Circulaires 399

Charles Howard

1991-10-15

Le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste

Le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste

Introduction

PREMIÈRE PARTIE: LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION
De nouvelles relations entre l'Église et le monde
• Un monde nouveau
• Prêtres, religieux, laïcs: une seule Église
• Conversion des attitudes
• Quelques-uns des défis auxquels l'Église doit faire face pour la nouvelle évangélisation
1. Un retour au rôle primitif des laïcs
2. Communautés chrétiennes de base
3. Partager notre foi avec les laïcs 3
4. Les femmes dans l'Église
5. Crédibilité
6. Solidarité
7. Spiritualité
DEUXIÈME PARTIE: NOS RAPPORTS AVEC LES LAÏCS
• Notre expérience passée
" Avec les enseignants et le personnel auxiliaire
• Avec les parents et les anciens élèves
• L'administration de nos écoles
• L'esprit de famille
• Une famille mariste élargie 381
TROISIÈME PARTIE: LE MOUVEMENT CHAMPAGNAT DE LA FAMILLE MARISTE
• Historique
• L'expérience d'autres instituts
• L'esprit et la vie du Mouvement Champagnat
- Charisme - Spiritualité - Mission - Communion
• L'avenir
MOUVEMENT CHAMPAGNAT DE LA FAMILLE MARISTE.
Présentation: Lettre du Fr. Charles Howard, S.G.
Projet de Vie
I. Un Mouvement
Il. Avec Marie et Champagnat
IlI, Une Famille
IV. Au service du Royaume
V. En Fraternités

 
 

 

 

       Chers amis,Vous serez peut-être un peu surpris de voir que cette circulaire est adressée à des «amis» plutôt qu'aux seuls «Frères». Comme toutes les autres, celle-ci s'adresse aux membres de l'Institut, mais son thème principal intéressera aussi des laïcs. Je voudrais dès maintenant demander l'indulgence de ces derniers, étant donné que j'écris avant tout pour les Frères et sur des sujets touchant leur vie. Toutefois, j'espère que ce que je vais écrire pourra être utile à tous ceux qui liront ces pages.

Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien j'ai été heureux de vos réactions à ma cir-culaire «Semeurs d'espérance». Je remercie les nombreux Frères qui se sont exprimés à ce sujet. Au cours d'une visite à nos Frères du Centre de Spiritualité mariste de l'Escorial, près de Madrid, l'un d'eux me demandait quels signes d'espérance je percevais actuellement. Permettez-moi de faire deux réflexions à ce propos.

Une des caractéristiques des hommes et des femmes d'espérance c'est qu'ils vibrent à tout signe d'espérance autour d'eux. Certains de ces signes pourront être spectaculaires, mais la plu-part sont tout à fait ordinaires. Il y a un an, nous étions tous stupéfaits et remplis d'une espérance inattendue en raison des changements soudains survenus en Europe de l'Est et en Russie où l'âme humaine a triomphé en se dégageant des chaînes de l'esclavage.

Nous voyons, tous les jours, autour de nous, beaucoup de bonnes choses, qui vont parfois jusqu'à l'héroïsme, dans la vie de bien des gens. Mais peut-être aussi, le mal et l'égoïsme que nous constatons nous rendent-lis aveugles devant les manifestations de la bonté : sacrifices des parents pour leurs enfants, dévouement de ceux qui soignent les handicapés, amour des enfants pour leurs parents âgés ou malades. Vous pourriez facilement multiplier ces exemples. Partout, il y a des raisons d'espérer.

Plus près encore, dans nos propres vies, nous découvrons les signes de l'action de Dieu. Si nous sommes de véritables hommes d'espérance, nous percevrons non seulement ceux qui sont très importants ou qui n'arrivent qu'une fois dans la vie, mais aussi ceux qui font le tissu quotidien de nos existences. Et plus nous deviendrons des priants, plus nous serons capables de les déce-ler. C'est pourquoi, comme je l'ai souvent rappelé, la révision de la journée peut devenir une prière si utile pour nous. En réfléchissant, chaque jour, sur les événements, sur ce qui se passe en moi et autour de moi, en fixant mon attention, non pas tant sur mes défauts et mes fautes que sur les mille manières dont Dieu m'a été présent de façon discrète et délicate, je peux trouver d'innombrables raisons de lui rendre grâces pour tant d'amour et de prévenance. Je serai aussi rempli d'espérance en pensant aux bienfaits plus grands encore qu'il me réserve pour demain.

Nous avons aujourd'hui devant nous, je crois, deux signes d'espérance tout à fait particuliers et très significatifs pour l'Institut des Frères Maristes en ce moment de son histoire.

L'un de ces signes est la formation d'un groupe de jeunes filles qui se sentent appelées à devenir religieuses en suivant la spiritualité de Marcellin Champagnat. Autrefois, comme vous le savez sans doute, nous encouragions les candidates à suivre l'appel à la vie mariste en les orien-tant vers les Sœurs Maristes ou les Sœurs Missionnaires de la Société de Marie, ou vers toute autre congrégation, selon les cas.

Cependant, ce qui fait la particularité de l'appel que ressentent ces jeunes filles c'est, disent-elles, l'attrait tout spécial qu'exerce sur elles le charisme du Bienheureux Marcellin Champagnat et leur désir d'en vivre. Certes, elles en sont au tout début de leur discernement pour découvrir où Dieu veut les conduire. Cependant, nous devons nous réjouir de l'espérance exprimée par la con-viction qu'ont ces jeunes filles d'avoir été touchées par le charisme de Champagnat et par leur dé-sir d'en vivre dans le cadre de la vie religieuse. Leur désir et leur enthousiasme sont pour nous une source d'encouragement à vivre ce même charisme avec plus de profondeur et de générosité.

Le second signe d'espérance concerne une autre manière de partager notre charisme : je veux parler du lancement du Mouvement Champagnat de la Famille Mariste. C'est aussi un évé-nement très important et un motif de grande joie. Nous n'avons pas avancé dans cette direction à la légère et en vitesse mais pour répondre à un appel qui nous est parvenu de plus en plus clairement de nombreuses parties du monde.

J'imagine la surprise de quelques Frères quand, pour la première fois, ils entendirent parler du Mouvement Champagnat, se demandant ce qui arrivait, et surtout, pourquoi. Est-ce que nous voulions imiter d'autres Ordres comme les Franciscains ou les Dominicains avec leurs Tiers-Ordres centenaires ? Ou essayer de créer l'équivalent du Tiers-Ordre de Marie des Pères Ma-ristes ? Peut-être cherchions-nous un moyen de trouver des collaborateurs pour nos écoles ou nos missions ? Même si les motivations et les objectifs étaient purement spirituels, à quoi ce Mouve-ment allait-il aboutir ? Allions-nous associer des laïcs directement à la vie et aux activités de notre Institut ? Auraient-ils, éventuellement, leur mot à dire sur ce que nous faisons ? Quelques-unes de ces questions peuvent paraître excessives mais il n'est pas impossible qu'elles aient effleuré l'es-prit ou les lèvres de certains.

C'est pourquoi, je crois très important, en parlant de ce Mouvement, de souligner qu'il représente, non une manœuvre stratégique pour compenser la diminution des effectifs maristes, mais bien la réponse à un appel, un appel très clair, qui s'adresse non seulement aux laïcs, mais aussi à nous, Frères Maristes.

Cet appel nous parvenait depuis déjà quelques années. Nous l'avons entendu de la bouche même de l'Église, qui peu à peu acquiert une connaissance plus claire du rôle des laïcs. Cet appel nous est venu aussi de nombreux amis, y compris de nos parents, collaborateurs, élèves, anciens élèves et leurs familles. Ils se disent attirés par ce qu'ils connaissent de notre spiritualité –celle de Champagnat– et ils croient qu'elle pourrait leur être très utile pour vivre en chrétiens dans l'Église et la société d'aujourd'hui.

Il me semble aussi percevoir clairement un autre appel de l'Église dans la tendance actuelle à la constitution de petits groupes de chrétiens ou communautés. Ce sont souvent des laïcs qui les dirigent et, si elles se présentent sous des formes différentes, elles ont toutes le même but : partici-per de manière plus responsable à la mission de l'Église de répandre la Bonne Nouvelle et de re-nouveler la société.

Malgré nos limites, nos efforts pour vivre notre vie chrétienne selon la spiritualité de Cham-pagnat sont très attirants pour beaucoup de gens qui nous connaissent, nous admirent et nous ai-ment, et ils répondent à leur quête d'une vie chrétienne plus pleine. Il nous est bon parfois de nous le rappeler.

Dans les pages qui suivent, j'ai essayé de résumer brièvement quelques-uns des récents développements dans la vie de l'Église, l'expérience faite par quelques Instituts religieux et plus particulièrement le nôtre. J'ai déjà dit ce que comprend le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste, ce qu'il va demander de nous et des laïcs qui choisiront de s'y associer.

Ce qui est devenu clair au cours de ces dernières années c'est qu'un appel nous est adres-sé, un appel venant de l'Esprit Saint et qui exige de nous une réponse généreuse. Je sais que bien des travaux requièrent votre temps et vos énergies, et que tout le monde n'est pas fait pour n'im-porte quel ministère. Cependant, je suis sûr que, dans chaque Province, bon nombre de Frères sentiront de l'attrait pour servir dans cet apostolat particulier. Certes, cela exigera beaucoup de temps et d'énergie en plus de vos autres obligations; j'ose pourtant vous le demander, parce que je suis convaincu que si vous savez y reconnaître l'œuvre de Dieu vous répondrez avec générosité.

Quand Marcellin Champagnat commença à répondre à sa propre vocation, il était totalement engagé dans son ministère paroissial qui prenait, nous dit son biographe, toutes ses journées et souvent ses nuits. Cependant, il se laissa conduire par l'Esprit, convaincu que Dieu lui indiquerait ce qu'il avait à faire, quand et comment le faire, et qu'il lui donnerait la force et les lumières néces-saires tout au long de sa route. Je ne doute pas qu'il en sera de même en ce qui concerne ce nou-vel appel lancé à la génération actuelle de Frères Maristes.

Une fois de plus, je souhaite vivement que quelques-uns de nos amis laïcs qui liront cette circulaire puissent y trouver au moins certains passages qui les aideront dans la recherche de la volonté de Dieu sur leur vie. S'il en était ainsi, je m'estimerais très heureux. Mais je leur demande de me lire avec indulgence, en se rappelant que ces pages, s'adressant principalement aux Frères, peuvent ne pas être, à leurs yeux, aussi explicites qu'ils l'auraient souhaité. Cela peut, par ailleurs, leur fournir une excellente raison pour en causer avec un Frère.

 

 

LE MOUVEMENT CHAMPAGNAT DE LA FAMILLE MARISTE

 

Comme vous le savez, Frères, nous nous sommes employés résolument à réfléchir sur les recommandations du dernier Chapitre général, au sujet du Mouvement Champagnat de la Famille Mariste. Nous pourrions, présentement, exprimer nos espoirs et nos attentes concernant ce Mou-vement, indiquer ce qui a déjà été fait et ce que nous aimerions faire dans un proche avenir. Je pense, cependant, qu'il sera plus profitable de situer ces réflexions dans le contexte de l'Église et du Monde, et dans celui de la nouvelle vision et de la nouvelle théologie du laïcat.

Je vous demande, donc, un peu de patience en parcourant cette première partie; pour cer-tains, elle sera suffisamment claire, mais pas pour tous.

De toute façon, elle aidera grandement, je crois, à mettre dans leur juste perspective

la Famille Mariste et le Mouvement Champagnat. 

 

PREMIÈRE PARTIE

LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION.

L'expression «nouvelle évangélisation» et des expressions similaires ont été employées, ces vingt-cinq dernières années, par la plupart des Églises chrétiennes. Cette expression est entrée dans notre langage à la suite du Message aux peuples d'Amérique latine, lancé à Medellin, en 1968, par lequel les évêques s'engageaient à «promouvoir une nouvelle évangélisation». En 1975, le pape Paul VI nous offrait Evengelii nuntiandi, document merveilleux qui est aussi un défi. Le thème de la nouvelle évangélisation a été fréquemment repris par Jean Paul II, notamment dans la récente encyclique Redemptoris missio (7 décembre 1990) ainsi que dans ses importants messages à l'adresse d'Haïti et de Saint Domingue. Ce thème a été repris par de nombreux évêques et théologiens en bien des parties du monde.

Pour les catholiques, on peut dire que la notion de nouvelle évangélisation prend son origine au Concile Vatican II. Le pape Jean XXIII pensait que ce concile serait «pastoral», qu'il n'établirait pas de nouvelles définitions dogmatiques, mais qu'il chercherait plutôt les moyens de rendre le message évangélique intelligible aux hommes et aux femmes de notre temps. Ainsi donc, le concile réfléchit non seulement sur l'Église, mais aussi et surtout sur l'Eglise dans le monde, l'Église dans ses rapports avec les non-croyants, avec les autres traditions religieuses, etc. … En particulier, la Constitution sur l'Église dans le monde de ce temps constitua le début d'un dialogue avec la culture et la société modernes. Ceci peut nous paraître évident et nécessaire aujourd'hui, mais à ce moment-là c'était un changement radical d'attitude pour l'Église qui, de bien des manières, attachait une grande importance à la notion de «séparation du monde», et qui souvent se montrait très méfiante dans le dialogue avec d'autres traditions religieuses.

Mais une raison pour laquelle l'évangélisation doit être nouvelle aujourd'hui, ce sont les changements considérables survenus dans la société et dans le monde de la culture. De bien des manières, nous vivons dans un monde nouveau, un monde qui a terriblement changé en cette dernière moitié de siècle et qui continue de changer très vite, en bien des domaines. L'Église doit chercher à communiquer le message de la Bonne Nouvelle de l'amour de Dieu avec de nouvelles méthodes, adaptées à la nouvelle conscience, à la nouvelle culture, à la nouvelle société.

Il est vrai aussi que, tandis que l'expression «nouvelle évangélisation» se rapporte à un re-nouveau global de l'évangélisation, elle souligne parfois, en divers pays, tel ou tel point selon les circonstances et les besoins. L'Afrique, par exemple, ne fait que commencer son second cente-naire d'évangélisation; l'accent y est donc mis sur l'approfondissement de la foi apportée par les missionnaires et le premier clergé local. En Amérique latine, l'accent portera sur les liens entre l'évangélisation et le travail pour la paix et la justice, liens qui seront ainsi mieux compris. En Asie, le dialogue avec les grandes traditions religieuses a une place particulière. En Europe, une nouvelle société et une nouvelle culture demandent de nouvelles approches, de nouvelles manières d'exprimer la foi et une nouvelle passion pour la mission. L'Église tout entière peut et doit profiter de ces différentes expériences. Je suis convaincu que l'Église d'Amérique latine a contribué gran-dement à ce que toute l'Église acquière une compréhension plus profonde et prenne un engage-ment plus ferme dans l'option préférentielle pour les pauvres, et ceci en dépit des idéologues de droite ou de gauche. De même, l'Église entière s'est enrichie des déclarations très évangéliques sur le Dialogue publiées par les Conférences épiscopales de l'Asie. Au cours d'une récente con-versation avec un groupe d'évêques africains, j'ai exprimé l'espoir que l'Assemblée spéciale pour l'Afrique (Synode des évêques) aiderait l'Église universelle à parvenir à une plus profonde com-préhension de la nature et de l'importance de l'inculturation.

 

DE NOUVELLES RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LE MONDE

L'évangélisation est nouvelle, aussi, en ce sens qu'elle provient d'une Église nouvelle, une Église qui est parvenue à une compréhension plus riche d'elle-même et de sa mission dans le monde. Elle n'est plus l'associée de nations puissantes, comme ce fut le cas à l'époque coloniale. Laissant derrière elle tout triomphalisme, elle se présente comme une humble servante. Elle voit plus clairement que le Saint-Esprit a été à l'œuvre dans l'humanité depuis longtemps et partout. L'action de l'Esprit n'est pas limitée exclusivement aux catholiques ou aux chrétiens, ni même aux croyants. L'Esprit de Dieu remplit l'univers et il souffle quand il veut et où il veut (Jn 3, 8). L'Église travaille pour aider les gens à reconnaître les signes de la présence de Dieu parmi tous les hommes, mettant à leur disposition les richesses salvifiques qu'elle a reçues de son Fondateur, le Christ Jésus. Un autre élément essentiel de cette nouvelle compréhension qu'elle a d'elle-même est qu'elle sait plus clairement aujourd'hui que toute l'Église, prêtres, religieux et laïcs, sont res-ponsables de sa vie et de sa mission. Ainsi, et de bien d'autres manières, l'Église a une nouvelle compréhension d'elle-même. 

UN MONDE NOUVEAU

L'Église, ayant une connaissance plus profonde d'elle-même et des ressources nouvelles, relève le défi lancé par le monde nouveau, un reprenant la vision du deuxième Concile du Vatican :

«Le monde que le Concile a en vue est celui de la famille humaine tout entière avec l'univers au sein duquel elle vit. C'est le théâtre où se joue l'histoire du genre humain, le monde marqué par l'effort de l'homme, ses défaites et ses victoires. Pour la foi des chrétiens, ce monde a été fondé et demeure conservé par l'amour de son Créateur, le monde libéré de l'esclavage du péché par le Christ»…» (Gaudium et spes, 2).

«En proclamant la très noble destinée de l'homme et en affirmant qu'un germe divin est dé-posé en lui, ce saint Synode offre au genre humain une collaboration sincère pour l'instauration d'une fraternité universelle qui réponde à cette vocation» (Gaudium et spes, 3).

Karl Rahner signale que, de nos jours, l'Église a connu un changement d'une ampleur telle qu'il ne peut être comparé qu'avec un seul événement historique antérieur : le passage du christia-nisme juif au christianisme hellénistique, latin et européen. Il y a eu, depuis, bien des circonstances dont quelques-unes ont marqué profondément l'Église : l'empire à partir de Constantin, le schisme d'Orient, la Renaissance, la Réforme, l'époque coloniale moderne et l'époque missionnaire.

