Circulaires 97

Louis-Marie

1870-05-31

Frère Césaire. - F. Adaucte. - F. Michel-Ange. - F. Benoît. - Annonce des Re­traites. - Décès de Mgr le Cardinal de Bonald et de M. le Comte de la Granville. - Mot sur l'enfer

097

51.02.01.1870.2

1870/05/31

 V. J. M. J.

 Saint-Genis-Laval (Rhône), le 31 mai 1870,

clôture du Mois de Marie

        Mes très chers Frères,

 Nous terminons aujourd'hui, les exercices particuliers du Mois de Marie ; mais, grâce à Dieu, grâce au salut Etat auquel il nous a appelés, nous gardons envers la bonne Mère, des prières, des pratiques, des exercices de dévotion et de piété, qui nous reviennent chaque Jour, et qui. si nous sommes fidèles et persévérants, nous reviendront constamment jusqu'à la mort.

 Oh ! qu'on se sent bien de donner ainsi ses jours, ses mois, ses années, sa vie entière à Marie, et par Marie à Jésus, lorsque, d'une part, on repasse les magnifiques promesses faites à tous les vrais serviteurs de la divine Mère ; et, d'autre part, les redoutables paroles de la Sainte Ecriture, des Pères, des Saints, de tous les Maîtres de la vie spirituelle, sur la triste fin des pécheurs !

 Depuis notre dernière Circulaire, la mort a continué ses ravages parmi nous; elle nous a enlevé quatre Frères Directeurs, dont deux comptent parmi nos Stables et nos plus anciens. L'un d'eux, l'excellent Frère Benoît, nous a même été ravi par un terrible accident, auquel personne ne s'attendait, lui moins que tout autre.

 Ces pertes sont douloureuses, très douloureuses, sans doute, surtout celle qui est venue si subitement et si inopinément nous frapper : elles nous laissent de grands, vides à remplir ; mais combien ne sont-elles pas adoucies par les pensées de foi et d'espérance qui les accompagnent, et pour les Frères que le bon Dieu appelé à lui, et pour l'Institut dont ils vont multiplier, nous en avons la ferme confiance, les protecteurs auprès de Jésus et de Marie !

 A l'appui de ces réflexions, un mot sur chacun d'eux.

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Voici donc la liste des Frères et Postulants décédés depuis notre Circulaire du 8 avril 1870 :

 F. SIMPLICE,Obéissant, décédé à N.-D. de l'Hermitage, le 26 avril 1870.

 LANIER Henri, Postulant, décédé dans sa famille, à Crèches (Saône-et-Loire), le 12 avril 1870.

F. CÉSAIRE, Stable, décédé à Azerat (Dordogne), le 2 niai 1870.

F. NIICIIEI,-ANGE, Profès, décédé à Quintenas (Ardèche), le 19 mai 1870.

F. BENOIT, Stable, décédé à Saint-Ferréol-d'Auroure (Haute-Loire), le 23 mai 1870.

F. ADAUCTE,Profès, décédé à  Saint-Paul-Trois-Châteaux, le 26 mai 1870.

 Frère SIMPLICE, jeune Frère, bon, pieux, de faible santé, décédé à 23 ans, avec le vœu d'Obéissance, après neuf ans de Communauté, au moment où il se préparait à se consacrer, par la profession des trois vœux, à une vocation qu'il avait toujours aimée.

 II

 Frère CÉSAIRE, né LAGRANGE Jean-Baptiste, à Saint-Didier-sur-Chalaronne (Ain), est entré dans la Congrégation en 1838, il a fait Profession en 1845, et émis le vœu de Stabilité en 1856. Directeur Provincial de la Maison d'Hautefort, depuis onze ans, il est décédé dans la nouvelle Maison d'Azerat, dans sa quarante-neuvième année, après trente-deux ans de Communauté. Il a été inhumé à Hautefort.

 Successivement employé, comme second ou comme Directeur, à Firminy, à la Grange-Payre, à La Voulte, à Saint-Jean-Bonnefonds, à Lyon (Providence Saint-Nizier), à Vauban, à Breteuil, à Terrasson et à Hautefort il a été partout un Frère exemplaire sous tous les rapports.

 Ce que la Sainte Ecriture dit de Moïse, on a pu le dire du Frère Césaire, et on l'a dit en effet : Il a été chéri de Dieu et des hommes, et sa mémoire est en bénédiction. (Eccl., XLV.,1).

 Chéri de Dieu, prévenu de ses faveurs, Frère Césaire fut enrichi de tous les dons naturels et surnaturels qui font les âmes d'élite, les âmes privilégiées, que Dieu appelle, ici-bas, à un degré de mérites et de sainteté plus qu'ordinaire, afin de les faire arriver, dans l'éternité, à un plus haut degré de gloire et de bonheur.

 Rectitude d'esprit, bonté de cœur, droiture de volonté, excellent caractère, conscience délicate, dispositions marquées pour la piété, goût prononcé pour la vie religieuse, talents suffisants, rare savoir-faire, extérieur modeste et plein de dignité : il avait, au physique et au moral, tout ce qu'il faut pour faire un bon Religieux, un bon Frère Directeur, un bon Frère Provincial.

 C'est son bonheur d'avoir été ainsi favorisé de Dieu, comblé de ses grâces, dès ses plus tendres années ; mais sa gloire et son mérite, c'est d'avoir été reconnaissant de tous ces dons ; et, par une fidèle correspondance, de les avoir constamment accrus et multipliés.

 Il a plu à Dieu par une piété soutenue, par une grande humilité, par une innocence de vie admirable, paie une constante ferveur.

 Il a plu aux hommes par sa douceur et sa modestie, par sa charité et son délicieux caractère, par un zèle et un qui ne se sont jamais démentis.

 Frère Césaire estun de ces Frères qui ont encore toujours Fondateur, qui se sont pénétrés de son esprit, qui, heureusement, continuant les traditions primitives, les transmettent intactes il ceux qui les suivent. Nous devons recueillir avec soin leurs exemples et leurs leçons, afin de perpétuer et de consacrer parmi nous ces bonnestraditions, qui sont tout l'avenir de la Congrégation.

 Aussi, en vous traçant, dans cette Circulaire, un aperçu général des qualités et des vertus du bon Frère, mon intention est moins de vous donner sa Biographie, que de la préparer, en aidant ceux qui l'ont plus connu et mieux pratiqué, à recueillir leurs souvenirs, et il nous transmettre les détails et les faits qui doivent un jouir la compléter.

 Je l'ai dit ; et, j'en suis sûr, personne ne me démentira: Frère Césaire, pendant les trente-deux ans qu'il a vécu dans la Congrégation, a été un Frère modèle, un véritable type du Petit Frère de Marie.

 Modèle de piété et de ferveur, il trouvait son bonheur dans la Prière, à la Messe, à la Communion, à la Visite au Saint Sacrement, dans tous les Exercices de piété et de dévotion, dont il ne se dispensait jamais et qu'il faisait avec un parfait recueillement. Hier encore, un Frère Assistant ne pouvait assez me dire combien il était édifié pendant la Retraite du Régime, de la piété du bon Frère, de son admirable tenue à  la Chapelle et dans toutes les prières.

 L'ardent amour qu'il avait pour Notre-Seigneur, pour la sainte Eucharistie, l'avait porté à se charger, à Hautefort, de la décoration et du soin de la Chapelle. Il préparait lui-même les fleurs qui devaient orner l'autel, et il disposait toutes choses avec un tel ordre, un si bon goût, une si heureuse symétrie, que le petit appartement qui servait à cette fin, revêtait, aux Solennités, tout l'aspect religieux d'un véritable Sanctuaire.

 Cette même piété, cette même ferveur, il travaillait, sans cesse et de toutes ses forces, à l'inspirer à ses Frères et à ses Novices. Rien ne peut dire la peine qu'il éprouvait, et dont il nous entretenait dans ses lettres et dans nos visites, lorsque quelqu'un se négligeait sous ce rapport.

 Modèle de constance et de fidélité, partout et toujours il a tenu à la Règle de tout son pouvoir, et donné l'exemple d'une parfaite Ponctualité.

 Jamais il n'a balancé dans sa Vocation ; au contraire, il n'a fait que croître jusqu'à la mort, comme nous le verrons tout à l'heure, dans l'estime et l'amour qu'il en avait conçus, dès son entrée au Noviciat.

 La crainte d'offenser Dieu, suppléant en lui à l'énergie du caractère, il a su, en toute occasion, se montrer ferme pour le bien, faire respecter la vertu, la Règle, l'Autorité. Jamais il n'a tergiversé avec sa conscience, avec ses Vœux, avec ses devoirs.

 Modèle accompli de modestie, de simplicité, de vigilance chrétienne, Frère Césaire, comme s'il se fût défié d'un extérieur, d'une affabilité naturelle qui le rendait extrêmement agréable à tous ceux qui l'approchaient, poussait jusqu'à la timidité la réserve et la retenue dont il usait dans tous ses rapports. Il ne faisait que les visites absolument indispensables, il les abrégeait le plus possible, et il y gardait toujours une tenue si grave et si digne qu'elle lui gagnait l'estime et le respect de tous, plus encore que leur affection.

 Modèle d'humilité, de douceur et de charité, le bon Frère Césaire est sans contredit, de tous nos Religieux, un de ceux qui ont le mieux pratiqué les petites vertus dont parle saint François de Sales, et que notre pieux Fondateur nous donne, avec lui et d'après lui, comme le meilleur moyen d'entretenir la paix et l'union.

