Circulaires 79

Louis-Marie

1863-12-08

51.02.01.1863.3

 1863/12/08

 V. J. M. J.

N.-D. de Saint -Genis -Laval, le 8 décembre 1863.

Fête de l'Immaculée-Conception de la B. Vierge Marie.

     MES TRÈS CHERS FRÈRES,

 Je devance le temps ordinaire de notre première Circulaire de cette année, pour vous rappeler, par écrit, les avis et les instructions que je vous ai donnés, de vive voix, à la Retraite, sur la ponctualité Il est d'une, extrême importance, pour le bien général de la Congrégation et pour le bien particulier de chacun de vous, que, dès ces premiers mois de la nouvelle année scolaire, vous vous efforciez tous de les pratiquer avec une exacte fidélité.

 Vous l'avez compris, M. T. C. F., et vous le comprendrez mieux encore par les réflexions que j'ai à vous faire, la régularité n'est possible que par la ponctualité. Si vous voulez être réguliers, il faut viser à être plus que réguliers ; il faut tendre et arriver à la ponctualité, qui est la perfection de la régularité.

 Or, être ponctuel, c'est observer la Règle dans tous ses points ; c'est n'en omettre, n'en négliger aucun, même de ceux qui paraissent plus petits. C'est, dans l'observation de la Règle, s'appliquer constamment à imiter Jésus-Christ, qui a exécuté tous les ordres de son Père, les plus rigoureux comme les plus faciles, les plus petits comme les plus grands, avec un tel soin, avec une telle exactitude, qu'il n'a pas omis la moindre circonstance de temps de lieu, de personne ; et qu'il nous assure qu'un seul iota ou un seul point de la loi ne passera pas que tout ne soit accompli (Matth., V, 18).

 Etre ponctuel, c'est, selon saint Basile, se  porter à l'accomplissement de la Règle, à l'obéissance, avec autant d'ardeur qu'un homme affamé se porte à apaiser sa faim, ou qu'un homme qui aime éperdument la vie, embrasse les choses qui peuvent la conserver. Encore, faut-il, ajoute le Saint, qu'on le fasse avec plus d'ardeur et d'empressement, puisque la vie éternelle qu'on mérite par l'obéissance, est infiniment plus noble, plus excellente, que la  vie temporelle. Le Religieux ponctuel, le véritable obéissant, dit saint Bernard, ne connaît pas les retards, il ne remet rien au lendemain, il est ennemi des lenteurs, il va au-devant du commandement; il dispose, sans cesse, ses yeux à voir, ses oreilles à entendre, sa langue à parler, ses mains à agir, ses pieds à marcher, selon que le demande l'obéissance: son être tout entier est comme sous la main, sous la volonté de la Règle et du Supérieur.

    Saint Ignace, parlant de cette ponctualité, demande qu'au premier son de la cloche, au premier mot du Supérieur, le Religieux soit aussi prêt et aussi prompt que si Jésus-Christ lui-même l'appelait : qu'il quitte tout alors, et qu'il n'achève pas même une lettre commencée. Telle était, au rapport de Cassien, l'obéissance, la ponctualité des anciens Pères du désert. Ils s'occupaient continuellement, dit-il, les uns à écrire, les autres à lire, d'autres à prier, à méditer, à traduire des livres, ou à travailler des mains ; mais à  peine avaient-ils entendu ou le son de la cloche ou la voix du Supérieur, qu'ils s'échappaient, comme à l'envi, de leurs cellules, pour voler où la Règle les appelait : préférant ainsi l'obéissance au  travail, à l'étude et même à la méditation, et à tous les autres exercices de piété.

 Les Saints portent plus loin encore la ponctualité avec laquelle un bon Religieux doit obéir à sa Règle et au Supérieur. Que tous, dit saint Ignace, fassent éclater leur obéissance, non seulement dans les choses d'obligation, mais encore dans toutes les autres, quand même ils n'auraient reçu aucun commandement exprès du Supérieur, et qu'ils n'auraient que quelque signe de sa volonté. La perfection de l'obéissance ne permet pas qu'on attende le commandement ; elle le devine, elle le prévient; il lui suffit d'un mot, d'un geste, d'un signe; elle a plutôt obéi, dit saint Bernard, qu'on n'a commandé. Elle est à l'heure, à la minute ; et, de même qu'un intendant fidèle tient, dans sa gestion, a ne pas se trouver en mécompte, même d'un denier ; ainsi, le parfait obéissant, le Religieux ponctuel tient à ne pas manquer, d'un point, d'un iota, à ce qui lui est commandé.

 Telle doit être notre exactitude, notre ponctualité dans l'obéissance, dans l'accomplissement de nos Règles. Dès que, la cloche ou la voix du Supérieur se fait entendre, nous devons dire, à l'imitation de Marie, notre Mère : Vous m'avez appelé, Seigneur, je suis votre serviteur, qu'il me soit fait selon votre parole ; nous devons couper court avec toutes les occupations, avec tous les attraits et toutes les répugnances, pour aller aussitôt, sans balancer, sans hésiter, sans différer, où nous sommes appelés.

 Prends ton fils unique que tu chéris, dit Dieu à Abraham, et va dans la terre de vision ; et là tu l'offriras en holocauste sur une des montagnes que je te montrerai. Quel commandement, M. T. C. F., pour un père tel qu'Abraham, à l'égard d'un fils tel qu'Isaac !… Quel ordre incompréhensible!… Et pourtant Abraham se levant aussitôt, même pendant la nuit, prit Isaac son fils et s'achemina vers le lieu où Dieu lui avait ordonné d'aller (Gen., XXII, 2, 3.)

 Levez-vous, dit l'Ange à Joseph, pendant son sommeil, prenez l'Enfant et sa Mère,  fuyez en Egypte, et demeurez-y jusqu'à ce que je vous dise d'en partir. Et Joseph s'étant levé, prit, cette nuit-là même, l'Enfant et sa Mère et se retira en Egypte, où, il demeura jusqu'à ce qu'un second ordre, donné et reçu comme le premier, le rappela dans le pays d'Israël (Matth. II.  13, et Suiv.). Là encore, que d'observations, que de réclamations semblent se présenter ! Il est nuit, c'est l'hiver, point de provisions, départ subit et imprévu, un Enfant nouveau-né une Mère jeune et faible, un pays idolâtre et inconnu, des chemins longs et difficiles, rien de déterminé sur la durée duséjour, et n'y aurait-il pas mille autres moyens de salut ?… N’importe, l'Ange, le Supérieur a parlé ; Dieu a parlé : Joseph obéit à l'instant, sans examiner, sans répliquer, n'écoutant que sa piété, sa foi, sa docilité. Quelle admirable obéissance ! quelle parfaite ponctualité ! Voilà notre modèle, M. T. C. F., voilà où nous devons tendre et nous efforcer d'arriver. C'est pour vous y encourager, pour vous y exciter de plus en plus, que je veux vous dire quelques mots du besoin que nous avons de la ponctualité, et des fruits précieux et abondants qu'elle produit.

 I

 Tel est le besoin que nous avons d'être ponctuels en tout, que, sans cela, on peut le dire, notre vie ne sera qu'un enchaînement de défauts et d'imperfections, de péchés même ; et qu'il n'y a ni ferveur et bon esprit, nivocation et solide vertu, ni ordre et discipline religieuse qui puissent se soutenir.

 * Les défauts et les imperfections, les péchés véniels, ne peuvent que fourmiller dans la vie d'un Frère qui n'est pas ponctuel. En effet, chaque fois que le son de la cloche, le timbre de l'horloge ou la voix du Supérieur l'appelle à quelque exercice, à quelque acte de sa Règle ou de son emploi, il a la certitude que c'est Dieu même qui l'appelle, qui l'invite, qui lui exprime sa volonté, son bon plaisir. Si donc il n'est pas ponctuel, s'il hésite, s'il diffère, il est évident qu'il résiste à la volonté de Dieu, qu'il se refuse à son invitation, qu'il néglige de se rendre à son bon plaisir. N'est-ce pas là un grand défaut, une grande imperfection? Et parce que ces résistances, ces refus, ces lenteurs se répètent à toutes les heures du jour, presque à chaque instant, puisqu'à chaque instant la Règle ou le Supérieur nous parle et nous appelle, la vie de ce Religieux négligent peut-elle être autre chose qu'un enchaînement de défauts et d'imperfections?