Mais aujourd'hui, l'Église fait face à un monde nouveau. Nous avons eu à affronter récem-ment, et nous affrontons encore d'énormes changements dans beaucoup de sociétés. Le Concile Vatican Il a parlé d'«une époque de l'histoire bouleversée et changeante», … de «la marche accélérée de l'histoire qui es telle qu'on peut difficilement la suivre»… le résultat étant une longue liste de nouveaux problèmes»…

Pensant les vingt-cinq années qui ont suivi le concile, le rythme des changements ne s'est pas ralenti et je pense qu'il est utile de réfléchir brièvement sur quelques-uns de ces changements. Je vous invite donc à lire les extraits suivants de la récente encyclique Redemptoris missio de Jean-Paul Il, en pensant qu'il parle dans un contexte de mission :

«Nous nous trouvons aujourd'hui devant des situations religieuses très diverses et chan-geantes : les peuples bougent; les réalités sociales et religieuses, jadis claires et bien définies, évoluent et deviennent complexes. Il suffit d'évoquer ici certains phénomènes tels que l'urbanisation, les migrations massives, les mouvements de réfugiés, la déchristianisation de pays ancien-nement chrétiens, l'influence croissante de l'évangile et de ses valeurs dans des pays dont les ha-bitants, en très grande majorité ne sont pas chrétiens, sans oublier le foisonnement des messia-nismes et des sectes religieuses. Il y a un bouleversement des situations religieuses et sociales qui rend difficile l'application effective de certaines distinctions et catégories ecclésiales auxquelles nous étions jusqu'ici habitués. Avant même le Concile, on disait de certaines grandes villes ou de pays chrétiens qu'ils étaient devenus des «pays de mission» et la situation ne s'est certainement pas améliorée dans les années qui ont suivi» (Redemptoris missio, 32).

«Aires culturelles ou aréopages modernes :

Paul, après avoir prêché dans de nombreux endroits, parvient à Athènes et se rend à l'Aréo-page où il annonce l'évangile en utilisant un langage adapté et compréhensible dans ce milieu lof. Ac 17, 23-31). L'Aréopage représentait alors le centre de la culture des Athéniens instruits et il peut aujourd'hui être pris comme symbole des nouveaux milieux où l'on doit proclamer l'évangile.

Le premier aréopage des temps modernes est le monde de la communication, qui donne une unité à l'humanité en faisant d'elle, comme on dit, «un grand village». Les médias ont pris une telle importance qu'ils sont, pour beaucoup de gens, le moyen principal d'information et de formation; ils guident et inspirent les comportements individuels, familiaux et sociaux. Ce sont surtout les nouvelles générations qui grandissent dans un monde conditionné par les médias. On a peut-être un peu négligé cet aréopage. On privilégie généralement d'autres moyens d'annonce évangélique et de formation, tandis que les médias sont laissés à l'initiative des particuliers ou de petits groupes et n'entrent dans la programmation pastorale que de manière secondaire. L'engagement dans les médias, toutefois, n'a pas pour seul but de démultiplier l'annonce. Il s'agit d'une réalité plus profonde car l'évangélisation même de la culture moderne dépend en grande partie de leur influence. Il ne suffit donc pas de les utiliser pour assurer la diffusion du message chrétien et de l'enseignement de l'Église, mais il faut intégrer le message dans cette «nouvelle culture» créée par les moyens de communication modernes. C'est un problème complexe car, sans même parler de son contenu, cette culture vient précisément de ce qu'il existe de nouveaux modes de communiquer avec de nouveaux langages, de nouvelles techniques, de nouveaux comportements. Mon prédécesseur Paul VI disait que «la rupture entre évangile et culture est sans doute le drame de notre époque»; le domaine de la communication actuelle vient pleinement confirmer ce jugement.

Il existe, dans le monde moderne, beaucoup d'autres aréopages vers lesquels il faut orienter l'activité missionnaire de l'Église. Par exemple, l'engagement pour la paix, le développement et la libération des peuples, les droits de l'homme et des peuples surtout ceux des minorités, la promo-tion de la femme et de l'enfant, la sauvegarde de la création, autant de domaines à éclairer par la lumière de l'évangile» (Redemptoris missio, 37 c).

«Notre époque est tout à la fois dramatique et fascinante. Tandis que, d'un côté, les hommes semblent rechercher ardemment la prospérité matérielle et se plonger toujours davantage dans le matérialisme de la consommation, d'un autre côté, on voit surgir une angoissante quête du sens, un besoin d'intériorité, un désir d'apprendre des formes et des méthodes nouvelles de concentration et de prière. Dans les cultures imprégnées de religiosité, mais aussi dans les sociétés sécularisées, on recherche la dimension spirituelle de la vie comme antidote à la déshumanisation. Le phénomène que l'on nomme «retour du religieux» n'est pas sans ambiguïté, mais il contient un appel. L'Église a un immense patrimoine à offrir à l'humanité dans le Christ qui se proclame «la Voie, la Vérité et la Vie» (Jn 14, 6). C'est la voie chrétienne qui mène à la rencontre de Dieu, à l'ascèse, à la découverte du sens de la vie. Voilà encore un aréopage à évangéliser» (Redemptoris missio, 38).

Un dernier point, sur ces changements sociaux. Dans le passé, les croyances religieuses étaient habituellement un important facteur d'unification de la société, en favorisant l'intégration des différentes composantes culturelles et sociales. Cela se produit encore dans bien des régions : par exemple en beaucoup de pays musulmans, parmi le peuple hindou et dans des groupes qui pratiquent les religions indigènes. De nos jours, cependant, nous constatons les changements spectaculaires opérés, en partie, par le remplacement des valeurs et des croyances religieuses par d'autres valeurs. Après avoir été un élément essentiel de cohésion sociale, la religion est souvent considérée aujourd'hui comme quelque chose de lointain, même si la société conserve encore des éléments de la foi chrétienne. L'Irlande, par exemple, est un pays qui était resté longtemps très uni par une foi commune que nombre de persécutions n'avaient pu affaiblir : religion et culture étaient étroitement liées. Maintenant, ce lien si fort entre religion et culture semble avoir été considérablement affaibli par les assauts de la modernité. Cet affaiblissement se reflète dans le déclin constaté en plusieurs aspects du sentiment religieux irlandais, spécialement chez les jeunes, et c'est probablement l'une des principales raisons de la diminution des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse.

La Pologne est un autre pays européen où les liens déjà très étroits entre religion et culture furent encore renforcés par la persécution communiste. Il est peu probable qu'à l'avenir l'Église conserve la même influence et le même pouvoir qu'elle avait sous le régime communiste, même s'il y avait alors certaines inconséquences : par exemple, un fort pourcentage de pratique religieuse en même temps qu'un taux élevé d'avortements.

Nous savons bien que ces problèmes ne sont pas simples et que, dans bien des cas, il nous est impossible de porter un jugement sûr. Bien souvent, nous considérons l'assistance à la messe comme le baromètre de la pratique religieuse. Pourtant, il n'est pas facile d'établir une relation di-recte entre le respect des valeurs chrétiennes et la fréquentation de l'église. Il y a quelques années, le pourcentage des catholiques australiens pratiquants était sans doute bien plus élevé qu'en Italie. Mais je doute fort que l'on puisse déclarer que les catholiques australiens étaient de meilleurs chrétiens que les catholiques italiens.

Je crois, cependant, que nous pouvons affirmer avec certitude que les liens entre religion et culture sont, en beaucoup de pays, plus faibles que par le passé. Dans une société séculière, tout événement pose de nouveaux problèmes dans la transmission de la foi, des problèmes différents de ceux qui se présentaient il y a à peine une génération ou deux.

Aujourd'hui, nous savons tous que la tâche des parents et des éducateurs religieux est sou-vent très difficile. Les sentiments de frustration, de déception et d'échec ne sont pas rares. Nous avons tous partagé l'angoisse de parents fervents dont les enfants ont abandonné semble-t-il la pratique de leur foi. De même, beaucoup parmi nous ont vécu comme enseignants une période où les valeurs étaient remises en question et où quelques-unes, qui permettaient une bonne intégration sociale et culturelle, devinrent inopérantes. Nous en avons vu le résultat dans nos classes de religion. Tout cela faisait partie d'un ensemble de changements radicaux dans la société, change-ments sur lesquels nous n'avions pratiquement aucune prise. Ajoutez à cela le poids des critiques et des plaintes contre les enseignants qui n'enseignaient plus la religion comme dans le bon vieux temps, qui renonçaient à leurs responsabilités les plus sacrées, dont les élèves terminaient les études sans avoir la foi…

Blâmer les gens, vouloir que les jeunes d'aujourd'hui soient comme ceux des années cin-quante, n'est pas réaliste. C'est MAINTENANT que nous avons à vivre, avec les jeunes que nous connaissons et avec la nouvelle culture. Nous pouvons dire la même chose au su-let de la crise des vocations. Toute critique et toute vision nostalgique du passé sont inopportunes. Par contre, il est évident qu'une connaissance plus claire du monde actuel est très importante pour une bonne orientation de notre action apostolique et de la pastorale les vocations.

Ceci est essentiel : ce n'est qu'en saisissant les réalités dans lesquelles nous vivons que nous arriverons à nous bien situer face à la nouvelle évangélisation. J'ajouterais encore qu'en parvenant à une plus grande compréhension de ce monde nouveau, nous éprouverons une certaine consolation face à nos échecs apparents. J'espère aussi que nous aurons une plus grande con-fiance dans le Seigneur toujours présent dans nos vies et dans la vie de ceux vers qui nous sommes envoyés en mission. 

PRÉTRES, RELIGIEUX, LAÏCS : UNE SEULE ÉGLISE

Comme je le disais ci-dessus, la compréhension plus profonde que l'Église a d'elle-même lui vient, pour une grande part, du fait que tous ses membres, de par le baptême, sont appelés à la sainteté, à la mission et au service (Lumen gentium, 33). Aujourd'hui, cela nous semble aller de soi; mais nous oublions peut-être qu'il s'agit là d'un changement radical par rapport au passé, même si cela représente un retour des laïcs à leur vocation et à leur rôle originels. Les premiers chrétiens se savaient aimés de Dieu et appelés à la sainteté et à la mission.

Mais l'histoire des siècles passés nous offre un tableau différent. Au début de ce siècle, Pie X, dans l'encyclique Vehementer Nos, ébauchait ce tableau de l'Église :

«L'Église, par sa nature même, est une société inégale, c'est-à-dire une société formée de deux catégories de personnes : les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent une place dans les différents échelons de la hiérarchie et puis la masse des fidèles. Ces deux catégories sont dis-tinctes entre elles et c'est sur les pasteurs uniquement que repose le droit et l'autorité nécessaires pour fixer les buts sociaux à atteindre et pour orienter tous les membres vers l'achèvement de ces buts; le seul devoir de la multitude des fidèles est de se laisser guider, tel un troupeau docile, et de suivre ses pasteurs. »

La description faite par Mgr Talbot, le représentant des évêques anglais à Rome, est encore plus pittoresque. Après avoir pris connaissance de l'article «De la consultation des laïcs en matière de doctrine» du fameux cardinal Newman, il aurait dit :

«Quel est le domaine des laïcs ? N'est-ce pas d'aller à la chasse, à la pêche et de s'amuser ? Ça, ils savent le faire, mais ils n'ont aucun droit de mettre leur nez dans les affaires ecclésias-tiques. »

Fort heureusement, aujourd'hui les choses ont bien changé. Au Synode de 1987 et dans l'exhortation apostolique Christi fideles laici de Jean-Paul Il qui suivit, la dignité, la spiritualité, la mission et la responsabilité des laïcs sont proclamés d'une manière éclatante. L'Église tout entière (clergé, religieux et laïcs) est une communion. Tous, de façon identique, participent à la mission sacerdotale, prophétique et royale de Jésus Christ; ils sont tous, de la même manière, appelés à la sainteté. S'il y a de nettes différences dans les rôles du clergé et du Laïcat, ces différences ne doi-vent jamais être accentuées au point d'en oublier le principe le plus fondamental et vital de la communion chrétienne et de l'égalité de tous les croyants. Il y a dans L'Église une place bien définie pour l'autorité de la hiérarchie et des ministères ordonnés. Mais cette place, qui remonte à la volonté du Christ de donner des chefs («leadership») à son Église, ne peut contredire sa vision Hus essentielle d'une communauté de disciples vivant dans un esprit de fraternité, d'égalité et de service.

Bien que le Synode ait merveilleusement mis en lumière la nature le rôle du laïcat, le bond en avant théologique date du deuxième concile du Vatican qui mit l'accent sur le fait que la vérité fondamentale au cœur de l'Église réside dans une communion fondée sur l'union du croyant avec le Christ lui-même, par le baptême.

Il ne s'agit pas ici d'une «invitation» qui serait faite par une portion de l'Église (la hiérarchie, les prêtres et les religieux) aux laïcs pour qu'ils participent à la vie et à la mission de l'Église. C'est un droit inaliénable pour des croyants baptisés. L'égalité fondamentale de tous les chrétiens en dignité et en responsabilité découle de leur union directe au Christ par le baptême.

Dans son homélie de clôture du Synode de 1987, reprise dans Christi fideles laici, nous trou-vons ces mots du pape Jean Paul Il :

«Un fidèle laïc ne peut jamais s'isoler de la communauté, au contraire, il doit vivre en conti-nuelle interaction avec les autres, avant un sens vif de fraternité, fouissant d'une égale dignité et engagé comme les autres à faire fructifier l'immense trésor dont chacun a hérité. L'Esprit du Sei-gneur répand une grande diversité de charismes, invitant chaque chrétien à assumer un ministère différent et des formes de service diverses et lui rappelant, comme il le fait à l'ensemble de chré-tiens pour ce qui est de leurs relations avec l'Église, que ce qui les distingue les uns des autres ce n'est pas un supplément de dignité, mais une capacité spéciale et complémentaire de service… »

En parlant de théologie du laïcat if est bon de rappeler qu'il y a vingt ans, le père Yves Congar, O.P., soutenait que le problème théologique ne consistait pas tant à définir le laïc qu'à définir le religieux et le ministre ordonné, puisque l'état laïc est la condition normale et commune de vivre l'évangile. Ayant participé au dernier Synode sur la formation des prêtres, et après avoir entendu plus de deux cents évêques, je trouve tout à fait clair qu'un grand nombre d'entre eux voie l'identité du prêtre particulièrement difficile à cerner.

Toutefois, ce qui est très clair c'est que la théologie de l'Église développée au Concile, au Synode et dans la dernière exhortation apostolique du pape reconnaît au laïc une identité, une di-gnité, une sainteté, une responsabilité et une mission qui nous parviennent comme quelque chose de nouveau dans la pensée de l'Eglise, au cours de ces derniers siècles de son histoire. Le titre que j'ai choisi pour cette section vient d'une allocution du cardinal Pironio, président du Conseil Pontifical pour le Laïcat. Dans son allocution, il insistait sur la notion de communion qui doit exister entre tous les membres de l'Église et il citait les magnifiques paroles de saint Augustin : «Pour vous, je suis évêque; mais avec vous, je suis chrétien; le premier titre est pour moi une charge, le second, une grâce; le premier est redoutable, le second, salutaire.» 

CONVERSION DES ATTITUDES

L'assimilation de cette nouvelle conception de l'Église se fera selon un lent processus pour une série de raisons. Les changements sont assimilés lentement par les gens. Il faut donc nous armer de patience et reconnaître que plusieurs facteurs entrent en jeu. Nous connaissons tous des situations où le pasteur est heureux d'avoir un troupeau docile et où le troupeau est encore plus heureux de l'état des choses. Je viens de lire une allocution d'un prêtre qui considère que «bien des catholiques restent encore profondément individualistes dans leur conception religieuse. Des laïcs ont une bien petite estime de leur vocation et de leur mission telles que l'Église les voit. Ils comprennent leur mission surtout dans un sens personnel et individuel plutôt que «communautaire» ou «ecclésial». C'est pourquoi, ils accordent un plus grand prix au salut qu'à la mission. L'esprit de Vatican Il n'a pas suffisamment modifié les attitudes fondamentales de bien des membres du clergé ni celle de la grande majorité des laïcs. L'Église n'est pas vue comme une communion, comme une messagère et une servante, mais plutôt comme une institution et comme la gardienne des sacrements».

Bien que d'accord grosso modo avec ces considérations, je pense que le problème vient en partie de ce que le mot «mission» est employé de manière très restrictive. Par exemple, beaucoup de laïcs catholiques qui ont un sens très fort de «mission» dans l'exercice de leurs responsabilités familiales, n'emploient pas le terme «mission» pour en parler.

Je lisais récemment un article du père T.H.O'Gorman, S.J., Directeur de l'institut de Pastorale d'Asie orientale. En parlant du réveil du laïcat dans l'Église, il disait : «Le prix et le statut que nous accordons au laïc dans l'Église d'aujourd'hui se mesure intégralement à l'effort pour obtenir que tous les membres de l'Église atteignent un niveau et une qualité de participation pleinement authentique dans la vie profonde de l'Église. Ici entre en jeu la mise en œuvre d'une ecclésiologie de la communion et de la participation pour remplacer celle du pouvoir et de la domination. Bien sûr, personne ne se fait explicitement le défenseur d'une ecclésiologie du contrôle et du pouvoir, mais dans la pratique elle est assez répandue dans l'Église d'aujourd'hui. Le cléricalisme qui em-pêche les laïcs d'assumer le rôle qui leur revient est encore très fort dans beaucoup de nos Églises locales. Bien des laïcs se plaignent de voir que leurs justes initiatives ne sont pas vraiment bien accueillies. Même si, en théorie, une ecclésiologie de la communion ou de la participation est admise dans toutes nos Églises locales, il n'en reste pas moins que l'ecclésiologie qui prévaut est souvent celle du pouvoir et du contrôle.»

En visitant différents pays et diocèses, j'ai pu constater qu'il y a des endroits où cette analyse correspond exactement aux situations vécues.

Cependant, je voudrais souligner ici que nous pourrions, Frères Maristes, être responsables de certaines formes de domination et de contrôle, bien que de manière et à un niveau différents. De fait, je suis sûr que parfois cela se produit sans que nous nous en rendions compte, incons-ciemment. Et plutôt que de critiquer autrui, je pense qu'il faut porter notre attention sur nos propres comportements et attitudes.

Il est bon, de plus, de ne pas oublier ce que le cardinal Hume disait au sujet du Synode sur les Laïcs :

«Cette assemblée d'évêques ne doit pas être considérée comme un moment décisif dans la vie de l'Église, mais plutôt comme un pas de plus vers la connaissance de soi et du renouveau. Elle aura atteint son but, si elle constitue un pas significatif, même petit, vers la conversion radicale demandée à toute l'Église de changer ses attitudes et ses structures pour permettre aux laïcs de jouer pleinement leur rôle de membres actifs du Peuple de Dieu.»