 Parmi ceux qui ont pratiqué Frère Césaire, qui n'a connu et qui n'a constamment éprouvé son esprit facile et condescendant, son cœur porté à l'indulgence et à la compassion, sa tendre sollicitude pour tous ses Frères et pour tous ses Enfants, son égalité d'âme et de caractère, l'urbanité, la politesse, l'affabilité de son langage et de toutes ses manières, la sainte joie, l'aimable et religieuse gaieté répandues sur toute sa personne ; en un mot, cette série non interrompue de paroles, d'actes et de façons d'agir, qui, pris en détail, constituent ce qu'on appelle les petites vertus ; mais qui, dans leur suite et leur ensemble, supposent et exigent une profonde humilité, une grande mortification et une extrême charité ; c'est-à-dire, l'héroïsme même de la vertu : l'oubli continuel et complet de soi-même, pour faire plaisir aux autres, pour les aider, les encourager, les consoler, les soulager, les supporter ?

 C'est le témoignage que lui ont rendu, en toute occasion, et M. le Curé d'Hautefort et M. le Comte de Damas, l'un et l'autre si experts et si exercés dans la matière.

 Oh ! quel bon Supérieur nous avons ! disaient les habitants d'Hautefort et des environs, ceux-là mêmes qui ne l'avaient vu et entretenu qu'une fois.

 « Oui,  s'est écrié M. de Presle, Conseiller d'Arrondissement parlant sur la tombe du bon Frère, le jour de ses funérailles,  c'est un véritable deuil pour le canton d'Hautefort que la mort du Supérieur des Frères Maristes ! Vos cœurs me le disent, et la nombreuse assistance qui m'environne, montre la perte que nous venons de faire. »

 « Depuis de longues années, Frère Césaire était au milieu de nous, s'occupant avec un zèle tout particulier de l'instruction et de l'éducation de vos Enfants. »

 « Je n'essaierai pas de vous parler de ses travaux de chaque jour, de ses fatigues continuelles pour faire prospérer la Maison d'Hautefort et les autres confiées à son zèle ; mais je vous rappellerai cet homme modeste et bon, d'un abord si facile, d'un accueil si bienveillant, toujours si bien disposé à vous entendre, toujours prêt à se dévouer, à se donner !… Comme il aimait vos Enfants ! Comme il s'efforçait d'en faire des hommes, de véritables Chefs de maison !… Et, en retour, comme il était apprécié et aimé par ces mêmes Enfants, par tous les jeunes gens !… De quelle considération il jouissait près des pères de famille ! Que de fois des métayers, des ouvriers, sont venus me dire : Quel homme respectable que le Frère Supérieur, comme nous l'aimons ! »

 La suite du discours est sur le dévouement du bon Frère pour l'instruction des Enfants, sur l'abnégation complète de lui-même pour faire le bien, sur l'excellence de ses rapports avec tous les habitants du canton. Puis, viennent ces pensées éminemment chrétiennes : « Quels  exemples nous laisse ce digne Frère Supérieur ! Messieurs, mes chers amis, vous ne les oublierez pas ! Déjà, cher Frère, vos vertus et vos travaux vous ont ouvert la porte du Ciel ; c'est là que vous nous donnez rendez-vous ; c'est là qu'un jour nous vous reverrons !»

 Le même hommage lui est rendu par l'honorable M. Merlet qui, pendant neuf ans, a eu son enfant en pension, sous la direction du Frère Césaire. Lui aussi se plaît à louer, entre autres vertus, son extrême modestie ; et telles étaient son estime et sa considération pour ce bon Frère, qu'il a voulu. les exprimer publiquement dans les journaux du pays.

 Il va sans dire, M. T. C. F., qu'à ces témoignages extérieurs des Autorités, des Parents et des Enfants se joint, à l'intérieur, le témoignageunanime de tous les Frères qui ont vécu avec le bon Frère Césaire ou sous sa dépendance. Il avait toute leur confiance et toute leur affection ; il les dominait, non par l'autorité, mais par la bonté et par la charité. Il n'en était point qui ne craignissent de lui faire de la peine et la plus forte de ses réprimandes, c'était de dire au délinquant : « Mon cher ami, en faisant ainsi, en ne vous levant pas à l'heure,  en ne  priant  pas  comme  il faut, vous  me faites de, la peine, beaucoup de peine ! »

    Ah ! quel bon secret de direction, de formation et de conservation des jeunes Frères donné à tous les Frères Directeurs ! C'est le résumé de l'excellent livre qui vient d'être mis entre leurs mains, Le bon Supérieur. Notre cher Défunt l'avait comme deviné et pratiqué  heureux les Directeurs qui, le possédant aujourd'hui, sauront l'étudier et le comprendre, l'apprécier et le pratiquer, comme il l'a fait ! Point de doute que les Maisons qui seront dirigées dans l'esprit de ce Livre, n'en reçoivent la plus heureuse, la plus sûre et la plus forte impulsion vers le bien.

 Un mot encore de l’attachement du Frère Césaire pour les Supérieurs, de son esprit de famille, de sa parfaite obéissance, fondée, comme sa douceur et sa charité sur une très profonde humilité.

 Mais, à cet égard, c'est lui-même qui va se peindre dans une lettre qu'il m'a écrite, tout entière de sa propre main, la veille même de sa mort. Elle m'est adressée par le cher Frère Théophane, Assistant de la Province, qui l'accompagne de cette note : « En vous adressant,  mon très Révérend Frère, cette lettre de révérence religieuse et de piété filiale de l'excellent Frère Césaire, je dois vous dire qu'elle est un acte de suprême effort et d'héroïque vertu. Pris d'un rhumatisme articulaire depuis la mi-novembre, le bon Frère n'avait pu écrire aux Supérieurs qu'une fois ou deux, en décembre son  état de faiblesse ne lui permettait plus de le faire et, en dernier lieu, il le pouvait d'autant moins qu'une attaque de paralysie s'était portée sur le bras droit. « C'est donc en prévision de sa mort, la veille même, que recueillant toutes ses forces, il a voulu exprimer ainsi, par écrit, à son Supérieur Général, ses sentiments intimes, témoigner de son amour, de son respect filial  pour l'Autorité. »

 M. le Curé, le voyant écrire avec tant de peine, l'engageait à ne pas continuer, à attendre qu'il fût un peu mieux. « Mais, disait le bon Frère, si je ne le fais pas aujourd'hui, demain ce sera trop tard ! » Puis., après quelques mots, toujours pleins d'affabilité, échangés avec M. le Curé, il reprenait son travail et épanchait ainsi son cœur dans le cœur de celui qu'il s'est toujours plu à regarder et à aimer comme son père.

 Mon très Révérend Frère Supérieur,

 « Le bon Dieu qui semble vouloir m'appeler tout prochainement à lui, me fait encore la grâce de pouvoir vous écrire ces quelques lignes : qu'il en soit mille fois béni !

 « Je commence, mon très Révérend Frère, par vous demander pardon de tous les manquements dont j'aurais pu me rendre coupable envers vous. Je suis très heureux de pouvoir vous témoigner, avec mon entière soumission, ma bien sincère reconnaissance pour la paternelle direction que vous m'avez donnée en toute circonstance ; je ne regrette qu'une chose, c'est de ne l'avoir pas toujours assez bien suivie… Je vous remercie également des ferventes et nombreuses prières que  vous avez eu la bonté de faire et de faire faire pour moi ; elles m'ont été et elles me seront certainement d'une grande utilité, pour me préparer à bien mourir, grâce que j'apprécie en ce moment plus que jamais.

 « Oh ! que je m'estime heureux d'avoir passé trente-deux ans dans la Société bénie de Marie, dans laquelle je suis si content de pouvoir mourir ! Malgré mes nombreuses infidélités à rendre à cette bonne Mère tous les hommages que j'aurais dû lui rendre, j'ai toute confiance qu'elle intercédera pour moi auprès de son divin Fils : car elle est le refuge des pécheurs et l'asile de ceux qui espèrent en sa puissante protection.

 « Tout ce que je dis à vous, mon très Révérend Frère, je le dis également au Frère Assistant. Je le remercie surtout des bonnes et pieuses lettres qu'il a bien voulu m'écrire régulièrement pendant ma maladie ; elles  m'ont fait le plus grand bien possible.

 « C'est au pied de la Croix de Jésus, où se trouve Marie, notre bonne et tendre Mère, que je vous fais mes adieux et que je vous demande votre bénédiction.»

 « Je suis avec le plus profond respect, mon très Révérend Frère Supérieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. »

                      Frère Césaire.

 Tel se montre le Frère Césaire dans cette touchante lettre : humble, pieux, reconnaissant, toujours plus heureux dans son état, soumis et respectueux envers ses Supérieurs, plein de confiance en Dieu et en Marie, tel il a été toute sa vie

 Quel bonheur pour lui !… Mais quelle grande, quelle utile, quelle capitale leçon pour nous tous, qui serons et resterons aussi, très probablement, à l'heure suprême, ce que notre vie nous aura faits ! …

 Lui, le bon Frère, sa vie, ses habitudes de tous les jours l'ont fait BON, PIEUX, FERVENT,et il va à Dieu dans la piété et la ferveur.

