoup mieux que telle autre jeunesse bourgeoise et individualiste des temps passés[103].

Cette jeunesse en tous cas, nous la prenons dans la carrière du monde et nous la taillons pour le monde. J'entends monde ici dans le sens dynamique, puisqu'il s'agit d'un monde dès l'origine sorti des mains du Père et donné aux hommes, agents de l'Histoire, pour qu'ils le fassent produire comme un « talent cosmique », qu'ils le transforment tout au long de cette histoire qui est et sera finalement l'Histoire du Salut dans un monde nouveau et dans un ciel nouveau, sous l'action du Christ qui n'est pas seulement créateur[104] mais « consommateur », parce que Seigneur de la création (pantokrator) il sera aussi celui en qui toute l'Histoire : les choses, les personnes et les sociétés seront récapitulées[105].

Dans ce dynamisme historique de la création s'est incrusté le péché et selon le beau commentaire de Houtart : « De ce péché présent dans l'Histoire, et désintégrateur des harmonies du monde, naît cette intervention spécifique du Christ, non pas intrusion mais manifestation particulière, destinée à assurer la possibilité finale de vaincre le mal et de préparer la nouvelle création »[106]

Jésus-Christ agit par son Eglise, sacrement de Salut pour le monde (Lumen Gentium, 7, 48) et l'Eglise agit par les chrétiens, puisque ceux-ci sont vraiment un peuple, pas un peuple d'entités idéales, mais d'hommes réels poussés par l'Esprit, et qui, unis avec et dans le Christ, doivent con-courir par une action pluriforme selon leurs charismes à un travail universel. Défi vigoureux et bienheureuse provocation aux chrétiens d'aujourd'hui ! Tâche magnifique qui vaut bien la peine d'être proposée à une jeunesse aussi dynamique que celle de notre temps[107].

Les chrétiens, dit Houtart, ne doivent pas oublier qu'il existe un lien mystérieux et réel entre la création de l'origine et celle de l'eschatologie : Il n'est pas indifférent pour la nouvelle création que nous ayons fait du monde un univers habitable pour un homme sans cesse plus semblable à sou Créateur, ou au contraire un enfer de haine et de destruction. Il y a un lien mystérieux entre les dieux. Le Père Schillebeeckx dit que le monde tel que nous le faisons sera le matériau avec lequel le Christ réalisera la nouvelle création »[108].

7. – Il faut éviter la crise d'identité institutionnelle et le doute sur la valeur de notre vocation. Dans la perspective signalée auparavant on voit combien je suis loin de cette position si réellement Ir Frère éducateur reste fidèle à son charisme et à sa vocation dans l'authenticité de la vie, la plénitude du dévouement et la ferveur en vue de l'idéal. Libérer des êtres humains du conditionnement de la vie séculière (gain, intérêt, famille, régionalisme, nation, vie sexuelle) pour les dédier, avec toutes leurs énergies et toute leur unité psychique, les intégrer dans une équipe d'action, les offrir comme un don au service de la jeunesse, du développement et de l'évangélisation, par le moyen de la tâche éducatrice, dans ses formes les plus diverses et les plus efficaces, cet idéal sera toujours d'actualité tant qu'il y aura des générations nouvelles sur la terre, cette vocation sera toujours jeune et toujours d'une importance fondamentale pour l'Eglise et pour le monde[109].

Ce n'est que dans des cas réellement exceptionnels qu'un laïc, en supposant d'ailleurs égalité de conditions spirituelles et professionnelles, pourra égaler, et encore plus difficilement surpasser l'efficacité, l'intégration et le dévouement d'un bon religieux, surtout en mission. Je fais cette affirmation sans aucun esprit pharisaïque et sans aucun mépris de la tâche du chrétien séculier, puisque celle-ci accomplit une fonction et une mission que précisément n'effectue pas habituellement le religieux consacré.

Mais s'il est bien vrai que la mission du Frère est tout à fait d'actualité, ceci ne veut pas dire que nous n'ayons pas à nous mettre à la page pour ré-pondre aux impératifs qu'aujourd'hui exige la formation sociale, anthropologique et historique[110]. Plus encore la formation spirituelle et religieuse d'aujourd'hui doit être très au-dessus de ce qu'on croyait hier suffisant et on doit en dire autant des connaissances de la psychologie évolutive et de la pédagogie. Et surtout on a besoin d'une expérience spirituelle intérieure profonde et vitale, d'une vie de prière qui en soit au degré de la familiarité avec la prière, au point que celle-ci soit « un lieu connu et vécu », sans divorce avec la vie, avec l'action, avec la réalité.

8. – Enfin il faut être profondément évangélique. Ce n'est sûrement ni l'amour pour le social, ni l'intérêt pour le développement, ni encore bien moins la tendance à réduire notre christianisme à la dimension horizontale dans le sens d'une désacralisation de notre tâche et de notre vocation qui vont nous maintenir célibataires et consacrés. Ce u'est pas non plus ce qui va maintenir, revaloriser et étendre l'Institut. Si un tel renversement des valeurs se produisait, bientôt nous constate-rions que pour réaliser un programme semblable nous n'avions pas besoin d'être religieux. Il est vrai qu'être religieux petit être extraordinairement rentable pour l'éducation et le développement, mais il est encore plus vrai qu'on ne se fait religieux, ordinairement, ni pour l'éducation ni pour le développement, mais parce que, épris d'amour pour le Christ on adopte sa forme de vie et son message, comme la forme qu'on veut donner à son existence à soi-même, et qu'on veut vivre en plénitude, et toute sa vie.

Certainement beaucoup de choses peuvent et doivent changer aujourd'hui parmi nous. Cependant si le changement ne nous donnait pas de nouvelles formes de vie mariste, adaptées sans doute au style du 20ièmesiècle, mais plus évangéliques ou au moins aussi évangéliques que les précédentes, surtout en ce qui concerne la prière, la générosité, la pauvreté, l'abnégation, l'amour. l'obéissance, la foi, nos programmes capitulaires fini-raient en un beau feu d'artifice. 

B. CONSEQUENCES POUR NOTRE TACHE.

 Ils ne sont pas moins exigeants ni moins nombreux les points qui me semblent se déduire de l'analyse de cette circulaire, pour notre tâche de maristes et de religieux éducateurs. Je me permets donc de présenter une série de suggestions à votre considération afin qu'elles puissent, comme je l'ai dit plus haut, vous servir simplement de catalyseurs de réflexion. Je crois que je pourrais faire miennes les paroles qu'écrivait Albert Maréchal dans la préface de son premier ouvrage (qui était aussi le premier à parler sérieusement de la révision de vie) quand il disait : « Mon désir sans doute ne dépasse pas le désir de donner quelques expériences et réflexions. Mais je me tiendrais pour satisfait si elles réussissaient, ces réflexions et expériences, à en provoquer d'autres nouvelles pour que les unes et les autres puissent se confronter »[111],

Ces exigences ou réflexions, je les groupe dans les onze points que voici pour une meilleure vision d'ensemble :

– une philosophie de l'éducation

– une indication d'objectifs

– une politique éducative et institutionnelle

– une pédagogie capable de réaliser ces objectifs

– une planification

– une attention particulière aux mouvements de jeunesse ; et une création de centres spéciaux, même sans programmes trop systématiques, pour la formation d'apôtres des jeunes et d'apôtres adonnés à des tâches sociales

– les terrains d'apostolat que peut envisager l'Institut

– la recherche de financement et d'aide économique permettant de démocratiser notre éducation

– une synthèse équilibrée qui évite deux écueils : l'évangélisation pure avec certains excès de prosélytisme, et une attitude temporaliste sans (préoccupation religieuse

– une attitude de service envers l'Etat et envers la société

– une attitude de souplesse à s'adapter dans un monde changeant et avec une jeunesse aussi en mutation,

Je vais essayer de développer un peu ce points :

1) Une philosophie de l'éducation, ou même mieux : une théologie de l'éducation.

Celle-ci doit synthétiser et harmoniser en elle en priorité ces deux tendances : la recherche du Royaume des Cieux et la tâche terrestre. Nous ne pouvons pas former l'homme unilatéral. Eh bien ! c'est plus difficile qu'on le croirait. Tout d'abord cela exige une sérieuse anthropologie chrétienne, un sens exact de l'eschatologie, une mise au point entre nature et grâce et surtout la connaissance des tensions entre la chair et l'esprit, une théologie des réalités temporelles et sociales, etc. … Ce n'est que sur ces bases et dans une synthèse de ces éléments qu'on pourra faire aboutir le dessein anthropologique dont je parle, dessein qui doit être suffisamment réaliste pour être réalisable et suffisamment large pour laisser la place à l'intérieur de lui-même à la réalisation des valeurs non seulement des diverses cultures, mais aussi de la vocation personnelle de chacun, comme homme et comme citoyen du peuple de Dieu, avec ses charismes et ses inspirations naturelles et honnêtes, ses capacités et ses préférences, mais tout cela équilibré par le sens social.

Pour m'en tenir au terrain de l'éducation religieuse et dans la philosophie de cette éducation, je crois qu'il faut éviter deux extrêmes, tous deux dangereux : une fausse eschatologie qui formerait des hommes « aliénés », absents de leur tâche temporelle et de leur contribution à un développement d'eux-mêmes et de leurs semblables ; et d'autre part un pragmatisme qui transformerait la religion même et l'éducation religieuse en un instrument au service de n'importe quoi. L'exemple classique se-rait de profiter des chrétiens, en tant que groupe sociologique et force mystique créés par le christianisme « pour » effectuer une révolution politique ou « pour » n'importe quelle autre cause non religieuse. La religion a aussi son « pour » à elle, qui, dans un certain sens non seulement lui est essentiel mais unique[112]. Et l'orientation de ce « pour» c'est l'union à Dieu (personnellement et socialement) et le culte amoureux et filial que nous lui rendons par le moyen même de la religion.

Que de là et comme conséquence, il s'ensuive une fin qui a un aspect temporel – l'engagement, la fraternité, le respect de la personne, un souci terrestre etc. …, c'est très bien, et cela ne peut manquer dans la vie chrétienne, mais cela n'a rien à voir avec une utilisation de la religion pour une finalité qui lui est étrangère. C'est comme si nous voulions parler d'une pastorale de la religion « pour » la révolution, ou autre chose semblable.

Beaucoup plus aberrantes sont encore certaines formes de « désacralisation » de la religion qui, oubliant l'impulsion transcendante que dépose le christianisme dans l'homme. caractéristique qui lui est essentielle, voudraient le ramener à un service de la terre, le convertir en un simple humanisme et un humanisme purement immanent et terrestre. C'est le sens très particulier que l'on donne à la phrase-synthèse : «Dieu est mort en Jésus-Christ»[113].

2) Une série d'objectifs que l'éducation doit atteindre en partant précisément de cette image de l'homme et du chrétien que nous devons contribuer à former pour notre temps. Tout un programme s'ouvre ici, de recherche et de détermination de ces objectifs.

En plus de l'objectif fondamental qui consiste à doter l'Eglise et la société d'hommes capables de réaliser la phase historique qui existe dans « l'aujourd'hui de Dieu », pour le chrétien et les hommes de bonne volonté il reste encore une série d'objectifs à déterminer selon les divers aspects de la tâche intégrale de l'éducation. Cette tâche pourrait aujourd'hui adopter comme programme : « faire un homme nouveau pour une époque et un monde nouveaux ».

Quels sont les objectifs à atteindre ?

— dans le domaine de l'idéologie et de la capacité créative des étudiants ?

– dans le sens social et de « consécration au bien commun » ?

– dans la purification de l'égoïsme au sein des relations humaines, de l'amour du prochain et dans l'éducation du don de soi à une vie commune positive et à la collaboration ?

– dans l'éducation de la vraie liberté personnelle et dans le gouvernement de soi-même ?

– dans l'affirmation, l'équilibre et la maturation progressive de la personnalité ?

– dans la formation d'un sens religieux et chrétien autant dans son orientation directe et immédiate vers Dieu que dans ses conséquences pour l'action temporelle ?

– dans l'éducation pour l'amour conjugal et la paternité ?

– dans la création d'un sens profond de l'éthique professionnelle et de l'accomplissement chrétien dans la profession que l'on entreprend ?

– dans un travail auprès des milieux de la politique, si chargés d'ambivalences allant des plus sordides intérêts jusqu'aux formes les plus hautes du dévouement au service de la société ?

– enfin dans la conjonction des deux aspects eu l'unité d'une formation dans laquelle ce qui est personnel et ce qui est social, le devoir et la liberté, la collaboration et la créativité, ce qui est religieux, moral ou profane, tout cela se complète sagement dans une « synergie vitale » ?

Il est très important que ces objectifs soient établis d'une manière telle qu'on évite le dualisme entre christianisme et vie, ce qui ne conduirait qu'à des formes de vie atrophiées avec omission d'une partie des devoirs ou création de conflits dans la vie des étudiants.

3) Une politique éducative et institutionnel-le en conformité avec ce qui précède. Sur cet aspect dont on parlera de nouveau plus loin, on touchera seulement ici quelques points.

– Notre politique de relations humaines et professionnelles avec les étudiants provoque-t-elle des rapprochements, établit-elle pour des contacts en profondeur, une voie d'accès et d'attraction qui soit vraiment éducative et qui permette aux Frères, dans la confiance et l'amour viril, de travailler au plus profond du cœur humain ?

– Notre système disciplinaire, tel qu'il se pratique aujourd'hui est-il adapté pour former et établir des rapprochements ?

– Nos étudiants ont-ils quelque participation et coopération dans la marche et dans la critique de l'organisation de notre enseignement ?

– La structure même de nos Institutions est-elle la plus adéquate pour servir à la réalisation de ces objectifs d'éducation totale ?

– Cette politique, dans la limite de nos possibilités, ouvre-t-elle ses portes à toutes les classes sociales, et, parmi elles, surtout à deux : les plus pauvres, c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune autre chance ailleurs (disons les marginaux de l'éducation) ; et ceux, à quelque classe sociale qu'ils appartiennent qui désirent et recherchent précisément le service d'une éducation intégrale ; c'est-à-dire ceux qui ont, malgré parfois leur allure, leurs rébellions (peut-être sont-elles au contraire une indication) l'étoffe de leaders et la soif de brûler leur vie pour une grande entreprise, pour un haut idéal.

Si j'ai écrit au commencement de ce paragraphe : « dans la limite de nos possibilités », c'est que je veux dire : à la lumière de la magnanimité, jusqu'au risque évangélique. Avec un jeu de mots significatif, quelqu'un disait : « tout devient possible, quand le possible est grand ».