 Mais il y a plus ; le manque de ponctualité est encore très souvent, une source de petites fautes, une fourmilière de péchés véniels. Et la raison, c'est que nos lenteurs dans l'obéissance, nos hésitations, nos retards ne sont inspirés, pour l'ordinaire, que par la sensualité, par le caprice, par l'amour-propre, par la négligence. La nature, alors, la tiédeur, la nonchalance, la volonté propre, l'humeur, dominant en nous, présidant, pour ainsi dire, à l'origine de nos actions, de nos prières, de tous nos exercices, ils se font sans attention, sans motif surnaturel, sans dévotion ; ils se font dans la dissipation, dans les distractions, avec des vues et des sentiments plus ou moins défectueux ; de bons qu'ils sont en eux-mêmes, ils deviennent, par le vice de nos dispositions, indifférents, terrestres, tout humains; ils se trouvent entachés de fautes et de péchés. Oh ! que de pertes pour le Ciel ! que d’affaiblissements pour nos âmes ! que de matières pour les feux du Purgatoire ! C'est l'édifice de foin et de paille dont parle saint Paul, qui doit être consumé par le feu, et dont il faudra que le Religieux irrégulier souffre la perte. C'est à ce Religieux lâche et négligent qu'on peut appliquer ce que l'Apôtre ajoute que s'il ne laisse pas néanmoins d'être sauvé, il ne pourra l'être qu'en passant par le feu (l Cor., III, 12 à 15).

 * Le manque de ponctualité est donc une source de défauts, d'imperfections, de péchés véniels même; il est, de plus, la ruine de la ferveur et du bon esprit.

 Prendrons-nous la ferveur pour cette disposition de l'âme qui fait qu'on se porte promptement à tout ce que Dieu demande, qu'on l'accomplit fidèlement, malgré la peine et les dégoûts? Rien n'est plus directement opposé à cette disposition généreuse que le défaut de ponctualité, qui est, précisément, une lenteur et une nonchalance habituelle dans l'accomplissement de la volonté de Dieu, manifestée par la Règle et par les Supérieurs.

 Dirons-nous que la ferveur est ce sentiment du cœur qui fait qu'on goûte Dieu dans la prière qu'on se plaît à son service, qu'on aime à aller au-devant de ses moindres désirs? Le manque de ponctualité nous en éloigne davantage encore. Comment goûter Dieu dans la prière, comment le sentir dans nos exercices et dans le détail de nos actions, si nous vivons avec lui dans un état de résistance habituelle, si nous contristons si facilement son Esprit, si nous sommes si peu dociles, si peu souples aux inspirations de sa grâce !

 Non, sans ponctualité, on n'aura ni la ferveur, qui est une volonté forte, constante et efficace de plaire à Dieu, de servir Dieu, de contenter Dieu, jusque dans les moindres choses ; ni les effets de la ferveur, qui sont le goût, l'attrait, les consolations, que le prompt et parfait accomplissement de la volonté de Dieu peut, seul, nous donner.

 0n n'aura pas non plus le bon esprit. Avoir le bon esprit, c'est estimer et aimer la Règle; c'est la garder fidèlement, même dans les moindres points ; c'est aller, avec joie, avec promptitude, partout où l'obéissance, la charité, l'esprit de zèle et de dévouement peuvent nous appeler. Avoir le bon esprit, c'est être content et heureux dans son état, dans son emploi, et s'efforcer de rendre tous les autres contents.

 Mais les Religieux qui ne sont pas ponctuels, qui se font tirer pour obéir, qui ne sont jamais prêts à partir au signal donné, qui font tout avec lenteur, avec pesanteur, d'un air ennuyé et mécontent, ces Religieux-là ne sont pas heureux ; ils souffrent et font souffrir tout le monde : ils n'ont pas le bon esprit. Le bon esprit, comme la ferveur, ne s'obtient et ne se conserve que par l'exactitude, par la fidélité, par une généreuse et constante ponctualité. Il faut en dire autant de la vocation et de la solide vertu.

 * Trois motifs, M. T. C. F., m'ont porté à vous adresser cette instruction, qui n'est que le complément de celle que je vous ai donnée, plus tôt, sur la Régularité.

    Le premier, je vous l'ai déjà dit, c'est qu'ayant pro­mis à Dieu de travailler de toutes mes forces, tant que j'aurai la charge et le devoir du gouvernement de l'Institut à procurer le parfait accomplissement de la Règle, je veux, et tous les Membres du Régime veulent avec moi, que vous soyez bien prévenus, bien avertis, que nous y reviendrons en toute occasion, à temps et à contretemps ; que nous y tiendrons absolument, et que, selon les Constitutions, nous ne pourrons pas laisser à la tête des Maisons, les Frères qui n'entreraient pas franchement dans nos vues sur ce point capital ; qui ne nous seconderaient pas efficacement dans l'accomplissement de ce devoir, que nous regardons comme le devoir essentiel de tout Supérieur, à quelque titre et degré qu'il le soit.

    Le second motif, c'est que votre salut, votre persévérance dans votre vocation, l'accomplissement de vos Vœux, y sont essentiellement. Je vois plus que jamais que rien ne peut fixer dans leur état les Religieux déréglés, relâchés dissipés, mondains : ni l'ancienneté, ni les emplois, ni les services reçus et rendus ; ni aucune considération, je ne dis pas, de foi, de piété, de salut, mais même d'honneur, d'intérêt, d'amitié, de reconnaissance, pas même de parents et de famille. A force d'irrégularités, d'infidélités, de négligences, un Religieux s'use tellement, se dessèche à un tel point qu'il n'est plus saisissable par aucun côté. Son esprit se ferme à toute réflexion, à tout raisonnement ; son cœur, à tout sentiment ; sa conscience, à tout remords ; et sa volonté revêt une dureté, une raideur, une inflexibilité, que rien ne petit faire changer. C'est ce second motif, hélas ! trop appuyé, trop confirmé par l'expérience, qui m'oblige, qui nous oblige tous, à tenir au parfait accomplissement de la Règle, à la ponctualité.

 Le troisième motif n'est pas moins fort moins important et il ne nous touche pas de moins près : c'est l’obligation stricte, rigoureuse, que nous avons contractée par la profession religieuse, de tendre à la perfection aux solides vertus. Or, la ponctualité en est le moyen infaillible et nécessaire.

 La première condition, la condition essentielle de toute véritable obéissance, c'est la ponctualité. Quelle obéissance, en effet, pourrait-il se flatter d'avoir, celui qui ne se rend pas à la voix de son Supérieur, à l'appel de la Règle ; qui donne à la volonté propre, à la paresse, les prémisses et comme l'âme de toutes ses actions, n'en laissant à Dieu que les restes et, pour ainsi dire, la partie grossière et matérielle, l'acte purement physique ?

 Ne se met-il pas, d'ailleurs, par ces retards, par ces lenteurs, dans l'impossibilité d'obéir, de faire ce que la Règle lui prescrit? C'est l'heure de l'Office, la cloche l'annonce. Vous ne le commencez pas, vous laissez passer cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure, ou même davantage. Cependant, vous voulez faire cet exercice, vous ne voudriez pas manquer votre Office; mais vous ne le pouvez plus qu'au détriment d'un autre exercice qui vous est également commandé. L'heure que vous donnerez à l'Office, vous la devez à l'étude de la Religion, à la préparation du Catéchisme; et ainsi, d'un côté ou de l'autre, il y aura manquement à la Règle, désobéissance : tant Il est vrai que l'obéissance parfaite n'est possible que par la ponctualité, par le soin de faire chaque chose en son temps, sans devancer ni retarder.

 Et la véritable mortification, qu'est-elle autre chose pour nous qu'une entière et constante ponctualité? Rompre avec le jeu, la conversation, la promenade, le repos, le sommeil, l'étude rompre avec une bonne œuvre même, mais non commandée ; rompre promptement, rompre entièrement ; laisser tout, et tout de suite, pour aller, pour courir où Dieu nous appelle; pour faire ce qu'il commande, ce qu'il conseille, ce qu'il désire, voilà notre véritable, notre souveraine mortification. Ce n'est pas la haire et le cilice, ce ne sont pas les jeûnes et les macérations que Dieu attend de nous et qui nous rendront parfaits ; c'est, le soin de faire chaque chose en son temps, en son lien et de la manière que Dieu le veut, que la Règle le veut ; c'est une parfaite et constante ponctualité. Oh ! que cette mortification de tous les jours, de tous les instants, est excellente ! qu'elle est grande et héroïque ! Il n'y a que la parfaite charité, le pur amour de Dieu, qui puisse en donner le courage et la faire pratiquer avec constance. Oui, la charité, l'amour de Dieu, qui est le fruit certain d'une parfaite ponctualité, en est aussi le moyen indispensable. Ce que l'Eglise fait dans la consécration de ses temples, en frottant toutes les croix avec les saintes huiles, nous avons besoin, dit saint Bernard, que Jésus-Christ le fasse dans nos âmes, en adoucissant, par l'onction spirituelle de sa grâce et de son amour, toutes les peines de la Règle, toutes les croix qu'elle nous impose.