 On le voit, et tous les Frères le répètent et nous l'écrivent, c'est sans effort, c'est comme naturellement que les plus saintes pensées occupent son esprit et que les plus dévots sentiments remplissent son cœur. Il ne peut parler que de Dieu et des choses du salut.

 Tous les Frères qui l'approchent, il les presse et les conjure de vivre en bons Religieux ; et il leur promet, à la mort, le contentement ineffable qu'il éprouve lui-même. Ce contentement, le bonheur d'avoir vécu et de mourir dans la Société bénie de Marie, il ne peut ni assez le dire, ni assez l'écrire.

 Alors même qu'il se reproche des négligences, des infidélités, que son humilité est seule à apercevoir, il n'a que des pensées de paix, de joie et de sainte espérance. Les noms de Jésus, Marie, Joseph sont continuellement sur ses lèvres. Il ravit tout le monde par sa ferveur dans la réception des derniers Sacrements.

 Enfin, les jours qui précèdent sa mort, il ne veut avoir aux mains que sa Croix de Profession et un pieux souvenir, une fiole de l'eau miraculeuse de Notre-Dame de Lourdes. Ces objets pieux, il les passe et repasse d'une main à l'autre, il les presse sur ses lèvres et contre son cœur ; puis, il meurt en les joignant ensemble et les serrant de ses deux mains.

 Voilà, M. T. C. F., redisons-le avec bonheur, voilà le pieux, le fervent, l'heureux moribond !… Voyons ! Est-ce qu'une telle mort est achetée trop cher : par la séparation de la famille à dix-sept ans ?… par trente-deux ans de Religion ?… par l'abandon de la vie aux deux tiers de sa carrière ?… N'est-ce pas plutôt le cas de répéter, avec les saints Pénitents de la Trappe, que le plaisir de mourir sans peine, vaut bien la peine de vivre sans plaisir ?

 Oh ! j'en suis sûr, pas un de vous qui ne s'estimât heureux de mourir comme le bon Frère Césaire.

 Eh bien! voulons-nous nous assurer ce bonheur, voulons-nous avoir le suprême, l'incomparable plaisir de la bonne mort ? vivons comme Frère Césaire; soyons bons, simples, humbles, pieux et obéissants comme lui. Bien loin de nous résigner à vivre sans plaisir, aspirons tous, au contraire, à nous trouver heureux, à être contents dans notre état, comme l'excellent Frère l'a toujours été.

 Sa grande humilité lui donnait une extrême défiance de lui-même. Il souffrait d'être chargé d'une Maison si considérable. « Tout autre que moi, disait-il, donnerait  une meilleure direction à ces Frères et à ces Novices. C'est leur faire tort que de les laisser sous un Directeur si incapable et si peu vertueux. Ah ! de grâce, remettez-moi sous l'obéissance, ou au moins donnez-moi un petit Etablissement. » Cette demande si humble revenait fréquemment et dans ses lettres et dans ses entretiens avec nous ; mais jamais elle n'allait jusqu'au découragement. Un avis, un mot de son Supérieur ou de son Assistant, suffisait pour apaiser ses défiances et calmer ses craintes.

 C'est que, toujours, dans toute sa conduite, l'obéissance et l'humilité, se donnant la main et se soutenant l'une l'autre, ne lui permettaient pas de perdre la paix, la sainte joie.

 Autre secret admirable, qui a donné au bon Frère, jusqu'au dernier moment, une aimable gaieté, une douce et merveilleuse assurance ! Secret infaillible, qui nous donnerait à tous, si nous le pratiquions comme lui, la paix et le contentement, au milieu même des humiliations, des contradictions, des plus rudes épreuves. Apprenez de moi, dit Jésus-Christ, que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes (Matth. XI, 29).

 III

 Frère ADAUCTE, né GALLON Jacques, Profès depuis 1863, est décédé à vingt-neuf ans, après douze ans de Communauté.

 Toujours pieux, toujours régulier, ce bon Frère a parfaitement contenté et comme Second et comme Directeur. Il a dirigé, pendant cinq ans, l'Ecole et l'Etablissement de Soucieu-en-Jarez, près de Lyon.

 Si ce n'était la volonté de Dieu, que nous devons toujours adorer et aimer, et qui règle toutes choses pour le plus grand bien, on regretterait que la mort soit venue le frapper presque au début de sa carrière, alors qu'il avait le plus ardent désir de faire le bien parmi les Enfants et qu'il y réussissait.

 Le bon Dieu s'est contenté de sa bonne volonté ; il lui a donné le temps et la grâce de se préparer à la mort avec une ferveur toute particulière, et il l'a appelé à lui le matin même du jour de l'Ascension, pendant que la Communauté chantait le Salve Regina.

 Le cher Frère Directeur nous écrit qu'il a été très édifiant jusqu'à la fin, assistant à la Messe tous les jours, la veille même de sa mort, visitant assidûment le Saint-Sacrement et ne manquant aucune de ses Communions.

 D'une conscience extrêmement délicate, il apportait tant de soin à toutes ses Confessions, qu'après une revue générale, dans la Semaine Sainte, il fallait encore, pour le tranquilliser, et sa parfaite docilité et toute l'autorité de M. l'Aumônier. Mais Dieu le voulait ainsi ; car dans ses desseins miséricordieux, cette préparation prochaine, si soigneusement faite, devait suppléer, en partie du moins, à la préparation immédiate qu'une aggravation subite et rapide de sa maladie l'a forcé à précipiter. On n'a eu que le temps d'appeler M. l'Aumônier, et c'est à peine si le malade avait sa connaissance pendant qu'il l'administrait.

    C'est à dessein que je relate ici cette circonstance, afin qu'elle serve d'avertissement à ceux de nos Frères (et c'est le grand nombre) qui sont pris de maladie de poitrine.

 La maladie de poitrine est appelée la maladie des Elus, parce qu'en avertissant solidement d'une fin prochaine, elle laisse toute facilité pour se préparer ; mais il arrive assez fréquemment, dans les affections pulmonaires du dernier degré, que la mort, sans être imprévue, est subite et même très subite. On va, on vient, comme le bon Frère Adaucte, on mange, on se promène, on fait toutes choses presque comme à l'ordinaire, on fait même des projets d'avenir et de prompte guérison, puis survient tout à coup, quelque accès de toux, quelque effort qui suffoque le malade et détermine une mort presque immédiate.

 Dans le cas actuel, il est certain que le cher Frère Adaucte n'a dû de recevoir les derniers Sacrements qu'à l'habileté et au long exercice du bon Frère Amable, qui, de son lit, comprenant qu'il y avait quelque altération dans la respiration du malade, est vite allé à son secours.

 Finalement, en cette maladie, comme en toutes les autres, et plus encore, mieux vaut hâter que retarder l'administration des derniers Sacrements.

 IV

 Frère MICHEL-ANGE, BERNARD Michel, né à Cornillac (Drôme) en 1819, est entre au Noviciat de Saint-Paul-Trois-Châteaux, en 1838, et il a fait profession en 1844. C'est à cinquante et un ans, après trente-deux ans de Communauté, qu'il a rendu son âme à Dieu. Il dirigeait l'Etablissement de Quintenas (Ardèche) depuis quinze ans, après avoir dirige celui de Préaux (même département) pendant neuf ans.

 Frère Michel-Ange appartenait à une famille éminemment chrétienne, qui a donné, avec un excellent Prêtre à l'Eglise, deux de ses Membres à la Congrégation: notre cher défunt, et son frère, le Frère François-Michel, Directeur de Vieux-Condé (Nord).

 C'est par la piété, bien plus que par les talents, que Frère Michel-Ange a réussi dans l'enseignement et qu'il a fait le bien. Timide à l'excès, embarrassé même dans sa tenue comme dans son langage, il ne révélait presque rien, au premier abord, des qualités précieuses de son esprit et de son cœur ; mais, à la longue, et même assez promptement, on découvrait en lui tant de piété, tant de dévouement, une intention si droite d'aller à Dieu, une âme si pure et si candide, qu'on se prenait bien vite à l'estimer et à l'aimer.

 Du reste, il ne manquait ni de moyens ni de connaissances. Il possédait très bien toutes les parties de l'enseignement primaire élémentaire ; il avait même beaucoup de facilité pour la composition. Ses Frères nous écrivent qu'il laisse des notes excellentes sur le catéchisme, et qu'elles remplissent plus de trois rames de papier.

 C'est ainsi que, sans bruit et sans éclat, il a fait le bien partout où il a passé, qu'il s'est attaché, ses Frères et ses Enfants, et qu'il a su mériter la confiance de tout le monde, des Autorités et des Parents.

 Le treize mai dernier, pris d'un refroidissement subit, avec complication d'affections typhoïdes, il n'a été que six jours malade.

 Le Frère sous-directeur, répondant à une lettre du cher Frère Euthyme, Assistant, annonce ainsi la mort du bon Frère : « Ce n'est pas de notre cher Malade que je puis vous donner des nouvelles, c'est d'un saint protecteur de plus que nous avons dans le Ciel, selon l'expression même de M. le Curé. Il est mort jeudi dernier, 19 mai, après avoir reçu tous les secours de la Religion, en pleine connaissance, avec toute la piété et toute la ferveur que vous lui connaissiez, et qui faisait ici l'admiration de tous les habitants de la paroisse. »

 « Selon la Règle, nous nous sommes empressés de  faire faire pour lui les prières et de donner les messes d'usage; mais c'est à peine si M. le Curé voulait recevoir les Messes. Il nous disait : On ne prie pas pour les Saints, on les invoque. Votre Frère Michel-Ange est sûrement en Paradis; il n'était pas seulement  Ange par le nom ; il l'était réellement par la pureté de son âme, par son admirable innocence et par toutes ses vertus. »

 On n'avait pas d'autre opinion de lui dans toute la Paroisse ; et, c'est pour répondre à ce sentiment général, aussi bien que par l'effet de son estime et de son affection personnelles pour le saint défunt, que M. le Curé a voulu faire ses obsèques avec toute la pompe possible, y inviter les Pénitents, les Ecoles et toutes les Confréries.