L'image du religieux éducateur que de-mande notre temps, en tient-on assez compte dans nos maisons de formation, dès le postulat et le noviciat pour la formation adéquate de la spiritualité, jusqu'au scolasticat pendant lequel il faut donner une haute capacité pour la profession et la vocation, en développant le charisme éducatif qui fait du Frère un être, si l'on nous permet l'expression, comme « fabriqué pour la tâche éducative dans toute son ampleur et sa profondeur » un homme qui trouve en elle son centre d'affection et d'action, et qui, dans la ligne des résultats apparaîtra ensuite comme un vrai pédagogue, et j'oserais presque dire : un « mystagogue ».

 4) Une pédagogie pour aujourd'hui.

 a) Qualités.

 Notre pédagogie est-elle capable de réaliser les objectifs proposés ? Elle devrait être telle que les étudiants s'ouvrent et répondent vivement, librement et personnellement à l'action qui se réalise en eux et avec eux. Ce n'est que de cette façon que surgira une éducation :

• personnelle et personnalisante ;

• avec un vrai sens social ;

• avec une capacité particulière de choix et d'engagement ;

• avec une réelle aptitude pour l'efficacité ;

• avec la conscience voulue au sujet des responsabilités, des options et des omissions (les responsabilités ne doivent pas seulement être psychiques, mais surtout morales, professionnelles et sociales) ;

• avec un contenu, une mystique qui soient orientés vers quelqu'un ou quelque chose ;

• réellement efficiente pour s'intégrer dans un milieu et former pour ce milieu.

Mais surtout cette éducation sera :

• réellement religieuse, parce que, née de la foi personnelle, elle est vécue filialement face à Dieu et fraternellement envers tous les hommes.

• réellement chrétienne, parce que se mettant en harmonie avec le caractère de l'homme pèlerin qui sait qu'il chemine vers la patrie, et en même temps de l'homme solidaire de son milieu, et engagé dans la construction du monde terrestre.

• chrétienne avec équilibre, parce que animant les membres du peuple sacerdotal, elle vit les tensions « d'aujourd'hui », mais « pas encore » les fruits de la Rédemption qui agit dans le monde et en l'homme, avec toutes les conséquence d'angoisse et d'espérance, de travail et d'abandon filial que cela implique.

• finalement ecclésiale, dans ce grand sacrement du Christ qu'est l'Eglise, acceptée et aimée telle qu'elle est, avec ses imperfections et ses grandeurs : non simplement lieu de fraternité, mais aussi lieu de médiation et guide de doctrine, non pas seulement « eschaton » niais peuple en marche qui sanctifie en même temps qu'il travaille et lutte in-même pour sa propre purification.

C'est cette pédagogie qu'il faut chercher : c'est-à-dire ce système de vérités et de valeurs, cette systématisation des moyens, ce processus graduel et respectueux, aimable même quand il raisonne et conseille, et qui est mis en application par de simples hommes, limités par toutes les données du réel : il ne s'agit pas en effet de rêver, et ce doit même être là notre constante préoccupation. Celui qui ne conçoit sa vie que comme une transmission  efficace d'un programme de mathématiques ou de littérature pour préparer des examens qui auront un haut pourcentage de succès, ni n'est éducateur, ni n'a compris ce qu'est la joyeuse et douloureuse aventure d'éduquer.

 b) Ecueils.

 Dans l'intention de contribuer un peu à trouver ces ferments qui doivent aviver notre prise de conscience et notre recherche de la manière d'agir pédagogique la plus convenable, je me permettrai quelques réflexions.

Je crois que nous devons éviter à tout prix le type de pédagogie qui donne une formation bourgeoise : c'est-à-dire individualiste, intéressée, égoïste et conformiste. Très proche de cette formation serait la mentalité qui anime tant de jeunes et qui se limite à étudier pour passer avec succès des examens, faire une carrière, et avec cela avoir ses arrières assurés en vue du confort pour soi et pour sa famille. En soi ce n'est pas immoral, mais c'est complètement insuffisant pour un idéal d'homme et surtout de chrétien. Plus encore, de cette attitude à la tentation d'exploiter la profession dans la-quelle on entre, les hommes étant ce qu'il sont, il n'y a qu'un pas.

D'autre part encore, et sans que nous le voulions, les choses se présentent de telle façon que les structures mêmes semblent aider à développer cette attitude bourgeoise de nos élèves, au sein d'une éducation fragmentaire et diminuée. En effet, le système de l'Etat qui souvent organise l'éducation sur des bases socialisantes, nous a conduits insensiblement à la création d'une structure éducative qui, de facto, soumet la pédagogie à un conditionnement. En effet des programmes bien faits, des visites d'inspecteurs, des examens de promotion, des examens d'entrée à l'université et beau-coup d'autres réglementations nous arrivent des ministères de l'éducation et protègent notamment ce qui est académique contre toute forme de négligence. Un dynamisme logique et l'esprit de compétition nous ont amenés à vouloir faire toujours mieux, et les résultats ont été presque partout excellents, et même ça et là réellement extraordinaires.

Malheureusement, dans un certain degré, par suite du primat accordé à ce qui est académique, d'autres facteurs beaucoup plus fondamentaux de la tâche éducative ont été mis au second plan, parce que moins protégés par les mécanismes d'exigence et de contrôle, que ceux qui avaient de si bons résultats sur le plan académique.

Il est vrai que les aspects les plus importants de l'éducation ne s'accommodent pas d'une « évaluation du type académique », et en outre vouloir employer pour évaluer ces aspects éducatifs des moyens de contrôle identiques ou semblables serait ridicule et même se teinterait de pharisaïsme de type moral, religieux ou social. Cependant ces difficultés n'éliminent pas la réalité du problème. Il reste vrai que nous avons besoin de réagir contre un mode d'éducation déterminé qui nous menace. Ce qui fait d'abord partie des questions à résoudre dans certains pays et certains systèmes scolaires, c'est le type d'élève de nos collèges qui provient des classes moyennes supérieures ou de classes très nettement aisées, dans un pourcentage trop haut. Etre hypnotisé par les résultats académiques – je ne trouve pas à redire à la qualité d'enseignement de nos classes : c'est un devoir – et avoir une population scolaire majoritairement riche ; ce sont là deux faits contre lesquels nous devons réagir infatigablement et contre lesquels nous devons protéger l'orientation de notre pédagogie.

Mais ce n'est pas uniquement d'avoir à éduquer la bourgeoisie qui constitue une menace. Nous menace aussi une pédagogie que j'appellerais démagogique. Celle-ci plus qu'un fait du passé, apparaît surtout comme le vrai danger de l'avenir immédiat. Elle peut naître lorsqu'on sème inconsidérément chez les jeunes des attitudes critiques, des idées de rébellion, des préoccupations sociales sans contrôle, exagérées, parfois même sans fondements, de façon qu'on demande à une époque et à un contexte historique ce que ni l'un ni l'autre ne peuvent donner. A partir de ces attitudes critiques, on pousse les jeunes à l'action, qui consiste en ce cas, dans une contestation de nature collective (mobilisation de groupes de protestation) qui, sous diverses formes et par toutes sortes de moyens, agit à des niveaux, dans des ambiances et avec des objectifs très variés. La France vient de connaître le phénomène de la « contestation globale ».

Je crois vraiment que ce n'est pas là le chemin le meilleur pour donner au monde une pédagogie qui forme les hommes, qui résout les problèmes et qui produit un bon résultat ou une amélioration. Bien sûr, les jeunes n'ont que trop de motifs pour justifier les critiques qu'ils font à la réalité telle qu'ils la trouvent, car celle-ci a bien des aspects négatifs et doit être critiquée. Il y a aussi en eux, comme en toute jeunesse, beaucoup de noblesse et d'idéal, mais à côté, que de simplifications, d'ingénuité et de légèreté ; et dans les adultes qui les poussent, beaucoup d'inconscience et de démagogie, même si on les suppose de bonne foi. Mieux vaudrait canaliser toute cette énergie et cette générosité, tout cet idéalisme qui parfois se consume en pure perte, et parfois aussi non sans quelques graves dommages, vers un meilleur but ou au moins par une meilleure voie. En face des attitudes du non-conformisme et de la contestation des injustices, des abus, des situations infra-humaines, on doit former :

Que faut-il former ?

• la capacité d'observation objective et l'analyse des faits sociaux dans toute leur complexité ;

• un juste jugement qui sache s'abstraire de l'intérêt personnel et partisan ;

• la réaction qui convient à chaque cas ;

• et surtout une capacité de résoudre les problèmes selon une attitude créative et non pas destructrice du progrès humain[114].

Tout particulièrement il faut donner aux jeunes gens une certaine perspicacité qui les préserve de se laisser convertir en « stupides utiles » de n'importe quelle cause ou ce qui serait pire, de tomber par naïveté, dans la tentation de la violence.

Un moyen terme qui serait la vraie voie pour la pédagogie devrait partir d'une éducation sérieuse de la vérité qui commence par le respect de l'objectivité. Et ceci ne s'obtient pas sans une pédagogie qui forme dans la vérité. Cette formation dans la vérité doit se concrétiser et se défendre avec amour, parce que chacun porte au dedans de soi un sens des valeurs qui n'est pas simple adhésion à un ordre intrinsèque ou à une discipline du milieu. La valeur de la vérité s'apprend de manière vitale précisément quand l'action et l'expérience font sentir tout le bien qu'on peut faire avec elle.

De plus il faut former sérieusement, pour une action planifiée qui ensuite doit se réaliser dans un effort constant et tenace. Il ne s'agit pas de demander l'enthousiasme passager, mais d'agir graduellement en vue d'un don de soi qui aboutisse à un service efficace de l'humanité[115].

Le Père Lebret illustre magnifiquement cette idée dans son « Manifeste pour une civilisation solidaire » : « Beaucoup de jeunes, admirateurs des phrases décisives, des propos forts, trouveront sans doute que nous avons apporté trop de nuances du fait que nous avons voulu, simplement., être honnêtes. Il ne sert à rien, plus, il est gravement nuisible de gonfler les jeunes par des formules dont le contenu est en définitive illusoire. Le plus grand service à leur rendre n'est pas de les rallier en les amenant à adhérer à quelque mythe qui les préserve de la recherche et de l'effort. C'est à l'objectivité, à la vérité de la pensée et de l'action qu'il convient de les inviter. Il peut en résulter pour eux l'acceptation des dures préparations aussi nécessaires au plan technique qu'au plan volontaire »[116].

Plus loin, il conclut : « Ce n'est pas peu de tendre vers un idéal qui ne sera jamais atteint ! La plus grande utopie est de considérer que le mieux peut venir sans qu'il soit effectivement voulu[117].

En effet notre pédagogie doit s'orienter à former des hommes qui unissent leur élan au courant vigoureux de l'action humaine et chrétienne dont le programme est l'ascension humaine universelle (ce qui explique un peu son caractère indéfini), programme qui ne réalisera qu'en se développant au long du temps, non dans les illusions fallacieuses d'un âge d'or sur la terre, mais dans la « consommation », la rédemption et la récapitulation du monde par le Christ. A cette œuvre chaque homme acceptera d'apporter son action sérieuse, comportant sans doute sa part d'illusion, mais aussi sa préparation adéquate. Idéaliste et constructrice : voilà les deux aspects de la synthèse laborieuse et difficile pour laquelle il faut former la jeunesse d'aujourd'hui.

 d) Unir développement et idéal humaniste.

 Dans cette pédagogie, ce qui s'avère le plus nécessaire, c'est finalement la fusion de deux antagonismes apparents : une intense orientation vers le développement et en même temps la culture d'un idéal humaniste en soi-même. Bien comprises, les deux choses ne sont pas antagonistes, car le développement dont il s'agit est social et humain. La technique en tant que telle assure les progrès économiques ; mais pour passer au stade du progrès social et humain, ce qui est nécessaire ce n'est pas la technique, mais plutôt une idéologie déterminée. Le pape le dit dans Populorum Progressio : « Si la poursuite du développe-ment demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de ré-flexion profonde, à la recherche d'un humanisme nouveau, qui permette à l'homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d'amour, d'amitié, de prière et de contemplation »[118].

Déjà Lebret le laissait voir avec perspicacité : « Economie humaine, disait-il, ne veut pas dire "économie sociale". L'économie sociale n'est en effet que l'aspect de la science économique qui introduit l'homme, sa situation, ses ambiances, ses besoins comme un "à côté" de l'économie politique et des structures économiques sans les modifier radicalement. Pour nous le social et l' "économique" ne peuvent être séparés ; il ne s'agit pas de plaquer un social correctif, palliatif, sur une économie engendrant de soi le mal humain ; il s'agit de préconiser et de chercher à mettre en place un régime économique intégralement social et intégralement personnaliste en même temps que très différencié dont l'objectif soit la "montée humaine universelle", c'est-à-dire, selon l'expression chère à François Perroux, de "tout l'homme" et "de tous les hommes" »[119].

 e) Convaincre du rôle humanisant de l'Eglise.

 En effet, nos étudiants doivent bien se persuader de l'impressionnant réalisme avec lequel l'Eglise « experte en humanisme » signale les ambivalences du développement quand celui-ci est seulement économique : « Toute croissance est ambivalente, dit encore Populorurn Progressio, Néanmoins pour permettre à l'homme d'être plus homme, elle l'enferme comme dans une prison dès lors qu'elle devient le bien suprême qui empêche de regarder au-delà. Alors les cœurs s'endurcissent et les esprits se ferment, les hommes ne se réunissent plus par amitié, mais par l'intérêt qui a tôt fait de les opposer et de les désunir. La recherche exclusive de l'avoir fait dès lors obstacle à la croissance de l'être et s'oppose à sa véritable grandeur : pour les nations comme pour les personnes, l'avarice est la forme la plus évidente du sous-développement moral[120].

Comme on le voit, la dynamique même du développement est orientée à la personne et est profondément humaniste et humanisante. De même le vrai humanisme de l'homme adulte et chrétien est un humanisme qui se rend compte qu'une des for-mes les plus pleines de réalisation de l'homme est le don de soi-même aux autres, l'adhésion intérieure et libre aux valeurs objectives et à la hiérarchie qui existe entre elles[121]et, par-dessus tout, une ouverture à l'invasion à l'esprit chrétien dans les cœurs. Nos jeunes doivent comprendre que ce n'est pas en se refermant sur la recherche égoïste de leur intérêt et de leur satisfaction personnelle, dans le refus de laisser agir en eux le ferment religieux, qu'ils édifieront jamais vraiment et authentiquement leur propre personnalité.

Le service nous soumet à l'exigence de logique interne du progrès continu, et nous pousse au développement maximum de nous-mêmes. En nous perdant nous nous gagnons.