 Aussi, l'amour de Dieu qui peut, seul, nous soutenir dans l'exacte observance de nos Règles, trouve-t-il lui-même, dans cette héroïque fidélité, son grand et principal aliment. Point d'exercice plus excellent, plus efficace d'amour de Dieu, de charité, que la parfaite ponctualité ; point de voie qui nous y même plus sûrement, plus promptement. C'est l'entière fidélité à la Règle, c'est la ponctualité en tout, qui soumet et unit sans cesse notre volonté à la volonté de Dieu; c'est elle qui nous fait accomplir à tout instant les deux grandes lois de l'amour divin, du parfait amour : éviter avec soin tout ce qui peut déplaire à Dieu, même légèrement; faire avec empressement tout ce qui lui est agréable.

 * Ainsi, M. T. C. F., vous le voyez, il n'est pas possible, sans la ponctualité, d'acquérir les solides vertus, d'assurer notre persévérance, de tendre et d'arriver à la perfection que nous avons vouée à Dieu. Il n'est pas possible non plus de conserver l'ordre et la discipline dans nos Maisons. C'est la pensée du sage Rollin. Le moyen qu'il donne pour connaître l'état d'un collège, d'une maison d'éducation, c'est de s'y trouver à la fin des récréations, quand la cloche appelle à l'étude ou à la classe. Si alors, les conversations cessent complètement, si les jeux disparaissent à l'instant, si tous se, mettent à l'ordre et au silence, si tous se rendent promptement au lieu de l'exercice, on peut dire, sans craindre de se tromper, que ce collège, que cette maison va bien, que les études s'y font bien, que les classes sont fortes, que l'esprit est bon, que la moralité est assurée, que les jeunes gens reçoivent là une bonne éducation. Mais si la voix des maîtres, si le son de la cloche ne sont pas entendus, ne sont pas compris ; si les jeux et les conversations se prolongent, si l'ordre et le silence ne s'établissent pas, craignez. Craignez pour les études, pour les classes, pour l'esprit ; craignezmême pour la moralité car, où il .n'y a pas de discipline,il n'y a pas de progrès possible, il n'y a pas de vertu assurée., il n'y a pas de véritable éducation.

    Et n'est-ce pas la même remarque que nous faisons dans nos Maisons? Voyez cet Etablissement où la ponctualité est comme inconnue, où  rien, presque rien, ne se fait à l'heure, qu'y trouvez-vous? Quelle piété? quelle vertu? quel ordre? quel progrès.

 Parmi les Frères, la légèreté, la dissipation, la tiédeur. Des exercices omis, tronqués ou mal faits. Point de silence ni de recueillement. Point d'études, point de préparation de classe ni de catéchisme. Tout traîne, tout languit, tout dépérit, pour le temporel, comme pour le spirituel.

 Parmi les enfants, manque d'ordre et de discipline, Devoirs mal faits, écritures négligées. Peu de soumission, peu d'émulation, progrès nuls ou très faibles. Hélas! trop souvent, tenue et conduite très équivoques.

 Il est d'expérience qu'on ne donne du goût aux enfants, qu'on ne les plie au travail, à la discipline, qu'on n'établit et qu'on n'entretient parmi eux l'émulation, que par une constante et parfaite exactitude. Tout faire à l'heure, à la minute, les entrées les sorties, les prières, les leçons, les devoirs, tout faire dans le plus grand ordre, dans la plus grande propreté ; le faire constamment, ponctuellement : voilà le moyen facile, le moyen sûr, infaillible, d'obtenir la discipline, d'amener le travail et l'application, de donner et d'entretenu, l'émulation qui en est l'âme et qui assure le succès. Il faut même, à cette ponctualité, une exactitude, une précision presque mathématiques ; il y faut surtout une constance, une persévérance qui soient de tous les jours et qui ne lassent jamais.

 Nous avons donc besoin, M. T. C. F., et comme Religieux et comme instituteurs, d'être très ponctuels, de suivre exactement notre Règle et notre guide, de faire toutes choses aux heures marquées, selon que la Règle, selon que Dieu lui-même le désire et nous le demande. Il nous faut cette ponctualité, pour prévenir mille défauts, mille imperfections, une foule même de fautes et de péchés ; il nous la faut, pour entretenir parmi nous la ferveur et le bon esprit ; pour assurer notre vocation et nous faire avancer dans les solides vertus, pour conserver l'ordre et la discipline dans nos Maisons pour opérer le bien parmi les enfants. Attachons-nous donc, quoi qu'il nous en coûte il une parfaite régularité, à une exacte et persévérante ponctualité. Si elle demande de nous du courage et de la générosité, elle nous dédommagera de tous nos efforts, par les fruits les plus abondants et les plus précieux. C'est ce qui me reste à vous expliquer.

 * Le propre de la Règle, quand elle est gar­dée, c'est 1°de former et d'instruire ; 2° de simplifier et de faciliter; 3° d'unir et d'édifier ; 4° d'assurer la bénédiction et le succès ; 5°de procurer le mérite et la consolation ; 6° de conserver et de sauver. Un mot seulement sur chacun de ces douze fruits.

 1° LA RÈGLE FORME ET INSTRUIT.

Elle forme à la fois le Religieux et l'Instituteur.

 Qu'un jeune Frère ait le bonheur d'être placé, de rester et de grandir dans une Maison où la Règle est ponctuellement gardée, il est certain, il est d'expérience qu'il s'y forme admirablement comme Religieux, et qu'avec des moyens même ordinaires, il acquiert toute l'instruction nécessaire il un bon Instituteur.

 Comme Religieux, il y prend de bonnes, d'excellentes habitudes : des habitudes de piété, de silence et de recueillement ; des habitudes de respect, de docilité et d'obéissance ; des habitudes d'ordre, de propreté, de modestie et de bonne tenue; en un mot, l'habitude de toutes les vertus, dont la Règle est un exercice continuel et journalier.

 Son esprit, son cœur, son jugement, sa volonté, sa conscience se forment et se perfectionnent, comme naturellement, par la pratique même de la Règle, qui l'habitue à estimer et à aimer par-dessus tout, les choses de Dieu et du salut ; qui lui apprend à éviter les extrêmes, à se tenir dans le juste milieu où se trouvent toujours la vertu et le bon jugement ; qui l'exerce continuellement à se surmonter soi-même, et, par là, à se rendre maître de sa volonté et de ses inclinations ; qui l'oblige, enfin, à faire cas des moindres choses, c'est-à-dire, des plus petits devoirs, pour les remplir, des plus petites fautes, polir les éviter.

 Qu'elle est droite et bonne, qu'elle est délicate et pure la conscience des Religieux dévoués à la Règle, fidèles observateurs des Règles, ponctuels en tout ! Qu'ils sont éloignés de consentir à des péchés graves, réfléchis, eux, qui redoutent jusqu'à l'ombre du péché véniel; qui se reprochent les simples défauts, les simples imperfections, une simple lenteur à faire ce qui leur est commandé ou même simplement conseillé.

 C'est la doctrine de tous les Saints, de l'auteur de l'Imitation en particulier, qu'on avance d'autant plus dans la perfection et la vertu qu'on se fait plus de violence à soi-même. Sur ce principe, quels progrès ne feront pas les Religieux ponctuels et réguliers, qui, tous les jours et toute leur vie, font abnégation de leur volonté propre, pour faire toujours, comme le divin Maître, ce qui plaît à Dieu, ce qui lui plaît le plus ! (Jean,VIII, 29). Oui, il est certain que le Religieux, en suivant bien sa Règle, se forme, avance et se perfectionne, presque sans qu'il s'en doute. Il se trouve, après quelques années, plié au devoir, façonné à la vertu, affermi dans le bien, fait à la piété, souple a la grâce, maître de lui-même, comme moulé pour la sainteté, c'est là l'effet naturel, l'effet comme nécessaire de la Règle, longuement et fidèlement observée.

