Circulaires 371

Basilio Rueda

1968-11-01

Introduction. I. PRÉCISIONS SUR PROBLEMES ET ASPECTS DE LA QUATRIEME PARTIE
a) présence aux carrefours de notre temps. b) mais avec prudence. c) dans la fidélité au magistère. d) sans rester dans une formule trop étroite. e) mais bien conscients de l'importance de l'éducation chrétienne.
II. APPELS DU CONCILE. 1) Thème du concile: l'Eglise. 2) Fidélité à l'Eglise. Pourquoi ce thème
VISION D'ENSEMBLE DES APPELS DU CONCILE
I. SENS BIBLIQUE
II. SENS ECCLESIAL
III. INSERTION DANS LE COURANT LITURGIQUE. 1) initiative avec limites
2) dans la vie de la congrégation.
IV. CHARITE ET UNITÉ
V. SENS OECUMENIQUE. 1) Principes. 2) Moyens
VI. ESPRIT MISSIONNAIRE. 1) Effets du concile. 2) Raisons d'adhérer au mouvement. 3) Deux zones missionnaires. 4) Un appel au Chapitre. 5) Conclusions
A) ENONCES GENERAUX. 1) Concept de mission. 2) Travail missionnaire complexe.  3) Promotion des missionnaires autochtones. 4) Direction des œuvres. 5) Relations entre missionnaires. 6) Secteurs de travail
B) UN PLAN DE MISSION
1) Réflexion en profondeur. 2) Esquisse d'un plan
3) Plan concret au niveau des Provinces
C. COMMENT ETABLIR UN PLAN
D. VOCATIONS MISSIONNAIRES
E. PRINCIPES DE CHARISME MISSIONNAIRE
1) Respect initial des vraies vocations
2) Théologie de l'obéissance
3) Réalisme et authenticité
VII. MARIOLOGIE RENOVEE
VIII. IMPORTANCE ET PROMOTION DU LAICAT
1) Rôle des laïcs
2) Importance de ce rôle
3) Que faire pour le laicat
a) Vocation de laïcs
b) Spiritualité laïque
c) Les « conscientiser »
d) dans la docilité à l'Eglise
e) Chacun à sa place
IX. RELIGIEUX DANS LE PEUPLE DE DIEU
1) Choix sérieux des sujets
2) Dans la foi et le charisme
3) Aidé par le milieu
X. RENOVATION DANS L'ESPRIT DU FONDATEUR
A) FORMATION DES FRERES
1) Son charisme de formateur
2) Formation d'aujourd'hui et psychologues
3) Agir avec prudence.
4) Pas de critique négative
5) Formateurs
6) Méthodes et programmes
7) Sujets à former
B) ATTACHEMENT AU PAPE ET AUX EVEQUES
1) Constatations
2) Recommandations
3) Eglise et Vérité
C) INSERTION DANS LA PASTORALE ORGANIQUE AU NIVEAU LOCAL
D) ZELE POUR UNE CATECHESE RENOUVELEE
1) Deux Aspects
2) Quelques données de notre histoire
3) Conclusions à en tirer
E) INVITATION A LA FOI ET A L'AUDACE DEVANT LES EVENEMENTS TEMPORELS
1) Evénements et attitudes
2) Esprit du Fondateur
3) Conclusions
F) RETOUR AUX PAUVRES ET AUX MARGINAUX
1) Raisons qu'aurait le Fondateur
2) Critique de nos justifications
3) Comment faire?
a) Esprit
b) Mise au point économique interne
c) Moyens de trouver des fonds.
d) Aide de I'Etat et autres aides
G) SOIN DE LA VIE INTERIEURE
H) RETOUR A L'HUMILITE ET A LA SIMPLICITE MARISTES (Excursus sur la Société de Marie)
XI. EXPLICATION COMPLEMENTAIRE DE QUELQUES POINTS
XII. RESULTATS ET ASSIMILATION. 1) Résultats attendus du chapitre
2) Exigences et menaces
XIII. MOYENS D'ATTEINDRE CES RESULTATS ET FACTEURS DONT DE-PEND LEUR NIVEAU
XIV. DYNAMISME ET CONTROLE
CONCLUSION
OBSERVATIONS:1) 2) 3)
Décret d'héroïcité des vertus du V. F. François

371

68.5

V.J.M.J.

 Rome, le 1iernovembre 1968 

CIRCULAIRE DU 2 JANVIER 1968

(suite)

 Les appels de l'Eglise

et du Fondateur à notre Chapitre.  

INTRODUCTION :

 C'est au cours de la 2ièmesession du Chapitre Général que vous parviendra cette cinquième et dernière partie de ma circulaire. Les Capitulants l'auront eue en main, début octobre, sous forme polycopiée, les autres membres de l'Institut la recevront début novembre. Là où la distribution du courrier est plus lente, peut-être ces pages ne pourront-elles être parcourues que lorsque le Chapitre Général sera sur le point de se clore.

Je regrette ce retard, d'autant plus que le but principal de ces lignes était de provoquer vos ré-flexions en prenant pour base l'esprit de Vatican II, et en tenant compte aussi de la situation actuelle de l'ensemble de l'Institut. Faire naître en chacun de vous tous, une disponibilité plus active et plus généreuse vis-à-vis des travaux capitulaires : tel était mon objectif principal, les réponses suscitées par cette circulaire dans les Provinces étant reprises et approfondies par le Chapitre lui-même. Cependant par suite du retard, une diminution inévitable des résultats escomptés est à prévoir, comme déjà d'ailleurs, il en a été pour la 4ième partie. Il est évident que les Frères peuvent encore faire parvenir les suggestions et desiderata qui leur viendront en lisant ce texte. Mais par suite même du retard on ne pourra pas tenir compte des documents relatifs à un sujet, qui parviendront au Chapitre une fois le sujet traité et voté.

Moindres sont pour les Frères Capitulants, les inconvénients de ce retard. En effet, la circulaire a été à leur disposition en partie au moins au milieu de cette 2ième session. En accord avec le règlement en vigueur, ils ont donc pu présenter facilement soit en sous-commission, soit même en assemblée générale, les idées que leur a suggérées cet exposé.

Cependant, la difficulté a été pour eux de trouver le temps matériel leur permettant de ré-fléchir sur ces deux dernières parties de la circulaire. Leur tâche était en effet d'envergure : nouvelle lecture des documents déjà élaborés, modifications et rédaction des travaux à remanier, étude du texte du projet des Constitutions et étude d'autres documents présentés[1], et ceci au rythme, trop rapide mais nécessaire, d'assemblées générales nombreuses. Aussi, au cas où ils n'avaient pas d'autre temps pour approfondir ces lignes, et si cela ne devait en rien être un obstacle à leur union à Dieu et à l'enrichissement de leur vie de foi pour leur travail au Chapitre, ai-je pu oser les inviter à utiliser la demi-heure d'oraison du matin, tous les jours qu'ils jugeaient nécessaires, pour parcourir cette 4ièmeet cette 5ièmeparties, dans une ambiance d'esprit de prière et de dialogue avec le Seigneur.

Outre ce but partiel qui voulait être de stimuler vos apports à la 2ième session, cette circulaire désire être utile à la période post-capitulaire, et elle le sera dans la mesure où elle pourra servir de base et de ferment aux réflexions des Chapitres Provinciaux qui vont suivre. Il reste bien entendu que je n'entends pas du tout préjuger des limites qui seront fixées par le Chapitre et que je garderai une entière docilité à ses indications.

Pour l'après-chapitre, cette circulaire a encore un autre but. Après la clôture de la présente session un laps de temps va s'écouler jusqu'au prochain Chapitre. Ce Chapitre-là (on peut aussi décider d'attendre le suivant) aura à sanctionner d'une façon définitive les décisions que nous allons prendre maintenant, pour les soumettre au jugement définitif du Saint-Siège. Les années qui nous en séparent vont donc constituer, pour ainsi dire, une période d'expérience et de mise en marche des décisions prises par notre Chapitre Spécial actuel[2]. Eh bien, je crois que cette 5ièmepartie, et plus particulièrement les deux exposés qui ont pour titres : « Les appels du monde » et « Les appels du Concile à notre Chapitre », pourront servir de levain permanent au fur et à mesure que s'écoulera cette période. Evidemment je ne veux parler ici que du stimulant à la réflexion et à la recherche, puisque sur le plan de l'autorité, ma circulaire ne peut avoir d'autre valeur que celle provenant de sa coïncidence avec les directives capitulaires, d'une espèce de communion (union commune) avec elles, dont elle voudrait n'être que le prolongement.

Excusez mon retard, Mes Bien Chers Frères. Il m'a été imposé par un texte qui s'est étoffé, tuais qui, bien que rédigé en cinq étapes différentes, reste en accord avec le plan unique et unitaire tel qu'il avait été envisagé dès le début. L'occasion privilégiée de l'intersession capitulaire me semblait requérir ce grand effort. Plusieurs recherches minutieuses exigées par certaines parties expliquent aussi la cause de ce délai à vous la présenter. Une proportion logique entre les cinq parties, aurait exigé, semble-t-il, de la 5ième, même longueur et même abondance de documents que la 4ième, le sujet l'imposant aussi. Mais j'ai dû choisir entre les convenances théoriques et le sens du possible hic et nunc. Si je n'avais écouté que mon désir de bien faire, ce document ne vous serait parvenu que l'année prochaine. Le mieux aurait été l'ennemi du bien.

Cette 5ièmepartie sera donc plutôt une présentation systématique du message conciliaire, ou, si vous le voulez, son commentaire, quoique ce travail soit bien au-dessus de mes forces et de ma capacité. Il sera aussi l'exposé de quelques applications précises qui me semblent découler pour notre Congrégation et pour notre mission du « corpus » conciliaire, et des appels authentiques et vigoureux qu'adresse l'Esprit-Saint à chacun d'entre nous par l'intermédiaire de l'Eglise, sa Sainte Epouse.

 I. PRECISION AU SUJET DE QUELQUES PROBLEMES

ET DE QUELQUES ASPECTS DE LA 4ième PARTIE.

 On se rappelle que dans la 4ièmepartie de la circulaire, j'ai essayé d'ouvrir des horizons plus vastes et de lancer des appels plus véhéments au sujet de la situation du monde actuel. Mention y était faite de travaux très importants que le Chapitre Général n'aurait, probablement, ni la possibilité, ni le temps d'achever si du moins il devait s'agir de leur trouver une solution aboutissant à un résultat sérieux et systématique, et je suggérais que peut-être, une commission post-capitulaire devrait être créée avec pour mission spéciale de réaliser cette tâche.

En présence de ces problèmes et des autres questions graves posées par la 4ième partie, il sera bon de ne pas oublier quelques données.

a) Il existe, sur tous les problèmes qui se posent douloureusement à notre temps, de sérieuses études à caractère religieux ou profane, s'adressant directement ou indirectement aux éducateurs. Nous ne pouvons ni les ignorer, ni nous contenter à leur égard d'une connaissance spéculative. S'il est des hommes, chez qui la connaissance doit se traduire en pratique, et la vérité en action, c'est bien nous les éducateurs.

Cet effort, que requiert notre vie pour maintenir ses exigences sera peut-être l'unique moyen d'éviter l'écueil sur lequel risque habituellement de venir buter tout éducateur : devenir un simple enseignant.

A cette fin, renonçant à agir en francs-tireurs, en prétendant tout rebâtir à partir de zéro, nous devons plutôt viser à tirer le meilleur parti de ce qui a déjà été réalisé et envisager un travail franchement basé sur la collaboration. La tâche immense à fournir, les limites foncières de l'homme, le peu de temps et de ressources dont nous disposons et surtout ce qui nous échappe dans le domaine de la spécialisation, tout cela nous crée l'heureuse obligation de nous compléter mutuellement.

Devenir un îlot au milieu des courants modernes ou nous enfermer entre les murs d'une école pour nous dédier à une tâche exclusive n'est pas une solution adéquate. Sans laisser de côté ce qui nous est propre, nous devons nous efforcer de vivre en contact permanent et immédiat avec les centres de la pensée sociale, avec les organismes établis pour le développement des peuples, avec les institutions de pédagogie, de catéchèse et de pastorale, avec les apôtres du monde social, avec les centres de formation des militants, avec des groupes de chefs, et surtout profiter au maximum des recherches, des plans et des documents déjà existants. Bref, il s'agit d'être présents et actifs aux carrefours de notre monde et de notre temps.

b) Les études auxquelles je fais allusion ici n'ont pas toutes, la même valeur ; certaines mêmes sont ambivalentes, parfois franchement tendancieuses, voire fausses. Il faut les examiner avec soin, et les appliquer avec les précautions requises : ne l'oublions jamais, nous sommes avant tout des chrétiens et des religieux.

c) Dans les problèmes sur lesquels le Souverain Pontife ou le Magistère se sont déjà prononcés surtout s'il s'agit de questions concernant les pouvoirs légitimes du Magistère : la vérité révélée, la morale ou la pastorale – nous ne pouvons pas rejeter leur mot d'ordre ou remettre en jugement des questions sur lesquelles leur autorité a déjà fourni une réponse ou précisé une voie à suivre. Bien moins encore devons-nous nous permettre de discuter lorsque le Concile lui-même a pris position pour ou contre tel ou tel sujet ou encore lorsqu'il nous a fourni ses directives ou ses interprétations.

d) Etant donné que nous avons un travail immense à réaliser dans notre mission spécifique et exclusive d'éducateurs, la formule étroite d'école ou de collège traditionnels se trouve dépassée et exige de profondes transformations, peut-être même l'emploi de moyens étrangers à ce travail. Il n'y a pas lieu de nous étonner si des moyens qui restaient bons jusqu'à ces derniers temps et qui, dans les mains de nos Frères aînés, étaient très efficaces et produisaient des fruits merveilleux, doivent être aujourd'hui soumis à une sérieuse révision et à de profondes modifications, auxquelles on ne pouvait même pas penser autrefois, parce qu'elles n'auraient eu aucun sens à ce moment-là.

e) Cette révision, évidemment, ne met en cause, ni l'existence, ni moins encore la valeur proprement dite des institutions éducatives libres et catholiques. Le Concile en a parlé d'une façon très claire, et bien que des commentaires aient été faits un peu trop légèrement, je pense sur tels engagements dans lesquels se seraient laissés surprendre les Pères du Concile au moment du vote sur le document relatif à l'éducation, aucun doute sur ce point ne peut se présenter : notre opinion doit être celle de l'Eglise. Si demain, le Magistère nous indique un autre point de vue, il peut d'ores et déjà compter sur nous, comme étant une Congrégation docile et toujours disposée à marcher sur la route qu'il nous indique, malgré tous les sacrifices que cela pourrait supposer. Cette docilité, en effet, nous a été transmise comme un précieux héritage de notre Bienheureux Fondateur. Et quel non-sens ce serait, alors justement que nous avons une affirmation officielle du Concile sur l'actualité et la grande valeur de l'école catholique, de nous suggestionner jusqu'à la crise – une crise qui, par-dessus le marché, n'existe pas chez nous – au sujet de l'authenticité de notre mission, Si en certains lieux et dans des circonstances précises, nos droits sont violés et la marche des écoles entravée, ou bien s'il existe des causes qui en limitent le rendement, c'est le cas alors de faire preuve de souplesse dans l'adaptation et la création, pour savoir abandonner ce qui, en dépit de sa valeur, n'est cependant pas la fin de notre travail apostolique[3]. Il faut alors mettre en oeuvre d'autres moyens susceptibles de nous conduire au but de l'Institut : l'éducation chrétienne de la jeunesse.

Résumons :

Ce n'est pas l'école catholique qui est en question chez nous. Ce que l'on doit réviser et peut-être rectifier, c'est :

– la forme traditionnelle de notre organisation et de nos méthodes,

– notre mentalité pour examiner s'il n'existe que cette forme d'éducation chrétienne ou bien s'il y en a d'autres complémentaires ou différentes,

– la façon la plus convenable de répartir les Frères pour les diverses activités et les différentes oeuvres d'éducation dont nous avons la charge actuellement ce n'est pas le lieu ici d'en fournir la liste.

Une chose est certaine : l'école doit être notre activité première ; mais il semble aussi qu'elle ne peut pas être l'unique travail des Frères et qu'il ne convient pas qu'elle le soit.

Enfin, il est une chose qui, à mon avis, n'a même pas besoin d'être discutée : le problème des écoles de niveau social élevé. Etant bien d'accord sur le principe, nous devrions faire porter toute notre étude et nos recherches communes sur la découverte des formules les plus efficaces pour nous libérer de situations qui en certains lieux nous acculent à une constatation : l'opinion publique nous donne tort. D'où la nécessité :

– de démocratiser l'école,

– de viser au sein de cette école à l'intégration de toutes les classes sociales, races, etc.,

– de nous dévouer tout spécialement pour ceux qui, à tous égards, sont les plus exposés à ce qu'on ne s'occupe pas d'eux au point de vue de l'éducation, en un mot : les pauvres au sens le plus large du terme[4].

Revenons maintenant au point de départ : dans les lignes ci-dessus, on a vu qu'il s'agit moins d'une discussion sur la raison d'être ou sur le besoin de l'éducation, que sur son adaptation aux nécessités actuelles du monde et de l'Eglise, et que ce travail d'adaptation nous impose de toute urgence de nous mettre en contact avec les centres de sociologie, de programmes de développement, de formation de dirigeants et de cadres de tous genres. Il est évident que pour mener à bien ces contacts, il faudra nommer des Frères responsables. Je vois deux aspects à ce problème :

– sans ce contact nous resterions sur un terrain purement théorique ;

– il ne peut être question de demander à chaque Frère de s'occuper de ces contacts.

Autant que cela puisse dépendre de nous, nous devons tout mettre à contribution, pour remplir notre rôle humain et ecclésial. Mais il est évident que ce tout ne peut être réalisé par tout le monde car tout le monde n'en a pas les aptitudes. Les grandes industries organisées selon des techniques modernes distribuent selon la spécialité et les aptitudes de chacun les travaux de planification. Tout le monde ne devient pas « public relation» à l'étranger, tout le monde n'est pas chargé d'établir des contacts, d'ouvrir de nouveaux marchés pour l'écoulement des produits, de participer à des congrès relatifs à telle branche de commerce. A vrai dire, le problème est chez nous quelque peu différent, mais plus délicat encore : les responsables qui devront servir de trait d'union et devenir les collaborateurs de certaines institutions pour des tâches précises, ont besoin, non seulement d'une qualification technique, mais encore des qualités voulues pour le contact : une grande harmonie des facultés, un jugement à toute épreuve et une doctrine tout à fait sûre. De cette doctrine je vais rappeler les points les plus actuels.

 II. – LES APPELS DU CONCILE

 Si une synthèse du Concile était à faire, sans aucun doute, le thème : l'Eglise en serait la clé de voûte et le centre. Telle était la remarque que faisait Son Eminence le Cardinal Montini, lors de la 34ième séance du Concile. Il insistait sur la nécessité que l'Eglise fût le centre du message con-ciliaire et son thème principal. Ce thème donnerait de l'unité à tous les autres schémas à un double point de vue : celui de la nature de l'Eglise et celui de sa mission ou, pour reprendre l'expression très heureuse et très exacte de son Eminence le Cardinal Suenens, de l'Eglise « ad intra » et de l'Eglise « ad extra ».

Le Pape Jean, dans son discours d'inauguration du Concile discours que M. Philippon n'hésite pas à qualifier de vraie intuition prophétique[5]parce qu'il portait le titre «d'Ecclesia Christi, lumen gentium », – après avoir indiqué les deux grandes lignes de la structure générale du Concile, l'Eglise « ad intra » et l'Eglise « ad extra », énumérait une série de sujets que le Concile devait présenter au monde. Au fond c'est ce qu'avait mentionné Mgr Huyghes, évêque d'Arras[6], lorsque, aux applaudissements unanimes de l'Assemblée, reprenant un épisode de l'Evangile – St Jean-Baptiste interrogé par les prêtres et les lévites (Jean, 1, 19-23) – il demandait à l'Eglise réunie en Concile : « O Sainte Eglise, que dis-tu de toi-même afin que nous répondions à ceux qui nous ont envoyés ? »/C'est la première fois, au cours de l'histoire, que l'Eglise ait parlé longuement d'elle-même aux hommes dans un Concile, leur exposant non seulement sa nature, mais le plan de Dieu sur elle, ses désirs les plus profonds et ses angoisses, sa mission, son amour des hommes, en somme la conscience qu'elle avait d'elle-même.

Plusieurs auteurs ont essayé de classer les documents conciliaires mais si les grandes lignes sont claires, il n'est pas facile de signaler tous les détails et de savoir exactement pour tel ou tel document quelle doit être sa place. Voici, à titre d'exemple, un classement de ces documents, effectué par un théologien. Je le mets en renvoi[7].

Une série de questions pourraient être posées, comme d'ailleurs S. S. PAUL VI le fit déjà remarquer au cours de l'homélie de clôture, de Vatican II, le 7-12-65[8]. Le Concile n'avait-il pas d'autre sujet plus important à proposer aux fidèles et aux hommes que celui d'une Eglise dessinant sa propre image ? N'aurait-il pas été plus beau de parler du Père, du Christ ou de l'Esprit de Lumière ? Plus urgent d'aborder d'autres sujets qui, sans réclamer absolument une compétence de spécialistes exigeaient pour notre temps une mise au point moyennant un choix préalable et un traitement séparé ?

Je m'efforcerai de répondre à ces objections.

Considérons l'ensemble du processus du Concile : choix, système adopté, style et ordre des documents, depuis le moment où surgit du cœur du Pape JEAN la résolution de le convoquer, jusqu'à sa clôture. Remarquons l'énorme quantité de documents, de consultations et de schémas prévus – dès le début, soixante-dix étaient mentionnés. Alors, il faut bien tirer les conclusions suivantes :

1) Les faits ont démontré que c'est l'Esprit-Saint qui a convoqué le Concile et l'a orienté vers ce thème central : l'EGLISE. Thème qui avait été délaissé par Vatican I[9].

On ne peut s'empêcher de penser à ces vers d'un poète :

« Voyageur, il n'y a point de chemin, seulement des sillages, en mer ;

Voyageur, le chemin ce sont tes traces et rien de plus ;

Voyageur, il n'y a point de chemin, c'est ta marche qui fait le chemin ».

Ne vaudrait-il pas mieux encore, se rappeler les paroles adressées par le Christ à Nicodème : « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit, mais tu ne sais d'où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'Esprit » (Jean II, 8).

2) Il faut se rappeler aussi que l'Eglise est une pure transparence et que les hommes, en la contemplant, doivent pouvoir contempler le Père. L'Eglise, dit Olegario Gonzàlez, n'a pas une contemplation morose d'elle-même ; elle se rapporte purement au Christ, de qui lui vient la vie et dont elle sait qu'elle doit être un miroir vivant ; elle se rapporte purement à l'Esprit, l'agent de cette connaissance et celui qui la conduit au Père, par le Christ. Cette interrogation continuelle d'elle-même est la conséquence immédiate d'une foi dynamique. Pour vivre, cette foi cherche à voir et sa vite augmente en proportion de cette aspiration et de cet amour. L'Eglise accomplit donc son interrogation d'elle-même en s'oubliant pour plonger en Celui qui constitue le fond de son mystère. Elle veut assumer l'amour qu'il verse en elle, s'élever à Dieu, en dépassant ses propres limites et accepter d'une façon permanente l'amour qui est son fondement, en voulant le lui rendre, une fois devenu son propre amour de Dieu. Plutôt qu'une contemplation égoïste, c'est une eucharistie consciente qu'elle offre à Celui qui vit en elle et qui attend d'elle une acceptation et une réponse vivantes »[10].

C'est ainsi que moi-même, dans cette circulaire, je veux garder la fidélité à l'esprit du Concile ; je tâche de distinguer les appels qu'il nous fait ; je les transmets en les exposant comme partant d'un point central : le mystère de l'Eglise. Mon projet n'est point de les donner sous forme parfaitement systématique. Sans en avoir au préalable tracé un plan, je les rapporte tels que je les ai reçus, au fur et à mesure de mes méditations, de mes lectures ou des échanges de vue que j'ai eus avec d'autres personnes, mais les appuyant toujours sur les documents du Concile et m'éclairant de la lumière qu'ils projettent. Je suis bien éloigné de toute prétention scientifique, et ne veux en aucune façon faire appel à un argument d'autorité personnelle de Supérieur. Je crois moins encore que ce soient là les seuls arguments que l'on puisse trouver, après quoi il n'y aurait qu'à tirer l'échelle. Je ne prétends même pas avoir raison. J'ai simplement laissé le Seigneur travailler en mon âme ; calmement j'ai attendu que toutes les vérités qu'il m'a fait voir aient pris leurs vraies dimensions.

Je vous les offre aujourd'hui, désirant contribuer de cette manière, au travail de tant d'autres Frères de l'Institut, Capitulants ou non. Tous ainsi nous pourrons aider le Chapitre, à répondre plus docilement à l'action de l'Esprit – action transmise par la voix du Concile et s'exerçant sur toute l'assemblée et sur chacun de ceux qui la composent

au moment où ce Chapitre a des pouvoirs tout spéciaux pour un seul but à poursuivre : Réaliser entièrement ce que le Concile demande et rien que cela. Car, en définitive, la participation de tous les Frères, à la base, et les pouvoirs des Capitulants, n'ont d'autre source d'autorité et de droit, d'autre fin, d'autre ligne de conduite, ni d'autre limite que celles qu'a fixées le Concile en nous autorisant à réunir ce Chapitre.

N'être pas d'accord là-dessus, serait n'avoir envisagé que la surface des choses, tout au plus en avoir pénétré l'écorce, mais non la moelle. Le processus d'assimilation et d'application des idées de Vatican II à notre milieu spécial, à nos institutions et à nos oeuvres : voilà notre gros travail. Le Concile doit donc devenir pour nous, quelque chose (le concret, de tout à fait vivant, en étant généreusement appliqué à la nature spéciale de notre Congrégation et au charisme qu'elle a reçu de Dieu.

Dieu veuille que nous l'envisagions bien tous sous cet angle, et que notre conduite aille de pair avec cette doctrine. Les Frères Capitulants devront avoir conscience de leur devoir et de leur responsabilité et se rappeler qu'ils ne peuvent être fidèles aux hommes s'ils ne le sont d'abord à Dieu[11]. Tous les autres Frères, après avoir collaboré de leur mieux et de façon si variée[12], devront être franchement disposés à accueillir non seulement ce qu'ils auraient souhaité que le Chapitre décidât, mais encore ce qu'il aura décidé, même au cas où cela ne coïnciderait pas exactement avec leur point de vue personnel ou viendrait même à le contrarier. Il m'est demandé à moi-même, en tout premier lieu, de faire corps avec ce principe. L'essentiel de notre position est la fidélité au Concile selon la nature de notre Institut et le charisme de notre Fondateur.

Je vous ai donc dit que j'avais dressé une liste des appels du Concile, ou qui me semblaient tels. Je tiens à vous préciser que je n'ai pas fait l'effort de vous les présenter d'une façon méthodique. Simplement je me suis efforcé d'écouter le Seigneur. Cependant, au moment où je reprends ces appels en vue de les rédiger et de les développer. une telle ressemblance se présente entre eux, que tous semblent d'une façon plus ou moins directe, tirer leur origine du thème de l'Eglise, ou y aboutir. J'aurais aimé les développer un peu plus à loisir, avec une certaine ampleur, en harmonie avec l'ensemble de cette circulaire. Faute de temps, j'ai dû accorder ma préférence

– en tout premier lieu à l'établissement d'une énumération rapide de ces appels afin que le Chapitre ait la possibilité d'avoir au moins une vue d'ensemble de mes suggestions et de ce qui pourrait être mon apport partiel à son travail,

– ensuite au choix des appels qui semblent revêtir une plus grande importance, afin d'y insister.

Je souhaite que personne ne trouve exagéré, vis à vis des autres points présentés, le développement accordé au thème de l'Eglise. J'en indique trois raisons justificatives :

a) C'est le point central et le cœur du message conciliaire, comme je l'ai déjà dit plus haut,

b) Nous vivons des temps difficiles : autorité, médiation, tout ce qui est intermédiaire imparfait est rejeté. Or, l'Eglise réelle, historique, est hiérarchique, médiatrice et imparfaite, et pourtant irremplaçable. D'où, un besoin urgent de former nos Frères et par eux, les futurs chrétiens de demain de telle façon qu'ils puissent vivre, à la fois avec dynamisme et docilité, sous un régime ecclésial.

c) Il y a quelque 'six ans, j'ai eu l'occasion de lire une excellente brochure de Son Eminence le Cardinal SUHARD[13]. J'ai pu alors entrevoir que la méditation loyale du mystère de l'Eglise apportait la plupart des réponses aux problèmes et aux situations concrètes des chrétiens[14]. Toutes proportions gardées, cette méditation du mystère de l'Eglise fournit des principes lumineux et des lois de raison, de succès et d'efficacité pour aider les familles religieuses à assouplir certaines rigidités et à entrer dans une voie très sûre de développement où tout en restant identiques à elles-mêmes et fidèles à leurs principes elles peuvent cependant se moderniser. Mais il est de toute nécessité qu'elles se considèrent, si l'on peut dire, comme un « fragment du mystère ecclésial » et agissent en conséquence.

Ce qu'il m'avait été donné alors d'entrevoir, je l'ai perçu d'une façon plus claire en méditant un travail très profond du P. Olegario Gonzàlez. Il y parle du mystère et du phénomène de prise de conscience que l'Eglise a d'elle-même, de son essence et de son avenir historique[15]

VISION D'ENSEMBLE

DES APPELS DU CONCILE

 1. – SENS BIBLIQUE

 Une première idée a déjà été avancée dans les lignes ci-dessus : l'Eglise est le centre des thèmes du Concile. Or l'Eglise doit être comprise et aimée telle que le Concile en a eu la pensée : comme une présentation moderne et pastorale de l'économie du salut et comme un plan providentiel qui se développe au cours de l'histoire pour donner un peuple qui est à la fois fruit et sacrement. L'Eglise doit être contemplée comme émanant du Père, dans le Fils et manifestée par le Saint-Esprit, préparée dès les temps les plus antiques par l'alliance de la création, ensuite plus près de nous par l'alliance avec Israël, le Peuple Elu, et qui continue de vivre son pèlerinage sur terre depuis l'Ascension du Christ jusqu'à la Parousie. Il faut la contempler dans ce « moyen-temps » compris entre sa proto-histoire et sa consommation[16]. Mais cette vision devient tout à fait impossible si nous ne nous familiarisons pas avec la Sainte Ecriture, si celle-ci ne devient pas comme quelque chose de notre être intime. Il faut la lire comme on la lit dans l'Eglise, sous la lumière du Nouveau Testa-ment qui en est sa dernière partie – et des saints Pères[17]. « Ce n'est qu'alors, affirme le Père Philipon, qu'on peut entrer dans toutes les riches-ses du mystère de l'Eglise "ad intra" : ses origines trinitaires, sa nature de peuple de Dieu, sa structure hiérarchique et sa structure charismatique et pneumatique, ses moyens de sanctification et sa vie de piété, sa marche de pèlerine qui chemine vers la Cité de Dieu et qui trouve son type et son modèle dans la Vierge Marie, Mère du Christ et Mère de l'Eglise »[18].

Donc, il ne nous sera pas possible de comprendre et d'aimer l'Eglise, avec son aspect extérieur de société ; il ne nous sera pas non plus possible d'arriver à un plan d'ouverture ecclésiale dans la structure externe de notre congrégation, Si nous n'avons cette expérience biblique. Celle-ci n'est pas une simple étude de l'Ecriture comme la ferait un érudit, mais un contact vivant avec la Parole de Dieu ; évidemment il nous faut une formation biblique solide et scientifique mais – compte tenu de ce que nous sommes des Frères Maristes et non des exégètes ce qu'il nous faut surtout c'est l'oraison personnelle, la contemplation et le goût de la liturgie. Celle-ci favorise, dans toute la splendeur du culte. la communion personnelle et ecclésiale à la Parole de vie, et c'est toute l'Histoire Sainte qui devient ainsi vivante et actuelle dans « l'aujourd'hui de la Liturgie ». L'Eglise a toujours vénéré les divines Ecritures, comme elle l'a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la Sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l'offrir aux fidèles… Dans les Saints Livres, en effet, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux ; or, la force et la puissance que recèle la parole de Dieu sont si grandes qu'elles constituent, pour l'Eglise, son point d'appui et sa vigueur, et, pour les enfants de l'Eglise, la force de leur foi, la nourriture de leur âme, la source pure et permanente de leur vie spirituelle. Dès lors ces mots s'appliquent parfaitement à la Sainte Ecriture : « Elle est vivante donc et efficace la Parole de Dieu » (Héb., IV, 12), « qui a le pouvoir d'édifier et de donner l'héritage avec tous les sanctifiés » (Actes XX, 32 ; I Thess. 11, 13). (Constitution : « Dei Verbum », 21).

Or, non seulement la Parole divine nous permet de voir et de découvrir le mystère de l'Eglise, mais aussi l'Eglise, à son tour, nous rend possible l'intelligence de la Parole. « Cette Tradition qui vient des Apôtres se poursuit, sous l'assistance du Saint-Esprit : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cœur (Cf., Luc II, 19 et 51), soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité. Ainsi l'Eglise, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu »[19]. « Ainsi Dieu, qui parla jadis, ne cesse de converser avec l'Epouse de son Fils bien-aimé »[20].

Je n'insisterai pas davantage pour le moment sur ce rapport si étroit entre la parole divine et le mystère de l'Eglise auquel j'ai rattaché cet appel. Mais il est facile de voir l'importance qui existe pour nous, religieux éducateurs, à prendre tout cela au sérieux et à nous réformer là-dessus ou, tout simplement, nous former, si nous n'y avons jamais été formés. Sans cela il est impossible que notre foi, et donc notre vie spirituelle, reçoivent une bonne nourriture[21], et que notre catéchèse ait jamais un fond solide et puisse vraiment sanctifier les autres[22]. Mais peut-être aussi certains Frères et certains élèves qui ont perdu, les uns l'enthousiasme de communiquer le message du Christ, et les autres celui de l'entendre, sentiraient-ils dans un renouveau biblique le besoin et la joie de porter ou de recevoir le message.

Malheureusement la nourriture si saine et abondante de la Parole divine et la catéchèse biblique qu'elle devrait engendrer, ont été remplacées en maints endroits par des schémas et des programmes encyclopédiques, à tendance anthropologique ou apologétique. Or, ceux-ci ne font pas naître la foi, et ce n'est pourtant qu'à la chaleur de la foi qu'on peut arriver à aimer la catéchèse. N'oublions pas d'ailleurs que la Parole divine est toujours accompagnée d'une motion interne du Saint-Esprit qui agit sur le cœur de ceux qui l'écoutent[23]. Même si nous n'en voyons pas les fruits, soyons sûrs qu'il y a Quelqu'un qui travaille toujours sur un cœur où l'on a semé non des rosiers en fleurs mais simplement une graine qui est un espoir de fleurs et de fruits. Dès lors, comme dit justement le P. Colomb, lorsque nous faisons le catéchisme, nous devrions toujours avoir le soin de donner un enseignement d'une grande valeur et d'une grande exactitude théologique : ne confondons jamais ce qui est certain avec ce qui ne l'est pas, et ce qui est essentiel avec l'accessoire. Le respect de la Parole de Dieu doit nous porter à ne jamais présenter comme des pensées divines les paroles ou les interprétations purement humaines.

En ce qui concerne notre spiritualité, il faut bien constater que nous avons partagé, du moins en partie, à l'époque pré-conciliaire, cette espèce d'« absentéisme » généralisé du peuple catholique par rapport à une lecture et à une étude de la Sainte Ecriture, capables de nous familiariser avec les textes sacrés. Des raisons historiques expliquent cette attitude et la rendent compréhensible, mais elles ne changent rien à l'amoindrissement de la qualité spirituelle qui en résultait. A vrai dire, comme une bonne mère, notre Congrégation favorisait le contact avec les Livres Saints. En plus de la liturgie de la Parole à la Sainte Messe, elle nous invitait à parcourir chaque jour, un passage du Nouveau Testament. Mais quant à la connaissance de l'Ancien Testament  préparation et ouverture du mystère du Christ et de la plénitude des temps – elle était délaissée. Et n'y avait-il pas des maisons de formation où Supérieurs et Supérieures redoutaient cette rencontre avec le texte intégral de la Sainte Ecriture ? Pis encore, n'y avait-il pas des couvents où cette déficience marquée- était devenue une habitude d'esprit par suite même du manque d'intérêt des religieux adultes pour la connaissance des textes sacrés ?[24]

Le dégoût manifesté par un certain nombre de Frères pour la récitation de psaumes n'aurait-il pas son origine dans la formation première orientée vers une spiritualité individualiste dans laquelle leur propre vie religieuse n'arrive pas à prendre résolument tournure ? Par ailleurs ces religieux n'ignoreraient-ils pas également la vie religieuse de Jésus et celle de son Eglise ? Tel ne fut pas le cas de Marie : son Magnificat est comme un concert entremêlant sa propre histoire à celle du Peuple dont l'avenir religieux se résume dans cet hymne, à la fois poème et oraison pour l'avènement du jour du Seigneur. Elle chante en son Peuple et son Peuple chante en elle. L'adoption de l'office marial a augmenté considérablement ce contact avec la Sainte Ecriture, mais la rencontre matérielle ne suffit pas : il est nécessaire de se laisser former à ce contact de la Parole divine[25].

Disons enfin que l'appel du Concile que nous découvrons non seulement dans le schéma sur la Révélation mais encore dans les autres passages parallèles de la doctrine conciliaire est un appel à un contact sérieux, vivant et vivifiant avec la parole de Dieu. La culture biblique systématique et suffisante n'est qu'une étape qui doit acheminer[26] vers la foi, l'amour et l'oraison.

Celui qui, à travers un contact avec la Parole (le Dieu, n'éprouve pas habituellement le besoin de l'approfondir dans l'oraison et d'établir un dialogue avec Dieu qui se présente à nous par la Parole et dans la Parole doit se demander s'il possède réellement quelque spiritualité ou si, au contraire, cela ne se réduit pas à une simple curiosité ou à une érudition bibliques.

C'est avec beaucoup de raison que le texte conciliaire faisant un appel à tous les clercs, prêtres, diacres et catéchistes, demande que « personne ne se fasse prédicateur vide de la parole, incapable de l'écouter au-dedans ». S'adressant plus loin à tous les chrétiens et spécialement aux religieux, il les exhorte à acquérir une connaissance sublime de Jésus-Christ par la lecture des textes sacrés : « En effet l'ignorance des Ecritures c'est l'ignorance du Christ. Que volontiers donc ils abordent le texte sacré lui-même, soit dans la Sainte Liturgie imprégnée des paroles de Dieu, soit par une pieuse lecture, soit par des cours appropriés et par d'autres moyens qui, avec l'approbation et par les soins des pasteurs de l'Eglise, se répandent partout de nos jours d'une manière digne d'éloges. Qu'ils se rappellent aussi que la prière doit aller de pair avec la lecture de la Sainte Ecriture, pour qu'un échange se noue entre Dieu et l'homme, car "nous lui parlons quand nous prions, mais nous l'écoutons quand nous lisons les oracles divins" »[27]

 II. – SENS ECCLESIAL

 « Sentire cum Ecclesia » : tel est l'appel central du Concile. Pour tout religieux se présente – pour des raisons bien différentes de celles qui existent pour le chrétien – le danger de ne pas avoir le sens de l'Eglise, de ne pas aimer l'Eglise, de croire qu'il entre en contact avec Dieu, avec son Fils, uniquement à travers sa Congrégation. Cette déviation peut fausser la formation qu'il reçoit de sa famille religieuse, la spiritualité particulière qu'elle lui transmet et les courants théologiques qu'elle défend, etc. C'est dire que le religieux court le risque de faire de son Institut « une réalité, une aséité », qui lui fait envisager l'Eglise comme une chose superflue. Or il arrive très sou-vent que ce qui se présente comme superflu n'est pas aimé, ne se met pas à l'unisson pour participer à un même mouvement vibratoire. C'est pour cela que je voudrais faire de la découverte magnifique et amoureuse que nous a apportée le Concile, de la grandeur et de l'humilité, de l'importance et des limites de l'Eglise, le principal sujet de cette circulaire. Qu'il me suffise pour le moment de l'énoncer puisque j'y reviendrai plus loin.

 III. – INSERTION DANS LE COURANT DE RENOVATION LITURGIQUE

 Dans l'effort immense de rénovation que représente Vatican II, la Constitution sur la Liturgie Sacrée a été non seulement la première à être promulguée, mais aussi, en un certain sens, celle qui a déjà donné les fruits les plus immédiats, les plus visibles et les plus heureux. Elle avait été longuement préparée par les mouvements biblique et catéchétique et par tout le mouvement liturgique que l'importante encyclique « Mediator Dei » de Pie XII devait considérablement aider, enrichir et canaliser. Ce mouvement, sanctionné et expliqué par le Concile, et dirigé ensuite dans ses applications post-conciliaires par des organismes compétents (pour les divers pays, les Conférences épiscopales), doit être un courant qui retienne l'attention du Chapitre et l'entraîne à des décisions fermes et intelligentes. Porter notre vie spirituelle et notre consécration religieuse à leur apogée et en même temps faire de nous d'authentiques éducateurs du sens liturgique des nouvelles générations de chrétiens : telle devra être la double fin de notre insertion dans ce courant.

La liturgie n'est pas l'unique fonction pastorale de l'Eglise mais elle est bien la plus haute. Elle n'épuise certainement pas l'action de l'Eglise, elle n'est pas la première étape de cette action sur les hommes mais elle est le but auquel tendent toutes les autres actions. Ce sont là les termes même du Concile : « La liturgie est le sommet auquel tend l'activité de l'Eglise, et en même temps la source d'où découle toute sa vertu. Car les labeurs apostoliques visent à ce que tous, devenus enfants de Dieu par la foi et le baptême, se rassemblent, louent Dieu au milieu de l'Eglise, participent au sacrifice et mangent la Cène du Seigneur.

En revanche la liturgie elle-même pousse les fidèles rassasiés des « mystères de la Pâque », à n'avoir plus « qu'un seul cœur dans la piété » ; elle prie pour « qu'ils gardent dans leur vie ce qu'ils ont saisi par la foi » ; et le renouvellement dans l'Eucharistie de l'alliance du Seigneur avec les hommes attire et enflamme les fidèles à la charité pressante du Christ ». (Const. « Sacrosanctum Concilium » 9, 10).

Le Pape Paul VI, dans son discours de clôture de la seconde session conciliaire, affirmait claire-ment cette hiérarchie des valeurs, quand il disait à propos de la liturgie : « L'un des sujets, le premier examiné et, en un certain sens, le plus éminent de tous, par sa valeur intrinsèque et par son importance dans la vie de l'Eglise, celui de la liturgie, a été conduit à son heureuse conclusion et se trouve aujourd'hui par Nous solennellement promulgué. Nous nous réjouissons de ce résultat. Nous y découvrons un hommage à l'échelle des valeurs et des devoirs :

– Dieu à la première place ;

– la prière est notre premier devoir ;

– la liturgie est la source première de ce divin échange par lequel la vie divine nous est communiquée,

la première école de notre vie spirituelle,

le premier don que nous puissions faire au peuple chrétien qui nous est uni par la foi et la prière ;

– la liturgie enfin est la première invitation adressée aux hommes pour que leur langue ne soit plus muette, mais qu'elle exprime une prière sainte et vraie ; pour qu'ils sentent l'immense puissance de vie contenue dans le fait de chanter avec nous les louanges de Dieu et les espérances des hommes, par le Christ Notre-Seigneur et dans l'Esprit Saint ». (Concile Œcuménique Vatican II, Documents Conciliaires 5, P. 135, Editions du Centurion).

En effet, ce que la Tradition appelle : « Opus Dei », est l'acte à la gloire de Dieu, le plus élevé que puisse réaliser l'Eglise pérégrinante, et la fonction d'où jaillissent le plus de grâces pour les hommes. Dans la Liturgie s'exerce le sacerdoce personnel du Christ à travers le Ministère de son Eglise[28]; peuple de prêtres et de rois, celle-ci s'unit dans cette liturgie à la bouche qui glorifie le Père, et à l'action rédemptrice, sanctificatrice et récapitulatrice du Christ en personne, envers les hommes et l'univers entier sous le souffle de l'Esprit d'Amour.

Si maintenant nous pensons à l'Eglise non plus comme sujet actif de la liturgie, qui, dans le Christ accomplit l'Eucharistie (Ecclesia facit Eucharistiam) mais bien comme terme de cette action liturgique (non unique mais essentiel) nous voyons qu'il n'est pas moins certain que ce qui fait l'Eglise, c'est l'Eucharistie (Ecclesiam facit Eucharistia) et à plus forte raison la liturgie entière, c'est-à-dire sacrifice et liturgie sacramentels[29]. Saint Paul unit admirablement le mystère de la communauté chrétienne et celui de l'Eucharistie en un seul et unique mystère : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ ?

Puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un corps car tous nous avons part à ce pain unique » (L Cor. 10, 16 et 17).

Commentant cette relation entre l'Eucharistie et l'Eglise, toutes les deux corps du Christ, Henri de Lubac écrit : « Ce n'est ni un corps tout invisible, ni la pâle image d'un corps réel : c'est le "corpus in mysterio", le corps mystiquement signifié et procuré par l'eucharistie ; autrement dit, c'est l'unité de la communauté chrétienne que le "saints mystères" réalisent en un symbole efficace. En d'autres termes encore, c'est "l'union, indissolublement spirituelle et corporative, des membres de l'Eglise au Christ présent dans le sacrement". C'est donc le Corps par excellence, le plus réel, le plus absolument "vrai" de tous. C'est le Corps définitif, par rapport auquel le corps individuel de Jésus lui-même, sans atténuation de sa vérité propre, peut être appelé "corps figuratif" » (Méditation sur l'Eglise, Paris 1953, p. 102).

Suite à ces brèves réflexions, mes Bien Chers Frères, je voudrais tirer quelques applications capables de concrétiser cette contemplation.

1) Dans notre incorporation au mouvement liturgique (je pense à son application à nos élèves), nous devons faire preuve d'initiative autant que de docilité. La docilité reconnaît et respecte les limites, l'initiative donne vie à des formules efficaces et accessibles à la jeunesse afin de l'intéresser à la liturgie, de la lui rendre compréhensible et attrayante. Sous le signe de la docilité, il faut s'adapter au maximum au pays où l'on est et à la culture qui est la sienne, dans le respect des autorisations données[30].

Mieux encore, il est nécessaire aussi de s'adapter dans la mesure du possible, à l'âge et au développement spirituel des participants. Cet effort à réaliser se trouve pour ainsi dire, sous l'influence de deux pôles.

a) La liturgie entière, plus spécialement celle dite sacramentelle est un signe et donc doit être significative de ce que l'on prétend lui faire exprimer. L'effort consistera d'une part à la rendre significative et, d'autre part, à rendre les élèves capables de s'assimiler sa signification opérante.

b) Mais cela comporte les limites qu'impose un autre principe : la liturgie en tant qu'action cultuelle propre au Christ et représentative de l'Eglise envers Dieu, exige que ses actions soient d'une nature telle qu'elles répudient ce qui est indigne, ridicule, irrévérentiel et encore plus, ce qui est foncièrement mauvais. Une ambiance de ce genre serait inacceptable dans l'action liturgique. quand bien même cette liturgie plairait à un groupe, humain ou qu'un certain goût du sensationnel ou de la nouveauté la rendrait plus attrayante. L'épreuve du temps montrerait par la suite ce qu'avait d'épidermique ce prétendu pouvoir d'attraction sur une époque et un publie différents : ce stimulant n'agissant que dans la mesure éphémère de sa valeur même de nouveauté.

C'est dans la conjonction de ces deux principes que doit se situer l'action qu'attend de nous la pastorale liturgique de la jeunesse.

2) Examinons maintenant au point de vue pratique l'une des possibilités relatives à notre vie interne dans la Congrégation.

L'eucharistie, en tant que sacrifice et sacrement, est l'acte culminant de notre commune-union. Toutes les autres communions, inter-communautaires, depuis la simple récréation jusqu'à l'action apostolique qui fait de nous une communauté de témoins, de service et de mission, naissent ou s'orientent, selon les cas, à partir de notre réunion communautaire autour du banquet eucharistique. Ce n'est ni normal, ni acceptable, par conséquent, qu'une communauté – à moins d'une impossibilité physique – renonce à la rencontre eucharistique communautaire et adopte une organisation où chaque membre va à l'église de son goût, à la messe qu'il veut et à l'heure qui lui va le mieux. Il est certain que cela ne provient pas du Concile et ne représente pas son esprit.

Le merveilleux enthousiasme qui s'est éveillé à la rénovation de la vie communautaire[31] paraîtrait étrange et paradoxal si, au moment même où le Christ comble et engendre notre amour nous ne sentions plus la relation foncière qu'il a avec l'amour fraternel ou si la place du Christ comme centre et raison essentielle de notre union communautaire ne nous apparaissait plus comme une nécessité.

Mais passons à présent au niveau individuel. Le mouvement liturgique conciliaire dont je parle est un puissant appel à comprendre plus à fond les signes de notre salut et à nous montrer avides de participer à leur action, principalement dans le sacrement de pénitence et le sacrifice eucharistique. Que cet appel engage donc à une plus fervente participation ceux qui s'en approchent régulièrement mais surtout qu'il soit un impérieux coup de gong et un « sursum corda » pour les cœurs en qui s'est attiédi l'amour et obscurcie la foi. Il n'est pas normal que la réception de la Sainte Eucharistie laisse indifférente une âme consacrée et que celle-ci abandonne fréquemment la communion. Ce qui, par-dessus tout, est inacceptable c'est qu'un religieux n'assiste pas à la messe chaque jour. Le Supérieur a alors le devoir d'avertir sérieusement et expressément. Ce serait falsifier le Concile que de prétendre appuyer sur lui une conduite aussi anormale. Je mets à part les cas d'épreuve de la foi ou de scrupule, cas que le Seigneur peut permettre et qui, outre qu'ils sont rares, sont d'ordinaire clairs et généralement accompagnés d'un sérieux recours à la prière – en marge des sacrements et d'une conduite fidèle unie à un véritable esprit religieux. Mais en dehors de ces cas, il n'y a qu'une explication : on est en face de situations dans lesquelles ou bien on a laissé se refroidir l'amitié avec le Seigneur, ou alors on ne sent plus aucun intérêt pour les biens dont l'Eucharistie est le moyen indispensable. La conduite qui forme la trame quotidienne d'une telle vie est habituellement cohérente avec son attitude fondamentale. Sans doute, il peut y subsister un grand sens des responsabilités humaines joint à de grandes qualités professionnelles, mais il s'y est insinué un esprit naturaliste, un libéralisme qui n'est déjà plus en accord avec les obligations de Règle même seulement morales, et une attitude d'indépendance et d'esprit propre.

Quand cet abandon progressif des sacrements se généralise dans une communauté ou dans une région, on a affaire à une dégénérescence, car il faut l'appeler par son nom. Les Supérieurs doivent être conséquents avec leurs responsabilités et les assumer s'ils ne veulent pas qu'il soit trop tard. Une colonie ou un camp de vacances n'est pas un motif pour qu'une partie de la communauté omette fréquemment la Sainte Messe. J'invite les Supérieurs et les Frères à voir en cela tout un « test » de vie spirituelle et d'esprit religieux. Il n'est pas question qu'un Frère surveille un autre Frère et encore moins le juge ; mais il y a des choses qui sautent aux yeux et que l'on voit sans le vouloir. C'est alors que s'impose une conduite franche et virile de dialogue fraternel. Quant aux Supérieurs il leur appartient de voir et d'intervenir selon l'esprit du Concile et de l'Evangile qui est amour, franchise, exigence et liberté tout à la fois[32]. Quant à la récitation de l'office marial ou de l'office divin, ou d'un autre office composé ou adopté, ce qu'on lui demande c'est qu'elle se pénètre de l'esprit du Concile et de ses lois sur la rénovation liturgique. Quelles que soient ses parties et leur extension, sur lesquelles le Chapitre sera libre de décider, je ne demande qu'une chose : quand il est récité en communauté que cela se fasse dignement, pour assurer à cette récitation sa double fonction. D'abord elle doit être une action du culte ecclésial et filial au Père ; ensuite elle doit alimenter le cœur par le contenu même de la prière. La prière vocale réclame un rythme sans lequel il y a tout au plus prononciation de paroles et Dieu veuille qu'elle y soit toujours ! – mais non prière du cœur ni de la volonté. Le religieux obligé à cet exercice éprouve alors la claire sensation de perdre son temps, livré qu'il est à un pur formalisme. C'est cela qui indispose contre la prière, surtout la jeunesse qui, par nature, est rebelle au formalisme vide. Si, honnêtement, des motifs de véritable impossibilité dus au travail accablant, et non le désir d'échapper à la prière – font de cette récitation priante quelque chose de désirable mais d'impraticable il serait préférable, tout en main-tenant le même temps, de diminuer la quantité de prières en faveur de la qualité comme on l'a autorisé dans certaines Provinces, à titre d'expérience pilote[33].

Pour finir, rappelons que « Mediator Dei » et la Constitution « Sacrosanctum Concilium » ont fortement affirmé que pour participer abondamment à la Liturgie et profiter des fruits des sacrements, une pratique sérieuse de la prière privée était absolument nécessaire, ainsi que la fidélité morale au Seigneur qui nous rend perméables à l'action sanctificatrice du Christ dans la Liturgie. Il faut aussi rappeler que le pouvoir « ex opere operato », et la Rédemption elle-même, bien qu'ils prennent et reçoivent leur force de la Puissance du Seigneur, ne pénètrent cependant pas en nous par miracle mais dans la mesure de nos dispositions intérieures. La prière privée est donc nécessaire autant pour l'insertion dans la prière liturgique que pour la conservation du contact intérieur et personnel avec le Seigneur et la compréhension de la Sainte Ecriture. C'est à la lumière de ces considérations que la prière mentale, appelée vulgairement et de façon inexacte méditation, prend toute sa valeur précieuse et irremplaçable. 

IV. – LE GRAND MESSAGE DE LA CHARITE ET LE TEMOIGNAGE DE L'UNITE

Sur la charité et l'unité, le Concile ne nous a pas laissé un document spécifique ; mais il ne nous en a pas laissé non plus sur le Père céleste, sur Jésus-Christ ou sur le Saint-Esprit. Il n'en est pas moins vrai qu'il existe des constantes très claires, de véritables « leitmotive » qui se répètent et s'entrelacent tout le long du Concile, imprègnent son esprit et apparaissent constamment à toutes les pages de ses documents. Le Concile a été une vraie Pentecôte pour l'Eglise, mais cette Pentecôte est avant tout, l'éclosion rayonnante et envahissante de l'Esprit d'Amour qui modèle une communauté transformée et sanctifiée afin qu'elle proclame aux quatre vents que Dieu est amour et que nous devons nous aimer les uns les autres d'un amour doux et fort, fait de service dans le besoin, et cela dans le Christ Jésus qui est mort et ressuscité pour nous.

Pour comprendre le Concile, on a dit avec raison qu'il était nécessaire de pénétrer dans le cœur et l'âme de Jean XXIII ; et comment douter que l'essence même de ce cœur ne fût la simplicité, la pureté, la serviabilité et par-dessus tout la bonté et l'amour ? Ce n'est pas en vain que quelqu'un s'écria à sa mort[34]: «Il vient de mourir un grand chrétien de notre temps ». Sa figure seule et son bref passage par le Pontificat ont réchauffé l'Eglise d'une nouvelle chaleur et ré-orienté, en un sens beaucoup plus positif, les attitudes envers l'Eglise de tant d'hommes qui lui étaient étrangers. Sa mort fut l'occasion d'un deuil universel. Dès lors, la question se pose impérieusement : si cet effet a été obtenu par un seul homme – placé, il est vrai, à un poste exceptionnel – pour faire sentir au monde son amour des hommes que ne pourraient donc faire des groupes entiers d'âmes si elles se décidaient à vivre le climat rayonnant de la charité ? d'une charité, qui, à la fois se manifeste par des attitudes, fasse rencontrer des personnes, se reconnaisse dans un certain style, accomplisse un service, et un service efficace mais soit avant tout amour vrai.

Cet homme qui croyait vraiment en l'amour. qui crut véritablement que la solution du monde se trouvait par-dessus tout dans l'amour vrai et efficace[35], disait dans son discours d'ouverture du Concile : « Le Concile voudra mettre en relief, mais d'une façon encore beaucoup plus solennelle et sacrée, les applications les plus profondes de la fraternité et de l'amour »[36],

Le commandement nouveau de Jésus c'est celui d'un amour de haute qualité qui, résumant la Loi et les Prophètes rend inséparables, en un seul principe et mouvement, l'amour de Dieu et du prochain. « Qui prétend aimer Dieu sans aimer le prochain est un menteur et l'amour n'est pas en lui ». C'est pour cela que le jugement dernier portera sur l'amour et que la prière sacerdotale de Jésus se centre, pour implorer le Père, non sur un amour quelconque, mais sur l'amour, la sainteté et la vérité consommés dans l'unité. Cette unité est le reflet et le témoignage non seulement de l'union de Jésus avec le Père, mais aussi de son obéissance amoureuse, de l'authenticité de sa mission, de la raison d'être de sa sanctification – « Je me sanctifie pour eux » (Jean, XVII, 19) –' et de la vérité qu'il a communiquée à ses disciples. Une longue chaîne de textes bibliques et surtout néo-testamentaires pourraient être cités qui formeraient ensemble toute une théologie biblique de la charité. Ils atteindraient sans doute leur sommet dans les paroles si fortes de la première épître de Saint Jean décrivant les relations essentielles qui existent entre l'amour des Frères et la vie de Dieu en nous, ou encore dans l'hymne splendide de la première lettre aux Corinthiens quand Saint Paul exalte la charité.

Dans le Concile lui-même, n'est-ce pas l'amour qui vibre en chacune des pages des documents,

– amour entre les disciples de Jésus,

–  amour du Père qui donne son Fils au monde,

– amour de Jésus qui nous rachète par son obéissance jusqu'à la mort de la croix,

amour de l'Eglise en communion avec les douleurs, les peines, les joies et les préoccupations des hommes, pour un dialogue, fait de service et de charité, avec toute l'humanité,

– amour dans la recherche assoiffée des Frères séparés, qui n'élude ni le repentir pour les erreurs du passé, ni le désir sincère de fermer les plaies ouvertes,

– amour dans l'espérance vive et palpitante d'une future et totale union, faite sacrement universel de salut,

– amour, en définitive, dans une communion de plus en plus intime, qui sous l'impulsion de l'Esprit, réunira les hommes de toutes nations, races et cultures autour du Christ formant ainsi l'Eglise et conduisant l'Histoire par les chemins du salut, faisant de l'histoire profane une histoire sainte jusqu'à former le Christ total et cosmique. Teilhard de Chardin disait avec raison : « Tout ce qui monte, converge ».

Il est probablement peu de passages parmi les nombreux textes conciliaires relatifs à la charité qui présentent la vigoureuse ampleur du paragraphe suivant de « Gaudium et Spes » : « Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est Lui-même fait chair et est venu habiter la terre des hommes. Homme parfait, Il est entré dans l'histoire du monde, l'assumant et la récapitulant en Lui. C'est Lui qui nous révèle que "Dieu est charité" (1 Jn. 4, 8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l'amour. A ceux qui croient à la divine charité, Il apporte ainsi la certitude que la voie de l'amour est ouverte à tous les hommes et que l'effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n'est pas vain. Il nous avertit aussi que cette charité ne doit pas seulement s'exercer dans les actions d'éclat, mais, et avant tout, dans le quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs, Il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix. Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ, à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la. terre, agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit ; Il n'y suscite pas seulement le désir du siècle à venir, mais par là-même, anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière. Assurément les dons de l'Esprit sont divers : tandis qu'Il appelle certains à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à garder vivant ce témoignage dans la famille humaine, Il appelle les autres à se vouer au service terrestre des hommes, préparant par ce ministère la matière du Royaume des cieux. Mais de tous, Il a fait des hommes libres pour que, renonçant à l'amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s'élancent vers l'avenir, vers ce temps où l'humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu ». (G. S. 38).

Que cet appel conciliaire à l'amour, à manifester la force transformatrice d'une religion d'amour qui se rend visible en une vie de charité, « ad intra » et « ad extra », comme est celle de l'Eglise agapè et mission – soit entendu d'une façon très spéciale parmi nous, en accord avec l'esprit caractéristique de l'Institut, reçu du Fondateur et exprimé par lui dans son Testament Spirituel : « Je vous prie aussi Mes Bien Chers Frères, de toute l'affection de mon âme et par toute celle que vous avez pour moi de faire en sorte que la sainte charité se maintienne toujours parmi vous. Qu'on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : Voyez comme ils s'aiment ! C'est le vœu de mon cœur, le plus ardent à ce dernier moment de ma vie. Oui, Mes Très Chers Frères, écoutez les dernières paroles de votre Père ; ce sont celles de notre bien-aimé Sauveur : Aimez-vous les uns les autres ! ».

« Je désire, Mes Bien Chers Frères, que cette charité qui doit vous unir tous ensemble comme les membres d'un même corps, s'étende aussi à toutes les autres Congrégations. Ah ! je vous en conjure par la charité sans bornes de Jésus-Christ, gardez-vous de jamais porter envie à personne et surtout à ceux que le bon Dieu appelle à travailler comme vous dans l'état religieux, à l'instruction de la jeunesse. Soyez des premiers à vous réjouir de leurs succès et à vous affliger de leurs disgrâces. Recommandez-les souvent au bon Dieu et à la divine Marie. Cédez-leur sans peine. Ne prêtez jamais l'oreille à des discours qui tendraient à leur nuire. Que la seule gloire de Dieu et l'honneur de Marie soient votre unique but et toute votre ambition ».

Vivre en commun sans s'aimer est un contre-sens il peut y avoir un pharisaïsme dans les attitudes sociales, comme il y en a un dans la piété envers Dieu. Donner ou faire une œuvre de charité ou de service sans aimer est une offense. Se servir du prochain pour faire le bien n'est pas chrétien. Faire de l'apostolat sans amour est simple prosélytisme[37].