 La Paroisse entière y était, disent les Frères; et depuis sa mort, personne ne vient à la maison qu'il n'ait quelque chose à dire du Saint, comme on l'appelle.

 Quelques jours après, en nous annonçant un vote de 11.700 francs du Conseil municipal, et un don de 3.000 francs de M. le Curé, pour la construction d'une Maison d'Ecole, les Frères ne manquent pas d'attribuer ce bon succès aux prières du Défunt.

 Ainsi, M. T. C. F., le bon Dieu se plaît à faire éclater, même dès ici-bas, le mérite caché de ses plus humbles serviteurs. Personne ne faisait attention au bon Frère Michel-Ange, il passait inaperçu, même parmi nous, et voilà que tout à coup on ne parle que de lui dans la Paroisse où il est, dans les Paroisses voisines, et maintenant dans toute la Congrégation, en attendant le jour qui doit révéler à l'univers entier la gloire dont ses vertus sont couronnées dans le Ciel. Oh! que le Prophète Royal a bien raison de s'écrier à ce sujet: Que vos amis, ô mon Dieu, sont comblés d'honneur, et que leur puissance est solidement affermie ! (Ps. CXXXVIII, 17.)

 ———————————–

 Frère BENOIT, revenant d'Annonay pour ses provisions de classiques, voulut faire une apparition de quelques heures à Salnt-Ferréol-d'Ouroure, pour donner, disait-il, ses derniers avis et un dernier adieu à quelques parents qu'il avait encore dans cette localité.

 Il sortait à peine du village, vers 8 heures du soir, se dirigeant tranquillement sur Firminy, qu'une voiture, lancée à toute vitesse, vint le heurter sur la route, sans qu'il eût le temps de se détourner.

 Rudement frappé dans les reins, au point d'en avoir sa soutane déchirée, il fut jeté à terre avec une telle violence qu'il eut la clavicule droite fracturée, et qu'une hémorragie se fit aussitôt par le nez, l'oreille droite et la bouche.

 Le bon Frère était blessé à mort, et presque sans connaissance ; cependant, il eut encore la force de se relever et d'arriver à une des premières maisons, en s'appuyant sur le bras du maître de la voiture.

 Informés de cet accident, les Frères du Sacré-Cœur, établis à Saint-Ferréol, vinrent aussitôt à son secours, et demandèrent qu'il fût transporté dans leur Maison.

 C'est auprès de ces bons Frères qu'il a passé les trois jours qu'il vécut encore; et nous devons le dire, dans un sentiment de profonde reconnaissance pour eux, pour M. le, Curé, M. le Vicaire, les bonnes Sœurs et autres habitants de Saint-Ferréol, notre cher malade a été l'objet des plus charitables attentions et des soins les plus empressés : il n'était pas possible de faire plus ni de faire mieux.

    Mais hélas ! et les soins, et les attentions, et les remèdes. tout devait être inutile. Dieu avait fixé, à cette heure et en ce lieu, la fin de sa vie et de ses travaux. Cependant, il voulut, dans sa miséricorde, qu'il reprît assez de connaissance pour se rendre compte de sa situation, demander lui-même un prêtre, et se mettre en état de recevoir, avec plus de fruit, les secours de la religion.

 C'est le cher Frère Félicité, Assistant, qui fut envoyé de la Maison-Mère, à la première nouvelle de l'accident pour assister le malade et recevoir ses communications. Il en fut reconnu, en effet ; Frère Benoît lui serra la main et lui donna quelques courtes réponses, mais incomplètes et sans suite.

 L'accident avait eu lieu le vendredi, 20 mai ; le lundi suivant, à deux heures du soir, la mort venait mettre fin à ses souffrances et à sa longue agonie.

 Ses obsèques eurent lieu le mercredi matin, veille de l'Ascension, avec toute la solennité d'usage. Nous avions eu la pensée de rapporter ses restes mortels à la Maison-Mère ; mais, outre la longueur des formalités et le danger de la putréfaction à cause des chaleurs, le cher Frère Assistant dut céder aux instances du Clergé et des habitants, qui tenaient à garder le bon Frère décédé au milieu d'eux.

 Il y eut auprès de son corps, exposé, selon l'usage, avec le costume religieux, un concours non interrompu de pieux fidèles qui venaient prier pour le cher Défunt, réciter le Chapelet des morts, et lui faire toucher des objets de piété qu'ils baisaient ensuite avec respect.

 Le cher Frère Assistant est revenu enchanté de l'esprit éminemment religieux de cette bonne population ; et tous, nous avons reçu une grande consolation des abondantes prières et nombreux suffrages qui ont été accordés au bon Frère.

 Quant à son sort éternel, il nous laisse pleins de confiance, pleins d'assurance, comme celui de tous nos chers Frères Défunts. C'est dans cette pensée que nous avons demandé, et que nous exprimons de nouveau le désir, qu'il ne soit fait aucune peine aux auteurs involontaires de ce douloureux accident.

 Frère BENOIT est ce jeune homme déjà âgé, Benoît Deville, qui se présenta au Père Champagnat, au sortir de la grande maladie qu'il fit à la fin de 1825 C'est à lui que M. Courveille, en ce moment dans la chambre du Père, fit une telle peinture des obligations de la vie religieuse et de toute la perfection qu'elle exige, que le pauvre Aspirant en fut tout effrayé et tout découragé.

 Cependant, il se présentait dans de très bonnes dispositions, non par besoin ni par aucune vue humaine, mais dans le seul désir de faire mieux son salut.

 Fort et plein d'ardeur, aimant l'ordre et le travail, très économe, très rangé dans toute sa conduite, avec le bon sens et le savoir-faire qui l'ont toujours distingué, le jeune Deville, déjà possesseur d'un petit avoir et d'assez bonnes réserves, était certainement à la veille de se faire, dans les limites de sa condition, une position sociale très convenable.

 Il faisait donc acte de courage et de générosité, en venant à l'Hermitage, à cette époque surtout où, visiblement, tout était encore comme à l'état d'essai.

 Nous savons avec quelle sagacité le pieux Fondateur le comprit tout aussitôt, et avec quelle industrieuse charité il sut retenir le jeune homme, l'encourager et détruire tout le mauvais effet de paroles aussi déplacées qu'exagérées.

 Frère Benoît, qui a toujours beaucoup apprécié et aimé sa Vocation, n'oublia jamais qu'il la devait au Père Champagnat ; il lui en garda une reconnaissance et une affection qui se manifestaient en toute circonstance. C'est ce qui le porta, étant à Saint-Chamond, à demander une copie du portrait du Père Champagnat, au peintre même qui l'avait fait ; et ce second Portrait, plus ressemblant peut-être que l'original lui-même, il a tenu à l'avoir toujours avec lui.

 « Il me semble encore, disait-il quelquefois, voir le bon Père monter avec moi l'escalier de la chapelle, s'arrêter de temps en temps pour respirer un peu, m'adresser des paroles d'encouragement qui m'allaient jusqu'au cœur, et me faire promettre, devant l'image de Marie, de revenir au plus tôt et de ne jamais reculer.

Le bon Frère, en effet, n'a jamais reculé. Depuis son entrée au Noviciat jusqu'à sa mort, il s'est montré un digne Enfant du Père Champagnat ; il s'est dévoué à son Œuvre, sans calcul, sans ménagement aucun.

 Mettez de côté quelques saillies de caractère, encore plus vite passées que promptement venues, vous avez dans Frère Benoît, pendant un demi-siècle près de vie religieuse, une conduite constamment bonne, constamment marquée au coin d'un rare bon sens, uni à une bonne et constante vertu.

 Frère Benoît a débuté par les emplois temporels ; et, parce qu'il était fort et très actif, il a eu les gros travaux, les grosses cuisines de l'Hermitage, de Charlieu, de la Côte-Saint-André, et autres.

 Dans tous ces emplois et dans toutes ces Maisons, Frère Benoît a fait preuve de beaucoup de bon sens, de beaucoup de vertu, d'un excellent esprit, se donnant tout entier à son travail, ne plaignant ni temps, ni peine pour le bien faire, prenant toujours les intérêts de l'Institut aux dépens des siens, se sacrifiant volontiers pour le bien commun.

 C'est ce début, plein de courage, de dévouement et d'abnégation, qui a donné un fondement si solide à la vocation du Frère Benoît ; et, si l'instruction a souffert chez lui, comme chez la plupart de nos bons Anciens, des emplois manuels, on peut dire que les solides vertus d'humilité, de charité, de patience et de mortification, non seulement y jetaient de profondes racines, mais y prenaient encore de merveilleux accroissements.