 Combien une pensée si profonde et si vraie, une expérience si heureuse et si constante devrait nous y affectionner, nous y attacher ! De quel zèle, de quelle ardeur elle devrait vous enflammer pour ses moindres observances, vous surtout, Frères Directeurs, qui avez la charge et le devoir de la faire régner dans toutes les maisons de la Congrégation, de former et de conserver les Frères par ce moyen. Ah! on peut bien le dire, vous avez entre vos mains tout l'avenir religieux des jeunes gens, si nombreux et si pleins d'intérêt, que la Providence nous envoie. Ils seront ce que vous les ferez : bons, pieux, réguliers, fervents, selon que vous serez tels vous-mêmes. Ils persévéreront dans leur vocation, ils deviendront d'excellents Religieux, ils feront beaucoup de bien, selon que vous les élèverez dans la Règle et par la Règle, avec patience et courage, avec bonté et douceur. Daigne Marie, notre Mère Immaculée, nous obtenir cette grâce que vous sentiez, que vous compreniez tous l'importance et l'étendue de ce devoir, de cette mission et que vous la remplissiez toujours dans, un véritable esprit de zèle et de dévouement.

 Mais la Règle ne forme pas seulement le Religieux, elle fait aussi l'instituteur.

 Un Frère régulier, qui aime l'étude et le silence, n'a pas besoin, pour s'instruire, d'autre maître que son Directeur, d'autre école que son Etablissement. La Règle, lui suffit, même avec les moments si coupés et si courts que nous laissent nos emplois : il ne faut que le goût et la constance C'est ce travail de Règle, soutenu et persévérant, qui nous donne les sujets les plus capables, qui assure même le complément d'instruction qu'on nous demande aujourd’hui.

 Interrogé, un jour, sur ce qu'il fallait faire pour plaire à Marie, le B. Berchmans répondit : Quoi que ce soit, pourvu que vous le fassiez constamment.

 Je vous dis de même, en fait d'étude : Imposez-vous une tâche, chaque jour, n'y manquez jamais ; et, quelque petite qu'elle soit, vous vous instruirez. Vous serez même étonnés, à la fin d'une année, après quelques années surtout, de tout le travail que vous aurez fait, comme Religion et comme science, comme leçons de mémoire et devoirs écrits, comme Recueil de traits édifiants, de bonnes pensées, de sentences utiles, de notes ascétiques et instructives.

 Quels sont ceux qui, avec cela, n'arriveront pas à se former suffisamment ? Disons-le sans détour : Ceux qui entrent à un âge passé ; quelques rares sujets complètement dépourvus de moyens ; puis tous ceux, et ceux-là seuls, qui manqueront de goût, qui passeront le temps à parler, à courir, à ne rien faire ; qui perdront, qui négligeront les études que la Règle prescrit ou permet.

    Donc, M. T. C. F., laissons les courses et les voyages irréguliers ; laissons les allées et venues inutiles, laissons la légèreté et la dissipation; sachons nous mettre au silence et le garder ; surtout, sachons donner à notre travail l'application, l'ordre, la suite et les bornes que demandent la Règle et l'obéissance. Par là, nous relèverons, nous fortifierons les études parmi nous, et nous nous mettrons à même de suffire ànotre tâche. Je vous l'ai dit à la Retraite, c'est un besoin pour l'Institut de relever le niveau de nos études : besoin, pour acquérir et étendre les connaissances qui nous sont propres et qu'on nous demande ; besoin, pour prévenir, par le bon emploi du temps, mille tentations et mille dangers ; besoin pour arriver au silence et au recueillement sans lesquels il n'y a ni discipline ni piété.

 La conclusion à tirer de ces deux pensées,  M. T C. F., c'est que nous devons nous attacher à notre Règle, et nous efforcer de la pratiquer mieux que jamais. Si nous y sommes fidèles, elle nous donnera, en retour, l'esprit religieux, l'esprit de notre état, les vertus de notre état, la perfection que Dieu nous demande. Elle nous donnera la science qui nous convient, toutes les connaissances dont nous avons besoin. Elle nous formera de bons Religieux et de bons instituteurs ; des sujets pieux et capables, solides et instruits, qui seront l'épreuve de toutes les difficultés et à la hauteur de tous lesbesoins. C'est le premier fruit, l'important résultat, qu'apportera infailliblement, à tout l'Institut, la fidèle observation des Règles.

 * 2° LA RÈGLE FACILITE ET SIMPLIFIE.

Elle facilite et simplifie admirablement et la marche particulière de chaque Maison et l'administration générale de toute la Congrégation.

 La Règle, dans une Maison, dans une Congrégation, c'est l'ordre et l'harmonie partout ; c'est chaque Frère remplissant bien son emploi et faisant toutes choses au temps et de la manière voulus ; c'est la suite des exercices se succédant les uns aux autres, et se préparant les uns par les autres, comme naturellement, sans choc ni entrave

 La Règle, c'est la sagesse, la prudence, la réflexion, l'expérience, au service de tous les Frères, et prévenant, les précipitations et les lenteurs, l'excès et le défaut, d'où naissent les embarras et les difficultés.

 La Règle, au commencement, est un sentier qui semble rude, étroit, difficile : les lâches s'en effraient et les inconstants l'abandonnent ; mais pour ceux qui ont le courage de s'y engager et de le suivre, il devient, bientôt, une voie droite et sûre, un chemin large et uni, une route délicieuse, où ils marchent sans peine et sans danger, où ils courent même à grands pas ; lorsque vous aurez dilaté mon cœur, dit le Psalmiste, je courrai, avec joie, dans la voie de vos Commandements (Ps. CXVIII, 32).

 Qu'il fait bon visiter une Maison où la Règle est parfaitement gardée ! Qu'il fait bon correspondre avec des Frères parfaitement réguliers ! Comme tout devient simple, aisé, facile, et pour ces Frères eux-mêmes et pour les Supérieurs ! Comme on est rassuré, comme on est tranquille sur tous les postes où la Règle est en pleine vigueur, sur tous les Frères amis de la Règle, dévoués à la Règle; fidèles à la Règle ! Il suffit, dit Rodriguez, d'un Supérieur pour gouverner dix mille Religieux réguliers et fidèles; et tous les Supérieurs réunis ne pourraient suffire à contenir dix Religieux déréglés et relâchés.

 Craignons peu, M. T. C. F., les oppositions, les embarras qui nous viennent du dehors, les difficultés que nous pouvons avoir avec les enfants : la Règle ou les préviendra, ou les aplanira et les fera cesser; mais, craignons souverainement les suites funestes de l'oubli des Règles, de la négligence des Règles. C'est de là, c'est du dedans, que viennent les grands obstacles, les difficultés insurmontables, tout ce qui complique et entrave la marche d'une maison, tout ce qui peut embarrasser, arrêter même la marche générale de la Congrégation : parce que c'est de là que viennent la tiédeur, le relâchement, le mauvais esprit.

 Et l'expérience de tous les jours n'est-elle pas là pour confirmer et appuyer ces réflexions, la vôtre, comme la nôtre? Où avez-vous, où avons-nous à souffrir, à gémir? Où se trouve-t-on, à tout instant, embarrassé, gêné, arrêté? N'est-ce pas là, et là seulement, où la Règle fait défaut ; où se rencontre un Frère irrégulier, un seul ? Oui, un seul Frère, sans ordre et sans Règle, suffit pour mettre le malaise dans toute une Maison.

 Ainsi, pour alléger votre fardeau et le nôtre, pour faciliter et simplifier le travail de tous, soyons réguliers, soyons ponctuels, soyons-le tous, et soyons-le parfaitement.

 C'est encore le secret infaillible de simplifier et de faciliter, pour chacun, la pratique des vertus et les obligations de la vie religieuse.

 La ponctualité, au lieu d'aggraver nos devoirs, ne fait que les adoucir, et les faciliter, parce qu'elle nous les fait remplir promptement, spontanément.Rien ne coûte, quand on le fait d'un esprit décidé, d'un cœur résolu, sans balancer, sans marchander, On s'accoutume à partir au premier signal, on se fait à ces actes prompts, vigoureux, énergiques; on en prend l'habitude ; et, par suite, ils deviennent faciles, ils sont presque un besoin. Quand un Frère a grandi dans les exercices de la Règle, quand il s'est accoutumé à la ponctualité, il lui serait comme impossible de rester sourd à un appel ou de la cloche ou du Supérieur; il lui en coûterait cent fois plus pour céder à la paresse, à la nonchalance, que pour faire diligemment ce qui lui est commandé ; pour rester lâchement au lit, le matin, par exemple, que pour se lever avec les Frères, et faire ses exercices avec eux.