Le Chapitre s'est engagé dans cette voie de la charité ; bien plus, je crois que sur rien il n'a insisté autant que sur une vie dont l'exercice social consiste, avant tout, à se donner aux autres et à établir la communion avec l'Amour. « La vie à mener en commun, enseigne le décret Perfectae caritatis, doit persévérer dans la prière et la communion d'Un même esprit, nourrie de la doctrine évangélique, de la sainte liturgie et surtout de l'Eucharistie, à l'exemple de la primitive Eglise dans laquelle la multitude des fidèles n'avait qu'un cœur et qu'une âme (Cf., Act. 2, 32 et 42). Membres du Christ, les religieux se préviendront d'égards mutuels, dans une vie de fraternité (Cf., Rom. 12, 10), portant les fardeaux les uns des autres (Cf., Gal. 6, 2). Dès là, en effet, que la charité est répandue dans les cœurs par l'Esprit-Saint (Cf., Rom. 5, 5), la communauté, telle une vraie famille réunie au nom du Seigneur, jouit de sa présence. La charité est la plénitude de la loi (Cf. Rom. 3, 10) et le lien de la perfection (Cf., Col. 3, 14), et par elle nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie (Cf. I Jean 3, 14). En outre, l'unité des frères manifeste que le Christ est venu (Cf., Jean 13, 35 ; 17, 21), et il en découle une puissante énergie apostolique ». (P.C. 15).

Il faut se rappeler que le cachet du christianisme, ce qui en fait une religion tout à fait différente des autres religions de l'histoire, c'est, outre la notion nouvelle de transcendance de Dieu, à la fois par rapport au monde et à l'homme, accomplie par Dieu, c'est, je le répète, qu'il donne aux rapports des hommes entre eux, une très étroite et très riche dimension religieuse manifestée par la charité fraternelle.

 V. – LE SENS ŒCUMENIQUE

 D'aucuns ont affirmé que le Concile, loin de proclamer rien de nouveau, n'a fait que répéter, sous une forme différente et dans un style adapté, ce qui avait toujours été dit. Ce n'est pas vrai, car dans une partie de son message se manifeste clairement une doctrine nouvelle de forme et de fond. Sur d'autres points, le Concile, sans rompre avec le Magistère des temps passés, a dit des choses différentes.

Il a pu s'ensuivre, non pas polir la doctrine mais pour les attitudes pratiques qui en sont dérivées, des changements radicaux, même parfois exagérés, quand on compare telle nouvelle position à celles d'un passé encore presque récent.

En tout cas un des plus remarquables enseignements conciliaires a été l’œcuménisme. Par le moyen du Concile, l'Eglise Catholique a invité tous ses fidèles à une attitude de franche collaboration dans ce sens. Comment s'y refuser, quand on voit que le décret sur l’œcuménisme n'a trouvé l'opposition que de 11 Pères du Concile, contre 2.137 votes positifs ? Qui pourrait se dire encore fils soumis de l'Eglise, en n'acceptant pas une invitation confirmée à une telle unanimité ?

Nous avons, en tant qu'éducateurs, pas mal de travail à faire dans ce sens. Nos engagements là-dessus, sont bien plus exigeants que ceux du commun des fidèles. Par suite de notre rôle de guides de la jeunesse, nos actions ou nos omissions peuvent entraîner, ou au contraire, retarder, voire désorienter la marche des chrétiens vers l'unité. Il est clair, cependant, que notre travail n'est pas un travail de recherche exégétique ni non plus de promotion du dialogue théologique … Chacun a son charisme et sa manière de coopérer au mouvement oecuménique. Notre effort consiste surtout à donner une solide formation dogmatique à nos élèves, dépouillée à la fois de tout faux irénisme et de toute présentation superficielle ou fausse de la vérité, afin qu'elle ne soit pas rejetée par nos frères séparés, à cause même de ses déficiences dans la doctrine ou dans le langage qui exprime cette doctrine. Il est aussi de notre devoir de donner une formation qui prépare à l'amour, et au respect des autres confessions[38].

Dans la question de l’œcuménisme il faut nous rendre compte que nous ne partons pas d'un

point positif, même pas d'un point neutre que nous pourrions appeler « point zéro ». Il y a, il est vrai, pas mal de choses qui nous unissent (rappelez-vous l'insistance de Jean XXIII, lorsqu'il répétait : « ce qui nous unit est bien plus que ce qui nous sépare », mais il n'en reste pas moins que nous partons d'un point négatif : des préventions ont été si longtemps prolongées les unes contre les autres et il y a encore tant d'éléments d'opposition au point de vue doctrinal et pratique ! Il faudra donc s'engager carrément dans une voie qui ne manque pas de risques, et pourtant éviter absolu-ment deux erreurs : celle de préparer ou d'orienter vers une fausse unité, et celle de se résigner à la séparation. Chemin long et pénible, qui demande de la patience et de la prudence.

Nous avons une orientation de base assurée : l'Eglise désire que nous travaillions tous à l’œcuménisme : « Le Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l'effort oecuménique ». (Unitatis redintegratio, 4). Et, à la fin du même paragraphe : « Le Concile constate avec joie l'accroissement de la participation des fidèles catholiques à la tâche oecuménique. Il confie celle-ci aux évêques de toute la terre pour qu'ils veillent à la promouvoir et qu'ils l'orientent avec discernement ».

Cette convocation générale se répète tout le long du décret sous des formes diverses et pour des activités différentes qui convergent toutes vers un seul point : le progrès de l’œcuménisme. Cet appel est quelquefois adressé à tous, tandis que d'autres fois il est fait à une classe spéciale des membres de l'Eglise.

 1) Principes

 Mais, outre les principes catholiques sur L’œcuménisme, énoncés au chapitre premier du décret « Unitatis redintegratio », il me semble qu'il est important d'en rappeler un certain nombre d'autres, dont les uns peuvent servir à donner un élan, et d'autres à modérer ou rectifier le cours de ce mouvement. Je les tire de divers chapitres de ce même décret[39]. Ce sont des points très importants dont il faudra bien tenir compte dans la formation (le nos élèves à cette vie interconfessionnelle des chrétiens.

a) Le mouvement oecuménique n'est pas le même chez le catholique et le non-catholique : ils diffèrent l'un de l'autre par leur nature et par leurs présupposés. Cependant leurs efforts ne s'opposent pas, puisque « l'un et l'autre procèdent d'une disposition admirable de Dieu » (Unitatis redintegratio, 4).

b) L'œcuménisme catholique cherche l'unité de l'Eglise catholique du Christ, « laquelle est le "moyen général de salut" » et par laquelle seule « peut s'obtenir toute plénitude des moyens de salut » (Ibidem, 3)[40].

c) « Justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, nos frères séparés portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l'Eglise catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur » (Ibidem, 3). « Parmi les éléments ou les biens par l'ensemble desquels l'Eglise se construit et est vivifiée, plusieurs, et même beaucoup et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l'Eglise catholique… Chez nos frères séparés beaucoup d'actions sacrées… peuvent certainement produire effective-ment la vie de la grâce, et l'on doit reconnaître qu'elles donnent accès à la communion du salut » (Ibidem, 3).

d) J'oserai même dire que certains biens du salut, en certaines circonstances et certains lieux. peuvent être beaucoup mieux assimilés et incorporés par certains frères séparés que par les catholiques eux-mêmes. C'est pour cela que le Concile exhorte vivement les catholiques à faire de plus grands efforts de sainteté par leur conversion, leur rénovation et leur réforme[41].

e) Les fautes qui ont conduit à la rupture de l'unité ont existé de part et d'autre. L'Eglise déplore les siennes et en demande pardon. (Unitatis redintegratio, 3 et 7). Aussi propose-t-elle, comme moyen de revenir à l'union, « la conversion du cœur » (Ibidem 7). Il faut donc en finir avec cette apologétique historique unilatérale, entachée de simplisme, d'ailleurs assez facile à rabattre, et que le Concile a franchement condamnée.

f) « Ceux qui naissent aujourd'hui dans de telles communautés (nos frères séparés) et qui vivent leur foi au Christ, ne peuvent être accusés de péché de division… et se trouvent dans une certaine communion, bien qu'imparfaite, avec l'Eglise catholique » (Ibidem 3).

Je pense que dans tous les milieux homogènes ou hétérogènes, et que dans toutes nos écoles, avec ou sans élèves non-catholiques, on devrait tenir compte de ces principes pour la formation religieuse. Les Frères qui en sont responsables doivent ici emboîter le pas derrière l'Eglise et faire une étude solide de ses tout derniers documents, sans quoi ils se rendraient coupables d'un retard ou d'une mauvaise orientation du mouvement oecuménique, et peut-être même de la perte de la foi chez certains de leurs élèves[42].

Il va sans dire que tous ces principes dont nous sommes en train de parler doivent servir, à plus forte raison, pour nos maisons de formation.

Le programme tracé par le Concile et les moyens dont il veut qu'on se serve présentent plusieurs aspects. Mettons-nous généreusement à l'ouvrage, mais n'oublions pas que ce travail doit « être accompli avec prudence et patience par les fidèles de l'Eglise catholique sous la vigilance de leurs pasteurs » (Unitatis redintegratio, 4).

2) Moyens

Voici donc quelques-uns des moyens suggérés :

a) Supprimer tous les obstacles que peut rencontrer le mouvement œcuménique : attitudes, préjugés, opinions, mots offensants. Que de travail encore à faire en certains lieux !

b) Avoir des réunions avec nos frères séparés pour favoriser le dialogue et surtout la prière en commun. Le document conciliaire nous donne des avis pratiques sur la façon de mener à bien ces réunions ; voyez-en surtout les numéros 4 et 8. Suivons ces directives , sans quoi nous nous exposerons à perdre notre foi et nous ne ferons que retarder le mouvement œcuménique[43]. Mais, les rencontres faites dans de bonnes conditions permettront de mieux se connaître et de mieux se comprendre.

Nous ne pouvons favoriser des rencontres sans préparation ou qui ne sont pas acceptables au point de vue théologique. Au sujet de l'intercommunion eucharistique réalisée à Paris par un groupe de prêtres et de fidèles, voici ce qu'en pensait Jean Guitton dans un article publié dans le « Figaro » du 11 juin dernier : « A mon sens, ce moyen de violence va contre la fin qu'il se propose d'atteindre. Il la compromet. Pourquoi ? Parce que nous sommes ici dans le domaine du "mystère de la foi", et non pas devant un problème civique, social ou politique, que l'on peut résoudre par concession, compromis, conciliation, protocole ou synthèse. Il s'agit de la vérité religieuse. Il faut bien comprendre que la division des chrétiens ne vient pas au fond d'un manque d'amour mutuel. Elle vient de ce que chaque Eglise, attachée . à ce qu'elle pense vrai, n'accepte pas de faire une concession sur l'essentiel. Bien sûr, si la foi cède de part et d'autre, comme me le faisait remarquer à Bâle l'autre jour M.D. Cullmann, l'intercommunion sera facile. Mais l’œcuménisme ne peut rien gagner à cette con-vergence de deux défaillances. Participer à une même Eucharistie, avant qu'on ne se soit accordé sur la vérité et sur l'unité, contre la volonté des Chefs d'Eglise et la tradition unanime de vingt siècles,. ce n'est pas avancer l'heure sacrée de l'union, c'est la retarder. L'union durable et sincère ne peut se faire par effraction, surprise ou scandale. C'est une voie longue, une voie patiente. j'allais dire : une voie douloureuse »[44].

C'est vrai : nous ne pouvons aller ensemble de l'avant vers l’œcuménisme, si nous ne marchons ensemble vers la vérité.

Par contre, j'ai été tout heureux d'apprendre que dans certaines de nos maisons de formation, on avait réalisé, en parfaite régularité, des réunions oecuméniques, après avoir demandé et obtenu la permission de l'évêque. De telles réunions, si leur préparation est suivie d'une tâche d'approfondissement capable de faire naître l'amour réciproque et le désir de l'union dans un véritable esprit de prière, il ne faut pas douter qu'elles soient profitables. Ecoutons encore le Concile : « La réconciliation de tous les chrétiens dans l'unité d'une seule Eglise du Christ, dépasse les forces et les capacités humaines. C'est pourquoi il (le Concile) met entièrement son espoir dans la prière du Christ pour l'Eglise, dans l'amour du Père à notre égard et dans la puissance du Saint-Esprit » (Unitatis redintegratio, 24).

c) Comme nous l'avons déjà vu il est indispensable qu'il y ait une rénovation intérieure de la part de tous les catholiques et une réforme de l'esprit et des institutions de l'Eglise : liturgie, enseignement biblique, catéchèse, etc. …

d) Au sein même de l'Eglise catholique, on nous conseille de savoir unir une légitime liberté des formes de vie spirituelle, de discipline, de rites liturgiques, de présentation théologique de la vérité révélée, etc., à une unité que nous devons tous garder en ce qui est nécessaire. Si nous faisons tout cela en charité, nous manifesterons de plus en plus comme dit le Concile, « la véritable catholicité et apostolicité de l'Eglise » (Unit. red. 4).

e) « D'un autre côté, il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source dans le patrimoine commun et qui se trouvent chez nos frères séparés … Il ne faut pas non plus oublier que tout ce qui est accompli par la grâce de l'Esprit-Saint dans nos frères séparés peut contribuer à notre édification » (Ibid).

f) Enfin, une étroite collaboration est possible dans les causes communes avec nos frères séparés. On en parle longuement au numéro 12 du document conciliaire[45]. Lors de mon voyage en Afrique, j'ai été tout heureux de voir qu'il y avait déjà, entre nos Frères et les chrétiens ou les ministres d'autres confessions, certains modes de collaboration et en tout cas des rapports excellents. Ce profond désir de la rencontre entre frères, que le Concile a su découvrir, doit nous pousser à ne pas rester indifférents, mais à nous enrôler hardiment dans ce mouvement vers l'unité. Le regard attentif et paternel du bon pape Jean, perçait de loin, à l'occasion de la préparation du Concile, les présages de cette aspiration commune. Aussi c'est avec enthousiasme qu'il déclarait dans son discours de préparation du Concile : « En préparant ce Concile, on a pu faire une constatation : les anneaux de cette précieuse chaîne de charité que la grâce du Christ, dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, avait soudés autour des pays de l'Europe et du monde alors connu et qui les liait en une parfaite unité catholique ; ces anneaux que, dans la suite, diverses circonstances parurent relâcher et qui furent brisés, retiennent maintenant l'attention de quiconque n'est point insensible au souffle nouveau suscité en divers endroits par le projet du Concile dans une profonde aspiration à se retrouver entre frères dans les bras de la mère commune de toujours, notre Mère l'Eglise sainte et universelle … »[46].

 VI. – ESPRIT MISSIONNAIRE

 1) Effets du Concile

 J'aborde maintenant, mes bien Chers Frères, un sujet qui, vous le savez, m'est particulièrement cher. Le discours de Jean XXIII que je viens d'évoquer, laissait entrevoir, parmi d'autres effets que produirait le Concile, les trois suivants qui semblent essentiels :

a) Une rénovation spirituelle et pastorale de l'Eglise,

b) Un rapprochement sincère de tous les chrétiens dans un effort oecuménique,

c) Et surtout, à partir de cette nouvelle Pentecôte et devant le panorama du monde présenté clairement à tous pour la première fois, un mouvement missionnaire où devait s'engager le peuple chrétien tout entier.

C'est dans le plan divin du salut universel qu'il faut aller chercher l'origine et la raison permanente de l'existence de l'esprit missionnaire : le Père envoie son Fils, celui-ci envoie son Esprit et envoie aussi son Eglise représentée surtout par le Collège apostolique. Un des caractères essentiels du peuple de Dieu tout entier est donc d'être missionnaire. Du fait qu'ils appartiennent à l'Eglise, les associations ou les individus deviennent missionnaires. Par contre, l'absence d'un tel esprit est la preuve évidente d'une faiblesse ou d'une mauvaise orientation de la vie chrétienne chez telle ou telle personne comme chez tel ou tel organisme de l'Eglise.

Il y a cependant plusieurs degrés de communication des dons et charismes aux différents organes ou membres de l'Eglise. L'Esprit choisit, en effet, des hommes et des institutions pour y répandre et développer certains aspects charismatiques à un degré très au-dessus du commun des fidèles. C'est le cas pour les Instituts missionnaires.

Au sens strict du mot, nous, Frères Maristes, nous ne formons pas un Institut missionnaire. Bien que je me sente vivement pressé par l'appel du Concile, je tiens, en affirmant cela tout uniment, à établir clairement les principes[47].

 2) Raisons d'adhérer à ce mouvement

 Il n'en est pas moins vrai que nombre de raisons très importantes doivent nous porter à adhérer pleinement à ce mouvement conciliaire :

a) La qualité de missionnaire est propre, avons-nous constaté, à tout chrétien et à toute institution catholique.

b) Nous appartenons à un institut supra-diocésain, c'est-à-dire, de droit pontifical, et si nous jouissons d'une certaine exemption c'est dans le but de nous mettre plus facilement au service de tout le monde, surtout là où l'on aura un besoin spécial de nous.

c) L'esprit même de la Société de Marie a une qualité missionnaire. Certes elle n'est pas une Congrégation exclusivement missionnaire, mais dès sa naissance elle a reçu cet élan et ce charisme, lorsque le 10 janvier 1836 le Saint-Siège lui a confié la mission d'évangéliser l'Océanie. Il est vrai aussi que les conditions juridiques ne sont plus les mêmes, mais il y a la réalité (que nous devrions étudier davantage) d'une communion spirituelle dans une série de dons, et il y a un même esprit dans les diverses branches ou Instituts de la Société de Marie.

d) Le grand désir de notre Bienheureux Fondateur était d'aller aux missions et sa joie, d'y en-voyer des Frères[48].

e) Les Papes et tout dernièrement le Concile ont lancé un appel missionnaire pressant.

f) Plus qu'un désir, il y a eu une volonté du Fondateur clairement exprimée. Etant donné le petit nombre de sujets dont il disposait et leurs qualités humaines limitées il faut voir autre chose qu'une vivacité impétueuse dans son affirmation hardie : « Tous les diocèses du monde entrent dans nos vues ; quand Nosseigneurs les Evêques respectifs voudront nous y appeler, nous nous empresserons de voler à leur aide et de nous y regarder toujours comme leurs très humbles et très soumis serviteurs »[49].

g) Les moments d'expansion missionnaire de l'Institut (même s'ils ont eu leur origine dans des causes politiques) ont été des moment d'héroïsme et de large épanouissement[50].

h) La situation angoissante de certaines parties du monde qui ignorent l'Evangile et vivent dans une ambiance de sous-développement, est encore aggravée par la régression missionnaire qui s'est accentuée ces derniers temps.

En se référant aux zones missionnaires et seulement à titre d'hypothèse (certain que ceci requerrait une réflexion plus sérieuse avant de s'aventurer dans des affirmations catégoriques) on pourrait les diviser en deux grands groupes selon l'urgence que réclame la solution des problèmes et selon les possibilités de succès qu'elles offrent :

 3) Deux zones missionnaires

 a) Un secteur de travail à long terme où les urgences sont plus de type social et économique que strictement missionnaire. Ce sont des situations qui ne se résolvent pas dans un délai de dix ans, mais qui exigent un travail sérieux de plusieurs générations. L'Asie continentale et l'Afrique islamique nous réclament ce genre de travail.

b) Un autre secteur de travail à court terme où les résultats sont évaluables plus rapidement et qui est pour nous d'une urgence immédiate. La négligence aujourd'hui de ce genre de travail ferait perdre du terrain et des possibilités face à un avenir plus compromis dont nous serions responsables[51].

 4) Un appel au Chapitre

 Les raisons que je viens d'exposer, spécialement la dernière, devraient nous pousser à être courageux dans nos initiatives missionnaires.

Pourquoi faut-il que nous attendions que la Providence se serve de moyens politiques, parfois violents pour nous sortir d'un fixisme apostolique ? Ne pourrions-nous pas faire par dynamisme intérieur et obéissance à l'Esprit-Saint l'effort d'expansion missionnaire, et courir le risque évangélique que firent les Frères de France sous la loi Combes, les Frères chinois sous le régime communiste, ou les Frères cubains sous le nouveau régime de Fidel Castro ? Nous n'aurions pas alors en ces occasions, cette impression de rupture ou de précipitation qui suivent une conjoncture politique, mais bien plutôt une façon d'agir graduée, planifiée et donc tout aussi efficace et réelle. Ce serait l'occasion de répondre aux appels réitérés de l'Eglise devant le recul et le délabrement de l'action missionnaire dont elle a souffert depuis quelques années et les nécessités urgentes des pays de mission, spécialement l'ignorance de l'Evangile[52]. D'autre part, cela nous permettrait de nous établir dans d'autres pays où un christianisme jeune commence à se former, prometteur de nombreux apôtres comme il arrive dans certains pays d'Afrique. Ceci pourrait, durant quelques décades, offrir à la Congrégation et par elle à l'Eglise, de nouvelles et florissantes provinces maristes comme il est arrivé pour tant de pays du Nouveau-Monde à la suite de la dispersion de 1903[53].

Tout ceci paraît d'autant plus important que des idées qui désorientent commencent à envahir le monde, et parfois arrivent à secouer d'une façon alarmante des nations qui, hier, étaient riches en vocations consacrées et en apôtres vénérés de la jeunesse.

Il importe que nous ayons l'énergie nécessaire pour comprendre que l'ouverture des centres missionnaires dans les pas d'Afrique et d'Asie est un travail en zone dangereuse. Dans ces zones, non seulement les oeuvres mais aussi les vies courent de grands risques. Hier, ce fut le Congo, aujourd'hui c'est le Biafra et, dans les deux cas, quel admirable exemple nos Frères ont su donner ! Donc, nous ne devons pas nous faire illusion : demain ce peut être n'importe quel autre pays africain qui aura à affronter de semblables situations.

Seulement nous devons nous rendre compte que dans ce monde, il n'y a pas que les oeuvres matérielles indestructibles dont on a besoin, mais aussi des structures souples et mobiles où l'on donne la priorité aux personnes et aux actions sur les structures.

 5) Conclusions

 Nous les diviserons en deux groupes ; le premier comprendra quelques énoncés généraux mais pratiques – soit au point de vue de la doctrine, soit de l'application directe – qui aideront, nous en avons l'espoir – au plus grand bien de nos missions, en améliorant :

– leur quantité et leur extension ;

 – leur qualité et leur adaptation.

Le second sera un plan complet à proposer au Chapitre pour qu'il l'étudie et émette son avis. En effet, ce n'est que par une étude sérieuse et collégiale, dans l'Assemblée Capitulaire, que l'on peut déterminer s'il convient de l'adopter ou non, et dans l'affirmative, à quel degré et de quelle façon. En réalité c'est de l'urgence de « faire » un plan qu'il s'agit plutôt que de présenter un plan déjà organisé. L'Assemblée Capitulaire est libre et a le dernier mot sur cette question ; moi, de mon côté, je dois la proposer parce qu'elle me brûle le cœur et que je n'aurais pas de repos si je n'en parlais pas. Je pourrais me contenter tout simplement d'un « micro-appel » à quelques Provinces pour qu'elles envoient quatre ou cinq missionnaires aux endroits les plus nécessiteux : mais se résigner à une formule précaire et a priori pessimiste et pusillanime, ne peut être à la mesure du contenu de cet appel, et moins encore, me semble-t-il, être le résultat d'un document capitulaire sur les missions. Ce document doit être un défi ecclésial, réaliste mais courageux, qui place l'Institut et les Provinces face à leurs vraies responsabilités. Si maintenant ce document reste une chimère, qu'il le reste, mais au moins il sera comme la démonstration que nous n'avons pas eu la générosité de répondre à une obligation indiscutablement authentique, et cela nous aidera en même temps pour arriver à ce que le Chapitre accomplisse son devoir dans la mesure adéquate. 

A. ÉNONCÉS GÉNÉRAUX

 1. – CONCEPT DE MISSION

 Il faut bien préciser d'une manière pratique le concept de mission pour que soit compris l'effort auquel nous faisons appel. D'abord il ne doit pas être confondu avec le travail parmi les pauvres[54].

Par mission, au sens premier, j'entends la prédication de l'Evangile selon notre tâche spécifique, mais avec la souplesse et le travail de suppléance transitoire qui s'avèrent indispensables dans les régions où l'Evangile est inconnu de la façon la plus radicale et la plus primaire, c'est-à-dire, parmi les païens, en travaillant à les préparer au baptême et à la formation de communautés chrétiennes.

En un deuxième sens, plus large, j'entends par mission la prédication du message à des populations récemment évangélisées et converties mais où l'Evangile n'a pas été suffisamment assimilé ni l'Eglise définitivement constituée. L'Afrique Noire presque toute entière se trouve dans cette situation.

Dans un troisième sens, j'entendrai par mission tous ces pays qui, bien qu'évangélisés depuis des siècles par la religion chrétienne – c'est le cas de l'Amérique latine – son en danger imminent de régression, parce que l'accroissement démographique rapide ne peut être contrebalancé par le nombre d'apôtres existants[55]. Dans ces pays-là ce n'est pas le peuple qui ne veut pas être catéchisé, ni recevoir les sacrements, c'est qu'il n'y a personne qui réalise cette tâche. Ceci a porté Houtard à définir l'Amérique Latine du point de vue de son avenir chrétien, comme « pays d'angoisse et d'espérance ».

Dans quelques-uns de ces pays déjà chrétiens, il reste quelques îlots humains plus ou moins importants qui non seulement ne sont pas incorporés à la civilisation, mais qui offrent de plus des caractéristiques nettement païennes[56].

Je sais bien qu'il existe un problème très grave de mission dans des pays que, intentionnellement je n'ai pas voulu inclure dans cette classification, pour ne pas rendre trop confus le concept de mission. Je veux parler de ces pays de tradition catholique et qui se trouvent aujourd'hui en voie de paganisation ou d'apostasie des masses. Nous connaissons tous la gravité de cette situation et nous savons que, dans certains cas, la conversion de ceux qui n'ont jamais en la foi est plus facile que la conversion de ceux qui l'ont eue et qui l'ont perdue. Ces pays se distinguent des autres en ce que :

– ils ont été évangélisées et ils comptent peut-être des siècles de foi chrétienne ;

– l'Eglise y est présente et parfaitement constituée ;

– le message est prêché, mais le message n'est pas reçu parce qu'on ne veut pas le recevoir.

Ce n'est pas ici le lieu d'analyser ce problème très grave. Qu'une petite réflexion me soit permise pourtant : certaines adaptations du message évangélique à la situation du monde d'aujourd'hui, ne sont-elles pas faites de façon si honteuse que, au lieu d'attirer à l'Eglise ceux qui vivent hors d'elle, elles éloignent d'elle ceux qui vivent au-dedans ?

 2. – TRAVAIL MISSIONNAIRE COMPLEXE

 Le travail missionnaire, hier pénible mais simple est devenu complexe aujourd'hui et requiert une longue préparation, une bonne planification, pas bureaucratique mais fonctionnelle[57]et surtout la suppression des contre-témoignages de l'évangélisation. Citons-en quelques-uns :

– L'inertie et jusqu'à l'opposition de quelques missionnaires à l'intégration sous le signe de la charité et de la fraternité chrétiennes, des classes sociales, des races et des cultures ;

– La connivence possible de certains missionnaires avec la classe privilégiée des explorateurs. Le colonialisme favorisé sous n'importe quelle forme[58];

– La négligence, que l'on a mise dans les pays qui ne sont pas encore arrivés à leur indépendance, à préparer des autochtones pour les postes de gouvernement.

Tous ces faits hier inconnus sont aujourd'hui vivement ressentis et ce serait une grave erreur et un contre-témoignage pour l'Evangile de ne pas s'en rendre compte ; cela aurait des conséquences très graves pour l'Eglise par rapport au jugement que la postérité pourrait émettre sur son attitude – et cela sans considérer l'aspect moral du problème, puisque ce qui est humain, à plus forte raison est anti-chrétien.

Il y aurait beaucoup à dire sur l'adaptation et la qualification missionnaires, mais je suis obligé de le taire ; j'attends que le document capitulaires sur les missions en parle.

 3. – PROMOTION DES MISSIONNAIRES AUTOCHTONES.

 Pourquoi devrions-nous unir le concept de missionnaire à celui d'étranger ? Sont missionnaires aussi bien ceux qui viennent de l'étranger que les autochtones. Plus encore, si la christianisation d'un pays est arrivée à un certain niveau, les vocations missionnaires doivent y être recherchées et cultivées ; s'il n'a pas atteint ce niveau, il ne convient pas de brûler les étapes en fabriquant des pseudo-missionnaires : ce serait un désastre et une dépréciation qui compromettraient l'action missionnaire de l'avenir[59].

 4. – DIRECTION DES ŒUVRES

 Un des problèmes soulevés, lorsque dans un même pays il y a des missionnaires de nations différentes, est l'accès à la direction des œuvres – provinces, districts, maisons -. Voici quelques directives qui pourraient servir pour la solution. Dans le cas où il y aurait parité de titres, de capacité, etc. entre missionnaires, le gouvernement doit revenir aux autochtones. C'est une manière de respecter la nation, où nos Frères travaillent[60]. Mais en attendant que cette parité soit atteinte, les charges seront exercées par ceux qui sont les plus capables, soit autochtones, soit étrangers.

Dans ce cas, deux extrêmes sont à éviter : croire avec trop de facilité que les Frères du pays sont inaptes à gouverner, ou croire au contraire, qu'ils doivent, coûte que coûte, occuper les charges même s'ils sont insuffisamment préparés et donc, courent le risque d'un échec, du discrédit et de ses conséquences pour la bonne marche de l'œuvre.

Une mesure urgente à prendre concerne la préparation des Frères autochtones, qui doit être excellente et à la hauteur des tâches auxquelles ils seront destinés dans la suite pour les postes de gouvernement : supérieurs provinciaux ou locaux. La meilleure formation religieuse leur serait donnée soit à Jesus Magister[61], soit à l'année de spiritualité, formation indispensable pour une orientation spécifiquement mariste – en raison de l'adaptation souple en fonction du milieu et pour l'affermissement religieux et apostolique qui doivent être maintenus et développés dans les maisons qu'ils dirigeront[62]. Il y a des endroits où les Frères du pays sont encore très jeunes. Si on prolonge leur temps de formation pour attendre la maturité et la compétence, ils ne doivent pas y voir des tactiques dilatoires, mais un procédé normal de jugement et de bon sens, tout à leur avantage.

 5. – RELATION ENTRE MISSIONNAIRES

 Le problème est celui des rapports entre les autochtones et les étrangers. Je vous dirai, en passant, que chez nous, ce problème a trouvé presque partout une bonne solution. J'ai pu m'en rendre compte en visitant dernièrement treize pays africains. J'ai été témoin, en certains lieux, non seulement d'une parfaite intégration, mais encore d'une charité fraternelle et d'une joie communautaire dignes d'être imitées par beaucoup d'autres communautés. Si, par-ci par-là, il y a eu quelques accrocs, on ne doit pas les imputer à l'ensemble des étrangers ou des autochtones, mais seulement à quelques-uns.

Eh bien, en face de ce problème on s'est par-fois demandé : Ne vaudrait-il pas mieux fonder des congrégations de Frères enseignants autochtones et les aider à se tirer d'affaire et à se développer, plutôt que d'essayer l'intégration de deux classes de missionnaires appartenant à deux civilisations si différentes ? Je vous ai déjà manifesté mon opinion là-dessus, mais il me semble convenable d'y revenir, puisque la question a été posée au Chapitre.

Les deux formules – celle de la fondation de Frères enseignants autochtones et celle de l'intégration des autochtones et des étrangers présentent des avantages et des inconvénients. Au point de vue pratique :

a) On ne peut pas admettre l'idée de la fondation d'Instituts de Frères autochtones pour le seul motif des difficultés de la vie communautaire entre étrangers et autochtones. Ce serait non seulement une forme d'évasion démontrant combien est faible notre charité envers tous nos Frères, mais aussi une preuve de notre incapacité d'adaptation. Or, sans ces vertus, ce n'est pas seulement la vie communautaire qui risque de périr, mais toute l'action apostolique et la nature même des oeuvres de nos Frères missionnaires dans les divers pays du monde.

b) Au contraire, s'il y avait quelque part un Frère mariste mû par le Saint-Esprit et non par un désir d'évasion, qui voulût fonder une Congrégation autochtone, nous ne devrions pas nous y opposer, à condition que cette impulsion offrît assez de garanties quant au sérieux, et quant à l'authenticité de l'inspiration divine.

c) Les Frères qui vont dans un pays de mission doivent faire tous leurs efforts en vue d'une adaptation sincère et loyale. Et ceci n'est possible qu'en laissant de côté – au moins quant aux manifestations extérieures une bonne partie de leur « ethnos », de leur civilisation nationale, pour adopter celle du pays où ils sont en train de vivre. Lisez à ce propos les livres du P. Voillaume, spécialement « Au cœur des masses ». Elles pourront beaucoup vous aider à élaborer une mystique de l'adaptation inspirée par l'amour.

Un premier pas vers cette adaptation consistera à se dépouiller d'une façon trop personnelle de voir les choses, lorsqu'il s'agit de juger de la valeur des éléments typiques d'un autre pays, d'apprécier la psychologie des gens et leur culture. Il faut y croire, les aimer et, dans la mesure du possible, se les assimiler et arriver à s'y trouver à l'aise.

Au contraire, ne parler que des événements politiques, sociaux, culturels et sportifs du pays d'origine c'est les obliger à vivre comme des étrangers, dans leur propre pays en les décourageant dans leur vocation. Lorsque la plupart des missionnaires ne sont pas du pays, il est presque inévitable que cela y arrive, mais il faut que l'amour les porte à une adaptation toujours plus grande, surtout lorsque le nombre de vocations du pays augmente, et que le temps de résidence dans le pays se prolonge.

Finalement il ne faut pas oublier que la capacité d'adaptation de la nature humaine a des limites. C'est inévitable. La nourriture locale est un des exemples les plus typiques. Dans ces cas, la compréhension mutuelle, l'acceptation et l'amour réciproque doivent régler la façon de vivre.

 7. – SECTEURS DE TRAVAIL

 Ils sont incroyablement variés : nous ne pouvons nous attarder ni à les expliquer ni à les apprécier ici. J'en exposerai seulement quelques-uns. La plupart des travaux apostoliques sont déjà pratiqués par les Frères, quoique certains à niveau réduit : les autres, ou sont pratiqués par des Congrégations semblables à la nôtre, et donc nous pouvons, nous aussi, les pratiquer, ou nous sont expressément demandés par les Evêques :

a) Des écoles de « cadres » sociaux, professionnels et dirigeants. Dans ces centres, le simple académisme doit être complètement banni. Par ailleurs, les conséquences pastorales très importantes qu'exige ce genre d'écoles ne sont prévisibles que dans un délai de quinze à vingt ans, surtout en Afrique.

b) Appui à la culture et développement des mouvements de jeunesse. Quelques Frères qui travaillent en équipe avec les aumôniers nationaux de ces mouvements pourraient faire un travail qui donnerait des fruits magnifiques pour l'Eglise.

c) Education de base atteignant normalement, grâce aux moyens de communication sociale et aux méthodes de multiplication de l'efficacité du personnel religieux, de grandes zones d'action humai-ne et géographique, sans qu'on ait besoin d'y employer un personnel religieux nombreux.

d) Dévouement exclusif et permanent de quelques Frères qui doivent être spécialement préparés pour travailler en équipe et chargés de diriger la pastorale catéchétique d'un diocèse ou d'une nation.

e) Charge et direction des écoles normales officielles. Dans quelques pays on désire confier exclusivement aux Frères la direction des écoles normales de l'Etat.

f) Des écoles de catéchistes pour les centres religieux de la brousse. L'influence que l'on peut exercer dans cette espèce d’œuvres, est incalculable. Ce sont les indigènes eux-mêmes qui doivent être des maîtres dans les écoles religieuses du diocèse, jointes aux centres missionnaires. Le plus souvent, ce sont eux qui animent et maintiennent le feu de la ferveur et la pratique religieuse dans les communautés chrétiennes de la brousse, dans des centres qui, parfois au nombre de dix à vingt, sont confiés à un seul prêtre. Celui-ci de temps en temps visite le centre, mais la catéchèse, la célébration de la parole et la direction de la prière communautaire sont normalement con-fiées au catéchiste.

Il y a des Frères très capables et qui, de toute leur âme, s'adonnent à ce travail. J'ai reçu dernièrement d'un Frère, un plan de catéchèse biblique précieux et remarquable, christocentrique et ecclésiologique admirablement ordonné autour du Mystère pascal. J'ai eu l'occasion de voir ce Frère durant mon voyage en Afrique ; j'ai pu admirer son zèle et sa donation à sa mission.

g) Création d'écoles pour des jeunes qui se consacrent au service social. Pendant une visite à un centre dirigé par les PP. Jésuites pour la formation de futurs assistants sociaux, un Frère me demandait si ce genre d’œuvres ferait partie de notre l'in spécifique. Ma réponse fut la suivante. Nous Illettré, nous, à faire du service social – visites à domicile, assistance, etc. … n'entre pas, je crois, dans notre fin spécifique ; mais en former d'autres qui le fassent : certainement que oui. Si nous formons celui qui doit tenir la comptabilité d'un commerce ou la direction d'une compagnie de construction, par exemple, pourquoi ne pourrions-nous pas former des hommes qui doivent remplir une mission plus noble ?

h) Présence dans des Ministères d'Education, que le terme soit pris dans son sens ordinaire de Centre officiel de l'Etat, ou bien dans le sens particulier d'organisme officiel d'Evêché. Il y a des pays où cela nous a été demandé.

i) Travail dans les écoles de l'Etat, soit comme professeurs soit comme catéchistes. Nous savons qu'il y a des endroits où la religion est chaleureusement accueillie par les élèves.

Nous pourrions citer d'autres exemples : que ceux-là suffisent. Seulement une recommandation et une suggestion dont le temps se chargera de montrer si elles étaient fondées : ne multiplions, ni ne dispersons inutilement nos forces dans le souci infantile de vouloir tout faire : nos moyens sont limités et les besoins infinis. A des esprits inquiets ou à des esprits généreux peut venir la tentation de l'essai et de l'expansion sans frein. Une conférence épiscopale nous a même invités, et cela malgré les nécessités urgentes du diocèse et alors que l'activité des Frères était connue, à nous méfier de ce danger. Cette dispersion menace la qualité du témoignage, du travail et même de la condition religieuse de ceux qui s'y livrent. Au lieu de multiplier les collèges, disent-ils, il est préférable de renforcer ceux qui existent déjà avec du personnel nouveau. C'est là un sage conseil ![63].

Laissant de côté le premier point de ces conclusions que j'ai rassemblées sous le titre de « Enoncés généraux », et avant d'entrer dans l'étude du deuxième et dernier point qui consiste à proposer un plan missionnaire, je veux faire une réflexion intermédiaire. Il s'agit de nous protéger contre une procédure des Conférences Episcopales, en adoptant, de notre côté une certaine politique.

J'évoque ici une position qui consisterait à rester, dans nos fondations et dans nos oeuvres missionnaires plus ou moins à la merci des demandes de quelques évêques qui, par suite de circonstances diverses ont plus de relations avec nous, et nous demandent et obtiennent une fondation pour leurs besoins locaux, sans qu'ils voient et sans que nous voyions non plus si cette fondation est réellement opportune et doit avoir priorité dans le plan des besoins du pays.

Un pas de plus. Il serait convenable de proposer et d'obtenir des Conférences Episcopales la politique suivante : ces Conférences pourraient nous indiquer les lignes essentielles de la pastorale d'éducation, en même temps que les lieux et les manières de prêter nos services. Un tel plan d'exigences, toujours dans un ordre de priorité, serait étudié par nous, afin de voir le degré d'objectivité et de réelle opportunité qu'il renferme. Une fois vérifié l'intérêt de ces objectifs, nous nous met-trions, à la disposition de ce plan, d'après notre vocation spécifique, et dans la limite de nos possibilités réelles.

Dans l'ordre pratique, nous demanderions aux Conférences Episcopales de nous aider devant les évêques qui aident le « tiers-monde » tels que les Allemands, les Hollandais, les Belges, etc. … afin d'obtenir des subsides pour réaliser nos projets, en indiquant qu'il s'agit d'aider une Congrégation qui se trouve en totale disponibilité pour suivre les chemins et les objectifs que les Conférences Episcopales considèrent prioritaires, et qu'une analyse des réalités, a démontré être les plus importants.

En proposant ce qui précède, je me rends bien compte que, pour beaucoup d'endroits, c'est, pour le moment, impraticable. Cela veut dire que, ou l'épiscopat n'est pas préparé, ou nous ne le sommes pas nous-mêmes. Par conséquent, nous devons être réalistes et nous contenter des matières les plus spontanées et les moins exigeantes dans notre tâche. Tout de même, c'est un fait que dans plusieurs endroits où nous avons transmis cette idée aux évêques, ceux-ci ont répondu avec un véritable enthousiasme, comprenant que c'est la manière la plus normale et la plus raisonnable d'agir. Insistant sur cette idée, nous avons déjà lu la déclaration de quelques Conférences Episcopales qui nous communiquent leurs priorités et leurs urgences. Avec le temps, on verra que cette idée est possible, et on ne comprendra même pas qu'on ait pu faire autrement. Mais, pour cela, bien des an-nées doivent passer encore. 

B. UN PLAN DE MISSIONS

 La première partie de ce plan a été déjà réalisée. D'accord avec le Conseil Général on a invité un certain nombre de Frères Capitulants à visiter les missions. Faute de temps, quelques-uns seule-ment des objectifs ont été réalisés. Mais enfin à partir de ce point de départ, je vous propose trois étapes pour ce plan, avec leurs divisions logiques, qui devront ensuite être déterminées :

1. – Une réflexion capitulaire en profondeur  dans l'Assemblée transformée en Commission Générale pour savoir s'il convient ou non d'envoyer aux Frères une lettre où l'on exposerait les sentiments et la position de l'Assemblée Capitulaire à propos de l'orientation qu'elle veut donner à l'Institut en ce qui concerne l'attention aux pauvres et le travail dans les missions. Une telle lettre n'aurait rien de concret, je veux dire, aucun engagement sur tel ou tel point dé-terminé, car il ne serait pas raisonnable de commencer la recherche d'un plan s'il était déjà prédéterminé et si l'on avait déjà établi des normes concrètes. Par conséquent, dans cette lettre, on ne ferait que traduire les manifestations de la sensibilité capitulaire et la volonté de l'Institut de chercher les moyens appropriés pour réaliser les nobles aspirations missionnaires ainsi manifestées. Cette lettre constituerait le point de départ du plan missionnaire, et, quoique non indispensable, elle serait une assez bonne solution, puisque d'une manière générale, elle obligerait l'Assemblée Capitulaire à s'engager, à ne point en rester aux exposés doctrinaux, mais à travailler activement les prochaines années, à la réalisation d'un plan concret qui pourrait satisfaire l'attente de beaucoup de Frères, et dont les lignes générales seraient tracées par le Chapitre.

Si la «Commission Générale » juge opportune cette lettre, elle sera rédigée, puis discutée, amendée et approuvée en Assemblée plénière. Il pour-rait arriver aussi que les Capitulants en grande majorité, ne jugent pas opportune cette lettre, et préfèrent passer directement à l'élaboration du plan[64].

Avec ou sans cette lettre, on envisagerait le plan.

2. – L'esquisse d'un plan d'accroissement, d'organisme et d'expansion missionnaire au niveau de l'Institut serait peut-être le plus beau de tous les fruits que peut offrir le Chapitre de Collégialité auquel nous appelle le Concile. Il ne s'agit pas en effet de passer d'un centralisme si l'on me permet l'expression – à une dispersion de Provinces qui orienteraient leur vie interne, même collégiale, sans tenir compte de la marche de l'Institut et des conséquences que leur collaboration peut avoir pour les autres Provinces nécessiteuses. ou pour toute la Congrégation. Le Supérieur. Général et son Conseil ne seraient pas les uniques responsables de la poussée missionnaire. L'Assemblée Capitulaire moyennant l'étude et l'approbation d'un plan auquel tous auraient participé d'une manière ou d'une autre demeurerait engagée dans son exécution. On pourra objecter que semblable tâche déborde les possibilités actuelles de la Commission réduite des Missions qui déjà nous a fourni un riche document sur feuilles roses. Je sais bien qu'une Commission chargée de la rédaction d'un document doctrinal est une chose et que c'en est une autre très différente d'élaborer un plan pratique pour réalisation immédiate.

Entre les deux solutions : laisser à la seule commission la tâche difficile qui la déborde ou renoncer à l'élaboration d'un plan, avec les préjudices qui s'en suivent pour le mouvement missionnaire, il existe une voie intermédiaire qui, avec un peu de générosité et d'efforts peut s'ouvrir au sein du Chapitre : augmenter la Commission des Missions.

• de quelques Frères Provinciaux, les plus enthousiastes et qui désirent aider,

• d'un certain nombre des quarante-huit Frères qui accédant à notre invitation ont visité divers pays de mission,

• des membres du Conseil Général qui for-ment la commission des missions.

Avec cette augmentation de personnel, l'élaboration d'un plan serait réalisable. Et s'il est certain qu'il ne répondrait pas à la rigueur d'un plan technique, du moins, il nous donnerait une présentation raisonnable et organique de notre activité missionnaire, dans une action d'ensemble.

Ce plan produirait beaucoup, ne fût-ce que comme force de motivation et d'engagement de tout l'Institut. Je suis sûr d'ailleurs que ses résultats iront plus loin ; en dernière instance, et soit dit en passant pour ceux qui sont portés au pessimisme, ce sera toujours plus efficace que de ne rien faire.

Comme je pense que les feuilles roses laissent entrevoir déjà des suggestions suffisantes au sujet des lignes et des points généraux d'un plan missionnaire, je ne crois pas nécessaire ici d'entrer dans plus de détails. Je me contenterai seulement de quelques suggestions.

Les sources d'information seraient, en plus des documents communs, les informations du Conseil Général et des Capitulants, qui ont visité les zones de missions et de ceux qui travaillent dans ces zones.

A tout ceci il faudrait ajouter une série de lettres d'Evêques qui nous donnent leurs points de vue et qui nous font des offres concrètes pour notre action missionnaire. Compte tenu de nos possibilités, il convient de penser à donner des orientations concrètes sur une série de points :

• La convenance de certaines maisons de formation de missionnaires dans le genre de ce que fut l’œuvre « St-François-Xavier ».

• Les moyens indiqués pour éveiller l'idéal missionnaire et susciter des vocations pour les missions, dans les diverses Provinces.

• Les pays et régions auxquels il conviendrait de prêter renfort ; les pays nouveaux où il faudrait s'introduire.

• Le modèle de formation réellement adaptée aux missions et sa réalisation dans tel ou tel centre.

Il est très important que ce plan soit suffisamment large pour coordonner et rendre dynamique, mais sans pression sur les Provinces, Districts ou régions de mission. Et tout cela combiné de façon à pouvoir aboutir à quelque chose d'efficace et de réaliste.

Ce plan aurait une place intermédiaire entre le Document Capitulaire sur les missions et les plans provinciaux et les actions missionnaires dont nous parlerons plus tard.

3. – Des plans concrets de réalisation ou de collaboration missionnaire au niveau des provin-ces et des districts.

Le plan général qu'on peut tracer pour tout l'Institut sera toujours un plan idéal ; cela ne veut pas dire qu'il soit irréalisable, mais qu'on ne peut pas arriver, avec un tel programme, à passer de la théorie à la pratique. Il faut, pour cela assurer la collaboration de chaque Province et de chaque District. Sans cette coopération, nous aurons un « fantôme » de plan, dont les résultats définitifs ne seraient qu'une caricature de ce qu'on serait en droit d'attendre d'un programme général bien établi.

Celui-ci ne peut pas dépendre de la collaboration imprévisible, variable et plus ou moins fortuite des Provinces et des Districts. S'il était destiné à ne devenir qu'une somme d'actions et d'efforts sans liaison interne et venant comme au hasard, ce ne serait plus un plan. Ce plan doit être appuyé de projets locaux et de participations concrètes. Il doit embrasser un grand nombre de programmes qui en dérivent et qui le complètent.

Ces programmes provinciaux devraient être libres. Rien, en effet, ne me semble pouvoir donner un meilleur rendement qu'un système né de la motivation et de la liberté de chaque Province. Etre libre n'a jamais signifié absence de planification et d'engagement.

Que chaque Province donc, après un examen de ses possibilités réelles, trace généreusement son plan et s'engage à le suivre.  

C. COMMENT POURRAIT

ETRE ETABLI

LE PLAN PROVINCIAL

 Son point de départ serait une obéissance libre et motivée. D'autre part, il n'est point de plan qui ne présuppose une prise de conscience de la valeur des objectifs qu'il présente et un minimum d'enthousiasme. C'est dire qu'il a besoin d'une mystique. Le plan est le résultat du travail d'une volonté qui organise son action pour réaliser ce qu'elle se propose.

Dans le schéma de collégialité qui attirera de plus en plus les Provinces et dont les chapitres provinciaux seront l'émanation possible, il ne suffira pas que le Frère Provincial soit un enthousiaste des missions, il est nécessaire que cet enthousiasme soit communiqué à sa Province en créant un climat qui favorisera l'éclosion et la révélation des « volontaires missionnaires latents », et par ailleurs la volonté collective de la Province d'accepter les sacrifices nécessaires et raisonnables qui seront demandés[65].

Le Chapitre provincial inclura le programme d'aide missionnaire dans le plan général et en harmonie avec les autres aspects de la Province.

Afin de trouver une mesure mieux adaptée dans l'aide missionnaire à fournir, le Conseiller spécialisé chargé des missions, pourrait faire ce qui suit :

a) Envoyer au chapitre provincial une documentation précise exposant les besoins, les possibilités et les priorités des pays indiqués dans le plan général déterminé par le Chapitre Général. Il pourrait arriver que le Supérieur Général seul ou appuyé par son Conseil proposât à un chapitre provincial, d'étudier devant Dieu si la Province pourrait ou non accepter un effort missionnaire déterminé, collaborer ou même assumer la responsabilité d'un territoire.

b) Envoyer un « aperçu » missionnaire de la Province qui tient son chapitre, pour une étude comparative avec toutes les Provinces, ou quelques-unes, sur ce qui a été fait pour les missions. Ce document l'aiderait à voir et à confronter avec les autres ce qui est proposé et, compte tenu du réel et du possible, elle pourrait décider objectivement comment mieux répondre aux appels de l'Eglise dans son dynamisme d'expansion et d'annonce du salut à tous les hommes.

On pourra ainsi obtenir pour chaque Province un plan basé sur :

– la liberté

– la réalité

– la générosité

– l'efficacité d'une bonne coordination des efforts dans tout l'Institut.

Ce programme deviendrait un engagement assez souple pour admettre de l'imprévu, mais aussi sérieux et généreux. Il pourrait être envoyé à la Commission des Missions formée au sein du Conseil Général. Celle-ci en tirerait le meilleur parti en l'incorporant au plan général des Missions.

Voilà à quoi je vous invite. C'est au Chapitre et aux Provinces, en nous donnant une réponse, à se prononcer sur notre prudence ou notre man-que de prudence en cette occasion. 

D. UN PROBLEME CONCRET :

LES VOCATIONS MISSIONNAIRES

– DIFFICULTES

 Le point de départ sans lequel on ne peut pas parler et moins encore attendre une aide d'une Province, c'est que si, dans une Province, il y a une vraie vocation missionnaire, celle-ci doit aller aux missions, quelle que soit la conséquence pour le cadre de la Province. Je dis bien : vraie vocation, autant qu'un examen sérieux et loyal puisse le déterminer. Dans le cas supposé d'opposition du Frère Provincial, le Frère en question aurait le droit de recourir au Frère Supérieur Général qui, s'il vérifie l'authenticité de la vocation disposerait du Frère pour les missions. D'abord cette façon d'agir n'excède pas les pouvoirs et les droits assignés au Supérieur Général par le Chapitre Général ; et d'autre part elle a son fondement juridique dans le sens théologique et charismatique à un ni-veau beaucoup plus profond que dans le premier.

Il est important de développer ce point pour qu'il reste suffisamment clair et précis. Les principes suivants serviront à résoudre les cas qui peu-vent se présenter, spécialement quand les points de vue sont très discordants et surtout dans le cas d'un véritable « recours » d'un Frère qui veut coûte que coûte aller dans les missions. 

E. PRINCIPE DU CHARISME

MISSIONNAIRE

 1. – RESPECT INTÉGRAL DES VRAIES VOCATIONS.

 Partons du charisme missionnaire dans un sens générique applicable à toute l'Eglise, et par conséquent à tout chrétien. Il faut tenir compte que l'Esprit-Saint suscite des hommes et des Institutions spécifiquement doués d'une impulsion missionnaire à un degré que l'on ne peut ni faire taire ni méconnaître. Il peut très bien se faire qu'une Province ait déjà des oeuvres missionnaires dans son propre territoire, et que quelques-uns de ses membres soient cependant poussés par l'Esprit à une vocation missionnaire de la catégorie que j'ai appelée ci-dessus première. Que l'attention aux oeuvres missionnaires déjà commencées dans le pays même, quand celui-ci est déjà chrétien, ne pousse pas le Frère Provincial ou le Chapitre provincial à l'erreur de fermer la porte aux vocations missionnaires, dans le premier sens du terme, que l'Esprit-Saint pourrait susciter dans sa propre Province.

 2. – THÉOLOGIE DE L'OBÉISSANCE.

 Il importe de préciser le principe de l'orientation théologique de l'obéissance, et plus encore de l'obéissance religieuse. Celle-ci n'est pas un engagement que je prends avec une association ou avec un homme pour un objectif déterminé. Il s'agit d'un vœu qui, dans son essence la plus intime est une volonté permanente, irréversible et conséquente avec elle-même de chercher la volonté de Dieu, en prenant appui sur la volonté du Supérieur.

La contrepartie c'est que le Supérieur à son tour, a l'obligation de chercher loyalement, si pénible que la chose puisse être pour lui, à me diriger vers la volonté de Dieu, en respectant ma dignité de fils de Dieu et de personne humaine. Si dans un cas déterminé je me rends compte que le Supérieur me dirige dans un sens (surtout de façon stable) qui n'est pas celui de la volonté de Dieu, je dois l'aider moyennant un dialogue sincère. Je dois tenir compte que, de la même façon qu'il peut se tromper en me dirigeant vers des chemins que le Seigneur ne veut pas, moi aussi je puis être dans l'illusion et me diriger en opposition à la volonté de Dieu. Ceci doit nie porter à être prudent et à purifier mon cœur quand le désaccord s'établira. Mais si je crois que mon point de vue est fondé ou qu'il y a des doutes sérieux à ce sujet, j'ai tout à fait le droit de recourir aux Supérieurs Majeurs. Cette démarche accomplie, si le Supérieur Majeur voit que réellement la volonté de Dieu veut quel-que chose de ce religieux et que, même en toute bonne foi, le Supérieur immédiat est en train de faire obstacle à la volonté de Dieu, il a l'obligation de prendre la direction des événements en faisant droit au religieux et en lui donnant le feu vert pour qu'il se dirige là où la volonté de Dieu l'appelle.

Dans cette décision le Frère qui a fait le recours ne doit pas voir un triomphe, ni le Supérieur immédiat une défaite, mais tout simplement une mise au point dans la médiation de l'obéissance et du commandement qui retrouvent leur mesure, leur sens et leur grandeur : rechercher en s'y mettant tous ensemble ,la volonté de Dieu. En dehors de ce contexte théologique, l'obéissance religieuse serait une dépersonnalisation et quelque chose d'inacceptable et d'incompatible avec la condition humaine.

Si l'on applique ce schéma au cas d'une vocation missionnaire réelle qui surgit dans une Provin-ce et qui est empêchée par le Supérieur immédiat, on comprend comment un Supérieur Général, non seulement peut mais doit rendre libre une voie où l'Esprit pousse et où l'Eglise appelle, sous peine de détourner l'ordre de l'obéissance de sa vraie nature.

 3. – RÉALISME ET AUTHENTICITÉ.

 Que l'on se rappelle qu'il est question de vocation, de volonté de Dieu, de charisme ; c'est-à-dire de quelque chose de sérieux et de profond ; concrètement, de vocation missionnaire. Or, il peut arriver qu'un Frère sente une irrésistible vocation pour les missions à l'occasion d'un désaccord, d'un échec, d'une frustration comme seraient, par exemple, un choc avec un Supérieur, une mésentente avec les Frères, une inadaptation de tempérament… Si antérieurement il n'avait pas senti l'appel missionnaire, il y a bien des chances que ce qu'il sent soit peu fondé. Si par contre, le désir qui vient de se ranimer est quelque chose qui existe depuis longtemps dans sa vie et qu'il l'a senti en dehors de ces moments que nous pourrions appeler moments ou situations négatives de la personne, il peut s'agir d'une vraie vocation missionnaire. Pourtant, sauf exceptions, et ce sera la politique que nous suivrons, il ne convient pas de donner cours à cet idéal missionnaire dans ces moments de crise, ou de difficulté personnelle. En premier lieu, il faut éviter des erreurs que chacun peut faire sur soi, et délivrer les missions d'hommes-problèmes, afin que les missions ne soient pas un recours à l'évasion, et que, s'il y a vocation missionnaire authentique, celle-ci ait la purification et l'authenticité suffisantes dans sa motivation et son point de départ.

Cela évite que l'on veuille appliquer facilement et égoïstement le schéma de pensée ci-dessus développé à des cas passagers et flous, ou encore que l'on veuille étendre le concept de vocation à des possibilités et préférences de la personne humaine qui n'ont jamais été reconnues théologiquement comme vocations ni comme charismes. Que cette brève indication suffise ici car il ne s'agit pas de faire un exposé sur l'obéissance, mais d'éviter un malentendu.

J'ai parlé d'authenticité. Venons-en maintenant au principe d'un sain réalisme. Si une Province fait des plans, il est évident que la perte d'un homme, surtout d'un homme de valeur non seulement posera de vrais problèmes, mais pourra compromettre les plans eux-mêmes.

La requête du futur missionnaire qui s'adresse au Supérieur Majeur, la décision de celui-ci, de-mandent du temps et de la patience ; c'est normal.

Il y a des occasions où il serait désirable que la Province pût céder le Frère dès la fin de l'année académique ; dans d'autres cas, pas toujours cependant, la cession se fera comme on va dire. Il est convenable d'abord de peser les inconvénients pour établir un rythme d'attente d'un an, deux au plus, avant la cession définitive du Frère. Chaque cas concret doit être examiné, après quoi on fixe les normes à suivre. J'expose ici seulement les principes d'une politique générale qui pourra servir de base au plan, dans un de ses aspects les plus importants et les plus difficiles : lorsqu'une Province cède certains de ses membres aux missions.

Pour terminer, disons qu'an Frère Provincial doit aux missions comme minimum   minimum précaire toutes les vocations missionnaires authentiques qui se manifestent dans sa Province. L'idéal serait que lui-même devînt le cœur, le centre vivant qui anime toute la vie missionnaire de sa Province. Il en coûte de se séparer de Frères, souvent les meilleurs, mais notre générosité peut-elle être moindre que celle des parents ? Lorsque Notre-Seigneur demande à une famille un fils pour les missions, c'est un renoncement qui vaut une vie[66]. Il serait honteux pour nous, hommes consacrés, d'être plus attachés aux hommes que les laïcs parce qu'il s'agirait de personnes les plus chères ou les plus nécessaires. C'est pour cela qu'un Frère Provincial, lorsqu'il distribue son personnel, doit le faire non seulement en pensant que la maladie, la mort, l'infidélité des sujets peuvent visiter sa Province, mais encore que l'appel de l'Esprit-Saint peut lui demander quelques Frères pour les missions[67]. Enfin, si un temps d'attente devient nécessaire, pour préciser quelle sera sa durée, il faut examiner sans doute la situation de la Province mais aussi celle de la mission qui attend « son homme » et qui est peut-être dans un cas beaucoup plus grave et plus angoissant que celui créé par le départ du Frère. Le Concile, sur ce point, est très exigeant. C'est naturel, il s'agit du sens de la collégialité par lequel chaque partie vit et supporte en coopération avec les autres, les besoins de tout le corps.

 VII. – UNE MARIOLOGIE RENOUVELEE

 Cet appel du Concile – c'est bien comme un appel qu'il doit être entendu par les Catholiques et surtout par les congrégations mariales présente, dans le contexte conciliaire un double aspect : de doctrine et de dévotion. Tous les deux nous concernent grandement. Il s'agit en effet de la présentation de la personne de Marie, de la doctrine de l'Eglise sur elle, et de la formation à la piété mariale de tout le peuple chrétien, ce qui signifie pratiquement pour nous : élèves, anciens élèves, etc. …

Il y a donc là la réponse à un vrai malaise que l'on trouve chez bon nombre de Frères. Moi-même je suis témoin d'un revirement d'attitudes, quand je compare ce qui existe aujourd'hui et la ferveur et la conviction avec lesquelles tous les samedis presque tous les Frères faisaient le catéchisme marial, il y a quelques années[68]. Actuellement en effet l'enthousiasme des Frères et peut-être plus encore la réponse des enfants ont beau-coup baissé[69]. Evidemment je parle en général, et d'avance je suis prêt à reconnaître que cette affirmation peut être absolument fausse dans tel ou tel secteur que je ne connais pas.

Pas mal de Frères sentent eux-mêmes une espèce de malaise dans leur vie mariale. A mon avis, il y a là un paradoxe : on en arriverait à se de-mander si des âmes spécifiquement appelées à l'apostolat marial et si un Institut comme le nôtre ont encore un sens aujourd'hui et s'il leur reste quelque travail à faire dans l'Eglise post-conciliaire.

Eh bien, le Concile n'a pas du tout enlevé à Marie sa place et sa grandeur, il n'a pas mésestimé l'amour dont le peuple chrétien a toujours fait preuve envers Marie. Au contraire, le message qu'il a lancé est un appel à la purification et à l'authenticité de cette dévotion ; il a confirmé de son autorité (dans un document synthétique et sobre, si l'on veut, mais sérieux et d'une grande valeur) toute la grandeur de Marie, et l'essence et la richesse de notre dévotion à la Mère de Dieu.