 Aussi, quand Frère Benoît passa à l'étude, aux classes, à la direction des Maisons, à l'enseignement, il ne fut jamais en-dessous de sa besogne. Avec des moyens ordinaires et une instruction médiocre, il suffit à tout, il sut s'attirer l'estime et la confiance de tous, réussir en tout : et pourquoi?

 Pour trois raisons : 1° parce qu'il avait un caractère et une volonté très énergiques ; et que, voulant fortement les choses, il les faisait toutes, avec activité et constance ; 2° parce que, dans ses actes comme dans ses paroles, le bon sens dont il était doué, ajoutait toujours à l'activité la convenance et l'à-propos ; 3° parce que la vertu, son humilité, le tenant en défiance sur son aptitude et ses moyens, il faisait tout avec beaucoup de soins, beaucoup d'application, n'oubliait rien, ne se négligeait sur rien.

 Soyez sûrs, M. T. C. F., que ces trois choses : L'activité, le BON SENS et UNE BONNE VERTU, MÊME ORDINAIRE sont plus en administration, font plus pour la solidité des affaires, que toutes les capacités du monde, quand la suffisance et la présomption s'y joignent.

 La preuve qu'elles ont largement suffi au Frère Benoît, c'est que, pendant vingt-trois ans révolus qu'il a tenu, lui seul, toute la Librairie scolaire de deux grandes provinces, il n'a jamais été en défaut avec aucun de ses fournisseurs, avec aucun Etablissement, dans ses comptes, dans ses factures, dans toute cette gestion si considérable et si multiple.

 Belle et solide leçon pour toute notre jeunesse des Ecoles et des Noviciats, pour tous ceux qui sont chargés de la former et de la conserver ! Non, la science ne doit pas être oubliée, on la demande, et il la faut ; mais qu'on oublie moins encore de la tempérer par une solide vertu, par la culture et la pratique d'un bon sens modeste, par l'exercice prolongé d'un humble et laborieux dévouement dans nos emplois les plus bas et les plus pénibles.

 Nous devons à la vertu et au bon sens du Frère Benoît un autre exemple, qui a été comme le secret de sa longue persévérance, et qui doit être aussi le secret et le moyen de la nôtre.

 Ce secret, il se révèle, et le bon Frère l'applique dès son arrivée à l'Hermitage, dans la chambre même du Fondateur. Là, apparaissent, tout de suite, deux influences, l'une empruntée et sévère, qui lui exagère les difficultés de la vie religieuse et l'en détourne ; l'autre juste et paternelle, qui lui aplanit ces mêmes difficultés et l'attire dans la Communauté. Heureusement, Frère Benoît a déjà et assez de bon sens pour comprendre quelle est la bonne, la seule vraie, et assez de courage et de vertu pour l'accepter et la suivre.

 Or, ce qu'il a fait une première fois, il le fera toute sa vie. Toute sa vie, il écartera les mauvais conseils, il échappera à toutes les séductions. Il ne se laissera ni ébranler par les défections, ni entraîner par les scandales, ni tromper par qui que ce soit. Et qu'est-ce qui le tiendra dans cette bonne voie ? qu'est-ce qui lui fera parcourir, sans se lasser, sans dévier, ses quarante-cinq ans de vie religieuse ? La grâce et le secours de Dieu sans doute, mais cette grâce et ce secours lui arrivant par les Supérieurs ; l'esprit religieux coulant en lui et s'y conservant par l'obéissance : il ne subit d'autre influence, il ne reçoit d'autre direction que celle qui lui vient d'en Haut, de Dieu même, en la personne de ceux qu'il a chargés de le conduire.

 Grande leçon ! M. T. C. F., bel exemple ! surtout pour nos jeunes Frères, qui ne peuvent, eux aussi, se conserver, faire le bien et persévérer qu'autant qu'ils se laisseront conduire, comme le bon Frère Benoît, avec beaucoup de docilité et d'humilité.

 Tout Religieux, du reste, quel qu'il soit, et quels que puissent être son âge, sa position, ses talents, ses vertus même, s'il ne reçoit pas l'influence ordinaire, légitime et divine de son Supérieur, en recevra, infailliblement, une autre, étrangère, irrégulière et tout humaine, qui le perdra, ou du moins paralysera considérable i tient le bien qu'il pouvait faire. En Religion, rien n'est solide, rien n'est durable que ce qui est marqué du double sceau de l'humilité et de l'obéissance.

 Apprenons encore de notre bon Frère Benoît à ne penser mal de personne, à ne jamais soupçonner ni juger témérairement, et plus encore à ne rien dire qui puisse nuire à nos Frères et au prochain. Sur tous ces points, la conduite de ce Frère a été exemplaire, si exemplaire qu'en vingt-trois ans qu'il a vécu à côté de nous, ou à l'Hermitage on à Saint-Genis, nous ne l'avons pas surpris une fois à y manquer. Les membres du Régime causant de lui, tous ensemble, en faisaient heureusement la remarque, et l'affirmaient tous.

 Dieu soit béni de cette grâce accordée a notre cher Défunt. Elle s'ajoute à tous les autres motifs que nous avons de penser que le bon Dieu l'a reçu dans sa miséricorde: car on peut bien lui appliquer ces paroles de Notre-Seigneur : Ne jugez point et vous ne serez point jugés. Ne condamnez point et vous ne serez point condamnés(Luc, VI, 37).

 Frère Benoît avait le bon esprit de se, renfermer dans dont il était chargé, de ne point s'occuper de ceux des autres et de s'épargner ainsi à lui-même toute occasion de blâme et de critique, et aux autres tout sujetd'inquiétude et de mécontentement. Cette manière de faire est excellente, surtout dans les grandes Maisons, où l'esprit de contrôle se glisse si facilement, et toujours, ni grand détriment de la charité.

 Frère Benoît, par son esprit d'ordre et d'économie, par son dévouement absolu au bien de l'Institut, par l'amour et la pratique de la pauvreté et de la simplicité, par son attachement, son respect et sa soumission à l'égard des Supérieurs, par une extrême sévérité envers lui-même, ressemblait à tous nos bons Anciens de Lavalla et de l'Hermitage. Ces qualités et dispositions tenaient en lui, moins à une piété ou ferveur sensible, qu'à un grand bon sens naturel, à un bon fonds de conscience et à une solide vertu.

 Quoiqu'il maniât, chaque année, de soixante à quatre-vingt mille francs, il se serait fait scrupule de la moindre dépense inutile ou purement personnelle. Dans ses portefeuilles, dans ses commodes, dans toute sa librairie, pas le plus petit objet de fantaisie à son usage, rien absolument que ce que la Règle permet à tous.

On s'est plaint que, dans ses ventes, il ne savait faire aucune gratification, qu'il ne donnait rien, pas même une image.  On l'en plaisantait quelquefois, on le traitait d'avare, on lui opposait la pratique contraire des marchands de Lyon et d'ailleurs. « Oui, oui, répondait-il,  ils vous passent cinq centimes, pour vous avoir cinq francs ; mais moi, je ne puis pas le faire : car si j'ai la permission de vendre, je n'ai pas celle de donner. »

Dans le fait, Frère Benoît, comme Frère Louis, son prédécesseur, obéissait ici à sa conscience. Ni l'un ni l'autre ne croyaient que le Vœu de Pauvreté leur permît ces sortes de gratifications; et rien n'a pu les y amener, pas même l'intérêt, le succès de leur petit commerce, auquel pourtant ils tenaient très fort tous les deux, comme vous le savez.

  Nouvelle preuve de la fermeté de ces bons Frères sur les principes, fermeté qui les rendait inaccessibles à toute influence quelconque, dès que leur conscience s'y refusait.           

Je dis que Frère Benoît, de même que Frère Louis, avait grandement à cœur le succès de son petit commerce mais il ne faut pas croire que ce fût par aucune vue sordide, par aucun motif quelconque d'intérêt personnel. C'était, pur dévouement pour l'Institut. Le dévouement religieux, L'esprit de famille l'esprit filialse,joignant, dans nos Anciens, à un grand amour de la Pauvreté, à un grand respect pour les obligations de ce vœu, il leur tait comme impossible de se permettre la moindre prodigalité le moindre écart, on de négliger quoi que ce soit. Au contraire, ils donnaient beaucoup plus de soin aux choses, aux intérêts matériels des Maisons, que s'ils avaient agi pour leur propre compte.

Ici, j'aime d'autant mieux à vous proposer, comme modèle, l'esprit d'ordre et d'économie du Frère Benoît, son esprit de pauvreté et de dévouement, qu'il n'avait rien de rude, rien d'exagéré. En tout, ce Frère était très juste, très raisonnable : on peut dire de lui, en général, que le bon sens, relevé par une bonne conscience, a présidé à toute sa don le tenant toujours clans ce juste milieu qui fait la vertu et que tout le monde peut imiter.

Dans la pratique de l'Obéissance et dans ses rapports avec les Supérieurs, même caractère, même genre simple, bon, modéré, et très consciencieux.

Quoiqu'il eût, la direction générale des classiques de deux grandes Provinces, il ne se croyait pas dispensé de demander permission pour tous ses voyages, les petites courses à Lyon à part ; encore en prévenait-il le Frère Directeur.

Plein d'égards et d'attentions pour tous les Membres du Régime, il se présentait toujours dans nos chambres d'une manière très respectueuse ; il craignait singulièrement de déranger, de faire perdre le temps. Je n'ai jamais pu obtenir, même en hiver, qu'il entrât avec sa calotte sur la tête ; il ne la reprenait que sur mes instances, chaque fois renouvelées.