Le cardinal parle de «conversion demandée à toute l'Église»; Il est presque inévitable que nous, frères, ayons gardé quelques-unes de ces attitudes ambiguës et maintenions quelques structures qui empêchent les laïcs de prendre la place qui leur revient de droit dans l'Église. Des changements se produisent peu à peu avec les inévitables tensions qui les accompagnent. Nous avons à nous demander quelle conversion attend-on de nous. Comment répondons-nous à l'appel si clair de l'Église ? De quelle manière pourrions-nous faire obstacle à cet appel ? Je répète que je ne veux pas idéaliser la situation. Nous vivons dans un monde imparfait. Je connais des frères qui ont fait des efforts méritoires pour donner plus de responsabilités aux professeurs civils, par exemple, parfois avec des résultats très satisfaisants, parfois sans succès. Je pourrais signaler des écoles qui sont devenues meilleurs en même temps que les maîtres laïcs trouvaient leur place à tous les niveaux : enseignement, administration, prise des décisions. Par contre, il y a d'autres endroits où de grands efforts déployés en vue d'intégrer pleinement le personnel laïc n'ont pas pleinement réussi, pour différentes raisons, y compris des questions de salaires, un défaut d'engagement sérieux de la part de quelques enseignants ou l'exercice arbitraire de l'autorité chez certains frères.

Parlant à la Conférence des Supérieurs majeurs d'Irlande, il y a trois ans, sur l'insertion des religieux dans l'éducation et sur le besoin de préparer des laïcs à assumer pleinement leurs res-ponsabilités, le frère Declan Duffy, FMS, ancien Provincial de ce pays et actuellement Secrétaire National de l'Enseignement catholique d'Irlande disait :

«L'histoire sera peu indulgente pour nous si, après avoir été responsables de l'éducation pendant cent cinquante ans, nous nous retirons sans avoir dûment préparé notre départ et mis en place les structures qui permettront à l'éducation catholique de continuer à fleurir, enracinée dans l'Église locale, avec un corps enseignant laïc confiant et compétent et avec des parents bien in-formés et engagés.»

Frères, nous pouvons pousser plus loin cette réflexion. Nous sommes à un moment très im-portant dans l'histoire de l'Église, un moment de renaissance, un retour aux pratiques de la primitive Église où les laïcs jouaient un grand rôle dans la mission de l'Église. Un des appels les plus urgents actuellement est celui de promouvoir cette renaissance avec délicatesse, courage et largeur de vues. Si nous ne le faisons pas, nous aurons appauvri l'Église de demain, l'Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ que nous aimons tous.

 

QUELQUES-UNS DES DÉFIS AUXQUELS L'ÉGLISE DOIT FAIRE FACE POUR LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION

La proposition d'une nouvelle évangélisation est un grand défi pour l'Église, puisqu'il s'agit d'une nouvelle étape, d'un nouveau cycle, d'un nouveau style, et de nouvelles méthodes auxquelles la première évangélisation n'est plus capable de s'adapter.

Je voudrais à présent commenter brièvement sept éléments importants de ce défi, éléments qui ont tous trait à notre propre mission :

•             renforcement du rôle du laïcat,

•             les communautés chrétiennes de base,

•             le partage de notre foi avec les laïcs,

•             la femme dans l'Église,

•             la crédibilité,

•             la solidarité et

•             la spiritualité.

 

1. Un retour au rôle primitif des laïcs.

D'après ce que nous savons du rôle des laïcs dans l'Église, il est facile de voir que son déve-loppement et son renforcement seront des éléments-clés d'une nouvelle évangélisation. Parlant au Synode de 1985, le cardinal Williams, de Nouvelle-Zélande, disait :

«Bien que nous ayons toujours parlé de l'appartenance à l'Église en termes de baptême, l'idée exacte que les gens se font de l'Église a tendance à se référer au sacerdoce et à la vie reli-gieuse. Comme c'est trop souvent le cas, le tout est vu à travers une partie seulement. Par consé-quent, nous avons dû déplacer l'accent mis sur l'idée d'Église hiérarchique pour le mettre sur le concept de peuple, un peuple sacerdotal appelé à la sainteté et à la mission, de par son baptême… S'il y a quelque opposition à ce que l'on mette davantage l'accent sur le baptême, c'est le fait de ceux qui tiennent fort à une Église plus cléricale dans laquelle la responsabilité et la prise des décisions, à tous les niveaux, seraient entre les mains des ministres ordonnés.

Naturellement, il faillait s'attendre à ce que les changements conduisent à des situations étranges et même à certaines erreurs. Nous devons nous rappeler que la difficulté de faire face à certains changements a son origine dans l'Église préconciliaire, sa vision du monde, uniforme et immuable, et dans le manque d'éducation de la foi des adultes.»

L'Église de la nouvelle évangélisation doit se caractériser par l'action de tous ses membres sans exception. Alors que, dans la première évangélisation le poids reposait sur les épaules des ministres ordonnés et des religieux, dans la nouvelle évangélisation, la responsabilité retombe sur chacun.

Je crois qu'il est très important d'insister sur le fait que les laïcs sont appelés à jouer un rôle plus grand en raison de leur vocation baptismale et non pas à cause d'un manque de prêtres. Il y a quelques années, dans un diocèse australien, une enquête avait été faite, donnant le nombre et l'âge des prêtres. Quelque temps après, un certain nombre de prêtres spécialement préparés furent envoyés dans les paroisses, le dimanche, pour prêcher et expliquer quelques-uns des résultats de l'enquête. J'assistais par hasard à l'une de ces messes dominicales et je me souviens du sentiment de déception que j'éprouvai quand, ayant expliqué les statistiques et le manque évident de prêtres dans le diocèse, situation qui allait empirer sans doute dans les dix années suivantes, le prêtre dit : «Voilà pourquoi les laïcs doivent jouer un rôle plus important»… Faux. Non, ce n'est pas la vraie raison, et il me semble qu'il faut insister fortement là-dessus.

Il est très vraisemblable que, au moins dans quelques diocèses, la pénurie de prêtres ait fa-vorisé l'ouverture de certains ministères aux laïcs là où, auparavant, régnait la réticence à utiliser leurs services. Veuillez m'excuser si je parle encore de l'Australie, mais un de ses évêques disait l'an dernier : «La pénurie de clergé est vraiment une disposition providentielle de Dieu pour nous faire comprendre ce qu'est vraiment l'Église.» Comme quelqu'un a dit, le Saint-Esprit est en train de se démener pour pousser son Église bien-aimée dans le XXl° siècle. Monseigneur Fernando Sebastian, qui participait au Synode sur les Laïcs en 1987 et qui était alors secrétaire de la Confé-rence épiscopale espagnole, eut cette réflexion intéressante, qui me frappa par son ouverture, sa franchise et sa sincérité. À la fin de son intervention, il parla de la participation des laïcs dans l'Église espagnole :

«Considérant notre propre réalité et la comparant à ce que nous avons entendu, au Synode, à propos d'autres Églises, il me semble que la participation du laïcat à la vie et à la mission de l'Église en Espagne est très faible. Les raisons en sont sans doute nombreuses. L'Église espagnole est encore riche en prêtres; notre mentalité est toujours celle qui considère que le prêtre et le religieux peuvent et doivent s'occuper de tout dans l'Église, ne laissant que peu de place aux chrétiens pour assumer leur rôle et leurs responsabilités. D'autre part, la plupart des chrétiens es-pagnols ne sont pas habitués à tenir un rôle actif dans la vie et la mission de l'Église. Ils considè-rent tout naturellement que c'est notre affaire. Leur appartenance à l'Église est trop passive, trop individuelle et parfois, trop facile et peu exigeante.

Pour tous les chrétiens, comme pour nous, la participation à la vie et à la mission de l'Église requiert un effort. Il doit y avoir une formation. D'autres choses doivent être écartées, et nous de-vons y consacrer du temps et des énergies. »

Il y a deux ou trois ans, monseigneur Claver, S.J., bien connu de nos frères des Philippines, écrivait : «Je sens que l'idée et la réalité d'une Église dans laquelle on participe davantage est la vision la plus révolutionnaire que nous aura laissée Vatican II. Cette vision sera la référence pour apprécier partout les changements de l'ère postconciliaire». Écrivant aux pères et aux frères de la Société de Marie, il y a quelques années, le père John Jago, Supérieur général, disait : «Le défi fondamental que nous avons à relever de nos jours, comme maristes, est de permettre aux laïcs de tenir pleinement leur rôle dans la vie et dans la mission de l'Église; c'est de reconnaître leurs dons.»

 

2. Communautés chrétiennes de base

Le dynamisme le plus fort que nous pouvons constater dans l'Église d'aujourd'hui, qui souvent surgit de la base, est manifesté par la formation de petites communautés ecclésiales. Dans sa merveilleuse encyclique sur l'Évangélisation, le pape Paul VI disait d'elles «qu'elles naissent du besoin de vivre la vie de l'Église avec plus d'intensité, ou encore du désir et de la quête d'une di-mension plus humaine, que des communautés ecclésiales plus larges ne peuvent offrir qu'avec difficulté». Il affirmait qu'elles aident le peuple de Dieu à approfondir sa foi, par l'écoute et la médi-tation de la Parole, et le font devenir héraut de l'évangile.

Dans Christi fideles laici le pape Jean-Paul II décrit longuement ces groupes, leur diversité mais aussi leur profonde convergence de par la finalité commune que est la leur, à savoir, celle de «participer de façon responsable à la mission de l'Église, qui est de porter l'évangile du Christ comme source d'espérance pour l'homme et de renouveau pour la société» (n° 29). Il parle égale-ment de «la liberté d'association des fidèles laïcs dans l'Église». Dans sa récente encyclique Re-demptoris missio, il fait allusion de nouveau à ces groupes et en parle comme «d'un signe de vitalité au sein de l'Église, d'un instrument de formation et d'évangélisation, et d'une sorte de point de départ d'une nouvelle société fondée sur la civilisation de l'amour».

Beaucoup parmi vous connaissent des prêtres qui comprennent la nécessité de former de petits groupes au sein de la paroisse, pour la prière, l'étude et l'action; la paroisse devient alors une communauté de communautés. De plus, dans certains pays, ils constatent que s'ils ne lancent pas ces groupes de soutien, leurs fidèles iront chercher ce soutien dans les sectes ou dans d'autres groupes. Je lisais dernièrement dans un rapport diocésain cette recommandation : «Qu'on encourage les catholiques à s'impliquer dans un mouvement spirituel, dans un petit groupe de par-tage de foi, selon leurs besoins.»

Ces recommandations doivent nous encourager grandement, car il est évident que les groupes que nous proposons sont très semblables à ceux mentionnés par les papes. En parlant au Synode sur les laïcs, Chiara Lubich, fondatrice des Focolarini, soulignait l'importance de ces groupes et de ces mouvements qui aident les gens à «vivre plus pleinement en disciples authen-tiques de Jésus et à rayonner son esprit en toute circonstance». 

3. Partager notre foi avec les laïcs

Je pense que le temps nous montrera qu'une des grâces particulières de cette conscience accrue du rôle plus grand des laïcs est qu'il stimulera à la longue un plus grand «contact de foi» entre laïcs, prêtres et religieux. Certes, cela existe déjà de bien des manières, dans des groupes ecclésiaux : communautés chrétiennes de base, groupes charismatiques, groupes paroissiaux, mouvements apostoliques, etc. …, mais, jusqu'à présent, ce contact n'a pas encore atteint la grande majorité du peuple de Dieu, laïcs, prêtres ou religieux.

Dans «Vida Religiosa» in ? 62, 1987), le P. José Garcia Paredes écrivait ceci qui correspond bien à mes propres convictions et à mon expérience :

«Un nombre grandissant de religieux et de religieuses comprennent qu'ils doivent s'insérer dans l'Église locale et dans la communauté ecclésiale locale (paroisse, communautés de base) non seulement en tant que dirigeants ou responsables (éducateurs, catéchistes, théologiens), mais aussi en tant que membres de la base. C'est pour cela qu'ils seront présents, à titre individuel et en tant que communauté, dans les paroisses et dans les communautés chrétiennes, simplement pour être en communion avec le peuple de Dieu… Ils savent, par expérience, que ce peuple de Dieu, à son tour, va être leur maître et évangélisateur. Ils comprennent que vivre et ressentir har-monieusement le mystère du peuple de Dieu exige d'eux, bien souvent, qu'ils dépassent les limites de leur communauté religieuse pour entrer en communion dynamique avec d'autres charismes et avec le tissu anthropo théologique du Peuple. Les charismes des laïcs renforcent la vie religieuse. »

Plus loin, dans ce même ordre d'idées, il propose les questions qui suivent. Sommes-nous capables de changer réellement notre manière de travailler, de la rendre plus ecclésiale en ouvrant nos portes aux laïcs et en leur permettant de devenir d'authentiques partenaires avec nous, dans la mission ? Avons-nous le courage de donner libre cours aux charismes des laïcs et de leur offrir d'autres champs d'action ? Sommes-nous prêts à sacrifier une plus grande efficacité pour un té-moignage plus fort ? Sommes-nous prêts à renverser les barrières qui nous séparent des laïcs, en vue de partager avec eux la même vie ecclésiale et le même caractère de disciples du Christ ? 

4. Les femmes dans l'Église

Le Document de travail du Synode de 1987 (n.° 48) invitait les Pères synodaux à approfondir les relations qui unissent les hommes et les femmes dans le plan divin de la création et de la ré-demption :

«L'Église souhaite éviter toute discrimination en ce qui concerne la dignité de tous les laïcs, hommes et femmes, encourageant la communion dans leur mission propre. Reconnaître et pro-mouvoir les dons et les responsabilités des femmes, pour qu'elles puissent participer pleinement à l'activité de l'Église, par leurs tâches différenciées dans l'apostolat, est une nécessité particulière-ment ressentie dans le Corps ecclésial tout entier.»

En commentant cet article du Document de travail, au cours du Synode, le regretté cardinal O'Fiaich, d'Armagh (Irlande), parla vigoureusement, en écartant toute tentative visant à laisser en-tendre que les problèmes des femmes étaient principalement des problèmes de l'Église aux Etats-Unis :

«Que nous le voulions ou non, le féminisme est une interpellation pour l'Église. Et il ne peut plus être éliminé en le considérant comme un accès de folie des classes moyennes ou comme une aberration américaine. Malheureusement, l'éloignement dans lequel les femmes ont été tenues par l'Église les a marquées dans plusieurs pays. Je ne sais pas si nous, évêques, nous rendons bien compte de la colère de certaines d'entre elles qui, naguère, nous regardaient avec sympathie. Il ne suffit donc pas de publier de beaux textes si nous ne montrons pas le progrès en actes.»

Le cardinal faisait observer que les femmes ont rendu d'incalculables services dans le passé. Il ajoutait qu'elles représentent 50% du laïcat et sont plus priantes, plus attentives à remplir leurs devoirs religieux, plus compatissantes, plus amicales et plus humaines que l'autre moitié du genre humain.

Vraiment, nous pouvons admettre pleinement cette argumentation. Des sociétés entières ont été et sont encore dirigées par les femmes. Pourtant, dans beaucoup de ces sociétés, elles sont encore l'objet de discrimination. Cela se produit aussi dans l'Église bien que les mères de famille aient été souvent les premières et les plus efficaces dans l'annonce de l'évangile.

La pleine insertion des femmes dans toutes les dimensions de la mission de l'Église, «y compris dans la prise des décisions» est une des tâches les plus importantes auxquelles est af-frontée l'Église. Et le cardinal Danneels, de Bruxelles, constatait :

«Il ne s'agit pas d'une simple concession au goût du jour ni d'une pression de la part des mouvements féministes. Personne ne peut contester le fait que les femmes ont le droit à une plus grande responsabilité, et ceci à tous les échelons dans l'Église. C'est urgent.»

Il est tout à fait anormal que la plupart des grands organismes décideurs dans l'Église soient entre des mains d'hommes et que l'on ait besoin d'un temps si considérable pour venir à bout de pareille situation. De toute façon, il ne s'agit pas seulement d'une question de justice, mais de la qualité des décisions. L'Église et la mission du Christ souffrent de cette carence. Notre vision glo-bale, que ce soit en théologie, en spiritualité, en doctrine sociale, etc. …, sera enrichie par une plus grande harmonie dans les apports des hommes et des femmes, grâce à une meilleure contribution de tous à la sagesse et à l'expérience de l'Église.

Je dois dire qu'en quelques endroits de réels efforts sont faits pour en finir avec cette situation malsaine dans l'Église, et ce n'est pas toujours facile. Mais en d'autres, on a l'impression qu'il faudra un siècle pour voir bouger les choses. L'ensemble du problème se complique du fait des énormes différences quant à la place de la femme en diverses sociétés. En quelques régions du monde, y compris certaines où travaillent nos frères, des femmes sont encore traitées en esclaves.

Une des grandes joies des années postconciliaires tient au fait que nous avons beaucoup plus de textes de spiritualité écrits par des femmes, religieuses ou laïques. Ce sera une autre grande joie quand nous aurons une plus grande collaboration féminine en théologie, en prédication, et en direction spirituelle. Il y a quelques années, Hans Urs von Balthazar disait que «la théologie de la femme n'a jamais été abordée sérieusement, ni intégrée par l'Église établie». Espérons que cette attitude changera sans tarder.

Heureusement, les femmes, laïques et religieuses, font un travail considérable de direction spirituelle pour le plus grand bien des personnes et de l'Église.

Il serait enrichissant pour une communauté d'inviter deux ou trois femmes à parler de leur façon d'envisager le rôle de la femme dans l'Église. Une Province pourrait les inviter pendant un Chapitre ou une retraite. J'imagine que quelques communautés pourraient se sentir mal à l'aise devant une telle initiative, mais je pense qu'il y en aurait très peu.

Avant de terminer ce point, j'aimerais ajouter une brève remarque personnelle. Quelques-uns de mes amis constateront que beaucoup de ce que je viens d'écrire provient de convictions anciennes que j'exprime depuis plus de vingt ans. 

5. Crédibilité

Des enquêtes fiables faites dans beaucoup de pays occidentaux indiquent que l'image de l'Église est plutôt négative dans de vastes couches de la population. Il faut dire aussi que souvent l'image du «monde» qu'ont certains membres de l'Église est également assez négative. Nous ne devons pas absolutiser les résultats, sachant qu'ils ne recouvrent pas toute le réalité. Il serait, ce-pendant, absurde de ne pas reconnaître qu'en quelques pays, il existe un sérieux problème de dé-saffection, surtout de la part de la jeunesse. C'est une désaffection qui s'étend aux institutions, en général.

Ce qu'il y a de plus urgent pour une nouvelle évangélisation, ce n'est pas la publication de documents, mais des actes et des témoignages de vie : témoignages individuels, toujours néces-saires, mais aussi collectifs. Au cœur du problème se trouve la crédibilité de nos institutions, de nos structures, de nos méthodes et de notre style de vie. Et nous ne sommes pas seulement en train de parler «des autres»! Nous avons à nous demander, si notre propre connaissance de l'Évangile se traduit dans la vie de nos communautés et de nos institutions par des actions adaptées. Ou bien nous rendons-nous coupables parfois de vaine éloquence ecclésiastique ? 

