Circulaires 77

Louis-Marie

1863-02-02

077

51.02.01.1863.1

 1863/02/02

 V. J. M. J.

N.-D. de Saint-Genis-Laval, le 2 février 1863.

Fête de la Purification de la Sainte Vierge.

   MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 Je profite de notre première Circulaire de cette année pour vous rappeler un de vos devoirs les plus importants, le devoir de la prière. Il n'est pas de lettre, pas d'instruction où nous ne cherchions à vous inspirer l'esprit de prière, où nous ne vous exhortons à le demander, à vous y former ; mais j'éprouve en ce moment un besoin tout particulier d'y revenir et de vous le recommander plus que jamais.

 C'est à l'occasion de la grande Fête de l'Immaculée-Conception de Marie que la pensée m'est venue de vous renouveler cette recommandation, et c'est sous les auspices de cette Vierge immaculée que, je vous l'adresse aujourd'hui. Puisse notre bonne Mère nous obtenir à tous la grâce insigne le don précieux de la prière, de l’esprit, de prière!

    Le bonheur de Marie sa gloire incommunicable, c'est d'avoir été appelée à la plus haute de toutes les dignités, la Maternité divine ; d'avoir été enrichie de toutes les grâces et de tous les privilèges que suppose et que demande cette dignité infinie ; mais son mérite, c'est d’avoir parfaitement correspondu à tous les desseins de Dieu sur elle, d'avoir apporté une fidélité inviolable et toujours croissante à toutes les grâces dont elle a été comblée. De telle sorte, M. T. C. F., que, le fruit propre et particulier que nous devons de l'Immaculée-Conception de Marie, celui qui répond le mieux à l'esprit de ce mystère, c'est la fidélité à la grâce, et surtout à la grâce insigne de notre vocation religieuse.

 Mais comment l'obtiendrons-nous cette fidélité, cette persévérance dont Marie nous donne un si bel exemple ? Comment mériterons-nous les lumières, le courage, la constance qui font qu'une âme, comprenant les desseins de Dieu sur elle, y correspond de toutes ses forces et se soutient, jusqu'à la fin, dans la voie de la vertu et de la perfection? C'est par la prière. Oui, M. T. C. F., prions, soyons des hommes de prière, si nous voulons, comme Marie, répondre à la sainteté de notre vocation ; être fidèles, comme Marie, aux grâces innombrables dont Dieu nous a prévenus et nous prévient chaque jour.

 I

  Prions d'abord pour obtenir la grâce de bien prier c'est peut-être ce que nous avons de plus pressant à demander tu bon Dieu. En général, nous prions assez, mais nous ne prions pas assez bien ; nous faisons les frais de beaucoup de prières, de beaucoup d'exercices de piété; mais, parce que nous y manquons d'attention et de dévotion, parce que nous ne les faisons pas avec les dispositions nécessaires, nous en retirons peu de fruit. Hélas ! dit un pieux et savant Evêque, ne devrions-nous pas mourir de honte d'être si attentifs lorsque nous prenons nos repas, lorsque nous sommes au jeu, lorsque nous traitons avec notre semblable, d'une affaire de néant ; tandis que, dans la- prière, qui doit nous fermer l'enfer et nous ouvrir le Ciel, dans la prière où nous traitons de nos intérêts éternels, avec la Majesté infinie de Dieu, nous nous laissons aller à l'ennui, au sommeil, à la. négligence, aux distractions ? Ah ! que nous agirions bien autrement si nous avions un rayon de lumière pour connaître la multitude et la grièveté (gravité) de nos péchés, la rigueur des châtiments qu'ils méritent, la colère du juge que nous avons offensé! Quelles ardentes, quelles éloquentes, quelles pressantes prières ne fait pas un criminel, en face du bûcher qui doit le consumer, pour fléchir son juge, pour obtenir sa grâce, ou du moins, pour faire adoucir sa peine ! Et nous, en face de la mort, en face du feu éternel, nous sommes distraits, nous sommes froids, insensibles ! Où est notre foi? où est même, notre raison?

 Il est certain, M. T. C. F., que si nous voulons y réfléchir avec attention, nous serons effrayés de nos négligences et de nos tiédeurs dans le saint exercice de la prière. Que de prières, que d'exercices commencés sans préparation, contre cette parole, ou plutôt contre ce précepte de l'Esprit-Saint : Avant la prière, préparez votre âme, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu ! (Eccl., XVIII, 23). Que de fois on passe, sans intervalle, d'une étude, d'une conversation, d'une action toute profane, du jeu même à l'Office, au Chapelet, à d'autres prières ! Que de fois on y arrive l'esprit tout dissipé, l'imagination tout égarée, sans former aucune intention, sans penser même à la présence de Dieu ! Par suite, combien de prières, combien d'exercices qui se font sans piété, sans dévotion, qui ne sont qu'une suite continuelle de distractions !

 Et comment se tient-on, trop souvent, dans les prières? Comment les fait-on? Comment plusieurs y répondent-ils? C'est pitoyable, m'écrivait, il n'y a pas longtemps, un de nos meilleurs Frères Directeurs, de voir comment un certain nombre de Frères se tiennent dans les prières, comment on laisse les enfants s'y tenir et y répondre, comment dans quelques Maisons, on les bredouille, on les précipite. Il suffirait de quelques minutes de plus pour que les prières se fissent avec la gravité et la modestie convenables, pour qu'on eût le temps de les réciter posément, de les bien articuler, d'en pénétrer le sens et de s'en nourrir eu les faisant ; mais non, il semble que nous voulions calculer les minutes et les secondes que nous donnons à Dieu, que nous ne puissions en finir trop tôt avec lui des besoins de notre âme et de la grande affaire de notre éternité. Quel aveuglement ! quelle désolation ! S'il est vrai que la prière soit l’œuvre de Dieu par excellence, et que celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment est maudit (Jér., XLVII, 10), que n'avons-nous pas à craindre pour tant de nonchalance et d’indévotion, pour tant de légèreté et de dissipation, pour tant de tiédeur et de négligence dont nos prières sont accompagnées?

 Je vous l'ai dit, à la dernière Retraite, M. T. C.F.  et, dans l’ardent désir que j’ai  de votre perfection et de votre salut, je ne crains pas de le redire encore, notre faible à chacun, le faible de la Communauté c'est le défaut d'esprit de prière, d'esprit de piété et de recueillement, d'esprit intérieur. Il faut donc nous unir tous pour le demander ; il faut faire de cette grâce insigne, de ce don précieux, une des fins principales de toutes nos prières, de tous nos exercices de piété, de toutes nos Communions, de tous nos travaux et bonnes œuvres de chaque jour. Demandons-le ensemble et les uns pour les autres, demandons-le avec instance et persévérance, demandons-le par le Cœur immaculé de Marie, notre bonne Mère. Nous sommes assurés de l'obtenir.