 Du reste Frère Benoît avait de la dignité et de la convenance avec tous ; on ne surprenait en lui aucune légèreté, rien qui s'écartât du respect et des égards dus à chacun.

 Il n'est qu'un point sur lequel il était difficile et comme impossible de lui faire entendre raison, c'est l'article des soins et des ménagements dont il avait besoin. Tout le monde sait que, depuis de longues années, il souffrait d'un asthme qui lui arrachait les entrailles, chaque hiver le faisait tousser et cracher jusqu'à extinction, souvent jusqu'au sang. Impossible de l'amener à un régime tant soit peu adouci, de lui ôter sa boisson froide et mêlée, sa salade vinaigrée, la nourriture commune et ordinaire. Si on le forçait quelquefois de monter à l'infirmerie, il en descendait le plus tôt possible, se glissait au réfectoire sans rien dire, et se remettait au train général. Avec cela, il n'en était pas moins opiniâtre au travail, mettant la main à tout dans sa Procure, ne s'oubliant sur rien, ni dans les comptes, ni dans le soin et la bonne tenue des choses.

 Ainsi a-t-il fait pendant 70 ans ; et certainement qu'il aurait fait de même plusieurs années encore, si le terrible accident de Saint-Ferréol n'était venu briser violemment et subitement sa forte constitution. Où sont ceux qui, en se dorlotant, en multipliant les soins et les précautions, iront à cet âge et garderont cette force ? Il faut bien le reconnaître, avec tous nos adoucissements d'aujourd'hui, avec nos délicatesses toujours croissantes, nous n'allons ni à fortifier les santés ni à perfectionner les vertus : on abaisse plutôt et les tempéraments et les caractères, et les corps et les âmes. Prenons-y garde.

 A ce propos, un petit trait, pour montrer dans quel esprit pacifique se réglait, à cette époque, une difficulté de cuisine, source trop fréquente aujourd'hui de brouille et de division. Le premier mérite en est au Frère Benoît, qui fut toujours un de ces religieux durs à eux-mêmes, morts à toutes les délicatesses, sauf à celles de la conscience, qui ne manquent pas de sacrifier tous les goûts au bien de la paix, à la bonne union, à l'obéissance.

 Donc, à Pâques de 1833, Frère Benoît et autres, tous seconds à la Côte-Saint-André, firent faute ensemble et ensemble eurent à payer.

 La faute fut qu'en l'absence du cher Frère Directeur, Frère Jean-Pierre, excellent Religieux, mais un peu sévère, F. Benoît acheta, pour chacun, une brioche de dix centimes, peut-être de quinze, et en fit le dessert de la fête.

 Le paiement fut la suppression de la viande. « Ha !  ha ! dit Frère Jean-Pierre, à son retour de l'Hermitage, où il était allé passer la fête, voilà comme vous faites, vous autres; quand je n'y suis pas, vous mangez la brioche, c'est bon, c'est bon ; mais, comme  nous n'avons pas d'argent pour ces friandises, vous ne serez ni surpris, ni fâchés que nous les regagnions ensemble.» Puis, sans autre explication, plus de viande à dîner ; tous les jours, des choux ou des épinards pour le premier plat, et du fromage blanc pour le second : pas de dessert alors.

 Frère Benoît était le plus ancien, il s'exécuta sans mot dire, et les autres firent de même. Depuis trois semaines chacun donc mangeait gaiement ses épinards et son fromage blanc, lorsque le Père Champagnat, passant à la Côte par circonstance, eut connaissance du fait, trouva notre régime par trop herbacé, et dit au cher Frère Directeur de rétablir le plat de viande ; ajoutant, ce, qui était inouï encore, qu'il serait servi à raison de douze kilogrammes par semaine, autant qu'on était en ce moment de Frères et de Pensionnaires.

 Frère Jean-Pierre, non sans grimacer un peu : « Oui, oui, mon Père, dit-il, c'est entendu, je remettrai la viande, puisque vous le désirez ; je ne suis pas mécontent de mes hommes, j'en aurai soin. »

 Il la remit en effet, mais bientôt, le premier système regagnant, le plat de viande ne fut plus qu'un mélange de pommes de terre et de je ne sais trop quoi.

 Or, je dois le dire, on mangea le mélange comme on avait mangé les épinards et le fromage blanc ; on n'en fut ni moins gais, ni moins unis, et, de plus, ni moins bien portants.

 Finalement, après quelques mois de ce régime bravement accepté, l'aventure eut cela de bon qu'elle donna cours au kilogramme de viande par semaine pour chaque Frère : quantité qu'on ne dépasse guère, nulle part, malgré la tolérance, venue plus tard, d'un demi-kilogramme en plus.

 Réminiscence d'il y a trente-sept ans, qui, aujourd'hui encore, fait honneur à notre cher défunt, parce qu'il y apporta sa bonne part de patience et d'esprit pacifique.

 Mais, mettez à sa place, mettez en second, mettez en troisième, mettez un de ces meneurs, qui, souvent, sans avoir l'air d'y toucher, agissant et parlant en dessous, trouvent le moyen de tout exagérer, de tout aigrir, de tout brouiller, que serait-il arrivé? Hélas ! ce qui arrive ordinairement, quand, à une difficulté quelconque, se joint l'action d'un mauvais esprit, d'un seul; nous aurions eu une Maison sens dessus dessous : des disputes, des querelles, une bouderie de plusieurs mois.

 Nous aurions eu ce qu'on a, en pareil cas, le mal au double : la difficulté doublée de mauvaise humeur, la mauvaise cuisine surajoutée de mauvais esprit.

 Mauvais système, où chacun souffre davantage et souffre sans mérite ; où, d'un rien, d'une petite difficulté, qui tombait d'elle-même, avec un peu de calme et de patience, avec quelques explications amicales, au plus, avec la pacifique intervention des Supérieurs, on fait la cause nécessaire d'une séparation qui ne profite ni aux individus ni aux Maisons, ni à la vertu ni au bien. Non, non, ces séparations, ces mutations forcées ne profitent pas aux individus, qui refusent de fortifier leur vertu et de mûrir leur caractère par l'exercice ; elles ne profitent pas aux Maisons, qui ne peuvent qu'y perdre, au contraire, en réputation et en progrès.

 Je vous le répète, M. T. C. F., défiez-vous des mauvaises influences, des influences venant d'en bas, à l'encontre de l'Autorité. Celles qui viennent d'en Haut, de Dieu, des Directeurs, des Supérieurs, ou d'un pieux Confrère qui les appuie, sont comme la chaleur : elles dilatent, elles adoucissent et encouragent, elles mènent à bien. Celles qui viennent d'en bas, d'un Second contre le Directeur, et, bien plus encore, d'un Directeur, quel qu'il soit, contre les premiers Supérieurs, ces influences-là, sont comme le froid: elles resserrent, elles enveniment, elles abattent. S'ajoutant au poids de la pauvre nature, elles font bien vite descendre aux murmures et au mauvais esprit ; enfin, il est d'expérience qu'elles ne peuvent aboutir qu'à mal et pour les autres et pour ceux qui les subissent.

 Ah ! plutôt apprenons et gardons, de notre bon Frère Benoît, la docilité, la charité, l'esprit d'abnégation, d'humilité et de pauvreté; gardons-en ce qui fait sortir heureusement de toutes les difficultés : LE BON SENS UNI A LA BONNE VERTU.

    Ce que j'ai dit du cher Frère Ignace et du cher Frère Césaire, je le dis du cher Frère Benoît : tâchons de ne rien perdre de la vie et des exemples de ces bons Anciens et que chacun se fasse un devoir de nous apporter ses notes particulières, d'après les indications qui précèdent.

 Nous prierons néanmoins, d'une manière toute spéciale, pour le bon Frère Benoît, à cause du terrible accident dont il a été la victime, et nous nous efforcerons plus que jamais de nous tenir toujours prêts. Si Dieu a pris presque subitement plusieurs de nos Anciens, c'est par miséricorde pour nous. En appelant ceux qui étaient tout préparés, il a voulu avertir ceux qui ne le seraient pas suffisamment : ne manquons pas à cette leçon et à cette grâce, qui coûtent si cher à la Congrégation.

 VI

 Voici nos Retraites annuelles qui sont, en effet, l'occasion et le moyen par excellence de bien régler nos comptes et de mettre nos consciences en bon état. Proposons-nous, dans ce but, de les faire avec un soin et une ferveur tout extraordinaires. Elles auront lieu dans l'ordre suivant :

 1° Saint-Genis-Laval (Le Régime), du 9 au 16 juillet.

 2° Saint-Genis-Laval (Province de Saint-Genis-Laval), du 28 août au 4 septembre.

 3° Saint-Genis-Laval (Province de Notre-Dame de l'Hermitage), du 11 au 18 septembre. 

 1ière Nord (Glasgow), du 21 au 28 juillet.

 2nde  Nord (Frères anglais de Beaucamps, et les Frères de Londres), du 2 au 9 août.

 3ième Nord (Province de Beaucamps), du 4 au Il septembre.

 La Bégude, du 1ierau 8 septembre.

 Saint-Paul-Trois-Châteaux, du 18 au 25 septembre.

 Azerat (Province de l'Ouest), du 25 septembre au 2 octobre.