M.-M. Philippon commente ainsi le document conciliaire :

« Le mystère ecclésial, dans Vatican II, s'achève par une incomparable synthèse du mystère ma-rial, dans la plus pure ligne de son développement intérieur, "comme son sommet et son couronne-ment", selon les propres paroles et le désir personnel de Paul VI. C'est la première fois, notait le Saint-Père dans son discours de clôture de la troisième session, qu'un Concile œcuménique "présente une synthèse si vaste de la doctrine catholique sur la place qu'occupe Marie dans le mystère du Christ et de l'Eglise’’.»

« Vatican II a su faire passer le mystère marial du plan dévotionnel à celui de l'histoire du salut. Il se déroule, comme le mystère du Christ, auquel il demeure indissociablement associé, sous les vas-tes horizons de la rédemption du monde, relié à toute l'économie du salut. Jamais le regard de l'Eglise sur le mystère de Marie n'avait atteint une telle ampleur. Tous les développements de la théologie mariale de l'avenir trouveront leur place organique dans cette vue de sagesse et de synthèse de Vatican II »[70].

 C'est à la lumière de cette synthèse doctrinale que nous devons établir la ligne à suivre et le rôle que dorénavant aura notre Institut. Or, à cet égard, il me semble qu'il faut réaffirmer que nous avons une fonction spécifiquement mariale, et qu'elle nous impose un recyclage.

Nous y reviendrons, car c'est là un sujet qui nous est bien cher ; il est en quelque sorte l'âme de l'Institut, il lui donne son esprit et justifie son but.

 VIII. – IMPORTANCE MAJEURE ET PROMOTION DU LAICAT DANS LE PEUPLE DE DIEU.

 1. – Rôle des Laïcs

 Autre aspect nouveau du Concile : la prise de conscience du rôle des laïcs dans le Peuple de Dieu. Nous voyons là l'aboutissement d'un plan dont les premières lignes furent tracées, pour ainsi dire, au temps de Pie XI, lorsque apparut l'Action Catholique ; comme les Instituts religieux dans l'Eglise, le laïcat s'est frayé un chemin plutôt par les faits mêmes et les circonstances de la vie qu'à partir de théories. C'est le Concile d'abord, puis les Congrès des Laïcs, qui ont donné à ce mouvement son élan nouveau et vigoureux. Des théologiens comme le P. Congar, Mgr. Glorieux, S.E. le Cardinal Cento, etc. ont contribué par leurs études et leurs ouvrages à donner une base théologique au rôle du laïcat. Mais il reste encore beaucoup à faire pour en donner une théologie définitive et complète. En attendant, le manque de précision et d'accord doctrinal donne lieu à des malentendus et à des froissements entre les organismes des laïcs et la hiérarchie, sans compter qu'il s'y mêle parfois aussi des intérêts personnels ou des préjugés[71].

Le Concile Vatican II, éminemment pastoral, nous a donné cette définition provisoire du laïc : « Sous le nom de laïcs, on entend ici l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre sacré et de l'état religieux sanctionné dans l'Eglise » (Lumen gentium, IV-31)[72]. Il ajoute immédiatement une autre définition que l'on pourrait tenir pour explicative ou descriptive. Elle coïncide avec celle du membre foncièrement chrétien de l'Eglise. Celui-ci participe à sa façon au sacerdoce du Christ dans l'Eglise et l'exerce dans le monde selon la part qui lui en revient.

C'est justement de sa condition de chrétien et de sa participation au sacerdoce du Christ, copartagée avec les religieux et les membres du clergé, que lui vient sa grandeur et son excellence. Henri de Lubac, se référant au sacerdoce commun fondamental, dit très justement : « Il est une réalité "mystique", réalité qui, dans son ordre, ne peut être dépassée ou approfondie par aucune institution ou consécration surajoutée, par aucun autre sacerdoce. Car c'est lui qui, du chrétien, membre du Roi et Prêtre éternel, fait un Christ. Pour en établir la dignité, il suffit de se rappeler que c'est celui dont la Vierge Marie fut éminemment revêtue. Il n'est pas un sacerdoce au rabais, un sacerdoce du second degré, un sacerdoce des seuls fidèles : il est le sacerdoce de toute l'Eglise. La fierté chrétienne du "laïc" qui en a pris conscience peut donc bien avoir souvent besoin d'être éclairée : elle ne saurait être rabattue »[73].

Il ne faut mésestimer ni confondre aucun de ces deux sacerdoces : le sacerdoce commun baptismal et le sacerdoce hiérarchique, ministériel, qui tend entièrement à « faire l'eucharistie ». Mais il faut affirmer aussi, et tirer de cette affirmation toutes les conséquences possibles pour nous, éducateurs, que la raison de l'existence du sacerdoce des laïcs n'est pas à proprement parler une fonction de suppléance du sacerdoce ministériel là où celui-ci ne pourrait s'exercer. S'il en était ainsi, lorsque le sacerdoce ministériel serait suffisant, l'autre n'aurait aucune raison ni aucun droit d'existence. C'est encore H. de Lubac qui commente : « Ce n'est donc pas seulement, comme l'ont pensé quelques théologiens, en vertu de leur lien de subordination à l'égard de ce second sacerdoce que les fidèles peuvent être eux-mêmes appelés prêtres. Il s'agit, non pas d'un degré supérieur dans le "sacerdoce interne" commun à tous et indépassable, mais d'un "sacerdoce externe" réservé à quelques-uns ; il s'agit d'une charge confiée à quelques-uns, en vue du "sacrifice extérieur". Onus Diaconii, Onus Presbyterii, Onus Episcopatus. A l'intérieur du "sacerdoce général", c'est un "sacerdoce particulier", pour une fonction particulière à remplir, ou, comme dit saint Léon le Grand, pour un "service spécial". C'est ce qu'on exprime encore en l'appelant "sacerdoce ministériel" »[74]et [75].

 2. – Importance de ce rôle

 Les évêques des Etats Unis le disent sans ambages : « Sans laïcat il n'y a pas d'Eglise. Lorsque le laïc, tel que l'Eglise le conçoit, se tait, nous souffrons tous et l’œuvre de Dieu n'est que partiellement achevée. Si le laïc est passif, ou s'il nous quitte, nous sommes tous diminués »[76]

Nous devons penser sérieusement à l'urgence de notre action et à l'espoir que l'Eglise met en nous. Elle attend que nous soyons non seulement des entraîneurs et des spécialistes du laïcat catholique, comme l'ont fait remarquer certains théologiens en parlant du rôle des Frères dans le monde post-conciliaire[77], mais des formateurs de tout premier ordre de ces laïcs pour le bien de l'Eglise. Le sujet a été abordé plus ou moins directement dans la quatrième partie de cette circulaire. -Nous nous contenterons de quelques précisions supplémentaires. Je voudrais aussi par là orienter la ferveur de tous nos Frères vers le recrutement et la formation de ces membres du Corps mystique du Christ devenus aujourd'hui plus importants et plus précieux que jamais.

Leur rôle a été bien défini par le Concile. L'épiscopat de l'Amérique Latine le trace aussi fort bien en le comparant avec celui du clergé : « Pleinement membre de l'Eglise, le laïc participe également à la mission totale de celle-ci. Comme elle, il est appelé d'une part à évangéliser et sanctifier les hommes, de l'autre, à orienter la civilisation profane, afin de la faire arriver à sa plénitude humaine tout en restant conforme à l'esprit de l'évangile. Il convient tout de même de faire remarquer, comme le fait le Concile, que la première de ces deux missions est confiée spécialement au clergé, mais cela n'empêche qu'elle demande aux laïcs d'y collaborer par leurs paroles et par leurs actes (Cf., Apostolicam actuositatem, 2 et 6)[78]. « Faisant de la pastorale dans le sens du "signe", le laïc doit donner son témoignage de foi, d'espérance et de charité dans sa vie de chaque jour, et il doit surtout montrer pratiquement le rapport entre le programme de chaque jour et l'eschatologie, entre la vie quotidienne et l'espérance transcendante »[79]. Bref, il s'agit de donner un sens eschatologique très fort aux actions de chaque jour et de rendre plus proche de nous l'eschatologie, non par l'abandon mais par l'accomplissement entier du temporel dans toutes les sphères. Présence, témoignage et réalisation du temporel dans un sens chrétien : voilà le rôle spécifique du laïcat. Comme on l'a très bien exprimé : « Etre témoin de Dieu au seuil du monde d'aujourd'hui ».

Mais il faut penser aux complications de la vie actuelle, à la formation reçue et aux limites imposées par la condition humaine, qui n'excluent la possibilité de pécher ni de la hiérarchie ni du laïcat. Il n'est donc pas facile de former aujourd'hui des hommes ayant de l'initiative, du dynamisme et même de l'autonomie dans le secteur qui est juridiquement le leur, et capables en même temps de constater et d'accepter leurs limitations à l'intérieur du Peuple de Dieu et en face de la hiérarchie. Permettez-moi de citer ici longuement l'épiscopat des Etats-Unis : « Le laïcat, comme tout autre élément de l'Eglise structurée, n'est pas seulement responsable envers le Christ qui nous est révélé dans l'Ecriture et la Tradition, mais aussi envers toutes les structures de l'Eglise qui sont essentielles à la communauté chrétienne non seulement organisée, mais organique… Lorsque le Christ a dit : "Qui vous écoute m'écoute" (Luc, 10, 16), il voulait parler non pas de tel ou tel fidèle, mais de l'Eglise telle qu'il l'entendait. Par conséquent, le laïc qui perd le sens de la communauté devient inapte à se faire l'écho du Christ. De même, lorsque ceux qui détiennent la mission apostolique violent les limites de leur autorité, ils mettent en danger le sens de la communauté et ils sont moins á même de se faire l'écho du Christ… Lorsqu'un individu est entendu, il est entendu à titre d'individu situé dans la communauté, et non à titre d'individu en tant que tel. Il est un individu qui se tient à sa place, dans le contexte d'une réalité plus large : la communauté du Christ… L'Eglise n'écoute pas un individu en tant que tel. Dans chaque voix, elle écoute l'écho des âges avec tout ce qu'ils ont accumulé de sagesse, et la voix de l'éternité avec son jugement dernier. Un sens de discernement affiné lui fait reconnaître la voix de celui – prêtre ou laïc – qui parle avec un accent catholique sans équivoque et dont les motifs sont le bien authentique de ses frères, mais non pas la voix de ceux qui se sont séparés de l'intégrité de la foi… Il n'y a donc pas lieu de croire qu'en matière de foi, la voix des laïcs est entendue lorsqu'elle s'exprime dans un sondage d'opinion ou toute autre chose du même genre. La foi de l'Eglise est entendue dans le jugement des catholiques profondément engagés qui donnent à la communauté le témoignage d'une vie chrétienne intègre. Ce qui compte pour l'Eglise, ce n'est pas de savoir combien de personnes disent une chose, mais qui la dit et quelle est sa foi »[80]

 3. – Que devons-nous faire pour le laïcat ?

 Il me semble, Mes Bien Chers Frères, que l'Eglise est en droit de nous demander que nos oeuvres scolaires, parascolaires ou postscolaires produisent du bon travail dans ce sens. En d'autres termes, cela entraîne quelques conclusions :

a) Nous devons faire naître des vocations de laïcs choisis.

b) Nous devons leur faire acquérir une vie profondément chrétienne, sous forme de spiritualité laïque, il est vrai[81], mais authentiquement chrétienne, faute de quoi, le laïc peut être très exposé à des tentations contre sa fidélité à l'Eglise, surtout aux moments de danger que sont les séduisantes promesses du monde ou bien lorsque certains représentants de l'Eglise dans la hiérarchie ne sa-vent pas lui parler raison. Il est alors très difficile de ne pas succomber à la tentation de trahir, ou du moins de se décourager et de tout abandonner, si on ne vit pas une spiritualité profondément, authentiquement chrétienne. Il faut être averti : nous sommes des éducateurs et nous ne devons pas fermer les yeux devant ce fait : pas mal de laïcs engagés mènent une vie assez quelconque au double point de vue spirituel et moral.

c) Pour les rendre capables d'accomplir leur mission propre et spécifique par un engagement prudent, autonome et chrétien[82], nous devons savoir leur rappeler que, en tant que chrétiens et dans une certaine mesure, ce sont eux qui peuvent détériorer ou au contraire préserver la qualité et les résultats de l'action chrétienne dans l'ordre temporel ; et donc, dans une certaine mesure aussi, exposer ou préserver le Christ et son Eglise.

En face de ces exigences et de leur portée, d'aucuns seront tentés de s'évader et de se réfugier dans l'abstention. Il faut alors leur rappeler que l'abstention elle-même est déjà une espèce d'option aux conséquences graves, qui fera bénir ou maudire, selon les cas, le nom chrétien.

Il me semble donc important de vous inviter à lire les suggestions sur l'action temporelle des laïcs, objet de notre commentaire, données par un groupe de sociologues, théologiens et spécialistes de la pastorale de l'Eglise de l'Amérique Latine. Nous pouvons ne pas être tous d'accord sur tout ce qu'ils disent, mais je crois que dans l'ensemble ce sont des directives très intéressantes qu'ils donnent dans leur document' polycopié, surtout aux deux chapitres intitulés : « Les classes et les modes d'action » et « Le laïc chrétien et le développement de l'Amérique Latine »[83]. On y parle des rapports et des limites d'action entre : a) la hiérarchie, b) le prêtre, c) les dirigeants et les membres des mouvements et des associations catholiques, et d) les chrétiens. On y fait aussi allusion aux cas et aux conditions où l'on considère que l'« action supplémentaire » de l'Eglise a une valeur positive.

d) Nous devons former à la docilité envers la hiérarchie et à une loyauté à toute épreuve envers l'Eglise. Un des évêques les plus considérés du tiers-monde, qui a pris d'une façon aussi courageuse qu'intelligente la défense des pauvres et des opprimés, me disait récemment : « Beaucoup de gens pensent que le problème le plus grave qui menace l'Eglise aujourd'hui, c'est le problème social. Ce n'est pas exactement cela : le problème le plus grave c'est celui de tant de prêtres et de religieux qui ayant perdu la foi à l'Eglise et l'obéissance à ses ordres, l'abandonnent ».

Et c'est vrai. J'ajouterai seulement une nuance : il y en a qui, ayant perdu cette foi et cette obéissance à l'Eglise, sont curieusement désireux de n'en pas sortir, parce que de l'intérieur, au nom du Christ et de cette même Eglise, ils peuvent encore exercer un rôle de leaders, mais qui, du moins objectivement, n'est qu'une trahison. Ils vivent dans une attitude pragmatique et utilitaire, constatation qui pourrait s'appliquer aussi à des groupes de laïcs.

e) A propos de tout ce qui précède, il faut insister sur la définition, je veux dire la délimitation, des terrains et des ordres. Il faut avoir le respect de tout commandement, même dans les affaires temporelles, car l'Eglise peut et doit y donner ses directives au point de vue moral et dogmatique[84]; il faut aussi savoir respecter tout ce qui revient au laïc, son droit d'option et sa responsabilité. Dans l'Eglise, telle que le Christ a voulu la constituer, il y a diversité de services et donc, aussi diversité de pouvoirs. C'est ce que précisait très justement Mgr. Gouyon, archevêque de Rennes, dans son homélie de la Pentecôte dernière : « Pour la vie du peuple de Dieu, le Christ a constitué les apôtres, lesquels étaient entourés de disciples. Le Christ a mis ses apôtres au service de l'Eglise. Mais pour qu'ils puissent rendre ce service, il leur a donné un pouvoir spécial d'enseigner, de sanctifier et de gouverner, pouvoir qui n'a pas été institué par l'Eglise agissant à la manière d'une démocratie, mais par le Christ. Par contre, il est certain que leur dignité de baptisés et de confirmés confère aux chrétiens le droit à une participation active à la vie de l'Eglise. Elle n'est pas inconnue de son histoire »[85],

Tirons-en une conclusion. Puisqu'il s'agit d'un si gros enjeu pour l'Eglise et pour le monde, suivons fidèlement et avec enthousiasme l'appel du Concile pour trouver et former des militants catholiques. Rien d'aussi clair que cette invitation : « Enfin les religieux, frères ou sœurs, estimeront l'action apostolique des laïcs, et, fidèles à l'esprit et aux règles de leur Institut, ils se dépenseront volontiers à la développer ; ils s'appliqueront à soutenir, à aider et à compléter l'action du prêtre » (Apostolicam actuositatem, 25). Et un peu plus bas on ajoute : « La formation à l'apostolat doit commencer dès la première éducation des enfants, mais ce sont plus spécialement les adolescent et les jeunes qui doivent être initiés à l'apostolat et marqués de son esprit. Cette formation sera d'ailleurs à poursuivre tout au long de la vie en fonction des exigences posées par de nouvelles tâches. Il est donc clair qu'il revient à ceux qui ont la charge de l'éducation chrétienne de s'attacher à cette éducation apostolique … Ce sont également les écoles, les collèges et les diverses institutions catholiques consacrées à l'éducation qui doivent susciter chez les jeunes le sens catholique et l'action apostolique. Si ces moyens font défaut, soit que les jeunes ne fréquentent pas ces écoles, soit pour toute autre raison, que les parents et les pasteurs, ainsi que les mouvements d'apostolat, prennent d'autant plus soin d'y pourvoir. Quant aux maîtres et aux éducateurs, qui, par vocation et par devoir d'état, exercent une excellente forme de l'apostolat des laïcs, il importe qu'ils soient pénétrés de la doctrine et de la pédagogie nécessaires pour transmettre efficacement cette éducation » (Apostolicam actuositatem, 30).

Il y a cinq ou six ans, à l'occasion d'un voyage en Amérique Latine, je rencontrai un Provincial d'une congrégation enseignante. Il faisait sa tournée dans le but d'étudier les divers mouvements et la situation réelle de chaque pays car sa Province ayant décidé d'y envoyer 10% de son personnel dans un délai de dix ans, il voulait connaître les points vraiment stratégiques où placer ses religieux. « Mes religieux, me disait-il, savent déjà que pour moi, un collège ne compte que si à la fin du cours il a donné un nombre raisonnable de vocations consacrées et de jeunes militants ».

Certes, ce serait bien regrettable que nos anciens élèves aient pu obtenir, en raison de leurs connaissances scientifiques ou de leur préparation professionnelle, des postes de direction dans la politique et dans la société, mais que dans ces postes mêmes ils portent un contre-témoignage, par man-que de sens social, d'honnêteté politique, d'éthique professionnelle ou d'esprit chrétien. Il serait encore plus honteux que l'Eglise reçût ses militants d'autres associations disposant de beaucoup moins de moyens spirituels que les collèges catholiques, tandis que ceux-ci ne lui en enverraient aucun ou presque aucun. Que vaudraient alors nos excuses : « la nature humaine est ainsi faite » ou bien « malheureusement, la société est corrompue et elle corrompt » ? S'il en était ainsi dans quelqu'une de nos Provinces, cessons de chercher des prétextes : il y aurait, dans la marche ou dans l'orientation de cette Province-là, quelque chose qui ne marcherait pas bien.

Une dernière remarque : évitons les contradictions ridicules. On a vite fait de parler de certaines religieuses qui, par excès de fidélité à leur vocation, en arrivent à former il faudrait plutôt dire déformer leurs élèves à un style de vie et à une spiritualité de « nonnettes ». Mais l'excès contraire n'est pas rare non plus, de nos jours et il y a des religieuses tellement relâchées qu'elles semblent mener une vie de femmes du monde.

Mais à quoi bon s'en prendre aux religieuses, comme si le phénomène pouvait ne pas se produire aussi chez nous, à peu de chose près ! Je pense en ce moment à tel collège où parents d'élèves, anciens élèves et Frères se trouvant réunis pêle-mêle, il m'était bien impossible de distinguer ceux-ci et de décider à qui je devais dire : Frère.

Ni le comportement, normal d'ailleurs, ni la tenue, correcte aussi, ne laissaient percer ce « signe de la consécration à Dieu » dont parle le décret Perfectae caritatis[86].

 IX. – CONSCIENCE NOUVELLE DE NOTRE CONDITION

SPECIALE DE RELIGIEUX DANS LE PEUPLE DE

DIEU ET NOUVEL PLAN

 Tous ont une mission dans le peuple de Dieu, les membres aussi bien que les organes. Peut-être ne la connaissent-ils pas toujours, peut-être n'y sont-ils pas toujours fidèles ; mais il sera toujours vrai que l'amour miséricordieux du Père qui, en Jésus-Christ, a appelé chacun pour faire partie de ce peuple, lui a aussi donné une vocation déterminée. La philosophie existentialiste orthodoxe visant davantage à l'homme concret sous sa forme historique, différenciée et sans possibilité de répétition, exprime, beaucoup mieux que l'essentialisme – qui voit seulement l'homme « in genere », la position des chrétiens dans le plan divin du salut universel. La constitution Lumen gentium expose très clairement comment, de ce Peuple, l'Esprit choisit quelques chrétiens, au cœur desquels il communique le don des conseils évangéliques et dont il incline la volonté à une réponse libre, pleine d'amour et de joie, qui accepte une consécration entière, exclusive au service et à la gloire du Seigneur. Ces chrétiens s'obligent donc à pratiquer les conseils évangéliques, et leur consécration, tout en n'étant qu'une suite de la consécration baptismale, n'en est pas moins nouvelle et différente ? Purifiés d'une façon prompte et radicale de leur égoïsme, libres de toute attache intérieure ou extérieure, ils sont ainsi à même de mieux vivre le service de l'amour de Dieu et du prochain. Nous sommes de ces chrétiens et nous sommes en train de réaliser à notre façon – sous la forme voulue par l'Esprit – la marche enthousiaste vers la sainteté, but commun à tous le membres du peuple de Dieu, apportant aussi notre service à l'Eglise parmi les hommes.

Permettez-moi maintenant quelques réflexions sur un point que je développerai davantage un peu plus bas et probablement aussi dans une circulaire qui verra le jour après le chapitre.

Un supérieur général me disait naguère : « Ce qui est arrivé c'est que nous avons reçu certains sujets qui n'aimaient pas la vie religieuse et n'ont jamais voulu devenir religieux. Nous n'avons pas fait soigneusement notre choix et la faute en est à eux, à nous : à eux, poussés qu'ils étaient parfois par des contraintes morales, par la recherche d'une meilleure position sociale chez nous ou simplement parce qu'ils ne se sentaient pas capables de braver seuls la vie avec toutes ses difficultés et ses dures réalités ; à nous, qui les avons reçus, pressés par le besoin d'ouvriers qu'avaient nos oeuvres d'apostolat. Nous nous sommes d'ailleurs montrés d'autant plus indulgents qu'ils semblaient avoir un certain penchant et une certaine habileté pour un travail apostolique au sens large du mot. Mais hélas ! quel que soit le genre de vie choisi, il arrive un moment où l'on en est las. C'est alors que se présentent les crises vraiment dangereuses, si auparavant l'on n'a pas découvert pour son propre compte et expérimenté la valeur de sa vocation : découverte et expérience qui produisent un mouvement d'amour et d'attachement à son Institut. La tentation déroule alors ses phases : d'abord c'est le rejet psychique de la vocation, puis la rébellion de la conduite, enfin l'abandon définitif. Dans les situations difficiles, en effet, personne ne lutte pour défendre ce qu'il n'a jamais vraiment aimé ».

Il faut donc que les religieux soient des hommes qui comprennent «ce que tous ne sont pas capables de comprendre » (Mat. 19, 11). Il faut qu'ils sentent, au moins avec l'intensité minimale du seuil de l'excitation car il s'agit d'une perception intérieure, d'une sorte d'expérience de vie ou d'enrichissement qui ne cesse de s'épanouir – ce que, dans son ouvrage « Le célibat du prêtre dans l'Eglise d'aujourd'hui », Schillebecks appelle très justement le charisme de « ne pouvoir vivre autrement »[87].

Nous parlerons plus tard du sens, de la nature, de la place et de la fonction de cette consécration dans l'Eglise. Peut-être même, si cela est possible, aborderons-nous les deux problèmes de la pauvreté et de l'obéissance. Pour le moment il est important de bien établir les trois points suivants :

 1 – Choix sérieux

 Personne ne doit s'engager dans la vie religieuse sans la connaître et l'aimer. Il faut que chacun de nous ait vu sa vocation sous le jour de sa valeur intrinsèque. Il ne s'agit pas de la vision candide d'une vie sans problèmes personnels et sans imperfection de structures. Il faut au contraire savoir se rendre compte d'une réalité : dans une congrégation, comme d'ailleurs dans l'Eglise elle-même, c'est justement au milieu de la faiblesse et des imperfections que se font les miracles d'amour et qu'on réalise son idéal. Cette clarté intérieure, cette perception exacte de « ce que tous ne sont pas capables de saisir », n'implique pas manque de penchant vers beaucoup d'autres choses, vers des réalités dont on découvre ce qu'elles représentent, même sans les avoir goûtées. Les formateurs doivent bien se garder d'employer leur zèle à cacher, à laisser ignorer ou, pis encore, à rabaisser ces valeurs. La vie religieuse suppose qu'on les connaît et qu'après les avoir évaluées, on se décide pour « ce qui est meilleur », qu'on accepte librement l'invitation du Seigneur, en pleine connaissance de cause et avec la pleine acceptation des conséquences de privation et d'exclusion, avec l'engagement que suppose toujours un choix humain sérieusement fait.

 2. – Dans la foi et le charisme

 On ne perçoit cependant la valeur de la vocation religieuse que moyennant la foi et un charisme tout particulier. Seuls, les moyens de vivifier et développer la foi, peuvent aussi nous permettre de pénétrer jusqu'à l'intelligence et à l'expérience vive de ce mystère. Tout processus qui mène à la dégénérescence de la foi, toute vie spirituelle non « recyclée », ou bien faussée par une conduite qui n'est pas bonne émoussent notre sens de la vocation et empêchent son épanouissement comme aussi celui du. charisme dont il sera question plus loin.

Si on a la foi, si on se laisse guider par l'Ecriture et le Magistère, on ne peut douter le moins du monde du prix et de l'excellence de sa vocation. Dès ses premiers temps et tout au long des siècles, l'Eglise a toujours eu en grande considération la vie religieuse sous les diverses formes qu'a con-nues l'Histoire. C'est même au point qu'elle n'a pas mis suffisamment en valeur la vie chrétienne des laïcs. En est-il encore de même après le Concile ? Oui, car, même si les débats au sujet de la vie religieuse ont quelque peu échauffé les vénérables Pères, il y a eu justement une espèce d'épuration qui a permis de mieux établir la définition de la vie religieuse, de mieux la faire estimer à son juste prix. Oui, le Concile a réaffirmé nettement l'excellence de la vie religieuse et son droit de cité au sein du peuple de Dieu. Et il l'a fait de main de maître, d'un ton grave et modéré, sans mésestimer la grandeur et le rôle du laïc dans l'Eglise – qu'il a plutôt exalté mais en définissant bien clairement aussi la vie religieuse comme un don qui vient du Père, comme un conseil et une invitation du Fils, comme un précieux cadeau de l'Esprit-Saint à son épouse l'Eglise. « L'état religieux, s'il ne concerne pas la structure hiérarchique de l'Eglise, appartient cependant, inséparablement à sa vie et à sa sainteté » (Lumen Gentium, 44). Il ne peut donc lui faire défaut, appartenant en quelque sorte à son essence ; il ne pourrait disparaître sans l'affaiblir et l'appauvrir. Voilà pourquoi, après que le Concile a parlé personne ne peut, sans pécher contre la vérité et la justice, mépriser la vie religieuse ou déconseiller de l'embrasser. On peut s'y sentir appelé ou pas, au lieu d'accepter l'invitation à la vie consacrée, on peut ne pas répondre à l'appel ; mais on ne peut mépriser la vie religieuse sans porter atteinte au sentiment unanime, et plusieurs fois séculaire de l'Eglise et à l'affirmation explicite du dernier de ses Conciles.

On pourrait même dire que jamais on n'avait eu sur la vie religieuse en général, et tout spéciale-ment sur la nôtre à nous, simples religieux laïcs, une doctrine aussi élevée et aussi riche : riche de tant et de si bonnes études qu'on a faites et qui sortent des sentiers battus de la simple piété ou d'une dévotion particulière pour construire une vraie théologie de la vie religieuse fondée sur des bases solides et suivant une méthode rigoureuse ; élevée, très élevée, puisqu'elle s'inspire du Concile lui-même, lourde pour ainsi dire du poids même d'un enseignement des Pères de cette assemblée. Certes, il faudra ordonner et organiser systématiquement toute cette théologie de la vocation et de la vie religieuse née des documents conciliaires, mais on en a déjà les éléments, on sait ce qu'en pense le Magistère. Au fur et à mesure qu'on fera ce travail, on aura une meilleure connaissance de certains points ainsi que la solution de maint problème suscité par Vatican II.

La vie religieuse a été remise en étude dans toute sa profondeur par le Concile et tous ses aspects ont été contemplés sous le jour charismatique de cette nouvelle Pentecôte : non seulement le point de vue historique, théologique, ecclésial, mais aussi le point de vue pastoral, charismatique, christologique et enfin l'aspect de la fondation[88]. Ce qu'on a dit aux religieux, c'est que l'Eglise place toujours sa confiance en eux, qu'elle les estime toujours beaucoup et leur demande d'être fervents et fidèles à leur genre de vie. Quant à tous les autres membres du peuple chrétien, elle ouvre ce vaste champ à leur générosité s'ils se croient appelés et se sentent la force de vivre une consécration spéciale pour arriver à la plénitude de la vie chrétienne et de la grâce du baptême[89].

 3. Aidé par un milieu

 Nous avons vu plus haut qu'il faut le charisme de la vocation en même temps que la foi – la foi sans le charisme n'est pas suffisante, ni le charisme sans la force de la foi -, pour sentir la chaude attraction de la vie consacrée. Cependant on se rappellera que la vocation ne nous est pas donnée toute faite et déjà développée ; elle est la participation à un charisme, mais seulement à l'état de germe et donc, elle ne se présente pas à nous d'une façon bien nette et très facilement perceptible. Combien de germes et de charismes perdus, ou morts à peine nés, faute de soins et du climat voulu ! Je pourrais en dire long, mais je n'insisterai que sur un point.

Nous ne pouvons pas fixer ou imposer à l'Esprit, l'âge où il veut manifester les charismes de vocation, souvent encore en germe, mais nous devons être là pour les voir éclore, leur préparant le milieu idéal, attentifs à leur évolution, à partir du moment où un jugement prudentiel nous fait pressentir leur apparition.

En disant ceci, je le fais en mon nom personnel et sans vouloir compromettre le Fondateur. Mais c'est à vous, Frères, qu'il incombe de juger si ma pensée rejoint ou non la sienne. Il me paraît non seulement très discutable, mais lamentable le courant qui traverse aujourd'hui quelques-uns de nos juvénats en vertu duquel on prétend convertir ces maisons, en simples centres où l'on cultive seulement la vie chrétienne, sans référence aucune à la vie religieuse. Franchement cela me paraît une erreur[90]. Un charisme donné en germe, et entrevu confusément, comme toutes les choses spécifique-ment surnaturelles, dans la pénombre et le risque de la foi, d'une foi qui passe progressivement de l'ombre à la lumière, doit être cultivé. Et la culture d'un charisme, précisément à cause de sa nature spécifique, ne se fait pas d'une manière générique mais spécifique. D'autre part, cette culture spécifique du charisme se réalise seulement dans le contexte des divers aspects parallèles de l'« être chrétien » commun à toutes les vocations, parce que la profondeur religieuse n'atteint pas plus bas que le fond chrétien[91]. Le charisme implique invitation, dynamisme et capacité ; c'est-à-dire, il appelle à réaliser quelque chose de spécifique, pousse à le faire, une fois reconnu l'appel, et rend capable de vivre, selon un mode différent, au rythme de la spiritualité porteuse et de l'action spécifique qui agit au bénéfice de tout le corps qui est l'Eglise. (Cf., I Cor. 12, 4-31). Donc dans la mesure où on est attentif au charisme. il s'amplifie, et dans cette même mesure il devient audible. Et c'est pourquoi j'ai dit que la vocation était, en tant que réponse à un appel de la grâce, une libre option entre plusieurs possibilités humaines dont quelques-unes ont une très forte résonance dans la nature. Comment voudrions-nous que dans ce concert d'appels simultanés, puisse être audible et attrayant le charisme de la vocation, sans éducation préalable de « l'entendement intérieur », sans culture de l'attrait que ce charisme peut exercer sur le cœur ? En conséquence, il me semble que ce que nous appelions juvénat en termes traditionnels, doit se renouveler comme tout le reste, mais pas en s'affadissant, ni en abandonnant sa fonction. N'opposons pas ce qui, loin de s'opposer, se complète : une formation humaine et chrétienne unie à la culture du charisme. Une Province est libre, si elle le désire, d'ouvrir des écoles ou des collèges en vue d'une recherche des vocations ; mais il ne faut pas pour autant les confondre avec le juvénat proprement dit, considéré comme un lieu où on n'admet que des jeunes aspirants à la vie mariste.

J'insiste sur cette idée : une Province est libre ou non d'avoir des juvénats, mais si elle les a, il faut qu'ils soient ce qu'ils doivent être et que les Frères qui y sont nommés acceptent d'y travailler dans le sens du but particulier qu'on se propose d'atteindre. Il serait absolument inacceptable d'admettre que dans ces maisons, où l'on ne reçoit pratiquement que des jeunes ayant un vrai désir de devenir Frères Maristes, on se contente d'une formation humaine et chrétienne donnée dans toutes nos écoles à des garçons bien disposés ; il faut encore et surtout, tenir le plus grand compte d'un germe de vocation qui semble exister chez les Juvénistes, germe qui doit être cultivé avec le plus grand soin.

Le vrai problème, exigeant étude et réflexion, est de trouver la manière qui respecte la liberté, sans nuire à la capacité d'option, ni retarder ou arrêter le développement de la personnalité du jeune aspirant.

Dans le passé, il nous est arrivé avec la meilleure bonne volonté – de n'avoir pas su tenir suffisamment compte de ces aspects et comme responsables de ces maisons, nous avons parfois échoué. L'important est donc que des formateurs sérieux mènent à bien la culture du germe de charisme ou de vocation mais de façon adaptée à l'âge psychologique de l'aspirant. Bien des difficultés seront alors évitées et les problèmes qui surgiront seront ceux qui se présentent à tout jeune homme normal élevé dans sa famille. Le Concile le dit très bien (L.G. 46) : « La consécration religieuse ne frustre pas la personne humaine, mais la réalise pleinement par un moyen différent qui est le passage à travers le mystère pascal vécu à la première personne dans et par le Christ ».

Un dernier mot sur cet appel de l'Eglise con-ciliaire pour un rajeunissement puissant de la vie religieuse dans le peuple de Dieu. En vue de cette rénovation et de ce rajeunissement, les efforts se multiplient partout pour introduire les changements nécessaires. Ceux-ci cependant, ne sont pas seulement très divers, mais ils peuvent devenir parfois opposés sur des points essentiels. Dans le doute, à quels changements adhérer ? A priori, je dirais à aucun, même pas à celui qui serait le résultat de la lutte de deux formules contraires. D'après moi, la vraie solution devra être cherchée par chaque Congrégation avec des hommes de toutes latitudes, dans le dialogue et l'humble collaboration, l'unité et l'harmonie des efforts, sans d'autres partis pris que ceux imposés par les orientations essentielles du magistère de l'Eglise et l'authentique tradition de l'Institut dûment établie en ce qu'elle a d'essentiel.

 X. – RENOVATION DANS L'ESPRIT DU FONDATEUR

(Les appels du Bienheureux Père au Chapitre Général)

 Il me semblerait anormal que, dans une circulaire écrite en vue de la rénovation de l'Institut demandée par le Concile, la voix du Bienheureux Père ne pût trouver une place pour se faire en-tendre. J'ai d'ailleurs l'impression que, dans tout ce qui précède, son esprit et sa présence ont été au moins implicitement évoqués en plusieurs endroits.

Mais d'aucuns pourraient aussi trouver anormal, et même anachronique, de faire entendre la voix du Fondateur parmi les appels du Concile qui sont le thème de cette cinquième partie. Par bonheur c'est le Concile lui-même qui en fait la demande instante. Sans doute recommande-t-il l'esprit ecclésial par lequel chaque partie s'enchaîne avec les autres et s'oriente au bien de tout le Corps Mystique, mais il désire aussi que, réelle et multiple, la variété des dons devienne complémentaire et unifiée.

L'Eglise est unité dans la diversité, non uniformité appauvrissante qui ferait perdre dynamisme et cohésion, comme si nous n'avions plus besoin les uns des autres. Ce qui nous fait divers dans l'Eglise, c'est précisément les dons charismatiques transmis par les Fondateurs à leur Institut, qui ont donné lieu dès son origine et ensuite, à une institution, à une spiritualité, à un service permanent dans l'Eglise. Or le Concile demande cette réaffirmation du caractère propre des Instituts surtout quand on y sent manifestement le souffle de l'Esprit.

Ce désir et ce respect de ce qui est propre, spécifique, original, il le demande dans beaucoup de secteurs et à des niveaux divers. Il le demande en premier lieu et d'une manière très générale, au niveau mondial dans le respect du droit de chaque peuple à sa culture, à son histoire, à sa liberté dans le concert universel des peuples et des nations. Il le demande pour l'Eglise en insistant pour que soient respectés les apports divers de son patrimoine spirituel — la valeur de ce patrimoine est hautement appréciée par l'Eglise romaine. Sur un plan différent, auquel on a déjà fait allusion, il le demande aussi pour les Frères séparés. Il le demande pour la liturgie en invitant dans sa constitution « Sacrosanctum Consilium »[92] à l'adaptation de la langue, des chants et des arts aux diverses cultures. Enfin dans notre cas il le demande dans le Décret « Perfectae Caritatis » lorsque, faisant allusion aux principes généraux de la rénovation, il dit : « Il est de l'avantage même de l'Eglise que les Instituts aient leur caractère particulier et leur rôle propre. Aussi doit-on cher-cher à connaître et à garder fidèlement l'esprit des Fondateurs et leurs objectifs propres, ainsi que les saines traditions, tout cela qui constitue le patrimoine de chaque Institut »[93].

Le titre de Père et Fondateur n'est pas un simple rappel historique ; le Fondateur est aussi dépositaire d'un charisme porteur d'une réponse qui devient une spiritualité et qu'il a mission de transmettre ; plus encore il est invoqué et appelé par le Concile à donner son propre point de vue. Il me semble donc indiscutable que c'est bien ici l'endroit et le moment où la voix du Fondateur doit être entendue.

Je regrette de ne pouvoir offrir une étude technique et exhaustive du sujet qui serait le fruit de recherches préalables et minutieuses, mais ici encore comme plus haut au sujet du Concile, j'essaierai d'apporter une contribution qui, étant personnelle, sera nécessairement partielle et de-mandera d'être complétée, critiquée et épurée.

Dans l'espoir que cette collaboration unie à celle des autres, pourra servir à quelque chose et que l'ensemble nous rendra le Fondateur plus vivant et plus présent, non comme un simple capitulant, mais comme le principal des Capitulants, j'ose lui servir d'instrument et de porte-parole par ces quelques lignes. Mon effort s'est concentré sur un point aussi intéressant que difficile : que nous dirait-il aujourd'hui s'il était parmi nous, dans le contexte de l'Eglise et du monde actuel, à l'écoute des appels conciliaires, et affronté à la situation présente de la Vie Religieuse et de sa Congrégation Mariste ?

Je ne me cache pas ce que peut avoir de fallacieux la facilité qui me guette de substituer ma pensée à celle du Fondateur : c'est dans cette crainte, et conscient de ce risque, que je rédige ces quelques lignes et vous les livre. Je le fais modestement mais en même temps avec l'assurance que nie donnent non seulement la droiture de mes intentions et l'ardent désir de ne dire que ce que le Fondateur lui-même dirait, mais surtout la conviction qu'il peut, qu'il doit et qu'il veut se servir de cet instrument placé, bien qu'indigne, à la tête de l'Institut, au temps où des pouvoirs spéciaux de révision ont été donnés par le Concile. Tout cela me porte à exprimer en toute franchise et clarté ce que, me semble-t-il, le Père Champagnat pour-rait lui-même vous dire. Quels pourraient être les points essentiels de son message aujourd'hui ? C'est ce que nous allons voir.

Personne ne sera étonné de la longueur inusitée et du développement donné au premier des huit points choisis : la formation des Frères. Plu-sieurs raisons m'y ont porté dont la première est l'attitude du Bienheureux Père lui-même qui avait pleinement conscience de l'importance de ce point qui engageait non seulement l'existence et la continuité de l'Institut, ses progrès ou sa disparition, mais aussi sa valeur (que l'on se souvienne de son rêve des demi-Frères)[94]. A cette raison on peut ajouter en second lieu, l'appel vigoureux du Concile pour une sérieuse formation ; et enfin l'intime conviction que les crises de vocation et de persévérance qui existent en de nombreux secteurs de l'Eglise sont dus, au moins en partie, à un manque de formation provoqué souvent par la désorientation des formateurs eux-mêmes.

Je développerai donc les points suivants :

1) Formation des Frères.

2) Foi et adhésion inébranlable au Pape et à l'Episcopat.

3) Insertion dans une pastorale organique au niveau local.

4) Zèle catéchétique renouvelé chez les Frères.

5) Attitude surnaturelle en face des événements et audace soutenue par la foi et la charité.

6) Retour décidé vers les pauvres et les « marginaux ».

8) Dans le sillage de l'esprit mariste : modestie, humilité et dévotion mariale[95]

A. – FORMATION DES FRÈRES

 1. – Son charisme de Formateur

 Il est probable que peu de choses définissent mieux le Bienheureux Champagnat que sa capacité et son style de formateur d'hommes à la vie religieuse. Ce fut là sa passion, son désir véhément de rassembler des fils spirituels capables d'assurer son oeuvre et de la mener à bonne fin. En lisant sa vie ou les biographies des premiers Frères on ne sait ce qu'il faut admirer le plus : la fermeté et plénitude des valeurs humaines qu'il sut forger en eux, ou la vie spirituelle intense, la docilité à la volonté divine, la faim d'intimité avec Dieu et la générosité des réponses qu'il sut leur inspirer.

L'ambiance familiale dans laquelle il vécut – piété profonde de sa mère unie au sens réaliste et à l'équilibre hérité du père – les premières difficultés du séminaire, les responsabilités progressives qui les suivirent, l'ensemble des supérieurs et directeurs spirituels qu'il eut à Verrières ou à Lyon, les méthodes sulpiciennes, et même l'expérience personnelle jointe à la réflexion n'ont été, peut-on dire, que des éléments sans commune mesure avec la lente évolution de son exceptionnelle capacité de formateur. Mais il eut l'indomptable volonté de mener à bien ce qui lui semblait être une oeuvre voulue de Dieu, avec la perception très claire, et comme le profil du type d'homme et de religieux éducateur que cette oeuvre exigeait ; il eut comme une intuition des méthodes, des pro-cédés et de la structure qu'il devait donner à ce premier noviciat, avec le genre de doctrine qui alimenterait cette spiritualité naissante ; il eut, en un mot, la tactique de promotion, de formation, de sélection et de conservation des vocations.

Pour former ses Frères, pas d'autres moyens pédagogiques que la difficulté et la contradiction, la pauvreté et le travail, les incommodités et les réprimandes mais dans une ambiance de joie, de simple acceptation et d'esprit de famille, et aussi, il est vrai avec l'immense richesse d'une entière confiance en Dieu, d'une intense dévotion à Marie et l'exemple d'un Père qui encourageait et rendait tangible et réelle par sa manière de vivre, la vie religieuse et la vie mariste dans la plénitude du service de l'Eglise, tel qu'il l'avait conçu.

On dira que c'étaient d'autres temps et que la jeunesse d'aujourd'hui diffère beaucoup de celle d'alors. C'est certain, il n'y a pas deux époques de l'histoire qui soient identiques, bien que certaines circonstances se répètent périodiquement ; il n'y a pas non plus deux générations pareilles bien qu'elles se ressemblent par certains traits communs. Mais je ne crois pas que l'époque qui a suivi la Révolution Française, époque pendant la-quelle vécut notre Fondateur, avec toutes les inquiétudes, les ferments de révolte, les changements et innovations semés par la Révolution et le libéralisme au pouvoir, tout cela uni au naturalisme de Rousseau dont les théories poussées jusqu'à leurs dernières conséquences avaient inspiré les conceptions politiques antérieures et donnaient alors leurs fruits amers, je ne crois pas, dis-je, que cette époque ait été plus favorable que la nôtre à l'appel évangélique à la suite du Christ pauvre, obéissant et chaste, ou plus perméable à l'engagement en faveur des besoins urgents de ce moment.

La jeunesse d'aujourd'hui, comme celle d'alors, continue à répondre positivement et généreuse-ment, chaque fois qu'on lui offre un idéal authentique de vie évangélique vécu pour le Royaume, et incarné dans des hommes qui savent le réaliser pleinement au milieu du monde d'aujourd'hui, engagés dans ses problèmes et ses besoins, comme dans ceux de l'Evangile avec ses exigences, en gardant un équilibre difficile mais possible entre deux dialogues simultanés, l'un vertical et l'autre horizontal.

Le Concile nous invite à tourner nos regards vers le Fondateur et à nous rénover dans son esprit. Pour cela il est urgent d'essayer d'abord de redécouvrir sa manière efficace de former les religieux, son secret d'éducateur. Il a su concilier la discipline qui forge les caractères avec la liberté qui mûrit en responsabilité ; il a su unir la compréhension patiente et l'encouragement avec une exigence graduée, accepter les limites de chacun, sans pour cela renoncer au progrès d'un sujet qu'il connaissait. Il a su écouter, accueillir, s'adapter au rythme de chacun, mais par-dessus tout il a eu l'art de semer l'espérance dans les âmes, de les enthousiasmer, de les soulever aux heures difficiles de la tentation et du découragement, pour leur faire accepter loyalement et honnêtement la dureté du chemin choisi, fort de la présence permanente de la grâce et de l'aide de Dieu. « Il y a des peines pour vivre en bon religieux, mais la grâce adoucit tout ». Et tout ce travail, toute cette habileté d'artisan de Dieu sont baignés dans la lumière de la grâce avec une constante référence aux valeurs de la foi, au don surnaturel, à un sens eschatologique profond.

 2. – Formation d'aujourd'hui et psychologues

 Permettez-moi donc quelques mots sur la formation d'aujourd'hui. Les commissions pour la formation recueillent toute la problématique de nos maisons d'études : décalages, inadaptations, plaintes des insatisfaits, vocations frustrées. Il y a parmi tous ces documents un riche apport emprunté à des psychologues[96], des psychiatres et des neurologues. Qu'il me soit permis de dire ici aux auteurs de ces communications ma reconnaissance au nom de l'Institut et particulièrement au nom des religieux qui ont des problèmes plus graves, au nom aussi des aspirants et des Supérieurs, pour la tâche importante qu'ils ont réalisée et pour celle qu'ils réalisent encore en compatissant aux peines, à l'inadaptation, à la révolte humaine de confrères malheureux, à qui ils apportent un peu de sérénité et de liberté intérieure, de consolation et de paix. Il faut même les remercier d'avoir préparé ceux qui se sont séparés de nous à l'affrontement du monde bien différent qui les attend et où ils doivent se réadapter, se rééquilibrer en devenant capables d'y assurer avec responsabilité et sérénité leur vie future, en donnant à cette vie un sens nouveau, une nouvelle efficacité, loin de tomber dans ces drames absurdes des temps passés, où celui qui abandonnait la vie religieuse était considéré parfois comme un apostat et menait une vie de frustré et d'inadapté.

Je veux rappeler en même temps que toutes les découvertes de la psychologie et de la dynamique de groupe (les vraies découvertes, veux-je dire, non pas celles dont l'idéologie est tendancieuse) en dépit de leur richesse ne sont pas suffisantes pour résoudre de façon satisfaisante les problèmes d'ordre religieux. Si l'on n'insère pas ces données dans une cosmovision chrétienne, à base de connaissance et d'expérience dans l'ordre de la foi et de l'union à Dieu, si l'on n'a pas, comme centre existentiel et axiologique, ce sens que la vie religieuse et sacerdotale suppose à l'égard de la personne et du règne du Christ, on ne pourra jamais résoudre de façon satisfaisante les problèmes du consacré, ni rien apporter de valable et de positif dans un examen des structures de la formation et de la vie religieuse. On pourra trouver la solution de beaucoup de problèmes annexes, mais ce qui importe c'est de voir

a) si cette solution de distension psychologique est valable.

b) si la solution du problème de l'individu ne crée pas, par contre, des problèmes à d'autres et à la société dans laquelle il vit.

c) si la solution n'est pas apportée par voie d'évasion.

Lorsque des conflits entre des ordres et des plans différents surgissent, une manière expéditive de les résoudre consiste à éliminer des causes de conflit par la suppression pure et simple d'un des ordres, dans le monde intérieur ou extérieur de la personne. Mais, je vous le demande, est-ce là une solution ? Ne faut-il donc tenir compte que de la psychologie, ou aussi de la psychosociologie et de la santé même des organes de la société et de l'Eglise, institués eux aussi pour le bien et pour le service des hommes ? Il ne s'agit pas seulement de donner une solution partielle à un problème, mais de savoir comment, avec quels résultats, et à quel prix, le problème tout entier petit être résolu,

D'ailleurs tout bon psychologue, soit chrétien, soit même seulement pourvu d'un sens religieux vrai, connaît les énormes possibilités de thérapie et d'hygiène mentale que peut offrir à son client croyant ou même seulement en marche vers la foi le contact spirituel et apaisant avec un ami de Dieu, capable par une attitude paternelle généreuse, miséricordieuse et pédagogique, d'introduire dans une vie le mystère rédempteur, qui est rédemption totale et donc, non seulement morale, mais aussi psychique et sociale.

Par conséquent le premier psychologue ou le premier psychiatre venu n'est pas l'homme à qui soumettre les problèmes d'un religieux, encore moins l'homme à en faire l'analyse et l'appréciation. Et que dire si on écoute ses suggestions en vue d'une planification des formes et des structures de la vie religieuse ?[97].

Par contre, quel bien peut faire un spécialiste dans les cas difficiles, et quel inestimable service il peut rendre pour l'examen et l'adaptation d'une vie consacrée lorsqu'il est un homme équilibré, et qui a fait en lui-même la synthèse des éléments qui construisent la personne humaine, et des ordres auxquels elle doit s'ajuster, et par lesquels se réaliser, c'est-à-dire pratiquement un homme doué d'un sens profond et d'une grande estime de l'Eglise et de la nature de la vie consacrée !

Que l'on me permette ici d'évoquer le souvenir du Dr. Oswaldo Robles à qui j'ai eu l'occasion de conduire, avec la permission des Supérieurs, plu-sieurs Frères pour des consultations. J'ai toujours été impressionné par son bon jugement, ses qua-lités, et le sens de sa responsabilité professionnelle. Jamais il ne s'est cru autorisé à penser qu'il pouvait juger, soit de la nature, soit des lignes essentielles de la Congrégation, par la seule raison qu'un Frère les trouvait discutables[98]. Plus encore, quel sens de la compréhension et de l'amour j'ai reçu moi-même de ses magistrales leçons de philosophie, de psychologie et de sexologie, non seulement à l'égard de la personne humaine et de l'ordre des valeurs, mais aussi spécialement à l'égard du Christ, de son ministère de salut, de l'Eglise[99], et spécialement de ma vocation religieuse et mariste. Et je pourrais donner d'autres exemples de psychologues amis en qui j'ai trouvé cette collaboration positive et féconde pour la vie religieuse.

 3. – Agir avec prudence

 Par conséquent, tout en reconnaissant franchement les lacunes qui ont existé dans bien des maisons de formation, aussi bien faute de connaissance des valeurs humaines et d'attention à ces valeurs chez le religieux que par suite d'une privation exagérée et artificielle de contacts qui au-raient pu être positifs et contribuer à sa formation, je me permets d'attirer l'attention sur une série de points qui, je crois et j'espère, aideront non pas tant à réduire et à éliminer des éléments erronés et nuisibles et des schémas contradictoires, qu'à les intégrer dans une synthèse supérieure et unique dans laquelle la plus grande attention sera apportée aux aspects humains de façon authentique et deviendra positive pour la vie chrétienne, et, à plus forte raison, pour la vie religieuse[100].

Que l'on tienne compte d'une chose : si j'écris ceci, c'est parce que, après avoir observé depuis quelques années, le mouvement qui se produit en plusieurs pays dans les maisons de formation de quelques familles religieuses, j'ai remarqué une dialectique exagérée, en vertu de laquelle, et, par une réaction pendulaire (très compréhensible, mais non justifiée) on a passé d'absurdes hermétismes et de détails enfantins et anti-naturels, à des expériences irréfléchies, entièrement dépourvues de critères religieux sérieux autant que de profondeur spirituelle. Ce défaut existait quelquefois dans les réformateurs eux-mêmes atteints d'un esprit naturaliste qui se manifestait dans un dynamisme à outrance pour tout ce qui était purement humain (sports, manifestations culturelles, etc…) avec en même temps un manque d'intérêt, d'initiative et de créativité pour les aspects plus spirituels[101].

Je ne voudrais pas être mal compris. Il n'y a pas d'allusion à tant de bons Frères, modernes, à jour (un éducateur, lorsqu'il a cessé d'être à jour, a cessé par le fait même d'être un éducateur ; il peut être un bon didactitien, mais, en perdant le contact avec la génération jeune, dont la base est le dialogue, il a perdu son influence, et par conséquent, sa capacité de former) qui, avec esprit et abnégation acceptent la tâche difficile de l'éducation et cherchent de nouvelles méthodes appropriées aux nouvelles générations en appliquant les indications du Concile sur la formation[102]. Que le Seigneur bénisse et fasse aboutir leurs efforts !

 4. – Pas de critique négative

 Je ne voudrais pas non plus encourager la critique négative de certains esprits, souvent bons religieux et fidèles à la règle, qui, alarmés par les changements qu'ils voient réaliser dans les procédés et dans les méthodes employés dans les maisons de formation, ne savent pas distinguer entre les expériences positives et les négatives : entre celles qui sont bien pensées et réfléchies, réalisées par la voie de l'obéissance et celles qu'on ne peut que qualifier de téméraires et de romantiques[103].

Que les Frères dont l'attitude est négative sachent que leurs critiques, surtout si elles n'apportent pas de solutions concrètes et adaptées mais se bornent uniquement à indiquer les déficiences sans offrir rien autre de valable, désorientent, rendent plus lourde la croix des formateurs, découragent et divisent[104]et, en certaines occasions, peuvent être la cause principale, peut-être l'unique, de l'échec d'une expérience. Nous nous trouvons tous ici pour construire, non pour détruire, pour encourager, non pour décourager, pour unir, non pour séparer. Pour la formation, les expériences non seulement sont inévitables mais elles sont aujourd'hui nécessaires et souhaitables. L'important est que ceux qui les conçoivent et les exécutent le fassent avec le regard fixé sur un unique objectif : nous donner, moyennant un système de sélection valable pour aujourd'hui, les jeunes qu'il nous faut aujourd'hui : enthousiasmés pour le règne du Christ, centre de leur vie religieuse, aimant la congrégation, doués surtout de fidélité, de vie intérieure et d'une volonté de surmonter les crises et les moments difficiles qui arrivent inévitablement dans la vie de tout consacré comme dans celle de tout homme, pourvus aussi d'un équilibre psychique et d'une manière de voir surnaturelle équivalents à ceux qu'avaient hier les religieux normalement bien formés par les structures de formation de jadis. Si ces jeunes religieux sont en outre capables, dans la liberté, de dynamisme, d'une plus large ouverture, jointe à des qualités personnelles d'invention et d'initiative, etc. … tant mieux ! Pourvu toutefois que tout cela n'hypertrophie pas l'homme, au point de le rendre négligent ou lent à écouter l'appel intérieur, provoquant ainsi un retard de croissance en lui du Christ.

Que ceux qui sont chargés des expériences nouvelles ou qui ont envie de les faire mesurent bien leurs pas et surtout jaugent leurs responsabilités. Dans le développement d'un projet, il peut y avoir au beau milieu une chute verticale ou une heureuse solution, déterminantes pour l'avenir qualitatif et quantitatif d'une Province, et parfois d'une partie importante de l'Institut.

Les Frères portés à critiquer les nouveautés doivent penser que « celui-là n'a pas ]e droit de maudire les ténèbres qui n'a pas enflammé une allumette pour les éteindre ». Semer le défaitisme occasionne beaucoup de mal. Ceux qui par suite du caractère ou de l'âge (âge plutôt psychologique que chronologique) sont portés à ce défaut devront se surveiller beaucoup plus encore en cela qu'en certaines fautes de pauvreté ou d'obéissance à la règle. La ruine quantitative ou qualitative peut venir beaucoup plus sûrement de l'ankylose ou du pessimisme que de telle ou telle expérience ; celles-ci constituent un risque nécessaire aujourd'hui qui peut tourner en bien ou en mal. L'immobilisme au contraire est déjà à priori un mal dans un organisme vivant, surtout de nos jours[105].

Un premier point est bien clair : il concerne les maisons de formation, et par conséquent les méthodes de formation qui doivent y faire l'objet d'une révision. Telle est la volonté du Concile.

Je me souviens d'un certain pays où un jeune séminariste me disait amèrement : « Au séminaire, les Supérieurs disent : Qu'est-ce que le Concile a à voir avec le Séminaire ? Peu après était publié le décret sur la formation sacerdotale, répondant ainsi à l'amertume du jeune et à la question des Supérieurs du Séminaire. J'ai connu des Séminaires où l'on n'appliquait pas encore le type de formation préconisé dans « Menti Nostrae » de Pie XII[106].

Mes Bien Chers Frères, le premier pas à faire pour que notre Institut acquière son allure post-conciliaire, doit être fait dans nos maisons de formation ; en nous, les gens d'âge mûr, la vérité du Concile pénétrera selon le degré de perméabilité que nous pouvons avoir[107]et vouloir donner à nos structures. Dans le cas contraire, ou bien le Concile ne pénétrera pas, ou ce qui pénétrera ne sera qu'une adultération. Mais la réalité définitive de l'application du concile viendra, elle, de la préparation des nouvelles générations selon l'esprit et les grande lignes de Vatican II, et selon notre possibilité, à nous les Anciens, d'accepter le frottement des jeunes générations et de leur vie de chaque jour avec les anciennes[108].

Une chose me semble claire : il n'y aura ni rénovation ni adaptation, ou pour mieux dire, pas de rénovation adaptée, si l'on ne révise et organise à la lumière du Concile les problèmes des personnes et des facteurs qui contribuent à la formation. Je ne veux pas donner ici  le temps ne me le permet pas – l'image conciliaire de la formation : c'est là le travail d'une équipe et non d'une personne. Je me permets tout simplement, après avoir fait un appel vigoureux et même rude, de faire certaines réflexions marginales qui, je l'espère, pourront fournir quelque lumière à la commission.

 5. – Qualité des Formateurs

 Le premier point d'une formation ce sont les formateurs. Je tiens à dire, de la manière la plus sérieuse, à tous les frères Provinciaux et à leurs conseils y compris les chapitres provinciaux si le Chapitre Général les admet qu'ils n'hésitent pas à mettre à la tête des Maisons de formation, les meilleurs hommes de la Province, et puis, pour compléter l'équipe, les Frères les plus prometteurs. En faisant le choix de ces hommes on fixe déjà la phase première et fondamentale de la Province. Dans une famille digne de ce nom, si un enfant a froid ou a besoin de quelque chose, le père, la mère et les plus grands se sacrifient, mais on pourvoit au besoin de l'enfant : il ne doit pas en être différemment dans la famille religieuse en ce qui est fondamental pour l'éducation.

Dans le choix de ce personnel il faut tenir compte, surtout dans le choix du Directeur, de certaines qualités de base, sans lesquelles la formation est définitivement compromise.

a) Maturité. Elle suppose implicitement équilibre, stabilité dans la ligne entreprise, absence d'infantilisme, de compensations affectives, d'instinct possessif ou d'instinct de domination, fruits qui croissent dans un homme affectivement frustré, ou même efféminé[109]ou d'un homme qui, manquant de sécurité, cherche à s'affirmer.

b) Communicabilité qui accepte le dialogue, le voisinage, le contact avec les générations et le pouvoir d'accueil ; en un mot, qui ne se résigne pas à être déphasée. Cela demande un esprit jeune, agile, malléable.

c) Réceptivité devant le Concile. Le directeur d'une maison de formation doit être un homme qui réalise la formation et organise les maisons de formation à la lumière des orientations du Concile. Il faut qu'il soit lui-même non seule-ment perméable mais qu'il ait une connaissance aimante du Concile. Plus qu'un érudit, il faut qu'il soit un homme animé de l'esprit qui a toujours été présent au Concile et qui palpite dans les pages des documents conciliaires.

d) Sentiment de paternité. La formation n'est pas autre chose qu'une conséquence de la capacité génétique de l'homme, de son appétit d'engendrer et de faire croître la vie. Ce qui est vrai de l'ordre biologique l'est aussi de tout autre ordre de la transmission des niveaux de la vie humaine. Cette transmission est toujours accompagnée de bonté, de force et d'amour, ou même plus exactement en extraordinaire conjonction avec ces vertus. Une génération de vrais pères résout, par le fait même, un bon nombre de problèmes de la jeunesse. En face d'une génération qui méprise ses aînés, on peut se demander si la cause n'en est pas en ce qu'elle a vécu comme orpheline depuis sa naissance.