 D'autre part, la Règle ramène toutes les pratiques de vertu, toutes les obligations des vœux, et des commandements, à des actes très simples très faciles, qui viennent d'heure en heure, les uns après les autres, combinés de manière à ne fatiguer ni l'esprit, ni le cœur, à n'excéder ni les forces ni le courage, à ne compromettre ni la vertu, ni la santé, ni l'âme ni le corps.

 Une comparaison nous expliquera mieux encore ces deux pensées. Je la tire de nos exercices mêmes de lecture.

 Il se fait, en lisant, des décompositions et des compositions innombrables de lettres, de syllabes et de mots ; c'est sur ces combinaisons infinies que repose tout l'art de la lecture, art si merveilleux, que c'est vraiment un mystère qu'on parvienne à y former l'enfant. Cependant, cette lecture, si lente, si embarrassée, si coupée à son début ; si laborieuse, vous le savez, et pour le Maître et pour l'élève, devient, à la longue, par l'exercice, par la simplification des méthodes, tellement aisée, tellement facile, qu'elle ne se fait plus qu'en courant. Toutes ces combinaisons de lettres, de syllabes et de mots s'opèrent avec une vitesse et une perfection, qui ne laissent plus apercevoir ni hésitation ni lenteur; et, telle est la rapidité avec laquelle l'enfant les saisit et les énonce, qu'il ne peut plus être arrêté, dans sa lecture, que par le besoin de respirer ou de se faire mieux comprendre : il lit couramment.

 Dieu, par une miséricorde infinie pour le bon Religieux, pour récompenser ses efforts et sa générosité, pour accroître de plus en plus le mérite de ses actions, en les rendant toujours plus spontanées, pour assurer davantage sa persévérance, en la rendant toujours plus facile. Dieu, dis-je, a voulu que la pratique constante et fidèle des Règles opérât dans notre esprit et dans notre cœur un mystère tout semblable d'agilité et de facilité spirituelles. La grâce et l'amour divin s'ajoutant aux heureux effets de l'habitude et de la spontanéité,le Religieux fervent et régulier, animé du désir de plaire à Jésus-Christ, de lui ressembler, et de gagner le Ciel, se porte, sans peine et sans effort, à tous ses exercices de Règle; c'est comme en courant que son esprit et son cœur, son âme et son corps, ses paroles et ses mouvements, se plient à la Règle et à l'obéissance. Il en a pris l'habitude, elles sont entrées dans son éducation et comme dans sa nature; elles ne lui coûtent plus rien ; ou, si elles lui coûtent, il se fait, dit saint Augustin, un plaisir et un bonheur, des peines et des sacrifices qu'elles lui imposent. Où il y a amour, dit ce Père, le travail  cesseou, s'il y a travail, le travail même est une jouissance.

 Voilà quel fruit précieux de salut, quelle source abondante de mérites, quel gage certain de persévérance, s'attachent à la parfaite ponctualité. Heureux sont les Frères, heureux les Etablissements qui sauront la garder! Tout leur deviendra facile, rien ne les embarrassera, rien ne les arrêtera.

 * 3° LA RÈGLE UNIT ET ÉDIFIE.

 Comment des Frères réguliers ne seraient-ils pas unis? Ils veulent tous la même chose, ils la veulent tous à la même heure, ils la veulent tous de la même manière. Ce n'est pas seulement l'accord, l'union, que produit la Règle, c'est l'unité parfaite : unité de pensées, unité de vues, unité de sentiments, unité d'actions.

 Il n'y a pas de division possible dans une Maison où règne une entière régularité, si ce n'est par l'abandon même de la Règle. Chacun remplissant bien son emploi, chacun obéissant au premier signal, les avis pénibles, les réprimandes fâcheuses, les blâmes, les reproches blessants, tout ce qui irrite et indispose, s'en trouve, comme nécessairement banni. On n'a qu'à encourager, à louer, à récompenser. De là, la paix, l'union, la joie, le contentement la parfaite charité. Les Frères ne font qu'un entre eux, et, réalisent admirablement ces paroles du Roi-Prophète : Voyez combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d'habiter ensemble dans l'union et la charité ! (Ps. CXXXII, 1).

 La Règle édifie. Une Maison régulière est nécessairement une Maison d'édification.

 Edification pour les Frères, qui sont continuellement portés, exercés à la piété, à la vertu, par la pratique même de la Règle; comme entraînés au bien, par les exemples les uns des autres.

 Edification pour tous les autres Etablissements. Il suffit, quelquefois, d'une Maison bien réglée, bien fervente, surtout si elle est considérable, pour amener la régularité dans tout un District, dans toute une Province même. Ce sont les Maisons de Règle et de piété qui sont la gloire et le salut de toute la Congrégation.

 Edification pour les fidèles, pour les paroisses. Comme on aime à voir des Frères exemplaires, toujours ensemble, toujours unis, toujours modestes et pieux, à l'église, dans les rues, dans leurs maisons, partout ! Les populations, même les moins religieuses, en sont frappées et ne peuvent s'empêcher de les admirer.

 Edification pour les enfants surtout. Ce sont, eux qui ont le plus à profiter des bons exemples de leurs maîtres En les voyant si dévoués à leur emploi, si recueillis dans la prière, si réservés dans leur conduite, si exacts en tout, et, avec cela, toujours gais, toujours contents et heureux, ils se prennent eux-mêmes, comme nécessairement, à estimer la vertu, à aimer la piété, à s'attacher à Dieu, à la Religion. C'est cette vie régulière, cette vie exemplaire des Frères, qui est le plus puissant moyen d'éducation, un moyen tout puissant d'union et d'édification.

 * 4° C'est elle aussi, C'EST LA RÈGLE QUI ASSURE LE PLUS EFFICACEMENT LA BÉNÉDICTION ET LE SUCCÈS.

 Sur qui jetterai-je les yeux, dit le Seigneur, sinon sur le pauvre qui s'humilie, sur celui qui a le cœur brisé, qui écoute mes moindres paroles, et qui les accomplit fidèlement (Is., LXVI, 2)? sur le bon Religieux qui obéit promptement, ponctuellement, parfaitement, non seulement à mes ordres, mais à mes conseils ? sur ce Frère humble, et modeste qui met son bonheur à faire toujours mon bon plaisir ? Oui, Notre-Seigneur l'aimera, le bénira, l'assistera comme son frère, sa sœur et sa mère : car, dit-il, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère (Matth., XXII, 50). Ses volontés, ses idées, ses désirs même, seront accomplis. Dieu, dit le Psalmiste, accomplira la volonté de ceux qui le craignent, il exaucera leurs prières et les sauvera (Ps. CLIV, 19). Il ira même au devant de leurs besoins, de leurs moindres désirs ; il entendra les dispositions, la préparation de leur cœur (Ps., X, 17). C'est une vérité certaine, c'est une expérience constante et universelle, qu'une bénédiction abondante, une protection spéciale, une providence toute particulière, accompagne toujours le Religieux fidèle, le Religieux ponctuel, qui craint le Seigneur et ne néglige rien pour lui plaire (Eccl., VII, 19).

 Il ne peut manquer non plus de réussir dans tout ce qui lui est confié. Son succès sera l'effet comme nécessaire des bénédictions abondantes que Dieu lui accorde. Il sera le résultat certain et comme naturel du zèle et du dévouement, dont sont animés tous les Frères qui vivent selon leur Règle ; du soin qu'ils mettent à bien remplir leur emploi ; de la bonne harmonie qui règne entre eux; du concours qu'ils se prêtent mutuellement ; de l'ordre, enfin, dans lequel tout se fait, et qui ne permet pas que rien s'oublie, que rien se néglige.

 Non, on ne verra jamais tomber, jamais décliner, une Maison parfaitement régulière : Dieu lui-même s'en fait le protecteur et le soutien.

 5° LA RÈGLE PROCURE LE MÉRITE ET LA CONSOLATION.

 Trois conditions sont nécessaires pour le mérite : être en grâce avec Dieu, faire ce qu'il veut, le faire parce qu'il le veut, pour une fin surnaturelle.