6. Solidarité

Il est clair aussi que la nouvelle civilisation que nous proclamons est basée sur l'amour et la solidarité. Évangéliser veut dire, sans doute, proclamer Jésus-Christ de manière explicite, mais cela signifie aussi nous engager nous-mêmes à lutter pour la naissance d'une civilisation de l'amour, de la solidarité et du dialogue, et nous adonner à reconstruire l'unité de notre monde divisé. «L'Esprit-Saint nous fait comprendre plus clairement qu'il n'est pas aujourd'hui de sainteté véritable sans engagement pour la justice, sans solidarité humaine envers les pauvres et les opprimés» (Message du Synode de 1987). Les grands moyens pour mettre en œuvre cette civilisation ne sont plus tellement ceux du passé – éloquence, recherche du prestige, condamnation et critique— mais bien la charité, une charité ardente qui voit les besoins des autres, cherche à les aider et à soulager leurs peines. Puissions-nous tous brûler du désir d'accroître la solidarité de la famille humaine, comme Jésus.

J'espère bien que vous aurez pris le temps de réfléchir sur l'encyclique Sollicitudo rei socialis et sur ses implications, et que la dernière circulaire vous y a aidés. Lorsque, au cours du dernier synode des évêques, m'a été offerte la possibilité de proposer un sujet pour le prochain synode, j'ai suggéré le suivant : «Les retombées de Sollicitudo rei socialis dans l'Église universelle.» Ii me semble, en effet, que ce texte important pourrait subir le sort de bien d'autres documents : tomber dans l'oubli. La nouvelle encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus, que nous venons de rece-voir, sera un encouragement supplémentaire dans nos efforts de solidarité. 

7. Spiritualité

La nouvelle reconnaissance de la complémentarité dans l'Église doit s'appliquer non seule-ment à la mission mais aussi à la spiritualité des laïcs et des religieux. Il y a chez quelques laïcs ce que le Synode appelle «une réelle soif de vie intérieure et de spiritualité plus profonde». Le pape insiste souvent sur le fait que la formation spirituelle de tous les fidèles – laïcs, religieux, prêtres – doit constituer une priorité pastorale aujourd'hui. Ceci implique une compréhension plus large de la spiritualité elle-même. Certaines personnes croient que la spiritualité se borne à la prière, à la con-templation, à l'action liturgique et aux dévotions. Cette conception fait partie de la vieille dichotomie qui tendait à séparer le naturel et le spirituel, le corps et l'âme, la chair et l'esprit, le travail et la prière. De fait, la spiritualité embrasse tous les aspects de notre vie : nos relations avec Dieu, avec autrui (famille, communauté, compagnons de travail, etc. …) et avec la création (nature, richesses na-turelles…).

Parlant au Synode de 1985, le cardinal T. Williams, de Nouvelle-Zélande, exprimait cela d'une manière saisissante :

«La doctrine sociale du Concile est fondée sur la conviction que la séparation entre la foi et la vie quotidienne est «une des plus graves erreurs de notre temps» (GS, 43).

Il n'est pas facile de se dégager de la tentation d'un faux dualisme. La théologie populaire, la prédication et la spiritualité ont toutes mal interprété la différence entre «chair» et «esprit», entre «naturel» et «surnaturel».

Par conséquent, nous avons bien présent à l'esprit la dimension spirituelle de la féconde rencontre des laïcs avec le monde du travail, avec la famille et un vaste réseau de relations. Assez souvent, les laïcs cherchent à approfondir cette dimension. Parmi les religieux, certains peuvent avoir une profonde expérience de prière, de réflexion, de direction spirituelle et de formation, avec souvent une expérience bien plus limitée de la vie dans le monde. Nous voyons s'établir des liens réciproques forts et vrais entre laïcs, prêtres et religieux réunis pour réfléchir ensemble, prier et s'aider spirituellement. Le partage spirituel, au sens ecclésial, renforce la compréhension mutuelle entre laïcs, prêtres, religieux et enrichit la foi et la vie de prière de tous.

 

DEUXIÈME PARTIE

NOS RAPPORTS AVEC LES LAÏCS

J'aimerais à présent considérer notre propre expérience passée au sujet des laïcs et des femmes dans l'Église. Il est évident qu'une grande partie de ce qui va suivre est le reflet de mon expérience personnelle qui peut, sur certains points, être différente de la vôtre.

Je pense qu'il est important de souligner que, quoi qu'on ait pu dire sur les erreurs du passé et du présent, l'époque actuelle nous donne des motifs de satisfaction, au regard des changements survenus. Restons cependant assez réalistes en sachant que parfois les choses évoluent lentement. Quelques-uns des abus que nous avons vus, les inégalités, le cléricalisme, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. La forte tendance à identifier l'Église aux évêques, prêtres et re-ligieux se retrouve chez tous les membres de l'Église. Il est important de ne pas nous décourager mais de nous réjouir de la revalorisation de la vocation de laïc qui se produit actuellement. Nous sommes heureux d'avoir contribué à ce que les laïcs prennent leur vraie place dans l'Eglise, une Église qui, de ce fait, pourra se présenter elle-même plus authentiquement comme le Peuple de Dieu où tout le monde a un rôle à jouer : hiérarchie, laïcs, religieux et prêtres.

Quant à nous, notre contribution consistera surtout à collaborer de manière forte et soutenue, à aider à la formation et à partager les responsabilités. Nous devrons également être attentifs à d'autres possibilités. Par exemple, il existe des mouvements de laïcs qui ont besoin d'encoura-gement et qui disposent de maigres ressources. Nous avons souvent des moyens considérables et nous devons être disposés à les partager là où c'est possible. Dernièrement, j'avais le privilège d'écouter Edwina Gateley, une laïque qui a lancé un mouvement missionnaire qui recrute, prépare et envoie des volontaires en Afrique, en Amérique latine et ailleurs. Ces vingt dernières années, près d'un millier de missionnaires ont été envoyés outre-mer. Les premières années furent difficiles, en partie, à cause de la pénurie des ressources que les religieux possèdent bien souvent et qu'ils pourraient facilement partager. 

NOTRE EXPÉRIENCE PASSÉE

Avec les enseignants et le personnel auxiliaire

Beaucoup parmi nous ont connu le temps où les écoles étaient dirigées exclusivement par les frères qui en avaient la direction et la gestion, y enseignaient et assuraient divers services. Beaucoup se rappellent sans doute le temps où nous badigeonnions nous-mêmes les classes, nettoyions les WC, coulions le ciment, etc. … Petit à petit, nous avons ouvert la porte aux laïcs enga-gés comme enseignants, secrétaires, bibliothécaires ou pour quelque autre emploi. Parfois les laïcs n'étaient admis comme enseignants qu'en cas de nécessité. Les frères gardaient la haute main sur tous les services et les laïcs, vu leur petit nombre, ne pouvaient qu'avoir le sentiment d'être «au service des frères».

Il arrivait que l'introduction des laïcs soit considéré comme «un mal nécessaire». Cette ma-nière de voir venait sans doute du fait qu'il fallait supporter un fardeau financier considérable. Je connais une école où le salaire que la paroisse devait donner au premier laïc embauché dépassait largement le traitement des six frères qui y travaillaient. Dans les pays où les salaires étaient payés par l'État, la collaboration avec les professeurs laïcs était plus ouverte. Je me souviens d'avoir vu la photo du corps enseignant d'une de nos écoles, prise le jour de l'inauguration voici plus de soixante ans. Il y avait 14 maîtres, 7 laïcs et 7 frères. Dans l'ensemble de l'Institut, cela était inhabituel à cette époque. Les professeurs laïcs étaient considérés comme étant nécessaires pour compenser le manque de frères. Dans une école, l'introduction des laïcs fut adoptée comme mesure provisoire «en attendant l'arrivée de prochaines vocations».

Avec l'arrivée d'un nombre accru de professeurs laïcs et la diminution des frères, il y eut d'autres sujets de préoccupation : celui de l'enseignement de la religion par les laïcs. Je n'ignore pas qu'il pouvait y avoir une saine préoccupation concernant la compétence des professeurs laïcs en matière religieuse. Le sentiment général était que l'enseignement religieux était du ressort et de la compétence des frères.

Je me souviens parfaitement d'une communauté de frères et du bon travail qu'ils faisaient dans la direction de leur école primaire. Cependant, ils firent savoir au Provincial (moi, en l'occurrence), qu'il n'y avait pas assez de frères pour s'occuper des classes de religion. Je leur fis remarquer qu'ils avaient quelques excellents maîtres laïcs bons catholiques. Pourquoi ne leur confiaient-ils pas des classes de religion ? Le sujet fut discuté et la suggestion approuvée, mais à la condition que ces laïcs aient été religieux auparavant! Mon intention n'est pas de blâmer ces frères et je comprends bien leur point de vue car ces anciens religieux avaient sans doute une bonne formation, l'expérience de l'enseignement de la religion. Je comprends aussi, que si certains maîtres laïcs sont excellents, d'autres ne sont pas valables. Quelques-uns n'ont guère d'autre intérêt que leur salaire. On peut même trouver des professeurs laïcs qui non seulement manquent de sympathie pour l'École catholique mais qui de plus travaillent activement contre elle. Tout cela m'est connu, mais je parle ici d'une orientation générale, d'attitudes courantes.

Heureusement, il y a d'autres endroits où les professeurs laïcs sont chaleureusement reçus dans les écoles. Ces dernières décennies, dans bien des Provinces, de sérieux efforts ont été faits pour reconnaître à sa juste valeur le travail des laïcs, pour les considérer comme partie prenante du projet éducatif et les encourager à le mettre en œuvre dans leur travail apostolique. Il y a déjà quelques années, les Provinces brésiliennes avaient créé un Centre où les professeurs laïcs pas-saient trois semaines de recyclage dans l'esprit et la spiritualité de l'éducation mariste. Dans quelques Provinces, l'accent est mis avec force sur la formation des enseignants laïcs, au moyen de retraites, sessions de prières, journées de réflexion sur les objectifs de l'école mariste, etc. … Quelques Provinces soutiennent financièrement le recyclage des maîtres laïcs qui suivent des sessions longues de catéchèse.

Des laïcs font partie des équipes d'animation de retraites, de pastorale et sont devenus des membres réguliers de commissions provinciales. Dans certaines Provinces où de nouvelles priori-tés apostoliques ont été établies et où les Frères ont dû entreprendre de nouvelles tâches, des laïcs, après avoir reçu une formation convenable, ont pris la direction de beaucoup d'écoles.

Il y a, au Mexique, un remarquable apostolat, le Patronat d'extension éducative, qu'organisent et dirigent des laïcs animés par l'esprit mariste : né en 1944 pour alphabétiser des enfants, il scolarise aujourd'hui gratuitement plus de 12 000 enfants pauvres dans 68 écoles. Deux frères y apportent leur concours mais la responsabilité principale repose sur des laïcs : les enseignants et un groupe de professionnels qui donnent beaucoup de leur temps pour en assurer l'organisation générale, les finances et le reste. Quelques-uns ont même abandonné leur profession pour se consacrer à temps plein à cette œuvre. 

Avec les parents et les anciens élèves

La plupart d'entre nous avons connu le bonheur d'avoir des relations d'amitié avec des pa-rents et des anciens élèves. Ces relations ont souvent été, comme elles le furent pour moi, un véri-table bienfait dans nos vies. Pendant longtemps, en bien des pays, nous avons encouragé nos an-ciens élèves à maintenir le contact avec leurs anciens maîtres et à leur apporter leur soutien. «Nous continuons à rester proches de nos anciens élèves par l'affection et par la prière. Nous acceptons volontiers leur coopération à la marche de l'école. Nous les conseillons, à l'occasion, et les encourageons à s'engager au service de l'Église et du monde» (Constitutions, 88).

Quelques-unes des associations d'anciens élèves ont très bien fonctionné alors que d'autres connurent des hauts et des bas. Cependant, même dans les associations dynamiques, nos anciens élèves ne représentaient qu'une faible proportion. Il y avait des raisons à cela : perte de contact due à l'éloignement de leur nouveau lieu d'étude ou de travail, changements fréquents de résidence qui caractérisent la vie moderne, mariage, responsabilités professionnelles, intégration dans la paroisse, etc. … Beaucoup de nos anciens élèves réalisent un travail remarquable dans des associations au service de l'Église, des jeunes, ou dans des organismes professionnels, de loisirs et autres.

La vitalité de ces associations a souvent reposé sur l'enthousiasme de certains frères et/ou sur celui de quelques membres plus engagés. Quelquefois, des associations fonctionnaient à deux niveaux : un niveau national et un niveau international. Cependant, nous devons admettre que, gé-néralement, nous n'avons pas eu beaucoup de succès pour susciter et maintenir l'enthousiasme parmi l'ensemble de nos anciens élèves dans la plupart des pays. Une autre difficulté vient de ce que les frères ont dû faire des choix parmi différentes priorités apostoliques urgentes, les associa-tions d'anciens élèves en étant une parmi d'autres. frères et anciens élèves, nous devons relever ensemble les défis pour faire face le mieux possible à la situation actuelle avec ses changements dans les domaines culturel, social et religieux. Que pouvons-nous apprendre des associations qui continuent un travail efficace commencé depuis de longues années ? Quel est le genre d'organisa-tion le plus adapté aux défis d'aujourd'hui ? Et comment pouvons-nous répondre ensemble à l'appel des papes en vue de construire «une civilisation de l'amour» ?

Des clubs de mères, de pères, des associations de parents, ont donné et continuent de don-ner aux écoles une aide très nécessaire. D'après mon expérience, l'engagement de ces personnes a constitué pour elles un enrichissement : des amitiés se sont nouées, du travail a été fait… Il m'a été donné de voir l'importance d'un tel engagement dans la vie de mes propres parents qui ont col-laboré avec des associations de parents pendant près de quarante ans. Plus récemment, quelques-unes jouent un rôle très efficace dans l'animation spirituelle des élèves et des groupes de parents. De plus en plus, les frères ont donné à ces groupes une formation et proposé des expériences spirituelles. Ils commencent à apprécier en retour tout ce qu'ils ont appris des laïcs. 

L'administration de nos écoles

Il n'y a pas si longtemps que nous avons invité des membres de ces groupes à prendre des responsabilités plus directes et plus importantes dans la direction et l'administration de nos écoles. Dans quelques Provinces, les laïcs collaborent étroitement en participant aux comités scolaires qui s'occupent de l'administration de nos écoles. Dernièrement, une Province a décidé de nommer un laïc directeur de l'un de ses principaux collèges. Un comité consultatif où siègent des représentants des associations de parents, des enseignants et de l'Église locale est associé aux frères pour prendre toutes les dispositions réglementaires et aussi pour assurer les entretiens personnels.

Ce comité a recommandé la candidature d'une personne, qui a été acceptée et approuvée par le Conseil provincial.

Récemment, le Conseil général recevait une demande d'autorisation pour la construction d'un gymnase polyvalent dans l'un de nos collèges de Johannesburg. Le collège nous appartient et le directeur est un frère. C'est l'un des plus connus du pays, surtout en raison de son passé et de son action contre l'apartheid à l'école. De fait, Nelson Mandela vient de demander au frère directeur et à deux parents d'élèves de faire partie d'une commission pour le conseiller en matière d'éducation. En plus d'une formulation parfaitement claire, j'ai trouvé le projet très intéressant, et je voudrais le citer en partie car je pense qu'il révèle une excellente collaboration entre direction et gestion.

«Projet de coordination : Le projet est coordonné par un sous-comité du Conseil d'Administration. Ce sous-comité comprend un représentant de chacun des groupes suivants :

•             Administration de l'école,

•             Comité sportif,

•             Comité de gestion,

•             Conseil d'administration,

•             un architecte de l'Association des Parents

•             et un Frère Mariste.

Le Comité fait un rapport mensuel au Conseil d'administration et au Comité de gestion, par un représentant désigné.

Tout changement de plans qui nécessiterait des fonds supplémentaires est soumis à l'examen et à l'approbation du Conseil d'administration. La proposition est ensuite soumise au frère Provincial pour approbation définitive.»

Je n'ignore pas que certains parmi nous ont eu des sentiments mêlés en voyant l'administra-tion de quelques écoles passer aux mains des laïcs. La plupart d'entre nous gardons d'excellents souvenirs des situations antérieures et il est naturel de regretter les joies d'antan. Quelques-uns sont découragés par l'évolution actuelle et parlent de telle ou telle institution comme n'étant plus «une école mariste». C'est une réaction que connaissent également bien des congrégations religieuses. Parlant récemment à un groupe d'enseignants laïcs, le père Peter-Hans Kolvenbach, Supérieur général des jésuites, disait :

«Nous avions l'habitude de parler de «nos» institutions, dans lesquelles il y avait quelques laïcs pour «nous aider, même quand leur nombre était plus grand que celui des jésuites. De nos jours, quelques jésuites semblent penser que le nombre de laïcs a augmenté si considérablement et qu'il y a eu une teIle passation de pouvoirs, que l'institution n'est plus jésuite. Je tiens à dire que l'école reste un moyen d'apostolat : non seulement des jésuites, mais aussi des laïcs travaillant la main dans la main.»

Je suis sûr que ces paroles du père Kolvenbach trouveront un écho en beaucoup d'entre nous. Nous aussi, nous parlions de nos institutions comme étant «à nous». Quand, pour la première fois, nous avons embauché des laïcs, sciemment ou inconsciemment, l'idée était qu'ils prenaient la place des frères qui nous manquaient. J'ai le sentiment que, en certains endroits, le Mouvement de la Famille Mariste a été au départ fortement influencé par l'idée qu'il pourrait fournir des laïcs capables de remplacer les frères et il a pu souffrir de cette mentalité utilitariste.

Je pense, mes frères, qu'aujourd'hui, une chose est assez claire : le fait que les laïcs soient présents et agissants au cœur de nos institutions et qu'ils participent à tous les niveaux, peut être regardé comme une expression authentique de l'Église. Je sais que bien souvent, dans de tels cas, il se présente de nombreuses difficultés, et je ne voudrais pas idéaliser la situation. De plus, on constate bien des variantes d'un pays à un autre.