 Les Frères du Cap de Bonne-Espérance feront leur Retraite, en juillet, et les Frères de Syrie, en septembre, dans la huitaine qui conviendra le mieux.

 On doit être rendus la veille de la Retraite, arriver ensemble à la Maison-Mère, et se présenter ensemble aux Supérieurs.

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 Pour les divers Avis et Observations, voir la Circulaire du 16 juillet 1861, et celle du 16 juillet 1868.

 Les Frères Tailleurs me prient d'insister pour les parties de vestiaire laissées dans les Postes, tels que bas, souliers, chapeaux, manteaux, soutanes, calottes, culottes, etc. N’oubliez pas d'apporter tous ces objets à la Maison de Noviciat : on en tire très bon parti, ou pour le service, ou pour les pauvres.

 Rien de changé en ce qui concerne les fournitures classiques, les livres de prix, le linge pour la Retraite, les brevets, les examens, les actes de naissance, les renseignements sur la résidence, l'engagement décennal, etc.

 J'ajoute les Vocations surtout, dont le besoin se fait sentir plus que jamais. Continuez à les favoriser, de tout votre pouvoir, dans toutes les Provinces. Certes ! en observant le besoin extrême d'Ecoles vraiment chrétiennes et la sainte mort de tant de bons Religieux, qui ne serait excité, pour peu qu'il ait à cœur la gloire de Dieu, le salut des âmes, son propre salut, qui ne serait excité, dis-je, vivement excité, malgré certaines défections, ou plutôt à cause de ces défections mêmes, à voir se multiplier les bonnes Vocations, et à les provoquer par tous les moyens possibles.

 Je vous remercie de l'empressement que vous avez mis à placer les Portraits du Saint-Père, dont je vous ai parlé dans la Circulaire du 8 avril dernier. Vous pourrez en demander dans les Procures, à l'occasion des Retraites, et continuer votre petite collecte, pari-ai les Elèves et autres personnes, après la rentrée des classes. Le voyage de Rome ne se fera que dans le courant de 1871.

 Les Maisons Provinciales feront elles-mêmes l'offrande qui sera jugée convenable pour chaque Province. Les Frères Directeurs des Etablissements n'auront pas à s'en préoccuper, ni à prendre sur les fonds de l'Etablissement.

 Les Frères qui voudront faire une offrande sur leurs biens ou revenus patrimoniaux, le pourront, comme il a été dit dans la Note du 5 mars 1869.

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 Deux nouveaux décès depuis que cette Circulaire est commencée :

 Frère MARIE-FRANÇOIS, Novice, décédé à Hautefort, le 12 juin 1870.

Frère THERIN,Obéissant, décédé au Luc (Var), le 14 juin 1870.

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 Je recommande aussi, d'une manière particulière, à vos prières et pieux suffrages, son Eminence le Cardinal de Bonald, Archevêque de Lyon, décédé à Lyon, le 29 avril 1870.

 Je n'ai pas à vous parler des vertus éminentes, du zèle extraordinaire, des longs et glorieux travaux de ce saint et illustre Cardinal et Archevêque ; mais je ne puis m'empêcher de vous rappeler à tous combien Son Eminence s'est toujours montrée pleine de bienveillance et de bonté pour les Petits Frères de Marie. Constamment, Elle s'est plu à favoriser nos Etablissements, à nous accorder toutes les faveurs spirituelles que nous désirions, à nous prêter son puissant appui, toutes les fois que quelque besoin le réclamait. Je tiens surtout à relater ici quatre paroles que Son Eminence a dites de nous, en engageant son Clergé, dans une Retraite pastorale, à nous trouver des Vocations et à nous confier des écoles. « Les Petits Frères de Marie, dit-elle, sont PIEUX, MODESTES, INSTRUITS, ET TRÈS AMIS DE LEURS CURÉS,je vous les recommande tout particulièrement. » Déjà, je crois vous avoir rapporté ces bonnes et encourageantes paroles; mais elles résument si bien nos devoirs que je vous les redis encore, afin qu'elles vous restent comme un excellent souvenir de notre saint Archevêque ; et, que partout et toujours, nous nous efforcions de plus en plus de les justifier et de les mériter.

 M. le Comte Léon-Julié Bidé de la Grandville est pieusement décédé en son château de Beaucamps, le 31 mai 1870, à l'âge de soixante-quatorze ans et huit mois.

 On a dit de M. le Comte de la Grandville que sa longue, mais trop courte existence, se résume en un mot: Il a passé en faisant le bien. Ce mot est en effet d'une exactitude parfaite : car la vie entière de M. le Comte n'a été qu'un long exercice de bonnes œuvres, d'actes de piété et de vertus.

 Mais, ce que nous devons ajouter, nous, Petits Frères de Marie, avec un profond sentiment de reconnaissance, c'est que la charité et la libéralité de M. le Comte se dirigeaient vers nous, d'une manière admirable et non interrompue, depuis bientôt trente ans : une partie considérable du bien qu'il a fait, il l'a fait en notre faveur.

 Pendant la vie de Mme la Comtesse, sa très digne et très sainte compagne, M. le Comte ne faisait qu'un avec elle, pour fonder Beaucamps (Ecole, Noviciat, Pensionnat), pour favoriser les Vocations, pour développer la Province du Nord, et pourvoir à tous ses besoins, avec une générosité incomparable.

 Depuis la mort de Mme la Comtesse, le 6 septembre 1865, M. le Comte n'a point cessé d'étendre, de perfectionner et de consolider de plus en plus tout ce qui avait été commencé.

 La Maison de Beaucamps surtout a été complétée et régularisée dans toutes ses parties ; et le noble Fondateur a eu la consolation, jusqu'à la fin, de la voir toujours prospérer, toujours se remplir d'élèves au Pensionnat, accroître le nombre des Frères au Noviciat, soutenir et étendre, dans toute la Province du Nord, I'Œuvre des Ecoles.

 Nous avons le ferme espoir que le bon Dieu continuera à bénir et faire prospérer toutes ces œuvres de M. le Comte et de Mme la Comtesse de la Grandville, consacrées maintenant et par leur sainte mort et par leurs abondantes et pieuses libéralités. Puissent tous nos Frères du Nord, dans un sentiment particulier d'amour, d'estime, de reconnaissance et de religieuse vénération pour ces fondateurs et bienfaiteurs illustres, s'y dévouer toujours, avec tout le zèle et toute la constance que demandent des Etablissements si chers à leurs cœurs et si utiles à la Religion !

 Pour nous, nous nous faisons un devoir de comprendre à perpétuité, dans toutes les prières, bonnes œuvres et pieux suffrages de la Communauté, M. le Comte et Mme la Comtesse. A la Maison-Mère, comme à Beaucamps, nous nous sommes empressés de faire célébrer un Service solennel pour le repos de l'âme de M. le Comte, dès que nous avons eu la nouvelle de son décès.

 Dans toutes les Maisons de l'institut, le premier jeudi après la réception de cette Circulaire, on dira l'Office des morts à neuf leçons, on assistera à la sainte Messe et on fera la sainte Communion, à l'intention spéciale de Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Lyon (ORAISON : Deus qui inter apostolicos sacerdoles, lamuluin tuum Mauritium, pontilicali fecisti dignitate vigere : proesta, quoesumus, ut eoruin quoque perpetuo aggregentur consortio) ; de M. le Comte et de Mme la Comtesse de la Grandville (ORAISON: Deus venix, etc. …) ; de notre cher Frère Benoît (ORAISON : Inclina, etc. avec l'Oraison : Fidelium, etc.)

 VII

 Saint Paul, écrivant aux Hébreux, les exhorte en ces termes : Souvenez-vous de vos pasteurs qui vous ont prêché la parole de Dieu : et, considérant qu'elle a été leur fin, imitez leur foi. (Héb., XIII, 7).

 Il me semble, M. T. C. F., qu'après vous avoir parlé de la sainte vie et de l'heureuse mort de plusieurs de nos Frères, après avoir rappelé ce que furent quelques-uns de nos Anciens, leur constance et leur fermeté dans la vertu, nous ne pouvons faire mieux que de nous attacher aussi à IMITER LEUR FOI ; à faire nos prochaines Retraites dans la vue et le désir de réveiller en nous la foi vive qui les a soutenus jusqu'à la fin dans leur Vocation et dans le bien : foi précieuse, qu'ils entretenaient par la méditation fréquente des grandes Vérités de la Religion : la MORT, le JUGEMENT, L'ENFER, le PARADIS, l'ETERNITE

 Nous le savons, le Père Champagnat était terrible sur ces vérités. Il les annonçait, surtout au début de son ministère, avec une force, une énergie qui les faisait aller jusqu'au fond de l'âme de ses auditeurs, et les pénétrait tous de la terreur des jugements de Dieu, selon la parole du Prophète-Roi : Pénétrez ma chair de voire crainte, Seigneur, et que vos jugements remplissent mon âme de terreur. (Ps. CXVIII, 120).

 Les simples fidèles de Lavalla en étaient eux-mêmes profondément saisis, c'est ce qui amena une réforme générale dans la paroisse ; mais de tous ceux qu'elles frappèrent le plus, furent les premiers disciples du Père Champagnat, nos premiers Frères. Ceux de cette époque qui vivent encore, ne peuvent assez dire les impressions profondes que laissaient dans tous leurs cœurs ces fortes instructions du pieux Fondateur, instructions qu'il répétait et expliquait, d'une manière plus forte encore, dans ses Conférences particulières à la Communauté.