Dans la formation, tous le événements du jour sont marqués par cette relation génético-éducative qui va du sport jusqu'à la relation plus belle et profonde qu'est la direction spirituelle : relation qui, dans un climat d'amitié, de bonté et d'amour, porte à toujours grandir, s'affirmer, se suffire, à atteindre l'âge adulte et à conquérir la véritable liberté.

e) Préoccupation de sa tâche. Le directeur de formation est un homme préoccupé de la tâche qu'il remplit. St. Bernard disait : « Je dois mettre tout ce que je suis en chacune des choses que je fais ». Ceci n'est ni possible ni désirable ; c'est une usure de soi-même sans signification. Ce qui est possible par contre, c'est de se préoccuper de tout son pouvoir d'une tâche déterminée, comme à partir d'un centre vital. C'est la synergie dont parle Guitton. Nous avons donc besoin d'avoir, comme formateurs, des hommes qui, malgré les difficultés et parfois les échecs, trouvent « leur place » dans cette tâche. On évitera ainsi les évasions dans le travail et autres éléments de compensation. La première chose, en effet, — non la plus importante qu'un sujet demande à son formateur, c'est le don de son temps et de tout lui-même. A un Supérieur qui visitait une maison de formation, un jeune confiait : « Les Frères ne nous aiment plus comme avant, ne s'occupent plus de nous, nous laissent seuls et ne nous donnent pas ce qu'ils devraient nous donner : leur temps.

f) Vie spirituelle animée par la vocation. Cette qualité est décisive. En ce moment elle est pour moi la plus décisive de toutes. Je ne veux pas dire que, si elle existe, il n'y a plus besoin des autres. Non, si elle existe, et que les autres fassent défaut, l'éducation se terminera quand même par un échec, pour la raison bien simple que rarement Dieu agit par des miracles continuels. Mais ce que je veux dire par contre, c'est que je suis souverainement préoccupé quand je vois une équipe de formateurs pleins de dynamisme, chargés de plans et de projets, mais qui ne laissent pas apparaître en leurs personnes la plénitude de Dieu, chez qui on ne sent pas la tonalité de l'âme plongée dans la foi et vivant une expérience spirituelle, et dont le cœur n'est pas brûlé du feu de l'amour de Dieu, de son Eglise et de son plan de salut. Il faut même plus. Il faut vivre l'expérience de la vie religieuse et de sa propre congrégation avec goût, en croyant en elle, en l'assumant d'une manière conséquente, en étant convaincu de tout ce qu'on a. Avec idéal et aussi avec réalisme, car il ne s'agit pas de mythifier sa propre vocation. Pour quiconque a vécu une expérience adulte, les limites du réel ont été touchées du doigt, et c'en est fini des mythes. Aucune vocation ne peut plus prendre un caractère mythique. La Sainte Eglise elle-même, comme tout le reste de l'univers, a ses limites et ses imperfections. L'homme mûr est celui qui assume ce à quoi il croit, et qui croit ce qu'il a assumé. Il vit, parmi les impuretés du réel, le rajeunissement constant de son idéal.

Seul ce genre d'homme pourra donner la solution au grave problème des abandons de vocations que l'on remarque en bon nombre de maisons de formation. La jeunesse veut toucher. Il faut lui rendre tangible, réaliste, dynamique, la vie chrétienne, la vie religieuse, la vie mariste, en des hommes fascinants qui entraînent après eux les jeunes et rendent contagieux leur désir de suivre le Seigneur. Le football et l'astronautique ne passionnent la jeunesse qu'à travers tel ou tel footballeur ou cosmonaute.

Telles sont les qualités de base. Ces dons naturels doivent se rencontrer chez un religieux fer-vent qui est en même temps un homme mûr. Le degré peut varier, mais de fait ils doivent exister. Il n'en serait pas moins inacceptable qu'un Conseil Provincial (je parle de l'avenir) improvisât et mît un de ces hommes, sans plus, à cette charge, adoptant cette solution comme une politique normale pour les maisons de formation. Non, il faut pré-voir, prendre ces hommes et leur donner une formation adéquate spécifique à la tâche de formateurs, sans économiser, autant que faire se peut, ni temps, ni argent. S'il est un investissement rentable c'est bien celui-là.

En écrivant cela je pense au problème de certaines Provinces qui, soit par la multiplicité de leurs oeuvres, soit par manque de personnel, ne préparent pas les Frères au point de vue spirituel et au point de vue de la formation. N'ayant pas les hommes préparés, elles doivent se servir de ce qu'elles ont. Comme la persévérance diminue, par suite probablement de la formation déficiente[110] ayant moins de personnel, elles enverront ainsi moins de jeunes gens pour être formés ; un cercle vicieux s'établit alors, ou pour mieux dire, une sorte de spirale régressive qui pourra devenir fatale à la vie de ces Provinces. Le problème doit se poser aussi pour les maisons de formation inter-provinciales où le personnel enseignant est fourni par plusieurs provinces : il arrive que des besoins immédiats ou d'autres cas urgents obligent l'une ou l'autre de ces Provinces à négliger le choix, la compétence ou même l'envoi du personnel promis. Le résultat prévisible et explicable ne se fait pas attendre et peut produire des réactions en chaîne dans les autres provinces associées. Là, plus que dans tout autre cas, la parfaite honnêteté et la responsabilité des intéressés sont indispensables, étant donné l'enjeu dont il s'agit et qui atteint des intérêts beaucoup plus précieux et étendus pour tous.

 6. – Méthodes et Programmes

 Le second point de la formation a pour objet l'équipe des formateurs, leurs méthodes et leurs programmes. Je me contenterai d'énoncer quelques principes.

Les formateurs doivent posséder à un degré suffisant, à la fois, le dévouement et l'ouverture au dialogue ; l'esprit d'initiative et d'obéissance nécessaires pour former un corps avec tout ce qu'il implique : unité, pluralité de fonctions, etc. Cette unité établie sur la maturité des relations humaines et surtout sur la charité doit constituer comme le noyau central d'une famille, où l'on peut trouver une ambiance telle que l'aspirant ne l'oubliera jamais et qui exercera sur lui une influence ineffaçable, compensatrice de ce qu'il a laissé, tout en découvrant d'autre part une vraie société ; c'est dire qu'autour de ce noyau et à travers les liens horizontaux et verticaux une authentique famille sera créée, une manière de vivre d'une petite Eglise adaptée à sa taille, auprès du Seigneur et sous la protection et la tendresse de sa Mère.

Je me rappelle un juvénat, dans un pays sud-américain où les juvénistes qui appartenaient à la classe moyenne ou à la petite bourgeoisie et qui aimaient bien leur famille, revenaient pourtant au juvénat assez nombreux avant la fin de leurs vacances, par suite de la simple attirance et de la chaleur qu'ils trouvaient dans la maison de formation. Dire qu'un milieu semblable produit la frustration et ne contribue pas au développement de la personnalité ou à l'évolution affective normale, c'est émettre des jugements tout au moins précipités.

Plusieurs formes d'éducation peuvent exister, dont quelques-unes sont valables pour atteindre le but d'une bonne formation ; il ne faut donc pas juger à priori et précipitamment un système, et moins encore faire l'apologie d'un autre en méprisant des méthodes différentes ; seule l'analyse des résultats et des réalités, compte tenu des variantes de lieux et de culture, sera celle qui aura dit le dernier mot et prononcé le verdict authentique sur la valeur d'une méthode ou d'une formule pour les autres.

Par rapport à la méthode à suivre dans une maison de formation, je crois qu'il faut tenir compte de quatre points essentiels, que ne doit jamais perdre de vue l'équipe des formateurs responsables.

a) Pureté. Je donne à ce terme un sens très particulier, totalement différent de celui qu'il a d'habitude. Je veux qu'il exprime comme une semence d'idées nettes, exemptes de tout ferment de division, de désaccord, de manque de foi et de confiance à l'égard des formateurs, de contestation ou de révolte contre le système éducatif ; une semence exempte de doutes sur les principes moraux ou dogmatiques, doutes très contestables en face d'une doctrine sérieuse, et absolument déplacés, lorsqu'ils sont exposés dans nos maisons de formation à des aspirants manquant d'une maturité convenable pour les recevoir.

Une chose est certaine, c'est qu'aucun bien ne résultera de ces procédés ; mais par contre, la formation de nos jeunes s'en ressentira, elle, et peut-être pour longtemps[111]. En face de certaines attitudes anachroniques par rapport à l'âge de nos aspirants, ou devant l'insistance de certaines requêtes dans tel ou tel sens, on est en droit de se demander, si ces attitudes ou demandes ne seraient pas plutôt l'écho de désirs et de préjugés venant de l'équipe des formateurs eux-mêmes, et propagés par eux consciemment ou inconsciemment parmi les jeunes – plutôt que la manifestation spontanée de vrais besoins et aspirations, de ces mêmes jeunes.

C'est de toute mon âme que j'adresse un appel sérieux aux formateurs pour qu'ils évitent de déchaîner, eux-mêmes, un certain genre de dialectique négative dans nos maisons de formation. Leur responsabilité est sérieuse devant Dieu, devant l'Eglise et l'Institut : s'ils ne sont pas contents, ou ne se trouvent pas bien, il est préférable qu'ils demandent aux Supérieurs un travail dans un autre endroit. Mon allusion, cela va sans dire, ne concerne que ce qui est négatif, ce qui désoriente, ce qui donne de mauvais fruits, comme l'expérience le prouve, et quelle que soit d'ailleurs la satisfaction apportée à la nature et au groupe. De telles dissensions doivent se résoudre au niveau de l'équipe des formateurs, sans être diffusées par des actions personnelles, ou des initiatives spontanées, car dans ce cas on n'est plus du corps, le jeu n'est pas loyal, on trahit le groupe.

b) Unité. J'en ai déjà parlé, je n'insisterai pas d'avantage, j'affirme simplement qu'une mai-son de formation offre les conditions parfaites et privilégiées, comme dans un laboratoire, pour réaliser une micro-pastorale d'ensemble.

c) Continuité. Mais il y a une autre unité : non sur le plan horizontal, mais sur le plan vertical. En d'autre termes, les diverses étapes de la formation doivent non seulement s'échelonner mais se préparer progressivement de bas en haut, s'affirmer, se continuer et s'approfondir de haut en bas, et dans tous les sens se compléter. Il n'est rien de plus triste à voir qu'une étape de la formation de nos jeunes compromettant la suivante, ou inversement lorsque, au niveau supérieur, on méprise par exemple, ou on ridiculise celui qui a précédé. L'image aimée et l'autorité morale légitimement conquise par un formateur, avec tout le bien présent que cela implique et la possibilité réelle de soutien et de conseil pour les jeunes aux moments de perplexité ou de crise dans l'avenir peut être détruite par un autre formateur. Cet acte d'injustice demanderait, sous une forme ou sous une autre, une réparation.

On peut affirmer que l'action, coordonnée dans l'union, de trois formateurs de qualité moyen-ne, moins parfaite peut-être et moins brillante que celle dont on aurait rêvé, est cependant supérieure dans ses résultats à celle d'un autre groupe de trois hommes éminents, chacun à sa manière, mais avec trois systèmes de formation, remarquables sans doute, mais étrangers entre eux et opposés dans la pratique. Ce système, bon pour les adultes, acceptable, et, sous certains aspects, avantageux peut-être, est absolument contre-indiqué pour des adolescents.

d) Paternité et liberté. Je suis personnellement convaincu que la plupart des crises déchaînées dans les maisons de formation et qui ont provoqué la perte de sujet excellents, sur lesquels de grands espoirs étaient fondés, ont été des crises dues aux personnes, plutôt qu'aux structures. Ou, si l'on veut, pour être plus clair, ce qui a causé la crise c'est l'incapacité des responsables, la dureté de leur caractère, leur incompréhension, leur fermeture au dialogue et l'usage mal compris des structures elles-mêmes.

Lorsque les durcissements naissent de l'incertitude des formateurs et de la tendance aux interprétations négatives qui attribuent trop facilement le mal constaté au mauvais esprit et bloquent le dialogue, c'est alors que les structures deviennent rigides, antipathiques et étouffantes. Elles ne servent plus à la personne, à son bien authentique mais elles l'asservissent, faisant du moyen le but et oubliant le principe du Seigneur « l'homme n'a pas été fait pour le sabbat » (Marc, 2, 27). Tout le contraire se produit dans la chaleur réconfortante d'une attitude paternelle, d'un dialogue permanent, d'un authentique esprit de service, de famille et d'union. Tout le panorama change alors. Et, sauf pour des sujets inadaptés[112]ou prédisposés pathologiquement, les structures deviennent compréhensibles, aimées et acceptées par les aspirants. C'est dire qu'elles prennent un sens et loin d'asservir, elles édifient et réalisent la personne, mais dans un climat familial paternel qui suppose à son tour une mentalité en vertu de laquelle, tous veulent vraiment (formateurs et aspirants) les objectifs de la vie religieuse et mariste vers les-quels ces structures les orientent.

C'est dans ce climat que le dialogue a un sens : celui de chercher, entre participants, les changements à opérer et d'incorporer les plus efficaces dans l'ordre des objectifs à atteindre. En ce cas il n'y a aucun inconvénient à ouvrir le dialogue et, après une analyse sérieuse avec les aspirants, à introduire les modifications secondaires pour améliorer les structures.

C'est dans ce climat, et seulement dans ce climat, qu'a sa place la liberté. Je suppose admis le principe d'une pleine et permanente liberté d'option dans la vocation pendant toute la durée des vœux temporaires et en général de la formation. Tout usage de raisons morales et religieuses pour limiter et forcer cette liberté d'option a des résultats négatifs dans la pratique et constitue un abus par rapport au droit et à la liberté.

Partant de cette liberté, et ayant en vue le perfectionnement d'une maturité progressive, il est évident qu'un système de surveillance étroite n'est pas convenable. Un engagement personnel de responsabilité, de confiance et d'ouverture totale avec le Supérieur, est préférable. La liberté doit être graduelle. Les aspirants s'y préparent progressivement, et on la leur donne dans la mesure et selon le degré d'assimilation de cette préparation.

Le climat de liberté d'option pour persévérer ou pour abandonner la maison de formation, étant créé d'abord, on n'oubliera pas que la persévérance suppose et implique une volonté efficace d'être un vrai religieux mariste qui cherche, entre autres choses, à être éclairé par l'étude de notre genre de vie ; enfin on tiendra compte de la propre aptitude du candidat (intérieure et extérieure) à vivre cet état religieux. Tout se développe alors à partir de cette décision provisoire non pas définitive ni irréversible dans un climat de liberté de perfection qui favorise le mûrissement du choix librement fait. Comme dans le cas de fiancés, toute cette période sera consacrée à une étude mutuelle pour vérifier si les deux personnes qui affirment s'aimer, qui veulent unir leurs vies sont véridiques ou pas. Une fois la vocation authentifiée, l'aspirant ou le profès temporaire d'une part, et la congrégation de l'autre, prétendent en effet, par une connaissance et par un amour mutuel, de jour en jour plus intime et plus loyal, arriver à l'union. Si la séparation définitive devait cependant être envisagée, ce serait en pleine amitié.

Pendant tout ce temps, la conduite, les attitudes, les structures et les entraves à la liberté doivent être en concordance avec ce comportement fondamental. Agir d'autre façon, à base de procédés inacceptables, de fluctuations, de faux-semblants, de libertés qu'on donne ou retire suivant l'humeur, donner l'impression que l'Institut permet, tolère, légitime une conduite en opposition à l'engagement provisoire qui a été pris par le candidat, c'est méconnaître la nature de la vie religieuse, agir contre les conséquences qui découlent de cet engagement, enfin c'est non' seulement faire l'inverse de ce qu'il faut pour éprouver l'authenticité ou la fausseté de la vocation et de la préparation de la volonté à un don de soi fidèle, mais c'est même mal préparer pour la vie, pour un genre de vie quelconque, car le chemin de la déloyauté et de l'inconséquence ne prépare à aucune vocation, pas même à la plus fondamentale qui est celle de vivre.

Il semble que la tonique dominante aussi bien pour les fiancés que pour ceux qui se préparaient à la vie religieuse, était, hier, la constance et la fidélité. Aujourd'hui, pour quelques-uns, on dirait que c'est le « flirt ». En réalité, un jeune qui n'en est qu'au stade de l'étude de sa vocation, mais qui, tout en sachant possible le retour en arrière, « prétend » sérieusement à la vie religieuse, comme à la « sequela Christi » ne doit pas à sa congrégation moins de fidélité et de franchise qu'un jeune homme qui prétend sérieusement à la main d'une jeune fille. Si l'on ne veut pas accepter ainsi les choses, il est préférable d'en rester au plan de l'amitié, et non pas de l'engagement, même si celui-ci n'est que temporaire.

Dieu veuille que ces réflexions puissent servir aux formateurs, non pour un retour aux petitesses, mais pour une orientation du jugement qu'ils doivent porter sur la conduite de ceux qu'ils for-ment (en vue de leur formation et de leur sélection) et aussi sur le genre de vie et sur les structures qu'ils organisent eux-mêmes pour les maisons de formation. En tout cela, les applications sont multiples, pour quiconque veut les voir, et, d'ailleurs, il me semble qu'elles ont été suffisamment établies.

Toute doctrine, après avoir été clairement et raisonnablement exposée aux aspirants, doit être vécue, je le répète, en pleine liberté, sans contrainte, par simple persuasion. Si quelqu'un n'est pas convaincu, ou s'il n'est pas encore préparé pour cette étape provisoire, et moins encore pour l'étape définitive[113], on devra attendre, et on devra le préparer. Si quelqu'un, en disant qu'il accepte, fait un pas déloyal, il ne doit pas être admis aux vœux, parce qu'il n'est pas préparé, et on lui ferait du mal en l'acceptant. Il est nécessaire que la vie religieuse soit authentique ; dans le cas contraire, il est mieux qu'elle n'existe pas.

Cependant, si l'on tient compte que l'homme est faible. même quand il est plein de bonne volonté, il est compréhensible, et on doit même pré-voir qu'il y ait des fautes occasionnelles. Alors, le vrai test de discernement, c'est' la réaction devant ces fautes et l'esprit de loyauté et d'ouverture avec les Supérieurs. Ceux-ci doivent aider les aspirants à voir s'il leur convient ou non de persévérer dans un état de vie, et, en supposant qu'il leur convient, les aider à faire un réel effort de volonté dans la fidélité totale et dans la possession d'eux-mêmes.

Le mensonge, la sournoiserie, la tromperie, la vie double, sont des motifs et des raisons plus que suffisants pour démontrer que quelqu'un n'a pas une vraie vocation, ou qu'il ne veut pas la suivre.

Pour en finir avec ce point, précisons les idées. Je viens de plaider pour un climat de totale liberté. Il n'y a pas de rôle plus triste que celui d'un Supérieur jouant au policier. Il n'y a pas d'attitude plus puérile et plus nuisible pour un candidat que de jouer à cache-cache en menant une vie double : cela revient à cultiver la vulgarité morale, la légèreté et l'immaturité psychiques.

En résumé, dans un climat d'amour et de liberté tel que je l'ai présenté comme marche à suivre dans les maisons de formation, il faut que les concepts de liberté, responsabilité et connaissance mutuelle soient pris dans toute leur étendue et avec toutes leurs conséquences, lors même que l'on adopte les précautions requises afin que ces divers éléments soient à la fois différenciés et intégrés dans la vie pratique avec un sage équilibre. Ainsi, par exemple il faut savoir faire la différence entre :

– liberté intérieure et liberté extérieure

– droit à l'usage de la liberté et de la responsabilité

– liberté d'option dans la vocation et liberté de perfection (de cette option préalable déjà réalisée)

et surtout ne pas confondre

– vigilance et connaissance.

Tandis que la première paraît chaque jour plus difficile et moins efficace pour la génération actuelle, particulièrement lorsque celle-ci atteint un certain âge, la seconde ; par contre, constitue un besoin, un devoir et un droit, comme mesure préalable à l'acceptation définitive au sein d'une congrégation. Par conséquent bien différentes sont la feinte réciproque et la manifestation spontanée, dans laquelle la congrégation et le candidat se font connaître tels qu'ils sont. En agissant de la sorte, les deux parties choisissent librement et en connaissance de cause.

 7. – Sujets à former

 a) Pastorale des Vocations.

 En troisième lieu, il y a le problème des sujets. Je me rapporte ici à la méthode de pastorale des vocations – on disait anciennement recrutement, employant un mot désagréable, aujourd'hui tombé en désuétude – et aux qualités des sujets. L'ampleur que je donne à ce point de la formation m'oblige à résumer ; il y aurait tant à dire !

Une chose est bien claire : dans des conditions identiques et en supposant que le germe de la vocation trouvera les moyens suffisants pour se développer dans le cœur d'un enfant ou d'un jeune homme dont la vie chrétienne croît dans la ferveur et dans la générosité, on doit préférer la vocation adulte à la vocation jeune. En quelques endroits, l'entrée à la maison de formation se fait, au plus tôt, lorsque l'aspirant finit son baccalauréat. C'est l'idéal, et il faudra le faire toutes les fois que le mieux ne sera pas l'ennemi du bien. Mais il est nécessaire de contrebalancer cet idéal relatif par des faits non moins certains tirés de la réalité humaine et de la réalité biblique.

Dans toutes les congrégations il y a des con-sacrés qui sont entrés dans leur jeune âge, par suite de circonstances fortuites et quelquefois banales. Ces circonstances ont cependant été l'étincelle initiale d'une rencontre et d'un dialogue progressif avec Dieu qui, à travers invitations et réponses, flux et reflux, ne trouve sa perfection que dans le sein de la Trinité. Les exemples connus nous viennent en foule : Un enfant a 10 ans ; il a pris la variole et au cours de sa maladie il a vu un Frère mariste. Il dit à sa sœur, qu'il veut être comme ce monsieur, et voilà qu'il est aujourd'hui un excellent Frère occupant un poste important. Un autre, sollicité par deux recruteurs affirme qu'il partira avec le premier qui viendra le chercher. Il prépare ses affaires et le recruteur qui aurait dû arriver premier est en retard d'un train. C'est un Frère mariste qui arrive et emmène le garçon. Aujourd'hui devenu frère, ce garçon vit avec joie et dynamisme sa vocation. Les exemples pourraient être multipliés indéfiniment[114]. Je connais des religieux qui m'ont dit : « Si j'avais attendu, je ne serais pas entré dans la vie religieuse ». Ils sont entrés et ils seraient désolés si cette étincelle initiale n'avait pas jailli et s'ils n'étaient pas aujourd'hui ce qu'ils sont. Laissons de côté cette joie subjective d'être ou de ne pas être ; ce sur quoi j'attire l'attention, c'est la perte possible d'un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses. La décadence constatée parfois aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est si on avait employé d'autres méthodes pastorales. Et nous nous payons le luxe, dans un monde qui nous déborde, d'une crise de vocations, alors que déjà le nombre de ces vocations suivait de bien loin l'accroissement démographique ! et ce momie demande à grand. cris, mais en vain la parole divine, la grâce divine, et la pratique de la charité dans les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle.

D'autre part dans l'Evangile, les épisodes de l'appel divin, sont tous fortuits. Il n'est certainement pas question de motivations chez les Apôtres, ne parlons pas des disciples ; elles ne seraient sûrement pas toutes très pures, les sentiments nobles se mêlant facilement aux intérêts temporels, à la jalousie et le groupe des Douze ne manquant ni d'un marchand, ni même d'un traître. Mais le Christ sait bien que la vocation ne vient pas d'eux, ni ne se fonde sur des sentiments psychologiques ou autres motivations ; elle vient purement et simplement du choix du Seigneur : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et un fruit qui demeure » (Jn. 15, 16).

Je ne voudrais pas faire d'exégèse étriquée pour déboucher sur un schéma de justification. C'est une des choses qui me répugnent d'instinct, je préfère au contraire, des études sérieuses pour les vocations adultes et mon désir est que nous puissions bientôt compter sur elles. Ce n'est pas l'opportunisme de certains recruteurs, aux méthodes peu dignes de l'appel du Christ, qui m'intéresse, mais plutôt une sérieuse théologie de l'appel, fondement solide d'une pastorale des vocations, surtout d'une pastorale organique où s'harmoniserait au maximum le respect des charismes dans un contexte d'Eglise et pour l'Eglise. Je ne puis cependant fermer les yeux devant des faits qui sont là, et, dans lesquels, à la lumière d'une claire analyse, se manifeste la main de Dieu.

Au point de vue sociologique, lorsqu'on tient compte des résultats acquis dans deux provinces par-mi celles qui ont pris part à l'étude et à l'enquête de « data », on trouve 83 % des 600 frères anonymes répondant que si aujourd'hui, ils devaient à nouveau choisir leur vocation ils choisiraient d'être Frères Maristes. On se sent alors moins assuré pour affirmer qu'il eût été préférable d'attendre cinq ou six ans de plus avant d'entrer au noviciat,- car on est pratiquement sûr que certains d'entre eux n'auraient plus répondu à l'appel, leur cœur ayant choisi d'autres idéaux, d'autres valeurs moindres que ceux qu'ils ont choisis, et qu'ils affirment être heureux d'avoir choisis.

Comme on peut le voir, le problème, sur le plan pastoral n'est pas si facile, bien que psychologiquement le fait de la vocation adulte offre d'indiscutables avantages.

 b) Quelques principes.

 En attendant les lumières que le Chapitre et l'Eglise nous donneront je proposerai ce qui suit :

1° que l'on recherche avec courage, même en brisant les vieux moules, une formule de promotion des vocations mieux adaptée à chaque endroit. Peut-être serait-il opportun à ce sujet, d'agir. graduellement plutôt que d'opérer un changement trop brusque ; on garantirait ainsi le succès de la deuxième formule, avant de faire disparaître la première.

2° Agir de telle façon que le promoteur de vocations emploie toujours des méthodes parfaitement honnêtes pour présenter la vocation aux enfants dans un esprit ecclésial entièrement semblable à la manière divine.

3° Que ni le promoteur de vocations, ni les formateurs ne prétendent, dès le début, avoir affaire à des vocations « chimiquement » pures. Ils accepteront celles qui leur semblent authentiques. et, à la manière du Christ, ils travailleront sans relâche, à épurer le germe dans ses motivations jusqu'à la Pentecôte, c'est-à-dire la manifestation divine. En même temps que ce travail d'épuration des motivations chez les aspirants, l'expérience confirme le besoin d'informer et d'éduquer les parents par des réunions périodiques et des publications adaptées à leur mentalité, pour tout ce qui touche à la vocation de leur fils.

4° Qu'on se rappelle que les systèmes de formation et de pastorale des vocations sont très variés ; chacun d'eux contient, s'il est bon, tout un ensemble de corrélations interdépendantes, de telle sorte que certains principes, une fois posés, exigent la mise en pratique de toute une série de facteurs pédagogiques déterminés. Ainsi par exemple, il est urgent qu'on donne plus de liberté lorsque le candidat est moins mûr. Il doit être à l'abri de toute pression morale (menace de péché, infidélité à la voix de Dieu, danger pour le salut) et trouver un climat plus familial, plus propice à l'évolution affective et au besoin d'être aimés qu'éprouvent les jeunes loin de leur foyer.

5° Finalement, soit dans les tests de sélection, soit à l'occasion des cercles ou des réunions de présélection qui seront organisés, soit même lorsque l'aspirant a déjà été admis dans les maisons de formation, on doit moins mettre l'accent sur le niveau intellectuel – ce qui ne veut pas dire qu'il faut le négliger que sur la formation et l'épanouissement de la personnalité, l'intégration affective, le style des relations, les centres d'intérêt et de va-leur, les rapports humains, le degré d'oblation, les complexes et les sentiments d'infériorité, de domination, d'agressivité, de culpabilité, etc., les problèmes de caractère, les jugements portés sur les personnes et les événements, etc.

Voilà les véritables valeurs, la pâte humaine, noble ou vile avec laquelle se forge une vocation. C'est toute autre chose que d'envisager l'aide qu'un sujet bien doué petit apporter à nos œuvres sur le plan professionnel. Ce qu'il faut chercher c'est le témoignage d'une consécration authentique, apte, par la charité, à édifier des communautés où il fait bon vivre, attrayantes et pouvant servir d'exemple à tin monde de plus en plus socialisé et en même temps plus désintégré pour la personne noyée dans la masse.

C'est dans ce monde que nos jeunes vivront et seront formés, il ne faut pas craindre leur contestation et les révisions qu'ils nous imposent, pourvu qu'ils soient entraînés à un véritable dépassement qui sait admettre dans le dialogue, non seulement l'acceptation des raisons valables, mais aussi le rejet de celles qui sont contestables, dans leur propre contestation, pour être révisées à leur tour et devenir authentiques et légitimes. Une jeunesse ainsi forgée, sera non seulement un espoir, mais, un ferment actif et précieux dans notre Congrégation.

Il faut donc que chaque formateur s'interroge devant Dieu et devant sa conscience professionnelle pour savoir quels sont les résultats vrais donnés par le système de formation employé. Il ne doit pas craindre de faire un examen approfondi, loyal et honnête pour essayer de discerner les résultats et juger si, jusqu'à présent, ils ont répondu aux efforts, ou bien, s'ils ne sont plus rentables. Il se demandera aussi, si l'heure n'aurait pas sonné de remettre en question les vieilles « infaillibilités méthodologiques, et d'avouer humblement, que peut-être, la faute, dans la crise actuelle de vocations., n'est pas toute dans la jeunesse, ni tellement peut-être dans les structures, mais plutôt dans la façon d'agir de personnes appelées aujourd'hui, à donner une formation qui sait tenir compte des signes des temps, sans perdre de vue l'idéal du religieux éducateur mariste, voulu par le Fondateur pour main-tenant.

Plaise à Dieu que la puissante influence que le Fondateur a eue, comme formateur, et comme éducateur soit communiquée par lui, don précieux – à tous nos formateurs, à tous les responsables de notre jeunesse. Ne nous trompons pas et ne trompons pas les jeunes qui viennent à nous avec le désir d'être formés à une vie religieuse authentique, en ne leur offrant que des futilités plus ou moins mondaines, au lieu de l'idéal évangélique. Cette ambiguïté hybride offerte à nos jeunes sous couleur de vie religieuse pourrait bien être la cause de la crise actuelle dans nos maisons de formation. N'ayons pas la prétention de leur fournir ce que le monde pourrait leur donner bien mieux que nous ; ce n'est pas pour cela qu'ils viennent chez nous, et si c'était pour cela, il vaut mieux qu'ils s'en aillent ; tant pis s'ils sont désenchantés de n'avoir pas trouvé ce qu'ils cherchaient : la voie des succès, des honneurs, d'une vie confortable, tout l'éventail des compensations humaines. Qu'ils réfléchis-sent bien à cela tous ceux qui, croyant servir la formation humaine de nos aspirants le font au détriment de la formation religieuse, sont les premiers à pousser aux relations avec les jeunes filles pendant de longues vacances, à toutes sortes de visites, sans négliger, bien sûr, le cinéma et la télé-vision à discrétion ; enfin à toute une série d'expériences, qui, je le répète, peuvent se trouver dans le monde bien mieux que dans tout ce que nous pourrions tenter. Nous ne pouvons leur offrir qu'une chose : Si tu veux suivre et imiter le Christ, chaste, pauvre et obéissant, viens, tu le trouveras chez nous. Si tu souhaites autre chose, reste où tu es.

Ceci n'est pas pour autant une défense d'employer avec mesure et prudence, les moyens modernes de formation et de communication sociales.

 B. – FOI ET ATTACHEMENT INEBRANLABLES AU PAPE

ET A L'EPISCOPAT

 1) Constatations.

 Il y a un mépris de l'attachement au Pape, et, un peu moindre – du moins en apparence – de l'attachement à l'Episcopat, qui s'étend de plus eu plus dans certains lieux. Enfants de l'Eglise et du Bienheureux Champagnat, que devons-nous donc faire ? Croire fermement et réaffirmer notre docilité et notre inébranlable attachement au Magistère. Les avis de notre Bienheureux Fondateur au sujet du Pape et de l'Episcopat sont nets[115] et, qui plus est, ils ont été donnés dans un temps où le gallicanisme n'inspirait pas à tout le clergé français de l'affection ou de la dévotion au Pape. Bien que l'infaillibilité pontificale n'eût pas encore été explicitement déclarée dogme de foi par un Concile, le Bienheureux s'en montrait déjà le défenseur hardi.

Les travaux de Vatican I étant restés inachevés, en face du « binôme » épiscopat-papauté – comme on a dit en employant une expression, certes, sans élégance ni justesse —-, on s'est alors penché sérieusement vers le second terme, en négligeant trop le premier. On pourrait en donner pas mal de raisons, mais à vrai dire assez rudimentaires. A l'exception de certains pays de l'Europe, les autres nations du monde ne pouvaient pratique-ment pas donner un « sens collégial » à l'Episcopat. Bien que cet Episcopat formât une institution, au fond chacun agissait d'une façon indépendante. Il a fallu que les moyens de communication géographique rendent possible le contact, au bout de quelques heures, avec les prélats venant des antipodes, pour que les rapports se multiplient. Beaucoup d'entre eux avaient déjà entrevu avec joie la nouvelle réalité à l'occasion de la merveilleuse encyclique de Pie XII sur les missions : « Fidei Donum » (21 avril 1957). Ils découvraient qu'ils étaient évêques du monde, même s'ils restaient évêques de leur diocèse en priorité et à un titre spécial.

Le Concile Vatican II a mis les choses au point en donnant à l'Episcopat la place qui lui était due en justice. Dans un commentaire, quelqu'un a pu dire à propos des pasteurs de l'Eglise qu'ils étaient rentrés évêques au Concile, mais qu'ils en étaient sortis Episcopat.

Tout cela est vrai et ne diminue absolument pas le primat de Pierre, ni son infaillibilité, pas même l'importance suprême que son magistère ordinaire doit avoir pour l'Eglise[116].

Loin donc de diminuer, notre foi, notre adhésion au Pape, notre respect et notre amour pour lui doivent augmenter, justement parce que la doctrine est beaucoup plus riche et plus claire en notre temps qu'en celui du Bienheureux Champagnat. Au moment où malheureusement pas mal de catholiques se permettent de douter du Saint Père, de rejeter et de critiquer non seulement sa personne mais ses décisions et l'institution même de la papauté, notre devoir à nous est de serrer nos rangs autour du Vicaire du Christ. Les raisons n'en manquent pas, mais l'une d'elles me paraît particulièrement importante pour des religieux éducateurs : de l'attitude que nos élèves verront en nous dépendra en effet celle qu'à leur tour ils auront dans leur vie. Il faut donc que les Supérieurs et les éducateurs des maisons de formation s'imposent le devoir de transmettre à leurs disciples le plus grand respect du Pape. Il ne s'agit pas d'« intégrisme romain », comme d'aucuns disent, mais simplement d'une façon authentique d'être enfants de l'Eglise et, pour nous, d'être réellement maristes. Je ne crois pas que la vérité se trouve plus dans l'intégrisme que dans le progressisme ; voilà pourquoi je n'adhère, par la pensée et les préférences, ni à l'un ni à l'autre de ces deux courants. Ce n'est pas tel ou tel parti qui m'intéresse, mais la vérité[117].

Vatican II n'a pas opposé l'Episcopat à la Papauté ; loin de là, il n'a fait que les unir. Voilà pourquoi nous devons recevoir pleins de joie cet apport conciliaire et en faire l'objet, plutôt que d'explications simplement théoriques, de conséquences pratiques.

A l'occasion de l'Année de la Foi, plusieurs Conférences Episcopales ont publié de très riches lettres pastorales collectives. Je me demande si on en a pris connaissance et si on les a lues chez nous. Elles ont donné des directives. Les a-t-on suivies ? Il y a, en outre, des documents qui méritent une considération à part parce qu'ils nous sont donnés par des groupes internationaux d'évêques, par exemple, la Conférence des Evêques de l'Amérique Latine (CELAM), qui concertent de plus en plus la direction et le travail de leur pastorale.

Ici je voudrais dire un mot d'un problème qui concerne nos relations avec l'épiscopat : l'exemption. Il y a eu un mouvement au sein du Concile pour essayer de la supprimer ; un autre en a pris la défense. Je crois que, au fond, il ne s'agit pas tant de l'exemption elle-même que de l'usage que l'on en fait. Dans son interprétation authentique elle peut servir aux religieux de moyen très efficace pour mettre de nombreuses vocations au service de l'Eglise universelle et conserver des formes de vie que le Saint Esprit, par la communication de ses charismes, a engendrées dans l'Eglise. L'exemption permet ainsi de protéger les zones les plus pauvres de l'Eglise et de mener à bon terme une nouvelle distribution des apôtres dans le monde entier d'après un principe élémentaire de bien commun universel. Mais cela demande un bon emploi de l'exemption,

 2) Recommandations.

 Voici donc quelques recommandations pratiques relatives à cette question.

a) Que les Frères qui se laissent aller à une désagrégation progressive de leur foi et de leur docilité ecclésiale, surtout en ce qui se rapporte au Magistère ordinaire ou extraordinaire de l'Eglise ouvrent les yeux et réagissent sérieusement contre cette tendance qu'ils commencent à remarquer en eux[118]. S'ils n'y sont pas disposés, je crois pouvoir leur dire loyalement que leur place est en dehors de l'Institut, si douloureux qu'il nous soit de les voir partir et diminuer en nombre notre Congrégation.

b) Que cette remarque ne soit pas une sur-prise pour quelques Frères comme s'il s'agissait d'une minorité tellement infime qu'elle en est insignifiante. Oui, grâce à Dieu, ce phénomène, bien que réel, est rare parmi nous ; mais c'est pour cela que je tiens à parler clair et à temps.

c) Que les Frères Provinciaux, d'accord avec les Frères Directeurs, s'efforcent de mettre à la portée des Frères des sources d'information sérieuse qui leur permettent de trouver les documents authentiques de l'épiscopat et surtout du Pape, à temps et en entier. Attention aux textes accompagnés de commentaires ou d'interpolations qui manquent de respect et de sérieux et qui en diminuent l'effet. En français, par exemple, une revue comme la Documentation Catholique me semble un modèle de sérieux. Le Saint-Siège a manifesté son désir que sa pensée arrive rapidement et à propos dans les lieux les plus éloignés, avant que les déformations d'une presse à sensation de type profane – et malheureusement parfois aussi religieux – ne dévient le message et ne le transmettent sous la forme de nouvelles qui donnent une véritable altération des documents officiels. Cette manière d'agir crée une mentalité et une opinion telles que lorsque arrive le document originel, ou on ne le lit pas, ou, si on le fait, c'est avec des préjugés déjà formés, des points de vue ou des schémas d'interprétation spécieux. Pour remédier à cela, l'Osservatore Romano s'efforce d'éditer en plusieurs langues une publication hebdomadaire afin de transmettre avec fidélité et rapidité – elle est éditée pour l'envoi par avion – les plus importants des discours du Pape dans le courant de la semaine. Faisant écho au désir explicite du Saint-Siège, nous recommandons vivement cette souscription surtout pour les pays les plus éloignés[119].

 3) Eglise et Vérité.

 Encore une chose avant de terminer ce problème de l'adhésion au Magistère ecclésiastique. L'Eglise ne peut-elle pas se tromper dans ses définitions doctrinales. De fait, ne s'est-elle pas trompée historiquement ? Oui. C'est pour cela qu'il existe des normes pour indiquer à quel point l'autorité ecclésiastique s'engage dans une définition, normes qui établissent, par conséquent, la plus ou moins grande probabilité d'erreur.

A ce sujet, deux choses doivent être claires :

a) Lorsqu'il y a vrai magistère – au sens que nous dirons plus loin -, il ne peut y avoir d'erreur.

b) En ce qui n'est pas absolument défini dogmatiquement, l'Eglise, malgré la possibilité d'erreur, même sur le terrain doctrinal, a le droit d'énoncer une doctrine ou de commander, et les chrétiens sont obligés  – en la manière qui sera expliquée – d'adhérer à ses enseignements et d'obéir à ses ordres. Je crois que la meilleure façon d'illustrer ces points c'est de citer textuellement l'Episcopat allemand à ce sujet :

« Il nous faut ici aborder en toute sérénité un problème difficile qui, pour beaucoup de catholiques, constitue une plus grande menace qu'avant, tant pour leur foi que pour leur confiance spontanée à l'égard du magistère de l'Eglise. Nous voulons parler du fait que des erreurs peuvent se glisser et se sont effectivement glissées dans le magistère de l'Eglise au cours de l'exercice de ses fonctions. Que cela puisse se produire, l'Eglise en a toujours été consciente ; elle le dit dans sa théologie et elle a donné des règles de conduite pour le cas où se produirait une semblable situation. Cette possibilité d'erreur ne concerne pas les vérités pro-clamées par une définition solennelle du Pape ou du Concile œcuménique, ou proclamées par le magistère ordinaire et impliquant une adhésion de foi absolue. Il est d'ailleurs historiquement faux de prétendre que, par la suite, il se soit avéré que l'Eglise ait commis des erreurs dans ses dogmes. Mais par là ne se trouvent naturellement pas écartées la possibilité et la nécessité constantes de développer la compréhension d'un dogme, en lui maintenant son sens originel et en écartant les malentendus qui auraient pu s'y insinuer. Cette question ne doit cependant pas être confondue avec une autre. Il va de soi, en effet, que dans l'Eglise, à côté de ce qui est de droit divin et immuable, il y a aussi ce qui est de droit humain et est susceptible de changements, n'ayant, de prime abord, rien à voir avec l'erreur. Tout au plus peut-on s'interroger sur l'opportunité de telle ou telle prescription juridique, ancienne ou récente.

Pour ce qui est de l'erreur et des possibilités d'erreur dans les enseignements de l'Eglise qui n'ont pas fait l'objet d'une définition – lesquels peuvent également obliger à des degrés très divers – il faut d'abord bien voir que, dans la vie humaine, on doit d'une façon générale toujours faire pour le mieux en s'en tenant à des données qui, théoriquement, ne peuvent pas être considérées comme absolument certaines, mais cependant doivent être respectées hie et nunc comme des normes de pensée et d'action valables, parce que. pour le moment, on ne peut pas faire mieux. Cela, la vie concrète l'a appris à chacun. Tout médecin, lorsqu'il doit donner un diagnostic, tout homme d'Etat, lorsqu'il doit porter sur la situation politique un jugement destiné à orienter sa décision, savent ce qu'il en est. L'Eglise elle aussi, dans sa doctrine et sa pratique, ne doit pas toujours et en chaque cas se laisser en-fermer dans ce dilemme : ou promulguer une décision doctrinale qui oblige au plus haut degré, ou se taire et tout laisser à l'arbitraire de chacun. Tout en maintenant la substance propre et intime de la foi, elle doit  même si elle court le risque de commettre une erreur dans tel ou tel cas particulier donner des enseignements doctrinaux qui obligent jusqu'à un certain point ; mais comme ces enseignements ne sont pas des définitions de foi, ils ont un certain caractère provisoire qui peut aller jusqu'à comporter une possibilité d'erreur. Sinon, elle ne pourrait pas annoncer sa foi, la commenter et l'appliquer comme norme de vie aux différentes situations humaines. En pareil cas, chaque chrétien se trouve à l'égard de l'Eglise dans une situation analogue à celle de l'homme qui sait qu'il doit suivre les prescriptions d'un expert, bien qu'il sache également qu'elles ne sont pas infaillibles ». (Documentation Catholique, n. 1511, colonnes 322 et 323).

 C. – INSERTION DANS UNE PASTORALE ORGANIQUE

AU NIVEAU LOCAL.

 Au temps du Père Champagnat, les communications étaient si difficiles, et les paroisses d'un même diocèse si isolées que les relations entre elles, étaient lentes et peu fréquentes. C'est pour cela qu'il conçut le travail des Frères au niveau paroissial, pour tout ce qui a rapport à l'ordre pratique et quotidien. Aujourd'hui, dans les pays aux communications faciles, la conception d'une pastorale paroissiale ou même rurale a beaucoup changé et s'ordonne plutôt à une pastorale de zone. C'est un fait pour la campagne, et qui devient impératif pour la ville. Vouloir continuer à agir dans le style propre d'une pastorale de paroisse rurale dans le cadre d'une sociologie urbaine, serait une erreur lourde de conséquences. Malheureusement il y a encore des paroisses qui ne l'ont pas compris.

Or, sans vouloir le moins du monde nous couper des paroisses et moins encore des prêtres qui en sont responsables, je crois que pour bien traduire l'esprit du Père Champagnat qui se trouve dans sa vie[120], dans ses lettres et aussi plus tard dans les directives des Supérieurs[121], il faut extrapoler avec intelligence et mesure avant de faire des applications et prendre des décisions en vue d'une pastorale organique.

C'est dire que la manière normale d'établir le contact avec l'Eglise en général, se fera par l'intermédiaire des structures locales et concrètes de l'Eglise diocésaine et nationale. Ce contact pourtant ne doit pas être cherché avec l'ensemble de ces structures ecclésiales, dispersées, autonomes et sans relations entre elles, mais comme faisant partie d'un tout fonctionnel qui agit d'accord avec les organes naturels dans des plans de pastorale organique. C'est à ce niveau que nous devons nous insérer, c'est là que nous devons coopérer, si cette pastorale organique existe. Lorsqu'elle n'a pas encore été mise en marche, il faut se prêter à la collaboration comme propagateurs de l'idée d'abord, comme collaborateurs ensuite, tant pour les premières réalisations que pour le développement ultérieur. « Qu'une coopération ordonnée s'établisse ensuite entre les divers Instituts religieux et avec le clergé diocésain dans une collaboration étroite de toutes les œuvres et actions apostoliques qui dépendront surtout des dis-positions surnaturelles enracinées dans les âmes et les esprits. Or, amener cette coordination pour l'Eglise universelle incombe au Siège Apostolique, aux évêques dans leurs diocèses respectifs, aux synodes patriarcaux, enfin aux conférences épiscopales pour leur territoire » (Décret : Christus Dominus 35-5).

Tous les Instituts doivent participer à la vie de l'Eglise en accord avec leur caractère propre, faire leurs et favoriser de toutes leurs forces ses entreprises par exemple en matière biblique, liturgique, dogmatique, œcuménique, missionnaire et sociale (P. C. 2c). A un autre endroit du même décret, il est dit : « On favorisera les conférences ou conseils de Supérieurs Majeurs érigés par le Saint-Siège et qui sont de grande utilité pour atteindre plus parfaitement le but de chaque Institut, pour susciter une plus efficace collaboration au bien de l'Eglise, pour répartir plus équitablement les ouvriers de l'Evangile dans un territoire déterminé et pour traiter les affaires communes aux religieux. On instaurera une coordination et une collaboration convenables avec les conférences épiscopales en ce qui regarde l'exercice de l'apostolat » (P. C. 23).

Une seule observation sera suffisante : un des premiers principes de la pastorale organique consiste à respecter les charismes personnels et institutionnels donnés par l'Esprit-Saint pour diriger d'une manière coordonnée, unifiée et ecclésiale l'accomplissement de la tâche apostolique dans l'Eglise locale[122]en rapport avec la situation concrète de ceux à qui elle est destinée. Ceci bien compris signifie évidemment que les facteurs historiques, sociologiques, géographiques, psychologiques, etc. doivent être assumés d'une manière spéciale dans l'Eglise, pour que l'adaptation ne déforme ni sa nature ni celle des organismes.

Prendre un Frère de Saint-Jean-de-Dieu pour lui donner une classe, ou un Frère Mariste pour soigner des fous, des prêtres pour organiser des industries ou des laïcs pour des fonctions sacrées, ce serait, sauf exception[123]une manière d'agir qui va à l'encontre de la nature même de la pastorale organique[124]. Le travail propre de coordination des divers organes de cette pastorale doit se faire de la manière la plus naturelle, c'est-à-dire en employant le moins possible d'hommes attachés à la pastorale directe pour les charger d'emplois bureaucratiques, administratifs ou à des fonctions de recherche et de planification. Ces mêmes fonctions doivent être proportionnées aux besoins ; dans le cas contraire. il se crée de grands projets de coordination et de planification qui resteront dans les archives, faute de bras pour les réaliser. Parfois dans certains endroits, il nous faudra céder, comme d'autres Congrégations. Mais ces cas ne doivent pas se multiplier, et ne seront pris en considération que pour des demandes bien fondées.

 D. – ZÈLE POUR UNE CATÉCHÈSE RENOUVELÉE.

 1) Deux Aspects :

 On peut envisager deux aspects :

a) L'insertion dans le mouvement de catéchèse moderne, si riche et si adapté à notre temps ;

b) La revalorisation parmi nous de la fonction de catéchiste.

En disant catéchiste, je ne veux pas laisser entendre qu'on abandonne l'école pour une catéchèse extra-scolaire par exemple paroissiale. Je ne prétends pas non plus affirmer que cette solution soit sans intérêt pour un certain nombre de Frères. Je ne veux pas me prononcer sur ce point et il n'en sera plus question dans ce qui va suivre. Mon désir est de présenter ce qui pourrait être dit à notre Chapitre par le Fondateur et je dois le faire seulement pour les points dont je suis sûr.

 2) Quelques données de notre histoire.

 Rappelons-nous que dans les exemples qu'il nous a laissés nous trouvons une série de données indiscutables qui, transposées en notre temps, nous permettront de tirer deux ou trois conclusions de base. Ces données originales sont les suivantes :

a) Il voit l'insuffisance de la Société de Marie avec les seuls prêtres, et il a l'insistante intuition qu'il faut des Frères.

b) Ce besoin de Frères, vu les connaissances et les idées de son temps, n'est pas influencé dans sa conscience, par la place du laïcat dans l'Eglise[125], mais par l'insuffisance des prêtres de la Société de Marie pour subvenir à tous les besoins pastoraux.

c) Cette complémentarité est orientée vers une collaboration avec les Pères dans « leur » action éducatrice et prophétique.

d) La décision de fonder les Frères, déjà présente dans son esprit, prend décidément tournure au moment où il assiste le jeune moribond qui ignore tout de la religion.

e) Il est intéressant de voir ce qui met en branle cette impulsion. C'est la prise de conscience douloureuse que le malade ignore le Christ et court le danger de se damner, ce qui est typique dans la pastorale de l'époque. Aujourd'hui, bien sûr, quelques chrétiens agiraient plutôt par besoin de communiquer et d'étendre leur foi, ce qui est peut-être d'ailleurs un motif plus valable théologiquement pour l'apostolat[126], car justement la foi est dynamique. En tout cas pour notre Fondateur l'impulsion n'est pas née d'un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur besoin imposé par le dynamisme de sa propre foi mais d'un mouvement de l'extérieur vers l'intérieur : il y a un besoin pastoral qui réclame des messagers.

Le fait est d'importance parce qu'il s'agit là du problème des destinataires de l'action pastorale. A mesure qu'augmente le nombre des ignorants, celui de la déchristianisation augmente aussi, et le petit nombre d'éducateurs catholiques est débordé par l'accroissement d'une population scolaire que n'atteindront jamais les plus rudimentaires éléments de l'éducation chrétienne. Il n'est pas difficile dans ces circonstances de comprendre que l'angoisse pastorale d'un responsable soit proportionnelle au nombre de jeunes et au degré de leur ignorance religieuse.

f) Ce qui importe dans ces conditions, c'est d'établir une œuvre pour porter remède à un besoin. Ce qui importe c'est de transmettre les vérités du salut pour que, ayant pénétré dans le cœur, elles y produisent la foi qui aide à vivre chrétiennement et à faire son salut.

Le constant souci qu'avait le Père Champagnat d'éloigner les gens du péché, de conserver l'innocence des enfants rappelez-vous sa façon d'insister sur la surveillance –[127]fait bien voir à quoi visaient ses grandes préoccupations. En des termes pas tout à fait exacts mais expressifs, nous pour-rions dire qu'il veut des hommes qui « instruisent pour élever ». Mais pour lui, élever c'est, avant tout, donner l'éducation morale et religieuse.

g) En homme réaliste, il affirme que l'heure quotidienne de religion ne suffit pas, qu'il faut le contact direct pendant toute la journée, et que toutes les matières, même les plus profanes, peu-vent porter un message chrétien de vie. Voilà pourquoi il ne connaît d'autre moyen que l'école pour assurer, pendant des heures et des heures tout au long de la semaine, la prolongation de ce contact global avec les élèves et rendre ainsi possible le développement de cette vie chrétienne.

h) Mais il sait de plus, qu'on ne peut recevoir le message chrétien sans une catéchèse suffisante et bien organisée. Aussi n'accepte-t-il pas que l'école donne simplement l'instruction profane avec une petite imprégnation d'esprit chrétien, consistant à faire de temps en temps quelques considérations religieuses. Il exige que la leçon de religion se fasse chaque jour. Il lui semble honteux et il ne peut supporter qu'un Frère soit « moins capable de faire le catéchisme que d'enseigner les autres sciences »[128]. On voit donc facilement ce qu'il penserait et dirait, s'il vivait aujourd'hui, de la conduite d'un Frère non seulement moins capable d'expliquer le catéchisme, mais nullement intéressé par cet enseignement ou même s'y refusant.

i) Il s'indigne contre ceux qui s'acquittent de cette mission d'une façon banale ou frivole. Rappelons-nous comment il réagit en dévoilant les prétentions d'ingénieux moyens profanes pour l'accomplissement d'une tâche strictement religieuse. Il est totalement convaincu que la communication de la Parole, la formation à la foi, l'épanouissement de la vie de la grâce et des vertus chrétiennes exigent de par leur nature, l'emploi de moyens surnaturels bien déterminés. C'est ce qu'il fait lui-même et ce que nos Règles nous demandent de faire[129].

Bien plus la formation humaine elle-même ne peut être donnée qu'à l'aide de moyens sérieux et par des esprits mûrs. Souvenez-vous à ce sujet, des « grands moyens de succès »[130].

 3) Conclusions à en tirer.

 Le temps me manque pour une analyse plus détaillée des enseignements du Fondateur. Mais je crois être à même de tirer quelques conséquences de ces entrelacs de faits historiques, d'éléments surnaturels et de charismes.

a) Une réaction vigoureuse de notre part s'impose. Il n'est pas admissible que des Frères ou des communautés abandonnent de plus en plus le catéchisme dans nos écoles, sous prétexte que l'esprit religieux dont on imprègne l'enseignement de toutes les matières profanes peut le remplacer. Qui ne voit le sophisme ? Il faut bien que tout notre enseignement soit imbu d'esprit chrétien, mais cela n'empêche pas de donner, en outre, une bonne formation catéchétique. C'est justement l'ensemble des deux enseignements qui produit de riches fruits pastoraux. Plus que jamais, nous en avons besoin dans un monde de plus en plus désacralisé, à cause de ces courants de pensée dont l'influence se fait sentir toujours davantage sur la société en général, et tout spécialement sur les jeunes. Si donc les deux actions, non seulement ne s'opposent pas, ne s'éliminent pas, ne se rendent pas inutiles l'une à l'autre, mais se complètent et se renforcent mutuellement, on ne doit pas les présenter comme contraires.

Il pourrait arriver que dans un pays déterminé et pour de graves raisons, vraiment exceptionnelles, on fût obligé de se contenter de cet enseignement profane plus ou moins imprégné de christianisme. Mais on ne pourrait l'admettre que comme un moindre mal. Or, tout « moindre » mal est un mal et suppose une situation de déchéance ou de dégénérescence. Il faut alors avoir le courage de l'avouer[131]. Un tel état révèle, ou bien, de la part des Frères un manque d'intérêt dans la communication du message du Christ, ou bien encore, de la part des élèves, l'absence de bonne volonté pour le recevoir. On pourrait aussi trouver, chez les premiers, un manque de capacité qui rendrait le catéchisme difficile et ennuyeux aux uns et aux autres.

b) Nous ne pouvons, ni comme individus ni comme institution, nous contenter de la valeur naturelle de toutes les choses, ni du droit d'autonomie dans chaque ordre d'objets, ni de la valeur intrinsèque de l'éducation purement humaine – même au point de vue chrétien –, ni de l'enseignement de la science avec le progrès culturel qu'on en tire pour les individus et le service social qu'on peut ainsi rendre à une nation. Nous pouvons à bon droit nous réjouir de cette nouvelle perspective, prendre conscience de cette nouvelle valeur – pas assez mise en relief du temps de notre Fondateur – ou même l'accepter comme un but qui justifie notre travail académique. Mais nous ne pouvons en aucune façon prétendre qu'elle remplace le but primordial du Fondateur, but qui doit toujours être la raison de notre existence comme congrégation.

La formation à la foi, l'éducation chrétienne, voilà des tâches qui existeront toujours dans l'Eglise jusqu'à la Parousie. Accueillir toute nouvelle génération qui arrive, faire qu'elle s'adapte à son monde et à son époque historique, et surtout la christianiser, la faire devenir Eglise, faire croître le Christ dans les cœurs tout au long de la vie de chacun : voilà le rôle que nous devons remplir en parfait accord avec les autres catholiques du mon-de. La découverte de l'importance de l'homme n'est en soi qu'une chose de plus, qui s'harmonise avec ce que nous venons de dire, mais qui ne peut le remplacer ni moins encore le tenir en sujétion.

Bref, tels que nous sommes nés, comme Maris-tes, et tels que nous nous sommes développés dans la transmission fidèle d'un charisme, nous ne saurions vivre dans le but exclusif de donner une éducation simplement humaine. La congrégation fondée par le bienheureux Champagnat n'aurait, s'il en était ainsi, aucune raison d'être. C'est peut-être trop répéter la 4ième partie de cette circulaire, mais le mouvement de sécularisation et de désacralisation – au sens péjoratif du mot — est si fort, que je préfère être accusé de redites, plutôt que de ne pas insister suffisamment.

c) De tous les moyens d'éducation chrétien-ne dont nous disposons, la catéchèse est le pivot central. D'autre part l'école ou le collège nous offrent l'incomparable facilité de la faire dans des conditions presque uniques ou, du moins, très favorables[132].

Nous sommes religieux laïcs et notre fonction ne vise pas directement la pastorale liturgique ou l'administration des sacrements, pas même l'hodégétique à proprement parler. Il est donc évident que notre action se situe. dans une branche de la pastorale prophétique, la catéchèse, telle qu'elle est aujourd'hui représentée par le riche mouvement d'instruction religieuse, inséparable des mouvements biblique et liturgique, et de celui de la promotion du laïcat catholique.

L'Institut a le devoir de procurer à tous les Frères capables de la recevoir, la formation suffisante pour qu'ils puissent passer maîtres dans l'art d'enseigner la religion et accomplir ce devoir en vrais apôtres. Il faudra en outre choisir parmi eux, ceux qui semblent plus doués du charisme catéchétique, pour leur faire acquérir une formation supérieure, d'après les méthodes les plus saines et les plus à jour, dans les meilleurs centres de spécialités. Ces Frères devront être les animateurs et les dirigeants des efforts de l'Institut sur ce terrain.

Il est bien consolant de voir qu'il y a des Provinces où l'on fait pour cela tous les efforts possibles et toutes les dépenses nécessaires. Par contre. il serait lamentable et nuisible qu'il y en eût d'autres bien pourvues de Frères ayant une préparation et des titres académiques du plus haut degré, mais ne possédant qu'un ensemble de professeurs de religion très médiocres et trop peu de Frères spécialisés dans la technique d'une science qui est vraiment fondamentale dans notre vocation. Il se peut, je le répète, que des circonstances spéciales soient la cause d'une telle situation et je n'en juge pas à présent. Mais il est clair aussi qu'un tel état des choses aurait de graves conséquences pour maître-et élèves : on n'aurait pas atteint l'idéal de l'école catholique, lieu sans égal pour la synthèse de la culture et de la religion, et on serait arrivé à un manque d'équilibre et à une désintégration personnelle entre les deux cultures qui rendrait pratique ment impossible la réalisation de la synthèse dont nous avons parlé.

Les Supérieurs en tout cas, doivent être les premiers à déplorer, un tel état de choses et à tâcher de le corriger, là où il existe[133].

Tout autre est la manie de l'accusation continuelle du passé, – aussi erronée que la précédente, quoique contraire -, le silence systématique, ou pire encore la création de « schémas de justification » devant des fautes commises, ou devant des situations qui, même si elles sont sans faute, ne sont pas sans inconvénients. La génération actuelle ne tolère pas cela de ses Supérieurs ; les jeunes demandent qu'on ait pour confesser les erreurs et s'efforcer de les corriger, la même loyauté que l'on demande qu'ils aient dans leur conduite personnel-le. L'Eglise elle-même, dans plusieurs de ses gestes conciliaires, nous a enseigné un style de loyauté et d'humble reconnaissance des déficiences, qui constitue toute une nouvelle attitude évangélique, que doivent apprendre les Supérieurs d'aujourd'hui, en commençant d'abord par moi-même.

Finissons cet appel de notre Fondateur. Aujourd'hui il nous inviterait plein de joie, en vue de la rénovation catéchistique dans le monde, à une bonne émulation, à une bonne préparation qui nous rende aptes, et selon les meilleures méthodes à faire connaître et faire aimer le Seigneur. Je crois que ce serait une place à ajouter, aujourd'hui. parmi ces premières places qu'il demandait pour ses Frères, comme avait fait jadis la mère de Jacques et de Jean, en s'adressant au Seigneur. Les premières places, non pas dans la splendeur, la renommée et la gloire, mais dans le dévouement et dans l'abnégation pour le développement d'un meilleur mouvement catéchistique, intelligemment adapté à chaque pays.

Il est impossible de s'arrêter ici, pour expliciter la réponse que l'on devrait donner à cet appel C'est la tâche de la commission capitulaire correspondante. Qu'elle nous dise ce qu'est la fonction catéchistique, comment on doit la concevoir, quel doit être son plan, son contenu, ses notes principales, etc..,

 E. – UNE INVITATION A L'ESPRIT SURNATUREL ET

A L'AUDACE EVANGELIQUE DEVANT LES

EVENEMENTS TEMPORELS

 La manière d'envisager les événements d'aujourd'hui exige de nous une double attitude, apparemment contradictoire, mais dont la complémentarité constitue les deux faces de la même médaille

Une de ces faces est le refus de se laisser entraîner par les événements, de devenir le jouet des courants sociologiques et d'être conditionné par le monde au lieu d'être un instrument de Dieu, en lui et par lui ; l'autre face c'est la vaillante insertion dans le courant des faits historiques, qui va de l'avant en pleine conscience du danger et de toutes les disproportions devant l'entreprise, dans un abandon à Dieu, qui peut être serein ou tourmenté, tuais toujours confiant. « Confiant en ta parole, je jetterai mon filet » (Jn., 11, 16). Cette scène évangélique évoque pour nous d'autres scènes de la vie de notre Fondateur.