Cependant, de nos jours, la grande priorité pour les frères qui travaillent dans nos institutions doit être d'opérer ce changement en préparant les laïcs à assumer cette responsabilité, en leur as-surant une formation, en maintenant et prolongeant autant que possible notre esprit mariste et nos manières de faire. Certaines Provinces ont fait un grand effort pour former les maîtres et les pa-rents par des sessions, des publications sur l'éducation mariste et par d'autres moyens. Ailleurs, les Provinces ont aidé les diocèses dans l'implantation d'écoles dirigées par des laïcs, prêtant des frères pour lancer une nouvelle école. Ceux-ci se préoccupent de former soigneusement les maîtres laïcs pendant cinq ou six ans. Ils se retirent ensuite pour laisser la direction de l'école aux laïcs. Je connais des diocèses où cette politique, bien menée, a rendu un excellent service. 

L'esprit de famille

Après ce que j'ai dit de nos relations avec les professeurs civils, les anciens élèves, les pa-rents et autres, je n'aimerais pas que vous ayez l'impression que tous les efforts accomplis ont été stériles ou intéressés. Vous et moi, nous savons que la réalité est tout autre. Le souvenir impéris-sable que nous gardons tous, c'est la joie et la chaleur d'avoir été unis, dans les soucis, l'amitié et le travail. Et l'amitié l'emporte de beaucoup sur le travail.

Je me souviens parfaitement d'un fait, survenu un samedi matin, il y a environ quarante ans. En ce temps-là, le Gouvernement n'aidait en rien les écoles privées et, pour contribuer à diminuer les frais d'entretien, un groupe de parents, d'amis, et d'anciens élèves se retrouvaient le samedi pour travailler à l'école. Ce samedi-là, ils travaillaient avec les frères à la construction d'une clôture autour de l'école. Mon père participait régulièrement au travail et, ce jour-là, un de mes oncles en vacances à Sydney l'accompagnait. Il n'avait jamais été en contact avec des frères. Le travail allait bon train et dans la joie, accompagné de bons mots, de rires, d'échanges de nouvelles sur les uns et les autres. Le travail fini, tout le monde s'assit en cercle pour prendre un casse-croûte et une bière et bavarder un peu. Je me souviens encore combien mon oncle était impressionné par cet esprit de franche camaraderie. Travailler ensemble faisait naître une merveilleuse amitié. Il n'est pas excessif d'appeler cela une expérience de foi. Ces hommes —les femmes faisaient alors d'autres tâches bien méritoires aussi, mais elles ne construisaient pas de clôtures! — réunis autour des frères, de l'école catholique et de ses valeurs, fortifiaient ainsi leur propre foi. Il s'en trouvait parfois qui revenaient à la pratique religieuse par ce genre de contacts. Le mot «famille» n'était pas employé, mais c'est bien de cela qu'il s'agissait. Nous avons tous nos propres histoires et souvenirs recueillis dans des groupes de ce genre.

Nous sommes tous conscients d'avoir reçu en cadeau, grâce à Marcellin Champagnat, cet esprit de famille qui nous unit dans la cordialité et la simplicité. Dans les divers groupes avec qui nous avons travaillé jadis, il y avait souvent un riche partage de vie, qui ouvrait de nouvelles pers-pectives, favorisait l'entraide, la sympathie, les bonnes relations, un encouragement et un enrichis-sement mutuels. De bien des manières, ces groupes faisaient l'expérience de la communion qui est au cœur de l'Église et du dessein de Dieu sur toute l'humanité. Ils donnaient à leur vie un espace où la foi trouvait un aliment, un lieu d'engagement et de service.

Il n'est donc pas étonnant que, progressivement, nous soyons arrivés à parler de ces groupes en termes de «Famille Mariste». Ces mots sont venus sans difficulté et naturellement, car ils exprimaient bien un peu de notre identité mariste.

Nous avons donc des fondements solides pour une construction et nous pouvons en remer-cier Marcellin et des générations de frères. (Heureusement, d'autres groupes religieux peuvent en dire autant et je ne voudrais pas donner l'impression que nous sommes uniques, bien que peut-être nous ayons un peu tendance à le croire).

Permettez-mois cependant d'insister fortement sur l'importance du moment présent qui, pour beaucoup d'entre nous, requiert une véritable conversion d'attitudes. Je lisais dernièrement une al-locution prononcée par le cardinal Kim, de Séoul, à la Conférence épiscopale d'Asie. Comme dans tous ses écrits, j'y trouve simplicité, profondeur et audace. Il disait aux évêques :

«Quels changements devons-nous opérer en nous-mêmes pour que notre vie devienne un témoignage authentique des Béatitudes, et qu'un joyeux «message de conversation et d'espé-rance» s'ensuive ? Pour cela, nous devons, d'abord croire, nous convertir, et alors les autres pour-ront aussi croire et se convertir.»

Ceci est certainement vrai, pour nous aussi, face au double défi de reconnaître la pleine di-gnité des laïcs et le rôle auquel ils sont appelés et de les encourager, malgré les difficultés, les dé-ceptions et les échecs apparents, d'autant plus que tous les laïcs ne sont pas prêts à accepter vo-lontiers cette nouvelle situation. Pour beaucoup d'entre nous, vivre cette attitude pleinement et gé-néreusement, peut très bien nous demander une vraie conversion de quelques-unes de nos attitudes. 

UNE FAMILLE MARISTE ÉLARGIE

Le groupe de séminaristes qui fonda la Société de Marie aspirait à établir une famille reli-gieuse toute nouvelle dans l'Église, comprenant des prêtres, des frères, des sœurs et de laïcs. La notion de famille religieuse faisait partie intégrante de leur vision et ils y restèrent fidèles pendant de longues années même si elle devint un obstacle à la reconnaissance pontificale de la Société. En effet, ce n'est qu'en abandonnant leur vision d'une Société structurée et unie qu'ils purent obtenir l'approbation ecclésiastique.

Chacune des congrégations maristes se développa selon son propre caractère. La nature, l'autonomie de chacune d'elles et d'autres facteurs firent qu'elles grandirent séparément pour ré-pondre à des besoins apostoliques spécifiques. Cependant, les congrégations maristes ont partagé l'héritage de leurs fondateurs; elles ont trouvé leur place historique dans le sillage de la vision fondationnelle et se sont inspirées d'une mystique mariale commune.

C'est pourquoi, si aujourd'hui il existe une histoire commune de la famille religieuse mariste, chacune de ses branches a aussi son histoire particulière unique : les Pères et les Frères de la So-ciété de Marie, l'Institut des Petits Frères de Marie, la Société des Sœurs Maristes et les Sœurs Missionnaires de la Société de Marie. Chez les Pères, il existe aussi le Tiers-Ordre de Marie. De même, divers groupes de laïcs se sont associés de façon plus ou moins formelle à chacune des branches de la famille religieuse mariste.

Pour de nombreuses raisons, les différentes branches de la famille religieuse mariste ont exprimé, ces dernières années, le désir et le besoin d'explorer leur commun héritage et de partager leur vie, leur spiritualité et leur travail. Ceci a commencé petitement, par des réunions informelles et par une collaboration dans quelques champs d'apostolat. Il y eut ensuite des sessions mixtes de spiritualité et de renouveau, et un travail d'ensemble dans certains projets menés conjointement. Depuis quelques années déjà, les Conseils généraux des quatre congrégations maristes ont eu des réunions régulières; ainsi en janvier 1991, ils ont passé deux jours à réfléchir ensemble.

Il y a deux ans, un groupe de pères maristes fit une proposition formelle aux Supérieurs généraux des quatre Instituts, demandant qu'on lance un mouvement vers une plus grande unité structurelle et il suggérait un processus à suivre. Après examen de la proposition, les Conseils ont vu là un important signe des temps, mais il leur a semblé que le moment n'était pas encore venu de faire ce pas. Ils ont souhaité un plus large partage concernant la vie, la spiritualité et les ministères au plan local, pour s'assurer qu'existe d'abord une réalité vécue, avant de mettre en place des structures visant à l'encourager et à la renforcer.

Au cours de la même réunion, une part importante de nos échanges a porté sur nos relations avec les laïcs. D'autres congrégations maristes sont impliquées comme nous avec des groupes de laïcs désirant, non seulement créer et accroître les liens qu'ils maintiennent avec elles, mais encore parvenir à une sorte d'affiliation. Nous avons pu apprécier la grande diversité de tels groupes et nous avons essayé de trouver des moyens pour qu'ils puissent s'intégrer dans une communion mariste plus large.

L'idée est certainement séduisante. Cependant, il faut faire les mêmes réserves que pour la recherche d'une plus grande unité structurelle des branches maristes dont je viens de parler. Il faut toujours respecter la liberté et la spontanéité des groupes et encourager l'aspect multiforme de l'expression de chacun d'eux. II semble préférable, pour le moment, de respecter les charismes et les traits particuliers des groupes rattachés aux différentes congrégations. Dans beaucoup d'en-droits, les laïcs ont des relations avec une seule congrégation mariste, et c'est avec elle qu'ils cherchent à s'identifier. Là où existent deux ou même toutes les congrégations maristes, nous avons pensé que les différentes identités respectives ne devraient pas être cause de rivalité ni fo-menter la confusion. Une communion plus étroite par affiliation à une congrégation donnée per-mettra aux laïcs de participer de l'intérieur à la vie de cette congrégation et à celle de tous les autres membres de la grande Famille Mariste.

Vous êtes donc invités, frères, à contribuer à la croissance ces groupes de laïcs et à partager le charisme qui nous a été donné pour le bien de l'Église. Comme quelqu'un l'a joliment dit : «Le laïcat est prêt à écrire avec nous une page d'histoire.» Pour présenter plus clairement son identité, nous avons choisi d'appeler ce nouveau chapitre de notre histoire «le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste».

 

TROISIÈME PARTIE

LE MOUVEMENT CHAMPAGNAT DE LA FAMILLE MARISTE

HISTORIQUE

 

J'espère que les sections précédentes vous auront préparés à mieux situer le Mouvement Champagnat dans les événements qui se sont produits ces dernières années dans l'Église et dans le monde. Pendant cette période, les effets de la modernité et de la sécularisation ont eu un puis-sant impact sur la vie humaine. Ils sont à l'origine d'une prise de conscience des nouvelles condi-tions de vie et de la nécessité d'une nouvelle évangélisation dans laquelle le laïcat est appelé à jouer un très grand rôle. En ce temps postconciliaire, l'Eglise a commencé à redécouvrir sa dimension laïcale et à reconnaître la dignité, l'égalité, la responsabilité, la sainteté et la mission du laïcat. Dans le même temps, des laïcs ont ressenti le besoin d'une spiritualité plus profonde, d'une communion et d'une participation à la mission. La nécessité de les former et de les accompagner est devenue évidente. Ces circonstances nous ont poussés à revoir notre compréhension, nos attitudes et nos pratiques au regard de ce que, dans notre Institut, nous appelons maintenant la Famille Mariste.

Soit dit en passant, nous ne savons pas clairement où ni par qui le mot FAMILLE a été utilisé pour la première fois, pour désigner nos groupes de laïcs. On l'a attribué à nos frères d'Espagne et aussi à nos frères d'Australie. Curieusement, la plaque posée, en 1967, lors de la construction d'une aile au Pensionnat Saint-Joseph de Saint-Didier-sur-Chalaronne, en France, mentionne cette date comme étant le 150ième anniversaire de la «Grande Famille Mariste».

En 1955, le Conseil général approuva la création de l'Union mondiale des Fédérations et des Associations d'Anciens Élèves. En 1977, après plus de vingt ans d'expérience, l'Union commença les préparatifs du 8ième Congrès Mondial. La Fédération australienne, responsable de ce Congrès, avait mené une enquête mondiale pour recueillir les opinions sur la nature et la structure de «la Famille Mariste», et sur les futurs congrès mondiaux des Associations d'Anciens élèves. À cette époque des réserves furent émises sur l'efficacité de l'Union Mondiale. Alors que l'enquête faisait état de différentes idées quant à la nature et la structure de la Famille Mariste, les réponses soute-naient l'idée d'une famille mariste élargie dont les membres seraient les frères, les professeurs laïcs, les Anciens Élèves, les parents d'élèves, les parents et les amis des frères, le personnel de service, les secrétaires, les bibliothécaires, les concierges, etc. … Ce qui revenait souvent dans les réponses aux questions était une opposition à l'organisation de vastes rassemblements au plan international ou même national et un soutien aux petits groupes ou à des associations locales de la Famille Mariste. Les années suivantes, les Fédérations montrèrent peu d'empressement pour assumer la responsabilité de l'organisation des congrès de l'Union car cela demandait une forte organisation et des dépenses élevées pour un nombre réduit de participants, ce qui rendait très faible l'impact de ces congrès. Par la suite, la décision fut prise de suspendre, pour un temps, les activités de l'Union Mondiale et de réfléchir sur son avenir. Le Conseil général de l'Institut était au courant de la situation et pleinement d'accord avec cette décision.

Notre réflexion sur les groupes de la Famille Mariste au cours des années 70 ne venait pas tellement d'une approche théologique du rôle des laïcs, mais plutôt des faits nouveaux qui se pro-duisaient au sein du laïcat. C'est ainsi, par exemple, que des groupes de professeurs et de parents exprimèrent le désir de se joindre à la prière des frères, tandis que d'autres demandaient des jour-nées de retraite. Certains enseignants montraient un grand intérêt pour connaître plus à fond la philosophie mariste de l'éducation, la vision du monde de notre fondateur et la spiritualité des frères. Ils prenaient une conscience plus claire de leurs liens avec les frères et de la nature de leur communion avec eux.

Le Chapitre général de 1967, le premier après le Concile, entreprit un énorme travail d'ap-profondissement et de redéfinition de la vie et de l'œuvre maristes. Le résultat se trouve dans les nouvelles Constitutions, le Directoire et un bon nombre de Documents très riches. Le document sur l'Apostolat traitait la question des Anciens Élèves et des mouvements apostoliques, et lançait un appel pour établir un dialogue plus suivi et plus étroit avec les chrétiens vivant au milieu du monde. Un groupe de capitulants de 1976 voulut entreprendre une étude spéciale sur la Famille Mariste, vu les nouvelles réalités qui surgissaient et leurs conséquences bénéfiques pour l'Église et pour l'Institut. Le Chapitre, cependant, n'alla pas plus loin, absorbé qu'il était par d'autres sujets tenus pour plus urgents; d'aucuns pensaient sans doute que le sujet nécessitait plus de temps pour mûrir.

Le thème ressurgit à nouveau au Chapitre général de 1985. Ce Chapitre fut important comme l'avait été celui de 1967/68, car il avait la responsabilité de rédiger les nouvelles Constitutions et Statuts. Ce fut une tâche importante en soi et pour ceux qui y prirent part, surtout par la vision plus profonde que le Chapitre leur offrait de notre charisme. Cette vision eut une forte influence sur la réflexion des Capitulants concernant les aspects de notre vie, notamment l'apostolat. Concernant la Famille Mariste, le Chapitre parvint à la définition et à la description suivantes :

«La Famille Mariste, extension de notre Institut, est un mouvement où entrent des personnes qui se réclament de la spiritualité de Marcellin Champagnat. Dans ce mouvement, affiliés, jeunes, parents, collaborateurs, anciens élèves, amis, approfondissent l'esprit de notre Fondateur afin d'en vivre et de le rayonner. L'Institut anime et coordonne les activités du mouvement, en mettant en place des structures appropriées» (Statuts, 164.4).

Après le Chapitre de 1985, une commission du Conseil général fit une étude préliminaire du projet, intitulée «Le Mouvement de la Famille Mariste Champagnat». Ce travail achevé, le Conseil demanda à quelques frères de diverses nationalités de se joindre aux trois membres de la Com-mission du Conseil général pour constituer une Commission internationale afin de pousser plus loin la réflexion et d'établir les orientations et les grandes lignes nécessaires à l'établissement et à la vie des groupes de laïcs. Pendant trois ans, cette Commission eut des réunions et lança une consultation auprès des frères et des laïcs dans les Provinces. Un premier brouillon du document fut distribué pour recueillir des suggestions, suivi d'une seconde et d'une troisième épreuves qui retenaient les suggestions valables. Vous avez déjà reçu la version définitive.

Dans l'introduction datée du 16 juillet 1990 je présentais le document final comme un en-semble de grandes lignes. Nous avons opté pour un texte relativement simple, avec quelques idées essentielles qui laisse aux membres le soin de bâtir sur ces principes, à la lumière de leur expérience et de leur situation. Il s'agit d'encourager les groupes à décider de la meilleure organi-sation pour eux. Nous aurons tous beaucoup à apprendre des groupes à mesure qu'ils découvriront leurs besoins et leurs dons. 

L'EXPÉRIENCE D'AUTRES INSTITUTS

Nous sommes heureux de constater que d'autres instituts religieux ont une expérience dans le domaine de la formation et de l'animation des groupes de laïcs qui leur sont associés. Immédia-tement, nous pensons aux Tiers-Ordres, aux ordres séculiers des anciennes congrégations comme les franciscains ou les carmélites. Ces groupes de laïcs existent depuis des siècles et comptent aujourd'hui environ un million de membres. Dans la plupart des cas, ils ont eu des structures spécifiques et même une Régie de vie. Il est intéressant de noter qu'un grand nombre ont dû faire face au renouveau, un renouveau qui a souvent ressemblé à l'adaptation et aux changements que nous avons connus dans l'Institut, avec les crises et les difficultés personnelles qui les accom-pagnent.

Dans quelques cas, les Tiers-Ordres ont été réticents à abandonner des pratiques tradition-nelles et, en conséquence, ont souffert de certaines tensions. Il n'est pas surprenant que des groupes dont la spiritualité était depuis très longtemps tournée vers la vie intérieure personnelle et privée, aient éprouvé quelque tension face aux appels à entreprendre une action sociale. Un prêtre, animateur d'un de ces Tiers-Ordres, disait récemment que les groupes dont il était responsable, avaient beaucoup de mal à prendre leur autonomie comme laïcs. Ils se sentaient trop dépendants des membres cléricaux de l'Ordre. Ils éprouvaient donc des difficultés à faire l'apprentissage de leur indépendance et à assumer leurs propres responsabilités.

Peut-être avons-nous quelque leçon à tirer de cela. En premier lieu, il existe une pluralité et une diversité d'expériences vécues dans nos groupes, et ce sont des valeurs à préserver. Puis, nous devons bien prendre soin de respecter et d'entretenir le caractère laïc de notre famille reli-gieuse, dans ses structures, sa spiritualité et ses activités. Enfin, nous devons reconnaître qu'en présentant à nos groupes une vision plus large nous les inviterons à grandir en tant que personnes et comme groupe, ce qui n'ira pas sans quelques changements. La diversité de nos groupes est certainement une richesse mais elle entraîne aussi des différences dans la manière de voir et d'agir. Des membres qui se sont retrouvés ensemble avec le même sens d'appartenance peuvent avoir besoin de s'ouvrir à de nouveaux champs apostoliques. Des groupes qui ont mis l'accent sur l'action et la collaboration avec nous peuvent très bien avoir besoin de développer leur vie inté-rieure. Quels que soient le dynamisme et l'identité des divers groupes, tous sont appelés à la con-version du cœur avec tout ce qu'elle implique. Cela demande sagesse et délicatesse dans l'accompagnement.

