Fr. Seán Sammon
Lorsque l?été dernier, Dani et Augustín sont revenus d?un cours de langue en Irlande, tous les deux m?ont recommandé la lecture d?un livre de John Boyne intitulé : Le garçon au pyjama rayé. Saint Benoît ne se gênait pas pour rappeler aux Pères Abbés que les sages décisions ne se prennent qu?après avoir cherché conseil auprès du plus jeune et du plus âgé de la communauté. C?est inspiré par ce principe que je me suis mis à la recherche de ce livre.
Le récit de Boyne nous parle de quelques années dans la vie d?un jeune garçon nommé Bruno. Alors que se déroule la Deuxième Guerre mondiale, nous le retrouvons avec sa famille dans le confort relatif de Berlin, oublieux de la souffrance humaine qui s?étend autour de lui. Mais, voilà que la situation change tragiquement lorsque son père, un officier nazi, est nommé commandant du camp de concentration d?Auschwitz. Ce camp polonais a pour seul but de procéder à l?extermination du peuple juif.
Bruno se trouve déplacé et isolé par ce changement, et sa curiosité est éveillée. Il commence par explorer le camp qui entoure la propriété clôturée où sa famille vit à présent. De la fenêtre de sa chambre, il peut voir une clôture et beaucoup de gens vêtus de pyjamas rayés. Ce sont des Juifs arrachés à leurs foyers et expédiés vers ce camp.
Avec le temps, Bruno rencontre un jeune garçon juif qui s?appelle Shmuel et qui vit de l?autre côté de la clôture. Les deux jeunes deviennent rapidement amis. Bruno visite Shmuel chaque après-midi pour converser avec lui, chaque garçon demeurant de son côté de la barrière, ce qui rappelle sans cesse la grande discrimination de leurs situations.
Permettez-moi de m?arrêter ici pour ne pas ruiner la fin de l?histoire à ceux qui voudraient lire le livre. On peut cependant s?interroger sur la raison d?un tel récit de souffrance, de mort et d?amitié entre deux garçons à l?occasion de Noël. Est-ce pour nous rappeler la présence du mal dans notre monde ou pour nous amener à agir de manière responsable envers ceux qui ont beaucoup moins que nous ?
Je raconte cette histoire parce qu?elle nous rappelle le pouvoir de l?amitié et l?influence transformante que l?amour peut jouer dans nos vies. C?est en effet la leçon de cette histoire : l?amitié et l?amour transcendent les différences de race, de croyance, d?aptitude intellectuelle, de statut socioéconomique et une kyrielle d?autres mesures que la société utilise pour distinguer une personne d?une autre. Bruno aimait Shmuel et, en conséquence, il a été capable de regarder au-delà des apparences qui rendaient Shmuel différent aux yeux des autres.
Car Noël ne nous parle pas tant de naissance d?un bébé, d?étable et d?animaux de la ferme, ou encore d?anges et de mages. Non, Noël nous parle de l?amour inimaginable que notre Dieu a pour chacun de nous. Quoi d?autre pourrait pousser Dieu à prendre notre nature, à habiter parmi nous et à nous dire que nous faisons Son bonheur ?
Soyons donc honnêtes ! Si notre monde éprouve des problèmes ce n?est pas à cause de Dieu, mais bien plutôt à cause de chacun de nous. C?est bien nous qui couvons des préjugés, enseignons la haine aux enfants et refusons de pardonner.
Marcellin comprenait bien le problème, d?où son insistance sur deux points : la nature de nos communautés et notre mission de Maristes. Nous connaissons bien le message du Fondateur à nos premiers frères qui avaient certes leurs divergences. Malgré cela, Marcellin leur lançait le défi de laisser l?amour influencer leur vie commune. Peu importe ce qui les divisait, il leur disait qu?ils devaient apprendre à pardonner et à se réconcilier. Oui, pour Marcellin, le pardon et la réconciliation étaient au c?ur de nos vies de frères, pour en former le tissu même. Qu?en est-il si les deux sont absents de nos vies aujourd?hui ? Nous devons alors nous demander si nous sommes vraiment l?un de ses Petits Frères de Marie, car il faut savoir choisir : ou bien nous vivons cette vie pleinement ou bien nous devons choisir de vivre une autre vie.
Qu?en est-il de notre mission auprès des enfants pauvres et des jeunes ? Le Fondateur a compris que leur vie est plus difficile que celle de ceux de leur âge et qu?ils méritent notre temps et notre attention. Possédant peu de ressources matérielles, plusieurs ont aussi honte de leur état. Par exemple, qu?est-ce qu?une fillette dont la famille est sans logis peut répondre à ses compagnes qui lui demandent où elle vit ? Où un garçon en prison peut-il trouver un adulte qui s?occupera de lui et l?aidera à devenir un homme ?
Au c?ur de ces deux entreprises, la vie communautaire et notre mission, l?amour de Jésus-Christ règne. Voici la révélation de Noël : l?amour de Dieu pour chacun de nous, un amour extraordinaire mais aussi parfois redoutable. Marcellin Champagnat aimait tellement notre Dieu qu?il ne pouvait pas s?empêcher de parler de l?amour du Seigneur à chaque enfant et à chaque jeune qu?il rencontrait.
Bruno et Shmuel savouraient le don de l?amitié juvénile ; leur amour les aidait à transcender les différences que la vie leur avait imposées. L?amour de nos premiers frères pour notre Fondateur et les uns pour les autres les a aidés à pardonner, à se réconcilier et à progresser dans leur vie. La fête de Noël nous rappelle qu?il y a deux commandements au c?ur de notre foi : l?amour de Dieu et l?amour des autres. Dieu est venu dans ce monde et Il a vécu parmi nous pour que ce message devienne clair comme de l?eau de roche. Voilà le sens de la fête de Noël ! Amen.