En vertu de la première attitude, celui-ci s'abstient, il refuse de prendre part aux faits, il ne s'engage point. Pour la deuxième, il joue sa vie et celle des siens. Abstention et intrépidité, retenue et audace : voilà les attitudes apparemment contradictoires qui définissent le style de cet homme qui marche à travers l'histoire. Qui nous dira, et d'après quels critères, les cas où l'abstentionnisme n'est pas pusillanimité, poltronnerie ou omission ? Et qui nous prouvera qu'un prétendu courage n'est pas témérité et sottise ?

Les hommes de son temps l'ont dit : il y a eu près de lui des conseillers impatients qui lui suggéraient de s'engager, à côté d'autres qui lui conseil-laient de chercher des moyens de protection, d'abandonner ses projets, et qui le jugeaient sot et fou, en lui annonçant, en face de la disproportion des moyens humains, la ruine et la honte[134].

Parmi ce concert de voix, qui pouvait donner un jugement autorisé ? Au-dedans, l'Esprit, au dehors ses Supérieurs, et, le mot définitif, seule l'Histoire le donnerait un jour. La perspective historique seule permettrait de dire s'il avait été un activiste présomptueux ou un prophète et un saint. Le temps est passé, l'arbre a poussé, des disciples ont pu continuer l’œuvre et, en son temps, l'Eglise a dit son mot en consacrant cette oeuvre et en le plaçant sur les autels, lui l'homme revêtu du don de prudence.

Il n'y a peut-être pas de meilleure place pour rappeler que le Fondateur n'est ni une maquette qu'il faut agrandir ni une peinture qu'il faut reproduire à bon marché et en série. Notre tâche consiste à nous laisser pénétrer par l'esprit que nous avons reçu à travers lui, et que nous devons continuer. Si nous n'avons pas hérité et conservé l'Esprit qui l'anima, et plus encore, si nous ne nous sommes pas laissés envahir par ce même Esprit, nous sommes dans le danger de convertir son oeuvre en musée, et de la conduire par des fausses pistes.

En proposant cet appel où le Fondateur demandera à ses fils de se laisser conduire par le même Esprit qui le guida, je distinguerai trois éléments : les événements, ses attitudes en face d'eux, et l'Esprit qui produisit en lui ces attitudes.

 1) Evénements et attitudes

 Comme détail anecdotique, je pourrais dire que, dans le plan primitif de cette circulaire, ces deux attitudes que je commente, je les avais séparées comme s'il s'agissait de deux choses indépendantes ; ensuite, vu la nécessité de raccourcir, même un peu malgré moi, je me suis décidé à les joindre en un seul point. Finalement, en y réfléchissant, au moment de rédiger, j'ai découvert que les présenter séparément aurait été une erreur, puisqu'il s'agit dans l'un et l'autre cas de manières d'agir, face aux événements. Manières d'agir chargées d'enseignements et de conséquences pour nous, et qui ont une même racine.

Par événements, il faut comprendre ici les faits contemporains de véritable importance historique et sociologique extérieurs au Fondateur, non pas la simple marche du quotidien. Ces faits n'ont pas manqué, grâce à Dieu, dans nos origines.

Une face de la médaille c'est donc son abstention devant les phénomènes gallicans, politiques et révolutionnaires. Au séminaire il aurait pu facilement donner une bonne partie de son énergie psychique et de son enthousiasme aux mouvements politiques et aux attitudes gallicanes qui engageaient une partie des jeunes Français des séminaires de sa patrie, et pas mal de ses compagnons de sacerdoce. Plus tard, Fondateur déjà, il aurait pu se déclarer à l'occasion des événements politiques, pour ou contre un parti. Il n'est jamais tombé dans cette tentation. Il y a des dangers il y a des réactions populaires anticléricales, on lui conseille des précautions, comme l'abandon de la soutane pour les Frères, et paradoxalement il répond avec l'invitation de prendre un autre moyen : le chant du Salve Regina. Lorsque, plus tard on fait à l'Hermitage une inspection de police, on ne trouve ni armes, ni rien pour ou contre la collaboration ou la révolution. Lui, comme prêtre, et les Frères, comme religieux, sont tout simplement hors de ces préoccupations[135].

En somme n'est-ce pas cela même qui arrive dans la vie de Notre-Seigneur et des apôtres, à qui ne manquaient ni les causes politiques – domaine de l'Empire romain, esclavage – ni les sollicita fions – que l'on se rappelle l'attitude de la foule après la multiplication des pains -, ni l'interprétation temporelle et politique de l'attente du Messie. Mais Jésus vient seulement pour faire son œuvre, qui est celle de son Père, il vient établir un règne qui n'est pas de ce monde. Il communiera avec la douleur, l'oppression, les pauvres du monde, il parlera contre l'injustice, la richesse et l'oppression mais il ne prendra point les armes et il ne portera même pas les autres à les prendre – pour diriger, pour déchaîner un mouvement révolutionnaire. Jamais il ne fera usage de son influence dans ce but et lorsque dans le procès devant Pilate on l'accusera d'une prise de position politique et temporelle, ce sera une calomnie. On ne peut pas, sans trahison convertir Jésus en un personnage politique et l'Evangile en un manifeste révolutionnaire. La personne de Jésus, son message et son œuvre rédemptrice seront le ferment, le développe-ment et le sommet de la transformation du monde – simultanément avec leur action essentielle qui est la création du Royaume de Dieu – par d'autres moyens que ceux de la violence, de l'action politique et l'exercice du pouvoir temporel. Et ce n'est pas là être hors de ce monde et ne point s'occuper de lui, c'est être en ce monde, agir avec lui, mais avec une manière d'y être et d'y agir, complètement distinctes d'un « être et d'un agir mondains »[136]si je peux m'exprimer ainsi.

Retournons maintenant à notre Fondateur. Ce n'est pas par lâcheté qu'il n'agit pas et ne s'engage pas. L'énergie de son caractère, la force de sa volonté, l'absence de peur, la présence dans le danger réel et face au danger possible, le dynamisme de son action devant le devoir et devant sa conscience, parlent assez éloquemment dans sa vie pour qu'il soit impossible d'envisager la peur comme élément déterminant de son abstentionnisme. C'est à nous d'en tirer toutes les conséquences.

L'autre attitude complémentaire est le courage, l'audace et l'enthousiasme avec lesquels le Fondateur agit dans ce qu'il entreprend, affrontant le danger qui vient du dehors avec sérénité et paix. C'est par exemple le cas du départ au séminaire, où il engage sa réputation, son travail et son argent dans une aventure qui comporte une disproportion évidente et radicale entre lui-même avec ses moyens et le but difficile et ambitieux qu'il poursuit.

Le cas que l'on pourrait offrir comme limite serait celui de la fondation de l'Institut. Personnellement qu'avait-il à donner à ces jeunes gens recrutés dans les milieux les plus modestes, quelques-uns même analphabètes, pour en faire des pédagogues et créer un Institut dont le but n'était autre que de s'occuper (comme il l'écrivait dans une lettre à un évêque) de tous les diocèses du monde ? Et qu'avait-il du côté de la culture ? Et des ressources économiques ? Quel ascendant avait-il dans le milieu clérical ? Quelles influences politiques allaient jouer en sa faveur ? Quelle vertu ? Là, il faut répondre : une grande vertu, et dès lors tout change, toutes les proportions disparaissent, et tout s'explique par cet atout maître : une âme très attentive et très fidèle au Seigneur. Voilà pour le point de vue objectif.

Du point de vue subjectif, c'est-à-dire telles qu'il voyait et sentait les choses au-dedans, bien qu'il fût pauvre en culture, en argent et en influence, nulle part autant que sur le terrain spirituel, il ne sentait davantage la disproportion entre le but poursuivi et sa propre incapacité. C'était à un tel point que sa vie spirituelle elle-même, pourtant très riche ne devait pas être la force sur laquelle il prendrait appui, pour un départ joyeux vers l'aventure de la fondation de l'Institut. Ce point de départ serait un événement fortuit.

J'ai demandé plus haut de considérer sur une face de la médaille, ce que signifiait son abstentionnisme, en dépit d'un tempérament énergique et fort, à toute immixtion dans la politique. Je suggère maintenant d'évaluer l'autre face de la même médaille : le sens et la portée de l'action qu'il entreprit et les risques qu'il accepta dans une attitude de profonde humilité, caractéristique de sa forte personnalité spirituelle. Il n'y a aucun ressort humain, surtout dans sa psychologie spirituelle, qui le poussa à paraître, à figurer, à aller de l'avant avec « son » idée ou. avec « son » œuvre. Un signe évident et clair de cette attitude est sa totale disponibilité à l'abandonner et à s'en défaire si son évêque le veut[137]ou à la mettre entre d'autres mains si cela convient au bien de cette œuvre[138].

Tout cela est une preuve très claire du degré héroïque de sa force chrétienne sous sa forme d'intrépidité et de magnanimité mêlées à une totale docilité à l'appel de la grâce et s'appuyant sur une robuste confiance en Dieu et en Marie dont il affirmait « qu'elle a tout fait chez nous ».

Mes Bien Chers Frères, je pourrais multiplier les exemples impressionnants ; les risques, les angoisses et la pénurie en même temps que les solutions inespérées dans les moments les plus difficiles, pourraient former une surprenante mosaïque. Pour retrouver ces faits il suffit de parcourir l'histoire de sa vie qui est à la fois l'histoire de l'origine de notre existence institutionnelle, et puis lire les chapitres se rapportant à sa foi, à son espérance, à son zèle apostolique et à sa dévotion à Marie. Cette lecture atteindrait un sommet, avec la méditation de son Testament spirituel, fruit si mûr, qu'il se détache de l'arbre. Mais l'espace ne me le permet pas.

Mes Frères, prenons cette vie et celle des premiers Frères et des premiers Supérieurs pour y trouver cet héritage. Aujourd'hui, 150 ans après, l'arbre continue à fleurir. Je pourrais citer quelques-unes des ces « saintes témérités » ou « humaines folies »[139]que j'ai vues réalisées dans quelques endroits de l'Institut dans le cours de cette année ; je sais qu'elles ne sont pas de tout repos et donnent des soucis aux Supérieurs, comme sans nul doute en donna à son évêque le Père Champagnat dans plus d'une occasion mais si elles viennent d'hommes de Dieu, si elles ne veulent que le royaume du Christ, si elles se réalisent dans le cadre de l'obéissance et de l'humilité, il n'y a rien à craindre ; il faudrait plutôt s'inquiéter qu'elles n'arrivent pas ; bien pauvre le cœur du Supérieur qui, pour dormir tranquille, préférerait ne pas avoir de ces hommes ni de ces œuvres.

Evidemment cela ne veut pas dire qu'il faille forcément les accepter toujours. Le rôle de l'autorité ne consiste pas à vouloir tout créer ; une de ses fonctions est précisément d'approuver et de rejeter ce qui commence et de tout coordonner, mais en prenant bien soin de ne pas éteindre le feu qui enflamme l'amour et de ne pas fermer les portes au Saint-Esprit qui souffle où il veut. Comme échantillon et exemple de ces risques passionnants et de ces saintes audaces qui ont lieu aujourd'hui dans l'Institut, je cite l'exemple peut-être le plus beau et le plus spectaculaire de l'année, même s'il nous préoccupe et nous tient dans l'inquiétude depuis ces derniers mois : celui des Frères du Biafra.

Sans aucun souci de quelque politique que ce soit, je puis dire que nous avons là des Frères parmi lesquels ceux d'origine ibo courent un risque de mort constant, pouvant être englobés dans un massacre général s'ils tombent entre les mains des troupes nigérianes. J'avoue que, soit les jours que j'ai passés à Lagos, soit ceux qui ont suivi mou retour à Rome, j'ai vécu de bien mauvais moments en pensant à leur avenir et à leur sort, partageant avec mon Conseil bien des perplexités, sans savoir que faire. Les laisser là-bas dans la perspective presque sûre de la défaite et du massacre qui suivrait ? Tâcher de les retirer, à n'importe quel prix par le moyen d'un transport aérien clandestin ? Mais dans ce cas, que penserait-on de ces hommes consacrés à la pauvreté et au don de soi que retire du danger le pouvoir économique de leur congrégation, pendant que les plus pauvres, mêmes les membres de leur famille, resteraient abandonnés faute d'avoir les moyens financiers pour sortir ? Ne serait-ce pas un contre-témoignage certain ?

Par contre est-ce sensé de laisser exposés au massacre des hommes qui demain peuvent être un trésor pour l'évangélisation de l'Afrique ? est-ce qu'un père qu'on me pardonne le mot – peul laisser en danger de mort son enfant quand il peul faire quelque chose pour le délivrer ?

Deux principes ont dominé cette perplexité : nous ne pouvons pas obliger à l'héroïsme celui qui n'est ni préparé ni disposé pour cela ; nous ne pouvons pas non plus empêcher, pas un seul moment, nos Frères qui le désireraient d'apporter ce suprême témoignage de la charité qui est de donner la vie pour un ami. Ainsi donc, c'était à eux de faire l'option. A ce moment nous est parvenue une lettre du Frère Gall – Provincial de Grande-Bretagne et d'Irlande – qui répondait à notre inquiétude. Aucun Frère ne voulait abandonner son poste. Heureux, avec les milliers de réfugiés civils dont ils s'occupaient, leur fournissant la nourriture, soignant les blessés, évangélisant, faisant des conversions, ensevelissant les morts, ils vivaient chaque jour la tragédie du Biafra, unis et engagés au sort de leur peuple[140]. Quant à nous, nous vivons avec eux en esprit ces heures difficiles, préoccupés de leur sort, mais aussi pleins de joie et d'admiration pour leur conduite.

L'autre problème qui se pose maintenant c'est celui de refuser, non sans douleur, à quelques Frères blancs, le retour au Biafra, car je ne le juge pas opportun. Ces Frères après en être sortis voudraient maintenant partager la charité et le sort de ceux qui sont sur place. Risquant fort d'être fusillés, ils ne seraient pas mis sur les autels, puisqu'il ne s'agit pas strictement d'une guerre religieuse où l'on meurt pour la Foi. Mais leur désir garde toute sa valeur ; ils mourraient pour quelque chose de plus grand et de plus durable que la Foi : pour l'Amour ! et cela, à la façon mariste, avec la modeste humilité qui n'attend pas la glorification des autels. Qu'ils soient remerciés de garder bien vivant l'esprit du Fondateur !

 2) L'esprit du Fondateur

 Cet esprit du Fondateur, devenu notre spiritualité mariste, je ne prétends pas en développer ici les éléments constitutifs, je veux seulement, scruter les faits et chercher la racine et l'origine d'où partent ces deux séries d'attitudes face à des événements orageux et difficiles de son époque et de son entourage d'une part, et de l'autre, à ceux de l'histoire mariste interne.

Eh bien, appuyé sur le jugement de l'Eglise et avec tout le soin et la modestie qu'il faut mettre dans cette affirmation pour ne pas glisser du sérieux théologique à l'hyperbole et à la formule dévote. je crois pouvoir répondre que l'esprit du Fondateur qui est à l'origine de ces attitudes c'est l'Esprit-Saint. Et je m'explique. Le Fondateur est un membre de l'Eglise imbibé et transformé par la grâce. Il a reçu un « charisme de fondation » qui le maintient en état de tension, d'attention et de fidélité constantes. Il est membre du Corps Mystique dont la tête est le Seigneur, il est une pierre vive et précieuse dans cet édifie qui est le temple de Dieu, et son Institut est un organe de ce corps. Qui est-ce qui vivifie, anime, fait mouvoir et dirige ce Corps Mystique ? N'est-ce pas le même Esprit qui vivifie et agit en Jésus son Chef ? Qui distribue les « charismes » pour les fonctions ? L'Esprit-Saint, l'Esprit de Jésus. Ce ne sont pas des esprits différents mais un seul Esprit, celui qui anime l'Eglise totale et chacun des organes qui la composent. Celui qui fait vivre le tout, fait vivre chacune des parties. Quoiqu'il en soit le même esprit, il se communique de façon multiforme, faisant naître une diversité, une « complémentarité » et une unité ecclésiales. C'est ici que chaque élément différentiel prend et acquiert sa profonde raison d'être, sa grandeur et ses limites. Tout fruit authentique produit en un membre ou en un organe institution, corporation, etc., et qui porte les signes de l'Esprit, n'est pas dû, en dernier ressort, à la fécondité de ce membre ou organe mais à l'Esprit même ; de Celui-ci lui vient toute sa richesse et sa qualité ; de ceux-là, la transparence et la fidélité.

En conséquence, dans la mesure permise par la valeur théologique dérivée de ces principes généraux et théologiques indiscutables, appliqués à une personne déjà élevée sur les autels et à une institution approuvée comme comportant lieu et spiritualité valides pour arriver à une sainteté et à une fécondité ecclésiales, dans la mesure aussi où, selon la dialectique descendant de l'application de principes à des faits, il est permis de juger, en vertu de ces principes, les attitudes du Fondateur, on peut affirmer qu'elles sont la résultante de l'impulsion de l'Esprit et de la fidélité – selon le degré d'interprétation et de réponse d'un homme – à cet Esprit.

On peut affirmer encore ici : tout en notant qu'il serait exagéré d'accorder une valeur d'archétype à ces attitudes prises séparément, la constante observée en chacune d'elles, d'une façon permanente et sans exception se trouve être le dénominateur commun de toutes les actions de Fondateur. Par le fait même elle devient pour nous ligne et orientation sûres pour aujourd'hui et pour l'avenir de l'Institut.

Il est évident que pour être fidèles à cette consigne et à ce style il faut vivre du même Esprit qui a encouragé et conduit le Père Champagnat, en vertu de la communication d'un charisme, à manifester d'une façon spéciale dans sa faiblesse et dans la nôtre, la puissance et l'action de l'Esprit.

Notre temps, pourrait-on conclure, a beaucoup d'analogie avec le sien ; temps d'idéologies antichrétiennes, d'agitations et de revendications politiques, de désorientations intra-ecclésiales, d'une part ; d'autre part, temps de besoins déchirants des « marginaux » qui clament et demandent, entre autres choses très nobles d'ordre temporel devant lesquelles on ne peut pas rester insensible et indifférent, le plein dévouement des chrétiens et plus encore des consacrés. Notre temps a sur le temps du Père Champagnat l'avantage énorme de la grâce qu'a été Vatican II – Enfin c'est un temps où nous devons faire face à des phénomènes historiques de grande envergure, et nous décider, devant des institutions inusitées et absolument nouvelles, ouvertes à une « dynamique du provisoire » où c'est l'Esprit, plus que les structures, qui dirige[141].

Donc l'appel du Fondateur au Chapitre nous demanderait d'être fidèles à continuer ces deux attitudes qui furent la constante de sa vie, en cet « aujourd'hui » Si analogue au sien, et en ce « pendant que » nous sommes en pèlerinage vers la maison du Père. C'est toute l'Eglise, selon sa nature à la fois une et multiforme, qui répond à chaque époque de l'histoire ; seule l'Eglise totale donne la réponse totale ; à chaque organe incombe de . donner la réponse spécifique pour laquelle le charisme l'a préparé. Il nous incombe de donner la nôtre. Nous n'atteindrons notre efficacité ni dans la dénaturalisation ni dans le chaos. Nous pouvons supposer que notre réponse a une ampleur où trouveront place les adaptations aux situations et aux justes consignes des évêques locaux, mais n'oublions pas qu'elle a les limites que lui ont données le charisme et l'avis de l'autorité ; hors le Saint-Siège, c'est le Chapitre Général qui doit dire à ce sujet le mot le plus autorisé. On peut comprendre ainsi comment le Fondateur, qui a reçu de l'Esprit la mission pour faire quelque chose, éloigne systématiquement son Institut de toute immixtion dans ce qui n'est pas à lui, et prend en même temps, sans crainte, intrépidement, tous les risques que ce même Esprit lui inspire, d'abord pour exister. ensuite pour tracer son chemin, et finalement pour former sa structure et produire les fruits de service dans l'Eglise. C'est-à-dire, dans la macro-histoire de son temps, il suit son chemin et il y fait avec humilité et modestie sa micro-histoire ; jusqu'à être ce qu'il est aujourd'hui.

 3) Conclusions

 J'ai pensé vous transmettre, par cette lecture ecclésiale des événements maristes, ce message du Fondateur dans ses deux attitudes classiques et constantes. Dieu veuille que j'y aie réussi, et, dans ce cas, je demande seulement que mes paroles soient interprétées comme un tout uni et équilibré, qu'il ne faut pas fragmenter pour en tirer des conclusion partielles ou partiales.

Ce message cependant porte en lui ses implications. J'en retiens deux :

a) Nous devons nous abstenir de faire de la politique et de nous immiscer dans les affaires propres au laïcat séculier comme tel, qui sont généralement exclues de la condition du religieux. Su r ce sujet on a suffisamment parlé[142].

b) Encore une fois nous devons réapprendre à ne pas vivre – en ce qui nous regarde – d'un système de quiétude, basé sur une sécurité économique. Sans inviter précisément à la témérité, je suis convaincu que dans beaucoup d'endroits ceci n'est pas compris, ou, si on le comprend, on n'a ni la capacité ni la volonté du risque pour le vivre, malgré l'angoisse, de certaines situations locales, malgré les appels énergiques de l'épiscopat, du Saint Père et du Concile. (Le Pape a parlé forte-ment par exemple au Congrès Eucharistique de Bogotà). J'ai l'impression, et j'en souffre, mais je dois le dire, que parfois on attend et on se réfugie derrière quelque attitude de certains Supérieurs ou de certains Frères ou quelque déclaration trop isolée d'une autorité religieuse ; on s'y cramponne et on oublie ainsi tout le poids imposant des appels de l'Eglise qu'il faut écouter aussi selon notre nature institutionnelle et la limite de nos possibilités.

 F. – UN RETOUR DECIDE AUX PAUVRES ET AUX "MARGINAUX"

 Cet appel découle logiquement de l'antérieur. Et c'est un sujet aussi facile et agréable à traiter que difficile à réaliser. Il est à la mode et presque transformé en « slogan » publicitaire, énoncé avec autant de simplisme que de démagogie, tendances auxquelles n'ont pu échapper parfois, des affirmations et dés attitudes de quelques Frères de nos Provinces. Vu le caractère quasi obsessif que ce thème a pris chez quelques-uns, je crains que ces mots puissent être interprétés comme une variation obligée sur un thème connu, annulant ainsi son appel et son efficacité. J'aimerais bien qu'on réagisse contre cette attitude possible.

Je crois que s'il est aujourd'hui un sujet sur lequel le Fondateur appellerait sérieusement notre attention, c'est cette question. Je voudrais rappeler, en passant, que c'est un point sur lequel les derniers Supérieurs et Chapitres généraux ont parlé explicitement[143].

 1) Raisons qu'aurait le Fondateur

 Ce rappel à l'attention, d'après moi, le Fondateur le ferait en s'appuyant sur trois faits :

a) Il créa la Congrégation en pensant à l'éducation des enfants de la campagne. (Nous ferons l'extrapolation de cette affirmation à notre temps)[144].

b) Nos collèges aussi bien que ceux de tant d'autres Congrégations ont été entraînés lentement mais presque inexorablement à prendre soin d'autres classes de la société qui ne sont pas précisément la classe pauvre. (On me saura gré de l'euphémisme destiné à éviter une affirmation qui pourrait être blessante ou contestable). Honnêtement je crois que personne ne peut récuser ce fait comme étant statistiquement majoritaire, surtout pour le Tiers-Monde.

c) Le besoin du service éducatif et l'attention aux classes pauvres devient aujourd'hui non seulement un devoir chrétien fondamental, mais une urgente et sanglante nécessité pour l'Eglise et dont l'attention ou l'abandon peut avoir de grave conséquences pour l'Eglise.

 2) Critique de nos justifications

 Il faut s'en occuper même au prix de sacrifice, héroïques si vraiment ceux-ci s'avèrent conduire au but pour lequel on les fait.

Retournant à ce qui a été dit dans la 4ième partie : « Un Institut peut se consacrer à d'autre tâches ou à des destinataires autres que ceux pour lesquels il est né, mais ce qu'il ne peut pas faire. sans cesser d'être lui-même, c'est de ne pas si dévouer pour ce et ceux pour lesquels ii est né », commençons par préciser, en premier lieu, quel sens doit avoir pour nous le mot pauvre, ou, ce qui revient au même, qui sont ceux qui ont droit en premier lieu à notre dévouement comme Maristes.

Je me permets d'ajouter ici que dans le cas où il existerait une double « consécration » celle-ci devrait se faire de telle façon au moins que l'on ne croie pas remplir le but principal en se débarrassant des destinataires les plus immédiats par l'application de formules précaires, creuses, presque symboliques, comme pour tranquilliser la conscience de l'Institut. Je ne dis pas que cela arrive, mais que cela ne doit arriver ni dans notre Institut ni dans aucun autre à moins d'impossibilité physique et matérielle. Notez que je ne dis pas : à moins de grandes difficultés, car les difficultés – doivent être surmontées.

D'une façon générale on a conservé parmi nous l'opinion que nous avons été fondés pour les pauvres[145]. L'expression peut-être n'est pas tout à fait exacte et elle n'exprime pas non plus suffisamment la pensée du Fondateur. Je la traduirais plutôt par les « marginaux », comme il sera dit plus loin. Lors même, en effet, que les deux mots se recouvrent en grande partie, « les marginaux » ne rejoignent pas exclusivement et exactement les pauvres au sens économique.

Un fait vécu et appliqué ensuite à l'Institut va me permettre d'illustrer avec clarté ce point. Je travaillais alors temporairement dans le Mouvement « Pour un Monde Meilleur » comme responsable d'une équipe nationale. Prévoyant la fin de la période du temps pendant lequel nies Supérieurs provinciaux m'avaient autorisé à coopérer à ce mouvement, je cherchais de nouveaux membres capables de prendre ma place qui allait devenir vacante dans l'équipe et même d'y apporter plus d'efficacité, étant donné le grand bien que le Mouvement accomplit en divers endroits du monde, et très spécialement en Amérique Latine.

Dans ce but, et profitant de l'amitié et de la sympathie qui me liaient à une équipe très nombreuse de prêtres espagnols, missionnaires de très haute qualité, qui travaillaient dans un certain pays, j'ai demandé au responsable de cette équipe de plus de soixante prêtres de m'en céder un ou deux pour l'équipe Nationale du « Mouvement pour un Monde Meilleur ». Je me rappelle que sa réponse a été plus ou moins celle-ci : « Mon Frère, vous savez l'estime que nous vous portons ; nous serions disposés à vous aider en cherchant dans nos diocèses d'Espagne quelque bon collaborateur ; mais je ne puis vous céder aucun des prêtres d'ici parce que la décision radicale du groupe, en quittant la Patrie pour venir travailler en Amérique, a été de s'occuper des endroits et des groupes sociaux pastoralement "marginaux" en allant précisément là où, à cause des conditions géographiques, historiques et culturelles, personne ne veut aller. Nous voulons rester fidèles à cette résolution et parmi nous n'y faire aucune exception. On nous a offert des paroisses avantageuses ou la direction diocésaine de mouvements importants : ce sont des postes recherchés ; il y a des gens de reste pour s'en occuper ; c'est pour cela que nous ne les acceptons pas. Vous, mon Frère, vous travaillez avec les élites catholiques ou culturelles du pays, et à cause de cela nous ne devons pas vous céder un seul de nos membres ». J'ai compris ce qu'avait de juste le raisonnement et j'ai vu alors avec une clarté fulgurante la phrase du P. Champagnat transposée à notre monde et à notre époque, non pas comme une simple idée romantique mais comme quelque chose de réalisable[146]. Toutefois, précisons un peu mieux pour éviter des équivoques.

Mes Bien Chers Frères, je crois que bien sou-vent nous avons perdu notre capacité d'autocritique positive et constructive par suite d'un mécanisme naturel de défense, face à l'incompréhension des gens envers notre abnégation, nos sacrifices et notre désintéressement. Surgit alors la tentation qui nous porte à flotter entre deux positions également mauvaises : la réaction de type apologétique qui repousse tout examen et toute invitation au dépassement, prétendant que le meilleur c'est ce qui est et ce que l'on a toujours fait, et qui se fige ainsi dans une attitude durcie et réfractaire à toute révision ; ou au contraire la critique déprimante qui fait naître une crise. On doute de ce que l'on est et de ce que l'on fait, et on aboutit à ce scepticisme atténué, si bien traduit par l'expression française : « ce n'est que cela ! ».

Pourquoi le juste milieu nous devient-il fréquemment si difficile ? Nous devons reconnaître humblement que, malgré nous et en grande partie – pas uniquement pourtant – pour des causes étrangères à l'Institut, quelque chose nous laisse insatisfaits à cet égard, en dépit des fruits réels de notre apostolat. Il faut même dire qu'il existe parmi nous un vif désir non seulement d'améliorer mais de changer l'ordre actuel des choses.

Mais soyons réalistes et donc ne brûlons pas les étapes. Au Chapitre Général et aux Chapitres Provinciaux – s'ils existent – incombera la tâche de chercher les voies nouvelles ; une chose seule est certaine : le problème doit être abordé.

Parmi les excuses les plus fréquentes que l'on entend, il y a celle de dire qu'on ne peut pas, que c'est utopique et que nous avons déjà des collèges dans des villes pauvres. Il y a là une bonne part de raison ; comme je le disais plus haut, beaucoup d'accusations sont si injustes que, à la lumière d'une simple éthique humaine, plutôt que des critiques on nous doit des félicitations et des encouragements. Nous sommes consacrés à une des tâches les plus honnêtes, les plus nobles et les moins considérées, en aidant à la redistribution de la richesse et de la culture[147], en parsemant un pays de collèges maintenus par l'économie et le travail honnête, en éveillant des vocations et en formant des apôtres de l'éducation, en sacrifiant notre droit à fonder une famille pour une plus grande disponibilité en faveur d'enfants qui ne sont pas à nous, sans limiter les heures de notre dévouement, et en persévérant dans cette œuvre souvent sans recevoir de l'Etat autre chose qu'ingratitude et critique… Face à cet état de choses, n'est-il pas juste de dire que pareille situation mérite plutôt applaudissements que dénigrements

Heureusement le Concile l'a reconnu, et bien des pays aussi, là où une politique plus équitable et moins tendancieuse ouvre les yeux et apprécie plus justement notre tâche.

Bien sûr, notre critère ne doit pas être l'éthique humaine simple, mais plutôt la charité. C'est un amour inquiet envers les nécessiteux qui nous pousse à travailler sans compter les heures.

En conséquence,, les apparences changent dès lors que changent la mesure et la raison de notre action ; et, comme l'Eglise, dans notre amour en-vers le monde, nous restons ouverts à une révision.

On dit que cette démocratisation de l'enseignement est utopique et irréalisable ; je préviens cette objection en citant des noms : Pourquoi ont-ils pu la réaliser – le P. Emilio Blaslov au Vénézuéla[148]et le Mouvement Foi et Joie dans divers pays ; et par des formes différentes : au Mexique les groupes d'extension dont l'âme a été le Fr. Joseph Gonzàlez[149], et au Brésil le Fr. Estanislau, connu sous le nom de « Père des Chèvres » ? – La réponse est simple : parce qu'ils ont su abandonner non pas notre tâche, mais les sentiers battus et les moyens traditionnels de la financer.

On dira que nous avons des collèges pauvres dans des villes ou bourgades de 5.000, 10.000 ou 20.000 habitants. C'est vrai, et il est vrai aussi que ces collèges loin d'être rentables représentent une « saignée » économique pour les Administrations Provinciales, et ceci le Seigneur le sait et très certainement ne l'oublie pas. Mais la question reste posée, non par rapport à la pauvreté, mais par rapport aux pauvres : Des classes sociales vivant dans ces agglomérations, quelle est celle qui fréquente nos collèges, même quand ils ne sont pas rentables ? La réponse dirait qu'en général ce ne sont pas les pauvres. Supposons que c'est la classe moyenne. Alors à nouveau, je demande : Sociologiquement et économiquement parlant, quel pourcentage de la population scolaire du tiers-monde correspond à la classe moyenne ? Quel est le pourcentage de la population dont les possibilités économiques permettent l'accès à nos écoles ? Les réponses traduites en chiffres sont douloureuses surtout si l'on tient compte que les familles pauvres sont plus généreuses pour accepter de nombreux enfants et écoutent plus volontiers l'appel du Pape à une paternité responsable.

Sur ce point, l'appel du P. Champagnat est le suivant : Sans tomber dans le manie fréquente d'un complexe du culpabilité injustifié, il faut ouvrir les yeux, surtout les yeux du cœur, à ces réalités qui sont vraiment douloureuses, et que de cette douleur jaillisse un ardent désir de venir en aide à ces groupes « marginaux ». Les Frères le peuvent en offrant généreusement de travailler dans ces postes, et les Supérieurs, en trouvant des formules qui rendent viable ce qui s'est avéré viable en d'autres mains.

 3) Comment faire.

 Les formes et les moyens de répondre concrètement à cet appel peuvent être très variés. Je me permets d'en indiquer ici quatre.

a) L'esprit. Si on ne sent pas cela et si on ne brûle pas d'une flamme intérieure, tous les conseils et appels tomberont dans le vide. Il n'est pas question de mauvaise volonté ni de désobéissance, non, c'est plus nuancé. Disons que les risques et les difficultés sont si nombreux, si forts les conditionnements sociaux et les habitudes mentales, si manifeste la manque de disponibilité de certains Frères embourgeoisés, que – sans en citer d'autres ces facteurs sont suffisants et plus que suffisants pour condamner une Province à la stagnation et à l'inaction. C'est dire que ce sont là des situations où la simple bonne volonté est impuissante, et où rien ne se réalise si le souffle de l'Esprit ne brûle à l'intérieur.

Le point de départ doit être le Supérieur. C'est lui qui doit se rendre capable de comprendre les angoisses, les désirs et même les impatiences de quelques-uns de ses Frères brûlés de ce feu, et ne pas retenir a priori et sans des raisons sérieuses, l'impulsion de l'Esprit. Il ne s'agit pas, comme je l'ai dit déjà, que chaque Frère socialement inquiet entreprenne ce qu'il veut, ni que cette entreprise soit confiée à des hommes dont le sens social naît d'un déséquilibre, surtout s'il s'agit d'une initiative de démarrage. Un échec de ce genre pourrait déprécier et compromettre non seulement une expérience mais tout un courant d'expériences.

En bien, compte tenu de tout cela, chaque Supérieur doit faire un examen sincère, et voir s'il n'a qu'un simple « sens du devoir » envers les pauvres, qui n'arrive même pas à le mettre en sympathie avec eux, encore moins en état d'inquiétude et en désir de réalisation, ni à l'attrister quand il constate qu'il ne peut rien faire pour eux. Celui qui découvre et reconnaît qu'il est ce que je viens de dire, doit comprendre qu'il lui manque quelque chose d'essentiel pour être chrétien et pour être religieux (à plus forte raison pour être mariste !) et que cette déficience, en ce qu'elle a d'essentiel pour sa Province, exige de lui qu'il se préoccupe sérieusement de se sensibiliser lui-même et de sensibiliser aussi ses Frères sur ce sujet. Mais encore une fois, je vous en prie, pas de démagogie pour autant.

b) Une mise au point économique interne. En plusieurs endroits, il y a un danger, voire même déjà un état de fait lamentable, et qui est le suivant : des Frères, loin d'accepter des limitations d'ordre économique dans leur vie, font comme si tout l'effort vers les pauvres devait venir des administrations locale, provinciale ou générale, ou de quelque autre source de financement, sans vouloir comprendre que les fonds de nos administrations quelles que soient celles-ci sont nécessairement en proportion inverse du niveau de vie et aux dépenses par tête de chaque Communauté. Ailleurs, ce sont des Supérieurs qui refusent d'accomplir, en faveur des pauvres, des œuvres nées de l'initiative des Frères, prétendant qu'elles doivent être à la charge de l'administration mais sans rien toucher le moins du monde à leur propre train de vie.

Cette attitude, à ses deux pôles, peut revêtir diverses modalités, mais il est clair qu'au fond il y a toujours le même danger : que les uns se déchargent sur les autres de l'initiative et de la responsabilité. On arrive ainsi à un pitoyable résultat. La pauvreté chrétienne qui, dans ses racines les plus profondes consiste dans le détachement affectif et effectif des biens pour les communiquer aux autres, en commençant par les plus nécessiteux, les plus pauvres, se réduit terriblement par le jeu malheureux de deux attitudes réciproques, les uns se déchargeant des initiatives et des responsabilités sur les autres.

Les Supérieurs, eux, veulent que, avant de pro-céder à une révision de pauvreté collective on réforme tout d'abord la pauvreté individuelle ; les Frères de leur côté, objectent que cette pauvreté individuelle ne se voit pas et que la première réforme à faire est justement celle de la pauvreté collective et non celle du petit monde de chacun. Nous n'avons raison ni les uns ni les autres, et en continuant de la sorte il y a fort à craindre que l'on ne fera aucune réforme, ni institutionnelle ni personnelle. Aux Supérieurs il faudra rappeler la nécessité où ils sont dé donner l'exemple, car s'ils ne peuvent, eux les premiers se conduire selon l'Evangile, ils seront incapables d'entraîner les Frères. De plus ceux-ci ne se prêteront pas à une plus grande pauvreté de vie s'ils ne touchent du doigt que leur effort est effectivement utile à des œuvres vraiment sociales. Aux Frères il faudra rappeler que l'exhibitionnisme de la pauvreté (c'est pour montrer qu'on est pauvre qu'on fait telle chose ou qu'on exige telle chose) peut devenir un « hobby » à la mode et même un pharisaïsme comme l'exhibitionnisme de toute autre vertu ; que l'important et l'essentiel pour la pauvreté n'est pas d'être vue (doit-elle se voir ) même pas d'être une privation, mais bien de libérer le cœur de tout esclavage, attachement ou égoïsme et de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, et de faire avancer l'humanité vers un progrès fraternel et universel. Maintenant si le monde ne voit pas la réduction de notre train de vie personnel, les fonds économiques pour l'aide aux nécessiteux et pour la démocratisation de nos services éducatifs ne cesseront pas d'avoir progressé pour autant, à condition que ces économies, les responsables des finances n'en aient pas fait une nouvelle source de revenus, mais les aient converties en œuvres sociales effectivement appliquées à transformer le monde des pauvres[150]. Par exemple, lorsque dans la troisième partie de la circulaire, je parlais de tabac, de tourisme, de photographie, de liqueurs et autres dépenses semblables, j'avais surtout cela en vue.

Le facteur ascétique existe certainement et a une importance essentielle qui peut être mise en jeu par ces divers moyens (les moyens pouvant varier mais devant exister). Ce facteur ascétique est même d'une importance si essentielle pour la vie chrétienne pour purifier de l'égoïsme le cœur humain et pour faciliter l'intimité avec Dieu que, toute utilité caritative mise à part, choisir de faire tels ou tels sacrifices ou en suggérer la possibilité a sa justification en soi.

Mais ici, plus que le facteur ascétique, ce qui m'intéresse, c'est le pouvoir que renferment certains efforts d'augmenter nos possibilités d'aide au prochain et de démocratisation. Qui donc doute des résultats possibles ? Supposons qu'on prenne une mesure générale dans l'Institut, par exemple, en acceptant communautairement et spontanément certaines formes de pauvreté concernant la vie domestique[151]des Frères, ou en adoptant telle ou telle solution d'économie sur le plan même de l'administration[152].

On pourrait, mettons, réduire la moyenne par tête des dépenses pendant l'exercice économique de 1969 de 5% par rapport à ce qui est normalement prévu sans ces mesures ? Et si cela se faisait, est-ce que l'effort de 10.000 hommes pour atteindre ce 5% annuel de réduction et l'investir dans une for-me d'ouverture aux pauvres, ne serait pas efficace ?

Venons-en à un exemple concret, et je précise que dans la province intéressée les Frères font déjà des efforts admirables. Il y a donc des endroits où pour venir à notre école, un jeune homme doit faire journellement plus ou moins trente à quarante kilomètres. Il doit sortir à quatre ou cinq heures du matin parfois n'ayant rien à manger de toute la journée – et retourner chez lui vers 9 heures du soir. Il doit étudier des leçons et faire des devoirs dans des cabanes africaines dépourvues de lumière électrique. Parlant avec le Frère Directeur de l'une de ces écoles, je lui faisais remarquer : « Cela est inhumain et nous devons faire tout notre possible pour aider ces jeunes ». « Combien en coûterait-il, lui dis-je, pour que ces jeunes qui viennent de si loin puissent loger dans quelque famille africaine proche du collège et y soient nourris du lundi au vendredi, retournant ensuite chez eux le samedi et dimanche ? ». « Quelque trente dollars annuels, plus ou moins »[153]. Je lui dis alors de faire une enquête pour savoir exactement le prix et le nombre d'élèves qui devaient faire journellement plus de 20 km, afin d'examiner la possibilité de résoudre cette pénible situation, laissant pour le moment les autres continuer à faire un tel effort. J'ai déjà reçu ici à Rome la réponse qui précise le nombre d'élèves et le prix pour chacun. Celui-ci se trouve ramené à vingt dollars annuels pour chaque enfant !

En bien, appliquons l'exemple à une des choses les plus nobles et les moins contestées dans l'ordre du renoncement, la visite de famille provenant non du désir de se libérer de la vie de communauté, mais d'un amour authentique de fils bien né et qui pense au bien à faire parmi les membres de sa propre famille. Supposons un Frère missionnaire qui a droit à une visite de famille tous les trois ans. Son voyage va coûter 500 dollars et il se dit : « Réellement, je puis me passer de la visite à laquelle j'ai droit, je la retarderai et je la laisserai pour une autre fois ». Eh bien, ce Frère pourrait. par ce geste, changer le régime de scolarité de 25 jeunes pendant une année et améliorer considérablement leur situation. L'exemple, quoique réel, a une valeur plutôt significative que rigoureusement mathématique, mais dans beaucoup d'autres cas semblables, la force de l'imitation aboutirait à des résultats encore plus éloquents. Nous devons avoir la conviction que « plus est en nous ». Avons-nous le droit, nous qui restons dans des pays développés, dans notre propre milieu, modeste mais confortable, de suggérer à nos Frères missionnaires des sacrifices, même au titre de simple souhait, si nous-mêmes nous ne marchons pas dans cette même ligne ? N'ont-ils pas fait déjà beaucoup en abandonnant leur patrie et leur culture pour s'incarner dans un autre milieu, se faisant de tout cœur Africains avec les Africains, Latino-Américains avec les Latino-Américains, Asiatiques avec les Asiatiques, etc. et cela quelle que fût leur origine ? En sens contraire, quand je pense aux nouveaux aspirants, nous ne voudrions pas, me semble-t-il, des missionnaires qui nous «pas-sent leur facture » pour l'avenir, croyant que par le seul fait d'être missionnaires ils ont acquis le droit à telle ou telle exigence. Ce n'est pas que leur belle vocation ne le mérite pas, mais cette attitude serait la mort d'une authentique vocation missionnaire. Ce serait une aliénation missionnaire[154].

 c) Formules pour trouver des fonds, hors des sentiers battus. J'ai déjà parlé de cette question dans la 4ième partie de la circulaire. Je n'insisterai pas. Une idée seulement. L'appui systématique et exclusif sur des rétributions mensuelles et des pensions ne permettra qu'une démocratisation réduite pour arriver aux « marginaux ». Je ne les désapprouve pas ; au contraire, c'est un moyen efficace qui nous a permis jusqu'à présent de faire beaucoup de bien à ces « marginaux », un bienfait en grande partie méconnu par les Frères eux-mêmes dans leurs Provinces respectives. Ainsi, par exemple, pendant le Chapitre, avec quelques membres du Conseil Général nous profitons des trois repas de la journée pour dialoguer, à tour de rôle avec les Frères députés de chaque Province et écouter dans un réfectoire séparé et sans interruption du travail normal du Chapitre, un exposé panoramique de cette Province. Eh bien, tous les membres du Conseil Général qui assistent à ces repas, ont été agréablement surpris du grand effort qui est fait en beaucoup d'endroits à l'égard des classes sociales moins favorisées en luttant parfois contre des obstacles, des critiques et des incompréhensions. Il est certain que pour quelques écoles le pourcentage des pauvres est encore très réduit par rapport au nombre total d'élèves, mais c'est, même dans ces cas, une appréciable contribution. Cependant aussi heureux que l'on puisse être de reconnaître cette réalité, il n'en est pas moins vrai que subsiste dans son fond l'appel du Fondateur. Ce qu'il nous demanderait tout d'abord ce serait un retour décidé vers les pauvres, et face à la si grande multitude des jeunes abandonnés, une prise de conscience que tout ce qui a été fait jusqu'ici, loin de nous satisfaire doit plutôt être une base de départ vers des efforts nouveaux et plus généreux.

d) S'efforcer d'obtenir l'aide de l'Etat et celle des autres organismes publics. Cependant, une déclaration ici s'impose. Dans les pays pauvres, où une grande partie de la population n'a pas d'éducation, ce serait une réelle injustice sociale de notre part, si nous demandions au gouvernement d'employer des ressources du budget national pour secourir la classe privilégiée qui peut payer. En réalité, la question d'aide de l'Etat est un point si complexe, qu'il n'est pas facile de faire des affirmations et des jugements généraux, alors que tant de facteurs interviennent. La question n'est pas la même (quoique l'on paie les impôts et que l'on ait droit aux services de l'Etat) par exemple dans un pays où les impôts retombent sur les marchandises et ont des répercussions sur le prix de l'acheteur, et un autre pays où il existe un impôt progressif sur les bénéfices nets de l'entreprise. On ne peut pas juger un pays qui a un gouvernement honnête comme. un autre qui est guidé par des spéculateurs sans scrupules ; ou un pays qui a un budget sagement distribué comme un autre qui le dépense d'une manière irrationnelle, en abandonnant des tâches urgentes et prioritaires pour le développement et pour les droits fondamentaux de la personne humaine : l'éducation, par exemple.

Comme orientation générale je pourrais dire[155]qu'il ne serait pas honnête de faire des démarches, et encore moins d'employer des influences pour obtenir l'aide de l'Etat pour des collèges riches dans un pays où il y a un grand nombre de gens qui sont en marge de l'éducation, et où l'Etat ne fait pas tous ses efforts pour les favoriser. Dans cette situation, il me semble juste et raisonnable que les collèges pour les classes riches exigent la pension qui correspond aux exigences économiques, puisque, pour les raisons que je viens de donner, ils n'ont pas reçu, et ils ne recevront pas de subventions de l'Etat. Personne n'ignore que la bonne éducation, qui utilise des systèmes modernes et efficaces, avec des professeurs compétents et des installations à la page, est chère. Si par ailleurs, ce service social d'éducation (toutes les classes sociales doivent être éduquées) est exercé avec un sens social pro-fond, susceptible de modifier les mentalités et les habitudes de la classe privilégiée, et si grâce à cette éducation reçue, ces classes privilégiées, s'orientent dans l'avenir vers une plus grande justice sociale et une plus juste distribution des biens, en corrigeant les erreurs et les attitudes du passé, ces col-lèges auront rendu un grand service au pays et à son équilibre social. Et si, de plus, ils ont canalisé le fruit de leur efforts économiques, vers l'extension des institutions éducatives et vers une prise en charge, au moins partielle, des classes pauvres et déshéritées, (les moyens pour le réaliser pouvant être très divers) alors leur activité est juste et constructive.

Cependant, tel n'est pas notre idéal. Là où c'est possible, nous devons nous charger des moins favorisés, de ceux dont personne ne s'occupe et employer toute notre initiative à ouvrir de nouvelles voies. Si nous pouvions employer 100% de nos ressources en personnel, et de nos économies, nous ferions un grand bien à l'Eglise. Notre Fondateur, il est vrai, n'a pas exclu l'apostolat des classes plus favorisées, au contraire il l'a explicitement accepté mais on sait où allaient ses préférences. Et comme il savait d'une part que les riches auraient toujours le moyen de recevoir l'éducation et que, d'autre part, l'Eglise a besoin d'être l'Eglise de tous, mais surtout des Pauvres, la voie qu'il nous tracerait maintenant est assez claire.

Cela dit, et dans cette intention d'orienter nos œuvres, nous devons chercher l'aide de l'Etat – ainsi comprise, elle est un de nos droits authentiques et un des devoirs de l'Etat, puisque l'éducation privée, sans être de moindre qualité lui revient à la moitié du prix de l'éducation officielle – et en-suite, chercher aussi d'autres espèces de secours, spécialement auprès des Conférences Episcopales des pays développés. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les démarches qui conviendraient pour l'obtenir, mais c'est le lieu de nous demander et de demander au Chapitre Général s'il ne conviendrait pas de préparer un Frère offrant toutes les garanties et la capacité nécessaire pour être chargé de ces démarches et obtenir ces subsides de niveau international.

Cette aide ne doit pas être reçue d'une manière hautaine, mais pas non plus comme une aumône. C'est une œuvre sociale, dans un contexte mondial ou national, selon la nature du donateur – à laquelle chacun a son obligation à divers de-grés. Les uns mettent le capital, nous, le travail désintéressé. Nous ne recevons pas : nous nous unissons pour donner. Ceux qui reçoivent sont ceux qui ont le droit de recevoir, c'est-à-dire, ceux qui sont en marge de la société, et, en vertu de la doctrine de «Populorum Progressio» et de «Gaudium et Spes», ils ne reçoivent, ni plus ni moins que ce à quoi ils ont droit. En conséquence, cette subvention, ni ne nous engage envers personne, ni ne nous attache à personne. Nous ne sommes qu'un élément de service social, culturel et chrétien, inséré dans le mouvement des gouvernements et des partis politiques, pour le bien de la société. Par conséquent, lorsqu'on nous demande notre aide, il ne faut pas la donner à titre d'amitié ou de compromis, mais affirmer clairement et respectueusement que nous agissons par raison de bien commun et de saine politique de promotion humaine et sociale.

Tandis que je rédige ces lignes, je pense aussi à des pays d'un haut niveau de développement social et culturel comme la Hollande, la Suède, l'Australie, le Canada et quelques autres pour lesquels ces réflexions sont inutiles, car la généreuse et juste contribution financière de leurs gouvernements atteint toutes leurs œuvres d'éducation et permet que toutes leurs classes sociales bénéficient de ce droit de la personne humaine à la promotion culturelle. Mais les gens qui vivent dans ces conditions favorables doivent penser à faire quelque chose pour les pays du tiers-monde culturellement sous-développés.

 G. – SOIN D'UNE VIE INTERIEURE SERIEUSE.

 Voici un autre des points-clés sur lequel notre Fondateur nous inviterait aujourd'hui à faire un effort. Nous connaissons bien la profondeur de sa vie intérieure dans son double aspect : l'aspect théologal et l'aspect ascétique ou moral. Tout le monde connaît aussi la manifestation de cette vitalité intérieure dans le zèle intrépide, la charité ardente envers tous, envers tout besoin, surtout moral[156] et dans l'œuvre de son Institut : présent que son cœur a offert à un monde en détresse.

Sa foi robuste, son abandon filial à Dieu, qui, dans son caractère rude, acquiert des nuances de tendresse lorsqu'il s'adresse à Marie, la profondeur de sa constance dans la prière, son sens très vif de la paternité et de la bonté de Dieu[157], nous montrent le sens théologal de sa vie spirituelle. C'est tout un enseignement : la vie morale et la vie religieuse ne peuvent et ne doivent pas être vécues hors d'un contexte de vie théologale. « Comme la vertu est facile, disait-il, et comme les sacrifices qu'elle exige coûtent peu lorsqu'on aime Jésus ! L'amour de Jésus est pour le religieux qui parcourt le chemin de la vertu, ce que les voiles sont au navire qui traverse les mers ; cet amour le pousse, sans qu'il se rende compte, à la pratique des plus hautes vertus ».

« L'amour de l'argent oblige les gens du monde à s'adonner aux travaux les plus rudes et aux plus grandes privations, sans que les peines et les fatigues les arrêtent ; quelle honte ne serait-ce pas pour les religieux si l'amour de Jésus était moins efficace pour stimuler leur vie ! »[158].

En dehors du contexte théologal qui est leur atmosphère normale, les principes de vie morale et religieuse sont en effet non seulement en danger, mais ils deviennent préjudiciables et insupportables.

Au contraire, la vie morale du Fondateur (mortification, humilité, patience, obéissance, etc.) est à la fois un fruit, une réponse et un moyen favorable à la vie théologale, car elle est engendrée par un grand amour de Dieu et un désir irrésistible d'être en contact avec lui. Aucune action de sa vie – d'après les données que nous avons de ses biographes – n'a eu d'autre origine que l'amour ni d'autre terme que Dieu. Quand l'homme apparaît en lui, il se présente toujours baigné de la lumière de Dieu, qu'il aime de son mieux. Ce n'est pas l'homme, certes, c'est Dieu que l'on trouve au fond de son cœur. Ce n'est pas un humaniste ou un leader social ; c'est un saint, agissant comme agis-sent les saints.

Je viens de dire que sa vie morale est un moyen, une réponse et un fruit de sa vie théologale. Un moyen parce que, ressentant la soif de Dieu, la soif aussi de purification et de préparation à la vie intime avec lui, il est poussé à embrasser tout ce qui peut le rapprocher de lui. Une réponse, car toute clarté qui illumine le cœur de l'homme est une flamme ; la parole de Dieu est vie et force, elle engendre la conversion et la transformation. Un fruit, enfin puisque la vie, du fait qu'elle est vie, se développe, se vit en dialogue d'existence. Dieu ne nous a pas seulement fait entendre des mots ; il a mis devant nous des faits. Et l'acte le plus sublime de son langage est qu'il « a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique » (Jn, 3, 16).

Et Jésus, la Parole de Dieu, s'est livré pour nous[159]et nous a envoyé son Esprit.

Quant à l'homme fidèle – surtout le saint – il répond à son tour non seulement par des mots, mais aussi par des actes ; c'est toute sa vie qui parle. « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux ; mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père » (Mt. 7, 21). « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent » (Le 11, 28).

L'amour est quelque chose de plus qu'une vie dévouée et silencieuse : il cherche le dialogue, il a besoin de liaison, de communication ; c'est pour lui une exigence vitale.

Ce dialogue a des degrés. Il n'est d'abord qu'un moyen indispensable de rendre possible la vie morale ; mais il finit par devenir surtout un besoin d'exprimer et de communiquer une réalité que le cœur ne peut plus contenir. Quoique sous des formes diverses, il est dès lors inséparable de la vie spirituelle. Toute théorie mise à part, la réalité démontrée par l'expérience dit qu'une vie spirituelle[160]sans oraison, n'est pas une vraie vie spirituelle. Selon les cas, c'est ou bien une singerie, ou bien un embryon de cette vraie vie, ou encore ce sont les râles d'une vie qui a peut-être bien commencé, mais qui a échoué.

Les théologiens pourront écrire tant qu'ils voudront sur ces matières, les analyser et les systématiser mais, s'ils ne sont que théologiens ils ne nous convaincront pas. Il n'y a vraiment que les saints – et l'Eglise évidemment – qui sauront nous en parler. Une spiritualité qui veut se passer de la prière est une utopie. Notre bienheureux Fondateur le disait sans ambages : « Un Frère qui ne sait pas prier ne sait ni pratiquer la vertu, ni faire le bien parmi les enfants ; car ce n'est que dans la prière que l'on apprend l'un et l'autre ».

« La vie religieuse est essentiellement une vie de prière ; c'est pour prier plus que le commun des fidèles que l'on se fait religieux, et d'ailleurs il est impossible d'accomplir les obligations de la vie religieuse sans une vraie et solide piété ».

« Un religieux qui n'est pas pieux n'estimera et n'aimera jamais sa vocation, parce qu'il y sera sans consolation ».

«  Un bon religieux éprouve plus de consolations et de bonheur dans un seul exercice de piété, tel que l'oraison, l'assistance à la sainte messe, ou une visite d'un quart d'heure au Saint Sacrement de l'autel, que les gens du monde, les plus favorisés des avantages de la fortune, n'en goûtent dans tous les plaisirs qu'ils peuvent se procurer pendant une longue vie »[161].

Or, il faut avouer que dans plusieurs pays – d'une façon alarmante dans quelques-uns – les religieux tendent de plus en plus à négliger la prière, à s'en dégoûter et même à la rejeter. Et il arrive que pas mal de nos Frères suivent cette pente. A la tendance générale au relâchement et à l'abandon de tout ce qui est âpre et de longue durée, viennent s'ajouter des influences du milieu, souvent justifiées par de fausses théories théologiques. Et les conséquences en sont vraiment fâcheuses. On ne sait quel est le pire de ces deux maux bien graves : le grand nombre de déserteurs de la vie religieuse dans certains pays, ou la curieuse persévérance de beaucoup d'autres dans un genre de vie qui, au point de vue sociologique ne peut plus être considéré comme un état religieux.

On oublie d'un côté, que sans la prière il n'est pas possible d'acquérir et de développer un véritable esprit de foi ni un véritable esprit religieux. Or, sans foi et sans esprit religieux, la consécration religieuse n'a aucun sens.

De l'autre, on oublie que la prière est indispensable au chrétien et au religieux et qu'on n'apprend pas à prier sans un travail acharné et des exercices fréquents. En effet, notre vie à nous se place dans un monde qui suppose la foi et ne peul s'en passer, et qui n'a rien à voir avec le phénoménisme ; d'ailleurs Dieu lui-même semble souvent nous la faire acquérir par des purifications répétées qui en sont comme le processus normal. Aussi la prière semble au commencement étrange, devient quelquefois pénible et, alternant entre des périodes de facilité et de sécheresse, subit une involution. Bref, il s'agit d'un problème inéluctable, d'un problème que chacun de nous doit résoudre pour son compte, sous l'action et la direction « du Saint-Esprit qui habite en nous » (1 Cor. 6, 19).

Mais comme le fait très justement remarquer le P. Voillaume, personne ne peut le résoudre, ni apprendre à prier, en fuyant la prière. Et nous ne pourrons pas, non plus, aider nos Frères à le résoudre en leur procurant une vie religieuse qui mène à éviter l'effort demandé par la prière.

Ce qu'il nous faut donc ce sont des Frères remplis de l'Esprit de Dieu, experts dans la vie spirituelle, capables de suggérer et de faire sentir le besoin de Dieu, le besoin de le chercher dans le domaine de la foi. (Ce monde de la foi n'est, si l'on veut, pas autre chose que la réalité qui nous entoure et les événements auxquels nous prenons part, mais vus à la lumière de Dieu. Cette vision surnaturelle est beaucoup plus riche que la réalité d'ici-bas, qu'elle dépasse).

Oui, il nous faut des Frères capables d'initier nos aspirants, même les plus jeunes, dans l'art de dialoguer avec Dieu[162], des Frères qui, dans les communautés où arrivent les jeunes, puissent les aider à conserver et développer la familiarité avec Dieu qui n'a fait que germer chez eux dans les maisons de formation.

Plus que tous les autres, ils doivent se rappeler cependant que l'art d'initier une âme à la vie de prière, ne consiste pas précisément à beaucoup parler de Dieu, mais plutôt à enseigner à parler avec Dieu. Commentant une retraite un peu spéciale, un Frère la résumait ainsi judicieusement : « On y a parlé beaucoup de Dieu, mais on y a bien peu parlé avec lui ».

Si le Fondateur revenait parmi nous, tout modeste et humble qu'il était. il ne serait pas embarrassé pour nous dire : Voyez, on a fait aujourd'hui d'immenses progrès dans le domaine de la théologie, mais n'oubliez pas que le christianisme est beaucoup plus qu'une science ; c'est une religion, une vie. Il nous répéterait après saint Paul : « Pour moi, mes frères, quand je suis venu chez vous, ce n'est pas avec le prestige du langage ou de la sagesse que je vous ai annoncé le témoignage de Dieu. Je n'ai pas cru devoir connaître autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Cor. 2, 1-2).

Sans mésestimer nullement les experts de bonne volonté qui, à la voix de l'Eglise, font de pro-fondes recherches, il nous rappellerait que nous n'avons pas engagé toute notre vie pour tel théologien, fût-il le meilleur du monde, mais seulement pour le Christ, qui a le pouvoir de nous garder fidèles à sa grâce jusqu'à la fin (cf. 1 Cor., 1, 8) et qui est lui-même l'origine et le but de notre engagement.

Une part de la façon de penser du Fondateur correspondrait à quelques-unes des affirmations les plus importantes de Urs von Balthasar dans « Cordula, ou l'épreuve décisive », et mieux encore, serait en accord avec ces enseignements de l'épiscopat allemand : « L'authenticité de la prédication ne résulte pas en premier lieu et fondamentalement de l'individualisme et encore moins de la témérité de la pensée théologique qui ne permettrait pas de reconnaître clairement si vraiment on parle encore au nom de l'Eglise. L'annonce authentique de la foi naît plutôt d'une union attentive et consciente avec le magistère de l'Eglise, Elle requiert l'étude approfondie, la méditation et la prière. C'est seulement ainsi qu'est possible l'attitude d'âme qui, toujours, a été, est et sera la condition requise pour annoncer la foi d'une façon authentique : être disposé à considérer la prédication et à s'en acquitter comme d'un mandat de l'Eglise, est une mission spécifiquement spirituelle ». (Doc. cath., no. 1511, colonne 321).

Il nous dirait encore qu'il ne suffit pas de parler de Dieu aux hommes mais qu'il est nécessaire d'abord de parler des hommes à Dieu, pour que la parole soit accueillie.

Il nous dirait qu'il est inutile d'opposer l'action à la prière, comme dit très bien le P. Voillaume dans la « prière des pauvres »[163]car c'est une loi générale de la nature et de la vie spirituelle elle-même que ces constantes alternatives, systole et diastole, sans lesquelles toute vie décline et dis-paraît. L'attention au prochain ne peut pas non plus justifier l'abandon de la prière avec le désir d'un plus grand service, parce que la prière n'est pas un temps perdu pour nos frères, mais un temps mieux employé puisqu'il rend notre action plus féconde et met le prochain dans l'action même de Dieu.