 L'état de grâce doit toujours se supposer ; c'est la condition fondamentale, indispensable. Impossible de rien faire de méritoire pour la vie éternelle, sans être uni à Dieu par la grâce sanctifiante. Comme la branche de la vigne, dit Jésus-Christ, ne peut d'elle-même porter du fruit, mais qu'il faut qu'elle demeure unie au cep ; ainsi, vous n'en pouvez porter, si vous ne demeurez en moi (Jean, XV, 4). Mais le propre de la vie religieuse, c'est-à-dire, de la Règle qui en est l'âme, qui en fait toute la force et toute la sûreté, est de nous conserver dans l'état de grâce, ou de nous y faire rentrer promptement, si nous avons le malheur de le perdre. C'est là, dit saint Bernard, que l'homme vit plus purement, qu'il tombe plus rarement, qu'il se relève plus promptement. La Règle nous assure donc, d'une manière toute particulière, la première condition du mérite et de la sainteté, l'état de grâce.

 Elle nous assure infailliblement la seconde : Faire ce que Dieu veut. La Règle n'est autre chose que l'expression de la volonté de Dieu, de ses désirs, de son bon plaisir. Quand la cloche appelle un Religieux, quand le Supérieur lui commande, il est plus certain d'entendre la voix de Dieu, d'exécuter les ordres de Dieu, que si un Ange venait du Ciel, pour les lui transmettre. La présence et la voix de l'Ange peuvent n'être qu'illusion et tromperie; mais la voix de l'obéissance (le seul cas de péché manifeste excepté), le signal du règlement sont à l'abri de toute erreur. En les écoutant, le Religieux a la certitude absolue de faire actuellement, de faire toujours ce que Dieu veut.

 Il y a plus, c'est qu'en suivant sa Règle, le Religieux ne fait pas seulement ce que Dieu veut ; mais il le fait comme Dieu le veut, c'est-à-dire, dans le temps, dans le lieu et de la manière que Dieu le veut; puisqu'il le fait selon la Règle, selon l'obéissance, selon les méthodes et les usages de sa Congrégation. Il se trouve donc parfaitement dans la seconde condition du mérite : Faire ce que Dieu veut.

 Reste la troisième, le faire parce que Dieu le veut, pour lui plaire, pour son amour, pour une fin surnaturelle. Eh! quel autre motif pourrait guider un Religieux, qui a renoncé à tout, qui a tout quitté, tout sacrifié : plaisirs, honneurs, richesses, liberté même pour ne chercher que Dieu, pour n'avoir d'autre sort, d'autre héritage, d'autre bien que le Seigneur (Ps. XV, 5) ? Il lui est comme impossible de se proposer une autre fin, un autre but : car il n'a de joie véritable à espérer, de contentement parfait à goûter que dans la recherche continuelle et la possession anticipée de Dieu seul. L'état de séparation où il vit des satisfactions humaines et sensuelles, le met comme dans la nécessité de porter ses regards et ses désirs en Haut ; de diriger toutes ses vues, toutes ses  intentions, vers le Ciel, vers l'éternité, vers Dieu lui-même Quelle heureuse nécessité ! Quel bonheur pour le Religieux fervent et régulier d'être ainsi, par état et par vocation, dans toutes les conditions du mérite, et comme à la source des plus grandes richesses, des plus grands trésors spirituels. S'il observe fidèlement sa Règle, s'il l'observe pour Dieu, quels mérites, quels trésors n'amassera-t-il pas, en effet, pour la bienheureuse éternité ! Que d'actes méritoires dans un jour, dans un mois, dans une année, pendant sa vie entière !… Mais la Règle, qui l'enrichit sans mesure devant Dieu, lui ménage aussi, par là même, les plus douces et les plus solides consolations.

 Il n'est pas possible de travailler pour Dieu seul, d'accomplir sa volonté jusque dans les moindres points, sans y trouver d'ineffables consolations. C'est aux Religieux ponctuels et fervents que le centuple de la vie présente est promis et que la vie éternelle est assurée. La Règle les appliquant sans cesse à la pratique des Conseils évangéliques, c'est à ceux surtout qu'appartiennent les huit Béatitudes qui doivent en être la récompense. Non, rien, ne peut dire la paix, la sainte joie que le bon Religieux trouve dans le parfait accomplissement de sa Règle. Bien n'approche du bonheur et de la douce tranquillité dont on jouit dans les maisons où la Règle est ponctuellement observée. Dieu habite dans ces maisons, et il répand la douceur et les consolations, même au milieu des épreuves et des plus rudes travaux.

 Les mondains ne comprennent pas cette vérité, parce qu'ils ne l'ont jamais expérimentée ; les Religieux lâches et, irréguliers ne veulent pas l'avouer, parce qu'ils ne la goûtent plus, et que leurs infidélités changent en épines les douceurs de la Règle ; mais les uns et les autres ne jugent que sur les apparences et se trompent également. Ce n'est pas à la surface de la terre que se trouve l'or véritable, l'or le plus pur et le meilleur ; c'est dans le creux de ses veines, dans la profondeur de ses entrailles. Ainsi en est-il du vrai, du solide contentement ; ce n'est point celui qui éclate au dehors, dans le bruit des paroles et dans les mouvements du corps : car souvent l'âme n'y a nulle part ; c'est celui qui est renfermé au fond du cœur et que personne ne peut nous ravir.

 Le bon Religieux le trouve dans sa fidélité même, et dans la bonne conscience qui en est le fruit. Il le trouvedans un sentiment secret et toujours plus vif qu'il aime Dieu et qu'il en est aimé ; qu'il possède sa grâce qu'il vit dans son amitié. Il le trouve dans une attente toujours plus ferme, toujours plus assurée de la félicité éternelle, qui doit être la fin et le prix de tous ses travaux. Ces pensées et ces espérances lui font éprouver un sentiment de bonheur et de joie si intime, si profond, si vrai, que rien ne saurait l'altérer. La bonne conscience, dit saint Jean Chrysostome, dissipe toutes les ténèbres du cœur, comme le soleil dissipe les nuages ; toutes les amertumes et toutes les tristesses viennent s'y éteindre, comme ferait une étincelle dans un grand lac. Voilà comment la fidélité a la Règle, en multipliant chaque jour nos mérites pour le Ciel, multiplie aussi, en proportion, même dès ici-bas, nos joies et nos consolations.

 6°LA RÈGLE CONSERVE ET  SAUVE.

 Elle conserve, dans les Frères, la vertu, la vocation, les vœux ; elle conserve dans tout l'Institut, l'ordre, la paix, le bon esprit; elle est le soutien des Noviciats comme des Etablissements particuliers ; c'est sur elle que repose toute notre Œuvre ; c'est par elle qu'elle vit, s'accroît et se développe. Otez la Règle d'une Maison, tout tombe, comme un édifice dont les fondements sont enlevés. Otez-la de tout l'Institut, il s'écroulera à l'instant même.

 Nous ne pouvons conserver et former nos Frères, que par la Règle ; nous ne pouvons conserver et faire prospérer nos Maisons que par la Règle, mais qu'on l'observe partout ; que partout on suive exactement les Règles communes, le Guide des écoles, les Constitutions; qu'on les suive pour la science comme pour la piété, pour le repos comme pour le travail, pour l'étude comme pour l'enseignement, pour la nourriture comme pour le sommeil; et tout sera assuré et conservé parmi nous : sujets, Maison, conscience, vertu, contentement, bon esprit, spirituel et temporel, même les forces et la santé. La Règle préviendra tous les excès qui seraient de nature à les compromettre ou à les user avant le temps. Oui, la Règle, voilà notre grand moyen de défense et de sûreté, de conservation et de préservation ; mais, surtout, voilà notre grand moyen de perfection et de salut.

 La Règle sauve. Elle sauve sûrement, parce qu'elle nous met à l'abri des fautes graves ; parce qu'elle nous rend l'observation des commandements très douce et très aisée ; parce que, continuellement, elle nous place comme dans la nécessité de pratiquer la vertu et de vivre dans la piété. C'est la voie de la Règle que les Anges donnèrent aux Disciples de saint Benoît, comme la voie sûre, infaillible, qui les mènerait au Ciel, où ils avaient vu monter leur bienheureux Père et Patriarche.

