Lettres Ă  Marcellin

Frère Attale

1839-07-15

J.M.J., St. Jacques, le 15 juillet 1839.
Mon Révérend Père,
Je vous écris pour satisfaire le plaisir que jéprouve de vous donner de mes nouvelles, pour vous remercier de toutes les peines et les bontés que vous avez eues pour moi, pour vous dire en abrégé les différentes positions de mon voyage.
Je suis parti de Lyon le 23 mai avec les deux Pères, M. Comte et M. Chevron, à 8 heures du soir; nous sommes arrivés à Paris le 25 à 6 heures du matin; nous fûmes logés au séminaire des Missions étrangères; on nous reçut bien amicalement. M. Dubois me demande de vos nouvelles, il me paraît bien vous témoigner ses amitiés. Le 26, nous partîmes à deux heures du matin, nous arrivâmes le 27 à midi à Boulogne, nous repartîmes le même jour à dix heures du soir sur un vaisseau à vapeur, qui se dirigeait vers Londres; nous eûmes une traversée très favorable, nous arrivâmes à Londres à 11 heures du matin, là nous trouvâmes un français, et ce même français avait déjà conduit chez lui nos deux Pères: M. Petit Jean et M. Viare qui étaient arrivés deux jours avant nous; mais ils nétaient déjà plus chez lui. Nous neûmes pas fini de dîner que nos deux Pères viennent nous chercher; nous allâmes avec eux, à leur nouvel hôtel. Celui-là ce sont des gens qui ne reçoivent que quelques voyageurs comme nous, cest une maison qui paraît bien fidèle, ils se disent chrétiens catholiques comme nous, mais très peu instruits de notre sainte Religion.
Je vais vous entretenir un peu de la ville de Londres; la ville de Londres est très considérable, on y compte plus de quatorze cent mille âmes, les maisons ne sont pas bien hautes; elles en sont que dun troisième à ce que je crois. Jai re marqué surtout lenterrement de deux anglais: il y avait dans chaque enterrement trois voitures à chacune deux chevaux, une pour le défunt, les autres sont, je crois, pour les ministres de leur secte; ils ont chacun un bâton à la main, je ne sais pas ce quil y a à la cime, il est ployé dune pâte noire, ces bâtons ont environ 5 pieds de long; les prêtres ou ministres sont habillés de noir, ils ont des chapeaux ronds et un crêpe autour lequel tombe derrière les épaules. Les chevaux sont couverts de noir ainsi que les voitures. Les églises sont très propres, mais elles ne paraissent guère fournies; les hommes et les femmes ne savent pas sortir de chez eux sans prendre les voitures, aussi les rues en sont pleines; la Religion chrétienne dans Londres est tout à fait dans une situation digne de pitié; ce royaume est dévoré par les sectes: on en compte plus de quatre vingt différentes.
Tous nos effets et nos malles sont dans le vaisseau; rien en sest perdu: un monsieur protestant dont la femme est catholique nous a rendu de très grands services; à sa protection peu de nos malles ont été ouvertes au bureau de la douane. Nous sommes partis le 14 juin de Londres et on a mis à la voile le 15 à 6 heures du soir; il y a 36 personnes dans le vaisseau; il ny a que nous de chrétiens; il y a deux juifs, deux noirs; je crois que le reste est protestant. Le maître du vaisseau qui est le capitaine, paraît assez porté à ce dont nous avons besoin. Nous avons trois petites chambres pour nous cinq, quon appelle cabine, elles sont bien étroites, on a peine dy trouver 5 pieds et demi en carré et nos lits y sont.
Les premiers jours de notre navigation nont pas été favorables; au bout de quelques jours la mer sest calmée, le Seigneur nous a envoyé le bon vent, et nous avons marché rapidement, nous avons passé les îles de Ouliest, de Soilly, de Madère, les Canaries; nous sommes arrivées le 13 à St. Yago, nous y faisons 4 jours de séjour pour faire une eau douce. Cette île est très fertile pour toutes sortes de fruits; il y a un Evêque et deux prêtres! Hélas, mon R. Père, que la moisson est prête dans cette île, sil y avait des ouvriers, ils ne respireraient tous que la connaissance du vrai Dieu, on aurait désiré garder deux de nos Pères, disant quils auraient au moins des prêtres qui les confesseraient et qui les enterreraient. Les deux prêtres quil y a sont des portugais; il y a un Préfet catholique, le Consul est aussi catholique. Ces pauvres noirs, hélas! ces noirs font compassion! Ils nous courraient après pour avoir une médaille ou une croix. Une maison où nous sommes entrés et où nous avons demeuré quelques moments, fut assaillie par ces pauvres sauvages et par plusieurs soldats mêmes qui étaient là avec leurs bonnets de police à la main, demandant avec instance une médaille ou une croix. Ceux à qui on en donnait les passaient vite à leurs cous et paraissaient contents dêtre munis de pareilles armes. Nous avions distribué tout ce que nous avions avec nous et le nombre ne paraissait pas diminuer; il en survint un qui nous toucha; il disait: Je suis trompette, sil vous plaît une croix, sil vous plaît. Moi, jen avais une petite quon mavait donné à Londres. Je la lui remis avec un cordon que le P. Viare lui donna; il la passa de suite à son cou. Jamais militaire na peut-être été si content.
Je vous ai parlĂ© un peu des Ă©glises de Londres, mais cest encore mieux que celle de cette Ă®le; celle-lĂ  annonce de la nĂ©gligence Ă  ce quil paraĂ®t ou je ne sais quoi, peut-ĂŞtre de la pauvretĂ©…
Frère Attale.

fonte: AFM Cahier 48 Lettres, p. 12

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