Le père John Vaughan, Supérieur général des franciscains, parlant des Tiers-Ordres au Sy-node de 1987, signalait que par l'intermédiaire de ceux-ci, les laïcs prolongent et étendent à l'Église et au monde le charisme d'une famille religieuse au moyen de leur spiritualité et de leur engagement séculiers. La structure des ordres séculiers a sauvegardé le charisme du fondateur, en associant leurs membres à la famille religieuse dont ils reçoivent aide et conseil. Le père Vaughan souligne l'importance capitale du charisme, le caractère séculier des groupes et le soin apporté à la direction des groupes. Il nous rappelle également que les membres vivent et travaillent en communion avec leur pasteurs à l'édification de l'Église. Le groupe n'est pas en concurrence avec la paroisse et il n'a pas de vie indépendante de la paroisse; ses membres sont engagés à bâtir l'Église locale.

Comme nous l'avons vu précédemment, les fondateurs maristes avaient l'intention d'établir une branche laïque qui prit d'abord la forme du Tiers-Ordre de Marie. Le père Frank McKay, ancien animateur international du mouvement laïque des pères maristes en parle comme d'un projet très cher au cœur du père Colin. Il présente ce dernier comme un poète plutôt que comme un penseur, et bien que Colin ait eu une vision de l'avenir de ce mouvement, il n'en laissa pas de plan détaillé. Pierre-Julien Eymard qui en fut le responsable pendant les premières années de la Société voyait les membres du Tiers-Ordre comme des laïcs menant un genre de vie religieuse dans le siècle, ce qui ne correspondait pas exactement à l'idée de Colin.

Tout en reconnaissant la valeur de ce modèle, les pères maristes cherchent aujourd'hui à re-venir à la vision de Colin en formant de nouveaux groupes. Il est intéressant de remarquer qu'au-jourd'hui les vues et le langage du père Colin apparaissent comme prophétiques pour l'Église de la «nouvelle évangélisation».

Nous pouvons aussi considérer des groupes associés à d'autres congrégations religieuses proches de nous. Les Frères des Écoles Chrétiennes parlent de leur «expérience lassallienne» dont les communautés de frères sont le cœur et restent la «fidèle mémoire». Ils estiment important d'identifier et de présenter aux membres laïques de la Famille Lassallienne les traits caractéristiques de l'«expérience lassallienne» : son inspiration évangélique, son esprit de foi et de zèle, ainsi que d'autres aspects de sa spiritualité. Les frères accompagnent les membres laïques dans leur cheminement spirituel et leur offrent d'entrer dans les communautés éducatives.

Un trait remarquable du projet des frères de La Salle est la manière d'envisager la grande di-versité des groupes associés à l'Institut. Ils sont nombreux, chacun a sa valeur propre, mais ils n'en sont pas tous au même stade de développement. Certains critères sont invoqués quand il s'agit de déterminer quels groupes reflètent l'authentique «expérience lassallienne». Ceci se fait avec prudence et souplesse, en tenant compte des circonstances et avec le désir d'accueillir plutôt que d'exclure. Cette attitude est sage et révèle une ouverture qui respecte la valeur particulière de chaque groupe et qui encourage les frères accompagnateurs à savoir attendre et faire confiance, et à travailler à la croissance de leur groupe. En attendant, la fidélité à l'«expérience lassallienne» est au centre des préoccupations des frères.

Je pense que nous pouvons tirer profit de l'expérience lassallienne. La Famille Mariste existe déjà : ce sont toutes les personnes qui travaillent activement aux côtés des frères dans des tâches éducatives, dans des groupes de prière, des associations de parents ou d'élèves et en d'autres ac-tivités. Le Mouvement Champagnat ouvre de nouvelles possibilités. Nous devons veiller à ce que les règlements et l'organisation du Mouvement, qui sont nouveaux, ne soient une cause de décou-ragement pour des groupes qui ne seraient pas prêts à rentrer dans ses structures, si simples soient-elles. Les Constitutions parlent de notre vie mariste comme d'un cheminement. Il est juste que nous regardions la Famille Mariste de la même manière. Il me semble que le Mouvement Champagnat peut constituer une étape de ce cheminement que beaucoup de nos groupes n'ont pas encore fait et que d'autres ne feront peut-être jamais. L'Esprit n'est pas à court d'idées et il agit de bien des manières. Le Mouvement Champagnat en est une, mais elle n'est pas la seule, même dans la Famille Mariste.

Je suis également conscient du fait que le Mouvement Champagnat s'adresse à des gens de toutes cultures, chacun avec ses dons, chacun conditionné par son histoire et ses coutumes. Dans tel pays, il pourra y avoir des membres qui préfèrent des structures nettes et rigoureuses. Dans tel autre, les groupes préfèreront des structures plus souples. Toutes ces situations requièrent de la sagesse et de la créativité. Un bon jugement et de la souplesse sont nécessaires pour encourager les initiatives sans affaiblir l'authenticité de l'appartenance des groupes au Mouvement.

Quelques-uns parmi vous connaissent les Marianistes, Pères, Frères et Sœurs. Leur exis-tence même est la preuve de la force et des virtualités des groupes séculiers, puisqu'ils commen-cèrent d'exister comme mouvement laïque, en France, vers 1800. L'un des groupes laïques origi-nels devint congrégation religieuse, puis tendit petit à petit à dominer l'ensemble du mouvement. Ils se consacrèrent à l'éducation, et c'est seulement ces dernières années qu'ils sont revenus à ce qui était leur charisme originel, à savoir la promotion et la formation des laïcs.

Sans doute, ce parcours historique a influé sur les marianistes dans la création et le déve-loppement de leurs Fraternités Marianistes, car ils accordent une attention spéciale au maintien du caractère laïque du Mouvement. Et justement ici, la Vierge Marie est importante, comme laïque appelée à répondre au vouloir divin, participant à l'œuvre de la rédemption de toute l'humanité.

Chacun des nombreux mouvements laïques et ordres séculiers a un caractère, un esprit, dé-rivant de la famille religieuse autour de laquelle il s'est groupé, modelé par son but et par son ex-périence spirituelle propre. Dans cet ordre d'idées, je voudrais maintenant aborder certains aspects du Mouvement Champagnat. 

L'ESPRIT ET LA VIE DU MOUVEMENT CHAMPAGNAT

Je ne répéterai pas ici ce qui est exprimé dans le Projet de Vie du Mouvement, déjà publié. Mais j'ai estimé qu'il pourrait être réellement intéressant de développer un peu les notions de cha-risme, spiritualité, mission et communion, qui sont essentielles à la compréhension du Mouvement Champagnat.

Charisme

Le mot «charisme» tient son origine d'un mot grec qui signifie «un don gratuit». Saint Paul l'employait dans le sens d'un don gratuit de la grâce, de la part de Dieu. Dans sa très belle lettre aux Religieux écrite en 1971, le pape Paul VI employait cette expression, «charisme», à propos d'une grâce spéciale donnée aux fondateurs et fondatrices des Instituts religieux, cela en référence à une expérience spéciale de l'Esprit Saint dans leur vie. Aussi, quand nous parlons du charisme du Bienheureux Marcellin Champagnat, faisons-nous référence à cette expérience spéciale de l'Esprit Saint qu'il a eue dans sa vie et c'est cette expérience, cette grâce, qui est la source de sa spiritualité et de son zèle apostolique. C'est aussi cette grâce qui donne un caractère distinctif à notre Communauté religieuse : les Petits Frères de Marie.

La règle suprême de la Vie religieuse, et en fait de la Vie chrétienne, est la suite du Christ selon l'enseignement de l'Évangile (Evangelica testificatio, 12) de sorte que tous nos fondateurs et fondatrices sont des personnes évangéliques. Mais tout charisme authentique contient une certaine part d'originalité réelle et une initiative spéciale en faveur de la vie de l'Eglise; si nous considérons la vie des fondateurs et fondatrices, nous trouvons des approches spéciales de l'Évangile et une insistance particulière sur certaines valeurs évangéliques. Nous y trouvons également des types d'apostolat différents, répondant à des besoins différents, suivant les époques et les pays. Toutes ces choses font partie du charisme, ce don du Saint Esprit à l'Église et au monde. Chez Marcellin, nous en avons un exemple : la conscience qu'il a eue de l'amour de Jésus et de Marie pour lui.

L'Eglise nous enseigne que ce charisme des fondateurs, cette expérience de l'Esprit est transmise à leurs disciples et qu'il est de leur responsabilité d'en vivre, de le garder dans sa pureté, de l'approfondir et de le partager (Mutuae relationes, 11). Ainsi, chacun de nous, frères, dans le partage qu'il fait de cette grâce spéciale de l'Esprit Saint, a la joie et la responsabilité d'être fidèle à ce don, de la développer, de le partager; nous en sommes redevables à l'Institut, à l'Église et à tous ceux à qui nous sommes envoyés en mission.

A l'époque où nous vivons, on voit clairement qu'il existe des laïcs désireux de partager de mieux en mieux notre esprit, notre spiritualité et le dynamisme de notre vie, bref, le charisme du Bienheureux Marcellin Champagnat. L'Église reconnaît le fait et prévoit la possibilité pour les Insti-tuts Religieux d'avoir de telles associations; elle tient à ce que les caractéristiques fondamentales de chacune d'elles soient, avant tout, la fidélité au charisme de l'Institut religieux, et ensuite le droit et l'obligation de celui-ci de garantir l'authenticité de ce charisme.

Ainsi donc, comme je le disais dans ma lettre de présentation du Mouvement Champagnat, c'est une grâce et une joie pour les frères de voir le charisme de notre fondateur s'étendre dans le cœur des gens, y faisant jaillir de nouvelles sources de vie. C'est une bénédiction et une joie pour nous, frères et laïcs, de partager les mêmes richesses spirituelles et de vivre ensemble une aven-ture spirituelle et apostolique exaltante. C'est une bénédiction et une joie, surtout pour les jeunes qui sont l'avenir de la société et de l'Église, que de pouvoir trouver dans le Mouvement Champagnat quelque chose d'utile et de fécond pour leur croissance humaine et spirituelle. Il m'est arrivé incidemment de rencontrer quelques jeunes membres du Mouvement Champagnat : leur dyna-misme, leur connaissance et leur amour du Bienheureux Marcellin m'ont fait la meilleure impres-sion.

Nous encourageons le développement du charisme parmi les membres du Mouvement Champagnat, tout d'abord en le rendant transparent dans nos vies par notre propre fidélité à ce don, à cette grâce. Nous sommes aussi invités à identifier quelques-uns de ses éléments spécifiques : par exemple, l'amour envers Marie, mère et modèle, la compassion et le zèle, la simplicité, l'esprit de famille, l'enthousiasme pour le travail, l'amour des pauvres, une réponse pratique aux besoins des nécessiteux, et une attention spéciale au service des jeunes. Certes, l'ensemble du charisme est plus grand que la somme des parties qui le composent, et de toute façon, on ne peut le cerner dans une liste de caractéristiques. Le charisme est vivant dans les frères; ils sont, comme le dit si joliment le texte de l'expérience lasallienne «sa mémoire et son témoignage fidèle». 

Spiritualité

Le Mouvement Champagnat n'est, aucunement une façon de vivre la vie religieuse mariste «dans le monde», c'est une manière de vivre la vie laïque dans le monde. Un des problèmes qui affligent l'introduction des ministères laïcs dans l'Église est la tendance, en certains lieux, à clérica-liser le laïcat, comme si les responsables de communauté étaient de «petits prêtres» ou des «Re-ligieux dans le monde». Dans le Mouvement Champagnat, nous encourageons les laïcs à vivre pleinement leur baptême en tant que laïcs.

La spiritualité se définit par notre type de relation avec Dieu et par la manière dont cela in-forme nos autres relations essentielles, (avec nous-mêmes, avec les autres, avec la création). Il y a certains principes fondamentaux pour la spiritualité chrétienne : notre relation à Dieu est une con-séquence de l'initiative divine, Dieu est intimement présent en nous par l'Esprit du Seigneur Res-suscité et il est présent à nous tels que nous sommes; notre relation à Dieu est un processus de développement, ou comme on dit maintenant, une démarche, un cheminement. Que nous soyons laïcs ou religieux, il est important de mettre en valeur le principe que Dieu nous est présent, à nous tels que nous sommes. Il m'est présent, à moi tel que je suis, dans les circonstances précises de cet instant actuel de ma vie de religieux consacré. Il est présent au laïc dans les circonstances précises où se déroule sa vie. Ce principe est important et nous devons encourager les gens à reconnaître la présence de Dieu dans le vécu de tous les jours et non seulement au cours de quelques instants spéciaux qu'on pourrait appeler «spirituels». Vous savez que j'ai essayé d'insister sur la révision de la journée, que je considère comme une prière qui aide les frères à se rappeler ce principe. La perception de la présence de l'Esprit dans notre vie ordinaire est quelque chose de précieux et d'une importance capitale dans toute spiritualité authentique.

Pour le laïc, la spiritualité concerne l'approfondissement du sens de sa relation avec Dieu, dans l'histoire personnelle de sa vie, le mariage et la famille, les relations avec les autres, l'amitié, le travail, les loisirs, les soucis quotidiens, les réalités sociales qui nous entourent. Pour beaucoup, cela peut consister à trouver la présence de Dieu et à y répondre, au milieu d'un monde cloisonné et même chaotique, où ils sont tiraillés par des sollicitations de toute sorte, et des pressions sociales qui ne leur laissent pas le temps de réfléchir, un temps que nous, nous avons davantage. Que l'on pense aux jeunes mamans, par exemple. Il devient donc important, pour les laïcs, qu'ils sachent mener de paire la vie et la prière dans les événements comme ils viennent, dans les moments de défi ou de tristesse profonde, dans les moments de consolation et de réconfort, dans les joies et les douleurs, la gratitude, l'incertitude, la tristesse, le pardon et l'espérance. Ainsi, le laïc pratique ce que d'aucuns appellent la spiritualité du quotidien. Nous en avons tous vraiment besoin, comme le dit le trappiste contemplatif, Thomas Merton :

«Bien souvent, on pourrait remédier à l'inertie et à l'antinomie qui caractérisent la soi-disant «vie spirituelle» de beaucoup de chrétiens, par le simple respect des réalités concrètes de la vie quotidienne, par le respect de la nature, du corps, de son travail, de ses amis, de son environne-ment. Un faux surnaturalisme qui s'imagine que le surnaturel est une espèce de royaume platoni-cien fait d'essences abstraites complètement séparées du monde concret de la nature et opposées à lui, n'est d'aucun secours pour une authentique vie de méditation et de prière.»

Récemment, à Rome, j'ai eu le bonheur de rencontrer Patricia Jones, une jeune dame de Liverpool (Angleterre) engagée à plein temps comme laïque dans cet archidiocèse. Elle était du nombre des participants laïcs au Synode de 1987, sur les laïcs. Elle aime bien les frères, car la Province de Melbourne l'avait invitée, comme hôte international au Festival National de la Jeunesse en 1990, qui fut un succès. Dans son intervention au Synode, elle dit :

«Notre vie est le lieu où les réalités sacrées et les réalités terrestres sont inséparables, et le lieu où nous travaillons pour le Royaume de Dieu. Je demanderais que l'on affirme la valeur d'innombrables petits moyens, les multiples petits gestes et les petites actions par lesquels les laïcs luttent pour vivre leur foi dans le monde. Cette lutte, avec ses échecs et ses succès, c'est la vie même de l'Église et c'est une espérance pour le monde.»

Dans le Document Christi fideles qui suivit le Synode, fut effectivement insérée cette «affirmation» que Patricia Jones demandait; la voici, merveilleusement formulée :

«Devant les yeux de la foi s'ouvre un spectacle merveilleux : celui de tant de fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, précisément dans leur vie et leur activité de chaque jour, souvent inaper-çus ou parfois incompris, méconnus des grands de la terre mais regardés avec amour par le Père, sont des ouvriers qui travaillent inlassablement dans la Vigne du Seigneur. Mis en confiance et for-tifiés par la grâce de Dieu, ils sont les artisans, humbles mais grands, de la croissance du Royaume de Dieu dans l'histoire» ( N° 17).

Que ces paroles décrivent bien un grand nombre de laïcs que nous avons connus, y compris, pour la plupart d'entre nous, nos propres parents!

À cette «spiritualité du quotidien», le charisme apporte l'inspiration et les accents qui nous viennent de Champagnat : la perception de l'amour de Dieu pour nous, dans les événements de la vie, la franchise et la simplicité qui rendent nos rapports vrais, la pratique de l'esprit de famille, avec Marie comma mère et modèle, l'enthousiasme dans notre travail et le souci pour les besoins des autres, spéciale ment des jeunes.

Le père Ed. Keel, S.M. pense que notre théologie et notre spiritualité mariales devraient prendre plus en considération le fait que Marie était une laïque, mariée et mère de famille : elle s'adonna à un service d'amour des autres, parfois en payant de sa personne, comme à la Visitation et à Cana. Elle était présente de manière significative au point de départ de la mission de l'Église à la Pentecôte; elle a proclamé sans ambages sa foi et son espérance face à une situation politique d'oppression (Magnificat). C'est Marie, laïque, et non pas Pierre, prêtre, qui est la parfaite disciple de Jésus et l'archétype complet de l'Église. Ne perdons pas de vue non plus, la vie de famille à Nazareth, les années d'amour, d'espoirs partagés, de joie et de souffrance, la routine et le train-train des événements ordinaires de tous les jours. Nos membres laïcs connaissent bien par expérience cette réalité.

Le développement d'une spiritualité laïque mariste exige réflexion et formation. Rappelons-nous que nous sommes, en quelque sorte, au début de quelque chose de nouveau, et que nous avons bien des choses à explorer et à apprendre. De toute évidence, nous sommes face à un défi, mais, dans son essence, la tâche est celle des laïcs eux-mêmes. Le moyen c'est le partage, et la voie à suivre, le groupe.