 La Règle sauve excellemment. Benoît XIV ne demande dans un Religieux, qu'une parfaite fidélité à sa Règle, pour le mettre au nombre des Saints. La Règle, en effet, s'exerce continuellement aux plus grandes vertus l'humilité, la mortification, la pauvreté, l'obéissance, la charité, elle nous applique à une œuvre spirituelle de miséricorde des plus excellentes : l'INSTRUCTION CHRÈTIENNE DES ENFANTS ; elle nous fait embrasser tous les moyens les plus efficaces de salut et de perfection: l'Oraison, la Messe, la Communion, la Direction, l'Examen, les Retraites, tous nos exercices de piété de chaque jour, de chaque semaine, de chaque année; enfin, elle nous fait pratiquer les conseils évangéliques dans toute leur perfection, et nous associe au mérite et à la gloire des Vierges, par le vœu de chasteté; au mérite et à la gloire des Apôtres, par l'exercice du zèle, au mérite et à la gloire des martyrs, par la pratique même de la Règle, qui est une immolation continuelle de tout nous-mêmes à l'amour et au bon plaisir de Dieu.

 Oh ! qu'un Frère animé de l'esprit de foi, qui se pénétrera fortement de toutes ces vérités, qui les goûtera, qui s'en nourrira tous les jours, que ce Frère sera heureux dans l'observation de sa Règle ! Avec quelle ardeur, avec quelle ponctualité il s'y portera ! Il sait que tous ces actes, tous ces sacrifices qu'elle lui demande, sont autant de semences de la vie éternelle ; et que le moindre d'entre eux contient en germe tout le bonheur du paradis: sa gloire, ses richesses, ses plaisirs; il se fera un bonheur de les multiplier comme à l'infini.

 C'est là le trésor particulier, le trésor par excellence qu'il aura à cœur de former, et de grossir à tous les moments de sa vie.

 Dès le matin, à l'exemple de notre pieux Fondateur, il jettera dans ce trésor le sacrifice d'un lever très prompt, très religieux. Il sera debout au premier signal, en s'écrient : Louange à Jésus-Christ ! Louange à Marie sa Mère !… Me voici, Seigneur, vous m'avez appelé, que voulez-vous de moi? Il n'écoutera jamais la paresse, la nonchalance; il saura même passer sur certains malaises, sur certaines indispositions, dont on ne se rend maître qu'en se surmontant généreusement soi-même.

 A ce premier sacrifice du matin viendront s'ajouter ensuite toutes les actions d'une journée pleinement religieuse. Tous les exercices de piété, toutes les leçons et instructions données aux enfants, tous les actes d'obéissance au Supérieur, tous les actes de zèle, de patience, d'humilité, de mortification, et des autres vertus que la Règle fait pratiquer ; tous les actes intérieurs de foi, d'espérance, de charité, les invocations et les inspirations saintes que la piété inspire. Et ces actes si nombreux, si excellents, la parfaite régularité, la ponctualité les fait pratiquer chaque jour ; elle en remplit la vie entière ; et c'est ainsi qu'elle accumule des richesses, des mérites sans nombre dans le trésor spirituel du bon Religieux, du Frère ponctuel et fervent.

 Souffrirons-nous, M. T. C. F., que de si grands biens. périssent entre nos mains? Enfouirons-nous lâchement, de si riches talents? Ah ! qu'il n'en soit pas ainsi, je vous en conjure tous, avec la plus ardente affection., C'est ici le cas de donner carrière à toute l'ambition dont une âme humaine est capable. Hâtons-nous de devenir les Grands du ciel, les Riches de l'éternité, les Princes de l'immortel empire. Sur la terre, il semble que nous occupons la dernière place ; nous sommes oubliés, nous sommes dédaignés ; on ne tient compte ni de nos efforts, ni de nos sacrifices ; mais, là-Haut, tout sera changé pour le Religieux fervent, pour le Religieux constamment fidèle, constamment ponctuel. Il verra au-dessous de lui ceux mêmes qui paraissent aujourd'hui le regarder à peine. A son tour, il jouira ; à son tour, il brillera ; à son tour, il dominera ; à son tour, il nagera dans l'abondance ; à son tour, il sera heureux, souverainement heureux. Et ces jouissances, cet éclat, cette puissance, cette opulence, ce bonheur, ne seront pas, comme ici-bas, de quelques jours, de quelques années, d'un siècle au plus; ils seront éternels, ils seront inaltérables, sans fin et sans partage. Oh ! qui ne voudra, s'il pense, s'il croit, s'il espère, s'il aime en chrétien, en religieux, qui ne voudra laisser les satisfactions, si courtes, si fausses, si vaines, de cette vie, pour des biens si durables, si vrais, si solides? Qui ne voudra échanger l'apparence contre la réalité, l'erreur contre la vérité, la terre contre le ciel ? J'estime, dit saint Paul aux Romains, que les souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous (Rom., VIII, 18): car, ajoute-t-il aux Corinthiens, les afflictions si courtes et si légères de cette vie produisent en nous le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire (II Cor., IV, 17).

 Voilà donc, M. T. C. F., le divin marché, le magnifique échange qui nous est proposé. C'est un contrat dont nous connaissons maintenant toutes les conditions, et nul de nous qui ne puisse les remplir, s'il le veut ; les remplir facilement, sûrement, excellemment ; les remplir dans son état mieux que dans tout autre. Le contrat est entre Dieu et nous. Du côté de Dieu, le Ciel avec ses joies, ses richesses, ses gloires infinies ; la triple couronne de la Virginité, de l'Apostolat, et du Martyre ; un trône éternel avec Jésus, avec Marie, avec les Anges et les Saints. De notre côté, et pour prix, notre Règle, notre Règle tous les jours, notre Règle jusqu'à la mort ; mais notre Règle avec Dieu, avec sa grâce, avec son amour, avec toutes les consolations qui s'y attachent. Ah! je le répète, qui oserait, étant appelé de Dieu, invité par son amour, pressé par sa grâce, qui oserait se refuser à un tel contrat ? Qui pourrait hésiter à le passer ? Mais, surtout, qui oserait le rompre, qui aurait le triste courage, l'étrange folie de le briser, après l'avoir signé, à la face des autels, dans la plénitude de sa foi et de sa liberté ? J'ai résolu, dit le Prophète, d'observer vos préceptes à jamais, dans la vue de la récompense que j'en attends (Ps. CXVIII, 12).

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 Voici la liste des Frères et Novices décédés depuis notre dernière Circulaire :

 

F. Lambertus, V. O. décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 23 juillet 1863.

F. Prosper, Profès, décédé à Neuvic-sur-lsle (Dordogne), le Il août 1863.

F. Daniel, V. O., décédé à Bédarrides (Vaucluse), le 13 août 1863.

F. Camillus, Profès, décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 4 septembre 1863.

F. Joseph, Profès, décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 6 septembre 1863.

F. Maximin, V. O., décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 6 septembre 1863.

F. Emeric,Novice, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 14 septembre 1863.

F. MélitonV. O., décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 15 septembre 1863.

F. Maville, Profès, décédé dans sa famille, à Valence (Drôme), le 26 septembre 1863.

F. Genou, V. O., décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 4, octobre 1863.

F. Constance, Profès, décédé à Notre-Dame de Saint-Genis-Laval, le 7 octobre 1863.

F. German, V. O., décédé à Saint-Martin-de-Valamas le 23 septembre 1863.

F. Sylvester, Profès, décédé à Breteuil (Oise), le 17 octobre 1863.

F. Honoratus, Profès, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux, le 19 octobre 1863.

F. Pastor, Novice, décédé à Saint-Paul-trois-Châteaux le 26 novembre 1863.

 

Je vous ai dit, à la Retraite, l'affreux malheur qui nous a enlevé l'excellent Frère Joseph et le bon Frère Maximin. Nous avons aujourd'hui la certitude complète que tous les deux ont été victimes de leur dévouement et de la plus héroïque charité. On les a vus, on leur a parlé, on est sûr qu'ils sont sortis tout habillés des bâtiments incendiés. C'est le désir d'arracher aux flammes le plus d'objets possible, c'est un courage imprudent, mais d'un dévouement absolu, qui les a portés à rentrer par deux portes opposées. Evidemment, se sentant étouffés par la fumée, se voyant menacés par les flammes, ils ont poussé des cris, ils se sont entendus réciproquement, ils ont voulu se sauver l'un et l'autre !… Hélas! Il ne leur a pas été donné d'y réussir. Ils n'ont pu se rejoindre que pour mourir ensemble dans l'acte même de la plus sublime charité ! Mon Dieu ! Quelle héroïque, mais quelle terrible mort !… J'ai la confiance que Dieu qui l'a voulu ainsi, aura soutenu leur courage et récompensé leur dévouement. C'étaient deux excellents Religieux. Ils avaient communié tous les deux, le matin même. Depuis plus de quarante ans, le bon Frère Joseph employait tout son temps, toutes ses forces, tout son courage au service de la Congrégation. Il n'avait jamais cessé d'être un modèle de piété, de bon esprit, d'attachement à l'Institut, de fidélité à tous ses devoirs. Le jeune Frère Maximin ne faisait que débuter dans la carrière de la vie religieuse ; mais tout en lui annonçait le bon esprit même, la même piété, la même fidélité. Quelques semaines avant ce terrible accident, obligé d'aller dans sa famille pour des affaires pressantes, il avait demandé, le premier, à abréger son voyage, à le précipiter, pour que rien ne souffrît dans son emploi. J'ai fait dire, pour ces deux Frères, les Messes que la Règle accorde aux Frères Assistants ; nous continuerons à prier pour eux d'une manière toute particulière.