 La prière est une ressource si certaine dans tous nos besoins, un remède si efficace à tous nos maux, qu'elle trouve en elle-même sa propre vie, son propre remède, sa perfection. C'est en priant que nous obtiendrons la grâce de bien prier ; c'est par la prière que nous corrigerons tous les défauts qui se trouvent dans nos prières ; que nous arriverons à prier facilement, à prier constamment, à prier avec ferveur, à devenir des hommes de prière.

 Il en est de la prière, dit Rodriguez, pour la vie spirituelle, comme de la main à l'égard du corps. La main sert d'instrument à tout le corps et à elle-même en particulier ; elle travaille pour la nourriture, pour le vêtement et pour tous les autres besoins du corps, et elle travaille aussi pour elle-même car, si la main est malade, c'est la main qui la panse ; si la main est sale, c'est la main qui la lave ; et si la main est froide c'est, la main qui la réchauffe ; enfin, ce sont les mains qui font tout. La prière fait tout aussi dans l'homme, dans le Chrétien, dans le Religieux. C'est en elle et par elle que nous trouverons les remèdes à ces faiblesses, à ces langueurs, à ces inconstances, à ces défauts de toutes sortes qui se glissent, dans nos exercices de piété, et dont nous gémissons depuis longtemps. Dieu lui-même nous promet par son Prophète qu'il répandra l'esprit de grâce et de prière sur la maison de David et sur tous les habitants de Jérusalem (Zach., XII, 10), c'est-à-dire, sur la sainte Eglise et sur tous ses enfants, sur les Communautés religieuses et sur tous leurs Membres. Ne cessons donc pas de le demander, de conjurer le Seigneur de, réveiller parmi nous l'esprit de piété et de ferveur. C'est pour vous exciter a persévérer dans cette demande et ces supplications, que je continue a vous rappeler quelques-uns des motifs particuliers que nous avons de, prier, de nous adonner tout de, bon à la prière.

 II

  Prions pour répondre aux intentions de notre pieux Fondateur, et parce qu'en ce moment nous en avons un besoin tout particulier.

 Ce que le Père Champagnat avait le plus à cœur, c'était d'inspirer à ses Frères l'amour de la prière, de leur en faire comprendre la nécessité et les avantages, et de les former à ce saint exercice. Il regardait l'esprit de prière comme le point capital pour tout Religieux ; parce qu'à son avis, avoir l'esprit de prière, posséder le don d'une solide piété, c'est posséder toutes les vertus. Rien ne l'affligeait tant que de voir quelques Frères se relâcher dans la prière, manquer facilement leurs exercices, ou les faire avec négligence. Dans son ardent amour pour tous ses Frères, il ne pouvait ni revenir assez souvent ni insister assez fortement sur le besoin. qu'ils avaient de prier : car le bon Père ne concevait pour eux de paix et de contentement, de défense et de sûreté, de vertus et de succès, de persévérance et de salut que dans la prière et par la prière. Voilà pourquoi il a tant travaillé toute sa vie à leur inspirer la piété, à leur faire aimer la prière, à les prémunir contre tout ce qui pouvait les en détourner.

 Plein de cette vérité que le propre de l'homme c'est la faiblesse, c'est la misère, c'est le néant ; qu'il n'a rien, qu'il ne, peut rien, sans le secours de Dieu, ni pour lui-même ni pour les autres, le pieux Fondateur n'attendait que de la prière le succès de ses entreprises, et ne comptait que sur ce moyen pour sa propre, sanctification. C'est dans le sentiment profond de cette vérité qu'il répétait si souvent ces paroles du Prophète : Si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la construisent. Si le Seigneur ne garde lui-même une cité, c'est en vain que veille celui qui la garde (Ps., CXXVI, 1,2). Mais si la défiance que le bon Père avait de lui-même était extrême, la confiance qu'il avait en Dieu et dans la puissance (le la prière, était bien plus grande encore. Rien rie l'arrêtait, rien ne l'effrayait, rien ne l'inquiétait même, quand il avait reconnu la volonté de Dieu dans une affaire et qu'il l'avait confiée à sa bonté. « Je suis certain, disait-il, que nous serons exaucés d'une manière ou de l'autre, et que les choses, quoi qu'il arrive, tourneront à notre avantage : car nous avons prié, nous avons mis le bon Dieu dans nos intérêts, et si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? (Rom., VIII, 31).

  Combien, M. T. C. F., n'avons-nous pas besoin, en ce moment, d'entrer et de nous renouveler dans cet esprit de prière de notre pieux Fondateur ? Où trouver, en effet, notre salut et le salut de la Congrégation au milieu de tant de difficultés, notre sûreté au milieu de tant de dangers, notre soutien parmi tant de faiblesses, notre force contre de si nombreux et si puissants obstacles, sinon dans la prière? Qui conservera nos Ecoles et les fera prospérer ? qui déjouera la malice du démon et éloignera de nous les scandales ? qui nous ménagera de bonnes vocations et les conservera? qui gardera nos Frères et les rendra purs et chastes, malgré tous les pièges et toutes les tentations? qui les soutiendra et les consolera au milieu des épreuves et des combats? qui leur fera aimer et pratiquer l'humilité, l'obéissance, la pauvreté, l'exercice du zèle et du dévouement, nonobstant tous les sacrifices qui s'y attachent ? Il n'y a évidemment qu'une assistance continuelle et une bénédiction toute spéciale du bon Dieu ; et cette bénédiction, cette assistance de tous les jours, de tous les instants, de tous les lieux, de toutes les circonstances, la prière seule nous la méritera. Si donc nous aimons l'Institut, sinous voulons la conservation ci, la. prospérité de L'Institut, si nous sommes dévoués de cœur et d'âme à I'œuvre qui nous est confiée, laissons-nous toucher par cette considération, et redoublons tous de zèle et, de ferveur, d'exactitude et de fidélité dans la. prière, dans tous nos exercices de piété, afin de nous assurer de plus en plus le secours et l'assistance de Dieu, de mériter qu'il nous couvre tous, partout et en font,de sa toute puissante protection.