Mais pour arriver à cette plénitude dans le service, il faut partir d'une vision conséquente de l'homme réel, à la suite du Christ (et cela est très important pour nous, éducateurs). Le Christ part du fait que l'homme est malade d'égoïsme, (le myopie, de faiblesse, et il commence par le guérir. L'homme d'un humanisme fermé part du fait qu'il n'est pas malade et il veut se comporter comme s'il était sain. L'homme pense qu'il « a », alors que c'est justement cet « avoir » qui le constitue aliéné de lui-même. Une cure lui est nécessaire. Elle s'effectue moyennant la libération des fausses valeurs et l'adhésion aux valeurs solides et aux valeurs suprêmes.

Le christianisme est donc la voie du dépassement indéfini par le don de Dieu à l'homme et par le don de l'homme à Dieu et à ses semblables. En lui et seulement en lui prend son sens la phrase de Pascal : « L'homme passe infiniment l'homme»[122].

Dans Populorum Progressio, au fur et à mesure que l'on s'achemine vers la conclusion de la première partie (d'une si grande beauté et d'une si grande majesté) on y voit comment cet humanisme, quand il est vrai, instaure le développement intégral, et cette rencontre de l'humanisme et du développement a lieu non pas en une antithèse, mais en une convergence, fruit d'une dynamique intérieure et naturelle qui les conduit l'un vers l'autre.

 «C'est un humanisme plénier qu'il faut pro-mouvoir. Qu'est-ce à dire, sinon le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ? Un humanisme clos, fermé aux valeurs de l'esprit et à Dieu qui en est la source, pourrait apparemment triompher. Certes l'homme peut organiser la terre sans Dieu, mais "sans Dieu il ne peut en fin de compte que l'organiser contre l'homme. L'humanisme exclusif est donc un humanisme inhumain". Il n'est donc d'humanisme vrai qu'ouvert à l'Absolu, dans la reconnaissance d'une vocation qui donne l'idée vraie de la vie humaine. Loin d'être la norme dernière des valeurs, l'homme ne se réa-lise lui-même qu'en se dépassant »[123].

Il faut noter que dans la mesure où l'esprit chrétien pénètre l'humanisme et le développement, leur réalisation et leur convergence s'en trouvent plus accentuées. Parlant du premier, Paul VI affirme : « Par son insertion dans le Christ vivifiant, l'homme accède à un épanouissement nouveau, à un humanisme transcendant qui lui donne sa plus grande plénitude : telle est la finalité suprême du développement personnel »[124].

Et du second, Madeleine Delbrêl dit aussi très justement : « L'humanité sera évangélique ou ces-sera d'exister »[125]! En effet, tous ceux qui ont annoncé la mort de Dieu pour laisser le pas à la créativité de l'homme, ne se sont pas rendus compte que sous les apparences de l'humanisme ils créaient un anti-humanisme et annonçaient la mort même de l'homme  : « C'est la grande énigme de l'anthropologie que l'échec de tout l'humanisme laïque ». Quels que soient les exaltations et les enthousiasmes rationalistes, immanentistes, historicistes, technicistes, il existe toujours un point sur le chemin où l'on constate la réalité du mal, de la douleur et de la mort ; d'où il suit que pour l'humanisme fermé, comme l'est l'humanisme laïque il n'y a pas d'échappatoire, au moins si l'on est conséquent avec soi-même[126].

 f) Par la vie plus que par les livres.

 Concluons en disant quelque chose qui était sous-jacent à tout ce commentaire et qu'il convient d'expliciter encore pour notre pédagogie :

– L'étudiant chrétien doit apprendre à travers l'éducation les raisons profondes du développement social et celles de sa propre vie. Sans cela il continuera à refuser, et non sans cause, le monde que nous voulons lui créer, et où il affecte de ne voir que l'aspect méprisable du confort[127].

– Il faut inculquer dans l'étudiant chrétien le sens d'une mission universelle. Rendu amoureux du plan de Dieu, il mettra toutes ses forces à le faire progresser dans toutes ses dimensions.

– Sa préparation pour l'efficacité doit être proportionnelle à sa formation intellectuelle. Il est bon de se rappeler que cela se fait par l'action et par la vie, non par les livres ; à force de coups on se forge une volonté droite, ajustée et puissante, à la recherche d'une harmonie entre les rythmes du monde et les rythmes de la volonté divine, dans une double fidélité à Dieu et aux hommes, mais en se souvenant toujours qu'il n'y a pas de fidélité possible pour les hommes en dehors de la fidélité à Dieu.

Par conséquent une pédagogie trop livresque, ne correspondant pas assez aux réalités de la vie, une pédagogie « molle », une pédagogie de contrainte ne servent guère pour former ces hommes. Ne servent guère non plus des pédagogues fatigués qui ont perdu leur jeunesse de cœur et leur idéal ou qui, incapables de motiver une conduite, veulent suppléer, par l'imposition d'un système, ce que devrait faire leur conviction personnelle en présentant des buts et des idéaux passionnants. Utiles moins encore les éducateurs « installés » dans la vie commode, incapables de renoncement, d'austérité et de dévouement. Il y a là, on le voit, tout un examen de conscience personnel et pédagogique qui s'ouvre pour nous.

 5) Une planification qui prépare l'avenir.

 La planification, elle, pourrait se définir comme le contraire de l'improvisation et du manque de coordination. Elle exige de fixer des buts, d'établir des programmes, d'élire un exécutif responsable et ses organes de coordination, d'assigner des instruments, de déterminer des étapes et des dates, et finalement de sélectionner les moyens périodiques d'évaluation qui vérifieront marche, résultat, obstacles et déviations constatés dans le plan et dans les hommes responsables de son application.

Il est évident que toute planification doit commencer par faire une enquête sociologique sérieuse, nommer un personnel capable de surveiller le développement des plans (autant que possible il faut avoir pour cela une inclination personnelle) et avant tout « mentaliser » les Frères au sujet de la convenance et de la nécessité de la planification. Celle-ci, qui n'est autre chose que la mise en place d'hommes, de qualités, d'instruments et d'actions dans un système rationnel et efficace conduisant aux objectifs prévus, spécialement à ceux qui sont prioritaires, est quelque chose qui s'effectue normalement dans toute institution et toute tâche sérieuse et à quoi nous devons nous habituer.

Il serait très souhaitable qu'aucune Province, à partir de son Chapitre Provincial, ne marche sans un minimum de planification. Cette planification doit se faire d'une manière réaliste et même large, de manière qu'elle ne devienne pas trop vite comme un habit étriqué pour son destinataire. C'est mon ardent désir aussi que le Chapitre planifie au niveau mondial au moins deux tâches : notre programme d'expansion missionnaire, avec les conséquences de solidarité provinciale que cela implique, et l'extension de l'Institut à de nouvelles régions pour les huit prochaines années.

Les lois de Combes en 1903, après un moment de crise et de diminution des effectifs, ont provoqué une expansion de notre Institut que n'ont pas eu d'autres congrégations de la même époque, peut-être meilleures que la nôtre. Ne pourrions-nous pas faire, par un dynamisme interne et programmé, quelque chose de ce que la Providence nous a obligés à faire par la poussée des causes extérieures, dans le domaine de la pauvreté, de la mobilité et de l'expansion ? L'objectif serait d'aller vers les lieux fertiles en vocations ou vers les Eglises jeunes qui ne sont pas tombées en état de sclérose ou de remise en question au sujet de la foi en la vie religieuse et en la vocation de Frère, et qui pourraient offrir des vocations nombreuses pour leur propre pays, pour l'expansion de l'Eglise et le service de la société.

Je crois convenable de suggérer quelques points de vue au sujet de la planification qui peut-être seront approfondis dans la cinquième et dernière partie de cette circulaire.

– On ne planifie pas dans la Pastorale et dans ce qui est surnaturel comme on planifie dans une entreprise industrielle ou commerciale ou dans un ordre de politique ou d'économie nationale. Il faut tenir compte qu'ici nous nous mouvons dans l'ordre du mystère et dans l'attente de l'Esprit qui souffle où il veut, personne ne sachant où il va. Et il faut laisser jouer la dynamique du provisoire, quand Dieu se manifeste en elle.

– Il faut tenir compte des objectifs de planification de l'Eglise locale — au niveau éducatif sur-tout, tant au point de vue national que régional. Comme le dit très bien le CELAM : l'éducation ne peut pas s'isoler ; ses objectifs doivent faire corps avec le plan des conférences épiscopales et les organes spécifiques des pastorales correspondantes et avec les autres éducateurs catholiques, surtout les autres instituts enseignants.

– Il sera bon que quelques Frères préalable-ment spécialisés, soient destinés à ces organismes de planification de l'Eglise, – et pourquoi pas ? de I'Etat et que, à l'intérieur de la Province on facilite la formation de groupes, mettant en commun leurs réflexions et imprimant un élan à la planification, pourvu que tout cela soit inspiré par le bon esprit et se fasse de façon graduée, positive et sans semer de divisions.

– Enfin une Province qui veut réussir sa planification doit la faire non seulement en solidarité avec l'Eglise locale, mais avec l'Institut entier, au service de l'Eglise universelle. Elle doit se sentir solidaire et co-responsable dans le plan total de l'Institut et plus particulièrement dans les plans régionaux. Parfois elle devra donner de l'aide, parfois en recevoir. Cette solidarité doit l'emporter sur les saines prévisions et sur les marges de réserve de ses engagements à l'intérieur du pays, en ce qui concerne les institutions, les personnes, et l'argent.

6) Une attention particulière aux mouvement de jeunes. Je glisse ici un petit mot sur la pastorale des Jeunes dont, soit dit en passant, tant de Frères savent qu'elle m'est bien chère.

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici avait pour but de former, non pas d'une manière exclusive mais préférentielle les leaders d'ambiance ou les cadres, comme on dit aujourd'hui[128]. Il y a là quel-que chose de radicalement différent de la vieille conception du siècle passé sur la formation des élites, si, sous ce terme on comprend la préparation de ceux qui par naissance et fortune sont « pré-destinés » aux charges. Cela était le propre d'un système naguère classique mais que nous ne pouvons plus accepter sans nuances.

Il s'agit donc de quelque chose de très différent: des candidats que nous prenons dans toutes les classes sociales, en raison de leur dynamisme propre, de leur capacité personnelle, et de leur puissance de dévouement, doivent dans une société vivante occuper des charges de service social, ou des directions pour lesquelles ils ont des aptitudes. Si, malheureusement, le pays n'offre que le cadre classique, nous devrions faire quelque chose à notre propre risque, à la mesure de nos possibilités pour compenser de quelque manière cette triste situation, en poussant les marginaux vers des promotions sociales.

Quant au travail strictement académique, on en a assez démontré l'insuffisance. Pourtant il ne faut pas le mettre en jugement ni le refuser, car pour une formation systématique il est un facteur indispensable, mais le compléter par des activités para-scolaires, dans le sens exposé plus haut, et même extra-scolaires.

Parmi celles-ci je pense à deux très concrètes:

a) Des mouvements de jeunesse apostolique et d'action sociale. Il en existe d'excellents en plu-sieurs lieux du monde, quelques-uns dirigés et même créés par nos Frères, d'autre par des apôtres de la jeunesse bien méritants, appartenant à d'autres familles religieuses ou au clergé séculier. La tentation me vient d'en énumérer que je connais de plus près par leurs fruits, mais la peur d'offenser en en omettant d'autres me porte à m'abstenir. Je n'ai pas manqué d'encourager les Frères Provinciaux et d'inviter mes anciens seconds novices à les connaître.

Permettez-moi une confidence: il y a des choses qui sont difficiles à comprendre pour quelqu'un qui par fonction devrait avoir en lui-même la passion de l'éducation de la jeunesse. Or on voit dans certains lieux des Frères venus de l'étranger pour s'informer de la manière de diriger certains mouvements de jeunes très valables, et que ceux du pays lui-même non seulement n'utilisent pas, mais dont ils ne savent même pas en quoi ils consistent. Je n'ai pas pu comprendre non plus comment dans certaines occasions, par exemple à l'occasion du Second Noviciat, il y a des Frères incapables de sacrifier cinq jours d'une visite de famille d'un mois ou un peu de tourisme, pour connaître quelque chose de plus important que Paris ou Florence, c'est-à-dire par exemple quelques bonnes méthodes de formation de jeunes militants vraiment en-gagés. Il y a là je crois la réponse à cette étrange interrogation: Pourquoi le marxisme produit-il beaucoup plus de militants communistes que nous d'ouvriers enthousiastes pour le règne du Christ?

b) Des centres spécialisés de pastorale de jeunesse où se forment, en marge du systématique et de l'académique, de jeunes idéalistes qui veulent non seulement être les animateurs et les apôtres de leurs compagnons, mais prendre la tête des mouvements de jeunesse eux-mêmes. Ici je veux me permettre une exception, en nommant une très bonne organisation.

Je veux parler de la « Centrale de la Jeunesse Catholique de Bogota » et en particulier de son école de leaders. Je ne vous parle pas de ses fruits et de sa nature, je vous signale seulement son existence et son travail dans et pour la jeunesse, car c'est parfaitement dans la ligne de notre esprit mariste. Cependant pour atteindre son objectif précis aucune des écoles ou des collèges de type systématique ou académique que nous avons aujourd'hui ne pourraient servir tels quels. Plus encore cet objectif exige une institution de type distinct qui n'ait rien à voir avec les ministères de l'Education Nationale et leurs programmes.

Je comprends particulièrement combien ce serait difficile et dispendieux à organiser, mais je me demande aussi comment il est possible qu'un prêtre seul puisse chercher et trouver des aides et réaliser une œuvre semblable appuyé sur sa seule foi, et que n'importe laquelle de nos Provinces comptant deux ou trois cents membres ne puisse pas le faire.

7) Des champs d'action complémentaires. On a observé dernièrement dans quelques Provinces ou parmi les Frères, pas mal de difficultés qui avaient pour origine des inclinations pour tel ou tel mode d'apostolat, ou des discussions à ce sujet. Déjà dans la première partie de la circulaire (p. 29, 30, 31) j'énumérais succinctement diverses possibilités allant du rigide et exclusif maintien de l'école dans sa forme classique et réduite à sa tâche purement académique jusqu'à son rejet au profit de formes d'action humaine ou pastorale plus variées suivant les goûts personnels.

Pensant toujours que ces attitudes extrêmes sont erronées, je crois que nous devons maintenir bien ferme le principe que tout Institut, donc le nôtre évidemment, a ses formes et son terrain d'apostolat qui doivent être souples et adaptables mais qui doivent aussi continuer à être substantiellement les mêmes. Tout Frère avant de faire profession doit se demander s'il se trouve appelé à quelques-unes de ces tâches apostoliques. S'il n'en est pas convaincu il est temps alors pour lui de se retirer et de chercher dans l'Eglise, une autre place qui corresponde à son charisme spécial, mais il ne doit pas essayer de dénaturer le caractère d'un Institut pour lui faire prendre une voie en accord avec ses désirs et ses besoins à lui.