 Je vous recommande de nouveau la dévotion aux âmes du Purgatoire, une des quatre grandes dévotions, que notre pieux Fondateur nous rappelait si souvent. Je désire vivement que les Messes, les Communions et les Offices prescrits par la Règle pour les défunts, ne soient oubliés dans aucune Maison.

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 Un point de Règle auquel nous tenons, d'une manière particulière, c'est celui des Visites. Ne vous en écartez ni pour les permissions à demander, ni pour l'ordre à observer dans la réunion, soit pour les repas, soit pour les exercices. La seule Règle de l'abstinence, inviolablement gardée dans l'Ordre de saint Bruno, a suffi pour le préserver de tout relâchement, pour le conserver, depuis plusieurs siècles, dans toute sa ferveur primitive. J'attends aussi un excellent effet de votre fidélité au point que je vous recommande; de cet exemple de respect pour la Règle qui sera donné de Maison à Maison, donné au moment même d'une réunion, répété partout, et répété chaque fois qu'on se visitera. Que tous les Frères prennent singulièrement à cœur d'imprimer à toutes les visites qu'ils feront ou qu'ils recevront, ce cachet de piété, de régularité et de bon esprit.

 En parlant de réunion, je dois aller au-devant d'un abus qui commence à s'introduire, dans quelques Districts au moins.

 On est porté à se faire des invitations, à  provoquer des rendez-vous de plusieurs Etablissements à la fois, sous prétexte de répondre en même temps à toutes les visites rendues ou à rendre. On ne doit pas se permettre ces invitations et ces rendez-vous, en nombre. Qu'on se contente de recevoir, avec charité et en se conformant à la Règle, les Frères qui sont autorisés à rendre visite mais seulement quand ils se présentent, et sans invitation préalable. Nous arriverions à de graves abus, surtout dans les Districts nombreux, si l'on admettait ces réunions. Vous comprendrez tous que nous ne pouvons moins faire que de nous y opposer très fortement.

 Que les Frères Directeurs s'abstiennent aussi de toute visite où ils ne seraient pas accompagnés de leurs Frères. Ils ne doivent jamais se séparer d'eux ni les laisser seuls, sans de très graves raisons.

 Nous sommes au moment, M. T. C. F., de mettre une parfaite régularité dans toute la Congrégation. C'est l'intention de l'Eglise, dans l'approbation qu'elle vient nous donner. Apportons-y tous, apportons-y partout, une bonne volonté, un courage, une générosité qui préviennent ou qui fassent cesser tous les abus et tous les manquements.

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 Je ne puis me dispenser non plus, dans cette Circulaire sur la ponctualité, de vous dire encore que, sans une parfaite exactitude à toutes nos Règles, nous n'avons point d'assurance, point de sûreté, contre le vice opposé à la plus belle, à la plus délicate de toutes les vertus. C'est la clôture de nos Règles; c'est le silence et le recueillement, la modestie et la garde des sens ; c'est l'exactitude aux prières, aux exercices de piété, aux communions que nous recommandent nos Règles. C'est dans tous nos rapports entre nous, avec le monde, avec les enfants, avec nous-mêmes, une entière et constante fidélité aux prescriptions de nos Règles ; c'est tout cela et cela seul qui peut garder, sauvegarder cette belle, cette difficile vertu. Là encore, et là surtout, nous devons être d'une exactitude, d'une ponctualité qui ne se démente jamais ; nous devons avoir le courage d'obéir, promptement, généreusement ; de rompre, sans balancer, sans différer, avec les moindres dangers. Oh ! que je désire, M. T. C. F., que vous compreniez de plus en plus cet important avis ; et que vous ne cessiez jamais de vous garder tous, de vous garder toujours, de vous garder partout, en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

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 Je n'ai pas besoin de faire un nouvel appel à votre zèle et à votre dévouement pour l’œuvre de la Chapelle et du Noviciat de la Maison-Mère Vous avez vu la reprise de nos travaux, et vous vous en êtes réjouis avec nous. Je suis certain que vous ferez, tous, un nouvel et dernier effort pour nous venir en aide, selon toute l'étendue des ressources de votre Etablissement, de vos ressources personnelles, et des secours que vous pourrez solliciter de la charité des pieux fidèles, ou même de vos enfants. Nous serons amenés, très probablement, pour la solidité des constructions et dans des vues d'économie, à compléter l'aile de bâtiment dans lequel la chapelle se trouve enclavée.

 Je désire donc que les Frères Directeurs me fassent connaître, dans leurs lettres de Janvier, ce qu'ils pourront faire : soit par leur Etablissement même, en sus du versement ordinaire de 150 francs par Frère ; soit en dehors, par les moyens que la prudence leur permettra, surtout en plaçant la Vie du pieux Fondateur (10 francs l'exemplaire, si on le peut ; mais pas moins de 5 francs) et son Portrait. C'est sur ces offrandes et sur celles de tous les Frères, que nous serons obligés de nous baser, pour donner suite à nos travaux. Je ne doute pas que tous ceux qui pourront disposer de quelque chose ou obtenir, prudemment, quelque don, ne s'empressent d'apporter, cette année encore, leur petite part à l’Œuvre commune.

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 En terminant cette longue lettre, je vous rappellerai comme confirmation de tout ce qui vous a été dit sur la ponctualité, et comme un excellent moyen de préparation aux grandes fêtes de Noël auxquelles nous touchons, ce mot de Notre-Seigneur au moment même de son Incarnation et de sa Venue sur la terre : Le Fils de Dieu, entrant dans le monde, dit : Vous n'avez point voulu d'hostie ni d'oblation : mais vous m'avez donné un corps ; les holocaustes et les sacrifices ne vous ont point été agréables : Alors j'ai dit: Me voici ; je viens mon Dieu, pour faire votre volonté. (Hébr., X, 5, 6, 7). Nous aussi, M. T. C. F., si nous voulons entrer dans l'esprit d'immolation et de sacrifice, dans l'esprit de mortification et d'obéissance du Verbe incarné; si nous voulons nous préparer efficacement à sa venue et en retirer tous les fruits de salut qu'elle doit nous apporter, nous n'avons qu'à bien observer nos Règles, qu'à être très exacts, très ponctuels en tout. C'est dans ce but, qu'après avoir lu cette Circulaire en communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture spirituelle, on la méditera encore, article par article, en la prenant, successivement, pour sujet de méditation, d'un astérisque à l'autre.

 Je vous redirai aussi, avec le grand Apôtre, comme expression anticipée de nos souhaits de bonne année : Mes Frères, réjouissez-vous sans cesse en Notre-Seigneur, je le dis encore une fois, réjouissez-vous. Que votre modestie soit connue de tous les hommes, le Seigneur est proche. Ne vous inquiétez de rien, mais, en quelque état que vous soyez, présentez à Dieu vos demandes par des supplications et des prières accompagnées d'actions de grâces. Et que la paix de Dieu laquelle est au-dessus de toutes nos pensées, garde vos cœurs et vos esprits en Jésus-Christ (Eph., IV, 5, 6, 7).

 Je ne puis rien vous souhaiter, M. T. C. F., de plus précieux ni de plus doux que cette paix de Dieu, cette paix de la bonne conscience, cette paix que nous donnera à tous le parfait accomplissement de notre Règle. Puissiez-vous la posséder toujours, et trouver en elle le bonheur, le contentement, la sainte joie qui ne manquent jamais d'accompagner les bons Religieux, et que je demande à Dieu pour vous de toute l'ardeur de mon âme.

 Recevez la nouvelle assurance du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, en Jésus et Marie, Votre très humble et très obéissant

     Frère et serviteur,

                  F. Louis-Marie.

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