 Souvenons-nous que la prière seule nous fera faire le bien, selon cette parole du divin Maître : Celui demeure en moi, et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit (Jean. XV, 5). Quiconque est employé au service du prochain, au salut des âmes, ne peut leur être utile que par son union avec Dieu. L'instrument n'est propre à l'ouvrage pour lequel on s'en sert, qu'autant qu'il est uni à la main de l'ouvrier. S'il en est séparé et qu'il ne puisse être remué que de loin, son action devient très difficile, très imparfaite, presque nulle, et souvent, impossible. Tout le pouvoir, dit Saint-Jure, toute la force qu'avait la sainte Humanité de Notre-Seigneur pour opérer le salut du genre humain, venait de son intime Union avec  la Divinité. Sans elle, elle eût été faible c' estl'esprit, c'est, la Divinité, qui donne la vie et la force de vivifier ; la chair par elle-même ne sert de rien (Jean, VI,64). Mais, s'il en est ainsi de l'Humanité même de Jésus-Christ que pourra un Religieux, un Frère instituteur pour le bien de ses enfants, de quoi sera-t-il capable, S'il n'est pas en. communication avec Dieu, en union continuelle avec lui ? Or, ce qui nous fait communiquer avec Dieu, ce qui. nous unit à lui, c'est, la prière. Par elle, mais par elle seulement, nous deviendrons, entre les mains de Dieu, comme des instrument dociles, dont il se servira pour détourner du vice une multitude d'enfants, pour jeter dans leurs cœurs les premiers principesde la vertu, pour les mettre dans la voie du salut. Quel puissant motif de nous adonner à la prière, de bien fairetous nos exercices, de devenir solidement pieux ! « Soyez assurés, nous dit à tous le pieux Fondateur, que vous ferez plus de bien par la prière que par tout autre moyen. Priez surtout pour ceux de vos enfants qui sont les plus vicieux, pour ceux  qui vous donnent le plus de peine, pour ceux qui semblent avoir de plus grands besoins. J'ai toujours vu que les Frères qui prient beaucoup pour leurs enfants, en font tout ce qu'ils veulent. »

 III

  Prions, M. T. C. F., efforçons-nous de bien prier, pour conserver et fortifier parmi nous l'esprit religieux, le bon esprit. C'est à la prière, et tout spécialement à la prière, que Notre-Seigneur le promet. Y a-t-il parmi vous, dit-il, un père qui donne une pierre à son fils, lorsqu'il lui demande du pain? Et s'il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d'un poisson? Et s'il lui demande un œuf, lui présentera-t-il un scorpion? Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison voire Père céleste donnera-t-il le bon esprit etceux qui le lui demandent (Luc, XI, 11, 12, 13).?Ainsi, tout estpromis il la prière, selon cette autre parole du divin Maître : Quoi que ce soit que vous demandiez dans la prière, croyez que vous le recevrez, et il vous sera fait (Marc, XI, 24) ; mais telle est l'excellence, telle est la nécessité du bon esprit que Notre-Seigneur a voulu nous donner l'assurance spéciale qu'il serait accordé à tous ceux qui le demanderont. Il semble même, par les comparaisons dont il se sert, par l'insistance qu'il y met, que le Sauveur ne puisse assez nous exciter à le demander, nous inspirer assez de confiance de l'obtenir de la bonté de notre Père qui est aux Cieux. Unissons-nous donc tous, M. T. C. F., unissons nos prières et nos supplications, pour demander le bon esprit au bon Dieu, pour obtenir qu'il règne et se fortifie dans toute la Congrégation, qu'il règne et se fortifie dans chacune de ses Maisons, qu'il anime et dirige chacun de ses Membres.

 C'est déjà avoir l'esprit religieux, le bon esprit, que de le désirer, de le demander : car la prière, l'esprit de prière n'est pas seulement la source féconde, le principe certain du bon esprit, le moyen infaillible de l'obtenir; mais il en est encore le fondement essentiel et le principal caractère. « Ce n'est pas possible, dit le Père Champagnat, de s'entretenir souvent avec Notre-Seigneur par la prière, sans prendre son esprit, sans lui devenir semblable, par l'imitation de ses vertus. J'ai toujours remarqué que celui qui avait l'esprit de prière avait aussi l'esprit d'humilité, d'obéissance, de mortification, de charité, de zèle et de dévouement. Les Frères pieux font le bonheur et la consolation des Supérieurs ; et, quels que soient leurs talents et leur santé, ils se rendent utiles partout, parce que partout ils portent le bon esprit, et sont bénis de Dieu dans ce qui leur est confié. »

 L'esprit religieux, le bon esprit, c'est l'amour et l'estime de son état, le goût pour son état ; c'est une connaissance intime, affectueuse des devoirs qu'il impose ; un désir sincère d'avancer, d'exceller même dans les vertus qu'il demande ; un zèle et un dévouement soutenus pour les emplois qui lui sont propres. Mais tous ces sentiments et toutes ces dispositions, c'est l'esprit de prière qui les inspire, qui les soutient, qui les rend efficace Le Frère pieux, le Frère qui prie, aime toujours son état ; il l'aime comme son sort, son héritage, sa famille ; il en prend les intérêts et s'y dévoue; il ne plaint ni  temps ni peines, ni soins, pour assurer la prospérité, l'accroissement et la gloire de son état, de son Institut ; rien ne lui coûte, parce qu'il fait tout avec amour ; parce que son esprit dilaté, son cœur aimant et dévoué lui fait trouver un charme secret dans les travaux, les humiliations, les choses même les plus pénibles a la nature. C'est de l'esprit de prière que découlent la paix, le bonheur, le contentement dans son état, qui sont la marque infaillible du véritable esprit religieux, du bon esprit. Un Frère pieux est toujours content ; parce que sa joie est de Dieu et en Dieu, et que, parmi toutes les peines et tous les combats, il trouve dans la prière lumière et force, assistance et courage. Oh ! qui pourrait dire quel trésor immense de mérites, quel fonds inépuisable de consolations l'esprit de prière, la vraie piété apporte à un bon Religieux !

    Il y a plus, M. T. C. F., c'est que, selon la doctrine de saint Paul l'esprit de prière est l'esprit même de Dieu ; et voici dans quels termes le grand Apôtre l'enseigne aux Romains :Nous ne savons rien demander Comme il faut dans la prière mais c'est l'Esprit lui-même qui demande polir nous par des gémissements ineffables (Rom., VIII, 26). Avoir l'esprit de prière, c'est donc avoir l'Esprit même de Notre-Seigneur, l'Esprit de Dieu, le Saint-Esprit, le BON ESPRIT par excellence. Voilà pourquoi l'esprit de prière produit des fruits si merveil­leux dans un Religieux ; voilà pourquoi il corrige ennous tout ce qu'il y a, de défectueux, fortifie et perfectionne tout ce qu'il y a de bien. C'est l'Esprit-Saint qui agit lui-même dans un Frère qui prie, qui aime la prière oui, Dieu même qui opère sa réformation intérieure et extérieure.