Il dirait à ceux d'entre nous qui cherchent une Communauté vivant sous le signe de l'amour, qu'il n'est pas de communauté qui ne se désagrège sans une certaine dose de prière, étant donné que l'égoïsme conduit assez vite aux affrontements, à moins que l'on prétende réduire la Communauté à une simple technique psychosociale et humaine. La prière, au contraire, est une aide vigoureuse pour le maintien de la charité et de l'unité quand le prochain nous fatigue. « L'amour du prochain, affirme Vieujean, est semblable à l'amour de Dieu ; il ne se maintient, ne s'intensifie, ne s'approfondit que par le recueillement, le méditation, le dévouement et le renoncement. Il est impossible de faire du mal au prochain lorsqu'on agit en état de prière, si cette prière est véritable ». Vraiment cette prière éclaire tout, pacifie tout ; par elle, les justes dimensions en tout sont atteintes. On ne peut s'approcher de Dieu sans participer à son esprit, à son indulgence, à sa patience, à sa bonté. Lorsque le prochain nous contrarie, nous irrite, lorsque arrive le moment où il devient pour nous, une « chose », il suffit de le rappeler dans notre prière pour qu'il redevienne pour nous « une personne »[164].

Le Fondateur nous dirait que sans une prière qui nous réalimente, tout s'use et dégénère en nous, avec, comme conséquence, les crises et les problèmes posés auxquels j'ai déjà fait allusion.

Il nous dirait que toute la structure de consécration et de rénovation que nous avons essayé d'édifier, dépend non seulement de la qualité du travail réalisé sur la prière, par la communion capitulaire, mais aussi de l'ardeur avec laquelle les Capitulants appliqueront ce travail dans leurs Provinces pour le faire aimer par les Frères et le faire observer. Il est bon de se rappeler à ce sujet ce que nous dit Perfectae Caritatis en parlant de-mesures prises pour les réformes institutionnelles : « La vie religieuse demandant avant tout que ses membres suivent le Christ et s'unissent à Dieu par la profession des Conseils évangéliques, il faut peu sérieusement que les meilleures adaptations aux besoins de notre temps, seront sans effet si une véritable rénovation spirituelle ne les accompagne, a laquelle il faut toujours donner la première place dans la formation des œuvres extérieures ». (P.C. 2e). Et ailleurs : « Tous doivent se rappeler cependant que l'espoir de la rénovation doit être placé surtout dans une meilleure observance de la Règle et des Constitutions, plutôt que dans la multiplication des lois » (P.C. 4).

Enfin notre Fondateur nous dirait, avec autant de simplicité que d'Esprit de Dieu   puisque non, apprécions tellement aujourd'hui ce qui est charismatique, plutôt que juridique ! – ce que disait saint Pierre d'Alcantara à sainte Thérèse lorsqu'elle avait des doutes sur la réforme du Carmel et était mal conseillée par des théologiens : « L'Esprit Saint remplit votre âme. J'ai vu une de vos lettre, que m'a montrée Gonzalo de Aranda et j'ai été épouvanté de lire que vous soumettiez aux lettrés ce qui n'est pas de leur compétence. S'il s'agissait de litiges ou de cas de conscience, il serait bon d'avoir l'opinion des juristes ou des théologiens : mais lorsqu'il s'agit de perfection de vie, on ne doit en parler qu'avec ceux qui la vivent, parce que les autres n'ont d'ordinaire ni conscience ni bon entendement de ce qui se fait. (…) Si vous  voulez suivre le conseil du Christ, d'une plus grande perfection en matière de pauvreté, suivez-le, parce qu'il n'a pas été donné aux hommes plus qu'aux femmes, et Dieu fera que tout ira très bien comme il en a été pour tous ceux qui l'ont suivi. Et si vous voulez prendre conseil de lettrés sans l'Esprit, faites-le, vous verrez s'il vaut mieux les avoir ou pas, pour suivre le conseil du Christ ».

En transcrivant cette page, j'ai pensé qu'il pourrait arriver aussi que le langage simple, mais pénétré de l'Esprit de Dieu de notre Fondateur, ne soit plus convaincant pour tel Frère, surtout s'il a perdu l'estime de tout ce qui est mariste. En disant cela, je ne pense pas précisément à l'Institut d'aujourd'hui en tant que groupe sociologique, mais à « mariste » dans le sens de courant historique, né d'un homme de Dieu, et parvenu jusqu'à nous augmenté et enrichi, mais à la manière d'un patrimoine et d'un charisme. Si donc on n'y croit pas, il est fort probable que la simplicité de ce qui précède ne dira rien.

Cela s'explique jusqu'à un certain point parce que le moment historique que nous vivons est si radicalement révolutionnaire. que quelques-uns en arrivent à se demander s'il a vraiment si peu que ce soit de commun avec celui qui a immédiatement précédé. Réfléchissons donc sur quelques points en partant de la nature même de l'être humain et du chrétien pour redécouvrir leur sens et leur besoin.

Mais auparavant, une conclusion : plus on parle de la personnalité, plus on la proclame, et moins on remarque sa misère. Pour celui qui a encore un peu de foi, le manque de prière est la cause évidente de ce manque de personnalité, dont nous parlons, surtout de personnalité profonde. Aux époques où l'on parle davantage et où plus encore l'on discute de vie religieuse, chrétienne, consacrée. le paradoxe c'est que celles-ci sont vécues très superficiellement et que l'on se trouve en crise et en tentatives qui, au lieu de mener au dépassement. accentuent le fléchissement et la descente.

Chez l'homme profond, le problème du sens de la vie, de la réalité, de la douleur, de la mort, etc. et de l'absolu[165]se posent d'une manière inévitable. Partant de cette double interrogation et se sentant acculé, Heidegger a nommé cette manière de vivre un « exister authentiquement » un exister en soi. Or il y a des personnes qui résolvent le problème d'une manière « fermée », soit en refusant tout sens à l'absolu, soit en constituant l'homme comme sens unique et absolu de tout (immanentisme). En réalité, dans ce cas, il n'y a pas de vraie religion et on interprète celle-ci comme une fiction qui, une fois dévoilée, laisse entrevoir où débouchera cette angoissante recherche[166]. On arrive à cet immanentisme soit par convictionon croit en lui de bonne foi – soit pratiquement[167]. C'est dire pourquoi je dois faire une option en accord avec des intérêts personnels, et je la fais en assumant les conséquences idéologiques qui s'en suivront, ce qui engage aussi bien face au passé que face à l'avenir.

Au contraire, la réponse peut être « ouverte » et par conséquent religieuse et transcendante ; il y a des cas curieux où cette réponse, ouverte quand même, conduit dans la pratique à une ouverture agnostique. Unamuno, par exemple, priait ainsi dans son athéisme : « Ecoute ma demande, Toi. Dieu qui n'existes pas, et dans ton néant, recueille mes plaintes »[168], accablé par la peur du néant. il s'écrie : « Retire-moi, Seigneur, du doute : est-ce que tu garderas celui qui t'a aimé ? Mon Dieu, viens à mon aide, on me vole mon « moi »[169]. L'attitude normale est que la réponse ouverte chemine dans la foi et l'espérance et s'exerce dans le dialogue et la prière.

Profitant d'une conférence profonde du P. Olegario González sur la vie de prière, établie à partir de la nature radicale de l'être humain entendue comme une chose innée pour qui possède un minimum de profondeur, je tâcherai de démontrer comment tout homme, par le fait même qu'il est homme, est appelé à cette dimension de dialogue et de prière aussi bien dans le sens horizontal que dans le sens vertical. (Meyerson disait qu'il est plus facile pour l'homme de faire de la métaphysique que de respirer). L'homme a tellement besoin de trouver les raisons de sa vie, que, s'il ne les trouve pas, il finit par les créer[170].

Olegario Gonzàlez dit donc, en parlant de la prière dans l'existence humaine : « Essayons de nous immerger dans la contemplation profonde de l'homme. Il s'agit de justifier si la prière a un sens ou non, aujourd'hui, pour l'homme qui est arrivé à une maturité historique, qui a conscience de sa pleine autonomie. Un homme religieux sait que sa religiosité n'est pas esclavage vis-à-vis d'un être extravagant qui le domine et le subjugue, mais bien service en plénitude envers Quelqu'un qui lui fait penser aux non-croyants. Il s'agit de démontrer comment une humanité vécue en plénitude est une humanité vécue en danger et, donc en prière ».

« A l'homme, qui la constitue, est essentiel ce que nous pourrions appeler la dimension dilogale. Le "moi" n'est possible qu'à partir de, et pour un "toi". L'homme s'interroge non seulement pour les choses, non seulement pour lui-même, mais parce qu'au fond de son être, ce dont il a le plus besoin c'est d'être interpellé par quelqu'un différent de lui-même. Il a besoin, et il se sent dans le besoin que quelqu'un, hors de lui-même, l'appelle

Plus encore, « L'altérité est quelque chose de constitutif de l'ipséité » (ou l'alter est quelque chose de constitutif de l'ego). Je ne me découvre comme un « moi » que dans la mesure où je dé-couvre un « autre ». Je n'acquiers la conscience de moi-même que dans la mesure où je trouve le visage personnel d'un autre, et dans la mesure où ce visage personnel d'un autre s'ouvre à moi et m'illumine dans mon secret personnel. La prière appartient, dirions-nous, au monde du vocatif, et le vocatif est une des fonctions les plus fondamentales de la conscience humaine ».

Cependant l'homme ne peut pas se sentir satisfait, dans ce besoin d'altérité, de compagnie et de dialogue sérieux, d'une réponse partielle et provisoire : il a besoin d'un autre être supérieur avec lequel il puisse satisfaire ce besoin de dialogue[171]. « L'homme s'ouvre à un autre mais il ne peut demeurer dans un autre de la même densité ontologique et personnelle que lui-même ». « Il aperçoit un "Toi" à travers ces "toi" humains et finis qu'il constate autour de lui-même ». « L'intersubjectivité avec les autres, constitutive de l'humain, est radicalement insuffisante, vu que le dynamisme de la personne va plus loin que tout ce qui est fini, vers ce visage personnel et infini d'un "Toi" que pourtant nous ne décrivons et ne nommons pas, mais vers lequel l'homme s'élance, en ayant l'intuition du plus profond de lui-même ». « Dans cette ouverture priante l'homme se découvre comme personne et, dans la mesure même où il ne s'ouvre pas, il est menacé à la racine de lui-même ».

Dans cette projection vers ce « Toi », avant même que le dialogue soit commencé, il est possible qu'il existe une forme embryonnaire de prière, sans référence pourtant à Dieu.

« Il est possible de trouver des hommes priants dont la prière oscille entre le monologue et le dialogue, un dialogue qui, en fin de compte, est déjà un dialogue avec Dieu. Antonio Machado disait : « Celui qui parle seul a l'espoir de parler à Dieu un jour ».

« Si l'on poursuit cette piste jusqu'à la limite finale de soi-même on parlera à Dieu un jour, et ce "Toi" se montrera alors avec son nom propre, avec le "Je suis Yahvé qui t'ai aimé et choisi depuis toujours" ».

Qu'une réflexion me soit permise avant d'accompagner l'auteur jusqu'au passage de l'existence humaine à la prière chrétienne.

L'incapacité de beaucoup d'hommes de notre génération à rester seuls plongés dans une réflexion profonde, pour entrer en contact avec les autres en profondeur humaine existentielle, et le refuge d'une rencontre frivole et banale avec les choses et les personnes, par des formes superficielles de jouissance, de diversion et d'occupation du temps (« tuer le temps ») étranglent l'ouverture vers Dieu et rendent plus ou moins difficile ou même impossible la prière.

Ce désir de l'homme, cette nécessité ontologique d'un dialogue en transcendance, ne luttent pas dans le vide ni ne se débattent dans l'impossible. « Le spécifique de l'existence croyante consiste à accepter que de fait, Dieu est intervenu dans l'histoire, s'est révélé comme Quelqu'un de concret, a vécu avec les hommes, en a appelé quelques-uns qu'on nomme prophètes, les a envoyés au Peuple et, finalement, s'est montré à nous dans une Plénitude totale et définitive en ce Quelqu'un que nous appelons Jésus.

Ce « Toi » sans nom, Absolu et Infini, s'es' révélé à nous comme un « Moi-Yahvé-parmi-vous », vivant une histoire avec vous. Ce « Toi » absolu a voulu une vie participée, une co-existence, il a choisi un Peuple, a été tellement près des hommes qu'il y a un moment de l'histoire où ce n'est plus comme quelqu'un du dehors qu'il vit avec les hommes mais comme quelqu'un qui, dans l'humanité, vit avec l'humanité ; et cet être-Dieu dans l'humanité nous l'appelons Incarnation : Dieu n'est pas seulement avec nous, mais un de nous. Dieu a prononcé un « Moi » d'humanité, et cet appel aux hommes depuis l'extérieur a été alors un appel venant du dedans. Jésus de Nazareth est l'aboutissement de ce que nous les hommes nous pouvons arriver à être pour Dieu et de ce que Dieu peut arriver à être pour les hommes.

Et c'est donc de cette façon que la Parole de Dieu, l'appel de Dieu a résonné à travers une humanité qui est nôtre, qui est notre sœur, qui est, finalement, chacun de nous.

« La dimension spécifique de l'existence croyante est basée sur la Révélation ; et la Révélation, plus qu'un ensemble d'idées, de théorèmes ou de phrases qu'il faut croire, est cette interpellation simple de Dieu, cet appel de Dieu qui réveille les hommes, leur offre son intimité, la leur donne à vivre, et demande une réponse.

« La Révélation est une vocation, et à la Révélation comme vocation, on répond par une invocation. A la Parole de Dieu qui se communique, l'homme répond en l'acceptant : voilà la prière.

« Dieu appelle et se donne ; l'homme accueille et invoque. Dieu s'offre en vivant pour l'homme dans une existence commune ; et l'homme, s'il accepte, vit sa propre vie en une histoire, une existence, une communion avec Dieu.          

Voilà donc, comment la prière dans l'existence chrétienne est la réponse vécue dans l'existence la plus concrète à cet auto-dévoilement et à cette auto-donation. L'Alliance, la Révélation, l'Incarnation sont les fondements théologiques d'une existence croyante en prière ».

Mais cet événement religieux historique a opéré une transformation : Dieu s'est révélé à noce comme un « Moi-Yahvé-qui-vis-avec-vous ». Avec lui nous avons dépassé pour toujours dans l'idée du divin, la notion de « numineux », de destin des dieux. Pour nous, tout a pris dès lors une dimension personnelle ; le divin n'existe pas : il existe Yahvé et il existe Jésus de Nazareth, présence de l'Absolu parmi les hommes.

« Avec l'Incarnation et avec la Rédemption a été préparée la "démythification" la plus radicale de toutes les natures, de tout le destin, de toute l'histoire. Il n'existe pas des pouvoirs "numineux' qui jouent avec l'existence humaine : c'est "Mou Yahvé qui vous interpelle" et "Moi, Jésus qui vous appelle à me suivre".

« Dieu est donc une liberté qui interpelle un( autre liberté. (On comprend pourquoi la racine même de la religion chrétienne, la foi ou l’ouverture au message est un acte de liberté et constitue la suprême option morale, comme dit Haering)[172]

« Considérée dès lors dans cette perspective, la prière est un acte de consentement par lequel l'homme s'accepte, se voit interpellé par ce Dieu, recueille cette interpellation, la met en action, la rend concrète, la fait exister. Il accueille ce dessein de Dieu envers lui, cette histoire de Dieu réalisée en commun avec les hommes, et il projette sa vie en existence commune avec Dieu et avec les autres hommes.   

Par conséquent, pour vivre de la Parole, l'accueillir dans son cœur, la méditer, découvrir son contenu, son actualité au niveau de l'Histoire et l'incarner à travers ses réalisations humaines, il est important de dire : « Seigneur, me voici, ton serviteur ; dis-moi ta Parole ».

Dans cette prière, l'homme n'est pas seul pour un exercice de gymnastique mentale, mais au con-traire, il se situe en une véritable ouverture et collaboration, dialogue et réponse à l'Esprit qui prie en nous : « Si nous allons encore au plus pro-fond, nous découvrirons, qu'en définitive, la prière n'est pas le fait de l'homme mais bien de l'Esprit dans le cœur du croyant. Une action de l'Esprit c'est que, donné par Dieu dans le Christ aux hommes. il fait de nous des fils selon l'image de Celui qui est le Fils unique, et que nous nous comportons avec Lui comme des frères ; nous pouvons, du fond de notre cœur dire avec Lui : « Abba, Père ! ». De là, par conséquent, il résulte que ce n'est pas nous qui faisons l'oraison, mais l'Esprit qui la fait en nous. Ce n'est pas l'homme, mais ce sont les gémissements de l'Esprit qui souffle en nous et que nous recueillons sans savoir ni d'où il vient ni où il va. C'est pour cela que c'est uniquement par Lui et en Lui que nous pouvons oser appeler ce « Tu » absolu que je nommais plus haut de ce mot ineffable et unique : Abba, Père. En fraternisant avec l'unique qui est Fils, avec Jésus qui épuise la paternité du Père, configurés par l'Esprit à Jésus, nous pouvons invoquer et crier : Abba, Père, du fond de notre cœur.

Que soit seulement suggérée ici cette dimension chrétienne, absolument neuve de l'oraison ; il n'est plus seulement question de se savoir appelés par un « Tu» transcendant, mais bien de se savoir frères de Jésus, configurés à Lui, par l'Esprit et. avec sa force, de pouvoir crier : « Abba, Père ! »

C'est avec raison que l'Apôtre (lisait au. Ephésiens : « Avant, vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur » (Eph. 5, 8).

Demander l'exercice et la pratique de l'oraison ce n'est pas autre chose que demander l'accord avec la plus profonde dimension de la nature humaine et de l'être chrétien né dans et pour le Plan salvifique de Dieu. Supprimer cette oraison c'est mettre en évidence le désaccord avec soi-même et la faiblesse d'une vie chrétienne ou, pire encore, réduire le christianisme à un humanisme horizontal. Nous en revenons toujours au même : les moyens et les formules peuvent changer, et même notablement, et l'Assemblée Capitulaire en décidera ; mais ce qui ne peut disparaître c'est ce sérieux et cette profondeur d'une vie d'oraison qui est un besoin d'exprimer la vie intérieure et la preuve de cette vie dans une personnalité humaine qui a atteint sa maturité.

Nous pourrions suivre l'auteur en deux autres points qu'il aborde : l'oraison dans l'existence ecclésiale et dans l'existence apostolique. Ayant déjà parlé de la première, j'abrège faute de temps et d'espace. Néanmoins, je voudrais terminer ces ré-flexions en faisant voir comment le Christ qui est interlocuteur dans notre oraison, s'adresse au Père spécialement au sein de la communauté des croyants : « L'Eglise naît, grandit et agit dans cet acte par lequel le Christ vit comme Fils devant le Père, se livre au Père et dans cet acte de donation en-traîne la totalité de ses frères en oraison, en glorification de son Père. Dans cet acte, avec les croyants, nous nous laissons assimiler au Fils, nous laissons faire de nous une offrande, nous nous rendons présents devant le Père ; c'est l'acte où nous nous présentons comme Eglise, comme frères : cet acte nous l'appelons : la grande prière de l'Eglise, l'Eucharistie.

Cette oraison du Christ n'est pas seulement oraison ecclésiale mais encore cosmique, comme dit Congar : « Du jour où la deuxième personne de la Sainte Trinité a pris chair dans le sein de Marie, un cœur parfaitement filial a commencé de battre dans le monde : il a existé une conscience et une liberté humaine qui se sont ouvertes et offertes à Dieu pour que sa volonté de salut pût se déployer parfaitement. Le monde a eu son centre ou son sommet de prière, d'adoration, d'imploration, de communion au mystère de Dieu et d'action de grâces. Ce n'est pas seulement la prière des âmes fidèles, c'est le gémissement de toute la création en travail, dans l'attente d'une rédemption totale (cf. Rom. 8, 18-25) qui passe par la conscience et la prière de celui qui est le Premier-Né de toute créature, le Principe, le Premier-Né d'entre les morts. Per Dominum Nostrum Jesum Christum : tout passe par lui. Il est le prêtre unique, le grand célébrant du monde. Il est, en son corps offert, le temple unique (Jn. 2, 18-22) dans lequel il nous faut entrer pour prier[173].

Chers Frères., en m'appuyant sur l'appel du Fondateur, j'ai prétendu non seulement rappeler sa vie, quelques-unes de ses paroles et les conseils que probablement il nous eût donnés s'il avait été au milieu de nous en ce moment, mais encore développer la dialectique de l'oraison depuis son exigence la plus subjective et la plus personnelle jusqu'à la plénitude d'une oraison ecclésiale et cosmique. Si je me suis tant arrêté, c'est parce que je suis convaincu que l'abandon qui est en train de se généraliser en certains endroits n'est pas moindre que les idées folles que dans d'autres endroits on est en train de semer autour de l'oraison, accompagnées souvent d'attitudes qui ne sont pas le fait de la faiblesse ou de la fatigue mais sont des positions explicitement et formellement prises dans lesquelles on découvre tout, sauf l'Evangile et la sainteté. Qu'on nie permette de dire modestement que entre le magistère de l'Eglise et les théologiens[174], je me range du côté du Magistère, et que entre leurs conseils et ceux des saints, je préfère ces derniers. Peut-être suis-je simpliste ou ingénu … Daigne le Seigneur me conserver cette ingénuité !

Je sais qu'il y a des Frères qui désireraient me voir traiter quelques points concrets de la vie d'oraison. Je préfère ne pas le faire. Tout d'abord, parce que je l'ai déjà fait en certains endroits de cette circulaire et aussi, parce que je ne voudrais pas employer tout ce corps de doctrine pour appuyer ou défendre tel ou tel exercice de piété. C'est l'essence même de l'appel à la prière qui m'intéresse. Nous devons nous rappeler que loin d'encourager à l'abandon de la prière, le Concile nous invite au contraire à nous y appliquer de notre mieux ; et si, jusqu'à présent, notre prière n'a pas été exempte d'un certain formalisme, elle doit être dorénavant, beaucoup plus authentique et plus personnelle. Plaise à Dieu que le Chapitre découvre la formule idéale, qui, en améliorant notre système de prières, excite les Frères à la recherche d'une véritable vie spirituelle, évitant le risque qui nous menace d'un laisser-aller facile et dangereux où la prière est au moins partiellement rejetée. Le Chapitre de 1958 a déjà fait beaucoup sur ce point. Je ne crois pas qu'il s'agisse de plus ou moins de temps pour prier, mais d'arriver à une prière vraie. digne et adaptée, nous persuadant enfin que, sans une application sérieuse à la prière, il est impossible d'être de bons religieux, de persévérer dans la vocation et de faire le bien. Il faut enfin que pendant que grandit dans notre cœur le Royaume nous sachions vivre et supporter avec patience 1e, épreuves de la prière, en attendant l'éternel tête à-tête avec Dieu notre Père.

 8) Retour à l'humilité et à la modestie maristes

 Notre Fondateur nous rappellerait aussi le retour à l'humilité. Il semble superflu d'en parler dans un contexte conciliaire et cependant nous courons le risque de l'oublier ou même de l'ignorer, dans la crainte éprouvée par certains, de choquer les jeunes d'aujourd'hui et même de les éloigner d'un genre de vie trop humble et trop modeste. Il faudrait pourtant commencer par être honnêtes. Si notre esprit est humilité, simplicité et modestie et que nous prétendions le cacher à nos élèves et à nos aspirants, nous les trompons et nous trahissons honteusement l'Institut. Aussi bien sur le plan institutionnel que sur le plan individuel, l'humilité exige un accord entre la personne et le personnage : ce qui paraît doit correspondre à ce qui est. De deux choses l'une : ou bien tel n'est pas notre esprit et il faut le prouver par une étude historique du charisme et de notre spiritualité ou bien, si c'est vraiment là notre esprit, nous ne pouvons pas le cacher et travestir notre personnalité.

D'autre part, s'il est une époque dans l'Eglise où l'élite du monde – n'oublions pas que les vocations viennent ordinairement de l'élite du monde moral – a été capable de comprendre cet esprit d'humilité et de modestie, c'est bien la nôtre. Le triomphalisme n'a-t-il pas été condamné par l'Eglise, au Concile ? N'a-t-elle pas établi comme base des dignités et des charges trop envisagées jusque-là comme des privilèges l'humble sens du service ? Le fondement de toute pastorale organique n'est-il pas la disponibilité à l'égard des postes, suivant les dispositions de l'Eglise ? Est-il possible de penser à une organisation, à une collaboration ecclésiale, dans un système où domineraient les ambitions, la soif de paraître, les rivalités, les soucis personnels d'ascension ou d'escalade vers les premiers postes ?

Le monde d'aujourd'hui, et surtout les jeunes de la contestation la plus légitime, ne se moquent-ils pas, et ne sont-ils pas irrités par nos préséances, nos dignités, nos hiérarchies ?

Cette jeunesse-là est sensibilisée et poussée à revaloriser l'être plutôt que le paraître, bien que souvent, par ailleurs, elle manque de courage et soit inconséquente avec ses idées lorsqu'il s'agit d'elle-même…

Mais peut-être ce que nous lui présentons comme humilité et modestie n'est qu'une caricature, une dégénérescence et il faudrait nous demander à quel type de jeunesse nous nous adressons. La jeunesse d'aujourd'hui aime fraterniser avec les pauvres, elle rejoint l'ouvrier dans la rue, elle passe volontiers ses vacances avec les travail-leurs en partageant leur vie dure ; elle recherche et proclame l'intégration raciale, elle se veut pré-sente à toutes les faillites humaines : la faim, la guerre, l'injustice sociale, la violence. Et bénie soit cette attitude de louable rébellion ! C'est celle du Christ.

On me racontait dernièrement, qu'un jeune Frère d'une Province mariste ayant brillamment terminé sa carrière universitaire désirait être envoyé en vue d'une spécialisation poussée, dans une célèbre université étrangère. Il disait à un de ses jeunes compagnons : « Notre vocation n'apporte pas de promotion à ses membres … Si j'appartenais, par exemple, à tel Ordre, je t'assure que je préparerais déjà cette spécialisation pour occuper un poste éminent dans l'université ». En entendant cela je pensais aux paroles de l'Apôtre, qui d'un trait génial décrivent l'existence temporelle du Christ, acte suprême de soumission : « Ayez en vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant la condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur une croix, Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ qu'il est Seigneur à la gloire de Dieu le Père !» (Phi. 2, 5-11). « Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même, se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous » (Cor. 1, 15, 28).

Quel abîme entre l'être et l'attitude de ce jeune Frère, et Notre-Seigneur, si grand et si humble ! Cela pourrait s'expliquer : La véritable humilité chrétienne a respectivement la plénitude et la charité comme racines ontologiques et théologiques. Aussi quelque profonde que soit l'humilité, elle n'est jamais dépersonnalisante ni génératrice soit d'un complexe, soit d'une crise de valeur personnelle. L'amour de l'ordre, de la justice, de la tempérance, de la vérité sont parmi ses composantes morales ; elle repousse naturellement le mensonge, les fausses apparences, l'injustice, l'usurpation des charges et des places pour lesquelles on n'est pas fait.

Plus encore, l'humilité et la modestie font que le sens radical des limites personnelles et de la carence ontologique est assumé et élevé par les dons de la nature et de la grâce jusqu'à la richesse, la plénitude, la fécondité et le dynamisme.

Tout ce qui naît de l'humilité est inestimable :

– l'acceptation de soi-même

– la paix intérieure

– l'harmonie dans la vie sociale la disponibilité et l'adaptation

– l'affection pour les pauvres et les abandonnés.

En définitive la modestie et l'humilité ne son' que deux expressions d'une même réalité : l'humilité est une juste estime de soi, un jugement de valeur objectif que l'on porte sur ce que l'on vaut et sur l'origine de cette valeur ; la modestie en est la manifestation extérieure ; c'est une attitude en accord avec l'humilité qui, elle, est intérieure. Expérience interne et attitude externe, voilà encore le binôme, les deux faces de la même pièce de monnaie. La modestie guidée par l'humilité, peut atteindre de très fines nuances d'une exquise affabilité envers le prochain. Le sens social, le bien de l'Eglise, l'amour du prochain ou la paix entre frères peuvent quelquefois, par modestie et comme suite logique d'une vraie humilité d'esprit, porter à faire renoncer à certaines dignités, à des droits incontestables, à des choses bien convenables ou à des revendications tout à fait justes du point de vue des personnes ou des institutions. On obtient généralement ainsi que toute l'équipe travaille, qu'on marche en bonne harmonie, sans froissements, sans désir ambitieux, sans abandon du travail, en collaboration, sans disputes pour la priorité ou la suprématie. Le prochain se sent à l'aise dans un tel milieu : il voit qu'on ne le méprise pas, qu'on ne l'abandonne pas. La modestie de l'un permet à l'autre d'être lui-même, de s'estimer à son prix, d'affirmer sa personnalité, de se réaliser complètement.

Hélas, l'humilité n'est pas facile. Nous sommes tous prêts au geste d'Adam, nous sommes enclins à l'orgueil, en étalant nos qualités, en voulant en imposer là où nous sommes, fût-ce dans une petite classe, en jetant de la poudre aux yeux des plus jeunes élèves, écrasés sous le poids de notre prestige et la vanité de notre petit bagage culturel. On est maître d'un monde – si réduit soit-il – où l'on brille et où l'on trône comme un souverain. Et, si on n'est pas sur ses gardes, à mesure que la vie fait « monter en grade », le manque de modestie et la fatuité montent aussi.

Au fond il n'y a qu'un même orgueil intellectuel, mais qui se manifeste selon les différents niveaux qu'il nous est donné d'atteindre.

Non, l'humilité n'est pas facile ; on ne petit l'acquérir si on ne jouit pas d'une bonne santé psychique et si on n'a pas de droiture morale. Il est bien difficile d'être humble et modeste, quand on se sent handicapé surtout par un sentiment d'infériorité, ou bien quand on est hystérique.

Parfois aussi on souffre de certaines illusions d'optique. Mais c'est surtout le fond de péché que l'on porte en soi, qui donne ce penchant, cette soif de gloire, cette soif des honneurs mérités ou immérités. N'oublions pas que l'humilité est une vertu qui a affaire aux appétits naturels. Sous un certain aspect, ceux-ci doivent être modérés et éduqués par elle. Et cette formation ne peut s'obtenir que dans un climat théologal, auquel elle emprunte son point de départ et sa force. C'est avec raison que Marcel Colin disait dans une de ses conférences : « On ne peut avoir le sens de l'humilité si on ne possède auparavant le sens de Dieu, le sens de notre filiation divine et de notre insertion au Corps Mystique du Christ. Il faut beaucoup tenir à ce principe pour la formation de l'humilité. Il faut donner à nos sujets en formation une claire vision de nos rapports avec -Dieu. Ce n'est pas seulement par des humiliations que l'on forme á l'humilité, mais surtout en donnant l'habitude de voir en profondeur théologale les choses, les personnes et les circonstances de la Vie,

Le degré le plus haut de l'humilité profonde et habituelle se trouve justement dans l'ordre de la grâce, c'est-à-dire là où le christianisme montre toute la richesse de ses valeurs. C'est là qu'il y a surtout chez les saints – des dons de l'Esprit en surabondance ; c'est alors que le chrétien – le saint plus encore – se rend compte qu'il n'est rien et n'a rien de lui-même, qu'il a tout reçu, que sa vie n'est qu'une suite de dons ; c'est alors que monte du cœur ce sentiment qui, chez Marie, produisit son cantique si pur du Magnificat, et chez nous aussi peut produire un chant d'action de grâces nuancé de douleur et de larmes.

Voilà pourquoi la pire de toutes les tentations d'un chrétien est celle de prétendre mériter sa justice. Y succomber c'est passer de la sécurité de celui qui s'abandonne entièrement à Dieu, à l'insécurité de celui qui met sa confiance en lui-même.

C'est donc une vertu essentielle que l'humilité. On ne la trouve généralement pas énumérée parmi les vertus cardinales et l'antiquité ne l'a pas connue[175]« mais le christianisme l'a toujours appréciée comme vertu fondamentale»[176]. En tant que chrétiens, nous ne pouvons donc lui refuser notre sympathie ; en tant que Maristes, nous ne sommes pas en droit de la faire disparaître de notre spiritualité.

De grands formateurs de militants chrétiens, comme le P. Lebret, ont bien compris le rôle de l'humilité, face à la réalité, dans nos rapports avec Dieu, avec les autres et avec nous-mêmes. Voici un beau passage d'un de ses ouvrages, qui pourrait être appelé « les quatre classes d'humilité objective » :

« Quiconque est réellement grand s'humilie toujours devant la réalité, devant l'objet. Il sait bien qu'il perd le temps quand il veut obliger les hommes et les choses à se modeler selon les lumières de son esprit. Chaque être a sa loi et son déterminisme et même l'homme trouve des limites à son pouvoir de choisir. Il est bon d'accepter la part de déterminisme et de liberté. Il faut respecter et utiliser l'un et l'autre. Celui qui est vraiment grand s'humilie devant l'œuvre qui est à accomplir et devant chaque personne avec qui il s'associe. Il a bien compris que ce n'est qu'en servant qu'on s'agrandit. Quiconque est vraiment grand s'humilie devant Dieu non pour abandonner la charrue mais pour la mieux diriger »[177].

La modestie, je l'ai expliqué plus haut, est la compagne inséparable de l'humilité. Et la simplicité ? Eh bien ! je dis que c'est la plus belle des trois violettes maristes[178]. Qui n'est pas capable de la comprendre, ne comprendra pas non plus ce qu'est l'épanouissement de la vie spirituelle.

Toute âme dont on peut dire qu'elle a écouté la Parole divine, porte le cachet de l'humilité, de la simplicité et de la paix. Saint Thomas a condensé en une phrase tout ce qu'on peut dire sur la simplicité : « La sagesse en s'élevant, se simplifie ». Cette affirmation est géniale, mais elle l'est encore plus lorsqu'il s'agit de la vie spirituelle.

La vie spirituelle dans sa totalité, de même que la vie de prière – qui est le langage avec lequel elle s'exprime – rend l'âme plus transparente, plus filiale et plus simple, à mesure qu'elle devient plus généreuse, plus fidèle et plus fervente. Les complexités disparaissent, tout s'unifie, sous l'influence prépondérante d'un élément dominant, qui transforme et qui englobe tout : l'amour.

Il suffit de rappeler un exemple aimé et pré-sent à la pensée de tous : Jean XXIII. On a dit de lui qu'il est une de ces créatures exceptionnelles, une de celles dont il est difficile de parler au passé, de celles qui s'en vont sans s'en aller. Laissons Jesus Descalzo nous évoquer sa figure inoubliable. « Est-il nécessaire de rappeler le Pape Jean ? La mort a été pour lui comme un voyage de plus : d'Istanbul à Paris, de Paris à Venise, de Venise à Rome, de Rome à la maison du Père. Un voyage de plus. Devant son tombeau, je n'ai jamais réussi à imaginer qu'il était mort ; je crois entendre encore ses paroles ; je le vois dans la basilique Saint-Pierre lorsque tous les évêques attendaient son discours et qu'il cherchait, Dieu sait dans quelles poches cachées, ses introuvables lunettes, tandis que les nerfs des monseigneurs qui l'entouraient étaient sur le point d'exploser. Ou encore je le contemple à la fenêtre de sa chambre, la nuit même de l'ouverture du Concile, parlant de la lune et des enfants. Mais jamais mort. Pour Jean, la mort était une anecdote en plus, un ruisseau qu'on doit traverser sans autre effort que celui de ramasser un peu sa soutane. C'est pour cela qu'il n'est pas nécessaire de rappeler son souvenir. Il suffit de dire son nom, et il est déjà dans le cœur de tous. Jamais, jamais il n'y a eu dans l'Histoire un homme plus universellement aimé. Mais aimé, non pas d'un amour théorique et lointain ; aimé familièrement, filialement ».

« Si Pie XII a été le plus angélique des hommes, Jean XXIII doit être maintenant, au ciel, le plus humain des anges. Les deux ensemble sont les deux faces de la médaille d'un unique et identique évangile »[179]. Cet homme simple, avec ses merveilleuses espiègleries et ses saillies charismatiques, était le successeur d'un Pontife magistral : Pie XII. Lui succéder, remplir le vide qu'il laissait, c'était une tâche capable de faire naître des complexes d'infériorité. Mais il y arrive sans aucune prétention : « Jean, ne te prends pas tant au sérieux ». Et il commence sa tâche. Il n'a pas des trésors de science, il n'a pas fait une carrière aussi brillante que celle de son prédécesseur, mais il a en lui la Volonté de Dieu, et son cœur est rempli d'amour. Le reste de l'histoire nous le connaissons.

A quoi attribuer le charme de sa personne dans un corps qui n'avait rien d'élégant ? Ce pou-voir de rendre aimables, sinon attirants la vertu. l'Eglise, le Christianisme ? Il suffit de se pencher sur son Journal Spirituel, surtout dans ses dernières pages pour le découvrir : une vie spirituelle qui avait atteint le sommet de l'amour et de la simplicité. Nous lisons dans son journal : « Plus je mûris en années et en expérience, et plus je reconnais que le chemin le plus sûr reste toujours l'effort vigilant pour tout réduire à la plus grande simplicité et au calme : principes, orientations, affaires, positions. Toujours tailler, dans le but de supprimer de ma vie tout ce qui n'est que feuillage inutile et exubérant, des vrilles, et aller tout droit à ce qui est vérité, justice, charité… surtout charité. Et un peu plus loin : « Mon humble vie s'est déroulée simplement sous le signe de la simplicité et de la pureté. Le Seigneur m'a fait naître d'une famille pauvre et Lui-Même s'est chargé de tout. Je L'ai laissé faire »[180].

Pour comprendre quels fruits il en a tiré, il suffit de lire l'énumération des fruits de l'Esprit et de la grâce dans l'épître de Saint Paul aux Galates (Gal. 5, 22-23). Quand on a bien compris le mystère pascal, on ne peut qu'aboutir là. L'agonie de ce pape émut le monde entier et fit voir la sublimité d'une âme plongée dans la douleur, tout à fait mûre pour le ciel.

Mes chers Frères, voilà la simplicité. Ce n'est pas une vertu des commençants, c'est une fleur des cimes. Aussi, quant notre bienheureux Père disait : « Savez-vous ce que c'est que se faire Frère ? C'est s'engager à se faire saint »[181], il se rendait parfaitement compte de la portée de son affirmation. On n'arrive à la simplicité qu'en suivant ce chemin. Et puisque cette vertu si caractéristique de notre spiritualité doit être une vertu pleinement mûre et non plus simplement, une expression de naïveté qui ne viserait qu'à l'élémentaire, forcément elle nous fait prendre le chemin de la perfection avec toutes les conséquences qui en dérivent.

Avant de conclure ces pages consacrées aux appels que le Fondateur nous ferait aujourd'hui, je répète ce qui a été dit : qui ne veut pas considérer cette vertu comme la perle la plus précieuse et la note la plus caractéristique de notre Institut, ne connaît point la nature de la vie spirituelle que doit être la nôtre. J'ajouterai qu'il ignore sa grande force d'attraction et son influence surnaturelle et humaine. Si tous nos Frères la possédaient, no jeunes s'enthousiasmeraient facilement pour noir( vie et ils deviendraient des Frères tels que le Père Champagnat les aimait.

Il me semble opportun de mettre ici un appendice sur les diverses branches maristes, puisque toutes n'ont qu'un esprit.

Le Bienheureux Marcellin Champagnat es mort convaincu que les Pères et les Frères Maris tes ne formeraient qu'une seule famille (Cf. soi testament spirituel, Vie du V. M. Champagnat Desclée 1931, p. 278-280). Cependant, quelque années après sa mort, une intervention de Rome allait conduire à une séparation « juridique » de deux branches. Depuis lors nous avons formé deux congrégations différentes. Les cœurs restaient uni par un profond amour, mais les rapports devenaient de plus en plus rares. Non sans un peu de nostalgie, les Frères lisaient le « vœu » exprimé par leur Père dans son testament spirituel…

Et voilà que de nouveau. sous l'effet de cette amitié qui persistait malgré tout, les Pères et les Frères se sont de nouveau rapprochés. En plusieurs pays, les rapports fraternels se sont multipliés ; de part et d'autre on a exprimé le désir d'une collaboration active et profonde. On peut dire que la béatification du P. Champagnat a été comme un renouveau dans le développement de ces rapports et dans l'union toujours plus étroite des Pères et des Frères. Les deux maisons généralices, surtout depuis l'établissement de la nôtre à Rome, ont établi des liens si étroits, qu'on ne peut plus parler de séparation : nous sommes vraiment redevenus deux branches de la même famille mariste. J'ai pu me rendre compte, il y a quelques jours, à l'occasion d'un « dîner de famille » chez les Pères, que cette union était bien sincère et profonde. La constatation est générale : par-dessus les formes juridiques et sans nous préoccuper d'elles dans ce cas, il y a quelque chose qui s'ébauche, qui se profile avec clarté. En effet, si les temps conciliaires sont les temps où s'unissent le ressourcement et la nouveauté, ne serait-elle pas significative cette coïncidence d'un rapprochement mutuel entre Pères et Frères ? Ne s'agirait-il pas d'une motion du Saint-Esprit tendant à la réalisation du désir du Bien-heureux Champagnat et du Père Colin ?[182]. Comme je le disais dernièrement au Conseil Général des Pères Maristes, « Le P. Champagnat vous appartient plus qu'il nous appartient à nous parce que, au moment où la Société de Marie a été formée, il a mis les Frères entre les mains du P. Colin pour devenir simple membre de la Société de Marie. Ceci semble laisser entrevoir que, mis en présence du dilemme hypothétique de l'option, il aurait choisi de rester simple religieux de la Société des Pères plutôt que de continuer comme Supérieur des Frères. Et nous devons être très reconnaissants au P. Colin de nous avoir rendu celui qui, nous ayant engendrés dans le Christ, devait veiller à notre développement spirituel et institutionnel ».

Les « Frères » jadis séparés par des exigences de l'Histoire et de l'Eglise, se rapprochent à nouveau des Pères par les exigences de la même Histoire et de la même Eglise. Si la diversité des tâches ne permet pas la multiplicité de contacts et de collaboration mutuelle, cependant, « la communion dans une spiritualité commune approfondie et dans le respect des particularités et des fins spécifiques de chaque famille de cette société unique, aide ces deux familles à une connaissance mieux vécue de leur patrimoine et de leur parenté ».

J'ajoute que les branches des Sœurs Maristes participent également à l'effort d'unification. La grande famille mariste se reconstruit ainsi, sans aucune pression du dehors, en vertu de la fidélité à ses origines.

Du ciel, notre Bienheureux Fondateur doit bien se réjouir de la réalisation d'un de ses désirs les plus chers.

Il n'est pas besoin de faire violence à la vie, il suffit de la laisser suivre son chemin, creuser son lit : nous entrevoyons déjà où l'Esprit la con-duit. D'accord avec les idées exposées au sein du Conseil Général je pense qu'il serait très convenable que, au moins un Frère, se consacre exclusivement à une investigation sérieuse et profonde de notre patrimoine historique et spirituel ; ce serait un travail semblable à celui que, parmi les Pères, réalise le P. Coste aidé par d'autres Pères ; et il serait évidemment très indiqué que le Frère le réalise en intime collaboration avec lui. Pour réaliser cette tâche il faut que le Frère possède, en même temps qu'une préparation adéquate. un amour profond et une grande ferveur pour tout ce qui est mariste. Le fruit de son travail devrait en effet servir d'aliment spirituel à toute la Congrégation.

Rien de plus indiqué pour justifier ces appels maristes que de rappeler les belles pensées que le P. Colin écrivait à notre Bienheureux Fondateur : « Que la plus grande union existe entre nous tous, à quelque branche de la Société que nous appartenions ; et, comme les membres d'un même corps, soyons toujours disposés à nous rendre service les uns les autres, à nous soutenir, à nous encourager, à nous aider mutuellement. Regardons-nous tous comme les enfants d'une même Mère, qui est la glorieuse Marie, et que le cœur de cette tendre Mère devienne le lien qui nous unisse tous »[183].

 XI. – UNE EXPLICATION COMPLEMENTAIRE DE QUELQUES POINTS

 Les pages précédentes nous ont fait faire une revue générale de ce que j'ai nommé «appels conciliaires ». Sommairement il s'agissait d'une présentation panoramique de chacun, une étude monographique plus ample pouvant intervenir plus tard pour quelques-uns que voici :

1) L'esprit ecclésial. Comme ce thème avait été la clé d'interprétation et le cœur du Concile, il m'a semblé qu'il l'était aussi du Chapitre. Pour être « l'écho mariste » du Concile notre Chapitre devait chercher son centre de gravité, son critère principal, son dynamisme et la raison d'être de ses diverses résolutions, dans le ministère de l'Eglise envisagé, selon les cas, sous tel ou tel angle.

2) Une impulsion missionnaire.

3) Une rénovation mariologique, base d'une catéchèse mariale et d'une piété mariale dans une floraison nouvelle et authentique après plusieurs années de crise pour certains Frères.

4) Une heureuse découverte de notre place propre dans l'Eglise comme religieux et une action généreuse pour assumer cette place.

Cette circulaire devrait maintenant développer ces quatre points laissés antérieurement avec l'idée précise de leur donner ensuite un relief particulier. Il s'agit, en effet, outre ce qui est vrai pour l'Eglise en général, de points qui nous intéressent au premier chef pour diverses raisons.

Les missions par exemple, sont devenues d'une incroyable urgence. Hier, le monde, trop éloigné de nous, nous paraissait évangélisé, car pour beaucoup, le monde c'était l'Occident ou même l'Europe.

Les moyens de communication ont fait tomber notre illusion et nous ont démontré que 70,17% du monde n'est pas chrétien et que seulement 18,26% est catholique. De plus, les problèmes graves et particuliers de l'Amérique Latine et l'ouverture à l'évangélisation de l'Afrique Noire, donnent au problème missionnaire une urgence plus que suffisante pour être mise à part dans cette circulaire.

Le point de vue de la vie religieuse et celui de la mariologie sont aussi prioritaires ; je dirais plus : essentiels. Le premier d'abord, parce que précisément notre rénovation est une rénovation adéquate des religieux, dans « l'aujourd'hui » de l'Eglise et du monde. Eclairer la nature de la vie religieuse selon l'enseignement du Concile et selon le charisme du Fondateur, et nous placer courage-ment en face comme devant un miroir pour voir avec détermination ce que nous devons réformer de notre image : telle est la tâche primordiale et spécifique du Chapitre. Or le cœur au service du corps humain se renouvelle comme cœur, non comme rein : l'œil comme œil ; ainsi, religieux nous devons nous renouveler comme religieux. Quant à la mariologie c'est aussi un point essentiel en tant que charisme spécifique de notre Congrégation.

Hélas, je dois vous dire avec peine que ces quatre points ne seront pas développés chacun isolément comme je vous avais promis, parce que, si la matière a été examinée et synthétisée, elle n'a pas été rédigée. Je pense que ce qui a été préparé est solide, doctrinalement sûr et comprend les plus sérieux éléments. Je suis le premier à regretter de n'avoir pu faire plus puisqu'il s'agissait de thèmes aussi essentiels que celui de l'obéissance, de la virginité, de la vie commune. etc. Mais les forces d'un homme ont une limite et je crois que je suis arrivé à cette limite de l'effort personnel avec cette cinquième partie telle qu'elle est. Un autre, très probablement, aurait pu faire plus et mieux, sur-tout plus concis. Chaque homme a son tempéra-ment, et moi, par besoin de préciser, je suis porté à être explicite et par conséquent à m'étendre. C'est un avantage et un inconvénient. D'autre part je me suis rendu compte que je n'aurais pas pu continuer à rédiger cette circulaire sans négliger l'attention due au Chapitre et aux nombreux Frères Capitulants qui demandent une entrevue personnelle, et ceci serait grave. Ce sont là, Mes Bien Chers Frères, les raisons pour lesquelles ma pro-messe n'a pas été tenue sur ces quelques points.

Au sujet des missions j'ai incorporé un additif à ce qui était déjà écrit, afin qu'une omission dont j'aurais été responsable ne risque pas de leur faire tort en pratique. Pour les trois autres points, avec une retouche à l'index de la circulaire et deux ou trois paragraphes supplémentaires, il aurait été facile de les insérer sans trop de problèmes. J'ai préféré les choses telles qu'elles étaient ; cela vous permettra de suivre l'aventure historique de cette circulaire conçue dès le commencement comme un tout organique. La raison la plus forte qui m'a porté à procéder de la sorte dans cette dernière partie c'est que de cette façon les dommages qu'aurait causés l'omission des thèmes sur la vie religieuse, la Sainte Vierge et l'Eglise seront moindres ; ces omissions pourraient être interprétées par quelques-uns comme un manque d'intérêt pour ces thèmes de notre rénovation auxquels on n'attribuerait qu'une importance relative. En réalité, et en dépit du paradoxe apparent, c'est le contraire : s'ils n'ont pas été traités c'est à cause de l'importance et de l'extension privilégiées que je voulais leur donner.

Probablement, des circulaires dans les années à venir me permettront de réutiliser le matériel que j'ai préparé, en l'amplifiant, en l'améliorant et en y insérant la doctrine du Chapitre avec un commentaire.

En conclusion de ce thème il me sera permis de traiter un point qu'on ne peut raisonnablement omettre quand on parle de la vie religieuse.

On a dit que l'authenticité est absolument nécessaire au religieux, sans quoi sa vie n'aurait aucun sens et il vaudrait mieux pour le monde qu'elle n'existât pas. Nous avons parlé d'une adaptation pastorale de cette vie qui doit la rendre plus fonctionnelle et plus sensible aux besoins des diverses époques. Mais je n'ai encore rien dit sur le devoir de l'adapter justement aux conditions de la génération présente. Ce n'est pas là une idée à moi : c'est un principe établi par le Concile et un ordre qu'il a donné. (Perf. Car. N. 3). Il faut s'en occuper sérieusement, faute de quoi les jeunes de notre temps – je ne parle pas des Frères qui ont déjà fait les vœux perpétuels – ne s'intéresseront pas du tout à notre genre de vie. Ne l'oublions pas : la jeunesse actuelle n'est pas effrayée du sacrifice, du risque, de la pureté et du courage que demande l'Evangile. Au contraire, elle demande qu'on mette tout cela en pratique mais en accord avec son temps, avec un langage et des signes qui soient un Evangile lisible pour le monde actuel[184] et elle rejette les formules vides de sens, les prescriptions sans aucune valeur réelle, les moyens stériles[185] ou, pis encore, les anachronismes et tout ce qui est ridicule. Ces jeunes méritent qu'on les écoute, à condition, bien entendu, qu'à leur tour ils acceptent de comprendre leurs aînés et qu'ils ad-mettent une certaine gradation. Celle-ci cependant ne doit pas servir de prétexte à un ajournement indéfini de l'évolution ; elle ne doit être qu'une mesure élémentaire de prudence conduisant à un changement progressif et réel.

Les principes établis par le Concile pour cette rénovation adaptée doivent être pris tous ensemble ; il n'est pas juste d'en rejeter quelques-uns pour en accepter d'autres. On ne doit pas non plus les opposer ni développer les uns au détriment des autres. Ce serait trahir le Concile. Une rénovation faite de fixisme sans adaptation, ne serait pas conciliaire. Une adaptation qui ferait perdre à notre Institut sa nature et l'essence de la vie religieuse, ou qui contribuerait à les faire dégénérer, ne serait ni conciliaire ni chrétienne. Une « rénovation adaptée » qui ne chercherait pas à comprendre la génération actuelle avec ses merveilleuses possibilités et ses limitations réelles, ne serait pas non plus conciliaire. Par contre, une réorganisation de notre vie religieuse qui suivrait les penchants de la jeunesse d'aujourd'hui, mais oublierait le but et la spiritualité propres de notre Institut ou la nature même de la vie religieuse, serait pire qu'une erreur, ce serait la mort de l'Institut lui-même[186].

Si quelqu'un se sent la vocation de fondateur, qu'il suive son inclination, mais qu'il n'ait pas recours à la facilité en dénaturant un Institut ou en se faisant des adeptes par des campagnes discutables à l'intérieur de la Congrégation. II faut se rappeler que des phénomènes, comme la réforme du Carmel, furent précisément des réformes et pas autre chose. Et il en est de même pour toutes les réformes réussies de l'Histoire de l'Eglise.

 XII. – RESULTATS ATTENDUS DU CHAPITRE ET LEUR ASSIMILATION

 1) Résultats attendus du Chapitre

 Quels sont les résultats normaux attendus du Chapitre, qui pourraient nous satisfaire ? A cette question correspond une double réponse : facile et difficile à la fois. Je m'explique. Il est facile de prévoir qu'il y aura tel ou tel élément de base que l'on voudra considérer comme la pierre de touche de son succès ou de son échec. La difficulté à vrai dire est dans l'interprétation très variable de cet élément ; il ne faut pas dire trop vite en effet qu'il y a échec parce qu'on a adopté la formule A au lieu de la formule B, même si pour quelques-uns telle formule, objet pourtant d'un vote massif, est antipathique. Dans nos jugements, prenons garde que ce ne sont pas seulement les principes qui entrent en jeu, mais aussi la mentalité et l'influence culturelle.

a) Je crois que le premier résultat à attendre est une présence institutionnelle vivante dans le sein de l'Eglise et face au monde. L'institution et ses membres doivent montrer un genre de vie pure-ment évangélique, jeune, libre, vécu joyeusement. Cette présence, doit être pour le monde, un signe de mystère et d'amour qui porte les hommes à s'interroger sur le sens de ce phénomène rare et beau. Elle doit être pour les chrétiens un encouragement dans leur pérégrination vers la Patrie, au milieu de leurs difficultés et de leurs tentations, parce qu'elle leur montre par des faits que l'Evangile n'est pas une utopie rentable. Mais pour que cette présence soit pour le chrétien, encore plus convaincante il faut savoir partager ses angoisses et vivre avec enthousiasme la réalité du mystère pascal. C'est la jeunesse, vivant tout spécialement cette sainte et noble insatisfaction, qui doit trouver chez les religieux le modèle attirant de ce quelque chose qui vaut la peine du sacrifice d'une existence et d'un engagement définitif. Mais pour que ce phénomène puisse devenir une réalité, certaines caractéristiques doivent se trouver chez les nouveaux apôtres qui en seront les témoins.

Il faut :

– qu'ils sachent chercher et trouver dans la vie communautaire leur satisfaction et leur plein épanouissement – non dans la recherche d'eux-mêmes mais dans celle du Royaume de Dieu et du bonheur des autres.

– qu'ils présentent l'esprit des béatitudes si opposé à la hiérarchie des valeurs humaines

qu'ils rendent visibles les fruits de l'Esprit-Saint qui démontrent la fécondité du christianisme dans le monde.

b) Le deuxième résultat est une réponse aux appels de l'Eglise et du monde :

– réponse qui ne soit pas limitée à nous-mêmes,

– qui ne vise pas nos propres intérêts

– mais qui soit adaptée aux situations et aux besoins ;

– techniquement à la hauteur,

– avec le visage de l'époque,

– évitant toutefois les vices et déséquilibres d'aujourd'hui pour ouvrir les voies de demain,

courageuse et confessionnelle, mais avec tact,

– animée d'un grand esprit d'amour.

En somme, une réponse convaincante pour les hommes de bonne volonté et pour l'Eglise, que nous avons tâché de comprendre, d'après notre vocation et notre capacité professionnelle. Le mon-de a besoin de gens qui aiment, qui soient libérés et disponibles. Par monde j'entends : les hommes de bonne volonté, car on ne convainc pas celui qui ne veut pas être convaincu.

Le Christ disait : « que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende »[187]. Que les hommes se rendent compte que nous avons accepté et compris l'invitation du Concile et le défi social du monde, et que nous voilà mis sur orbite pour donner une réponse courageuse, désintéressée et à la hauteur.

 2) Exigences pour que le Chapitre produise ces deux effets, et menaces que nous guettent

 Contre le premier résultat désiré, deux dangers nous menacent, les deux classiques et éternelles déviations dans la façon de vivre la religion du Christ : le pharisaïsme légaliste et formaliste, et le sadducéisme libéraliste.

En disant pharisaïsme, j'évite de parler d'hypocrisie et d'orgueil, puisque. en général, ces deux vices ne se trouvent pas dans la vie religieuse. Mais un pharisaïsme même atténué tend à détruire la liberté des enfants de Dieu (Cf., Jdt. 6, 18 ; I. P. 2, 16), ignore la douceur de la paternité divine et de l'amour, et rend la religion peu aimable, voire même repoussante.

Le sadducéisme, sous prétexte de largeur d'esprit, s'installe dans le confort, rejette la croix du Christ et au nom de la liberté et de la personnalité, réclame le droit à une vie non contrôlée, aboutit à une médiocrité naturaliste qui économise habilement ses efforts et son action.

Il ne faut pas oublier que l'homme est naturellement égoïste ; une certaine myopie est universelle et sa guérison ne peut venir que de l'orientation donnée par les autres, les confrères et le chef responsable. Nous courons aussi ces risques, nous les Supérieurs, pris individuellement ou collectivement. Que ce soit au niveau local, provincial ou général, nous n'appartenons pas à une caste sanctifiée d'avance. La maturité psychique est nécessaire pour arriver à la fidélité religieuse, mais elle ne suffit pas. Nous avons donc besoin les uns des autres pour donner à notre service une orientation constamment fidèle.

Par rapport au second danger, j'ai déjà précisé tout au long de la 4ième et de la 5ième parties de la circulaire, qu'il faut considérer notre attitude « ad intra » et « ad extra ». Sans cela il est impossible de répondre comme il faut à ces appels.

a) Ad intra, cela demande :

– Une prise de conscience « vitale » de tous ces appels. Il faut se convaincre que, parmi les exigences de notre vocation il faut mettre – aujourd'hui – le devoir de répondre à ces appels de Dieu, sans quoi notre vocation reste incomplète et devient surannée. Si les Frères ne s'enthousiasment pas pour cette cause, la révision de notre vie devient impossible.

– Une décision de mettre en pratique cette révision sur chaque plan et de préparer une réponse qui doit commencer par la formation et la préparation, sans lesquelles il serait dangereux de changer les structures.

– Une révision courageuse de toutes nos œuvres actuelles, du but qu'elles poursuivent, de la place et de l'emploi de chaque Frère, du placement des fonds actuels ou futurs ; bref, de la poli-tique et de la marche de chaque Province. Il ne faut pas oublier que toute planification dûment faite doit être précédée d'une étude sociologique et d'une mentalisation suffisante de ceux qui doivent la mener à bon terme.

– Enfin la transformation d'une communauté en une équipe d'action éducative et pastorale. Quand je parle d'équipe, je ne nie rapporte pas à un groupe humain sur un plan simplement naturel, mais sur le plan de la vie surnaturelle et du mystère de charité, en fonction d'une mission.

b) Ad extra, cela suppose :

– Notre réponse donnée en esprit de collaboration avec d'autres institutions semblables, civiles ou ecclésiastiques, selon la situation concrète et d'après des décisions prudentes pour chaque endroit et chaque expérience.

– L'insertion franche dans une saine pastorale organique. Je veux parler des lieux où n'existe pas encore la culture des relations humaine et de la collaboration. De cette façon on aidera à leur donner naissance.

En résumé, il faut souhaiter un double résultat : que les hommes et les institutions vibrent en accord avec le rajeunissement de toute l'Eglise qui. bien qu'elle soit l'Eglise de toujours, a acquis toute fois un âge nouveau, en donnant une réorientation à ses œuvres, avec souplesse et fonctionnalité, ton tes les fois qu'il l'a fallu.

 XIII. – MOYENS POUR ATTEINDRE CES RESULTATS ET FACTEURS

DONT DEPEND LEUR NIVEAU

 Plusieurs voies se présentent à nous pour atteindre les résultats désirés et je ne suis ni prophète pour les deviner ni dictateur pour les imposer. Le temps dira. Cependant, ce qui est évident c'est que ces résultats vont passer de la volonté collective de l'Assemblée à des documents capitulaires et en suite à l'application de ces documents à notre vie. Nous aurons un temps d'expérimentation, non pas de n'importe quelle expérimentation mais de celle des documents capitulaires pour qu'à travers l'expérience et le bénéfice à en escompter, le prochain Chapitre Général (compte tenu de ce que nous connaissons jusqu'à présent, il n'aura plus de pouvoirs spéciaux du Saint Siège) et puis la Congrégation des Religieux elle-même puissent se prononcer.

Mais le plus important de notre question c'est ceci : quelle réceptivité aura la Congrégation envers le Chapitre ? Quels seront les effets qu'il produira en elle ?

Qu'il me soit permis d'avancer une brève appréciation à ce sujet, dans un moment où aucun vote important n'a encore été fait au Chapitre et par conséquent où l'on ne sait rien sur des décisions ou résolutions capitulaires. Cela permet de parler en pleine liberté sans être lié à des partis ou à des intérêts déterminés.

Le résultat dépendra, en gros, de ce que vaudront les documents et décisions, et aussi de la disponibilité de tous les Frères pour les mettre en marche avec enthousiasme. Pour les documents, l'Assemblée capitulaire doit travailler sérieuse-ment et de fait, elle y travaille. Pour la disponibilité à les mettre en pratique il nous incombe à tous d'y travailler.

Si on le veut, on pourrait développer ces deux points et il serait même très significatif de le faire. Cela prouverait que les résultats d'un même Chapitre seront très différents suivant les lieux puisqu'ils dépendent de toute une série de facteurs dont l'action commencée au sein de l'Assemblée capitulaire se complète dans les Provinces.

Ces facteurs sont :

a) La cohérence interpersonnelle, la méthode et l'organisation de l'Assemblée capitulaire.

b) La qualité de ses membres et des documents qu'ils rédigent.

c) L'attitude des délégués capitulaires de retour dans leurs Provinces respectives : enthousiasme contagieux et étroite solidarité avec le Chapitre ou au contraire tiédeur et inertie, voire même opposition et critique à l'égard du Chapitre. Cette attitude, si elle est hélas possible, n'est pas pour autant acceptable.

d) Intérêt et réceptivité et grande bonne volonté de la part des Frères.

e) Usage correct et sage d'une décentralisation établie dans une vraie liberté responsable.. collégiale et personnelle, dans les limites, les modalités et selon les thèmes que déterminera le Chapitre.

f) Existence et formation de cadres de direction ayant vraiment aptitude et valeur humaines et spirituelles, dans chaque Province.

g) Finalement, dans chaque Province aussi, que l'on trouve une bonne moitié des Frères ayant à la fois :

– une vraie qualité de vie surnaturelle.. d'esprit religieux et d'esprit mariste,

– de la créativité apostolique et pédagogique,

– la capacité nécessaire pour établir de, équipes efficaces de travail.