Une sous-commission au sein du Chapitre étudie la détermination des nouveaux champs éventuels d'apostolat et par conséquent les limites institutionnelles à fixer à leur sujet. Il ne m'appartient donc pas d'en décider ici. Je voudrais seulement suggérer que, sans sortir de notre champ d'apostolat:

– on fasse preuve de largeur de vues, de souplesse et de disponibilité pour incorporer de nouveaux moyens qui puissent être réellement efficaces,

– de nouvelles voies soient déterminées, non en fonction des goûts personnels, mais d'accord avec les exigences de chaque milieu, après un sérieux examen de ce que demande la situation sociale et pastorale de chaque pays,

– l'on évite des oppositions sans fondement et funestes entre les Frères qui travaillent dans tel ou tel champ d'apostolat mariste, ou dans telle ou telle forme d'action auprès de la jeunesse. Pourquoi s'opposeraient-ils entre eux, se critiqueraient-ils, et même essaieraient-ils de s'interdire les uns aux autres de se dévouer à la tâche académique scolaire, ou de se consacrer aux mouvements de jeunes, ou encore à la catéchèse paroissiale?

Dans le champ d'action mariste, ces actions, loin de 's'opposer, se conjuguent et se complètent. Procéder d'une façon contraire c'est faire preuve d'étroitesse d'esprit, c'est tuer mutuellement nos enthousiasmes.

– En particulier, je voudrais recommander ici ce que le Père P. Gonzalez Anleo, s. m. nous suggérait dans une occasion à la suite de l'enquête sociologique faite pour un groupe de Provinces de l'Institut: « Un Institut doit ouvrir, sans manquer de fidélité à lui-même, l'éventail de ses possibilités apostoliques ou pastorales au maximum, mais il ne doit pas tomber pour autant dans l'erreur de vouloir s'occuper de tout ce qu'il y a à faire et partout. Ce serait fatal pour son avenir. La raison sociologique en est très simple: il est démontré que le pourcentage de personnalités réellement créatives et supérieures dans n'importe quel groupe humain est vraiment très réduit. Multiplier les œuvres et les diversifier imprudemment sans avoir des hommes formés et le nombre de personnalités créatives suffisantes pour les diriger c'est soumettre à l'échec ou au moins à la médiocrité celles qui n'auront pas la chance d'être dirigées par une de ces personnalités. Le discrédit et le doute sur la valeur de nos hommes commenceraient à se généraliser dans les provinces et à s'étendre aux sujets en formation et aux candidats ».

A ce problème des cadres dans notre Institut, on pourrait adjoindre le problème parallèle des cadres du Tiers-Monde, pour rappeler ici l'appel qu'a fait Populorum Progressio, en demandant que l'on s'occupe des jeunes gens qui viennent faire des études dans un pays développé. Demain ils peuvent être des responsables de premier ordre dans leur pays, à cause justement de la carence des cadres: « Nous ne saurions trop insister, dit le pape, sur le devoir d'accueil devoir de solidarité humaine et de charité chrétienne qui incombe soit aux familles, soit aux organisations culturelles des pays hospitaliers. Il faut, surtout pour les jeunes, multiplier les foyers et les maisons d'accueil. Cela d'abord en vue de les protéger contre la solitude, le sentiment d'abandon, la détresse, qui brisent tout ressort moral. Aussi, pour les défendre contre la situation malsaine où ils se trouvent forcés de comparer l'extrême pauvreté de leur patrie avec le luxe et le gaspillage qui souvent les entourent. Encore, pour les mettre à l'abri des doctrines subversives et des tentations agressives qui les assaillent au souvenir de tant de misères imméritées. Enfin, surtout en vue de leur apporter, avec la chaleur d'un accueil fraternel, l'exemple d'une vie saine, l'estime de la charité chrétienne authentique et efficace, l'estime des valeurs spirituelles[129].

Ces paroles pourraient nous porter peut-être à penser nos collèges universitaires dans une forme différente, ou à imaginer telle autre initiative capable de leur offrir quelque chose de ce que demande le pape.

8) En recherchant de nouvelles formes de subsides. Ces champs d'action très élargis, et compte tenu du besoin de maintenir, d'un côté la qualité personnelle et institutionnelle, et de l'autre la démocratisation de l'enseignement, nous posent évidemment un grave problème: la recherche des subsides économiques. Ceci doit nous amener à nous mettre en contact avec des organismes d'aide internationale officielle, ecclésiastique ou d'initiative privée, qui ont un authentique intérêt à soutenir économiquement des institutions qui sérieusement et de façon qualifiée veulent s'employer à fond pour l'intégration des marginaux de la culture et la formation de cadres sociaux et pastoraux pour le Tiers-Monde. Ne serait-ce pas le moment pour nous d'une triple mesure dans le Tiers-Monde?

a) Nous mettre en dialogue avec les conférences épiscopales comme congrégation éducative disposée à servir l'Eglise et I'Etat, précisément dans les priorités les plus urgentes et les plus sacrifiées pourvu qu'on nous propose un plan sérieux dans lequel, loin d'être à la merci de multiples demandes non hiérarchisées d'une série d'évêques qui profiteraient de nous et, qu'on me pardonne l'expression, qui tireraient à eux la couverture pour faire face à leurs besoins locaux, nous demanderions qu'on nous signale la façon la plus efficace dont l'Eglise veut employer notre collaboration.

b) Obtenir, auprès des organismes ecclésiastiques d'aide internationale, dépendant de la Conférence. épiscopale plénière, une recommandation pour l'assistance dans la réalisation des plans qu'elle-même a faits, et dans l'ordre de priorité du service où serait classée la Congrégation, oubliant ses intérêts particuliers à elle-même dans ses provinces.

c) Créer un organisme de « public relations » au niveau de l'Institut auprès de tous les genres d'organisations internationales susceptibles de nous fournir des subsides afin d'appuyer ces plans de disponibilité et de démocratisation. Un Frère qui aurait de réelles aptitudes, libéré pour ce service et à la tête de cet organisme, pourrait rendre possibles bien des projets moyennant des conseils et une aide qui aujourd'hui ne sont que de beaux rêves.

Je regrette de ne pas pouvoir citer ici par manque d'espace et de temps plusieurs des intéressantes conclusions du IX° CIEC qui s'est tenu au mois de janvier de l'année passée et dont le thème était la démocratisation de l'enseignement et l'éducation catholique. (Noveno Congreso Interramericano de Educación Católica, San Salvador, 4 a 11 de enerode 1967).

Impossible aussi de citer le méritoire travail de Isaac Th. J. de Wurst et André Benoit (1963), à cause de sa nature privée et du manque d'autorisation des auteurs[130].

Mais enfin en plusieurs de ces pages j'ai déjà réfléchi avec vous sur le profil de l'éducation catholique en Amérique Latine et sur la tâche qui pourrait s'y développer.

9 Sans séparer civilisation et évangélisation.

On peut résumer en deux mots les tâches qui se présentent à nous: civiliser et évangéliser. Il convient de les accomplir avec équilibre, synthèse et hiérarchie.

Promouvoir le développement humain lui-même ou être les éducateurs de la foi pour la vie chrétienne des nouvelles générations du peuple de Dieu: voilà ce que quelques-uns ont présenté comme un dilemme.

Dans l'introduction, je posais aussi le problème et maintenant j'essaierai de suggérer une réponse. Comment faire pour ne pas abandonner notre tâche de messagers de la Parole divine auprès de la jeunesse[131]en évitant le double écueil de la travestir en consécration humaniste et d'autre part de l'axer sur une recherche d'intérêt et de prosélytisme dont on ne manquerait pas de nous accuser si nous ne savions pas nous donner à cette jeunesse dans un véritable esprit de service et de solidarité au niveau humain profane.

Il n'y a pas lieu de comparer ni notre vie (le texte porte : cie NDLR) ni notre action à des institutions aussi méritoires que « Ad Lucem » ou « Les volontaires de la paix ». Notre action primordiale est seulement en fonction explicite, directe et primaire de l'annonce de la Parole divine; sans nous imposer, sans faire pression, mais avec le besoin de dire la vérité que nous portons en nous et qui nous brûle le cœur[132].

Nous devons agir sans doute, avec un profond respect pour la personne humaine pour la conscience individuelle, et surtout pour la foi des parents, et cela dans le contexte des directives conciliaires. Mais nous devons le faire; sans cela nous manquerions au devoir le plus profond de notre œuvre d'éducation et à une des exigences les plus vives de notre cœur. Le Concile dans un paragraphe très dense décrit ce qu'il entend par l'éducation chrétienne :

« Celle-ci ne vise pas seulement à assurer la maturité ci-dessus décrite de la personne humaine, mais principalement à ce que les baptisés, introduits pas à pas dans la connaissance du mystère du salut, deviennent chaque jour plus conscients de ce don de la foi qu'ils ont reçu, apprennent à adorer Dieu le Père en esprit et en vérité avant tout dans l'action liturgique, soient transformés de façon à mener leur vie personnelle selon l'homme nouveau dans la justice et la sainteté de la vérité et qu'ainsi constituant cet homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ ils apportent leur contribution à la croissance du Corps mystique »[133].

Personne ne peut se plaindre si nos institutions s'organisent à cette fin, puisque rien n'oblige les parents à envoyer leurs enfants faire leur éducation chez nous.

Les accusations de prosélytisme et d'utilitarisme c'est dans un climat de mouvement œcuménique qu'il faut les éviter en respectant l'insertion ecclésiale de chacun, mais en annonçant la vérité et la bonne nouvelle du salut pour les cœurs qui veulent la recevoir et adhérer à elle. Nous n'évangélisons pas pour nous-mêmes; il ne nous importe nullement d'accroître notre groupe sociologique; ce qui nous importe c'est de conduire au Christ et cela « nous ne pouvons pas ne pas le faire ».

10) Dans une attitude de service envers la Société et I'Etat.

Tout ce qui précède ne doit pas s'opposer, et de fait ne s'oppose pas les moins du monde au très grand intérêt que nous avons de servir la société dans le plein oubli de nous-mêmes. Comment faire alors?

a) Respecter profondément l'autonomie des lois propres et immanentes à chaque ordre de la nature, de la culture et des structures sociales. Avec enthousiasme adhérer à cette consigne que donnait l'épiscopat belge dans sa lettre pastorale de l'année de la foi :

« Les valeurs temporelles, auxquelles notre société est si attachée, jouissent d'une autonomie légitime, pendant tout le temps intermédiaire qui s'écoule entre l'Ascension du Christ et son Retour à la fin du monde. Ce temps est par excellence le temps de l'Esprit-Saint travaillant dans et par les chrétiens pour le bien de tous. Les croyants, les premiers, y mettront de la charité et de la joie, de la justice et du dévouement. Les tâches humaines ne sont pas sans rapport avec le Christ qui nous jugera sur les œuvres temporelles que nous aurons accomplies ou omises en faveur des plus petits de ses frères. Si donc le chrétien s'offre pour la prise en charge d'un monde douloureusement pauvre, son activité profane elle-même ne contribuera-t-elle pas à l'instauration du Règne du Christ? »[134].

Quelque perplexité que les catholiques puissent avoir sur le vrai sens de l'autonomie des valeurs temporelles en face de la religion, le sens juste de la « désacralisation » s'éclaire des enseignements de Gaudium et Spes (surtout n° 36 et 37) et permet de voir tout ce que ces valeurs ont de juste ou au contraire d'inacceptable pour un chrétien.

b) Sur le terrain de l'éducation, amener nos élèves et anciens élèves à prendre des attitudes de vie qui évitent les deux tentations que signale Houtart comme les menaces continues du chrétien par rapport au monde: « Deux tentations ont constamment menacé les chrétiens en relation avec le Royaume. La première est de le concevoir comme tellement extra-terrestre, qu'aucun lien ne puisse exister entre le monde actuel et le monde à venir. Il s'agit alors de sauver son âme et les circonstances extérieures importent peu. La seconde consiste à identifier le Royaume de Dieu avec une civilisation particulière et cela s'est vu à de nombreuses reprises dans l'histoire… »[135].

Mais sans sortir de la foi, plus même, à la lumière de la foi et au rythme de l'amour, on peut harmoniser les deux tâches parce que, « il y a une convergence, comme dirait Teilhard, entre les efforts des hommes pour le développement du monde, efforts d'ailleurs d'où le Christ n'est pas absent, et !a nouvelle création comme acte transcendant. Il y a donc parfaite complémentarité entre les deux dimensions. de la foi chrétienne, la dimension verticale, celle qui nous oriente vers le Royaume et la dimension horizontale, celle qui nous relie au monde actuel. Sans la dimension verticale, les efforts humains pour construire un monde nouveau perdent leur sens de convergence vers le Royaume, mais la dimension verticale conçue comme exclusive produit le refus du monde actuel, la constitution de ghettos chrétiens, le piétisme et en contrepartie l'absence totale de référence à la foi, dans la vie économique, sociale ou politique »[136].

c) Nous engager de toute notre âme à être des collaborateurs enthousiastes, pionniers dévoués de ce qui est à notre portée, de tout ce qui est noble et qu'entreprend le gouvernement pour le bien national, mais le faire sans avoir à payer des concessions, lui montrant que nous n'agissons pas pour un parti, pour telle personne ou pour tel gouvernement, mais en tant que représentants de l'Etat et administrateurs du bien commun. Aujourd'hui ce sera un gouvernement, demain tel autre; ceux-ci passeront mais les besoins continueront qui exigent une constante de service technique par delà les alternatives politiques des pays si préjudiciables aux progrès de l'éducation.

d) Créer pour la société, en particulier le Tiers Monde, les cadres dont il a besoin pour remplir les places de direction aujourd'hui vacantes ou occupées par des personnes qui réellement ne sont souvent pas bien préparées.

Pour cette tâche qui exige dévouement, exceptionnelle qualification et continuité, les religieux ont une aptitude particulière[137].