 Il suffit, en effet, qu'un Frère se mette à bien faire ses exercices de piété, à prier, pour qu'aussitôt on voie ses de caractère, si légèreté, son inconstance, sa dissipation, sa vanité, la. dureté de ses manières, l'âcreté de son langage, ses oppositions à l'humilité, à la charité, à l'obéissance, tout ce qui, dans lui, s'écarte de l'esprit de Dieu, du bon esprit, diminuer peu à peu et disparaître bientôt. Non, je ne crains pas de le dire à tous les Frères Directeurs qui se plaignent de leurs seconds, qui ont a souffrir de leurs négligences, de leur indocilité : faites prier vos Frères ; tenez aux exercices de piété, ne souffrez pas qu'on les manque. qu'on les fasse négligemment, soyez-y toujours des premiers ; donnez à tous l'exemple de la piété,du recueillement, de la ferveur dans la prière. Si vous réussissez à les faire prier, à les rendre pieux, 'vous aurez trouvé le secret infaillible de les corriger de leurs défauts. L'esprit de Dieu, le bon esprit, s'emparant de leur âme, fera cesser lui-même tous vos sujets de plainte et de mécontentement.

Je le dis également à tous et pour tous : Aimez la prière, soyez des hommes de prière, et vous fortifierez, vous perfectionnerez tout ce qu'il y a en vous de bonnes qualités naturelles et de bonnes dispositions. L'esprit de prière, la piété donnera à vos pensées, à vos sentiments à toute votre conduite, une maturité, une solidité, une suite qui vous rendrons propres à tout bien. Avec l'esprit de prière, vous aurez, et plus de justesse dans l'esprit, etplus de droiture dans le Jugement, et, plus de force dans la volonté, et plus de générosité dans le cœur. La piété, dit saint Paul, est utile à tout, et c'est à elle que les biens de la vie présente et ceux de la vie future ont été promis (I Tim., IV, 8).

  Mais ce que vous aurez par dessus tout, avec l'esprit de prière, c'est le bon esprit de faire plus d'état de l'âme que du corps, de préférer l'éternité au temps, le Ciel et la terre, Dieu à la créature ; c'est le bon esprit, le bon sens par excellence, de vous sauver, de vous sauver à tout prix, et de subordonner à l'affaire de votre salut toute autre affaire, toute autre pensée, tout autre projet.

 L'esprit de prière donne essentiellement à tout chrétien, à tout religieux le bon esprit de se sauver ; et, par suite, il donne essentiellement à tout Religieux le bon esprit d’estimer et d'aimer son état, sa vocation, ses vœux, sa vie de dévouement et de sacrifices, de les préférer à tout, d'y tenir comme à son âme, comme à son éternité. Le bon Religieux, le Frère pieux sait que dans cet état, cette vocation, ces vœux, ces sacrifices, se trouvele moyen le plus sûr, le moyen le plus prompt, le moyen, le plus facile de parvenir au salut, et d'y parvenir d'une manière très excellente et très parfaite. Dès lors, il s'y attache de toute son. âme ; pour lui, salut et vocation, vocation et salut, c'est tout un : le salut comme fin, comme terme, comme but ; la vocation comme assurance, comme facilité, comme moyen. Rien au monde ne saurait lui faire oublier, négliger, compromettre, volontairement, en quoi que ce soit, la grande affaire de son salut éternel ; rien aussi, et par le même motif, ne saurait le détourner, le détacher du saint état qui doit faire réussir cette affaire unique et capitale. Voilà comment la piété, l'esprit de prière conduit un Frère à se fixer dans son état, ày trouver son repos parfait, sa tranquillité complète, à y concentrer toutes ses pensées, toutes ses affections, à s'y plaire et à y demeurer comme dans son élément, sans arrière-pensée, sans concevoir même la possibilité d'un autre état, d'une autre position.

 Et ne croyez pas, M. T. C. F., que l'esprit de prière et le bon esprit qui en est la suite, n'agissent que sur l'intérieur d'un Religieux, ne fortifient et ne perfectionnent que ses bonnes qualités d'esprit et de cœur ; ils agissent également sur tout son extérieur, et ils lui gagnent l'estime et l'affection de tout le monde. On ne se défend jamais d'estimer et d'aimer un Frère qui joint la vertu aux talents, la piété à la capacité, la modestie au succès ; un Frère qui relève, par l'amour de la prière, par une vraie piété, des moyens même fort ordinaires. Il y a dans ses paroles, dans ses manières, dans ses procédés, dans toute sa conduite, quelque chose qui plaît, qui attache ; parce que tout en lui respire le calme de l'âme, le contentement du cœur, la paix de la bonne conscience. Un Frère pieux et capable, un Frère en qui la science et les talents sont réglés et sanctifiés par l'esprit de prière, l'esprit de Dieu, est un trésor pour une Maison ; il attire tout à lui, Supérieurs et inférieurs, Frères et enfants. Comme il n'a pour tous que complaisance et charité, prévenances et bons offices, reconnaissance et dévouement, bons conseils et bons exemples, tous aussi sont remplis pour lui d'estime et de considération, de confiance et d'amitié, et même de respect et d'attentions.

  Mais, me direz-vous, peut-être, où trouver de tels Religieux? N'est-ce pas ici un portrait imaginaire et qui ne se réalise jamais parmi nous? Grâce à Dieu, il n'en est pas ainsi, M. T. C. F. Nous qui suivons toute la Congrégation, qui connaissons tous les sujets et toutes les Maisons, nous savons qu'il se trouve un grand nombre de Frères en qui une solide piété, et un excellent esprit relèvent les qualités naturelles et les talents les plus heureux ; nous savons que dans un grand nombre de Maisons, comme je le dirai plus loin, l'esprit de prière s'unissant à l'esprit de charité etde régularité, les Frères y trouvent à la fois et leur bonheur et leur sanctification. Mais ce que nous savons certainement et ce que nous ne craignons pas de vous assurer à tous, c'est que, si l'esprit de grâce et de prière dont parle le prophète, l'esprit de piété, se répand et se renouvelle parmi nous, les talents et la capacité ne nous feront pas défaut. Nous avons une foule d'excellents Frères, d'excellents jeunes gens, auxquels il ne faut que la piété, l'esprit de prière, pour devenir, dans notre spécialité simple et modeste, des hommes solides, des Frères capables, qui feront beaucoup de bien dans l'Institut, et qui, en goûtant ici-bas le bonheur et les consolations de la vie religieuse, s'assureront une très belle couronne pour l'éternité. Ce que nous savons encore et ce qui est également certain, c'est que dans toutes les Maisons où l'esprit de prière et le bon esprit régneront, il y aura contentement et prospérité, édification et salut.