Nous apportons notre esprit et notre spiritualité, nous mettons en commun notre amour de Marie et de Champagnat et nos soucis apostoliques; les membres laïcs apportent leur spiritualité, leur histoire, leur expérience et leur désir de partager. Je voudrais insister sur l'importance de cette connaissance et de ce partage mutuels, qui constitueront une expérience vraiment enrichissante pour tous. C'est quelque chose qui ne nous est pas toujours facile à nous, frères, habitués que nous sommes à notre rôle de professeurs; il nous faudra devenir élèves aussi. Comme je l'ai souvent dit, nous avons beaucoup à apprendre des laïcs, du point de vue spirituel. Récemment, un prêtre jugeait ainsi ses nombreuses expériences d'animation de sessions et retraites pour adultes de différentes classes sociales : «Il y a parmi les laïcs une richesse spirituelle vaste mais inaperçue. La plupart n'ont pas conscience de l'avoir parce qu'on ne les a jamais encouragés à découvrir ce trésor qui est en eux : au contraire, on les a portés à croire davantage à leur éloignement de Dieu qu'à leur aptitude à la sainteté.»

Les situations varient considérablement d'un endroit à un autre, et les gens sont à différents stades d'avancement; une sensibilité et un jugement spécifiques sont nécessaires pour déterminer quelle spiritualité nous serons appelés à partager et comment. Ceux qui ont travaillé avec des adultes savent combien il est important de répondre aux réels besoins du groupe, pour que ce que nous faisons vienne combler un vœu et donne au groupe le désir d'aller encore plus loin et plus profond. 

Mission

Il est vraisemblable que quelques-uns de nos membres laïques auront besoin qu'on les aide à apprécier leur caractère missionnaire. Beaucoup de gens encore comprennent que leur vocation est surtout personnelle et a un sens individuel; rien d'étonnant à cela, car dans le passé bien des mouvements véhiculaient ce genre de spiritualité dans l'Église. Il y a donc des gens portés à ac-corder plus de valeur à leur salut personnel qu'au fait qu'ils sont eux-mêmes envoyés en mission; ils considèrent parfois ce travail comme une tâche propre aux prêtres, aux religieux ou peut-être encore à des élites au sein du laïcat. Nos efforts pour élargir leurs perspectives peuvent très bien les conduire non seulement à un nouveau sens de la dignité de leur appel, mais également à une reconnaissance plus claire de la véritable «dimension missionnaire» de leur vie actuelle, les rendant capables d'une action cohérente avec cette expérience.

Il peut arriver, également, qu'à la vue de plusieurs groupes informels de laïcs déjà existants, nous nous soyons fait une conception plutôt étroite de la mission et du rôle du Mouvement Cham-pagnat. Beaucoup des laïcs dont nous parlons ici ont été amenés à s'associer aux frères pour leur donner un coup de main, pour les aider dans certains tâches particulières : services d'enseigne-ments et d'éducation, services de parents d'élèves engagés dans divers projets concernant l'école, voire, parfois, service de la prière pour nous et pour notre œuvre. Tout cela est d'un prix inestimable et doit être encouragé. Cependant, notre conception de la mission et du service au sein du Mouvement se veut plus ample et plus profonde.

Pour tous les chrétiens, religieux ou laïcs, ainsi que pour l'Église, la mission est unique, c'est la mission de Jésus Christ : accomplir la volonté du Père, réaliser l'unité entre le Père et l'Humanité et l'unité entre tous les hommes. Nos membres laïcs participent à cette mission de manière identique. L'Esprit Saint enrichit l'Église de divers dons, pour différents services. La vie religieuse est un don accordé à quelques membres de l'Église; le mariage en est un autre, et le célibat un troisième. Ces dons et ces fonctions dans l'Église sont complémentaires. La vie du laïc, par exemple, offre des possibilités de service que ne peut offrir la vie religieuse. Ainsi, le Mouvement Champagnat encourage et anime les laïcs dans leur propre façon de servir les autres, et non simplement à suivre les schémas de l'activité apostolique proprement mariste.

De fait, certains membres du Mouvement, comprenant mal son caractère apostolique, peu-vent se décourager. Pour la plupart des laïcs, l'apostolat commence dans la vie de couple et dans la famille; il en va de même de l'apostolat des membres du Mouvement Champagnat. Ils réalisent la présence de l'Église dans le monde séculier en prenant leur place dans la société, en rendant témoignage par leur vie chrétienne, en soutenant les valeurs chrétiennes dans le dialogue de la vie quotidienne et en recherchant le bien de tous et de chacun, par leur participation à la vie publique et sociale. Voilà les domaines que nous considérons essentiels comme champs d'action apostolique de nos membres laïcs. Comme le disait le cardinal Hume à la veille du  Synode de 1987, reprenant les idées de Lumen gentium, 33-35 :

«Il est très important de bien expliquer à nos fidèles que la vocation et le rôle du laïcat se si-tuent principalement dans l'exercice consciencieux des responsabilités familiales, et dans la con-duite de la vie quotidienne, au travail et en société.»

Parlant au cours d'une conférence organisée par le Conseil des Laïcs, Dolores Leckey, sans doute une des laïques catholiques les plus connues dans le monde, disait : «Puisque la famille est l'expression vraie de l'Église, on peut s'attendre à ce qu'il y ait un ministère au sein des foyers croyants. La prière, l'écoute et le conseil, l'instruction, le culte et la dévotion, les œuvres de miséri-corde, la mise en valeur des dons de chaque membre, le soutien et l'enrichissement mutuels, la prise en charge de certains besoins d'autrui, toutes ces activités ordinaires du chrétien révèlent le foyer comme étant une authentique Église domestique.» Combien cela est vrai!

Il pourra arriver que quelques personnes, et même des groupes, désirent jouer quelque rôle actif dans le travail des frères et participer, de près ou de loin, à notre apostolat direct. Sans doute, vous souvenez-vous de la lettre que je reçus des Animateurs maristes laïcs des Provinces espa-gnoles : ce texte disait le désir ardent de ce groupe de participer à notre travail dans la formation chrétienne. Il y a des groupes de professeurs dans nos institutions maristes qui occupent une place spécifique dans notre œuvre apostolique. Des laïcs ont donné de leur temps et de leur collaboration aux côtés des frères dans leur travail missionnaire. Un des espoirs que je caresse le plus est celui de voir à l'avenir se mettre en place et grandir un volontariat laïc engagé dans nos «missions», parce qu'il y a encore tant de besoins partout (Luc 10, 2). Les manières de participer à des tâches apostoliques sont nombreuses et j'espère les voir grandir. Mais il ne faut pas oublier que ce genre d'engagement apostolique ne constitue pas une condition essentielle pour faire partie du Mouvement Champagnat. Il est souhaitable que l'appartenance au Mouvement ravive chez ses membres la prise de conscience de la dimension apostolique de leur vie quotidienne et les aide à promouvoir une charité et une solidarité plus profondes. De même aussi, les membres âgés et ma-lades ont un rôle particulier à jouer, contribuant par leur souffrance et leur prière à la construction du Royaume.

L'option préférentielle pour les pauvres fait partie de notre charisme et doit être un trait signi-ficatif de la spiritualité et de l'orientation apostolique au sein du Mouvement Champagnat. Comme l'affirment nos Constitutions, l'amour des pauvres est un critère d'authenticité mariste. En aimant les pauvres, nous sommes fidèles au Christ et au fondateur (C. 34). Il est à espérer que, par le canal du Mouvement, nos membres développeront la solidarité envers les pauvres et trouveront de nouvelles manières possibles de servir les pauvres. Ainsi, le Mouvement les aura aidés à répondre à l'appel très clair qui vient de l'Église aujourd'hui.

Je suis convaincu que l'une des principales raisons pour lesquelles tant de personnes sont attirées par Marcellin Champagnat est qu'il était un homme de mission, un homme de grand zèle, un homme d'action, un homme qui voyait les besoins humains et spirituels du peuple, et sa dispo-nibilité pour répondre à ces besoins était sans limite.

Il y a quelques mois le pape Jean-Paul II, nous proposant un sens renouvelé de la mission, a adressé à chacun de nous un appel à ouvrir nos cœurs à l'Esprit Saint et à être volontiers des missionnaires du message de Jésus-Christ : la Bonne Nouvelle (encyclique Redemptoris missio).

Il a parlé de l'importance de la proclamation mais il a également bien indiqué que la première forme d'évangélisation est le témoignage. «L'homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres, l'expérience que la doctrine, la vie erres faits que les théories.»Soulignant que la première forme de témoignage est la vie même du chrétien, de la famille chrétienne et de la communauté ecclésiale, il poursuivait : «Le témoignage évangélique auquel le monde est le plus sensible est celui de l'attention aux personnes et de la charité envers les pauvres, les petits et ceux qui souffrent. La gratuité de cette attitude et de ces actions, qui contrastent profondément avec l'égoïsme présent en l'homme, suscite des interrogations précises qui orientent vers Dieu et vers l'évangile. De même, l'engagement pour la paix, la justice, les droits de l'homme, la promotion de la personne humaine est un témoignage évangélique dans la mesure où il est une marque d'attention aux personnes et où il tend vers le développement intégral de l'homme» (RM, 42). 

Communion

Au cœur du Mouvement Champagnat se trouve l'union entre frères et membres laïcs, notre communion dans le Christ vivant, «la réalité de l'union par ce lien qu'est l'amour» : «Qu'ils soient un, Père, comme nous sommes un, afin que le monde croie que tu m'as envoyé» (Jean 17, 27). Nous ne sommes pas simplement bons amis et bons copains les uns pour les autres; c'est quelque chose de plus profond, car nous sommes tous chrétiens, participants de la vie de l'Esprit et d'un don spécial de cet Esprit qu'est le charisme du Bien heureux Marcellin.

La communion, qui est l'élément de base de l'expérience chrétienne et mariste, suscite le partage communautaire; tandis que ce partage apporte encouragement et entrain, il devient aussi pour nous un excellent procédé d'apprentissage. Le Mouvement prévoit les moments où les groupes se retrouvent, moments importants pour que l'identité du Mouvement s'affirme et pour la participation des membres. Nous devons nous rappeler que, tandis que les membres des groupes deviennent de plus en plus autonomes, il nous incombe la responsabilité de leur offrir la présence fraternelle qui les aidera à incarner en eux le charisme dont nous sommes les dépositaires.

Comme je le soulignais tantôt, en parlant de cette participation de vie et d'esprit, il est impor-tant que nous comprenions et que nous estimions réellement que ce partage est réciproque. L'on donne et l'on reçoit, et les bienfaits obtenus sont communs aux frères et aux membres laïcs. Beaucoup parmi nous savent très bien combien nous y avons gagné.

Nous avons toujours tenu en grande estime l'ouverture, l'amitié, l'accueil, la simplicité, la compassion, le souci de l'autre, vertus caractéristiques de notre esprit de famille. Il est important que tous les frères accueillent avec chaleur dans leur vie les membres laïcs de la famille Mariste, que tous, sans distinction d'âge, apportent leur pierre à la construction de cette communion qui est le cœur et l'âme du Mouvement Champagnat.

Il y aura des moments où il sera profitable de réunir des groupes pour qu'ils se communiquent leurs expériences. Des relations de tout genre contribueront grandement à l'édification du Mouvement. Des animateurs seront à prévoir au plan provincial ou national, ainsi qu'une certaine collaboration au niveau de l'Administration générale. Cependant, les dispositions structurelles sont secondaires, et il est préférable qu'elles soient mises en place comme réponse à des besoins réels, vraiment ressentis par les membres, au niveau local.

Il va presque sans dire, mes frères, que le Mouvement Champagnat n'est en aucun cas éli-tiste. Vous savez bien ce que le père Champagnat aurait pensé d'une pareille idée! Le Mouvement Champagnat est une proposition faite à tout le monde sans distinction et il offre à tous les mêmes riches possibilités. Le Mouvement apparaît en réponse à une aspiration des gens d'aujourd'hui, et comme je l'ai dit, comme un moyen de développer la spiritualité et l'esprit de mission parmi les laïcs. Avec le temps, nous pourrons être amenés à nous ouvrir à d'autres perspectives, qui corres-pondent, dans l'Église, à des conceptions nouvelles : par exemple, le Mouvement Champagnat pourra-t-il prendre un caractère œcuménique ?

Il est important aussi d'éviter que ce Mouvement, qui est voulu comme un service offert aux membres de la Famille Mariste, ne devienne une cause de découragement pour certains de ses membres qui trouvent une plus grande satisfaction dans leur collaboration actuelle avec les frères. Certains ne se sentiront pas appelés à rejoindre le Mouvement Champagnat; ils ne devront pas sentir, pour autant, que celui-ci les exclut; ils n'en font pas moins partie de la Famille Mariste. Nous devrons donc faire preuve de tact en lançant le Mouvement Champagnat : il est extrêmement im-portant que nous évitions de laisser entendre qu'il y a une élite, une appartenance plus authentique, un petit groupe de privilégiés dans la masse. La réponse à ce problème ne réside pas dans une quelconque formule; elle repose sur votre propre bon jugement, la préoccupation et le respect que vous aurez pour tous ceux qui joueront un rôle à nos côtés, de différentes manières.

Je me référais à l'instant à la communion dans le Christ; elle s'étend bien au-delà du Mou-vement Champagnat. Le Mouvement n'est pas un ghetto, il doit être en communion avec l'Église. La nature des liens qui unissent les membres du Mouvement peut varier suivant les situations mais il doit toujours y avoir un climat d'ouverture et de collaboration. 

L'avenir

Vous avez reçu le document sur le Mouvement Champagnat approuvé par le Conseil général. La plus grande partie du texte, nous en sommes bien conscients, vient des frères, bien que des laïcs aient été consultés et aient participé à la rédaction finale du document. Nous comprenons tous que le document «définitif» c'est la vie qui le rédigera; il sera écrit avec le cœur des laïcs, leur foi, leur expérience vécue de la spiritualité de Champagnat. Ce modeste document ne constitue que les grandes lignes, les premiers pas sur un chemin que la Famille Mariste aura à parcourir à l'avenir. En le vivant, les laïcs contribueront à approfondir et à élargir l'intuition originelle et je suis, quant à moi, persuadé que, par leur vision et leur expérience, nous les frères, nous parviendrons à une compréhension plus profonde du charisme de notre fondateur.

Nous entrons dans une période spéciale de l'histoire dans laquelle on verra la redécouverte plénière du rôle des laïcs dans l'Église non seulement renforcer les efforts de «nouvelle évangéli-sation» mais encore promouvoir graduellement une Église plus simple et plus évangélique. Nous n'en serons que plus aptes à construire une nouvelle société humaine, une société fondée sur ce que le pape Jean-Paul Il appelle la nouvelle vertu chrétienne de solidarité et ainsi s'établira une «civilisation de l'amour». Et pour cela, nous avons besoin de cœurs généreux et ouverts, à la ma-nière de Champagnat, hommes et femmes rayonnants d'une joie apostolique, enflammés pour le Royaume. Comme je le disais récemment à un groupe de Provinciaux : «Frères, puissions-nous être tous des hommes rayonnants d'une joie apostolique, enflammés pour le Royaume. Une telle joie ne dépend pas de nos dispositions psychologiques ni de circonstances extérieures. Elle est un des fruits de l'Esprit; prions avec ferveur pour obtenir cette joie et cette passion apostoliques main-tenant… Au cœur de notre vie, il y a l'amour… Si cet amour est fort, alors nous serons des hommes rayonnants de joie, des passionnés, des ardents pour la mission; nous saurons faire preuve de créativité et d'audace dans notre mission.

J'aime ce témoignage d'une mère catholique; il me semble qu'elle et Champagnat se trouve-raient une parenté spirituelle :

«J'ai grandi à Londres pendant la seconde guerre mondiale. Après une nuit de bombarde-ment, on pouvait voir des magasins aux vitres de contreplaqué, sérieusement endommagés, mais arborant des posters où l'on lisait. «ouvert comme d'habitude». Je crois que le Christ dit la même chose, à vous et à moi, en cette fin du vingtième siècle. Faisons-en notre profit. Nous avons un don inappréciable, la foi; nous avons le christianisme, nous avons le Verbe fait chair. Poursuivons notre effort pour apporter la bonne nouvelle aux pauvres si nombreux partout dans le monde d'au-jourd'hui. Voilà ce que je désire continuer à faire, comme catholique, tout au long de cette décennie, sans grandes prétentions, mais au nom de Jésus de Nazareth, apportant l'espoir et l'amour à un monde qui en a si grandement besoin.»

Puissent ces sentiments être les nôtres, au moment où, par le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste, nous mettons au service de cette mission d'amour les dons les meilleurs et les plus féconds dont nous sommes les dépositaires.

Ce moment dans la vie du Mouvement exige de nous des tâches et des responsabilités spé-ciales : encouragement, accompagnement, formation et dialogue. Nous considérons le temps qui nous sépare du prochain Chapitre général de 1993 comme un temps d'essai; il va nous permettre d'acquérir de nouvelles expériences qui vont servir à leur tour pour la réflexion des Capitulants.

Nous mettons cette entreprise entre les mains de Marie. Notre famille mariste se regroupe en son nom et nous pouvons être certains qu'elle se réjouit des efforts que nous faisons pour associer de plus près les laïcs à notre vie et à notre mission. Bien que notre projet de Famille soit merveilleux, ce ne sera pas toujours facile : c'est ce que n'importe quelle mère pourrait nous dire. Prions pour que notre Bonne Mère prenne ce Mouvement sous sa protection toute spéciale et qu'elle accorde à tous les membres laïcs de faire l'expérience de l'amour et de la protection qu'elle n'a jamais cessé de nous montrer depuis le temps de La Valla. Faisons-lui don de tous les efforts que nous fournissons sans compter, pour promouvoir le Mouvement Champagnat.

 

Fraternellement vôtre dans les cœurs de Jésus, Marie, Joseph et Marcellin,

 Fr. Charles Howard

Supérieur général

 

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PRÉSENTATION

Chers amis de la Famille Mariste,

Je suis très heureux de vous envoyer ces lignes directrices pour l'établissement du Mouvement Champagnat. C'est le fruit de trois ans de réflexion et de vastes consultations.

A l'occasion des visites que je réalise dans les Provinces, j'ai souvent le privilège de rencon-trer des maîtres, des parents, des anciens élèves et d'autres amis des Frères qui se sentent attirés par la spiritualité du Père Champagnat et par son sens de la mission. Cette attirance a conduit quelques-uns parmi vous à vouloir s'engager à développer le même genre de spiritualité et le même sens de la mission dans leur propre vie de tous les jours, d'une manière en quelque sorte régulière et organisée. Pour cette raison et pour d'autres dont je parlerai plus loin, le Chapitre général de 1955 demanda le lancement et le développement du Mouvement Champagnat, à l'intérieur d'une Famille Mariste plus large.

Ce faisant, les membres du Chapitre s'efforcèrent de répondre à un appel très clair de l'Esprit qui interpellait les Frères à travers un certain nombre de médiations, dont deux sont tout à fait manifestes.