Pour former ce type d'hommes, en qui la société sent non seulement la présence, mais la collaboration de l'éducation catholique, il faut que la formation religieuse que l'on donne n'inspire jamais ce qu'on pourrait appeler spiritualité du sous-développement. Des appréciations comme celles qui ont été énoncées dans l'ouvrage: « Les tâches de l'Eglise en Amérique Latine » ne sont pas particulièrement agréables à lire. Après y avoir affirmé avec justesse et clarté que l'objectif essentiel de l'éducation catholique est la formation surnaturelle il passe ensuite aux tâches qui sont de l'ordre du développement et il dit: « Il semblerait en outre, qu'elles sont rares les institutions chrétiennes d'éducation où les étudiants sont effectivement formés pour la vie en groupe d'aujourd'hui, pour les décisions en commun, pour la vie démocratique, pour le sens de l'égalité, etc. Le résultat c'est que les personnes les plus pratiquantes et pieuses, ou bien sont incompétentes dans le domaine scientifique ou technique ou politique, ou bien manquent des qualités élémentaires de leaders, ou bien ne savent pas collaborer avec les autres, ou bien même restent attachées à des principes de vie sociale qui contrarient les exigences actuelles du bien commun »[138].

Si désagréables qu'elles soient, ces paroles ont valeur de catalyseur et produisent en nous une saine réflexion, un effort de dépassement. Nous ne devons pas les rejeter, mais leur faire face: ce sera un bien. Au lieu de mettre en question la substance de notre vocation et des institutions éducatives, examinons donc plutôt comment nous les faisons fonctionner. A ce sujet Emile Pin dit fort justement: « Nous pourrions dire que la plus grande partie des objections faites à l'enseignement libre catholique, tomberaient si l'on pouvait démontrer que les écoles catholiques produisent des chrétiens responsables qui constituent ensuite les cadres administratifs, politiques, économiques de la société présente »[139].

e) Et finalement donner à toute notre tâche éducative un profond esprit de service, tel que le demande d'une façon explicite et éloquente la conférence épiscopale latino-américaine dans sa déclaration déjà citée de Baños, Equateur, dans la partie qui a trait à l'éducation: « Dans notre réflexion sur des choses si importantes nous nous rendons compte aussi que la fonction de l'éducation chrétienne devient sous des formes multiples un service pour le monde. Comme en beaucoup d'autres terrains, sur le terrain culturel et éducatif aussi, l'Eglise « servante des hommes » – selon le mot de Gaudium et Spes – a rendu au continent latino-américain, et doit continuer à lui rendre toujours sa riche contribution civilisatrice ».

« Pour que ce service soit efficace dans l'avenir de notre pays, nous jugeons de grande importance que l'on tienne grand compte des facteurs, qui conditionnent son authenticité et son efficacité. Parmi ceux-ci nous voudrions mentionner en particulier:

• La reconnaissance que l'Eglise fait de la juste autonomie des réalités et des institutions terrestres. Cela oblige les chrétiens à les respecter honnêtement et à projeter sur elles la lumière nouvelle de la foi en respectant le caractère chaque fois plus communautaire de notre société dans laquelle se déroule l'action civilisatrice des chrétiens.

• Cela nous oblige aussi à intégrer nos initiatives dans les buts justes et nobles que poursuit la société dans son ensemble, comme aussi à former la conscience sociale de notre jeunesse.

• La diversification des tâches que nous chrétiens, devons prévoir avec perspicacité pour prêter notre collaboration civilisatrice dans des champs d'action qui demandent que nous soyons plus attentifs au développement de notre société en mutation »[140].

11) Mais adaptation n'est pas révisionnisme. Dans un monde en mutation, ce qu'il nous faut ce n'est pas un révisionnisme (signe d'une crise d'identité) mais une souplesse et une vaillance pour nous adapter. Dans la ligne de cette souplesse d'adaptation on pourrait signaler d'une façon particulière quelque chose qui a trait aux priorités de notre travail d'éducation. Il semble en effet qu'à l'action éducative s'ouvrent deux champs préférentiels qui, loin de s'opposer, se complètent en ce moment.

En premier lieu, la formation des « dirigeants » à tous les niveaux, cherchant dans un principe de charité sociale et de service au bien commun, à donner à des jeunes gens de tous les niveaux sociaux, qui vraiment en sont capables, des chances de formation supérieure en leur rendant possible cette promotion sociale. Ainsi évitera-t-on le cercle vicieux qui consiste à nous enfermer dans la formation des classes privilégiées dans les peuples dont les structures sont telles qu'elles n'interdisent sans doute pas l'accès des études aux éléments dynamiques de la société, mais maintiennent une trop grande inégalité de chances, soit pour des raisons économiques, soit pour des raisons sociales. Les jeunes gens aisés, à cause de leurs ressources économiques, trouveront toujours des écoles pour se former, les autres, dans beaucoup de pays, non.

Il ne s'agit pas de fermer la porte aux premiers mais de l'ouvrir aux seconds[141]. Nous sommes nés pour aller vers les marginaux, c'est-à-dire vers ceux qui n'étaient pas atteints par d'autres congrégations. Evidemment un Institut peut, pour des raisons valables, faire une tâche pour la quelle il n'est pas né; mais ce qu'il ne peut pas, c'est de ne pas faire ce pour quoi il est né. Eh  bien, il est clair que, aujourd'hui, si les voix de la sociologie, de l'Eglise et de notre authentique esprit s'unissent en un vrai concert sur ce point, il est clair que notre réponse ne peut pas se limiter à de timides essais, inoffensives aspirines, mais doit se traduire par une action plus évangélique et plus généreuse.

Une seule raison serait acceptable pour maintenir des collèges qui s'adressent à la classe aisée. Je m'explique. Dans ces collèges, nous n'exagérons sûrement pas les tarifs; à la lumière de l'honnêteté humaine, nous percevons ce qui est juste, et même moins, de la part d'une clientèle qui n'a vraiment pas besoin de rabais et qui, de par sa condition sociale emploie facilement dans un gaspillage de luxe ce que nous n'avons pas osé lui demander[142].

Dès lors ce serait un motif de pouvoir exiger des scolarités en fonction d'œuvres sociales auxquelles une partie serait affectée. Percevoir ce qui est juste de celui qui peut et doit payer, et employer ensuite cet argent (mais l'employer réellement) aux œuvres sociales éducatives, n'est, après tout, qu'un moyen de procéder par l'initiative privée à une redistribution fonctionnelle des revenus et des services.

Des initiatives de ce genre, unies dans un effort parallèle avec les organismes internationaux en vue de préparer des cadres au, Tiers-Monde, ainsi que d'autres formes créatives de financement que, jusqu'aujourd'hui peut-être, nous n'avons pas eu assez le lucidité pour inventer, pourraient élargir considérablement l'effort que nous avons fait dans ce domaine, effort que beaucoup de frères désirent ardemment voir s'accomplir. 

CONCLUSION

 J'ai fait un rapide tour d'horizon de la situation du monde actuel, des risques d'échec des aspirations et des mouvements qui l'enveloppent. Je reste avec la sensation d'avoir fait un exposé très sommaire, incomplet et insuffisamment nuancé mais j'ai préféré le faire ainsi puisqu'un excès de perfection critique aurait rendu le message illisible. Vous remarquerez donc des déficiences niais j'espère qu'elles n'auront pas des incidences trop graves puisque, en premier lieu, je crois que les faits et la situation actuels, en substance sont bien exacts, même si tel ou tel détail est discutable, et que, en second lieu ces lignes se donnent pour objectif de sensibiliser, d'attirer l'attention; non pas de définir des situations et de dicter des normes de conduite.

 a) Appels du monde et charité

 C'est le monde entier pour lequel, dans le Christ et avec son Eglise, nous devons être sacrement et levain; c'est ce monde que nous devons aimer comme l'indique l'Introduction à la Constitution pastorale dans le monde d'aujourd'hui: que ses joies, ses espérances, ses tristesses soient les nôtres, que rien de vraiment humain ne reste sans écho dans notre cœur de disciples du Christ, de telle sorte que l'Eglise soit intimement et réellement solidaire du genre humain et de son Histoire[143].

Je mets donc devant vos yeux, Mes Chers Frères, une série de graves problèmes et 'd'appels urgents, mêlés à des matériaux en vrac. Si ces appels ne nous touchent pas, ne nous émeuvent pas, c'est que vraiment ou nous sommes embourgeoisés ou nous vivons dans les nuages. Collaborons tous à trouver dans cette réalité, sous l'angle de la foi et dans la chaleur de l'amour, la voix du Christ qui, en ce monde, nous invite à l'action, à la révision, au changement si c'est nécessaire. Aidons le Chapitre d'un travail de réflexion préalable; ce sont là des problèmes énormes auxquels il n'est pas facile de trouver des solutions; le dilettantisme en tout cas, n'y est d'aucune utilité. Votre réflexion aidera la recherche et préparera chaque Province, surtout après le Chapitre, à prendre des mesures et à donner des réponses concrètes. C'est en effet surtout au niveau des Provinces, si l'on admet le principe d'une décentralisation collégiale que sera livrée la vraie bataille. Le Chapitre Général sur beaucoup de ces points ne peut pas et ne doit pas descendre à des formules concrètes mais seulement donner des directives et il ne serait pas étonnant que sur certaines de ces questions majeures il ne pût se prononcer et laissât à quelques responsables ou à une commission le soin de faire à leur sujet une recherche ultérieure.

Attention ! ce défi qui est lancé à notre mission est une occasion merveilleuse parce que le monde a besoin de nous et nous appelle. Notre réponse et les risques que nous prendrons ne seront pas activisme mais exercice de cette pure charité, qui est la loi royale de l'Evangile et la « carte du parti » des disciple du Christ.

Je ne critique pas le passé: je l'aime, je le comprends, et j'applaudis à ses réalisations. Je pense surtout qu'il ne faut pas le juger hors de son contexte historique, mais je ne veux pas voir dans le passé autre chose que l'aujourd'hui absolu et dès lors, je crois pouvoir dire et même je sens le devoir de dire que, au temps que nous vivons maintenant, nous sommes loin de faire ce qu'on attend de nous: il y a de profonds changements à réaliser dans nos œuvres pour qu'elles répondent à un appel où la voix du Fondateur et celle du monde d'aujourd'hui semblent se confondre, tant leur accent est identique, et ces changements ne seront pas réalisables sans une foi profonde et sans une grande intrépidité évangélique[144].

 b) Besoin de foi et de générosité

 Cette foi, cette intrépidité, les avons-nous? Comment les augmenter? Les changements, je le sens bien, arrivent par une voie totalement distincte de celle dont quelques-uns rêvent; c'est pour cela que j'ai été si dur dans mes propositions concrètes de la troisième partie de la circulaire au risque d'étonner plus d'un lecteur. J'appelle à l'amour et au don de soi, non pas aux concessions, et c'est pour cela que j'ai voulu qu'on ne confondît pas: être libre avec être faible et s'installer, ni amour avec prétextes et évasion. Cette voie difficile sera la seule pour laquelle nous pourrons demander à nos devanciers de laisser des sentiers qu'ils ont jusque là suivis et qui ont bien des raisons de leur être chers. Ils nous verront en effet suivre le Christ tel que l'aurait suivi le Père Fondateur.

 c) Implications pratiques

 Je me demande si une des tâches les plus sérieuses des Chapitres provinciaux ne serait pas d'examiner, non d'une manière démagogique mais équilibrée, si la politique de la Province comme le Chapitre Général doit le faire pour tout l'Institut dans les limites du possible, mais avec une volonté déterminée va dans le sens le plus convenable: comment on emploie les fonds, où en sont les prévisions des postes d'enseignement et autres, quels types de fondations on envisage, et pour quelle époque, s'il est indiqué ou contre-indiqué de construire tel collège, comment on prévoit la formation du personnel du point de vue professionnel et religieux culturel et vital – si l'on doit faire des emprunts ou s'en abstenir, etc. … [145].

La cinquième partie de la circulaire, Mes Bien Chers Frères, qui sera donnée aux Capitulants pendant le Chapitre, et envoyée au plus tôt aux Provinces, parlera des appels de l'Eglise, très particulièrement de l'Eglise conciliaire.

Elle vous arrivera trop tard pour vous permettre des apports directs à vos délégués capitulaires. Vous pouvez donc nous les envoyer par le courrier à eux ou à moi-même pendant le Chapitre. Il aurait été très souhaitable que cette circulaire vous arrivât avant, mais je crois que vous pouvez comprendre facilement qu'il n'a pas été facile dans la période inter-capitulaire et dans l'espace d'un an de faire deux voyages, pour visiter quatorze pays, rédiger quatre circulaires et m'occuper de l'administration normale de l'Institut et de la nombreuse correspondance. Vous saurez donc pardonner ce retard et suppléer à ces lacunes par votre collaboration.

Que le Seigneur fasse que ces semences si réelles et si chargées d'espérance produisent un intense labeur de révision dans le Chapitre Général, et, plus tard – si celui-ci ainsi le dispose dans les Chapitres Provinciaux.