 Non, je le répète, il n'est pas possible de dire tout ce qu'il y a d'excellent, de précieux dans l'esprit religieux, le bon esprit : de précieux pour chaque Frère, par la paix, le bonheur et le contentement qu'il lui procure ; de précieux pour chaque Maison, par l'union, la charité, le zèle et le dévouement qu'il y entretient; de précieux pour tout l'Institut, par la. ferveur et la régularité qu'il y conserve ; par l'accroissement, la bonne réputation et le succès qu'il lui assure. Or, c'est à la prière qu'est promis le bon esprit ; c'est la prière qui en est la source féconde, le principe certain ; c'est la prière qui lui sert de fondement essentiel, et qui en fait le principal caractère. L'esprit de prière et le bon esprit sont inséparables l'un de l'autre ; parce que l'un et l'autre sont l'Esprit même de Notre-Seigneur, l'Esprit-Saint, le BON ESPRIT par excellence.

    Il me semble, M. T. C. F., que je ne saurais-vous donner de motif ni plus fort, ni plus doux, ni plus pressant, pour vous porter à l'amour de la prière, à l'amour de vos exercices de piété, pour vous exciter àle faire, toujours avec, une exacte fidélité. Quoi de plus fort ! en effet, quoi de plus doux ! quoi de plus pressant ! que votre bonheur et votre perfection personnels, ici-bas et dans l'éternité ! que la prospérité et le succès de toutes nos Maisons ! que l'honneur, la Prospérité et la conservation de tout l'Institut ! Mais tous ces avantages, tous ces biens sont le fruit de la prière ; parce qu'ils sont le fruit du bon esprit, et que le bon esprit découle infailliblement de la prière. Soyons donc pieux, appliquons-nous de toutes nos forces à la prière, devenons à tout prix des hommes de prière.

 IV

 Prions encore, M. T. G. F., unissons-nous dans la prière, afin d'attirer le bon Dieu en nous et dans toutes nos Maisons. Je vous déclare, dit Jésus-Christ, que si deux d'entre vous s'unissent ensemble sur la terre, quoi que ce soit qu'ils demandent, ils l'obtiendront de mon Père qui  est dans le Ciel : car, ajoute le divin Maître, il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'eux (Matth.,XVIII, 19, 20).

 Il est donc de foi, puisque c'est la parole même de Jésus-Christ, si nous nous unissons deux ou trois, Pour prier, il sera au milieu de nous. Et qui pourrait dire tout ce que le Sauveur apporte de biens, de grâces, de paix, de bonheur et de vie partout où il va, partout où il demeure? Quand il entra dans la maison de Zachée : Aujourd'hui, dit-il lui-même, cette maison a reçu le salut (Luc, XIX, 9). Quand il joignit les deux Disciples qui allaient au bourg d'Emmaüs, et se mit à marcher avec eux : n'est-il pas vrai, se dirent-ils l'un à l'autre, que nous avions le cœur embrasé, lorsqu'il nous parlait en chemin et qu'il nous expliquait les Ecritures (Luc, XXIV, 15, 32) ? Quand Marthe, sœur de Lazare, vient dire à sa sœur Marie : Le Maître est venu et il vous demande, l'Evangile remarque qu'à cette parole, elle se lève promptement et court le trouver (Jean, XI, 28, 29). Sur quoi l'auteur de l'Imitation s'écrie : «Oh ! heureux moment auquel Jésus nous appelle! Que peut-vous donner le monde ensemble, si vous n'avez pas Jésus? Etre avec Jésus, c'est un paradis ; être sans Jésus, c'est un enfer. Celui qui a trouvé Jésus, a trouvé un trésor; ou plutôt il a trouvé un bien qui est au-dessus de tous les biens. Si Jésus est avec vous, il n'y a point d'ennemi qui puisse vous nuire. Quand Jésus est présent, tout est doux à l'âme, rien ne lui paraît difficile. Jésus seul suffit pour tout. »

 Or, c'est Jésus lui-même qui nous assure qu'on le trouve par la prière, qu'il est au milieu de ceux qui s'unissent pour prier ; et saint Ambroise, avec plusieurs autres Pères, applique ce passage, non seulement à la prière faite en commun, mais à la prière individuelle, à toute prière où, l'esprit s'unissant au cœur, l'âme s’unissant au corps, ils s'accordent ensemble sur la terre pour glorifier Dieu et lui demander ses grâces. Ne faudrait-il pas que nous fussions les ennemis les plus cruels de notrebonheur, pour nous refuser à prendre un moyen si  doux, un moyen si facile, d'attirer Jésus en nous et au milieu de d'être comblés en lui de toutes sortes de biens, de toutes sortes de consolations?

  Mais pour comprendre cette vérité, rappelons une autre parole du divin Maître à laquelle, peut-être, nous n'avons jamais assez réfléchi. Elle renferme aussi les motifs les plus pressants d'aimer la prière et de la bien faire. On lit au Chapitre 21 de saint Matthieu ce qui suit : Jésus entra dans le temple de Dieu, eten chassa tous ceux qui' y vendaient et qui y achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des pigeons ; et il leur dit : Ma maison sera appelée la maison de la prière, et  vous en avez fait une caverne de voleurs… En même temps, des aveugles et des boiteux vinrent à luidans le temple et il les guérit (Matth., XXI, 1,2, 13, 14).

 Qu’est-ce  à direque la maison de Notre-Seigneur appelée la maison de la prière sinon que partout oùon le prie, où on l'adore, où ou le remercie, où on le loue, où on l'invoque, il y habite comme dans sa maison.Quelle parole, M. T. C. F., quel mot dans la bouche de Jésus-Christ : MA MAISON ! Mais qui dit ma Maison,dit le lieu particulier et choisi où il demeure, où Ilsi, plaît à habiter ; le lieu où il a ses goûts, ses affections, ses habitudes, le lieu où il renferme ses biens, ses trésors, ses objets les plus précieux ; le lieu où il revient toujours, s'il s'en éloigne un instant ; le lieu où il prend son repos, ses joies, ses délices ; le lieu où il reçoit ses amiset distribue ses faveurs ; le lieu qu'il conserve avec le plus grand soin, qu'il se plaît à enrichir, à orner, à embellir dont il se fait honneur devant ses connaissances ; le lieu, enfin, qu'il préfère à tous les autres, qu'il défend contre tous ses agresseurs, et qu'il ne petit se résoudre à quitter.

 Si donc, nos diverses Maisons, nos Noviciats, nos établissements particuliers sont des maisons de prière, ils aussi comme autant de maisons de Dieu , comme autant de lieux bénis et privilégiés, où Dieu se plaira à habiter, où il prendra ses délices, où il répandra ses grâces et ses trésors, qu'il défendra contre tous leurs ennemis, qu'il embellira et enrichira sans cesse et où ses Anges et se plairont à résider avec lui.