La première de ces médiations était l'appel de l'Église exprimé en particulier pendant et après le Concile Vatican II. Il y a vingt-cinq ans, le pape Paul VI affirmait : «C'est l'heure des laïcs». Plus près de nous, le Synode de 1987 sur la Vocation et la Mission des laïcs dans l'Église et dans le monde et l'Exhortation apostolique Christi fideles laïci ont répété l'appel du Concile Vatican II concernant l'engagement du laïcat dans la mission de l'Église.

L'autre médiation très claire est venue de vous-même et des gens comme vous qui avez manifesté le désir de participer à un mouvement où les membres pourraient alimenter leur vie de chrétiens en suivant la spiritualité de Champagnat. Vous avez manifesté cela de bien des ma-nières, souvent en paroles, et d'autres fois par votre remarquable esprit de collaboration avec les Frères.

Pour nous, les Frères, c'est une bénédiction et une joie de voir que le charisme du Fondateur grandit dans le cœur de beaucoup de personnes et fait jaillir de nouvelles sources de vie. C'est une bénédiction et une joie pour nous, Frères et laïcs, de nous sentir appelés à

•  partager nos richesses communes et à vivre ensemble une aventure

• spirituelle et apostolique passionnante. C'est une bénédiction et une joie spécialement pour vous, les jeunes, qui êtes l'avenir de la société et de l'Église, de pouvoir trouver dans le Mouve-ment Champagnat une réponse à vos attentes les plus profondes et un champ d'action pour votre générosité.

Nous espérons que ce document sera une aide et un guide pour unir les efforts des membres du Mouvement, pour fortifier leur croissance humaine et spirituelle, et pour raviver leur sens de la mission et leur sentiment d'être apôtres.

Il est facile de préciser les lignes de force du Mouvement Champagnat. Même si cela s'est fait avec des expressions variées, elles sont facilement reconnaissables dans la vie de quelques groupes et dans celle des personnes très proches de l'œuvre des Frères. Il y a par exemple, chez eux, le désir manifeste :

•   d'être des apôtres de Jésus dans leur milieu et leur état de vie,

•   d'aimer et imiter la Vierge Marie,

•   de chercher ensemble, réunis en petits groupes, à partager leur foi en Jésus-Christ et leur expérience de l'action apostolique.

•  de témoigner par leur vie de la spiritualité du Père Champagnat.

Vous savez que plusieurs de ces traits nous identifient avec une Famille Mariste beaucoup plus vaste que la nôtre, qui comprend les Pères Maristes, les Sœurs Maristes, les Sœurs Mission-naires de la Société de Marie, le Tiers-Ordre de Marie et nous-mêmes, les Frères Maristes, fondés par Champagnat. Dans quelques pays, nous maintenons des contacts très étroits avec les autres congrégations maristes, ce qui facilite des relations enrichissantes; dans d'autres pays, par contre, les Frères sont les seuls représentants maristes.

Permettez-moi de revenir sur le texte du document. Après bien des consultations à différents niveaux, avec la participation des laïcs et de Frères de diverses cultures, nous avons retenu un texte relativement simple contenant l'essentiel et qui vous laisse le loisir de bâtir sur ces principes, à la lumière de votre expérience et de votre propre situation. De concert avec la Province mariste à laquelle vous appartenez, vous pourrez vous-mêmes décider de l'organisation qui convient le mieux au groupe.

Même si les laïcs ont participé aux consultations et si l'édition finale du document a recueilli leurs avis, nous sommes bien conscients du fait qu'une grande partie de ce qui est dit ici vient des Frères. Nous l'avons fait de tout cœur, nous efforçant de vous offrir le meilleur de ce que nous pouvions vous donner. En même temps, nous pensons que «le document» final doit venir de votre cœur, de votre foi, de votre expérience, de votre pratique de la spiritualité de Champagnat, et de votre familiarité avec elle.

Je voudrais ajouter un dernier mot pour souligner quelque chose que vous savez déjà. Vous êtes les bienvenus dans «votre» foyer mariste. Depuis longtemps déjà vous l'habitez par votre manière d'être, de sentir et d'agir. Maintenant, vous avez choisi de vivre plus en profondeur la foi et l'apostolat, en devenant des Champagnat dans votre milieu, à commencer par votre foyer.

Soyez donc les bienvenus. Au terme de l'Année Champagnat, je vous reçois dans l'Institut comme un cadeau de notre Bonne Mère, et je vous bénis de tout mon cœur. Je souhaite que vous ayez la vie et que vous l'ayez en abondance.

Veuillez agréer mes salutations les plus fraternelles. 

Frère Charles Howard

Supérieur général

Le 16 juillet 1990.

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PROJET DE VIE

I. UN MOUVEMENT

 

1. Le Mouvement Champagnat : sa source et son inspiration

Aujourd'hui, de manière particulière, l'Esprit-Saint suscite chez les laïcs une réponse renou-velée à leur vocation de disciples de Jésus et à leur mission d'évangélisation du monde.

C'est ainsi que depuis plusieurs années de nombreux laïcs proches des Frères Maristes sol-licitent leur aide pour rendre plus profond et plus concret leur engagement chrétien de tous les jours. Ils veulent partager plus pleinement la spiritualité et le sens de la mission hérités du Fondateur, Marcellin Champagnat. 

2. Le Fondateur : Marcellin Champagnat

Marcellin Champagnat fait partie du groupe de séminaristes qui, en 1816, s'unissent pour fonder la Société de Marie. Leur but est de collaborer au renouveau de la mission de Jésus et de l'Église dans la période qui suit la Révolution Française.

Il a reçu la grâce d'un sens très fort de l'amour de Dieu pour lui; il se sent aimé personnelle-ment de Jésus et de Marie. Par ailleurs, il est très ouvert aux autres et à leurs besoins.

Aussi dès le début de son ministère, dans sa paroisse de La Valla, se rend-il compte du besoin criant d'éducation religieuse des pauvres paysans et spécialement des jeunes. En homme pratique qu'il est, il cherche le moyen concret d'y remédier. Un événement le lui fait découvrir; appelé au chevet d'un jeune mourant, il est frappé de sa totale ignorance de Dieu et de la religion. Il prend alors la résolution de réaliser sans tarder son intention de fonder une Congrégation de Frères pour donner aux enfants une instruction religieuse solide. C'est pour lui une obsession et on l'entend souvent répéter : «Chaque fois que je vois un enfant, j'ai envie de lui enseigner le catéchisme et de l'aider à comprendre combien Jésus-Christ l'aime.» 

3. Les Frères Maristes

C'est ainsi que le 2 janvier 1817, l'abbé Champagnat fonde l'Institut des Petits Frères de Ma-rie, Institut de religieux laïcs voués à l'éducation chrétienne des jeunes, spécialement ceux qui en ont le plus besoin. Il envisage son œuvre comme une branche de la Société de Marie. En 1863, le Saint-Siège approuve les Frères comme Institut autonome sous le nom de Frères Maristes des Écoles (F.M.S.). 

4. Le Mouvement Champagnat : naissance et fondation

En 1985, le Chapitre général des Frères Maristes lance un Mouvement de laïcs, le Mouvement Champagnat de la Famille Mariste, et le définit dans l'article 164.4 des Constitutions :

«La Famille Mariste, extension de notre Institut, est un Mouvement où entrent des personnes qui se réclament de la spiritualité de Marcellin Champagnat. Dans ce Mouvement, affiliés, jeunes, parents, collaborateurs, anciens élèves, amis, approfondissent l'esprit de notre Fondateur afin d'en vivre et de le rayonner. L'Institut anime et coordonne les activités du Mouvement, en mettant en place des structures appropriées.» 

5. Structure de base du Mouvement : la Fraternité

Les membres se regroupent en Fraternités pour partager et nourrir leur idéal commun.

La vie interne de chaque Fraternité est sous la responsabilité de ses membres eux-mêmes.

Le Supérieur général est le garant de la fidélité du Mouvement à l'esprit du fondateur et à la tradition mariste. 

6. Comment adhérer au Mouvement ?

Le Mouvement est ouvert à tout chrétien qui se sent plus particulièrement appelé à suivre Jésus sur les traces du Bienheureux Marcellin Champagnat.

La personne qui désire devenir membre du Mouvement Champagnat demande son admis-sion dans une Fraternité. Après un temps de préparation, elle est définitivement admise comme membre à part entière. 

II. AVEC MARIE ET CHAMPAGNAT

7. La spiritualité du Mouvement

La spiritualité du Mouvement, à l'image de celle de Marcellin Champagnat, s'enracine dans la foi en l'amour de Dieu pour les hommes et elle se développe et se fortifie en ses membres par le don d'eux-mêmes aux autres. Cette spiritualité est mariale et apostolique, comme le Père Cham-pagnat l'a si bien résumé dans sa devise : «Tout à Jésus par Marie.»

Elle est caractérisée surtout par :

– un amour fort et compatissant pour les autres et un grand dynamisme apostolique;

– l'aptitude à répondre aux besoins des gens par des actions concrètes;

– la simplicité;

– l'amour de Marie, Mère et Modèle;

– l'esprit de famille; – l'enthousiasme pour son propre travail.

Pour nous laïcs, dont la mission propre est de participer à la construction du Royaume de Dieu là où nous vivons et travaillons, cette spiritualité peut être un guide et une source de grâce. 

8. Cheminement dans la Foi

Guidés par le Saint-Esprit, nous apprenons à suivre Jésus de plus près dans sa vie d'amour pour son Père et pour les hommes.

A la suite de Marcellin, nous reconnaissons Marie comme la parfaite disciple du Christ, la croyante toujours attentive à la Parole de Dieu et disponible à ses appels. Elle est notre modèle et la «Bonne Mère» qui accompagne chacun de nous et la Fraternité tout entière sur le chemin de la vie de Foi. Avec confiance, nous nous tournons sans cesse vers elle, notre Ressource Ordinaire. 

9. Dans la simplicité du cœur

Nous apprenons aussi de Marie la simplicité du cœur. Avec l'humilité et la modestie, cette simplicité dans notre manière d'aller à Dieu et aux autres caractérise notre esprit mariste.

Elle nous invite aussi à faire le bien sans bruit. 

10. Un même cœur, un même esprit

«Qu'ils soient un, Père, comme nous sommes un, pour que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé» (Jn 17, 21). Cette prière du Christ pour ses disciples, le Bienheureux Champagnat la reprend dans son Testament spirituel : «Aimez-vous les uns les autres comme Jésus vous a aimés. Qu'il n'y ait entre vous qu'un même cœur et un même esprit. Qu'on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : Voyez comme ils s'aiment.»

Ces paroles nous invitent à vivre fraternellement entre nous et à rester ouverts et accueillants à ceux et celles qui désirent nous rejoindre. 

11. Unis dans la prière, la Parole et l'Eucharistie

La prière est un élément essentiel de notre propre vie spirituelle et de la vie de la Fraternité. Elle nous unit à Dieu et en Lui à tous nos frères et sœurs vivants et défunts.

L'écoute et le partage de la Parole de Dieu en Fraternité sont très importants pour la vie spi-rituelle et la mission du groupe.

L'Eucharistie, célébrée ensemble quand cela est possible, est pour nous source de grâce et de force.

Dans notre Fraternité, comme dans la vie de Marcellin Champagnat, la prière à Marie tient une place toute particulière. 

12. Engagement dans la mission de l'Église

Comme chrétiens participant à la mission de l'Église, et avec l'enthousiasme, la foi et la sim-plicité du Bienheureux Champagnat, nous essayons de communiquer l'amour de Jésus et de Marie aux gens parmi lesquels nous vivons et travaillons. Chacun de nous accomplit cette mission par son témoignage de vie évangélique mais aussi par la parole ou l'action quand l'occasion se pré-sente. Nous pouvons parfois être amenés à nous unir à plusieurs ou tous ensemble pour réaliser une mission particulière. 

III. UNE FAMILLE

13. L'esprit de famille : Nazareth et La Valla

Le foyer de Marie et Joseph à Nazareth est pour Marcellin Champagnat un modèle pour ses premières communautés. A La Valla puis à l'Hermitage s'épanouit un esprit de famille fait de sim-plicité, de confiance, de joie, d'oubli de soi, de pardon et d'entraide mutuelle. Dans notre Fraternité nous vivons ce même esprit. Il rend possible le partage de nos qualités humaines et dons spirituels, de notre foi et de notre prière et même de nos biens matériels si le Seigneur nous y invite.

Nous travaillons aussi à l'instaurer dans notre propre foyer, nos lieux de travail et dans la société. 

14. L'attention aux autres

Nous nous réjouissons des joies de chacun. Quand la maladie ou l'épreuve touche l'un d'entre nous, nous cherchons ensemble dans la foi et la générosité ce qui peut être fait pour l'aider.

La Fraternité passe parfois par des moments difficiles; chacun s'efforce alors d'être source d'encouragement et lien de communion.

La Fraternité nous aide à discerner autour de nous les besoins et appels et à trouver des moyens concrets d'y répondre comme a su le faire le Fondateur. Nous cherchons à porter remède aux causes profondes des situations de souffrance et d'injustice dans notre propre milieu et dans le monde. 

IV. AU SERVICE DU ROYAUME

15. La Mission : Apôtres et Témoins

Jésus, envoyé par le Père, est la source de tout apostolat. Dans l'Esprit-Saint, par le Baptême et la Confirmation, nous sommes tous appelés à prendre part à la mission de Jésus : révéler aux hommes le visage du Dieu-Amour et le sens de leur vie.

L'apostolat des laïcs est vraiment partie intégrale de la mission de l'Église tout entière. Chaque chrétien est appelé à réaliser sa mission dans son milieu de vie et de travail.

Notre Mouvement nous aide à prendre une conscience plus vive de notre propre mission de baptisé et à la réaliser. Cette activité apostolique non seulement contribue à la construction du Royaume mais aussi elle développe notre propre vie spirituelle et stimule la vitalité de la Fraternité elle-même. 

16. En famille

Notre famille est notre premier champ d'apostolat. Nous y entretenons le dialogue et le par-tage comme moyens d'y faire épanouir l'amour.

Nous procurons à nos enfants une éducation chrétienne qui prenne en compte le souci des autres. Nous aidons chacun à découvrir et à suivre la vocation à laquelle Dieu l'appelle. Nos enfants y apprennent à contribuer à l'harmonie et à l'unité d'un foyer et ils y partagent leur enthousiasme, leurs espoirs et leur idéal,

La prière en famille renforce notre union et nos remet avec confiance dans les mains de Jé-sus et de Marie. 

17. En Fraternité

Notre Fraternité est aussi pour nous un lieu où s'exerce notre mission d'amour et de service. Nous nous intéressons à la vie et au travail de chacun de nos frères et sœurs. Nous sommes at-tentifs à leurs besoins et, avec tact et bienveillance, nous leur apportons une aide concrète. 

18. En Société

Dans notre travail professionnel et nos diverses activités nous agissons toujours avec honnêteté, en esprit de solidarité et de service et avec un courage puisé dans la foi. Nous cherchons à vivre les valeurs évangéliques dans les réalités culturelles, sociales et politiques de notre milieu de vie.

En tout ce que nous faisons, nous gardons le souci de la formation chrétienne et de la justice, spécialement quand il s'agit des jeunes. Beaucoup de gens autour de nous souffrent sans es-pérance : familles désunies, jeunes désorientés, enfants abandonnés et tant d'autres. Nous cher-chons en Fraternité les moyens efficaces de leur venir en aide, chacun apportant sa part selon ses possibilités. 

19. En Église

Nous agissons en communion avec l'Église locale – paroisse et diocèse – et en collaboration avec les autres groupes et mouvements d'Église.

Des liens particuliers nous unissent aux autres branches et mouvements de laïcs de la So-ciété de Marie, qui partagent avec nous notre volonté de proposer Marie comme chemin d'Évangile. 

20. Par la Prière et la Croix

Conscients qu'»en vain travaillent les maçons si le Seigneur ne construit la maison» (Ps. 126), nous lui confions dans la prière notre vie et notre apostolat et nous apprenons à reconnaître sa présence d'amour dans tous les événements de notre vie même les plus pénibles. Si la maladie ou l'âge ne nous permettent pas une action extérieure, nous participons à la mission de tous par la prière et l'offrande de nos limites et de nos souffrances en union avec Jésus et Marie au Calvaire. 

21. Aux extrémités de la terre

«Tous les diocèses du monde entrent dans nos vues.» Des Fraternités peuvent s'engager à aider des missions éloignées. De même l'un ou l'autre d'entre nous peut être appelé par le Seigneur à se mettre au service d'une jeune Église en tant que missionnaire laïc. Nous nous réjouissons alors de partager ainsi la vision missionnaire et le zèle du Fondateur.

V. EN FRATERNITÉS 

22. Lancement d'une Fraternité

Une personne qui veut faire partie du Mouvement Champagnat rejoint une Fraternité, unité de base du Mouvement. Chaque Fraternité est autonome dans son organisation interne.

C'est le frère Provincial de la région ou le supérieur de District des Frères Maristes qui ac-corde ou éventuellement refuse à une Fraternité sa reconnaissance officielle. Ce Supérieur majeur peut aussi nommer un Frère pour être son délégué auprès du Mouvement et veiller à son animation spirituelle. 

23. L'animateur

En règle générale, la Fraternité choisit l'un de ses membres pour être, durant une période déterminée, responsable et animateur du groupe. Cet animateur veille à la bonne marche du groupe, à l'union de ses membres, au bon déroulement des réunions qui doivent être régulières et des autres activités.

Il veille aussi à ce que la Fraternité entretienne des relations cordiales avec la communauté locale des Frères et avec les autres Fraternités. 

24. Un corps vivant

Le Mouvement Champagnat est une réalité vivante. Il a souci d'admettre de nouveaux membres, mais surtout d'assurer leur développement et leur maturité maristes en leur offrant des moyens adéquats de formation.

Celle-ci comprend particulièrement : l'étude de la Bible et des grands textes de l'Église, de la théologie du Laïcat et des documents de l'Institut. Elle se réalise aussi au sein de la Fraternité par la réflexion à la lumière de l'Évangile sur les événements de la vie quotidienne. 

25. «Qu'ils aient la vie»

Les structures, les activités de la Fraternité sont au service de la vie de ses membres afin qu'ils réalisent au mieux leur vocation de chrétiens et leur mission propre dans l'Église et dans le Monde : être disciples de Jésus-Christ, ses témoins et ses apôtres pour porter la Bonne Nouvelle de sa vie et de son amour à tous ceux qui les entourent.

Partageant l'héritage spirituel du Bienheureux Marcellin Champagnat, nous réalisons cet idéal dans la famille de Marie, notre Mère et Modèle à un titre tout particulier.

  

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