 C'est donc dans la considération attentive et réfléchie de la mort, du jugement, de l'enfer, de l'éternité, que nos Aînés en Religion ont puisé cette crainte de Dieu, cette horreur du péché, cette fermeté de conscience, et cette sévérité de principes qui les ont caractérisés ; c'est de là que leur est venue la foi vive et courageuse, la foi inébranlable qui les a rendus si ardents et si constants dans la pratique de la pauvreté, de la mortification, du zèle, de tout ce qui peut assurer le salut, même en crucifiant le plus la nature.

 Disons le mot : ils avaient appris à craindre l'enfer et, coûte que coûte, ils ont voulu l'éviter, prenant et pratiquant à la lettre le mot du grand Apôtre : Je traite durement mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. (I Cor., IX, 27).

 Ma pensée est, M. T. C. F., qu'en ce moment nous ferons très bien de revenir tous, et de revenir sérieusement à ce premier principe de toute sagesse : LA CRAINTE DU SEIGNEUR. La crainte du Seigneur, dit le Prophète, est le commencement de la sagesse, et il ajoute que ceux-là seuls sont véritablement intelligents qui règlent leur conduite sur les mouvements de cette crainte salutaire. (Ps. CX, 10).

 Dans la Retraite préparatoire aux Elections du 22 juillet 1863, les membres du Chapitre venaient de faire la méditation de Manrèse[1]sur l'enfer, méditation toute tirée de ta Sainte Ecriture et des Pères, et qui résume, en cinq points d'une épouvantable concision, cette terrible  vérité :

 1° L'habitation du réprouvé (L'enfer même).

 2° La société du réprouvé (la triple société de son corps en putréfaction, des démons et des autres réprouvés).

 3° Le supplice du réprouvé dans les puissances de son âme (la mémoire, l'intelligence et la volonté).

 4° Le supplice du réprouvé dans tous les sens de son corps (la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher).

 5°Tous ces supplices réunis, multipliés, comme à l'infini, par l'incompréhensible supplice de l'éternité.

 Alors, faisant appel à la conscience, au zèle et à la charité des Frères Capitulants, je les conjurais, en mon nom et au nom de tous, de nous donner un Supérieur et des Assistants qui nous fermassent la voie de l'enfer ; qui se missent partout et toujours, devant chacun de nous, en travers de la route qui y conduit ; qui fussent constamment là, pour saisir au passage et arrêter, avec tout le courage et toute la force d'une inébranlable charité, quiconque voudrait aller en ce lieu de tous les opprobres et de tous les tourments comme l'appelle le mauvais riche (Luc, XVI, 28).

 Hélas ! à ce moment, je dois le dire, tout le Chapitre sentait que c'est là, en effet, le grand devoir des Supérieurs; parce que c'est le grand service, la souveraine et incomparable sûreté, que viennent leur demander, en retour de leur dévouement et de leurs sacrifices, tous ceux qui entrent dans la Congrégation.

 Or, M. T. C. F., en rappelant cette circonstance de nos dernières élections, je me reproche de ne l'avoir pas portée plus tôt à la connaissance de tous. Peut-être aurait-elle suffi, à elle seule, pour prévenir certains découragements, pour guérir certaines âmes, pour empêcher peut-être de lamentables défections.

 Quiconque, en effet, aura la vérité de l'enfer, de la malheureuse éternité, bien présente à l'esprit et au cœur, ne trouvera jamais que la Règle est trop difficile ; que les Supérieurs et les Directeurs qui en exigent l'observation, sont trop sévères ; que les sacrifices des Vœux et les travaux de l'Enseignement sont trop durs.

 Non, non, j'en suis sûr, jamais celui qui médite et qui craint l'enfer, ne criera à la rigidité, à la sévérité dans la pratique de nos Règles, dans la fuite du monde et de ses dangers, dans la fidélité aux exercices de piété : car il comprendra, il sentira parfaitement, avec l'auteur de l'Imitation «qu'une seule heure des tourments de l'enfer, sera là sans comparaison plus insupportable que cent années « de la plus rigoureuse pénitence qui puisse se faire en ce monde. » (I Imit., 24).

 Au contraire, il gémira et se plaindra, il frémira même de terreur, dès qu'il s'apercevra que la faiblesse, la négligence, une coupable tolérance des irrégularités et des abus donnent entrée au relâchement, disposent aux chutes, et ramènent, en affaiblissant la crainte de Dieu, tous les dangers de la damnation. Et, en vérité, devant les supplices éternels, que peut-il y avoir de plus triste, de plus malheureux, de plus cruel pour un Religieux que des condescendances qui l'acheminent vers ce malheur ! « Celui qui n'aime pas Jésus, qui se damne, n'est-il pas  à soi-même un plus cruel ennemi que ne pourraient l'être ceux qui le haïssent le plus, que ne pourrait l'être le monde entier? » (Il Imit., 7).

 Donc, M. T. C. F., c'est pour remplir un devoir essentiel de ma charge, et pour exercer envers chacun de vous un acte de la plus impérieuse charité, que je vous prie et vous conjure tous, sans exception, de vous adonner sérieusement, toute l'année qui va suivre, et même toute votre vie, à la méditation des fins dernières : Dans toutes vos œuvres, dit l'Ecclésiastique, souvenez-vous de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais. (Eccl., VII, 40).

 A cet effet, en attendant que je puisse étendre ces réflexions, voici ce que je vous conseille :

 1°Relire très attentivement les paragraphes XXI, XXII et XXIII, du Chapitre XXIV, de la Connaissance de Jésus-Christ, sur les biens et sur les maux de l'autre vie, sur l'éternité des uns et des autres.

 2° Pendant le mois de juillet, faire la méditation sur les grandes vérités : le prix de l'âme, l'importance du salut, le mal du péché, le prix du temps, l'abus de la grâce, la persévérance finale, la mort, le jugement particulier, le jugement général, le Ciel, l'enfer, l'éternité, l'imitation de Jésus-Christ, la dévotion à Marie, la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, l'Eucharistie, etc., etc. Les Frères Directeurs choisiront ces sujets dans les différents livres de Méditation qu'ils ont entre les mains.

 3°Nous préparer avec grand soin à la Retraite, et y venir avec la résolution bien arrêtée de la faire le mieux qu'il vous sera possible.

 « Notre intelligence, nous disait dernièrement un de nos Pères Aumôniers, est comme une belle glace. Mais, de même que, quelque finie que soit une glace, les objets ne s'y réfléchissent parfaitement qu'à deux conditions : 1° qu'elle soit nette, exempte de poussière  (dans la poussière, elle réfléchit mal) ; 2° qu'elle reçoive la lumière (dans la nuit, elle ne réfléchit rien) ; de même, ajoutait-il, pour que notre intelligence réfléchisse les vérités de la foi, nous les rende dans toute leur beauté, dans toute leur force, il faut : 1° qu'elle soit dégagée de la souillure de nos péchés, de la poussière même de nos imperfections : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car « ils verront Dieu (Matth. V, 8) ; 2° qu'elle soit éclairée par la lumière de l'Esprit-Saint, sans laquelle il n'y  a en nous que ténèbres et que nuit. »

 Donc, dans la Retraite prochaine, puisque nous voulons en retirer, pour fruit particulier, une grande augmentation de foi, il faudra : 1° donner à notre âme toute la netteté possible, par la perfection de nos confessions et la vivacité de notre contrition (le faire déjà d'avance); 2° implorer, avec une grande ardeur, les lumières de l'Esprit-Saint, afin qu'elles nous fassent voir très clair dans les affaires de notre salut, de notre éternité, de Dieu et de notre âme.

 Nous nous adresserons à Marie pour cela. Nous la prierons de notre mieux, tout le mois d'août, qui lui est particulièrement consacré ; nous lui demanderons avec instance, pour nous et pour tous nos Confrères, une, bonneRetraite et un grand esprit de foi.

 Les neuf jours avant l'Assomption, le matin, à midi, et le soir, après l’Angélus, on ajoutera trois Ave Maria, précédés, chacun, de ces deux invocations

 Cœur sacré de Jésus, ayez pitié de nous !

Cœur immaculé de Marie, priez pour nous !

 Pendant l'Octave, on récitera le Veni Creator et un Ave Maria, à la prière du soir, à la place du Veni Sancte.

 La présente Circulaire sera lue en Communauté, à l'heure ordinaire de la Lecture spirituelle.

 Je vous renouvelle, dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, l'entier. dévouement avec lequel je suis, Mes Très Chers Frères,

Votre très humble et très affectionné, Frère et serviteur,

                          Frère Louis-Marie.

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 P.-S. – En face de la justice de Dieu dont je vous ai dit un mot… en face de la justice humaine dont les poursuites sont inévitables,… (même pour les SIMPLES FAMILIARITÉS (R. C. p. 50), dès qu'il y a accusation)… en face de la S0LIDARITE que, trop souvent, on cherche à faire peser sur toutes les Congrégations enseignantes,… (c'est le prétexte invoqué, SANS SUJET AUCUN, pour la suppression d'une de nos Maisons), je vous rappelle ici, je rappelle pour tous sans exception, ces paroles de Jésus-Christ : Si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât au cou une meule de moulin, et qu'on le jetât au fond de la nier. (Matth., XVIII, 6.)

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[1]: Le texte porte: Manrèze. NDLR.

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