 Oui, il en est ainsi de toute Communauté, de toute réunion, de toute maison où règne l'esprit de prière. Il faut le dire également, et à plus forte raison, de toute âme, de tout religieux qui s'adonne à la prière, qui persévère dans la prière. Dieu se plaît à visiter cette âme et à habiter en elle. Il s'établit entre elle et Dieu un saint commerce, de divin échanges, tous à la gloire de Dieu, mais tous à l'avantage et au plus grand profit du chrétien, du Religieux, de celui qui prie. En échange de ses adorations, de ses louanges, de ses actions de grâces, de supplications, il reçoit des secours, des consolations, des grâces de lumière et de force qui le transforment peu à peu et le rendent tout divin. Il devient sage de la sagesse de Dieu, saint de la sainteté de Dieu, fort de la force de Dieu, parfait de la perfection même de Dieu.

 En même temps, dit l'Evangile, des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple et il les guérit. Ces aveugles qui voient, ces boiteux qui sont redressés par la puissance et la bonté du Sauveur, et parce qu'ils viennent à lui dans le temple, sont l'image des innombrables aveugles et boiteux spirituels qui retrouvent la lumière et la force dans la prière. Que d'esprits aveugles trompés y sont éclairés et guéris de leurs erreurs! Que de volontés chancelantes et boiteuses y sont redressées, raffermies et fortifiées! Ô saint et admirable commerce de la prière, où la grâce remplace le péché, où le ciel s'échange contre la terre, le salut contre la damnation, la vie contre la mort. Dieu contre la créature, toutes les vertus contre tous les vices Où est notre foi ? disons-le de nouveau, où est notre raison ? lorsque nous dédaignons ces divins échanges, ces profits incomparables, ces biens et ces trésors que renferme la prière et qui doivent durer dans toute l'éternité ?

 Mais, pour la Communauté, pour le Noviciat, pour l'Etablissement où règne l'esprit de prière, quels sont les fruits précieux, quels sont les heureux effets de ce saint commerce avec le Ciel? « J'ai toujours vu, nous a  déjà répondu à tous le pieux Fondateur, que là où règne l'esprit de prière, là règnent aussi l'esprit d'humilité et d'obéissance, l'esprit de régularité et de mortification, l'esprit de paix et de charité, l'esprit de zèle et de dévouement, LE BON ESPRIT! Dieu est honoré, invoqué, prié et servi dans cette Communauté, dans cette Maison ; et, en retour, il la bénit, il la développe et la fait prospérer. Les enfants y accourent avec bonheur ; les Frères y sont contents et s'y conservent ; le bruit, la. vanité, la dissipation, l'esprit mondain en sont bannis ; le silence, le recueillement, la modestie, l'esprit religieux, le bon esprit en font la gloire et l'ornement. Elle est, pauvre peut-être, très pauvre ; on y est surchargé de travail, on doit y vivre de privations et de sacrifices ; mais n'importe, me disait un bon Frère vivant dans une de ces Maisons où la piété, la régularité le bon esprit tiennent lieu de tout et font supporter avec joie les plus rudes travaux : Nous nous trouvons si bien de la Règle, de nos exercices de piété, de nos Communions; nous sommes si unis entre nous, que le temps passe sans qu'on s'en aperçoive, et qu'on compte pour rien tout ce qu'on a à faire et même à souffrir.

 O Mes Très Chers Frères, en preuve de ce que je rappelle ici, je ne vous demande qu'une seule chose : faites l'essai de ce divin commerce avec Dieu, de cet esprit de prière, de cette vraie piété ; faites-en l'essai pour votre âme, pour votre esprit, pour votre cœur, pour votre volonté ; faites-en l'essai pour vos Frères, pour vos enfants, pour toute votre Maison ; devenez des hommes intérieurs, donnez-vous tout de bon à la piété; soyez unis à Dieu par de bonnes prières, par la sainte observance de la Règle, qui est la prière continuelle que Dieu nous demande, et vous saurez par votre propre expérience, vous goûterez par vous-mêmes, les délicieux effets, les merveilleux avantages de la piété, de l'esprit de prière que nous vous recommandons si instamment.

 V

 Je m'arrête ici, et je remets à plus tard de compléter ces considérations, et de vous dire, en m'appuyant sur la même sentence du divin Maître, ce que devient le Religieux qui ne prie pas, l'âme qui ne prie pas ; ce que deviendrait une Communauté, un Noviciat, un Etablissement où l'on prierait mal, où l'on ne prierait pas. Ces pensées et quelques autres que j'ai à vous développer, seront la matière d'une autre Lettre ; mais j'espère que vous trouverez suffisamment à nourrir votre piété, et à ranimer votre amour pour la prière, dans ce qui vient de vous en être rappelé. Voici ce que nous ferons tous pour en bien profiter :

 1° On lira cette Lettre en Communauté, à l'heure ordinaire, de la lecture spirituelle. On pourra la lire en deux fois.

 2° On en fera le sujet de douze méditations consécutives, qu'on prendra d'un astérisque à l'autre, en commençant par le Préambule, qui servira de sujet pour le premier jour, et continuant ensuite jusqu'au paragraphe IV inclusivement.

 3°Pour corriger le défaut de préparation avant la prière, les Frères Directeurs auront soin de donner toujours quelques instants, avant chaque exercice, polir que chacun puisse se recueillir, former son intention et ne pas s'exposer il tenter Dieu[1].

 Ne commençons jamais une prière, même celle de l'heure que tous, Frères et enfants, n'aient fait trêve avec l'occupation du moment, et, qu'ils n'aient pris une posture modeste et recueillie.

 4° Que tous s’efforcent de bien prononcer les Prières, de les réciter posément, de les bien articuler, de marquer la médiante à l'Office et d'avoir dans tous les exercices de piété une tenue très religieuse.

 5°De même que nous consacrons à Marie tous les jours et toutes nos pratiques du mois de mai, pour obtenir une parfaite chasteté ; tous les jours et toutes nos pratiques du mois d'août, pour demander la grâce d'une bonne mort ; nous lui consacrerons aussi, à l'avenir, fous les jours et toutes nos pratiques du mois de décembre, pour obtenir, par sa très sainte et très immaculée Conception, la fidélité à la grâce et l'esprit de prière.Nous donnerons ainsi une fin particulière à chacun des mois que, la Règle et l'usage consacrent à Marie, d'une manière  spéciale. Ce sera pour tous un nouveau motif de les passer très saintement, et, d'en profiter pour nous renouveler dans la ferveur et les vertus de notre état.   