 XIV. – UN PROBLEME POUR LES RESPONSABLES ET LES FRERES :

DYNAMISME ET CONTROLE

 Un Supérieur me présentait le problème suivant : « On ne peut pas donner de l'élan en laissant de l'initiative, et ensuite freiner ». Laissons de côté de savoir les problèmes ou phénomènes auxquels il faisait allusion : c'est ici sans importance. Ce que je veux dire c'est que tout d'abord, son raisonne-ment m'a semblé très juste, mais après, cette justesse m'a paru plus relative.

Chaque fois que le feu vert s'allume, si tout le monde prenait la bonne route, l'affirmation se-rait parfaite, mais malheureusement l'expérience prouve que la réalité est autre. L'élan qui est donné, la « spinta » diraient les Italiens en poussant votre voiture dont le moteur est froid vous fait bien avancer, mais prendre le bon chemin est encore une autre question. Si vous prenez une route qui vous égare il est évident qu'il faut freiner, non pas nécessairement pour vous arrêter et revenir au point de départ, mais plutôt pour retrouver le bon chemin.

Ma comparaison cloche un peu, mais je vous demande : qui a plus le droit de freiner que celui qui a donné l'élan ? qui aujourd'hui aurait plus de droit à refuser l'accès aux fausses pistes, que Jean XXIII s'il vivait ?

Par conséquent, une fois placés sur le circuit de la réalité, à moins de vouloir tomber dans l'absurde dilemme de l'immobilisme par manque de « spinta », ou de la course folle, par manque de frein, il faut reconnaître le besoin de la double action : dynamisme et contrôle.

 CONCLUSION FINALE

 A. la phase où nous en sommes, je crois que nous, les Capitulants, nous devons être convaincus que nous avons tous en commun un même sens de l'unité, une même voie, un même objectif, malgré nos différences de race, de culture, d'origine et de formation. Oui, nous communions dans un même désir passionné que la volonté de Dieu s'accomplisse sur notre congrégation, dans le présent et l'avenir. Pour y arriver, la voie me semble unique et s'exprime par ces mots : confiance mutuelle, franchise, synthèse de bon aloi, objectivité.

Tout ceci ne s'obtient ni à force de capitulations, ni par un quelconque éclectisme, mais par un dialogue responsable et surnaturel avec des propositions claires, des arguments authentiques (ceux qui ont de la valeur et uniquement ceux-là) et avec une investigation sociologique.

Notre objectif unique est faire de l'Institut mariste ce que veut le concile Vatican II. Les changements viendront et il sera nécessaire de les mettre effectivement en route. Mais ce passage de la théorie à la vie exige :

– Une mentalisation préalable des Frères, qui leur fasse découvrir la beauté et la richesse

des documents capitulaires et l'opportunité des décisions prises. Ce sera la grande tâche que les Frères Capitulants auront, à leur retour dans leurs Provinces respectives.

– Le réalisme pour avoir bien en vue l'aspect humain en même temps que l'activité du Saint-Esprit qui agit sur les cœurs.

– La sagesse sociologique, car l'être humain a ses lois d'évolution, et on ne peut pas brûler les étapes, ni les violer impunément.

L'épiscopat allemand écrivait, il y a peu de temps : « Dans une Eglise faite d'hommes soumis aux lois de l'Histoire, le développement demande du temps, car il ne peut aller plus vite que ne le permet le maintien de la substance de la foi sans lui faire subir de déperditions »[188].

Il faudra donc du temps. Et pendant ce temps, on tâchera de stimuler les récalcitrants et les traînards (car le temps presse) et aussi de calmer les impatients. Ces derniers, c'est un fait d'observation, obtiennent toujours dans la société, en dépit d'eux-mêmes, un résultat opposé à l'idéal qu'ils défendent[189].

Finalement il faudra éviter à tout prix le choc des générations, car le principe sublime de la charité passe avant tout, et là où il est méprisé, les régies, les prières, les structures en un mot, n'ont plus de sens.

Sans m'exposer témérairement, sans émettre en ce moment des jugements trop précis, je crois, Mes Bien Chers Frères, je dirais même : vous pouvez être sûrs, que nous avançons vers des formes de vie

– moins légalistes

– apostoliquement plus hardies

– plus insérées dans une socialisation professionnelle en croissance

– avec des formes plus indépendantes et plus libres extérieurement.

Tout cela nous dit avec clarté que la dose de formation, de vie spirituelle, qui hier était suffisante, sera bientôt précaire et aboutira finalement. à des crises de vocation. Plus encore. Il ne s'agit pas seulement de niveau, mais de style et même de système. Nous devons nous rendre compte que les moyens et le système peuvent et même doivent changer là où c'est nécessaire ; mais la dose et la qualité de la formation ne peuvent diminuer. Faire autrement, au niveau général de la congrégation équivaudrait à un suicide pour l'Institut mariste.

En achevant cette circulaire, ma pensée se tourne vers le passé, le présent et l'avenir.

Vers le passé, car nous sommes des fils bien nés, et nous ne critiquons pas ce qu'ont fait nos aînés, je voudrais encore le redire. Nous les admirons, dans le contexte historique où ils ont vécu. Ce que nous sommes aujourd'hui, nous le sommes grâces à eux. Nous ne savons pas même si nous en avons le désir — si nous serons capables de les surpasser, ou même de les égaler. Que dans les changements à venir, ils ne voient aucun mépris, mais uniquement le résultat de l'évolution des temps par rapport à leurs prédécesseurs. Qu'avec notre affection et notre gratitude, ils veuillent bien accepter nos excuses pour toute offense qu'un Frère, jeune ou non, aurait pu leur causer par son ironie ou ses moqueries. Une telle attitude n'est certainement pas la nôtre, et nous la répudions.

Vers le présent aussi, quoique j'aie déjà trop parlé. En cet instant précis, au Chapitre, c'est le moment du dialogue, de la démocratie religieuse[190], de l'élaboration, du vote. Je recommande seulement aux Capitulants qu'au moment de ce vote, dans l'intime secret entre leur conscience et Dieu, ils élèvent leur cœur vers le Seigneur pour lui demander, au-delà de tous les points de vue, de toutes les convictions personnelles, et, si l'on veut, même des engagements extérieurs qui, en toute bonne volonté, auraient pu être pris, de leur donner la lumière pour faire ce petit geste d'appuyer sur le bouton, en accord avec sa sainte volonté. Qu'en de tels moments, la véracité, la générosité et une véritable prudence agissent en nos cœurs ; qu'avec sérieux et gravité nous pensions à ce que nous donnons ou à ce que nous enlevons à notre Institut, et, à travers lui, à la sainteté de l'Eglise et au service du monde.

Vers l'avenir enfin. Que les Frères de demain croient que nous avons mis toute notre âme et tout notre cœur pour leur donner ce que nous croyons devoir leur donner en ce moment de l'après-concile. Qu'ils nous pardonnent nos déficiences et nos limites. Qu'ils tiennent compte de notre bonne volonté ; surtout qu'ils n'émettent pas de jugements prématurés, avant d'avoir vécu et expérimenté l'application des documents. Ce serait aussi injuste que de traiter d'incapable le médecin dont. on aurait mis l'ordonnance au panier. Qu'ils croient que l'Esprit agit à travers des structures qui sont humaines sans doute, mais ont aussi leur aspect pneumatique, telle, par exemple notre Assemblée Capitulaire.

A cause de cela, qu'ils attendent et reçoivent avec docilité nos documents et qu'ils y trouvent et la lettre et l'esprit. La lettre, comme c'est le cas pour la loi du Seigneur elle-même, pourrait tuer l'esprit. Qu'ils sachent que cet esprit de liberté déborde toujours la lettre et ne conduit qu'ainsi à la liberté. Mais l'esprit et la liberté ne sont authentiques que lorsqu'ils rendent inutile la lettre et la débordent dans la plénitude de l'amour. Quand la liberté et l'esprit n'atteignent plus au niveau de la lettre et se tiennent au-dessous, il n'y a ni liberté ni esprit.

C'est pourquoi voici pour vous une invitation et une confession. Une invitation : prenez nos documents, pour ce qui a trait à la lettre (premier pas dans le chemin de la perfection), comme un minimum, non comme un maximum ni comme une limite. Personne ne vous empêche d'aller au-delà, personnellement ou collectivement, dans la pauvreté, dans la prière, dans l'obéissance, dans la générosité, dans la mortification, dans le dévouement et dans l'amour.

Une confession : notre expérience d'adultes nous a appris qu'il n'y a rien dans la vie religieuse, qui vaille la peine d'être vécu par un homme digne de ce nom, si on le fait dans la duplicité et l'hypocrisie ; que seuls ceux qui vivent pour de bon la « sequela Christi » dans l'authenticité et la ferveur sentent leur cœur rempli de satisfaction dans leur vocation, malgré des crises possibles et passagères.

Que le Seigneur, Mes Très Chers Frères, nous comble tous de sa grâce, surtout ceux qui, au cours de ce Chapitre vivent des jours de généreux Avent, ou même quelques-uns, de Vendredi-Saint, et nous fasse parvenir sans tarder. à une splendide et radieuse Pentecôte.

Vôtre dans le Seigneur.

F. BASILIO RUEDA

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OBSERVATIONS

 1. – La thématique, et, en partie, le développement de cette circulaire sont si amples qu'elle se prête à fractionnements et utilisations orientées selon des préférences personnelles, en faveur d'une cause partisane. C'est pourquoi je veux insister sur ce point : sauf pour quelques rares passages, le fait de prendre non seulement un passage ou un chapitre, mais encore une des cinq parties de la circulaire, en les séparant du plan d'ensemble où ils retrouvent leur place et l'importance relative que j'ai voulu leur donner par rapport à cet ensemble, reviendrait à fausser la doctrine de cette circulaire et à déformer ma pensée.

On peut évidemment extraire et citer des passages, mais à condition de le faire, en tenant compte du contexte total et de son esprit.

2. – On remarquera dans cette circulaire, un style qui rabâche un peu. Je vous prie de tout cœur de m'excuser si je vous ai ainsi ennuyés ou irrités. Chacun a sa manière d'écrire. Pour ma part, je cherche la précision, et cela m'entraîne à expliciter. Cerner une idée à l'aide de répétitions est une tentation à laquelle je cède trop volontiers, j'en conviens.

D'autre part, toutes les parties de cette circulaire n'ont pas été écrites dans une paix souveraine, mais dans le va-et-vient de votre correspondance, dans l'attention aux affaires administratives, entre des voyages à de nombreux pays, parmi les tâches d'un Chapitre, etc. … Ces interruptions, coupant le fil de la rédaction, provoquent aussi des répétitions. Avec un peu plus de temps à ma disposition j'en aurais évité quelques-unes et mieux placé chaque chapitre dans la lumière de l'ensemble. Ce temps, je l'ai souhaité, mais n'ai pu le trouver.

D'autre fois, la répétition a été consciente et volontaire. Quand il m'a semblé que de nombreux lecteurs verraient difficilement le rapport de tel passage ou de tel thème avec d'autres endroits parallèles ou complémentaires, qu'il pourrait en résulter une vision unilatérale et même déformée du thème lui-même, j'ai préféré répéter. Entre la forme et le contenu, je tends à sacrifier la première. Je ne prétends pas pour autant que ce soit toujours une réussite, car, à force de vouloir être clair, je finis parfois par être obscur.

3. – A tous ceux qui, d'une façon ou de l'autre ont collaboré à l'élaboration de cette circulaire (auxiliaires pour la recherche des documents, traducteurs, imprimeurs…) et à ceux qui, m'ayant soulagé de quelques travaux administratifs, m'ont gagné un peu de temps, dans l'intention de servir l'Institut durant le Chapitre, de tout cœur, un grand merci.

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CAUSE LYONNAISE

DE BEATIFICATION ET DE CANONISATION

DU SERVITEUR DE DIEU

FRANÇOIS RIVAT

SUPERIEUR GENERAL

DE L'INSTITUT DES PETITS FRERES DE MARIE

 

La question est posée

dans le cas actuel et en vue du but à obtenir,

au sujet des vertus théologales de Foi, Espérance

et Charité, tant envers Dieu que le prochain,

et aussi des vertus cardinales de Prudence,

Justice, Force et Tempérance, et autres

qui en dépendent, de savoir si l'on peut dire

qu'il les a pratiquées au degré héroïque.

 

« J'ai prié pour cet enfant, dit Anne femme d'Elcana, en présentant son petit Samuel à Eli, et le Seigneur a agréé ma demande. A mon tour je le donne à Yahvé tous les jours de sa vie ; il est donné au Seigneur ». (I Sam. 1, 27-28). C'est par des paroles du même genre que Françoise Boiron présentait son petit Gabriel au Bienheureux Marcellin Champagnat, Fondateur des Petits Frères de Marie.

Gabriel est né le 12 mars 1808, au hameau de Maisonnette à La Valla, village appartenant à l'archidiocèse de Lyon ; cadet de 4 frères et 3 sœurs, il devient le jour même, par le baptême, enfant de Dieu.

Dans la famille Rivat, on avait peut-on dire des mœurs patriarcales. L'honnêteté du père : Jean-Baptiste, le sens profondément chrétien de la mère : Françoise Boiron, faisaient de cette maison un vrai sanctuaire, où les lois de l'Eglise, le jeûne et l'abstinence, étaient très soigneusement observés et où la récitation quotidienne du Rosaire était en honneur.

Or, au sanctuaire de Valfleury est érigée une confrérie de la Sainte Vierge qui y est invoquée comme secours des chrétiens. Le 13 août 1813, la pieuse mère y mena son petit Gabriel, le fit inscrire et le consacra à Marie. L'enfant, comme un autre Abel, gardait les troupeaux et souhaitait aussi de-venir « un bon pasteur », quand le Bienheureux Marcellin Champagnat qui s'intéressait surtout aux âmes d'enfants, arriva en 1816 au village de La Valla, pour y accomplir le ministère paroissial.

Le jeune prêtre, au cours des leçons de catéchisme, connut Gabriel et, aussitôt, frappé d'admiration pour son innocence, « le regarda et l'aima » (Marc 10, 21).

L'enfant avait alors 10 ans et en ces temps où la doctrine janséniste soufflait un air glacial, il semblait téméraire de l'admettre si tôt à la première communion.

Cependant le Bienheureux Marcellin voulut non seulement protéger, mais aussi nourrir du pain des forts cette âme innocente. Le 19 avril 1818 il reçut donc Gabriel à la Table Eucharistique. Dès lors, le Christ Seigneur lui-même allait unir les deux âmes par le lien d'un besoin réciproque. Le 2 janvier 1817 le Bienheureux Marcellin avait en effet fondé une Société de Religieux laïcs qui. par l'enseignement de la doctrine chrétienne et par l'instruction profane, apportaient secours à une jeunesse gravement exposée aux bouleversements moraux et sociaux de cette époque. Sans retard, le 5 mai 1818, il proposa aux parents de Gabriel de lui confier l'enfant comme candidat à la vie religieuse. Les parents qui, déjà avaient voué leur aîné au ministère sacerdotal donnèrent volontiers leur accord et le lendemain, tout heureuse, maman Françoise, consacrait de nouveau à la Sainte Vierge, son fils Gabriel, plus heureux qu'elle encore, dans la chapelle du Saint Rosaire de l'église de La Valla, puis elle le confiait au Bienheureux Marcellin Champagnat en disant : « Prenez cet enfant et faites-en ce que vous voudrez ; il appartient à la Sainte Vierge à qui je l'ai consacré bien des fois ».

L'enfant était d'âge tendre, mais d'esprit tout à fait mûr ; déjà il envisageait lucidement sa vocation et y adhérait de tout son pouvoir. Le 3 août de la même année Gabriel recevait l'Esprit-Saint dans le sacrement de confirmation, et le 8 septembre 1819, il revêtait l'habit des Petits Frères de Marie et prenait un nom nouveau : Frère François, exprimant ainsi son amour surnaturel pour sa mère.

Dès lors, voilà le Serviteur de Dieu qui, de plus en plus se met à rechercher la perfection évangélique, sans s'arrêter dans cette entreprise que l'on peut appeler méthode de formation-action et dont le Bienheureux Champagnat imprégnait ses disciples, leur enseignant à faire passer immédiatement au plan des actes les notions théoriques.

Frère François passait effectivement avec la plus grande facilité de la méditation et de l'étude au travail manuel qui était en honneur dans la nouvelle Institution, et du rôle d'élève à celui d'élève-maître, avec joie et succès.

Dans l'intervalle, l'Ordinaire de Lyon avait approuvé l'Institut des Petits Frères de Marie, le 3 mars 1824, et le Frère François qui, déjà depuis longtemps, se considérait comme un temple de Dieu dont le cœur devait être le sanctuaire, faisait le 11 octobre 1826, dans la chapelle de l'Hermitage, les vœux de religion. Par la pratique des trois conseils évangéliques il se liait ainsi à Dieu suprêmement aimé. Si immense était sa joie, et si visible, que le Bienheureux Marcellin devenu son Père et Supérieur devait lui dire : Mon enfant, j'envie votre bonheur.

Le voilà maintenant livré au travail d'enseignement dans plusieurs villages : il remplit si bien son emploi que ses élèves des diverses écoles ont pour lui un attachement et un amour extraordinaires.

Mais le Bienheureux Marcellin qui connaissait et estimait les dons d'esprit et de cœur de son disciple, le ramena à la maison de l'Hermitage, d'abord pour former les sujets en préparation, puis pour se l'adjoindre comme conseiller, auxiliaire et remplaçant.

Là-dessus le Bienheureux Marcellin est terrassé par la maladie et veut passer le commandement de la congrégation à d'autres mains. Avec l'accord et même sous la présidence de Jean-Claude Colin, co-fondateur de la Société de Marie, il réunit en 1839 un Chapitre Général qui, presque à l'unanimité, élit le Frère François Supérieur Général ; en même temps on lui donne deux aides : Frère Louis-Marie et Frère Jean-Baptiste qui seront les associés du nouveau Supérieur.

L'élection fait la joie de tous, surtout du Bienheureux Marcellin, qui, le corps torturé par la souffrance, mais l'âme rassérénée de voir s'affermir cette Société qu'il a fondée, peut rejoindre la patrie céleste 8 mois plus tard, laissant derrière lui 280 Frères, 48 maisons et 7.000 élèves.

Frère François allia, avec prudence, fermeté et douceur, et, se proposant l'exemple de Saint Paul, il se fit tout à tous (1 Cor. 9, 28) pour les gagner tous à Jésus-Christ. Il y avait un tel accord entre lui et ses deux Conseillers que les Frères les nommèrent les 3 Un et que le constant développe-ment de la Congrégation des Petits Frères de Marie attira vers une fusion avec eux d'autres Frères : ceux de Saint-Paul en 1842 et ceux de Viviers en 1844.

En 1851„ c'est la reconnaissance légale des Petits Frères de Marie par la République française. En 1852, sous la conduite du Frère François, le Chapitre Général propose un texte fixe et définitif des Constitutions et Règles. L'année suivante on regroupe les traditions pédagogiques de la Congrégation en un seul livre qui s'appellera : Guide des Ecoles.

Enfin l'année 1858, le Frère François se rend à Rome pour obtenir l'approbation pontificale. Le résultat devait avoir lieu l'année suivante sous la forme de Décret laudatif, et le 9 janvier 1863, l'approbation définitive des Frères Maristes des Ecoles était donnée par un décret de S. S. Pie IX.

Tout ce travail ne l'empêcha pas d'envoyer des ouvriers aux missions de l'Océanie et de continuer à soutenir ces Fondations.

Un autre but que poursuivit le Serviteur de Dieu par le Chapitre Général fut d'introduire un 4ième vœu : vœu de stabilité qui visait à ceci : conserver intacts les Constitutions et l'esprit des Petits Frères de Marie et perpétuer l'Institut au prix des plus grands sacrifices. Lui-même fut des premiers à faire vœu le 2 septembre 1855.

La congrégation continuait de croître ; le Serviteur de Dieu en 1858 faisait transporter la maison généralice dans la ville de St Genis-Laval. Mais tant et de si grands soucis de tous les jours avaient affecté sa santé au point qu'il jugea bon de démissionner. C' était en 1860. Le nombre des sujets en croissance considérable – atteignait 2.086, celui des maisons 379 et celui des élèves 50.000. Faits et résultats vraiment merveilleux, qu'il faut bien attribuer à la sagesse dans le gouvernement de l'Institut, charge que le Serviteur de Dieu avait remplie avec une douceur paternelle mais aussi la fermeté nécessaire.

Aussitôt après l'élection du Frère Louis-Marie, Frère François laissait la nouvelle maison généralice, regagnait l'Hermitage et écrivait : « Pour la Supériorité j'ai eu 20 ans de préparation, 20 ans pour opération ; aurai-je 20 ans pour réparation ? ».

Peut-être était-ce là un présage, car c'est effectivement le nombre d'années qu'il vécut, ajoutant à son nom celui de grand-père.

 Dans cette retraite, comme d'ailleurs déjà au début de sa vie, F. François chercha de toutes ses forces à être l'image vivante du Père Champagnat, par l'amour de Jésus dans l'eucharistie, l'imitation de la Sainte Vierge, l'action de grâces pour les bienfaits reçus, exhortant tout le monde à entrer dans ces mêmes sentiments. Caché en Dieu il aimait le silence, l'humilité, la modestie, remarquable par l'innocence de son âme et poussant la mortification corporelle volontaire jusqu'à la discipline et au cilice.

 Miséricordieux, bon, aimable envers tous, surtout les jeunes, les pauvres, les malades, il savait merveilleusement encourager et réconforter.

 Il aimait la sainte Liturgie. Toutes les occasions lui étaient bonnes pour manifester son respect envers le Saint Père, les évêques et le clergé. Sans doute était-ce sa doctrine et ses convictions qui rendaient ses exhortations efficaces, mais bien plus encore la puissance d'entraînement de ses exemples.

 Dans la révolution qui, surtout en 1848, bouleversa les peuples, dans la guerre cruelle de 1870, et en plusieurs autres circonstances difficiles, c'est une confiance inébranlable en Dieu et en la Sainte Vierge, Ressource Ordinaires des Petits Frères de Marie, qu'il devait chercher à faire passer dans les autres. Il faut parler aussi de ses infirmités, spécialement d'une attaque d'apoplexie où il donna l'exemple convaincant et prolongé d'une âme sereine et d'une douceur vraiment religieuse. Les voisins de l'Hermitage qui venaient aux cérémonies de la chapelle étaient remplis d'admiration pour sa piété, son humilité, sa charité.

 Le samedi 22 janvier 1884, quand il eut expiré au moment d'ailleurs où il était à genoux — il fallut exposer plusieurs jours sa dépouille mortelle pour satisfaire l'admiration et la piété des fidèles.

 Sa réputation de sainteté alla croissant après sa mort. L'année 1910, l'archevêché de Lyon, instruisait donc le procès ordinaire puis le portait à Rome ; en 1929 une enquête sur ses écrits était suivie d'un décret sur le même sujet, et le 14 novembre 1934, le Souverain Pontife Pie XI, d'heureuse mémoire, donnait son avis favorable à l'introduction de la cause. Le 2 décembre de la même année, après avoir obtenu la dispense du Procès apostolique de réputation de sainteté en général, on demandait les lettres rémissoires pour entamer le Procès apostolique au sujet des vertus et des miracles en particulier.

 Le 31 juillet 1935, c'était la publication des décrets de non culte par la Congrégation des Rites, favorable à une continuation du Procès concernant les vertus et les miracles en particulier, et le 16 juillet 1941, un autre décret reconnaissait la validité de tous ces procès.

 Ensuite sur les instances du Frère Alessandro di Pietro, fms, Postulateur légitime de la cause, le 12 juin 1955 avait lieu la congrégation anté-préparatoire, le 8 mars 1966, la congrégation préparatoire au sujet des vertus du Serviteur de Dieu, et enfin le 22 mai 1967, devant Sa Sainteté Paul VI, avait lieu la congrégation générale.

 Le Révérendissime Seigneur Cardinal Benoit Louis Masella, Ponant de la cause, les mêmes jour, mois et année, au sujet du dubium avait proposé :

 Est-il démontré, dans le cas actuel et en vue du . but à obtenir au sujet des vertus théologales de Foi, Espérance et Charité tant envers Dieu que le prochain, et aussi des vertus cardinales de Prudence, Justice, Force et Tempérance, et autres qui en dépendent, qu'elles ont été pratiquées au degré héroïque, par le Serviteur de Dieu ?

 Les Révérendissimes Pères Cardinaux, Prélats Officiers et Théologiens consulteurs votèrent affirmativement.

Le Saint Père lui-même daigna accueillir favorablement ce vote et n'hésita pas à donner son adhésion, ordonnant de préparer le décret sur l'héroïcité des vertus du Serviteur de Dieu.

En ce jour enfin, après avoir pieusement offert le Saint Sacrifice, Sa Sainteté a fait appeler les Révérendissimes Cardinaux : Préfet soussigné de la Congrégation des Rites, et Benoit Louis Masella, Ponant ou Rapporteur de la Cause, Révérendissime Père Raphael Perez, O.S.A., Promoteur général de la Foi, Révérend Père Aimé Pierre Frutaz, Auditeur Général, et moi-même aussi soussigné Secrétaire de la Congrégation des Rites, et leur a déclaré solennellement : 

Dans le cas actuel et en vue du but à obtenir, il n'y a plus de doute au sujet des vertus théologales de Foi, Espérance et Charité tant envers Dieu que le prochain, et aussi des vertus cardinales de Prudence, Justice, Force et Tempérance, et autres qui en dépendent que le Serviteur de Dieu, Frère François, Supérieur Général de l'Institut des Petits Frères de Marie les a pratiquées au degré héroïque.

 Il a donc ordonné que ce décret fût promulgué et inséré dans les actes de la Sacrée Congrégation des Rites.

 Donné à Rome, le 4 juillet a.D. 1968 

Card. BENNO GUT

Préfet de la S. C. des Rites 

†FERDINANDUS ANTONELLI

Archevêque du titre d'Idicren…

L +S

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[1]: A la demande de la Commission Centrale, quelques Frères ont préparé des études monographiques dont peut tirer profit l'Assemblée capitulaire. Outre le projet des Constitutions, deux travaux ont été rédigés par les Frères du Second Noviciat de Fribourg : «La vie religieuse : un appel à vivre pleinement notre baptême », et «la Vie de l'éducateur apôtre : forme privilégiée d'apostolat dans l'Eglise » ; une équipe des Frères Etudiants de « Jesus Magister » a aussi rédigé le texte : «La dévotion à la Vierge : un des aspects caractéristiques du charisme de notre Fondateur ».

D'autres études sont dues à l'initiative de certains Frères. Autant pour leur valeur que pour le dévouement qu'elles supposent, elles sont dignes de louange. Il n'est pas pour autant dans mon intention de porter cette appréciation en vue de faire pencher les Frères Capitulants en faveur de telle ou telle thèse et conclusion présentées par les auteurs.

Je mentionne à toutes fins utiles les travaux des FF. Leonard A. Vœtgle, Benavides, ainsi que d'autres travaux sur la vie religieuse que des Frères Etudiants de « Jesus Magister» ont pu faire dans la ligne de leur programme d'études.

Il serait bon de faire aussi mention du beau travail réalisé par certains Chapitres Provinciaux e ad experimentum », réunis selon les recommandations faites lors de la 1ière session du Chapitre. Des Membres du Conseil Général et moi-même avons reçu bon nombre de ces communications. Pour leur densité doctrinale, l'enthousiasme qu'elles manifestent et le dévouement qu'y apportent leurs auteurs, ces travaux sont parfois remarquables. Je pourrais citer : «RECHERCHES LEVISIENNES ». «LE FEUIL-LET du CHAPITRE PROVINCIAL du MEXIQUE CENTRAL » ou encore «SEMAINE d'ETUDES » : document publié par la Province de Córdoba (Argentine). Si je les mentionne, ce n'est pas nécessairement qu'ils soient les meilleurs ou que les Chapitres qui les ont élaborés soient ceux qui ont pris la meilleure tournure. Dans d'autres Provinces, il a pu y en avoir d'excellents, voire de meilleurs, mais ou bien ils n'ont pas été publiés ou bien ils ne l'ont été qu'en résumé ou dans un secteur limité, ou bien peut-être ils m'ont échappé. Si j'ai cité les quelques titres ci-dessus c'est parce qu'il s'agit de travaux publiés et pouvant être présentés à l'examen des Capitulants. C'est aussi pour donner à tous une idée du mouvement capitulaire qui s'est développé avant et pendant l'intersession ainsi que du travail réalisé par des Frères de diverses régions du monde mariste.

La mention des rapports de tel ou tel Chapitre Provincial ad experimentum » et la citation de tel ou tel travail ne signifient doue nullement une préférence marquée pour eux, ou une moindre appréciation de ceux qui sont laissés dans l'ombre. Non il s'agit simplement de quelques spécimens à travers toute une liste possible.

Il faudrait enfin que je parle des travaux monographiques et des notes polycopiées de beaucoup de Frères Capitulants qui pendant l'une et l'autre session ont tenu à communiquer à leurs Confrères leurs points de vue et leurs expériences personnelles.

Le fruit de ce travail abondant et varié est entre nos mains ; les Frères Capitulants peuvent l'utiliser à leur gré pour le lire et le méditer. Il va sans dire qu'une priorité à dû être accordée aux documents officiels des commissions constituées avec mandat ou approbation précise de l'Assemblée Capitulaire.

[2]: Ce que l'Eglise va nous demander pour se prononcer, ce ne sont ni les conclusions des dialogues, ni les documents capitulaires, mais surtout les résultats de leur application à la réalité concrète de la vie.

[3]: «Quant à l'école catholique, nous croyons devoir souligner l'importance qu'elle continue d'avoir dans le monde actuel, puis-qu'elle doit être le centre de toutes les préoccupations d'ordre éducatif, pour la famille, la société, l'Eglise et les différents groupes intermédiaires. C'est le milieu idéal pour une culture inspirée par les valeurs chrétiennes » (Déclaration d'ensemble de l'Episcopat Latino-Américain réuni à Baños, Equateur, au mois de juin 1966).

[4]: En toute honnêteté, il me semble qu'il ne devrait y avoir aucune hésitation à cet égard parmi nous. Nous y reviendrons en parlant des appels du Fondateur. Pour une application efficace du principe de notre dévouement pour les pauvres, il peut se faire que nous ayons des difficultés presque insurmontables à cause d'une situation qui ne dépend pas de nous ; mais de grâce, que l'on ne présente pas des plans de justification pour rejeter le besoin où nous sommes de faire des efforts vraiment évangéliques, ou alors nous montrons que nous ne faisons nul cas des appels de l'Eglise et du monde et que nous renions l'esprit de notre Fondateur.

[5]: Cf., « Essor de l’Eglise », par M. Philippon, O.P. Les Editions Ouvrières, Paris, 1967, p. 23.

[6]: Pendant la séance du 3 décembre 1962

[7]: Le P. Anton dans l'une de ses conférences. Ce classement a sûrement été fait après consultation d'auteurs réputés.

DOCUMENT CENTRAL :

La Constitution dogmatique sur l'Eglise : «Lumen Gentium ».

Nota : Viennent ensuite les deux grandes parties entre lesquelles l'auteur répartit tous les documents : Vie Interne et Vie Externe de l'Eglise.

1. – Vie interne de l'Eglise. Les documents classés dans cette partie sont :

a) La fonction de sanctification exposée dans la Constitution de la Liturgie ;

b) La fonction de gouvernement : décret sur le ministère pastoral des Evêques et sur les Eglises Orientales Catholiques.

c) La mission d'enseigner : Déclaration sur l'Education chrétienne de la jeunesse et Constitution dogmatique sur la Révélation divine.

d) Divers états des personnes dans l'Eglise. II en est fait mention dans les décrets sur :

le ministère et la vie des prêtres,

la formation des prêtres,

la rénovation adaptée de la vie religieuse, l'apostolat des laïcs.

II. – Vie externe de l'Eglise. La mission de l'Eglise nous y est donnée :

a) dans ses rapports avec les chrétiens non catholiques : décret sur l'Œcuménisme et sur les Eglises Orientales séparées de Rome.

b) dans ses rapports avec les non-chrétiens :

Déclaration sur les rapports de l'Eglise avec les religions non chrétiennes.

Décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise.

c) Conséquences des conditions profanes du monde d'aujourd'hui :

Constitution : « Gaudium et Spes » sur l'Eglise dans le monde.

Décret sur les moyens de communication sociale.

d) Rapports qui proviennent de la situation complexe de la société actuelle :

Déclaration sur la liberté religieuse.

[8]: Le Concile Vatican II. BAC. Madrid 1965, pp. 813 s.

[9]: Mgr Ginoulhiac disait déjà le 23 mai 1870 à Vatican I : « On ne devrait pas parler si sommairement et si imparfaitement de l'Eglise… on devrait donner les grandes lignes de la fondation de l'Eglise, décrire son visage, en indiquant la nature et les dons, avant de parler de son membre le plus important, de sa tête visible » (Mansi, 52, 214).

[10]: La nueva conciencia de la Iglesia y sus presupuestos hístorico-teológicosdansLa Iglesia del Vaticano II. Barauna. J. Flors, Barcelona 1965, tome I, p. 254.

[11]: Un Frère Capitulant peut être exposé à manquer d'entrain, à manquer de réflexion, ou aussi à vouloir imposer à tout prix ses opinions personnelles ou celles d'un certain groupe. Si, en agissant de cette manière, il allait contre la doctrine du Concile, non seulement il serait infidèle à sa tâche et au mandat reçu, mais il se rendrait encore coupable d'avoir abusé d'un pouvoir que l'Eglise lui avait confié à travers le Concile lui-même. C'est à l'Esprit qu'il doit obéir plutôt qu'à tout autre et il doit être jaloux de sa « liberté responsable », réclamant ses droits devant n'importe qui, même devant les Supérieurs de l'Institut.

[12]: Afin de faire participer tous ses membres au travail du Chapitre spécial, comme l'indiquait le décret «Perfectae Caritatis », n° 4, chaque famille religieuse a choisi les moyens qui lui semblaient les meilleurs. Chez nous, outre les formes générales adoptées pour toute la congrégation, beaucoup d'autres ont été utilisées, selon l'esprit et les intérêts de chaque Frère ou de chaque région. Si quelque doute se faisait jour là-dessus ou que quelque contestation de cette participation générale, vînt à surgir, il appartiendrait au Saint Siège de trancher. Vous comprendrez facilement que ce n'est à aucun groupe ou secteur de l'Institut, ni même aux Supérieurs qu'il revient de le faire puisque de cette façon ils seraient juges et parties. Je crois que les Frères qui l'ont désiré, ont eu la possibilité, en maints endroits, d'avoir, même individuellement, une participation très large et très active à nos travaux.

[13]: «Essor ou déclin de l'Eglise ». Ed. A. Lahure, Paris 1947.

[14]: Dans sa lettre pastorale il cherchait surtout à orienter les catholiques français au milieu de deux courants opposés : le progressisme et l'intégrisme. Au bout de quelques années, on peut se rendre compte qu'on ne l'a guère écouté dans certains milieux catholiques en France ou au dehors. Pour les Français, c'est ce que leur faisait remarquer le Conseil Permanent de l'Episcopat dans sa déclaration du 20, juin 1968, qui portait le titre de « Vers une société nouvelle ». « Le risque d'une grave division menace de séparer les Français, et par-là même on porterait atteinte au bien commun de la nation. Les chrétiens sont menacés par une grave division qui pourrait compromettre l'unité et la mission de l'Eglise» (Cf., D. C. N° 1520, col. 1185). Mgr. Elchinger est encore plus clair dans son article « Les Evénements de mai, épreuve de l'Eglise » (Cf., D.C. N° 1521, surtout la colonne 1314).

[15]: Ce thème est si riche, ses applications si fécondes, sa doctrine si dense, que ce troisième point demanderait à lui seul toute une circulaire. Mon désir est bien de pouvoir le faire, une telle circulaire s'avérant en outre utile aussi pour d'autres familles religieuses. Mes sources principales seraient : Suhard et O. Gonzalez. Les nombreux auteurs où ils puisent eux-mêmes une doctrine équilibrée serviraient de précieuse référence. En somme ils auraient tout le mérite de ce travail et des services qu'il pourrait rendre.

[16]: Le Père Sertillanges a donné à un des chapitres de son ouvrage «Le Miracle de l'Eglise », le titre si évocateur de : «l'Eglise, antérieure à l'Eglise ».

[17]: «Ainsi envisagé, le Nouveau Testament est le récit historique et la conscience du croyant que le Saint-Esprit suscite en l'Eglise. C'est un récit historique justement dans la mesure où il tend à devenir témoignage d'une foi ; mais d'autre part il ne sert validement cette foi que dans la mesure où il est un témoignage authentiquement historique. C'est donc avec les Apôtres que commencent le dogme et la théologie, puisqu'ils sont les premiers qui, mus par l'Esprit qu'ils sentent au-dedans d'eux-mêmes (Act. II, 4 ; V, 32 ; XV, 28), se décident en faveur du Christ (c'est la Foi), définissent qui est le Christ (dogme) et tâchent de nous transmettre ce qu'ils ont vécu, ce que leurs yeux, leurs oreilles et leurs mains ont touché du Verbe de la Vie (I, J., I, 1-3). Ils interprètent sa personne et son œuvre dans le plan de Dieu, plan manifesté dès la première aube du salut à l'époque qui précéda le peuple élu (théologie). Et cette théologie a une différence essentielle et un avantage sur toute autre : elle est inspirée et, donc, elle est règle pour l'Eglise, puisqu'elle provient de ceux qui forment son fondement, témoins autorisés de la résurrection du Christ, témoins dont nous ne pouvons nous passer, car sans eux nous n'aurions pas d'accès au Christ » (Olegario González, Op. cit., p. 252-253).

[18]: «Essor de l'Eglise », p. 29.

[19]: Constitution « Dei Verbum », 8.

[20]: Ibidem.

[21]: Constitution « Dei Verbum », 1, 2, 5, 8, 21, 25 et 26.

[22]: Constitution « Dei Verbum », 21, 23 et 24.

[23]: «Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l'esprit et donne "à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité" (Cons. Araus. II, Can. 7). Afin de rendre toujours plus profonde l'intelligence de la Révélation, l'Esprit-Saint ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite» (Dei Verbum, 5).

[24]: Dans un pays sud-américain où je donnais un cours à un groupe de religieuses de différentes congrégations, le Directeur spirituel me citait le fait suivant concernant l'une de ces congrégations : «J'avais l'habitude, me disait-il de donner comme pénitence, au confessionnal, la lecture de tel ou tel passage de la Sainte Ecriture se rapportant plus spécialement aux fautes accusées ou à la direction spirituelle de chaque sœur. Or il est arrivé à maintes reprises que des contemplatives me disaient, au moment de la confession, n'avoir pu accomplir leur pénitence. La cause en était très simple : l'unique Bible de la communauté était tenue sous clé soigneusement par la Supérieure ».

Ce cas, bien qu'extrême, n'en reste pas moins significatif d'une époque.

[25]: Dans une certaine Congrégation, une religieuse me confiait : «Notre communauté comprend quatre membres. Nous utilisons pour nos prières, l'office marial. Il renferme tout le psautier. Parfois à la récitation de l'un ou de l'autre psaume, nous nous mettons à rire : aussi avons-nous décidé de délaisser cette récitation et de reprendre nos anciennes formules de prière ».

. L'anecdote se passe de commentaire. Il s'agissait pourtant d'une âme fervente mais sans préparation biblique. Ne conviendrait-il pas d'organiser, durant les vacances, un cours de rééducation biblique et liturgique concernant même uniquement le contenu du genre d'office qu'adoptera le Chapitre ? Il faudrait des spécialistes pour assurer ce recyclage accéléré. Ces spécialistes devraient posséder à la fois le sens de l'oraison biblique et liturgique et le sens pédagogique. En effet, les cours ne devraient pas être seulement doctrinaux mais aussi pratiques ; ils consisteraient en véritables exercices d'oraison suscitant l'intérêt et créant l'attachement à la prière biblique et liturgique dans nos communautés. Ce qui me porte à avancer pareille suggestion c'est que j'éprouve moi-même ce besoin et c'est pour ce motif que je adultes. Nous nous trouvons plus éloignés que les jeunes de cette désire que les premiers bénéficiaires en soient les générations adultes. Nous nous trouvons plus éloignés que les jeunes, de cette spiritualité récente qui, loin d'être facultative, est essentielle à l'Eglise catholique.

[26]: Nous supposons de toute évidence que le bon sens présidera à la désignation des Professeurs d'Ecriture Sainte. Ces derniers doivent avoir le sens de la responsabilité et la sûreté doctrinale et être profondément respectueux du Magistère de l'Eglise. Cultiver sa popularité en voulant se construire une personnalité de théologien au détriment de la Parole de Dieu est quelque chose de bien peu exemplaire et de bien peu honnête.

[27]: Verbum Dei, 25.

[28]: Pie XII. Encycl. « Mediator Dei » du 20 novembre 1947. IN 10, 11, 12, 16.

[29]: « Du côté du Christ endormi sur la croix ont jailli les sacrements qui font l'Eglise » St Augustin : Cité de Dieu. XXII, Chap. 17.

[30]: Au cours de mon voyage en Afrique j'ai eu l'occasion, dans l'un des pays visités, d'assister un jour de fête, à une messe célébrée dans une belle chapelle d'architecture religieuse remarquable. L'assistance était nombreuse et principalement composée d'Africains. A la sortie de la cérémonie, l'un des Frères de la mission me demanda ce que j'en pensais. «Tout a été très bien. Je me permets cependant de faire une petite constatation : "Ces Africains ont participé à une messe, rappelant les pays d'origine des missionnaires. Ainsi ce sont eux qui ont dû s'adapter à vos us et coutumes, renonçant à leur culture propre''.

Par contre dans cette même région, au cours d'un office célébré dans une autre chapelle de nos Frères, le cas contraire devait se présenter et le Saint Sacrifice n'en perdait rien de sa dignité.

Comme autres exemples remarquables à ce sujet, je me souviens de la messe concélébrée à Akono, par Son Excellence Mgr Zoa, archevêque de Yaoundé, et cette autre messe offerte en pleine brousse rhodésienne, dans la mission qui est confiée à deux Pères du Séminaire des Missions Etrangères de Burgos, tous deux véritables modèles de dignité, d'adaptation et d'efficacité pastorale.

[31]: On en a déjà parlé dans la première partie de cette circulaire, essayant d'en préciser au moins succinctement les lignes essentielles.

[32]: Que l'on me pardonne la clarté avec laquelle je nie suis exprimé mais il y a des occasions où il faut agir de la sorte. Je répugnerais à défendre des minuties comme celle du rabat ; ces questions me laissent indifférent et je suis disposé à ce que l'on voudra, sans y perdre une minute. Mais il y a des choses qui concernent l'essence même de la vie religieuse et que l'on ne peut négliger sans de graves conséquences pour l'affaiblissement de l'esprit et de la conduite de groupes entiers de religieux. Dans ces cas, il faut parler clair.

Sa Sainteté Paul VI a su être énergique — avec des conséquences très douloureuses pour lui – quand les circonstances t'ont réclamé. L'épiscopat nord-américain ainsi que l'épiscopat allemand ont dit à leur tour des choses aussi dures que vraies : tant pis si elles sont mal reçues. Le P. Arrupe lui-même, Préposé Général de la Compagnie de Jésus n'a pas pris des gants de velours dans ses lettres rendues publiques sur l'intégration raciale aux Etats-Unis, ou dans sa courageuse déclaration jointe à cette des Provinciaux de l'Amérique Latine sur les problèmes sociaux et l'auto-critique publique que faisait spontanément la Compagnie de sa ligne de conduite face à l'avenir. N'aurais-je pas le droit, moi aussi, pour des questions qui ne regardent que le domaine interne de la Congrégation de parler en toute clarté ? le puis me tromper, et dans ce cas je demande à avoir l'humble courage de la simple rétractation, mais entre temps et sans jamais bloquer les mécanismes du dialogue, je dois agir en accord avec les lumières que le Seigneur me donne et les impératifs de ma conscience. Ce n'est pas de suggestion qu'il s'agit, vous le comprenez, mais bien d'affirmation pure et simple. Comme disait l'Evêque de Strasbourg : «Il faut essayer d'arriver à avoir la sagesse biblique suffisante pour comprendre que, si à un moment donné la vérité paraît austère, elle ne cesse pas pour autant d'être la vérité » (Mgr. Elchinger, op. cit.). En résumé, il n'est pas question d'ignorer l'évidence possible de solutions exceptionnelles, non pas adoptées par suite d'inattention ou de négligence mais imposées par des impératifs de charité ou des circonstances indépendantes de nous. Mais je demande qu'elles soient occasionnelles et seulement pour un certain temps et qu'on en revienne vite à la normale.

[33]: «Une vie religieuse vraiment engagée, vraiment tendue vers l'absolu du pour Dieu, ne peut pas se passer de ce temps de prière, d'enfoncement dans la pauvreté intérieure. Sinon, elle dégénère en activisme ; elle perd peu à peu sa base religieuse, sa transparence vis-à-vis de la Pâque. Et dans tout ce tumulte intérieur, Dieu ne peut plus sigiller la mort du Seigneur et son fleurissement en résurrection. Il faut espérer vivement que, dans te rayonnement du Concile, les communautés religieuses étudient avec soin ce problème de la prière apostolique. Au lieu de multiplier les formules (souvent pieusardes, et témoins d'une spiritualité dépassée), les litanies, les examens particuliers, les neuvaines, etc…. il faudra qu'elles reviennent à la prière silencieuse, réservant les prières communes vocales à la récitation lente, paisible, contemplative », – c'est moi qui souligne – «de certaines heures de l'office divin (en particulier Laudes et Vêpres), en communion avec l'Eglise entière» (Tillard, «La Vie religieuse : sacrement de la puissance de Dieu », p. 76).

[34]: Commentaire du Dr. Ramsey, archevêque de Canterbory (Doc. Cat. N° 1402, col. 786).

[35]: Paul VI reprendrait la même idée au Congrès eucharistique de Bogotá, en disant que" la justice. n'est que le seuil ou le niveau bas de la charité.

[36]: Discours au Concile de Jean XXIII et Paul VI, Editions Centurion 1966, p. 48.

[37]: «Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis qu'un airain qui sonne ou une cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais toute la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien» (I Cor. 13, 1-3).

[38]: 219 «Il faut absolument exposer la doctrine intégrale. Rien L'est plus étranger à l’œcuménisme que ce faux irénisme, qui altère la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et incontestable. En même temps, il faut expliquer ta foi catholique de façon plus profonde et plus droite, utilisant une manière de parler et un langage qui soient facilement accessibles aux frères séparés » (Décret Unitatis redintegratio, 11).

[39]: Quand je parle ici de modération, je ne veux pas dire qu'il faille freiner ce mouvement, je pense plutôt à de mauvaises orientations toujours possibles.

[40]: Au sens strict de l'expression : l'Eglise du Christ est une et unique, voici ce que disait l'Episcopat de l'Amérique du Nord, dans sa lettre pastorale commune publiée le 11 janvier 1968 : « L'homme est sauvé non seulement dans la solitude de son cœur, mais aussi par les légitimes communautés humaines, religieuses et ecclésiales qui, par la miséricorde de Dieu, non seule-ment annoncent, mais parfois procurent le salut à leurs membres consciencieux.

Mais le Concile ne pourrait pas impliquer qu'il puisse y avoir un autre Dieu que le Dieu dont nous savons qu'il est Père, Fils et Esprit ; qu'il puisse y avoir un autre Rédempteur que l'unique Sauveur qui est mort pour racheter tous les hommes, et qui règne sur la famille humaine, dont il est l'unique source de grâce et la garantie de salut. De même, le Concile n'a pas pu suggérer qu'il y a une autre Eglise destinée à sauver les hommes que cette Eglise du Christ qui «existe dans l'Eglise catholique » (Lumen Gentium, 8)…

Lorsque quelqu'un a trouvé le Christ et est entré dans l'Eglise, il n'a pas découvert l'une des nombreuses voies possibles de salut. Il est devenu un par la grâce avec l'unique Christ, principe et fin de tout effort de salut, que son nom soit connu ou qu'il ne le soit pas ; et il est devenu tel dans l'unique Eglise vers laquelle tend toute grâce et par laquelle seule la grâce du Christ est communiquée aux enfants de Dieu. Lorsque quelqu'un entre dans l'Eglise visible, il a suivi jusqu'au bout le chemin par lequel les hommes cherchent le salut » (Doc. Cath. n° 1512, col. 415).

[41]: « En effet, bien que l'Eglise catholique ait été enrichie de la vérité révélée par Dieu ainsi que de tous les moyens de grâce, néanmoins ses membres n'en vivent pas avec toute la ferveur qui conviendrait. Il en résulte que le visage de l'Eglise resplendit moins aux yeux de nos frères séparés ainsi que du monde entier, et la croissance du royaume de Dieu est entravée. C'est pourquoi tous les catholiques doivent tendre à la perfection chrétienne ; ils doivent, chacun dans sa sphère, s'efforcer de faire eu sorte que l'Eglise, portant dans son corps l'humilité et la mortification de Jésus, se purifie et se renouvelle de jour en jour, jusqu'à ce que le Christ se la présente à lui-même, glorieuse, sans tache ni ride» (Ibidem, 4).

[42]: Il y en a qui, sous le prétexte d'incapacité, voudraient éluder cette responsabilité par un moyen trop simple : en ne s'occupant nullement de cette instruction et de cette formation religieuse. C'est une illusion qui ne les libère point de leur responsabilité. Le danger de perdre la foi menace aussi bien les élèves qui reçoivent une formation pauvre et défectueuse, que ceux qui n'en reçoivent point. D'ailleurs, il aimerait bien peu le Christ, celui qui voudrait se décharger allègrement de cette responsabilité. Au fond, ce qui importe par-dessus tout, ce n'est pas que je sois coupable ou pas, mais que les âmes, au lieu de s'éloigner du Christ, lui deviennent de plus en plus attachées.

[43]: «Le Concile exhorte les fidèles à s'abstenir de toute légèreté, de tout zèle imprudent, qui pourraient nuire au progrès de l'unité. Leur activité œcuménique ne peut être, en effet, que pleinement et sincèrement catholique, c'est-à-dire, fidèle à la vérité reçue des apôtres et des Pères, et conforme à la foi que l'Eglise catholique a toujours professée : elle tend à cette plénitude en laquelle, au cours des âges, le Seigneur veut que son Corps grandisse » (Unitatis redintegratio, 24).

[44]: Jean Guitton. « Amour et scandale », Le Figaro, 11 juin 1968.

La «communion ouverte» de Medellin est différente d'esprit et de méthode. C'est un groupe particulièrement préparé qui demande et obtient pour un motif exceptionnel de participer à l'eucharistie d'une Eglise différente de la sienne, en l'occurrence l'Eglise catholique.

[45]: « Cette collaboration, déjà établie en beaucoup de pays, doit être sans cesse accentuée, là surtout où l'évolution sociale ou technique est en cours, soit en faisant estimer à sa valeur la personne humaine, soit en travaillant à promouvoir la paix, soit en poursuivant l'application sociale de l'Evangile, ou par le développement des sciences et des arts dans une atmosphère chrétienne, ou encore par l'apport de remèdes de toutes sortes contre les misères de notre temps, telles que la faim et les calamités, l'ignorance et la pauvreté, la crise du logement et l'inégale distribution des richesses. Par cette collaboration, tous ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s'estimer davantage et préparer la voie à l'unité des chrétiens » (Unitatis redintegratio, 12).

[46]: Dans Philipon : ouvrage cité, p. 26.

[47]: Quand je parle ici de missionnaire, j'emploie ce mot dans son sens le plus strict ; nous en reparlerons plus loin.

[48]: « Laissez-moi porter vos sacs, au moins j'aurai quelque part au bien que vous ferez» (Vie du V. M. Champagnat, Desclée 1931, p. 443).

«Il demanda au Père Colin la faveur de se joindre aux missionnaires qui partaient pour l'Océanie, afin de consacrer ses derniers jours et le peu de forces qui lui restaient, à la conversion des infidèles » (Ibid., p. 242).

Au moment d'envoyer des Frères aux missions il s'écriait : « Mes Chers Frères, nous avons de grandes actions de grâces à rendre à Dieu de ce qu'il nous choisit pour porter la lumière de l'Evangile à ces infidèles, car cette faveur deviendra une source de bénédictions pour l'Institut… Oui, je ne crains pas de l'assurer, et c'est pour moi un grand sujet de joie d'y penser, nous aurons un jour des martyrs dans l'Institut…» (Ibid., p. 242-243).

[49]: Lettre à Mgr l'Evêque de Grenoble, le 15 février 1837. Circulaire 1, p. 220.

[50]: Il n'y a pour s'en convaincre, qu'à se rappeler des années comme celle de 1903 en France, 1937 en Allemagne, 1949 en Chine et 1961 à Cuba. Le premier do ces événements a été sans contredit le plus important dans les desseins de la divine Providence pour donner l'essor à notre Institut.

[51]: Tant en face d'un secteur que d'un autre, notre responsabilité collective est urgente. De grâce, que le Chapitre prenne sérieusement conscience de cette responsabilité.

Ceci expliquera à plus d'un le pourquoi d'un voyage en Afrique et en Asie auquel j'ai invité avec tant d'insistance les Capitulants. Quelques-uns ont trouvé que c'était un geste inutile et une dépense d'argent. Quant à l'utilité ou à l'inutilité du geste pour le Chapitre et pour leur province respective, cela ne dé-pend pas de moi, mais des Capitulants qui ont fait la visite. Au sujet de l'argent, je n'ai aucun remords : si l'on peut justifier tous les trois, cinq, six ou sept ans l'argent dépensé par un Frère qui visite ses parents, faudra-t-il se scandaliser d'un geste fait une fois dans la vie, dans l'intention d'une meilleure compréhension des problèmes missionnaires et d'un apport missionnaire plus grand au Chapitre ? Ce qui me navrerait c'est que cet effort de-meure sans résultat. Je remercie au nom du Christ, du P. Champagnat et des missions, les Frères qui ont sacrifié temps et argent pour cette cause. Ce ne fut pas un voyage de tourisme. Plusieurs délégations m'ont communiqué leur décision de s'engager le plus possible dans une aide missionnaire sérieuse et progressive. Appréciant hautement leur décision, je leur ai demandé d'attendre jusqu'à ce que soit établi le plan global d'aide missionnaire.

[52]: …tandis que le nombre des non-chrétiens à évangéliser augmente au rythme de soixante millions par année, les évangélisateurs diminuent. A la fin du siècle, il y aura 4 milliards de païens, quand aujourd'hui ils sont au nombre de 2 milliards. Pour ces païens l'Eglise n'a que 25.000 missionnaires. Ceux-ci diminuent aujourd'hui, et ce qui est pire, c'est que l'idéal missionnaire n'attire plus la jeunesse comme autrefois. (Conférence donnée par le R.P. Arrime à l'Université Grégorienne, le 2 avril 1968).

[53]: Qu'il nous soit permis de signaler ici le magnifique effort missionnaire réalisé de façon spontanée, par les provinces d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Nous constatons avec satisfaction que les bénédictions divines ne leur ont pas manqué et nous formons des vœux pour que le Seigneur continue de les aider dans cet effort si généreux.

[54]: Il convient de préciser la différence entre se consacrer aux pauvres et se consacrer aux missions.

L'évangélisation des pauvres est le signe de l'avènement du Royaume. C'est la réponse aux disciples du Baptiste : «Les pauvres sont évangélisés ». L'oubli des pauvres est un «contre-signe» évangélique. La mission au monde, l'envoi aux hommes, c'est le dernier message évangélique, pour les apôtres. Les deux réalités : pauvres et missions sont évangéliques.

Pourtant il est convenable d'établir la distinction : toute œuvre de dévouement aux pauvres n'est pas toujours, et par le fait même, une œuvre missionnaire. Par exemple : une école, pour élèves très pauvres dans une région à forte ambiance chrétienne, avec abondance de religieux et de prêtres, et où 95% de la population est catholique et a une bonne pratique sacramentelle ne peut être appelée une œuvre de mission ; et le Frère Provincial, quand on lui demande ce qu'il fait pour les missions ne peut pas compter cette œuvre ; ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas une grande valeur.

Prenons le cas contraire : un Frère qui avait insisté pour quitter sa Province et se rendre aux missions, était critiqué avec cet argument : «Ca été un prétexte, puisqu'il est allé dans un grand collège de tel pays ». On oubliait que dans ce collège 95% des élèves étaient des païens et que ce Frère avait ainsi suivi une vocation missionnaire authentique.

[55]: Voir à ce sujet les appels urgents des Papes : Allocution è l'Episcopat de l'Amérique Latine, le 21-XI-1965. Message à la X° Assemblée extraordinaire du CELAM. Discours au Conseil Général de la Commission Pontificale pour l'Amérique Latine du 30-XI-1966, etc. …

[56]: Il me semble que ces cas doivent être considérés comme des missions dans le sens le plus strict du mot.

[57]: Par suite du manque de personnel missionnaire, on ne peut se permettre le luxe de retirer des hommes de l'apostolat direct pour les placer dans des bureaux ou organismes de planification. Ceci ne doit être fait que dans la mesure de l'indispensable.

[58]: Sans oublier le soviétique et le chinois, non parce que je crois que ce sont les uniques, mais parce qu'on ne peut pas ne pas les présenter tels qu'ils sont, et cela se prête à des erreurs pour les naïfs. Très clairement parlent dans ce sens, par exemple, les derniers événements de Tchécoslovaquie.

[59]: Si dans un pays, le christianisme a déjà suffisamment d'années d'existence, si certaines Congrégations y trouvent des vocations et d'autres n'en trouvent pas, ce fait doit porter celles-ci à la conclusion que quelque chose ne marche pas bien dans les Provinces, les Communautés, les Districts, etc…. qui y sont établis ; une révision interne s'impose sans peur de la vérité mais aussi sans découragement. Il peut arriver que d'excellents missionnaires et de vrais apôtres n'aient pas fait attention à cette question des vocations parce qu'ils ne se sont pas rendus compte de l'importance du sujet ou de la conduite à suivre pour le résoudre.

[60]: Du point de vue interne il ne devrait pas y avoir de problème, étant donné que la solution dépend de la compénétration, de l'adaptation et de l'acceptation mutuelle de leur marnière d'être. La force de la charité fraternelle peut et doit faire trouver ces qualités chez les uns et chez les autres.

[61]: Il ne faut pas entendre Jesus Magister du Latran, tel qu'il a été réalisé jusqu'à maintenant, d'ailleurs, avec de bons résultats pour quelques provinces, moins bons pour d'autres – et il serait intéressant de savoir pourquoi –, mais comme un centre de formation mariste préparant simultanément l'accès aux études dans n'importe laquelle des universités romaines.

[62]: Le Père Voillaume, au cours d'une récente visite, nous a communiqué un projet de fondation qui commencerait à fonctionner l'an prochain. Il s'agit d'un nouvel Institut permettant d'aborder les études théologiques à des niveaux différents orientés surtout vers la formation pastorale des apôtres envoyés aux pays en voie de développement. Ces études centrées sur la théologie actuelle laisseraient de côté tous les thèmes moins pastoraux, pour le travail du missionnaire. En même temps que cette formation théologique, on donnerait aussi des bases solides de formation spirituelle et on exigerait que les candidats vivent en groupes relativement restreints mais avec l'esprit de compréhension et de coopération active à la nature et aux fins de l'Institut.

Nous saluons cet heureux projet et souhaitons qu'une fois en marche, les Frères Provinciaux en profitent comme moyen de formation.

[63]: Que les Frères Provinciaux ou Directeurs qui ont, peut-être, vingt ou trente Frères pour cinq cents élèves, veuillent ne pas se l'appliquer, s'il vous plaît. C'est un exemple symbolique ; on comprend ce que l'on veut dire dans le symbole.

[64]: Que l’on pense au message « Ad Omnes » des Pères Conciliaires du 21/10/1962 ; aux messages adressés par Paul VI au nom du Concile, à toute l’humanité, dans ses différentes catégories sociales. Le Père Arrupe, avec tous les Provinciaux de l’Amérique Latine, a envoyé une lettre qui fixe l’attitude de la Compagnie devant les problèmes de l’Amérique Latine.

[65]: La suggestion sur la liberté et l'enthousiasme spontanés ne doivent pas faire oublier que pour les raisons déjà exposées : les unes ecclésiales et religieuses les autres, sociologiques, l'activité missionnaire est un devoir. La conscience de ce devoir et sa gravité sur le plan moral ne doivent jamais être oubliées. Une Province n'a pas le droit de refuser sa collaboration pour les missions et elle manque sérieusement à son devoir si elle s'y dérobe.

Si j'ai insisté sur la liberté et l'enthousiasme spontanés c'est parce que ce moyen me semble beaucoup plus efficace et productif pour les missions et pour la solution d'un problème qui actuellement se présente comme très grave.

[66]: Décret sur le Ministère pastoral des Evêques : «Puisque de jour en jour augmente le besoin d'ouvriers dans la vigne du Seigneur, et que les prêtres diocésains désirent avoir eux aussi un rôle toujours plus grand dans l'évangélisation du monde, le Concile souhaite vivement que les évêques, réfléchissant à la très grave pénurie de prêtres qui empêche l'évangélisation de nombreuses régions, envoient à des diocèses manquant de clergé quelques-uns de leurs meilleurs prêtres qui se proposent pour l’œuvre missionnaire, et leur fassent donner la préparation nécessaire ; ces prêtres y accompliront en esprit de service, au moins pour une période, le ministère des missions » (Ad Gentes : 38).

Dans l'usage des biens ecclésiastiques, les évêques doivent penser à tenir compte non seulement des besoins de leur diocèse, mais encore de ceux des autres Eglises particulières, puisqu'elles sont des parties de l'unique Eglise du Christ. Qu'ils soient enfin attentifs à soulager, selon leurs possibilités, les calamités dont d'autres diocèses ou d'autres régions ont à souffrir. (Christus Do-minus : 6).