(fin de la 4ièmepartie)

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LISTE DES FRERES

 dont nous avons appris le décès

depuis la Circulaire du 2 février 1968

 

   Nom et âge des Défunts                               Lieu de Décès                         Date du Décès

 

F. Julio Federico (G. B. Borgogno)    69 S     Buenos Aires (Argentine)                 12 juil.           1967

F. Alejandro (J. Balzategui)                 77 S     Anzuola (Espagne)                            15 janv. 1968

F. Gonthard (G. Lavis)                          56 S     Arlon (Belgique)                                 22 » »

F. Vidal (V. Pereira)                             59 P     Porto Alegre (Brésil)                         24 » »

F. José Fernando (J. Cos)                  82 P     Tuy ( Espagne)                                  26 » »

F. Léon Albert (H. Bontou)                   91 S     Apipucos (Brésil)                               29 » »

F. François André (W. Rodrigue)       74 S     Iberville (Canada)                              31 » »

F. Victor Camille (V. Guicherd)           57 P     St-Genis-Laval (France)                   2 févr.           »

F. Odon (L. E. Plaud)                           71 S     Luján (Argentine)                               5 »   »

F. Walstan Joseph (B. Curtin)             80 S     Johannesburg ( Afr. du Sud)            6 »   »

F. Rafael (J. M. Llabata)                      79 P     Avellanas (Espagne)                         6 »   »

F. Joseph Martial (E. Termoz-Masso) 93 S     Varennes-s-Allier (France)               21 » »

F. Manuel Benigno (M. Silva)              70 S     Recife (Brésil)                                    2 mars         »

F. Abundiano (A. Arn íiz)                      84 S     Tuy (Espagne)                                   7 »   »

F. Joseph Valère (G. Dewasme)        70 P     Mouscron (Belgique)                         24 » »

F. Jean Gabrielis (P. Cornelissen)     82 S     Mont-St-Guibert (Belgique)              28 » »

F. Marie Rodolphe (Cl. Fatisson)       78 P     N.-D. de l'Hermitage (France)          6 avril           »

F. Auguste Laurent (L. Juvenet)          84 S     Pontós (Espagne)                             7 »   »

F. Ciriaco (C. Azparrén)                      88 S     Avellanas (Espagne)                         26 » »

F. Benignus (McGrenery Ch.)              58 S     Dublin (Irlande)                                   26 » »

F. Henri Marcellin (H. Croze)               51 P     St Paul-3-Châteaux (France)           3 mai            »

F. Luis Maximino (M. Fernández)       68 S     Santiago (Chili)                                  6 »   »

F. Louis Adrien (A. Dallard)                 91 S     Pietermaritzburg (Afr. du Sud)         21 » »         

F. Leopold Victor (L. Smith)                59 S     Drummoyne (Australie)                     30 » »

F. Venáncio José (C. Bauer)              64 P     Santa Maria (Brésil)                          1 juin            »

F. Adrien Etienne (Eug. Giaussat)      81 S     N.-D. de Lacabane (France)            3 »   »

F. Daniel Marcelino (L. Plana)            49 P     Avellanas (Espagne)                         6 »   »

F. Pedro Estanislao (J. García)          54 S     Lo Lillo (Chili)                                     8 »   »

F. Eugenius (G. Staelens)                   54 S     Borne (Hollande)                               15 » »

F. Joseph Bernardin (H. Merchiers)   67 S     Zele (Belgique)                                  20 »  »

F. Mary Guibertus (Ph. Brown)            81 S     Bendigo (Australie)                           23 »  »

F. José Santiago (J. Collu)                  99 S     Luján (Argentine)                               23 » »         

F. Firmo (A. Carneiro)                          43 S     Uberaba (Brésil)                                25 » »

F. Enrico (A. Balestra)                         89 S     Velletri (Italie)                                     28 » »

F. José Telesforo (J. A. Rubies)         54 S     Avellanas (Espagne)                         2 juil.             »

F. Marcelo (A. Ibáñez)                          82 S     Castilleja (Espagne)                         5 »   »

F. Alphonse Rodriguez   (X. Mullerseck)  80 P     N.-D. de Lacabane (France)            7 »   »

F. Fortunato Luis (F. González)           72 S     Morelia (Mexique)                             8 »   »

F. Johann Thomas (J. Birn)                 71 S     Furth (Allemagne)                              10 » »

F. Edgard Henri (M. Bontou)               86 S     Recife (Brésil)                                    12 » »

F. Brian Francis (P• Downes)             37 P     New York (Etats-Unis)                       14 » »

F. Véronique (R. Durand)                    87 S     St-Paul-3-Châteaux (France)           15 » »

F. Marie Diodorus (G. Mazon)            89 P     St-Paul-3-Châteaux (France)           19 » »

F. Joseph André (A. Vial)                    80 S     Varennes-s-Allier (France)               20 » »

F. Pedro Benigno (B. González)         75 S     Pamplona (Espagne)                        22 » »

F. Máximo Lobo                                    23 T     Chosica (Pérou)                                25 » »

F. Eugène Félix (A. Rodier)                 75 S     Dik El Mehdi (Liban)                         27 » »

F. Víctor Dionisio (D. Carroll               63 S     Mar del Plata (Argentina)                 28 » »

F. Pedro Balbino (A. Duque)               59 S     Ipiales (Colombie)                             16 août  »

F. Jean Edmond (J. J. Pelletier)         37 P     St Jean (Canada)                              17 » »

F. Donat Edouard (R. Côté)                39 P     Rivière du Loup (Canada)                19 » »

F. Nereo Abilio (A. Arias)                    54 P     Miranda de Ebro (Espagne)            19 » »

F. Ermin (A. Desmurger)                     92 S     Varennes-sur-Allier (France)            30 » »

 

La présente Circulaire sera lue en communauté à l'heure de la lecture spirituelle.

Recevez, Mes Bien Chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis, en J. M. J.,

Votre très humble et tout dévoué serviteur.,

F. BASILIO RUEDA  Supérieur Général

 

N.B. – Les tableaux annexes ont été laissés indépendants pour faciliter la consultation. Leur format et leur pli ont aussi été étudiés en vue de faciliter leur reliure.

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[1]  : L'Argent suite : Œuvres en prose 1909.1914 ; p. 1242.

[2]  : Ps. 132, 1.

[3]  : Jacques, 2, 15-16.

[4]  : 1 Jean, 3, 17.-167

[5]  : Ces faits sont des ferments qui stimulent et orientent notre réflexion vers deux plans et deux objectifs différents :

– Comment doivent-ils se répercuter dans notre vie personnelle et collective ?

– Comment doivent-ils soumettre à révision et planification notre tâche éducatrice et le type d'homme que nous voulons former pour notre époque ? Nous sommes des éducateurs. Eduquer 'est préparer l'homme à être pleinement lui-même et à s'attaquer existentiellement à sa tâche historique et sociale avec compétence et volonté de l'accomplir.

[6]  : Roger Schutz : Vivre l'aujourd'hui de Dieu (p. 20).

[7]  : Entendons par là tout ce qu'implique un changement social : changement économique, culturel, axiologique, religieux, politique, psychologique, etc.

[8]  : Gaudium et Spes (5 à 10) Pop. Pr. 5.

[9]  : D'un côté l'homme est libéré (ou libérable) de servitudes diverses : maladies, travaux, besoins, etc. ; beaucoup de découvertes ont été aujourd'hui orientées vers le service de l'homme, beaucoup d'énergie utilisée en sa faveur – et ceci est chrétien, parce que précisément le sens chrétien du monde est celui d'une communion cosmique entre le monde et l'homme, et, à travers l'homme. entre le monde et Dieu : «Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (Ire Cor. III, 21-23). Mais cependant l'homme est parfois victime du pouvoir qu'il a arraché lui-même à la nature.

[10]  : Changements de mœurs dans les relations entre les sexes, changements dans les systèmes de production des biens matériels, changements dans les systèmes de communication entre les hommes.

[11]  : Changements dans les systèmes de concentration humaine, processus de socialisation. multiplication des types d'associations qui se différencient et se spécialisent de plus en plus.

[12]  : Façon différente d'affronter le passé à tel point qu'existe la tentation de rompre avec lui et de le rejeter.

[13]; Non seulement par la simple accumulation de nouvelles connaissances, mais par le changement même des valeurs qui insinue le doute sur les anciennes raisons de vivre et sur les croyances.

[14]  : Il faut comprendre que l'institutionnalisation d'une révolution rend celle-ci conservatrice ad infra, lors même que ad extra, elle développe une politique impérialiste très active. Les efforts faits en URSS pour maintenir dans l'orthodoxie les publications, la production artistique, la littérature, le comporte-ment des étudiants en est la preuve. Si j'emprunte l'exemple à l'URSS, c'est parce que c'est un des pays où on saisit le mieux cette évolution, là où elle était tout récemment encore la plus avancée sur le chemin d'un rapprochement entre le socialisme et le communisme, avec son dépassement très net de la phase correspondante à la dictature du prolétariat.

Cet aspect conservateur, peut se maintenir pendant des décades face à de nouvelles exigences de changement, mais il s'use à travers le temps, les fluctuations de la politique extérieure, l'accroissement du tourisme, le progrès de la culture, etc. … sans parler des facteurs d'ordre économique qui obligent graduellement le socialisme marxiste à assimiler des éléments primitivement proscrits dans le système. Pensons au monde agricole, où l'on a renoncé aux principes pour laisser subsister une forme limitée de propriété privée.

Du côté du capitalisme, les modifications sont claires. En plus des inévitables pressions politiques et du choc Est-Ouest qui oblige à réviser les positions en face du Tiers-Monde, la dynamique même du système oblige celui-ci à être à même de développer indéfiniment la quantité des produits, leur qualité et leur variété, mais aussi à assurer le marché, et pour cela à créer l'acheteur en lui donnant un réel pouvoir d'achat, ce qui est impossible sans une certaine forme de distribution ; une accumulation indéfinie des capitaux provoquerait la faillite même du système. D'autre part, ce qui est vrai à l'échelon national vaut aussi inéluctablement pour le futur au niveau international.

Tout ce qui précède, de soi n'entraîne pas pour nous une préférence d'un système par rapport à l'autre,. Comme chrétiens nous devons être intègres et voir non seulement les faits mais les mobiles qui sont au coeur des faits… Si une transformation se produit pour des motifs qui ne sont ni amour et fraternité, ni justice et équité, mais intérêt et égoïsme, elle ne peut être applaudie ni acceptée comme une voie susceptible de devenir la nôtre.

En face du marxisme-léninisme et en face du capitalisme, autre chose est d'être réaliste et d'accepter de vivre avec des faits inévitables et consommés dans lesquels nous devons être le levain de transformation et de rédemption, et autre chose, de s'engager à l'égard de ces faits, et de collaborer pour les instaurer dans l'avenir d'un pays où ils n'existent pas encore.

[15]  : Les peuples de la faim interpellent aujourd'hui de façon dramatique les peuples de l'opulence. L'Eglise tressaille devant ce cri l'angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l'appel de son frère (P. P. 3).

II faut se hâter : trop d'hommes souffrent, et la distance s'acrroït qui sépare le progrès des uns, et la stagnation, voire la ré-des autres (P. P. 29).

Les riches deviennent de moins en moins nombreux en proportion à la population mondiale et de plus en plus riches, tandis que les pauvres deviennent de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres, ceci en vertu de deux tendances opposées : celle de la production et du progrès concentrés dans les peuples riches et celle de la démographie qui se révèle explosive, galopante dans les peuples pauvres (Robert Hendrickx, Pro Mundi Vita 1967, Spécial Bulletin, P. 20).

[16]  : Heureusement de nouveaux courants, très sensibles à une humanisation de la productivité, au sein même des rapports de l'homme avec la machine, et aussi avec ses semblables, comme lui facteurs de production de l'entreprise, commencent à s'étendre et donnent à cette entreprise un nouveau visage.

[17]  : Q. A. n' 135.

[18]  : R. M. Guillemin, Supérieure Générale des Filles de la charité de St. Vincent de Paul, dans sa circulaire : «Tensions psychologiques dans la vie religieuse », citant «El Eco de la Casa Madre de las Hijas de la Caridad ». Suplemento numero 7, p. 4, Julio de 1964,

[19]  : P. P. 20.21,

[20]  : P. P, 79,

[21]  : Constitution apostolique : Humanae Salutis, 25 déc. 1961.

[22]  : L. J. Lebret : Pour une civilisation solidaire, p. 6. Economie .a Humanisme : 99, Quai Clémenceau 69. Caluire. France.

[23]  : Le ton particulièrement familier de cette circulaire me dispensera de la surcharger d'une quantité de données statistiques qui, aujourd'hui, sont devenues des lieux communs et qui, ici, se-raient superflues, puisque en général les affirmations que l'on y fait sont si évidentes et les données sur lesquelles elles s'appuient – avec, bien sûr, çà et là quelques variantes suivant les auteurs – si bien acceptées par les techniciens de ces problèmes, qu'en général on peut parler d'un large assentiment à leur sujet, malgré les diverses directions de pensée des sociologues, économistes et hommes politiques. Il est convenable cependant que ces réflexions soient ensuite illustrées par une étude de documents sérieux s'y rapportant, et discutées dans un dialogue communautaire ou provincial qui, partant à la recherche de solutions, vise à la fois à sensibiliser les interlocuteurs à ces appels et à apporter des suggestions au Chapitre Général,

[24]  : Docteur B. R. Sen, directeur général de la FAO. «El Primero Derecho : No Tener Hambre ». (Seleccion de los discursos), FAO 1965, p. 7.

[25]  : Docteur B. R. Sen, op. cit., p. 20.

[26]  : Evidemment, cette moyenne de vie s'explique aussi par les caractéristiques raciales et d'autres facteurs. Il n'en reste pas moins vrai que les conditions infra-humaines d'existence ont une influence considérable sur la mortalité et la moyenne de vie.

[27]  : B. R. Sen, Statistiques de la Faim, FAO 1962, p. 14.

[28]  : Les graphiques reproduits nous ont été fournis par la FAO, que nous remercions de nous avoir permis de les reproduire.

[29]  : La productivité agricole d'une unité humaine aux Etats-Unis ou au Canada, correspond à celle de 20 hommes travaillant la terre en Amérique latine.

[30]  : La productivité agricole d'une unité humaine aux Etats-Unis ou au Canada, correspond à celle de 20 hommes travaillant la terre en Amérique latine.

[31]  : « Présence de chrétiens nombreux, bien formés et actifs là oit se prépare la nouvelle figure du monde» : demandait Mgr. Léon Elchinger, évêque de Strasbourg, comme une des mesures les plus productives pour notre temps.

[32]  : Thème constant du 8ième CIEC.

[33]  : PP. 57.

[34]  : Sur les niveaux de culture et le problème de l'éducation, je parlerai plus tard. Je le ferai plus pour des raisons méthodologiques que logiques.

[35]  : Para una Dinamica del desarrollo Latinoamericano. Comision economica para America Latina (CEPAL) : Mar del Plata. Argentina, 1963, p. 6.

[36]  : La nature confidentielle des données m'impose la réserve sur te pays et l'année.

[37]  : Op. cit., p. 20.

[38]  : Une idée vient à l'esprit : donner l'éducation profession ou technique à des jeunes gens sans créer des emplois pour tes accueillir, c'est aggraver le problème en préparant pour la société des gens frustrés, insatisfaits, incapables de s'adapter à leur mitieu ; créer des emplois et ne pas préparer professionnelles ment des jeunes pour les occuper c'est mettre en danger le développement même qu'on tâche de promouvoir. Les réformes dois vent être intégrées et il faut marcher au rythme de la planification intégrale.

[39]  : «On a considéré le taux de croissance de la population comme une des données de base du problème du développement. Ii est indubitable que l'augmentation importante que l'on enregistre dans ce taux a compliqué d'une façon considérable ce problème. Un taux inférieur de croissance de la population pourrait rendre beaucoup moins difficile l'accélération du développement du coefficient net des investissements, du 10% des revenus (coefficient brut : 15,5%) à peine le 1/4 peut être destiné augmenter la productivité et le revenu par habitant : les 3/4 restants sont nécessaires pour faire face à l'augmentation de la population. Si, par exemple, celle-ci avait continué à augmenter raison de 1,8% comme au début de ce siècle, avec l'investissement que l'on fait actuellement on pourrait avoir une progrès de 2,2% dans le revenu par habitant au lieu de 1% qui a été enregistré comme moyenne ces derniers temps. Cela ne signifie pas que ce pourrait être une alternative à la pleine utilisation n potentiel de l'épargne mais bien un moyen additionnel pour accélérer la progression ; cependant nous n'aborderons pas cet aspect délicat dans le présent document, car entreraient en jeu des batteurs qui pourraient froisser les sentiments profonds de le population latino-américaine, et ce n'est pas à l'économiste en tant que tel qu'il convient de suggérer les solutions adéquates ». (Prebisch, op. cit., p. 53).