Ne cessons jamais, M. T. C. F., de demander la piété, l'esprit de prière. Saint François d'Assise en faisait un si grand état, qu'il voulait que ses Religieux demandassent ce don plus que tous les autres. Lui-même, qu'il fût en repos ou en mouvement, dans le monastère ou au dehors, avait toujours, son esprit élevé vers Dieu, et ne cessait de le prier avec une affection toute de feu. Pensons de la prière comme en a pensé ce grand Saint estimons-la comme il l'a estimée, et que notre vie, comme la sienne, soit une vie toute de prière et d'union avec Dieu.

 

Voici la liste des Frères décédés depuis la Circulaire du 16 juillet dernier :

 Jacques-Jean-Baptiste,Postulant décédé dans sa famille, à Saint-Nizier-d'Azergue (Rhône), le 30 mai 1862., (Il a été omis dans la dernière Circulaire).

 F.Palmétius, Profès, décédé dans sa famille, à Valence (Drôme), le 5 août 1862.

F. Philémon, V. O., décédé à Chomérac (Ardèche), le 15 août 1862.

F. Sancté, Novice, décédé à Varennes-sous-Dun (Saône-et-Loire), le 17 août, 1862.

F. Amasius, V. O., décédé à Charècles (Isère), le 23 août 1862.

F. Anobert, Profès, décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 27 août 1862.

F. Numérien, Profès, décédé à Beaucamps, le 3 septembre 1862.

F. Vitus, V. O., décédé à Saint-Giniez (Marseille), le 12 septembre 1862.

F. Pius, V. O., décédé à Notre-Dame de Saint-GenisLaval, le 17 septembre 1862

F. Constant, Profès, décédé à Saint-Bauzille-de-Putois (Hérault), le 5 octobre 1862.

F. Armentaire, Profès, décédé à Varennes-sous-Dun (Saône-et-Loire), le 25 octobre    1862.

F. Arésus, Novice, décédé à Notre-Dame de l'Hermitage, le 13 novembre 1862.

F. Jovien, Profès, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 30 novembre 1862.

F. Genès, Profès, décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 18 janvier 1863.

F. Jean-Gualbert, Profès, décédé à Notre-Dame, de Saint-Genis-Laval, le 22 janvier 1862.

F. Mathurin, V. O., décédé a Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 29 janvier 1863.

 

Chaque fois que ces listes mortuaires nous sont envoyés, M. T. C. F., il faut qu'elles réveillent en nous un double sentiment : le sentiment de la piété, de la charité, de la compassion pour tous les Défunts, et en particulier pour ceux qui nous sont plus chers, nos Confrères, nos Parents et nos Bienfaiteurs. Qu'on soit très exact à faire les prières prescrites pour eux ; qu'on tâche de gagner et d'appliquer le plus d'indulgences possible au soulagement des saintes âmes ; et qu'on n'oublie jamais de leur donner une part abondante dans toutes les prières et bonnes œuvres de chaque jour.

 Le second sentiment que doit réveiller en nous la liste de nos Défunts, c'est un renouvellement d'amour et d'estime pour notre saint Etat, un désir nouveau et plus ardent d'y vivre et d'y mourir en saints, comme ceux de nos Confrères que Dieu appelle à lui. C'est le cas de nous redire le mot de saint Augustin : Pourquoi ne pourrais-je pas ce qu'ont pu, et ceux-ci, et ceux-là, ce qu'ont pu et ce que peuvent ces Confrères de mon âge, de ma Vêture, de nia Profession ; peut-être de même caractère, de même tempérament que moi ; certainement éprouvés, tentés comme moi ? Ils ont été courageux, ils ont été constants ils sont morts avec leur habit, leur cordon, leur croix avec leur vocation, leur vœu d'obéissance, leurs vœux perpétuels ; et les voilà pour jamais réunis aux aînés de la famille de Marie, avec le pieux Fondateur, aux pieds de notre commune Mère. Pourquoi ne serais-je pas courageux et constant comme eux ? Pourquoi voudrais-je me détacher de cette famille bénie de la Reine du Ciel, dont tous les membres sont marqués du sceau de la prédestination ? Oh! M. T. C. F., comme on se sent pénétré de ces pensées au spectacle de la mort de nos bien-aimés Frères, spectacle toujours renouvelé de piété, d'édification, de confiance et de joie! .

 Le bon Frère Genès a ravi tout le monde, à la Maison-Mère, par un redoublement de dévotion envers Marie, pendant toute sa maladie. Epuisé et n'en pouvant plus, il ne se lassait pas de dire et de redire son Chapelet, il l'a tourné dans ses mains jusqu'à son dernier soupir.

    L'excellent Frère Jean-Gualbert, toujours si pieux, si dévoué, si régulier, est mort dans l’acte même de l'amour de Dieu, en s'écriant : Mon Dieu, je vous aime ! Marie, je vous aime ! O mon Dieu que je Vous aime ! Son dernier soupir s’est exhalé avec ces élans de son cœur, et il nous est resté la figure tout épanouie, toute radieuse. Chacun croyait y voir un gage et comme un reflet anticipé  de sa future glorification.

    Quelques heures avant sa mort, le cher Frère Mathurin m'a fait appeler, en toute hâte par un des aumôniers et par un Frère infirmier. Et qu'avait-il, le bon Frère, de si pressant à me communiquer? — Ses grandes souffrances l'avaient forcé à cesser son Office depuis quelques jours, et il se reprochait de ne m'avoir pas demandé permission. – N'avez-vous que cela quivous inquiète, mon cher Frère? – Non, me répondit-il, je ne me rappelle rien plus !… Voyez dans ce Frère quelle délicatesse de conscience, de se reprocher un si petit oubli ! et quelle admirable pureté d'âme, de n'avoir à se reprocher que cela !

 Je parle de ces trois derniers Défunts, M. T. C. F., parce qu'ils viennent d'expirer entre nos bras ; mais nous aurions à vous citer de tous les autres des faits,des particularités aussi consolantes, aussi édifiantes. Le cher Constant, en particulier, a fait l'admiration de toute sa famille, de toute sa paroisse et des Frères qui l'ont assisté, par la piété et la ferveur qui ont marqué toute sa maladie et surtout ses derniers moments. Quelqu'un l'engageait une fois guéri, à rester auprès de ses parents : Ah ! Dieu m'en garde ! s'écria-t-il aussitôt. Si Dieu me rend la santé, je n'ai qu'un désir, retourner ma chère classe du Noviciat, à la Maison-Mère, aller faire tout ce que mes Supérieurs voudront de moi. Il demanda avec, instance qu'on ne laissât plus approcher de, son lit celui qui avait osé lui donner ce lâche et imprudent conseil.