Ceci est pour le clergé diocésain. A plus forte raison faut-il l'appliquer aux religieux qui par vocation, sont encore plus obligés à étendre le règne du Christ.

[67]: Actes des Apôtres, 13, 2-3.-

[68]: Si je me souviens bien, le Frère qui, en ce temps-là ne vibrait pas et ne faisait pas vibrer ses élèves par le catéchisme du samedi et la célébration du mois de Marie, constituait réellement une exception insolite parmi nous.

[69]: Ce phénomène constitue en particulier quelque chose d'inexplicable pour les Anciens Elèves. Non seulement ils sont déconcertés, mais on pourrait dire scandalisés. Avec raison ils se demandent si les Maristes d'aujourd'hui sont sur ce point de vrais Maristes.

[70]: Essor de l'Eglise, p. 73.

[71]: Parmi d'autres, voici encore quelques sources de ces froissements : des options imposées, certaines tournures d'esprit, la formation reçue, les pressions des groupes etc. …

[72]: C'est moi qui souligne : «on entend ici ».

[73]:Henri de Lubac : Méditation sur l'Eglise, p. 101.

[74]: Op. cit., p. 107.

[75]: «Telle est la mission irremplaçable des laïcs. Ils ont un témoignage propre à porter, des problèmes spécifiques à résoudre, des réformes à promouvoir, sous leur seule responsabilité. En leur laissant le champ libre, l'Eglise ne cède pas à une raison pratique de suppléance, comme si elle n'attendait que le moment de redonner à des prêtres nombreux, et acceptés de l'opinion, cette gestion des structures temporelles. Elle entend au contraire, et sans aucune arrière pensée, réserver aux laïcs la prise en charge totale de la cité humaine » (Card. Suhard : Le prêtre dans la cité, cité dans 1a Déclaration de l'épiscopat des Etats-Unis, Doc. Cath n° 1513, col. 544).

[76]: Déclaration des évêques des Etats-Unis. Op. cit., p. 544.

[77]: J. M. Tillard, O.P. Faut-il encore des Frères enseignants ? (La Vie des communautés religieuses. Octobre 1965, Vol. 23, N° 8. Montréal).

[78]: Déclaration de l'épiscopat de l'Amérique Latine. Op. cit. , p. 41.

[79]: Ibidem,  p. 41.

[80]: Op. cit., col. 545 et 546.

[81]: Il faut se rendre compte que le numéro 4 du décret Apostolicam actuositatem décrit la spiritualité du laïc en en faisant une synthèse serrée. Nous pourrions la résumer en trois alinéas qui, loin de s'opposer, ne font que se compléter et se renforcer :

1. Tout ce qui est essentiel dans la spiritualité chrétienne :

sainteté, vertus théologales, dévouement, esprit des béatitudes, etc.

2. La nuance propre à la profession et à l'état de vie

que l'on a choisis.

3. Si l'on est enrôlé dans quelque mouvement ou association approuvés par l'Eglise, l'assimilation de l'esprit et du caractère propre à ce mouvement.

Une fragmentation des textes conciliaires pourrait porter à l'oubli ou à la mésestime du premier point ; le numéro 4 du décret lui consacre cependant 60% de son texte.

Il ne faut pas oublier non plus qu'une formation à cette spiritualité ne s'obtient pas simplement à base d'une méthodologie de " piété et d'étude », mais qu'il faut y ajouter une grande dose d'action.

[82]: Dans un rapport que j'ai déjà cité. Mgr. Elchinger explique fort bien les difficultés, les versants et les résultats de l'engagement chrétien, si différents selon qu'il s'agit de telle ou telle option, de tel ou tel engagement. Il me semble très à propos de vous en citer un passage :

« Que fut en réalité le témoignage des chrétiens ? Certains se sont engagés très judicieusement, avec un magnifique courage et une intuition évangélique très sûre. D'autres ont succombé à deux tentations opposées : celle de laisser se dégrader le sacré dans le temporel – dans ce cas on détruit le "divin" ; ou au contraire celle de s'évader du temporel – dans ce cas on n'a plus la base qui nécessairement doit servir de support au spirituel.

C'est ainsi que certains se sont laissés entraîner dans des engagements ambigus. A les entendre ou à les lire, on aurait pu croire que l'Eglise avait – en tant qu'Eglise – à prendre position dans des options avant tout temporelles. La constitution conciliaire Gaudium et Spes n'a jamais voulu encourager de nouvelles formes de cléricalisme. Pour la plupart des hommes, certes, il est impossible de rejoindre Dieu autrement que dans un monde vraiment humain. Mais il ne suffit pas que le monde soit humain pour qu'il facilite l'accès à Dieu. Il y a des pays où l'on a réussi une organisation sociale et économique très avancée et le royaume de Dieu n'y a pas progressé pour autant.

On ne peut pas approuver davantage ceux qui, parmi les chrétiens, prétendaient que la foi n'a absolument rien à voir avec les questions soulevées au cours de la récente tourmente, comme si notre Dieu était un Dieu lointain, se désintéressant des hommes ici-bas » (Les événements de mai, épreuve de l'Eglise. Documentation Catholique, 21 juillet 1968, N° 1521, col. 1314).

[83]: FECES. «Le travail de l'Eglise en Amérique Latine » (Aspects théologiques et sociologiques). Bogotá, 1963, p. 54-70.

Sur ce point des divers degrés et des divers types d'option, ainsi que du danger qu'il y a à ce que « les prêtres jouent le rôle des laïcs », nous avons encore une leçon à tirer de l'article de Mgr. l'Evêque de Strasbourg : «C'est en vertu de leur simple responsabilité d'hommes que les chrétiens ont le devoir de participer à la réforme des structures économiques, sociales, culturelles, politiques de leur temps. En vertu de leur responsabilité proprement chrétienne ils ont à y introduire un ferment évangélique. Notre foi chrétienne ne nous donne pas compétence pour opter parmi les diverses formules possibles d'une cité nouvelle. Mais elle nous demande d'être sel pour la terre, lumière pour le monde.

« C'est pourquoi, nous prêtres, – parce qu'engageant davantage l'Eglise par nos actes aux yeux des hommes – _nous devons veiller à ne pas jouer un rôle de militant ouvrier ou universitaire, pour éviter qu'on confonde la mission de l'Eglise avec celle du monde. Par contre, nous avons à susciter, à éduquer des laïcs pour les rendre capables de prendre pleinement toutes leurs responsabilités dans les affaires temporelles » (Documentation Catholique, N° 1521, col. 1313).

Mettant à part les membres des Instituts séculiers, je crois que ces derniers mots s'appliquent aussi aux religieux, surtout si l'on tient compte de la définition du laïc donnée par la constitution Lumen Gentium (IV, 31). Nous pourrions encore donner d'autres textes tirés de divers documents conciliaires, pour faire voir que lorsque la constitution Lumen Gentium et le décret Apostolicam Actuositatem parlent des «laïcs », les religieux – même s'ils n'appartiennent pas au clergé – n'y sont pas compris. Ce n'est pas à dire pourtant que je veuille suggérer par là qu'il y aurait un tiers-ordre dans le peuple de Dieu.

[84]: « Aucun fidèle ne voudra nier qu'il appartient au Magistère de l'Eglise d'interpréter aussi la loi morale naturelle. Il est incontestable, en effet, comme l'ont plusieurs fois déclaré nos Prédécesseurs, que Jésus-Christ, en communiquant à Pierre et aux apôtres sa divine autorité, et en les envoyant enseigner ses commandements à toutes les nations, les constituait gardiens et interprètes authentiques de toute la loi morale : non seulement de la loi évangélique, mais encore de la loi naturelle, expression elle aussi de la volonté de Dieu, et dont l'observation fidèle est aussi nécessaire au salut » (Paul VI, Humanae Vitae, N° 4, du 25 juillet 1968).

[85]:La participation dans le monde et dans l'Eglise. Documentation Catholique, N° 1520, col. 1277.

[86]: (Perfectae caritatis, 17). Je n'ai ici l'intention ni de prendre la défense de la soutane, ni de faire l'apologie de l'habit séculier. Je ne rapporte cet exemple que dans le but de faire voir quelque chose de réel, qui s'est passé dans un pays où il n'y avait point de raisons politiques pour que cela eût lieu, et pour rappeler, en passant, que le Concile nous demande – mais c'est à nous de la prendre au sérieux – «un signe de consécration». Evidemment, il y a beaucoup de façons de porter ce «signe », et d n'est pas de mon devoir de pencher pour l'une ou pour l'autre, mais il faut en tout cas accomplir loyalement ce que ce décret nous demande.

[87]: On se tromperait bien si on interprétait l'expression «ne pouvoir vivre autrement » comme une incapacité ou impuissance sexuelle, comme l'indifférence ou le manque d'attrait pour le mariage, ou toute autre anomalie humaine dont on se dédommage dans une vie de service et par l'efficacité libératrice de la virginité… Il s'agit de toute autre chose : c'est l'amour du Christ, et par suite l'immolation du temps, de l'argent, des aptitudes naturelles de toutes les puissances de l'âme, pour la propagation du Royaume des Cieux, au point que la vie conjugale s'opposerait à cette autre vie intérieure (manifestée même par un certain comportement extérieur) que l'Esprit a créée en nous ».

[88]: Je veux faire allusion ici à ce qui est tout à fait propre à un Institut, en commençant par le Fondateur et la vie qu'il a menée, vie absolument singulière, sans possibilité de répétition.

[89]: Ici je pourrais apporter tellement de citations que j'y renonce, convaincu d'ailleurs que tous ces textes nous sont bien connus à tous et que tous nous nous les sommes assimilés, puis-qu'il s'agissait de documents expressément adressés à nous et consacrés à notre genre de vie particulier. D'autre part, ce que j'affirme ici est plus général que les citations que je pourrais faire, c'est comme le leitmotiv de tous les documents et de tous les passages où le Concile parle de la vie religieuse.

[90]: L'idéal du juvénat imaginé par quelques-uns, me semble correspondre simplement au schéma et au profil du collège catholique sérieux et fécond, tel qu'il a été présenté au congrès de l'Association de l'Education Catholique du Vénézuéla (AVEC) correspondant à sa Xième Assemblée Nationale, dans le rapport intitulé : « Pastorale de l'Education Catholique ; Formation de l'homme pleinement chrétien ».

[91]: Ce que j'ai dit ne signifie pas du tout que l'on ne doive pas prendre un très grand soin de la formation humaine dans les maisons de formation. Je me demande bien, par contre, si une vie de facilité et de laisser-aller a quelque chance de former des hommes.

[92]: Sacrosanctum Concilium N° 37, 54, 118, 119, 123.

[93]: Perfectae Caritatis N° 2, b.- 481 –

[94]: Cf., «Le Bon Supérieur », prologue.

[95]: C'est avec une véritable angoisse que je me vois obligé de limiter et de réduire l'étendue de quelques-unes de ces questions en raison de l'urgence et de la longueur de cette circulaire.

D'où les problèmes suivants :

a) L'obligation de choisir entre plusieurs sujets, m'oblige à laisser de côté un des plus purs joyaux de notre spiritualité : la simplicité.

b) J'ai omis aussi quelques autres points intentionnelle-ment, malgré toute la sympathie qu'ils m'inspirent et le désir de quelques Frères de les voir traités : ils ne m'ont pas semblé suffisamment clairs pour être présentés aujourd'hui au nom du Fondateur.

[96]:Il faut se rappeler qu'en beaucoup d'endroits, le psychologue donne des soins presque exclusivement à des personnes présentant des symptômes négatifs et même anormaux. Cela peut lui laisser, à la longue, surtout au plan psychologico-clinique, une expérience négative embrassant une large zone de la vie religieuse, Il peut arriver qu'il ignore tout des cas positifs qui ne se présentent jamais à ses consultations, mais que, par contre, con-naissent bien ceux qui vivent dans le monde des religieux, grâce surtout à la direction spirituelle. C'est pourquoi la vision qui conditionne fréquemment ses solutions et ses conseils, risque d'être un peu trop unilatérale et négative.

[97]: Ce qui peut être discuté c'est la convenance de telle ou telle structure ou la surcharge de cette structure allant jusqu'à étouffer la spontanéité, l'initiative et la liberté d'une personne ; mais aucun homme sensé ne doutera qu'il faille des structures pour la personne et pour la société, même des structures d'extension générale. Je crois qu'à cet égard la loi la plus juste serait : autant qu'elles sont nécessaires pour la formation et la conduite de la liberté et de la collaboration, sans plus ; aussi longtemps qu'elles sont nécessaires, pas plus longtemps.

[98]: Il peut arriver, par des raisons diverses, que quelque chose devienne source de problèmes et de conflits pour telle ou telle personne en particulier, tout en étant bon et utile à la collectivité. C'est le moment où le problème doit être traité au niveau personnel. Il ne faut pas alors prétendre chercher une solution structurelle ou à l'échelle institutionnelle, en nuisant de toute évidence au bien commun.

[99]: Et cependant, il dut assez souffrir personnellement de structures et de personnes appartenant à une Eglise qu'il aima passionnément toute sa vie.

[100]: L'épiscopat des U.S.A., dans sa lettre pastorale commune écrivait ces mots qui, appliqués de plein droit à notre cas de religieux éducateurs, peuvent confirmer éloquemment ce que je viens de dire : «Le ministère sacerdotal ne peut être évalué en termes de catégories technologiques, comme nous avons tendance à le faire aux U.S.A. Le sacerdoce ne peut non plus être exalté en termes d'humanisme, comme on l'a fait quelquefois dans la civilisation occidentale. L'acceptation par le Christ de la crucifixion, par exemple, peut difficilement être donnée comme une solution humaniste au problème de la condition humaine. De plus l'Eglise, en parlant pour le Christ, a souvent des exigences qui sont en opposition avec les normes purement humaines, et en contradiction avec un pur humanisme terrestre. Parmi ces exigences nous pourrions placer la pauvreté religieuse, la chasteté, le célibat, l'obéissance, la pénitence, et même le culte liturgique. Tout cela cependant, prémisses positives des renoncements exigés, n'a certainement pas pour but d'amoindrir la personne humaine, mais de l'aider à accomplir en elle-même sa libération et la résurrection à une nouvelle vie ». (Ecclesia, n. 1.377, du 1 février 1968. p. 212 (20).

[101]: Ce qui constitue une marque sans équivoque de naturalisme ce n'est pas tant le dynamisme pour l'humain que sa coïncidence et simultanéité avec un vide surnaturel, une dévaluation – non pas peut-être en termes exprès, mais en fait – qui implique des conséquences assez visibles : on laisse végéter dans la routine tout ce qui a trait à la spiritualité, alors que se développent quantité d'initiatives et – d'efforts pour prendre soin des valeurs humaines. Où en est-on alors du «Je dois m'occuper des affaires de mon Père » (Luc 2, 49) ?

[102]: Les principes conciliaires pour tracer le type de formation qu'il faut donner à nos aspirants, et l'organisation des maisons et des systèmes d'éducation ne se trouvent pas dans un unique document conciliaire, mais dans la plupart d'entre eux. Chaque document et chaque texte doit être assimilé (si nous voulons l'appliquer au but de la formation des religieux) selon trois voies d'incorporation ou prémisses d'assimilation :

1° prendre le texte dans son contexte et dans son style qu'il faut souvent expliquer par le but poursuivi. Il faut rappeler à ce propos que bien des textes ont été insérés, non seulement comme moyens d'exprimer une idée que le Concile désirait transmettre, mais comme moyens d'impulsion pour réaliser quelque chose ou obtenir un certain effet concret. D'où l'importance qu'il faut donner à la place du texte et à sa relativité par rapport à la totalité du corpus conciliaire.

20 Tous les principes doivent être filtrés et choisis à la lumière surtout du chapitre 6 de la Constitution " Lumen Gentium » et du décret « Perfectae Caritatis » puisque la vie religieuse est notre manière naturelle d'être, au milieu de la diversité des formes existentielles et charismatiques que l'Esprit-Saint suscite dans le peuple de Dieu. Quant au « quoi faire » et «comment le faire », ils doivent être filtrés à travers la déclaration «Gravissimum Educationis », et ceci uniquement dans les parties qui nous concernent, puisque nous avons le devoir de former et d'élever par ce que nous devons être et faire dans le Peuple de Dieu.

A ce propos, je voudrais encore attirer l'attention sur le fait que le profit abondant que nous pouvons et que nous devons faire du Décret : «Optatam Totius » doit aussi être soumis à un filtrage et à des distinguos nécessaires, puisqu'il s'agit d'une série de principes destinés à là formation sacerdotale en général. Par conséquent le texte d'application du décret doit être complété sur tous les points où la formation du prêtre n'a rien qui correspond à celle du religieux, et adapté sur tous les points orientés vers une condition, non laïque, mais sacerdotale.

3° Tout ce qui précède sera reçu et assimilé – comme l'indique « Perfectae Caritatis » – selon la nature de l'Institut et le charisme du Fondateur, parce que nous devons former des hommes qui soient demain des Frères Maristes heureux et efficaces.

[103]: Mot employé dans le sens d'un romantisme à la J.J. Rousseau qui prétend qu'à n'importe quel âge de la vie humaine et spirituelle, on peut non seulement laisser faire, mais même provoquer certains contacts et créer les conditions nécessaires, pour cela. Comprenons bien : préparer un homme pour la vie conjugale et séculière est une chose ; et c'en est une autre de le préparer pour la vie virginale consacrée et la vie religieuse. Ne pas en tenir compte sera créer des habitudes et une mentalité qui établiront un obstacle pour un genre de vie qu'on ne choisira pas de bon cœur et où l'on regrettera de s'être engagé ; d'autre part on ne s'éduquera pas pour une adaptation joyeuse qui prépare à vivre avec réalisme, idéal et maturité son propre état. Il faut bien tenir compte que l'homme et le jeune d'aujourd'hui ne sont pas moins portés à l'égoïsme, à la vanité et au sensualisme que ceux d'hier. C'est vrai que le monde qui les entoure aujourd'hui, leur monde, les aide davantage à éveiller leur solidarité et leur révolte contre le formalisme et le mensonge, et cela les place dans de meilleures conditions pour vaincre d'une certaine façon, l'individualisme et le subjectivisme ; mais, par contre, ils Sont entourés de mondanité, de sensualité et même de porno-graphie, ce qui rend relatifs plusieurs critères moraux et met en discussion beaucoup de vérités de la foi, les laissant, à ce point de vue-là beaucoup plus désemparés en face de leur propre sensualité et de leur propre vanité. De tout cela les formateurs doivent être conscients et rendre conscients ceux qu'ils forment.

[104]: «Tout royaume divisé contre lui-même périra » (Lc XI, 17).

[105]: Quand les structures cependant ne sont pas périmées, il serait absurde de parler d'immobilisme, sous prétexte qu'on ne change pas telle chose. Personne ne change ce qui est bien. Dans ce cas, le dynamisme consiste à faire donner aux structures le rendement maximum.

[106]: Ce document fut publié le 23 septembre 1950.

[107]: Je me souviens que, parlant avec le P. Richards, fondateur du Mouvement Familial Chrétien (M.F.C.) je le félicitais, pour le bien que son Mouvement Familial réalisait en Amérique Latine, avec de nombreux exemples d'époux qui mènent une vie riche de spiritualité conjugale, et qui portent un magnifique témoignage chrétien. Il me répondit que c'était vrai, mais juxta modum, car beaucoup de ces époux qui recevaient cette formation chrétienne un peu tard, arrivaient difficilement à transformer entièrement leur vie matrimoniale en un témoignage complet et dynamique. Par contre, ajoutait-il, notre plus grande influence sera sur les jeunes couples chrétiens que nous formons en ce moment, et chez qui nous voyons déjà d'excellentes réalisations qui surpassent les fruits obtenus parmi les mariés plus âgés. En eux, nous voyons déjà le type de mariage chrétien que le M.F.C. pourra offrir en Amérique Latine.

Eh bien, sans que ni lui ni moi n'ayons l'intention de déprécier la vie chrétienne actuelle, et pour en revenir à ma comparaison, je rappellerai, en l'appliquant à nous, les plus âgés – avec les multiples exceptions que comporte toute règle – que « nunca moro viejo fue buen cristiano (jamais vieux More ne fut bon chrétien), mais que pourtant si nous luttons pour devenir de plus en plus perméables au Concile, l'Esprit sera plus puissant que la psychologie avec tout ce qu'il y a de culturel à la base de notre comportement moral. En tout cas faisons notre possible pour que les nouvelles générations entrent décidément dans les chemins conciliaires. La seule chose que je demande aux jeunes générations, précisément pour ne pas gêner notre effort de perméabilité, c'est de ne pas appeler Concile ce qui n'est pas Concile (aussi bonne que soit la chose) et d'appeler encore moins Concile ce qui éloigne de la sainteté, de la ferveur, du Seigneur.

[108]: N'oublions pas le message que le Concile adressait aux jeunes : «Durant quatre ans, disait-il, l'Eglise a travaillé à rajeunir son visage (…) A la fin de cette impressionnante « révision de vie », elle se tourne vers vous. C'est pour vous, les jeunes, surtout pour vous, cette lumière que le Concile vient d'allumer, lumière qui illuminera l'avenir.

[109]: J'emploie ici ce terme, non dans son sens le plus péjoratif, mais pour définir l'homme qui n'est pas, encore parvenu à la virilité.

[110]: Cela ne veut pas dire que la baisse de persévérance ne soit pas due à d'autres facteurs qui puissent l'expliquer, mais cela constitue un argument de plus en faveur de notre invitation puisque dans la mesure où se multiplient les influences négatives et que la vocation se trouve en crise, il devient plus urgent de lui donner le contrepoids d'une sérieuse, très sérieuse formation que ne peuvent certainement pas donner les titres académiques pas plus que la culture des valeurs purement humaines.

[111]: Nous recommanderions vivement aux responsables, de la formation surtout aux professeurs de religion et de théologie, de méditer très attentivement la déclaration pastorale commune de l'Episcopat allemand publiée à l'occasion de l'année de la foi.

[112]: Ces structures ne sont ni pour ceux qui sont, à leur endroit, pleins de préjugés, ni pour les anormaux. Ces deux sortes de sujets ne nuisent pas seulement au bon fonctionnement du service pour lequel la structure est prévue, mais encore et surtout aux autres et à eux-mêmes. Leur place est ailleurs.

[113]: La parole du Christ «Laisse les morts enterrer leurs morts » (Luc 9, 60) ne devrait-elle pas nous faire réfléchir à propos de cette disponibilité totale ?

[114]: Sans doute, il s'agit d'exemples ingénus, mais c'est pour cela que je les ai choisis. C'est seulement plus tard que l'on découvre la valeur des faits qui ont été déterminants pour l'avenir de la vocation.

[115]: «Le Pape est au monde moral ce que le soleil est au monde physique. Sans le soleil, la terre ne serait qu'un chaos ; sans le Pape, l'Eglise tomberait dans le néant, et il ne nous resterait que la nuit profonde de l'erreur. Ce qui se passe chez les Protestants divisés en une multitude de sectes nous en est une preuve irrécusable. En demeurant attaché à ses pasteurs, le catholique possède la vérité, il reste uni à Jésus-Christ. L'Eglise est aujourd'hui telle que le Sauveur I'a fondée. Si Saint Pierre et Saint Paul revenaient sur la terre, ils trouveraient l'Eglise avec les mêmes dogmes, la même morale, les mêmes sacrements, les mêmes moyens de salut, la même hiérarchie … Oh ! qu'il est consolant d'avoir tous ces saints évêques pour nous ! Peut-on craindre quand on est conduit et protégé par les successeurs des Apôtres., par ceux qui sont la lumière du monde, les colonnes de la vérité et le sel de la terre ! Les évêques sont nos pères, nous devons nous regarder comme leurs enfants et leur donner en toute occasion des marques d'un profond respect et d'une entière soumission ». (Vie du V. Marcellin Champagnat, Desclée et Compagnie 1931, p. 400).

La pensée du P. Champagnat rejoint l'enseignement tout récent de l'épiscopat des Etats-Unis : «A une époque où beaucoup mettent l'Eglise en question, où certains l'abandonnent et prétendent être fidèles au Christ en dehors d'elle, l'Eglise nous rappelle que le fait d'être disciple du Christ constitue nécessairement une vocation à entrer dans l'Eglise du Christ. C'est le Christ qui évoque l'Eglise. Tous ceux qui prêtent une oreille attentive à la voix du Christ entendent clairement qu'il appelle aussi à faire partie de l'Eglise. Sans Eglise située dans l'histoire, on ne pourrait aujourd'hui confesser ou renier le Christ. Car s'il n'y avait pas eu d'Eglise, tout au long des siècles, les hommes auraient fait du Christ ce qu'ils auraient voulu qu'il soit, plutôt que ce qu'il est. Certains veulent suivre le Seigneur en dehors de l'Eglise, selon une expérience religieuse qui leur semble simple, moins complexe et plus spontanée. Mais nous devons nous rappeler que lorsqu'on veut suivre Jésus sans suivre l'Eglise, on arrive insensiblement à se suivre soi-même ou même à suivre ces faux prophètes contre lesquels le Christ nous a mis en garde et aux-quels l'Eglise s'oppose ». (Doc. Cath. du 3 mars 1968 n. 1512, col. 406).

[116]: Cette adhésion de notre intelligence, de notre cœur et de notre volonté au magistère de l'Eglise n'a pas son origine dans une façon candide ou simpliste de voir l'Eglise et le Pape. Elle naît en nous d'un réalisme tout à fait authentique, dans le cadre de considérations théologiques profondes, qui n'ignore ni n'oublie les limites et les imperfections de tout ce qui est humain.

[117]: « L'Eglise ne peut pas "s'accommoder des temps" selon leurs caprices. Elle ne peut pas évaluer le Christ ou le christianisme à la mesure du temps ou de la mode ; tout au contraire, elle doit soumettre les temps à la mesure du Christ ».

(Ratzinger. Implications pastorales de la doctrine de la collégialité des évêques », Revue CONCILIUM, numéro 1, Janvier 1965 )

[118]: A ce propos, je crois opportunes les paroles de l'épiscopat nord-américain dont voici trois extraits, fidèles d'ailleurs à tout le contexte :

1. – Il existe dans l'homme d'aujourd'hui une tension entre conscience et autorité. Un des problèmes les plus angoissants de nos jours est celui qui a rapport aux relations entre la conscience et l'autorité. Le problème, évidemment n'est pas nouveau. Il n'y a jamais eu dans l'histoire humaine un moment oh les hommes n'aient pas eu à affronter les exigences de la conscience avec quelque forme de l'autorité….) Nous limitons nos considérations à l'autorité religieuse qui s'impose plus profondément que n'importe quelle antre, du moment qu'elle traite des relations de l'homme avec Dieu et qui met en jeu non seulement une attitude religieuse déterminée mais encore, à travers elle, son salut définitif.

2. – Dans la religion révélée, l'autorité est objective, non subjective. Pour Newman, la notion d'autorité religieuse se présente avec une différence radicale, suivant qu'on le considère dans la religion naturelle ou dans la religion révélée.

…L'autorité et l'obéissance doivent être tenues pour essentielles à toute religion et ainsi la distinction entre religion naturelle et religion révélée se trouve dans l'aspect suivant : la première a une autorité subjective, la seconde une autorité objective. (Développement de la doctrine).

S'il doit y avoir une autorité dans la religion, une autorité essentielle afin que subsiste la liberté, quel genre d'autorité celle-ci doit-elle être ? Les catholiques croient que la conscience est insuffisante par elle-même, la nature inadéquate, l'Ecriture incomplète. Telles sont les trois normes importantes qui nous sont utiles : «la conscience ne s'appuie pas en elle-même» (Grammar of Assent), l'humanité n'est pas suffisante pour conduire pleinement la nature humaine à son destin » (Apologia pro vita sua) ; et même on peut et on doit dire de l'Ecriture qu'un livre, après tout, ne peut être opposé en face de l'intelligence puissante et vivante de l'homme ». (Ibid).

3. – Cette autorité (doctrinale et hodégétique) s'exerce et s'objective dans le magistère de l'Eglise.

L'infaillibilité est donc toujours subordonnée à la révélation et, en un certain sens, suppose le témoignage de tout le peuple de l'Eglise. L'enseignement infaillible de l'Eglise, cependant, trouve sa claire expression et sa définition uniquement en ce magistère qui parle lorsque les évêques exercent leur pouvoir en harmonie avec Pierre quand Pierre définit.

Entendue comme l'Eglise la présente, l'infaillibilité ne ressemble pas à l'expression présomptueuse signifiée par le mot « triomphalisme ». C'est un service providentiel envers l'Eglise, un accomplissement des promesses du Christ et de ce que Lui-même prévoit afin de préserver cette même foi de l'usure occasionnée par le changement des temps ou les difficultés provenant de pressions diverses dans ou hors de l'Eglise. (Déclaration de l'Episcopat nord-américain, Op. Cit. pp. 251, 253, 255. Voir Documentation Catholique, n° 1514, colonnes é43 et sq. pour le texte français complet).

Les citations de Newman sont assumées par l'Episcopat des Etats-Unis comme étant extraordinairement à propos, dans la crise de notre temps.

C'est moi qui mets l'énumération et les titres.

[119]: A un prix relativement modique, puisqu'il ne couvre que les frais d'envoi par avion. Il existe déjà les éditions en langue anglaise, française et italienne de l'Osservatore Romano.

[120]: « Il est absolument nécessaire que les Frères s'entendent bien avec le clergé, aujourd'hui plus que jamais, pour faire le bien ». (Vie p. 362).

[121]: Les Frères doivent à tout moment donner au clergé des preuves de leurs sentiments de docilité, de respect et d'estime. S'ils agissent de concert avec lui, ils feront le bien tout en édifiant les fidèles. Ils tâcheront aussi d'inculquer ces sentiments à leurs élèves (Règles 464). Ils recevront toujours avec le plus grand respect, les avis et les conseils de Monsieur le Curé, le secondant de tout leur pouvoir dans ce qui a rapport à la bonne éducation des élèves et autres oeuvres conformes à l'esprit de l'Institut (Règles 465). Ils ne critiqueront pas la conduite de Monsieur le Curé ni sa manière d'administrer la paroisse. Plus encore, ils doivent le défendre contre ceux qui se permettraient de le censurer en leur présence (Règles 466). Qu'ils apprennent à leurs élèves, par leurs enseignements et surtout par leurs exemples, le respect et l'obéissance aux autorités civiles et religieuses conscients que le pouvoir qu'ils représentent vient de Dieu (Règles 469). Dans l'édition des Règles de 1947, qui maintiennent le texte de l'avant-dernière révision (1923) on lisait encore : «Que les Frères considèrent Monsieur le Curé comme un père, recevant toujours avec un profond respect ses avis et ses remarques, faisant tout leur possible pour le seconder dans la bonne éducation des enfants et autres oeuvres conformes à l'esprit de l'Institut ; en un mot ils doivent s'identifier avec Monsieur le Curé et agir de sorte que l'école et la conduite personnelle des Frères soient sa consolation ». (R.C. art. 398).

[122]: Ce n'est pas que la pastorale organique n'existe que sur te plan local, mais c'est à celle-là seule à laquelle je fais allusion ici sous cet aspect local et diocésain.

[123]: Dans ces cas, la tension pour le retour à la normale le plus vite possible et l'emploi effectif des moyens pour l'obtenir est la preuve de la réalité d'une action urgente et non d'une déformation institutionnelle ou d'une évasion personnelle.

[124]: J'ai employé plusieurs fois le terme : pastorale organique là où vous attendiez peut-être : pastorale d'ensemble. C'est le Saint-Père qui a dit récemment sa préférence pour le premier terme, qui semble, en effet, plus approprié.

[125]: Si j'assimile ici provisoirement le Frère, conçu comme non prêtre, au laïc, c'est pour plus de clarté, et sans aucune intention de prendre une position théologique quelconque.

[126]: Lorsque le Christ se réveille, ressuscité par la force de Dieu au matin de Pâques, Il regarde son épouse l'Eglise avec laquelle il va engendrer la nouvelle humanité, l'Eglise Mère des vivants, l'Eglise qui est son propre corps. Le corps du Christ ressuscité est doté d'une énergie capable d'assimiler toutes les générations à mesure qu'elles apparaissent dans le monde. C'est pour cela que l'apostolat est une participation vitale à cette énergie du Christ ressuscité qui nous porte à continuer son oeuvre. L'apostolat ne jaillit pas de la considération de la pauvreté du monde, mais. de l'insertion au corps du Christ ressuscité. (Ferdinand Boulard : « Vers une pastorale d'ensemble » ; en traduction).

[127]: Parce qu'il avait un sens très aigu du péché et de ses conséquences par rapport à Dieu et aux hommes, il répétait souvent : Voir offenser Dieu et les âmes se perdre, sont pour moi deux choses insupportables et oui me font saigner le cœur » (Avis, leçons, sentences, Ch. VIII. E. Vitte 1927 p. 72).

[128]:A.L.S. p. 377.

[129]: «L'esprit de foi leur apprendra que, la fin de leur apostolat étant surnaturelle, c'est surtout par des moyens surnaturels qu'ils gagneront les élèves à Dieu ; les talents, la science et les autres moyens humains n'ont, en effet, d'efficacité surnaturelle que par la grâce de Dieu et par la sainteté des maîtres. (Règle, édition 1960, art. 16).

[130]: Il faut se garder, cependant, d'attribuer une valeur d'étalon universel à tel ou tel épisode de la vie du Fondateur ou aux réactions accessoires qui s'en suivirent de sa part. Ces faits appartiennent à une série d'événements formant un tout dont on ne peut les séparer. Il faut tenir compte aussi de ce qu'il connaissait parfaitement la vie intérieure et la conduite extérieure de chacun de ses Frères.

[131]: Je ne veux pas dire par là qu'on soit toujours coupable de cet état de choses. Je veux tout simplement indiquer que le système alors adopté ne doit pas être présenté comme un modèle à suivre, mais comme une situation lamentable. On n'offre pas un remède, un médicament, comme aliment ordinaire et normal à des gens en bonne santé.

[132]: Loin de moi l'intention de méconnaître ou d'ignorer les autres grands avantages qu'à côté de la catéchèse les élèves peuvent trouver dans une école catholique. Mais je ne veux pas non plus qu'on oublie les limites imposées à notre action apostolique et dot j'ai parlé dans la 4ième partie de la circulaire.

[133]: Il est juste de reconnaître que, à titre exceptionnel, d pourrait arriver que des Frères se trouvent incapables de faire la classe de religion dans les cours supérieurs dont ils sont chargé et dans lesquels ils enseignent d'autres matières de leur spécialité, On ne devrait pas s'étonner non plus que ces mêmes Frère sentant la nécessité de donner libre cours et satisfaction à leu, soif de prêcher le Christ soient d'excellents catéchistes dans di classes inférieures. Certainement cela constituerait un bon témoignage d'esprit mariste ; mais, même si je laisse pour une autre, occasion un commentaire plus nuancé et plus juste d'un sujet qui est beaucoup plus complexe qu'il ne semble à première vue, il faut reconnaître que ces Frères se privent du point de départ pour une action profonde et éducative auprès des grands élèves sur le plan religieux, surtout s'ils sont responsables de cours à ces élèves. C'est qu'il n'est pas facile, en règle générale, d'avoir un contact profond avec eux, en dehors de cette chaude communication du message du Seigneur, qui s'appelle catéchèse.

Pour constater combien le fait d'enseigner le catéchisme et d'être religieux ont une influence décisive pour aider les garçons dans leur vie et dans leurs problèmes personnels, il suffit de comparer le nombre des consultations au plan humain, moral et religieux que les élèves font, en profondeur, à un professeur séculier, et celles qu'ils font à un Frère. Evidemment, je parle des lieux où il y a de bonnes relations humaines entre eux et les Frères. On comprend alors pourquoi le Bienheureux Père insistait tant sur certaines sortes de Frères qui ne lui plaisaient pas : il avait en vue les conditions humaines qui peuvent bloquer le travail personnel du Frère avec les élèves.

[134]: «Les hommes, qui mesurent toujours le chances de succès sur les moyens humains, ne pouvaient comprendre que l'humble prêtre pût, sans ressources réussir à fonder une communauté, et le simple projet de cette oeuvre leur paraissait une chimère enfantée par l'orgueil et la témérité. Que veut-il faire là, disaient-ils ? Comment, lui qui n'a ni ressources, ni talents, peut-il songer à créer une communauté ? C'est l'orgueil qui le porte à une semblable entreprise, c'est l'ambition, c'est la sotte vanité d'être appelé fondateur qui lui inspire un pareil projet. Que veut-il faire de ces jeunes gens qu'il retire des travaux des champs pour les mettre à étudier ? Des orgueilleux, des fainéants, qui après avoir passé leur jeunesse dans l'oisiveté, rentreront dans leurs familles, leur seront à charge et deviendront peut-être le fléau de la société ». (Vie du P. Champagnat, 1931. Chapitre XI, p. 143).

[135]: «Bien loin de permettre à ses Frères de quitter l'habit religieux, il le donna à quelques postulants le quinze août, fête de l'Assomption de la Sainte Vierge. Ayant écrit, selon sa coutume, à Mgr l'archevêque, pour obtenir la permission de faire cette vêture, sa lettre causa à ce vénérable prélat et à ses Vicaires généraux, un étonnement profond. Quel homme admirable que cet abbé Champagnat ! dirent-ils : pendant que tout I monde tremble, lui seul ne craint rien ; tandis que les autres communautés se cachent, se dispersent et renvoient leurs novices lui se montre au grand jour, et, sans s'effrayer des menaces des méchants et des révolutions qui bouleversent la société, il ne s'occupe qu'à enrôler de nouveaux sujets ». (Vie du P. Champagnat, 1931. Chap. XVII, p. 211).

[136]: Le terme «mondain » est employé ici, seulement à cause de son pouvoir significatif, sans aucun sens péjoratif. Par «être et agir mondains » j'entends une attitude non spécifiquement chrétienne, même si on peut dire que le chrétien, par le seul fait qu'il est citoyen de ce monde, est et agit dans et pour le monde.

Cette idée peut être noble et porter en germe une valeur chrétienne – en prenant le mot dans un sens analogique – mai, ce n'est certainement pas la façon proprement chrétienne d'être dans le monde, moins encore pour ceux qui ont reçu une fonction avant tout eschatologique. C'est dans ce sens qu'il faut bien situer dans son contexte un article du P. Schillebekx paru dan la revue : «Sélections de théologie» N. 25, Janvier-Mars 1968 Cet article donne les références voulues aux sources originales

[137]: Cf., Vie 2° partie, chap. VIII.

[138]: Cf., Vie 1° partie, chap. XIII.

[139]: «En effet la doctrine de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une force divine» (I Cor. I, 18).

[140]: Je veux profiter de cette occasion pour remercier publique-ment le Frère Provincial et tous les Frères de la Province de Grande-Bretagne et d'Irlande, non seulement pour l'attitude de zèle dévoué à l'égard de leurs Frères du Biafra, mais aussi pour l'aide matérielle qu'ils ont envoyée et continuent d'envoyer – argent, aliments et remèdes – pour que ces Frères puissent avec cela secourir ou soulager en partie les besoins pressants d'un peuple qui meurt de faim et d'épidémies. J'étends ces remerciements aux autres Provinces et maisons maristes, et même aux personnes chrétiennes qui ont manifesté leur générosité dès qu'elles ont eu des nouvelles par la presse.

[141]: Mais pour trouver ce guide et suivre le bon chemin il faut avoir le véritable esprit. Ici encore, analogiquement et respectueusement je pourrais appliquer la parole de l'Apôtre : «Ceux qui sont enfants de Dieu, agissent selon l'Esprit de Dieu» (Rom. 8, 14).

[142]: On pourra dire : Et alors, nous allons être absents de tâches de base que vous-même avez indiquées dans la 4ième partie, de votre circulaire ? – Ma réponse claire et tranchante : Non Il y a des façons d'être absents et des façons d'être présent L'idée n'est venue à personne de se mettre à ouvrir une usine et à jouer le rôle de patron sous prétexte que comme éducateurs nous formons et des patrons et des médecins et des avocats et des ouvriers. En bien, nous devons sans doute former en nos élèves la dimension politique et en quelques-unes même la vocation politique mais que personne ne se mette pour autant dans la tête qu'il faut faire de la politique et moins encore la politique de la violence, sur laquelle Paul VI s'est prononcé, la repoussant explicitement comme attitude et devoir chrétiens lors du Congrès Eucharistique de Bogotà.

[143]: «Pour maintenir nos traditions de famille, les écoles gratuites auront toujours nos préférences. Nos pensionnats et collèges. d'accord avec le Cher Frère Provincial et son Conseil, auront à cœur, sous des formes diverses, de faire très large la part des enfants pauvres.

Quand un Conseil Provincial présentera au Conseil Général un projet de fondation d'école payante, sa demande sera accompagnée d'un tableau succinct de ce qui a été réalisé, dans la Province, en faveur des enfants pauvres, et, en général, de la classe ouvrière » (Statuts capitulaires 2 et 3 du XIVe Chapitre Général, 1946).

«Pour maintenir nos traditions de famille, on aura à cœur de faire aussi large que possible la part des enfants pauvres ou de condition modeste, ceci par des moyens adaptés aux pays : écoles gratuites, élèves admis gratuitement dans les écoles populaires, etc. (Statuts capitulaires, 1, du XVe Chapitre Général, 1958).

[144]: Il forme des maîtres pour donner aux enfants pauvres l'instruction primaire et l'éducation chrétienne (Vie, p. 578). Le 28 janvier 1834, le P. Champagnat écrit une lettre au Roi, dans laquelle il dit : «Né dans le canton de Saint-Genest-Malifaux, département de la Loire, je ne parvins à savoir lire et écrire qu'avec des peines infinies, faute d'instituteurs capables. Je compris dès lors l'urgente nécessité de créer une Société qui pût, aux moindres frais, procurer aux enfants des campagnes le bon enseignement que les Frères des Ecoles Chrétiennes procurent aux pauvres dans les villes » (Archives, Maison Généralice).

En mai 1835, il écrivait à la Reine : «Je me hâtai donc de mettre à exécution le projet que j'avais fait de former une Association de Frères instituteurs pour les communes rurales, dont la pénurie d'un très grand nombre ne permet pas d'avoir des Frères des Ecoles Chrétiennes ». Le 11 février 1840, il écrivait au Cardinal Evêque d'Arras : «Monseigneur, notre oeuvre est tout entière dans l'intérêt des pauvres enfants des campagnes et des petites villes. Avec le moins de frais possibles, nous nous efforçons de leur procurer l'instruction chrétienne et religieuse que les Frères des Ecoles Chrétiennes procurent, avec tant de succès, aux enfants pauvres des grandes villes ». (Archives, Maison Généralice) Cf. Vie, 1ière partie, ch. XX.

[145]: Les besoins des pauvres préoccupaient sans cesse le bon Père, il en parlait en toute occasion. (Vie, chap. XXI, p. 575). Ne pouvant procurer aux indigents tous les secours corporels qu'il aurait voulu, parce que son état et ses ressources ne le lui permettaient pas, il s'en dédommagea amplement en formant des maîtres pour donner aux enfants pauvres l'instruction primaire et l'éducation chrétienne. C'est particulièrement pour eux qu'il a fondé son Institut, et il veut que les Frères se regardent comme spécialement chargés de leur instruction. Aussi, le pieux Fondateur avait-il mentionné ce point dans les premiers engagements qu'il fait contracter aux Frères … II ne se contentait pas qu'on leur apprît le catéchisme, il voulait de plus qu'on leur donnât toutes les connaissances qui pouvaient leur être nécessaires dans leur condition, et que l'on ne fît à leur égard, entre eux et les enfant riches, aucune distinction. L'égalité doit être une loi des écoles dés Frères … (Ibidem p. 578).

[146]: Alors aussi j'ai compris que parfois, bien que pas toujours, les plus «marginaux» ne sont pas les plus pauvres. C'était le cas pour ce pays et pour les régions dont se sont chargés ces prêtres qui, soit dit en passant, ne vivaient pas leur engagement en paroles mais en oeuvres. Ces régions, quoique pauvres, n'étaient pas les plus pauvres, mais jusqu'à leur arrivée, elles avaient été pastoralement les plus «marginales» du pays et leur travail dans ces régions imposait de grands sacrifices.

[147]: J'ai déjà expliqué ceci dans un autre endroit de la circulaire (cf. p. 262 et suivantes).

[148]: Le P. Blaslov, Belge, simple curé d'une paroisse des faubourgs de Caracas et sans aucun appui économique, devant l'impossibilité d'avoir accès aux adultes à cause de l'éloignement de l'Eglise où vivaient ces «marginaux », commença par construire des collèges, dans la pensée d'attirer à l'Eglise la génération nouvelle, et par elle, leurs parents. En même temps qu'il construisait des collèges, il se dévoua aussi au travail de la promotion humaine de ces gens misérables. Pour financer les travaux et les écoles, il visitait personnellement des gens qu'il ne connaissait pas, avec tout le sacrifice que ce système implique, pour arriver à former lentement, à travers oppositions et collaborations, pas moins de 10 écoles primaires et quelques écoles normales pour préparer des maîtres capables de donner au peuple une éducation de base. L’œuvre a grandi et maintenant c'est une des rares initiatives privées qui ait fini, après bien des années, par avoir l'appui du Ministère de l'Education du Vénézuéla. Tout ceci pour dire que le meilleur moyen de faire quelque chose n'est peut-être pas d'attendre qu'on nous aide pour commencer, mais de commencer pour qu'on nous aide.

Je ne dis rien du Mouvement Foi et Joie, beaucoup plus connu.

[149]: Le Frère Joseph Gonzàlez qui est mort victime d'une tumeur maligne pendant la première session du Chapitre Général a offert, on s'en souvient, ses souffrances et sa vie même pour le succès et les fruits de ce mouvement, comme il me l'a communiqué dans une lettre.

[150]: Voir Vie du Fondateur, 2e partie, ch. IX, p. 377.

[151]: Pour ce qui est de notre pauvreté, nous nous rapportons concrètement au côté domestique parce que dans l'ordre culture J notre exigence professionnelle nous demande d'être riches et non pauvres et cela requiert que nous ayons les moyens adéquats tels que bibliothèques, laboratoires, etc. … Cette culture, évidemment devant toujours être proportionnée à la fonction que chacun doit remplir.

[152]: En parlant ici de mesures d'économie concernant l'administration, je ne fais pas précisément allusion au simple fait de réduire ce que le Frère Econome doit donner à la communauté (cela rentre déjà dans ce qui précède et c'est à la communauté à le décider) mais je parle de la capacité professionnelle, de la précision que le responsable des finances doit apporter à l'administration locale. Nous savons tous que, en supposant même niveau du coût de la vie, institutions identiques, même niveau d'ouverture aux nécessiteux, même train de vie des Frères, les résultats varient beaucoup selon les économes, il peut même arriver dans certaines occasions que des pertes considérables se produisent, dues a la naïveté, à l'incompétence ou au manque d'attention de la part des responsables, et que des sommes qui pourraient aile( aux pauvres, finissent dans les mains des spéculateurs.

[153]: Il faut tenir compte que ces enfants, par un travail manuel, disons de deux heures, pourraient aider la famille qui les reçoit.

[154]: J'ai pris comme exemple un des droits les plus nobles et les plus légitimes, afin qu'il nous soit plus facile, par déduction, de descendre à l'application de beaucoup d'autres dépenses. Lors même que celles-ci paraissent imposées par la coutume, il faut se demander si un père de famille, les accepterait face à son modeste budget familial. Dès lors, comment les accepter dans le contexte d'une vie religieuse mise sous le signe du détachement et du dévouement -aux pauvres ? Plus encore, je crois que notre exemple – sauf les cas de générosité personnelle et très spontanée – ne doit pas être mis en pratique, par des Frères missionnaires qui travaillent dans des régions moins développées, puisque comme le disait si bien le R. P. Voillaume, il y a juste quelques jours, si ces missionnaires ne retournent pas avec une certaine périodicité, ils courent le risque d'une certaine ankylose et d'un certain décalage pastoral avec le dommage qui s'ensuivrait pour le travail apostolique. C'est une insinuation lumineuse que j'ai grandement appréciée. Tenant compte de cette observation, je recommande aux Frères de profiter de l'occasion de leur visite de famille pour un « aggiornamento » pastoral qui pourrait se présenter.

[155]: Ceci n'est qu'un point parmi tant d'autres où tous les chrétiens et plus encore tous les religieux doivent examiner leur conduite sociale et économique, dans le contexte d'une morale profondément illuminée par la doctrine sociale catholique et par le feu de la charité. Il est probable que, parfois, devant de nouvelles lumières nous devrons nous imposer de douloureux renoncements à des attitudes que, jusqu'à présent, nous avons de bonne foi considérées comme licites et qui, maintenant nous apparaissent comme improductives et même injustes. Nous ne devons pas craindre de réagir. Dieu nous a recommandé de chercher, non seulement le royaume des cieux, mais aussi la justice comme condition pour que tout le reste nous soit donné par surcroît. Mais, je le répète encore une fois, sans fuir l'austérité de l'Evangile, il ne faut pas être des naïfs dans ces domaines si complexes. Une analyse sérieuse des situations nous indiquera, et non sans risque, la ligne à suivre dans chaque cas.

[156]: C'est un trait typique qui caractérise un saint. Tandis qu'un homme socialement inquiet est très sensibilisé par toutes les misères humaines comme la faim, la pauvreté, la maladie et la douleur, même s'il ne l'est pas autant par la pauvreté morale et religieuse, un saint est un homme très sensible aux premières, mais sa charité et sa douleur deviennent plus actives devant les misères morales et religieuses. C'est normal, puisqu'il porte gravé dans son cœur la hiérarchie des valeurs évangéliques.

[157]: N'oublions pas que dans son temps, les idées jansénistes sont encore présentes, et que l'on insiste excessivement sur les aspects de crainte, de péché, d'enfer, etc. Ce n'est pas ces aspects qui sont faux, mais bien leur accentuation, et aussi k degré qu'ils acquièrent dans la pédagogie et dans la vie spirituelle de cette époque. Il faut d'autant mieux remarquer comment, plongé dans le courant de pensée de son époque et ayant devant lui ces éléments, il n'en acquiert qu'une plus grande piété filiale. Que l'on se rappelle ses points de vue et ses affirmations, non seulement sur la confiance en Dieu, mais sur la miséricorde de Dieu envers le pécheur. Dans cette même ligne sont ses encouragements aux scrupuleux et aux timides.

[158]: Cf. Vie, page 136, 137.

[159]: «Il m'a aimé et s'est livré pour moi» (Gal. 2, 20). «Personne ne m'ôte la vie, mais je la donne moi-même» (Jn. 10, 18).

[160]: En supposant, cela va de soi, qu'il s'agisse d'une personne consciente et adulte.

[161]: Cf. Vie, p. 136-137.

[162]:On est saisi d'une grande joie et d'un enthousiasme spirituel, quand on découvre ça et là le travail lent mais merveilleux de l'Esprit, favorisé par des formateurs pleins de zèle qui, dès les premières années du juvénat, savent préparer nos jeunes à la vie intime avec Dieu. Il n'y a pas encore deux ans, Jesús Manuel Ampudia Caballero, ancien juvéniste de Tuy dont deux frères sont Maristes, mourait à León (Espagne). victime- de la leucémie. Son journal intime est déjà sous presse. Il traduit tout l'itinéraire spirituel d'une âme d'adolescent et révèle une formation et une spiritualité maristes très mûres. On y voit, d'une façon transparente, la lutte et les efforts continuels pour maintenir le contact avec Dieu, dans un dialogue qui aboutit à la réponse généreuse d'un jeune homme qui sent l'appel fascinant du monde et craint de perdre sa fidélité au Seigneur. Voici quelques-unes de ses belle pensées : «Il faut que je sois avec Dieu, il est temps que je me lance en plongeon vers Lui, en laissant de côté tout le reste (3.8.66). «Seigneur, merci de m'avoir concédé encore ce jour Jusqu'à quand ? Tant que tu voudras, Seigneur, tu le sais bien A tes ordres ! » (5.2.66). «Me voici, Seigneur, fais de moi ce que bon te semblera. Tu sais que j'ai répondu OUI il y a longtemps sans trop me rendre compte de ce que je disais. Et c'est dur mais enfin accepte-le, même s'il m'en coûte de te l'offrir. Je te redis AMEN, et ça y est, même si la tristesse ou la mauvaise humeur m'envahissent ensuite. Tu n'as qu'à commander, j'accepte ce que tu voudras. Tu peux me demander la vie en cet instant, quoique cela me donne un serrement de cœur. Mais voilà je ne demande qu'une chose, que ta volonté soit faite » (3.8.66 au moment où il semblait recouvrer sa santé, après une grave rechute). «Plus que jamais, je voudrais maintenant être Frère Mariste ou Cistercien. Cistercien parce que le silence de la Trappe' m'enchante ; Mariste, parce que l'apostolat de l'enseignement m'éblouit» (6.12.66).

[163]: Cf. «Au cœur des masses ». Ed. Studium Madrid 1962 , p. 102 à 109.

[164]: Vieujean. «Como a ti mismo» Gd Dinor. Prisma St Sebastien.

[165]: C'est-à-dire de la recherche d'une explication ultérieure pour chaque réponse qui provoque à son tour une nouvelle question jusqu'à trouver quelque chose qui n'en provoquera plus parce qu'on est arrivé à la réponse totale.

[166]: Sa loi (celle de l'immanentisme) est celle d'un sacramentalisme à rebours. Dans ce système, qui dans ses lignes fondamentales est aussi bien celui des disciples de Hegel que de ceux de Comte, on ne «tue» pas Dieu, on l'« assimile ». Il devient le symbole de l'homme et celui-ci la vérité de Dieu. L'Eglise devient alors «l'Etre Suprême » dont le culte prépare, chez les peuples qui peu avant, étaient monothéistes, la glorification de l'Etre Suprême unique et vrai, convertie en sacrement de l'Humanité pendant une période indispensable de transition. Ainsi se manifesterait ce qu'Auguste Comte appelait « notre tendance croissante vers une homogénéité réelle entre les adorateurs et les êtres adorés ». Ce serait là une étape franchie dans le long processus de «l'immanentisation» qui doit enfin «éliminer complètement l'être fictif ». Cela nous amènerait enfin à reconnaître que la religion était «la réalisation fantastique de l'essence humaine » qui doit être considérée « comme l'expression symbolique du drame social et humain » :l'unique réel. (H. de Lubac, Méditation sur l'Eglise)

[167]: A cause de l'importance vitale qui est en jeu lorsqu'on touche aux racines mêmes de la prière et de la religion. Pour donner une réponse à certaines mentalités, je me permets de transcrire quelques extraits d'un article de Giulio Girardi «Philosophie de la Révolution et athéisme » publié dans le n° 36 «-Problèmes frontières » de juin 1968 dans la revue Concilium. Il y présente le problème posé par la conjonction de certaines mentalités. « Dieu peut être nié au nom de la révolution sociale dans la mesure où il apparaît comme solidaire des structures, de l'image du monde ou du système de valeurs qu'il faut renverser ». «C'est si on veut, un pari pascalien laïcisé. Même ceux qui en reconnaissent le risque. estiment qu'il sert surtout à donner un sens à l'histoire ». « Celui qui croit à un idéal transcendant l'histoire, ne peut lui attribuer un idéal immanent, autonome ;       un choix s'impose. Entre la terre et le ciel, le révolutionnaire choisit la terre ; entre le temps et l'éternité, il choisit le temps ». Tandis que la perspective révolutionnaire est centrée sur l'initiative de l'homme, la perspective religieuse est centrée sui' Dieu. L'action révolutionnaire, comme expression synthétique de l'action humaine et des valeurs qu'elle porte, en elle, exprime sous une forme particulièrement aiguë, le conflit classique entre l'action divine et action humaine". "L'initiative divine et l'initiative humaine ne sont pas confrontées unique ment par rapport à tel ou tel acte libre mais par référence à l'ensemble de l'histoire. C'est l'efficacité historique de l'action humaine qui. entre ici en jeu. Si Dieu est l'auteur de l'histoire, il ne peut pas l'être de l'homme ». « Une morale religieuse se définit par la fi délité à un ordre objectif de lois et de valeurs, dont Dieu est le fondement et la suprême expression. L'attitude fondamentale de l'homme religieux n'est pas initiative personnelle, mais docilité conformité à la volonté de Dieu et à l'ordre essentiel des choses » (pp. 106, 108, 109, 11) Pour pouvoir se faire une idée de l’attitude de l’auteur devant les problèmes d'aujourd'hui entre la mentalité religieuse et la mentalité marxiste, il faut lire son article complet. Je ne suis pas d'accord avec son point de vue appréciatif parce que les choses ne sont pas aussi simples qu'il veut bien le présenter. Il est impossible, en quelques paragraphes de résoudre (cf. pp. 114-115) un problème aussi vaste du point de vue spéculatif. Deux observations fondamentales suffiront :

a) Il faudrait préciser non seulement le sens des expressions altérées concernant la religion, (chose très juste) mais aussi celles qui concernent les mouvements révolutionnaires et les révolutionnaires eux-mes, dont le cœur ne manque généralement pas d'égoïsme dans l'exercice du pouvoir.

b) Dans n'importe lequel des cas, si la religion doit être débarrassée de certains éléments culturels, ce ne doit pas être pour les remplacer par d'autres qui lui seraient également étrangers, mais commodes pour la praxis révolutionnaire. Ce serair éliminer une impureté pour tomber dans une autre plus grande. Il est aussi illogique de faire servir la religion pour un parti au pouvoir, que pour porter au pouvoir un autre parti. Les exemple, ne manquent guère.

[168]: Oeuvres complètes, t. XII, p. 546.

[169]: Oeuvres complètes, t. XV, p. 588.

[170]: Les idées qui suivent ont été prises, par fragments, dans le texte polycopié de la conférence magnifique sur la prière, qu'il a faite aux membres du Chapitre Provincial (ad experimentum) de León, Espagne, au mois d'avril 1967. Les textes entre guillemets sont littéraux sans être intégraux ; mais ils respectent sans la déformer la doctrine et le message de l'auteur.

 [171]: 352 Saint Augustin l'a dit dans une phrase si répétée et toujours nouvelle : «Tu nous as créés pour Toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il repose en Toi ». (Confessions, 1.I ; C.I ; Oeuvres complètes).

 [172]: 35' Cf. B. Haering. « La Ley de Cristo », tome I, p. 608-641, Herder, Barcelone, 1961. (« La loi du Christ, Tome II, P. 37-79, Desclée – Paris, 1961.)

[173]: 354 Y. Congar. « Cette Eglise que j'aime ». Collection « 1', Vivante », Les Editions du Cerf, Paris, 1968, p. 109.

 [174]: 355 En employant ici le terme générique de théologiens, ce n'est pas mon intention d'ignorer ou de confondre tous ceux qui sérieusement, docilement et pieusement font grandir la science théologique en restant toujours attentifs à éviter la plus petite déviation d'avec le Magistère de l'Eglise.

 [175]: 156 Le monde païen ne considérait même pas l'humilité comme une vertu. Lorsqu'il classe les vertus cardinales, dans son « Ethique à Nicomaque » Aristote dit que c'est un des vices extrêmes de la vertu de réputation ou d'estime de soi.

 [176]: Cf. B. Haering, «La loi du Christ », tome I, p. 581-593. (330-341).

 [177]: 358 Lebret. Action, marche vers Dieu.

 [178]: 359 Le chapitre des Règles qui parle de la simplicité est un véritable chef-d'œuvre ; c'est tout un programme de vie spirituelle qu'il contient. Tout âme qui le pratique arrivera au sommet de la sainteté.

 [179]: José Luis Martin Descalzo. «Un periodista en et Concilio » 4a etapa. Edic. PPC. p. 477 y 478.

 [180]: Journal de l'âme de Jean XXIIII.

[181]: Vie du V. M. Champagnat, Desclée 1931, p. 517.

[182]: «Nous avons tous le même but, qui est la gloire de Dieu et notre propre sanctification ; nous paraissions dans un temps destinés à vivre ensemble ; Dieu nous avoit unis de vues et de sentiments pour un même projet qui devait tourner à sa gloire, mais les desseins de Dieu sont au dessus des conceptions humaines ; il veut que pour le moment nous soyons unis d'esprit et non de corps ; il veut que vous travailliez d'un côté à une oeuvre que nous regardons comme des plus importantes, tandis que nous ferons d'un autre ce que nous pourrons pour sa gloire. Rien ne résiste à sa volonté ; lorsque le moment sera venu, il saura rassembler tous les enfants de la tendre Marie et ne faire qu'une seule bergerie sous un même chef et une même règle. Que les retards, les contradictions ne nous fassent point perdre confiance : les oeuvres de Dieu vont lentement ». (Lettre du P. Colin au P. Champagnat. Origines Maristes. Vol. I, pag. 419.20).

 [183]: 364 Origines Maristes, Vol I, p. 557-2é (556, 20). Le temps prouvera au P. Colin que cette rencontre devait se faire dans l'esprit, non dans les formes juridiques. Mais l'Esprit-Saint peut toujours ouvrir des chemins imprévus.

 [184]: « Mais quand – même quelqu'un – fût-ce nous-même fût-ce un ange venu du ciel, vous annoncerait un évangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème (Gal. I, 8).

 [185]: 366 Je ne parle pas ici des résultats immédiats et très visibles. Ce n'est pas ainsi que se produisent les effets dans l'ordre de la grâce. Je ne parle que des résultats qu'on peut logiquement espérer de ces causes.

 [186]: «Le progrès du royaume de l'Esprit, du royaume de Dieu sur la terre, n'est pas moins ardu après le Concile qu'avant. II n'avance pas en cédant sur ce que la pensée humaine ne peur comprendre ou se refuse à accepter. Répondant à la voix de l'Esprit et à une vue réaliste des besoins de l'Eglise et de noire époque, nous demandons à tous, savants et simples fidèles, d'adhérer loyalement à l'enseignement du Concile» (Lettre pastorale des évêques des Etats-Unis : Doc. Cath. 7 avril 1968, n. 1514, col. 652).

 [187]: Luc, 8, 8.

[188]: Documentation catholique, n. 1511, col. 324.

[189]: Newman, cité par l'Episcopat nord-américain : Doc. cath.

[190]: Au sens où l'entend l'Eglise pour la vie religieuse,

 

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