[40]  :Evidemment il existe un 3ième groupe très digne d'attention : celui des pays qui ont fait leur « take off » industriel et se trouvent en voie de développement.

[41]  : Eglise et Pauvreté – Dimensions actuelles de la pauvreté, p. 37 (G. M. M. Cottier). Ouvrage en collaboration. Unam Sanctam n. 57. Editions du Cerf, 1965.

Les colonnes comparatives ont été ajoutées au tableau original pour rendre plus visible l'évolution.

[42]  : PP. 49 et 23.

[43]  : St. Ambroise et l'Empire romain. Paris, De Boccard 1933, 336.

[44]  : Informations Catholiques internationales, 15 mai 1968, p. 4.

[45]  : PP. 52, 54, 56, 71, 72, 78. G. et S, 75

[46]  : « Rappelons l'injustice qu'il y aurait, et en même temps le simplisme, de mettre sur le compte du peuple allemand ce qui a été fait par les Nazis et sur le compte du peuple juif comme tel, la mort de Notre-Seigneur.

[47]  : PP. 11, 39, 59.

[48]  : L. T. Lebret, op. cit., p. 39 et 41. Les mots soulignés le sont par moi.

[49]  : PP. 29, 30, 31

[50]  : G. et S. 21.

[51]  : Op. cit., p. 31.

[52]  : De l'anathème au dialogue. Paris, Plon 1965.

[53]  : Les Néo-Kantiens l'ont affirmé depuis longtemps et en toute clarté : « Dieu existe indubitablement, mais cette affirmation doit être précédée d'une précision : ce n'est pas lui qui a créé les hommes, ce sont les hommes qui l'ont créé ». Il n'est pas difficile d'apprécier l'allure idéaliste d'une affirmation vide de toute réalité extra-mentale.

[54]  : Edition Beauchesne, Paris 1967.

[55]  : «Nous devons donc bien nous garder de prendre pour objet de la prédication des hypothèses incertaines. Nous ne devons absolument pas le faire si elles se concilient mal avec la "saine doctrine" (Tim., 2, 1), ou si elles lui sont opposées. La discussion théologique a légitimement sa place dans l'Eglise, mais elle n'est pas l'objet de la prédication. Si on la mêle à la doctrine de l'Eglise, il n'en résulte souvent que de la confusion» (Lettre pastorale de l'épiscopat allemand : Documentation Catholique n. 15. 18 février 1968, p. 322).

[56]  : A titre d'exemple et à cause de leur valeur, je nie permets de vous recommander celles des évêques d'Allemagne, des USA et de Belgique.

[57]  : Discours de Paul VI, à l'audience du 25 avril 1968. Documentation Catholique : 19 mai n. 1517, p. 877.

[58]  : L. J. Lebret, op. cit., p. 8.

[59]  : G. et S. 19 et 57.

[60]  : P.P. 34-41.

[61]  : P.P. 40. Ces mots de Paul VI. que j'avais notés avant mon voyage en Afrique ont acquis pour moi une importance capitale, quand j'ai en réalisé une série de contacts rapides mais profond., avec 13 pays. Ceux-ci, il est vrai, peuvent offrir parfois le spectacle de phénomènes préoccupants, voire infra-humains avec des variantes, quel est le continent qui n'en présente pas ?) mais ils possèdent aussi de très réelles traditions de culture et de valeurs morales bien dignes d'être prises en considération.

[62]  : Apoc. 1, 54, 11. Eph. 1, 10, 4 ; 10-13. Phil. 2, 8-11. Col. 1 15-20.

[63]  : St, Paul nous le dit : «Toute la création, si elle fut assujettie à la vanité – non qu'elle l'eût voulu mais à cause de celui qui l'y a soumise – c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule ; nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps». (Rom. 8, 20-24).- 

[64]  : Les couches supérieures (5% de la population) qui s'approprient près de 3/10me de la consommation totale de l'Amérique Latine ont ainsi une consommation moyenne par famille 15 fois supérieure à celle des couches inférieures (50% de la population). Si cette proportion se réduisait de 15 fois à 11 fois, par une compression de la consommation au profit des investissements, le taux de croissance annuelle des revenus par habitant pourrait monter de 1 à 3%. Et si la compression était ramenée de 15 fois à 9 fois, le taux pourrait monter à 4% et peut-être plus selon l'utilisation que ferait une politique intelligente de cette opération, et selon la bonne volonté que chaque pays apporterait à la mettre en pratique. (Prebisch, op. cit., p. 7. C'est ce que l'auteur appelle le concept dynamique de la redistribution).

[65]  : Lebret : La Ascension Humana. Ed. Estela, p. 141.

N.B. Nous nous excusons de citer le texte d'après une' traduction espagnole retraduite en français, faute d'avoir pu trouver l'original en temps voulu. 

[66]  : 101 P.P. 87. 

[67]  : P.P. 14. 

[68]  : Par exemple : Maritain : Humanisme intégral. Aubier 1936.

[69]  : 701 Le témoignage suppose implicitement que l'on s'engage avec et dans ses propres biens. 

[70]  : 1h08 «Les études sur le développement convergent vers la solution suivante : Les conditions d'existence difficiles et parfois dramatiques de la plus grande partie de la population sont dues à de nombreux facteurs qui agissent et se répercutent les uns sur les autres et dont l'accumulation donne lieu à un processus d'aggravation. Le seul moyen de remédier à ce processus (c'est-à-dire de progresser) c'est de l'inverser moyennant un ensemble coordonné d'interventions vigoureuses, de la part de tous ceux qui détiennent des responsabilités économiques et spécialement des pouvoirs publics chargés "d'encourager, stimuler, coordonner, suppléer et intégrer " » (Mater et Magister 53). Bigo : El Cristianismo y la Revoluciôn en la Epoca contemporânea, p. 18. Mensaje n° 115 (numero Especial 2° Ediciôn 1962. Santiago Chile). C'est moi-même qui souligne le mot inverser dans le texte du P. Bigo. 

[71]  : Cas, par exemple de trahisons des révolutions à l'intérieur ou de blocus à l'extérieur, susceptibles de les faire échouer. 

[72]  : Aspects sociales del Desarrollo Econômico de América Latina. UNESCO 1962, vol. I, p. 428. 

[73]  : Je ne veux pas m'étendre davantage sur ce thème ; aussi me contenterai-je de renvoyer le lecteur au discours que prononçait Paul VI le jour de sa fête devant le collège des cardinaux. Dans ce discours, entre autres choses, il attire l'attention sur cette prétention qui va se généralisant dans certains milieux, d'appuyer sur la pensée chrétienne et les exigences chrétiennes la nécessité de la violence, au point qu'on en est arrivé à créer la théologie de la violence ou de la révolution (Osservatare Romano, 25 juin 1968). 

[74]  : Article : Vie économique et sociale et communauté des nations. L. J. Lebret : dans «L'Eglise dans le monde de ce temps ». Marne 1967, p. 273.

[75]  : Pacem in terris 161, 162.

[76]  : P P. n° 29, 30, 31. 

[77]  : «La trajectoire d'un paternalisme chronique, exercé par les pères de famille, les leaders, les entreprises, les dictatures et les gouvernements a eu comme résultat l'un des mythes les plus redoutables qui se trouve incrusté dans le sentiment national. Ce mythe c'est que le progrès vient du dehors et que ce n'est pas l'effort, niais la chance qui fait tout. Voilà la cause de la si triste passivité du Vénézuélien moyen.

Peut-être est-ce cette manière de comprendre les choses qui nous a divisés traditionnellement : en chefs et victimes, en impérialistes et exploités, en gouvernement et peuple. Et notre peuple s'habitue à cette pensée : au gouvernement revient la solution de tous mes problèmes et il est coupable de tous mes maux. Et beaucoup de gouvernements de leur côté, semblent penser que les problèmes se résolvent avec des mesures et des lois.

Tel fut le thème de base d'un «Séminaire » où l'on étudiait le rôle de l'entreprise dans notre structure sociale, et l'on arriva à rejeter le concept d'individualisme de l'entreprise, en insistant sur sa fonction civique.

L'entreprise moderne est une institution aussi économique que sociale qui s'est déplacée de la marge vers le centre de la communauté. Nous sommes devant un nouvel ordre social dans lequel l'entreprise, outre qu'elle produit une certaine quantité de biens et de services, est une expression de la liberté et un instrument de réalisation des fins transcendantes de l'homme » (Ejecutivo, empresa y progreso social. I. L. Enriquez. Caracas. 13 déc. 1963. p. 4).

[78]  : '1' Lettre de Sāo Paulo. Foro Latino-americano de Desarrollo Economico. UNIAPAC – Sāo Paulo 1963. 

[79]  : 10 Message du 16 octobre 1966 – Boletin informativo del CELAM, p. 20. 

[80]  : 117 Pastorale de l'Episcopat latino-américain : Declaración de Ecuador du 11 juin 1966. Extrait de la revue de la Conférence des Religieux du Brésil : C.R.B. janvier 1967, p. 39. 

[81]  : Document de la Conférence nationale des Evêques du Brésil : novembre 1967. (Citation de Convergência n' 150, p. 29) 

[82]  : Op. cit., 28, 29, 30. 

[83]  : P.P. 83.

[84]  : Article L. J. Lebret : La vie économique et sociale et la communauté des nations, op. cit., p. 276. 

[85]  : Extraits divers de Twenty Years of Service to peace1946-1966.

J'ajoute ces quelques chiffres qui concernent l'Amérique latine :

– De 36 millions d'enfants en âge scolaire, 15 millions n'arrivent pas à l'école.

– Il y a grande pénurie de locaux et ceux qui existent ne sont pas bien employés.

– Le nombre de maîtres est insuffisant et leur préparation n'atteint pas le degré voulu.

– Les professeurs séculiers n'ont pas été vraiment intégrés à la structure de l'école, dans les collèges congréganistes.

– Les élèves ne s'incorporent pas à la culture lorsqu'on ne réussit pas à les atteindre en profondeur.

– Les plans et les programmes ne sont pas assez souples, ni assez adaptés aux élèves.

– Beaucoup de parents ne savent pas exercer leurs droits ni remplir leurs devoirs au sujet de l'éducation.

(Extrait de : « IX Congreso interamericano de Educación católica. San Salvador, 4-11 janvier 1967). 

[86]  : Clairement énoncé en différents endroits de la Déclaration sur l'Education chrétienne de la Jeunesse (Gravissimum Educationis Momentum) Voir par exemple les n 3 et 8.

Dans le travail si important présenté comme un document de base du Forum Latino-américain sur le Développement Economique qui a eu lieu à Sào Paulo en 1963, sous le nom de «Vision Générale de Américalatina », nous trouvons une affirmation très importante à ce sujet et d'autant plus qu'elle vient de gens étrangers à l'éducation privée et à l'éducation en général. Signalant les causes spécifiques des déficiences en éducation (auparavant ils en avaient noté les causes générales) ils affirment : L'action monopolisante de l'Etat non seulement contredit par là Ie principe généralement établi de la liberté d'enseignement, mais décourage les initiatives privées et l'utilisation des revenus qu'elle représente. De plus un tel à-priorisme dogmatique porte à une orientation de l'enseignement qui est en désaccord avec les nécessités sociales».

« La mauvaise préparation du personnel enseignant, due surtout au manque de stimulants économiques et moraux rend la carrière enseignante mal rémunérée et privée de prestige social. L'esprit d'imitation de l'Europe qui inspire les plans et les programmes de l'éducation rend ceux-ci inadaptables à la réalité latino-américaine ». 

[87]  : Des principes sociaux ne doivent pas seulement être ex-posés, mais aussi appliqués. La chose est encore plus vraie de la doctrine sociale de l'Eglise dont la lumière est la vérité, l'objectif la justice et l'énergie principale l'amour.

Il est donc d'une extrême importance que Nos fils ne soient pas seulement instruits de la doctrine sociale, mais encore formés selon ses principes (Mater et Magistra 226 et 227). 

[88]  : « Aussi, disait M. Ekwa S.J., en concluant une étude sur I enseignement au Congo, avons-nous tenu à montrer tout au long de notre étude que les catholiques, les chrétiens, ]es croyants ne sont ni des conservateurs-nés, ni des réactionnaires. Nous avons montré, si besoin en était, que nous savons regarder en face tes réformes nécessaires sur le plan familial, social et civique. Les catholiques doivent refuser de retourner ou de s'attarder à nu passé scolaire révolu, eût-il été avantageux pour eux, pour progresser dans un esprit de liberté et d'audace chrétienne en s'adaptant aux conditions nouvelles. Le Christianisme est vie. Vivre c'est s'adapter. L'avenir ? Nous voulons l'affronter la tête haute, désireux seulement de sauvegarder la liberté de la personne humaine et collaborer en Congolais et en Chrétien à la construction durable de la nation » (Pour un enseignement catholique national. Martin Ekwa, S.J., Congo 1963). 

[89]  : A. Marshall : Principies of Economics.   éd., Londres 1910, p. 21.

[90]  : Cité par H. M. Philips : Le Capital humain (Courrier de UNESCO, oct. 1964, p. 11). 

[91]  : Mensaje (Revue chilienne, n° 139, juin 1965, p. 80) 

[92]  : P.P. 74, et 81 à fin. «Il est évident que ce travail fondamental de l'Eglise dans la Société latino-américaine ne pourra se réaliser que si on s'efforce de former de nombreux prêtres et laïcs capables de comprendre les phénomènes économiques, sociaux, culturels et politiques de leur pays. Une telle formation exigera nécessairement plusieurs années d'études. Il serait de pIus nécessaire que l'ensemble des leaders chrétiens, clercs ou laïcs, reçussent tous une formation de base sur ces questions» (Feres : Las tareas de la Iglesia en América Latina, Bogotá 1963, p. 56). 

[93]  : Les critères qu'indique l'Eglise pour l'action des chrétiens dans la société ne se limitent pas seulement à des objectifs. Its sont aussi et par dessus tout fonction des valeurs : spécialement la valeur de l'humanité et de chaque homme en particulier, la valeur de l'amour comme mobile d'action etc. Sans doute ces valeurs en elles-mêmes ne sont pas spécialement chrétiennes et les chrétiens les partagent avec beaucoup d'autres. Cependant le rapport entre ces valeurs et la foi en l'action actuelle et future du Christ dans le monde leur donne un sens. (…) Toujours sur le plan culturel, c'est-à-dire des valeurs, l'action de l'Eglise peut s'exercer par la création d'une attitude spirituelle. Il existe une véritable «spiritualité du sous-développement » qui éloigne les chrétiens d'une responsabilité réelle dans le monde actuel, mais il y a aussi une spiritualité qui les oriente vers cette action » (Fr. Houtart : Serving developing countries. Rome 1968, p. 44.45). 