  Voilà,   M. T. C. F., comment on meurt en. religion, quand on a vécu jusqu’à la fin en Religieux. Soutenons-noustous dans les peines et les travaux de notre saint Etat, par l'espérance et la perspective de cette fin bienheureuse et, redisons à ce propos avec les saints de lit Trappe :

Le plaisir de mourir sans peine,

Vaut bien la peine de vivre sans plaisir.

 Sans plaisir ! c'est-à-dire,sans faux plaisirs : car,au témoignage même de l'Esprit-Saint, les vrais plaisirs appartiennent essentiellement â la piété, à la vertu, et, n'appartiennent qu'à elles : L'affliction et le désespoir accableront l'âme de tout homme qui fait le mal… La gloire, l'honneur, et la paix seront le partage de tout homme quifait le bien (Rom., II.,9, 10).

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 Dorénavant, dans la récitation des Litanies de la sainte Vierge, on ajoutera avant l'Agnus Dei, l'invocation suivante : Regina sine labe originali concepta, ora pro nobis. C'est ainsi que cette invocation se fait depuis que l'Immaculée Conception de Marie est devenue un dogme de foi.

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 Je n'ai qu'à vous remercier tous du zèle et du dévouement que vous avez apportés à préparer la construction de la chapelle de la Maison-Mère. Grâce à vos efforts, nous avons recueilli la moitié a peu près de la dépense, qu'elle pourra occasionner ; et nous sommes résolus, dès que les plans seront suffisamment étudiés, de mettre la main à l’œuvre, avec ces premiers fonds.

 Pour arriver à réaliser les autres, nous continuerons à faire appel à la charité de nos Bienfaiteurs ; car, plus que jamais, l'Institut est dans l'impossibilité de les fournir lui-même, surtout avec la construction du Noviciat de Saint-Paul-trois-Châteaux, dont l'urgence est si grande. C'est dans ce but que vous êtes autorisés à offrir avec l'assurance des biens spirituels auxquels tous nos Bienfaiteurs ont part, le Portrait[2]et la Vie du pieux Fondateur à tous ceux qui voudront bien souscrire à no­tre pour une somme de 10 francs au moins. Je laisse au zèle et àla prudence de chaque Frère Direc­teur de provoquer ces souscriptions. Le cher Frère Procureur de la Maison-Mère, leur fera passer les exem­plaires de la Vie du Père Champagnat dont ils auront besoin.

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 J'ai Insisté fortement, dans les deux dernières Circulaires, sur la rigoureuse fidélité qu'on doit apporter, partout, aux prescriptions de la Règle concernant les rapports des Frères avec les enfants. J'y reviens encore aujourd'hui pour la troisième fois, et je vous redis à tous de ne vous en écarter jamais. Je redis et je recommande de nouveau à tous les Frères Directeurs d'y tenir absolument, et pour eux-mêmes et pour tous leurs Frères. Relisez avec attention et méditez bien, sur ce sujet, ce qui vous a été dit dans notre Circulaire du 16 juillet dernier.

 Pour éloigner de nous tout malheur, et pour obtenir qu'on n'ait jamais à nous reprocher ni sévices ni scandales à l'égard des enfants, nous ajouterons un Ave Maria au Salve Regina qui précède la prière du matin ; et, dans les maisons de Noviciat, on continuera à dire, à la même intention, les Litanies de l'Immaculée-Conception, tous les jours, à la suite de la messe de communauté. Ces pratiques se feront jusqu'à la prochaine Retraite.

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 Jevous transcris ici, en vous recommandant de vous y conformer, la lettre qui m'a été adressée, sous la date du 9 décembre dernier, par M. l'inspecteur d'Académie de Lyon.

 « Un avis administratif du 26 novembre dernier, dont je dois vous faire connaître l'objet, porte que MM les Instituteurs verseront chez le receveur général, ou chez les receveurs particuliers des finances, dans les villes où ces agents existent ; et dans les autres communes, chez les percepteurs, les sommes qu'ils auront recueillies dans leurs écoles pour le compte de la Société du Prince Impérial. »

 « Je vous prie de vouloir bien en informer les Frères de votre Ordre qui exercent dans le département. »

 Je vous recommande de nouveau, à cette occasion, d'éviter, avec le plus grand soin, tout ce qui pourrait nous attirer des difficultés avec les Autorités préposées à la surveillance de l'instruction publique. Vous devez mettre tout le zèle et tout l'empressement possibles à exécuter les ordres qui vous sont donnés.

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 Il me reste, M. T. C. F., à vous remercier des souhaits de bonne année que vous nous exprimez dans toutes vos lettres de janvier, et des prières continuelles que vous offrez au bon Dieu à notre intention. Nous voyons dans ces prières et dans ces vœux l'excellent esprit qui vous anime tous, et nous prions instamment le bon Dieu de resserrer de plus en plus ces liens réciproques de zèle et ,de charité, d'amour et de confiance, de dévouement et de soumission qui nous unissent en Jésus et Marie.

 Ce que je demande surtout pour vous, en ce moment, et ce que tous les membres du régime demandent avec moi, c'est qu'il plaise à la miséricorde du bon Dieu de répandre sur toutes vos Maisons et sur chacun de vous l’Esprit de prière dont, je vous ai entretenus dans cette Circulaire. La tendre affection, l’ardent dé­vouement que nousvous portons à tous nous fait dé­sirer sans cesse que vous soyez heureux, que vous soyez contents dans votre état, que vous soyez comblés en Notre-Seigneur Jésus-Christ de toutes sortes de biens et de consolations. Or, M. T. C. F., ces biens et ces consola­tions vous les trouverez infailliblement dans l'esprit de prière que nous demandons pour vous, et que je vous conjure do demander aussi pour nous.

    « Si Dieu note accorde la grâce de la prière, nous dit à tous le pieux Fondateur, il nous accorde par là même tous les biens ; car, ajoute le bon Père, on peut dire de la prière, de la piété, ce que Salomon dit de la Sagesse : Avec elle me sont venus tous les biens. » (Sag. VII. 11)

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis en Jésus et Marie, mes très chers Frères, votre très humble et très dévoué Frère et serviteur,

Frère Louis-Marie.

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[1] : Courte formule pour les actes préparatoires à la prière. C'est pour cous ci devant vous, ô mon Dieu ! que je veux faire celle prière (réciter cet Office, dire ce Chapelet, entendre cette Messe, etc.) : je vous l'offre pour obtenir (telle grâce), et pour vous  (telles personnes). Aidez-moi, ô mon Dieu ! à la bien faire, je renonce à toutes les distractions.

 

[2] :(1) Le Portrait en grand se tire en ce moment.

 

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