[94]  : Mensaje, n° 123, oct. 1963. Santiago de Chile, p. 577.

[95]  : G.E.M., p. 54, n° 8. 

[96]  : Il serait souhaitable que chacun des Frères, selon ses capacités, et les occasions qui se présentent, cherche une polyvalence dans sa préparation de façon à être un homme capable de servir l'Institut avec efficacité en deux ou trois endroits ou Orties de différentes natures. De cette façon on pourrait mieux respecter la personne humaine et mettre en valeur les qualités de chaque Frère en vue du bien commun, en établissant une coordination entre les capacités de l'individu et l'action communautaire. 

[97]  : J'espère que le protagoniste que je ne connais absolument : pas, ne se sent pas du tout offensé puisque sa réaction est typique et sans doute représentative de beaucoup d'autres. La faire connaître aidera bien sûr tous les autres Frères. 

[98]  : E. Houtart : «The Church and Development», p. 39

[99]  : R. Guardini : Prière Théologique, p. 71. 

[100]  : Les «Signes des temps, selon les mots des derniers papes, peuvent être considérés comme "signes de Dieu". Le chemin mystérieux de l'Esprit-Saint à travers le monde semble se cacher, mais il est sûr que nous sommes au commencement d'une nouvelle ère dont le succès dépendra en grande partie de la pré-Ive et de l'action des chrétiens en face de cette évolution, dont le centre ou noeud complexe correspond à un vrai changement, réversible ». (L. J. Lebret, op. cit., p. 240). 

[101]  : Prophète avec le Christ, le laïc baptisé, porte implicite-ment en lui la possibilité d'être signe et parole de salut. Comme membre actif de la Pastorale clans la ligne du signe, le laïc doit offrir un témoignage de foi, d'espérance et de charité dans sa vie quotidienne. Il doit surtout montrer dans sa conduite une étroite relation entre son programme de chaque jour et sa destinée eschatologique ; entre la vie ordinaire et l'espérance transcendante. Tout cela exigera peut-être une réorientation en Amérique Latine » (CRB, n° 139, p. 91, § 6). 

[102]  : Cosmo-vision serait le terme le plus proche pour désigner le riche contenu de ce mot allemand aujourd'hui généralisé dans le monde de la culture 

[103]  : 459 « Nous rappelons aux jeunes qu'ils vivent une époque de potentialité : si les souffrances et les angoisses sont grandes, la conscience des nécessités et le désir d'une rénovation sont en-ore plus grands. Qu'ils croient à la capacité de leur jeunesse. Nous, les adultes, ne pouvons avoir le même rythme que les jeunes, mais nous devons accepter la contribution de leur dynamisme. Ne faisons pas la folie de provoquer le désespoir de la jeunesse, avec notre attachement à nos idées. Ouvrons-nous à un dialogue effectif, capable de déboucher sur un programme commun. Si c'est l'heure des jeunes, ne tardons pas à réaliser In rencontre prévue par l'Histoire. Cheminons ensemble vers un avenir qui s'annonce prometteur pour le Brésil. Chassons l'illusion de la violence. Celle-ci peut paraître une solution commode, mais elle n'est pas constructive. Notre confiance est en Dieu et en la bénédiction de Notre-Dame Aparecida. (Document de la Commission Centrale des Evêques du Brésil, CNBB, 30 nov. 1967, publié dans la Revue Ecclésiastique Brésilienne, vol. XXVII, fasc. n° 4, déc. 1967, p. 1012). 

[104]  : 141 Jean I, 13 ; Col. 1, 16 ; Hé. I, 13. 

[105]  : 142 1ière Cor. VIII, 6 ; Héb. I, 8 à 10 ; Eph. I, 3 à 14. 

[106]  : 143 Houtart, op. cit., p. 40 et 41. 

[107]  : 144 Lire à ce sujet le beau passage par lequel Gaudium et Spes termine sa première partie, n° 45. Je vous renvoie aussi à la lecture de l'importante conférence de Olegario Gonzalez, sur «les caractéristiques typiques de la jeunesse d'aujourd'hui» adressée aux Frères Capitulants de l'Espagne.

[108]  : Houtart, op. cit., p. 41. 

[109]  : Une remise en question caractéristique a lieu ça et là, d'ailleurs, grâce à Dieu, sans excès, au sujet de la valeur et des possibilités de la vocation du Frère Educateur, face à l'avenir. A ce doute appuyé parfois sur certaines crises, généralement locales, il faut répondre que la raréfaction des vocations dans l'Eglise, dans un Institut, dans un genre de vie consacrée doit être examinée dans le contexte statistique de tous les autres Instituts et de toutes les formes de vie consacrée, et aussi dans un contexte mondial, pour ne pas s'exposer à des affirmations simplistes ou fausses, et pour ne pas attribuer à un manque de valeur ou à des crises internes ce qui, en réalité s'explique surtout par des facteurs exogènes. Ces phénomènes, quand on les analyse comme je viens de dire, on voit combien discutables et relatives deviennent certaines affirmations qu'on a faites sur la valeur et l'avenir de la vocation de Frère dans le inonde post-conciliaire 

[110]  : Historique, comme connaissance du fait et comme lecture philosophico-théologique du sens et de la valeur du fait. 

[111]  : A. Maréchal : La révision de vie, 4e éd., p. 7, Préface. 

[112]  : Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice et hall le reste… (Matth. VI, 33). Mon Royaume n'est pas de ce monde… (Jn. XVIII, 36). 

[113]  : Un emploi correct et une formulation sans équivoque et sans le danger de l'autre pourrait être : e Dieu est devenu accessible en Jésus Christ » 

[114]  : Dans son discours à la jeunesse de Paris, Mgr. Helder (amara disait avec beaucoup d'à propos son point de vue sur la convenance ou non-convenance qu'il y a à prendre parti pour la violence dans les transformations qui s'imposent au Tiers-Monde : « Je m'adresse maintenant d'une manière particulière aux jeunes. Aux jeunes des pays sous-développés je demande : à quoi bon accéder au pouvoir si vous n'avez pas encore des modèles à vous, adaptés à vos pays, à leurs mesures car jusqu'à maintenant on vous a enseigné des solutions peut-être valables mais valables pour des pays développés ? Pendant que nous allons tenter d'exercer une pression morale, toujours plus courageuse, sur les responsables de la situation de chez nous, tâchez, vous, de vous préparer aux responsabilités qui vous incomberont demain et tâchez, vous, d'aider les masses à devenir un peuple. Vous savez fort bien que le sous-développement matériel et physique entraîne le sous-développement intellectuel, moral et spirituel.

Aux jeunes des pays développés – et de régime capitaliste et de régime socialiste – je dis : plus que de penser aller au tiers-monde pour tenter d'y soulever la violence, restez chez vous, pour aider à conscientiser vos pays d'abondance qui, eux aussi,

ont besoin d'une révolution culturelle qui amène une nouvelle hiérarchie des valeurs, une nouvelle vision du monde, une stratégie globale du développement, la révolution de l'homme. (Informations catholiques, n° 312, p. 7).

A leur tour les évêques de France se sont prononcés au sujet de la violence : «Il s'agit, disent-ils dans leur déclaration du 20 juin 1968, de répartir plus justement, selon l'ordre même du Créateur, toutes les richesses : richesses matérielles et plus encore richesses culturelles et responsabilités. Mais un tel résultat, pour être stable, ne saurait être obtenu par une autre violence, aveugle et brutale.

« Au-delà des mythes et des slogans faciles, au-delà des réactions passionnelles, c'est à une œuvre de longue haleine qu'il faut s'attacher. Elle exige lucidité, compétence, ténacité, respect du rôle des corps intermédiaires. Un point de non-retour est atteint. Désormais l'exercice de l'autorité requiert le dialogue et l'accès de tous à plus de responsabilités. L'autorité nécessaire à la vie de toute société n'en peut sortir que renforcée » (Documentation catholique, n° 1520, p. 1186, 7 juillet 1968). 

[115]  : 152 Cf. Lebret, op. cit., p. 93. 

[116]  : 153 Cf. Lebret, op, cit., p. 6. 

[117]  : 154 Id., p. 91. 

[118]  : P.P. 20. 

[119]  : Op. cit., p. 13. 

[120]  : P.P. 19. 

[121]  : 158 Mgr. Schmidt, parlant des limites de la contestation disait très justement : «Est seule féconde la contestation qui rejette un ordre de valeurs au nom d'un ordre de valeurs supérieur. Encore faut-il que soit reconnue, sans contestation, une hiérarchie de valeurs» (I.C.I. 315, 1-7-68, p. 1). 

[122]  : Pascal : Pensées : éd, Brunschwicg, n° 434. 

[123]  : 160 P.P. 42. 

[124]  : P.P. 42.

[125]  : 162 Madeleine Delbrél : Nous autres, gens des rues. 

[126]  : '" R. Spiazzi : Humanisme et monde moderne, éd. espagnole, p. 305. 

[127]  : 164 Le Conseil permanent de l'Episcopat français, dans ses orientations et commentaires des événements de mai-juin 1968 a fait quelques réflexions remarquables : «La transformation hardie et nécessaire des structures culturelles, sociales, économiques et politiques ne suffira pas à dissiper le malaise profond des esprits et des cœurs. Ce que demandent les hommes de notre temps, plus spécialement les jeunes, ce ne sont pas seulement des moyens de vivre, mais des raisons de vivre. Notre société a exalté les aspirations à un niveau de vie plus élevé : son péché n'a pas été de chercher à les satisfaire, mais de nous y avoir enfermés. L'homme ne peut être réduit au seul rôle de producteur, de consommateur ou de pur exécutant. Mais en s'insurgeant contre ces contraintes, saura-t-il échapper par ses seules forces au désespoir et à l'absurde ? Ne s'affranchira-t-il de ces servitudes que pour demeurer prisonnier de lui-même ? Où trouvera-t-il le sens de sa destinée ? En allant vers Dieu par Jésus-Christ » (Documentation Catholique, 7 juillet 1968, n° 1520, p. 1186). 

[128] : Qu'on remarque avec quelle insistance une partie de cet-te circulaire a essayé de braquer les regards sur cet aspect de notre mission pédagogique.

[129] : P.P. 67. 

[130] : Le peu de temps avant le Chapitre Général et le besoin de mettre cette quatrième partie de la circulaire entre les mains des Frères au commencement de la deuxième session me prive du temps nécessaire pour essayer d'obtenir les autorisations requises. 

[131] : Caractéristique qui dans la pensée du Père Champagnat est un élément indispensable de la personnalité du Frère: « Ce serait un vrai scandale dans un religieux instituteur s'il était moins capable de faire le catéchisme que d'enseigner les autres sciences» (A.L.S. ch. 27, p. 377). 

[132] : «Anathème si je ne prêche pas le Christ» (I Cor. 9, 16).

« Voir offenser Dieu et les âmes se perdre sont pour moi deux choses insupportables qui me font saigner le coeur » (Vie du B. C., éd. 1931, p. 460). Cf. encore l'épisode du jeune moribond, dans la vie de notre Fondateur, qui le décida tout de bon à fonder l'Institut (id., p. 86).

[133] : Gravissimum Educationis, 2,

[134] : Cf. Nouvelle Revue Théologique, ter janvier 1968, p. 22. 

[135] : Article: «L'Eglise et le Développement» in: « Serving Developing countries », p. 41, 

[136] : Houtart: « Serving Developing countries », mars 1968, p. 41. 

[137] : «La situation du religieux est privilégiée par rapport à celle du technicien, de l'expert ou du volontaire qui est engagé pour un temps limité: l'engagement du religieux est définitif, il adopte une nouvelle patrie » (Pro Mundi Vita, R. Hendrickx, op. cit., p. 21). 

[138] : Las tareas de la Iglesia en América Latina. Feres. Bogotá 1963, p. 49. 

[139] : E. Pin. art. e Les Instituts religieux apostoliques et changement socio-culturel » (Nouvelle Revue Théologique, n° 4, avril 1965. Louvain). 

[140] : Déclaration faite à l'Equateur par l'épiscopat latino-américain, le 11 juin 1966, CRB (revue de la Conférence des Religieux du Brésil, n° 139, janvier 1967, p. 36).

[141] : 177 Il serait bon à cet égard de nous demander à qui il faut donner les places. Aux jeunes gens, tant de l'aristocratie que du peuple, qui les désirent vraiment, qui ont de nobles sentiments et l'étoffe de leaders sociaux et chrétiens, ou bien à des «fils à papa » qui ont de l'argent et un point de chute assuré, et que l'absence d'idéal et l'égoïsme rendent réfractaires à la formation que, en tout respect et correction, on essaie de leur donner. 

[142] : Un des théologiens en pointe de notre temps me disait un jour: «II ne faut pas faire des actes de charité inutiles parce qu'il y en a beaucoup d'utiles que nous devons faire et que nous ne sommes pas encore arrivés à faire ». 

[143] : Gaudium et Spes, n° 1.

[144] : «Les institution sociales, la structure sociale, les techniques et les relations qu'elles entraînent entre les hommes se modifient de plus en plus vite. Si cette affirmation est vraie, le devoir d'adaptation aux circonstances – nous ne parlons pas d'adaptation aux goûts et aux modes mais aux conditions réelles de l'action – est un devoir permanent. Or les ordres religieux, institués il y a plusieurs siècles se sont souvent institutionnalisés à un point qui rend difficile leur adaptation» (Nouvelle revue théologique: 4 avril 1965. Louvain). Cet extrait d'un article très intéressant de l'éminent sociologue jésuite: Emile Pin, professeur à l'Université Grégorienne, mérite, je crois, une réflexion attentive et sereine. 

[145] : Je voudrais en même temps attirer l'attention sur le discernement qui convient. Il y a des Provinces, et j'en suis conscient, qui se trouvent dans une situation vraiment peu admissible. Elles sont immobilisées par des engagements et des compromis du type pécuniaire ou d'autre type qui lient les mains aux Supérieurs provinciaux actuels qui n'y sont pour rien – pas plus même parfois que leurs prédécesseurs immédiats – mais qui n'en sont pas moins obligés de sentir ces faits peser de tout leur poids d'entraves bien gênantes.

Demander à ces Provinces qu'elles prennent aujourd'hui un autre cap, parce qu'une analyse sociale et pastorale de la situation a démontré qu'il convenait de le faire, serait aussi injuste qu'illusoire.

   

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